Peut-il exister une croissance sans épargne ? ECRICOME (1998, sujet 2) Quand furent créées les premières caisses d’épargne en France au début du XIXe siècle, ce sont les vertus de l’épargne qui étaient mises en avant. En mettant de côté une partie du revenu tiré de son travail, l’ouvrier pouvait s’éviter le recours à la mendicité. A la même époque, les économistes classiques, en particulier Jean-Baptiste Say, soulignaient que seule l’épargne, en permettant d’augmenter les moyens de production, pouvait garantir l’enrichissement du pays. Plus près d’aujourd’hui, les années 1990 donnent pourtant l’exemple d’un pays comme les EtatsUnis qui ne cesse de s’enrichir tandis qu’un autre, le Japon, qui s’était fait le champion de l’épargne depuis les années 1970, connaît un taux de croissance du PIB qui ne dépasse pas 2% en moyenne. Les liens entre la partie non consommée du revenu et l’accroissement de la quantité de biens et services produits sur le long terme semblent donc assez difficiles à délier. Une façon d’aborder le problème est de se demander si une croissance peut exister sans épargne. Autrement dit, une économie qui consomme l’intégralité de ce qu’elle produit peut-elle connaître une augmentation durable de sa production ? Poser la question en ces termes présente l’avantage de faire apparaître clairement qu’une croissance sans épargne ne peut exister qu’à deux conditions, non exclusives l’une de l’autre, à savoir : une croissance financée par la création monétaire et/ou une croissance dont les sources seraient gratuites. Nous nous interrogerons donc dans une première partie sur la possibilité qu’une économie ‘vive à crédit’ sur le long terme. Puis, dans une deuxième partie, nous essayerons de déterminer dans quelle mesure les sources de la croissance nécessitent une épargne. I. Une économie peut-elle financer sa croissance par la création monétaire sur le long terme ? A. En théorie, la création monétaire peut financer les sources de la croissance sans qu’une épargne préalable existe. B. L’expérience historique montre cependant que ce mécanisme ne s’observe pas sur le long terme. II. Les sources de la croissance peuvent-elles être gratuites ? A. Une croissance extensive impossible sans épargne. B. Une croissance intensive peu probable sans épargne. Peut-il exister une croissance sans épargne ? La réponse apparaît assez clairement négative. A court terme, une économie peut certes recourir à la création monétaire pour financer la création de richesses. Mais, si l’épargne, nationale ou internationale, ne se substitue pas au crédit, les tensions inflationnistes empêcheront de faire durer cette création de richesse suffisamment longtemps pour que l’on puisse parler de croissance. Pour que cette dernière existe sans épargne, il faudrait alors qu’elle trouve sa source dans des facteurs gratuits. Or, si certains gains de productivité peuvent apparaître sans que des capitaux soient engagés, l’essentiel de l’accumulation du capital, physique ou humain, privé ou public ainsi que la plupart des innovations nécessitent un financement, donc de l’épargne. L’épargne est donc une condition nécessaire de la croissance. Une conclusion qui amène immédiatement la question suivante : l’épargne est-elle une condition suffisante de la croissance ? Se dévoilent ici assez rapidement les limites des vertus de l’épargne : l’ascète et besogneux ne risque-t-il pas de laisser sa place à l’Harpagon et rester seul avec sa cassette inutile ?