L’HISTOIRE
Toute histoire est liée à un récit et au temps. Le récit doit former une unité, un sens ayant un début et
une fin. Il implique de faire un choix : on ne peut pas tout raconter, et on ne peut pas évoquer toutes les
informations. Ainsi, le narrateur doit-il trancher, conserver et faire état des informations qui seules l’intéressent.
Enfin, qui dit récit, dit narrateur et auditeur. Le premier a forcément une intention, le second veut connaître,
découvrir.
En appliquant cette approche au récit historique, nous voyons que l’histoire n’est guère différente. A
part que l’historien veut « reconstruire » le passé, trouver la vérité telle qu’elle a eu lieu. Pour cela, il part de
matériaux mis à sa disposition. Il a lui aussi une intention, et doit faire un choix car il ne peut pas tout étudier.
Cette intention est dépendante d’une hypothèse de travail.
Ainsi si l’histoire étudie le passé, l’événement passé lui, manifeste sa présence puisque le présent est issu du
passé, qu’il en est la conséquence, et que les évènements passés ne prennent toute leur dimension que par la
suite.
I ] INTRODUCTION
A PRESENTATION
Le temps ne commence pas à notre naissance et ne termine pas à notre mort. Nous sommes comme enveloppés
dans le monde, et l’histoire est l’expression de cet écoulement « indéfini » du temps. L’histoire est l’expression
de la conscience de l’homme de vivre dans le temps : le passé a de l’importance pour lui. [A.1]
Certes, on pourrait dire que tout a une histoire : le soleil, les étoiles ayant un commencement, une fin prochaine,
ont aussi une histoire d’une certaine façon ; mais dans la mesure où il n’y a pas de conscience, il n’y a pas
d’histoire : En effet, Hyppolite affirme que seul l’esprit aurait une histoire, un passé, une mémoire.
Cette remarque nous amène à distinguer tout de suite deux types d’histoire qu’il ne faut pas confondre :
- L’histoire en tant que devenir, l’histoire qui est vécue. Elle constitue l’objet de la seconde. Cette histoire
est constituée des faits, des évènements, des actes et faits du passé.
- L’histoire comme science historique : Elle œuvre de synthèse en intégrant tous les différents moments
historiques. Par cette acception, l’homme prend conscience qu’il a une histoire, et qu’il veut la
comprendre.
Hérodote, quant à lui, écrit l’histoire pour « empêcher que les actions accomplies par les hommes ne s’effacent
dans le temps. » Pour la première fois ( ? : et l’Ancien Testament, ne comprend-il pas des Livres Historique ?),
un historien a un but autre que le simple dessein anecdotique : une sorte d’histoire réfléchissante. Ce qui nous
amènera à poser la question : Pourquoi l’histoire ? Quelle sa finalité, son but ?
B LE SENS DU MOT
Le mot « histoire » vient du grec « historia » qui veut dire recherche. « Historein » signifie quant à lui : chercher
à savoir ; et « histôr » est celui qui sait. De là se dégage cette première distinction entre l’histoire comme
succession des états, le devenir d’une réalité (qu’il soit individuel ou collectif), et, la discipline scientifique qui
étudie la première. Le mot « scientifique » ouvre à lui seul un large débat pour savoir si : L’histoire serait une
science ? Aristote affirmant que l’histoire traitait non de l’universel mais du particulier et qu’il n’y a de science
que du général , ne reconnaît pas à l’histoire le statut de science ; qui plus est on ne peut pas avoir de certitudes
par les causes.
Ecartons tout de suite de l’acception « histoire » :
- La mythologie qui certes veut évoquer les origines de l’homme, donc son passé et son histoire, mais
l’objet n’est pas la réalité, ni la vérité qui sont substituées par des fables et des récits merveilleux dont
l’absence de preuves ne gêne personne. Si toute société humaine s’est toujours référée à son passé,
celui-ci n’a pas donc pas toujours été l’objet de l’histoire. Le passé est vu comme archaïque et
mystérieux. [T1-p.493]
- L’archéologie n’est pas non plus de l’histoire puisqu’elle ne travaille pas sur des traces écrites : le
travail d’interprétation en sera très différent.
C L’ORIGINE DE L’HISTOIRE
L’histoire possède une histoire. Ainsi, considère-t-on Hérodote comme père de l’histoire. A travers ce premier
grand historien, il est facile de constater (quand il relate des Guerres médiques), que l’histoire est considérée
comme une enquête, un exposé de multiples informations.
Son successeur, Thucydide (-V°s.), écrivant l’ « Histoire des Guerres du Péloponnèse », veut dégager des
principes d’intelligibilité : plus de documents, plus d’exactitude, plus d’approche critique.
II ] L’OBJECTIVITE HISTORIQUE
A INTRODUCTION
1) Etat de la question
Nous avons distingué l’histoire comme évènements et la science historique. La première étant
des actes, des faits du passé, constitue la réalité historique objective (d’ailleurs, est-elle si objective que
ça ? Que vaut un fait hors de son contexte ?). Quant à la deuxième, cette science du devenir des hommes
et des sociétés, elle semble beaucoup plus subjective…
Peut-on imaginer une impartialité du récit historique et une conformité absolue aux évènements
passés ?
2) Fondement du problème
Aristote opposait l’historien au poète : le premier disait ce qui a eu lieu, le second, ce qui pourrait avoir
lieu (Il en arrivait à la conclusion que la poésie était plus philosophique puisqu’elle traitait de l’universel
quand l’autre s’occupait du particulier.
Tout le problème de l’histoire repose sur cette situation qu’occupe l’homme : Dans toutes sciences
expérimentales, la connaissance repose sur des faits indépendants de l’homme, alors que qu’en l’histoire,
l’homme n’est point séparé de celle-ci (il s’étudie lui-me en quelque sorte…) : P. Veyne décrit l’histoire
comme un récit d’évènements vrais qui ont l’homme pour auteur.
L’histoire peut-elle être purement objective ? En fait, toute la philosophie moderne s’accorde à
reconnaître que non, en répondant qu’en matière historique, subjectivité et objectivité sont liées [T3-p.533].
Ainsi est contestée la célèbre formule de Fénelon : « L’historien n’est d’aucun temps, d’aucun pays. »
B AUTEUR & ACTEUR
1) L’auteur : l’historien
Les premiers historiens occidentaux furent des chroniqueurs, c’est-dire des témoins de leur temps.
Mais comme il a été dit plus haut, l’historien doit reconstruire le fait historique, dès lors, il doit
chercher, trier, sélectionner dans une immense masse de matériaux. De celle-ci, il va tirer un travail
personnel (arbitraire ?) Ainsi, à l’heure actuelle la philosophie moderne affirme que l’historien ne peut
rester froid devant l’histoire. Qui plus est, il veut toujours aboutir à une thèse (d’où une hypothèse de
départ), et il doit choisir des faits en vue des questions qu’il s’est donné. Parce que l’histoire implique
choix, elle implique subjectivité.
2) L’acteur : le fait historique
Mais même à considérer les faits en soi, sont-ils garants de toute réelle objectivité historique ? Quelle
peut-être la valeur d’un fait sans son contexte ? La complexité des évènements historique nous permet-elle
de bien analyser toutes les considérations à tenir ? En effet, comprendre des réalités humaines, n’est pas
chose facile !
Ici intervient toute la question du matériau de l’histoire : quel est-il ? Les écrits constituent-ils le seul
vrai et unique matériau ? l’histoire en tant que discipline est une connaissance de la réalité des choses. Il est
évident qu’elle se travaille à partir des textes. Mais l’on peut distinguer deux sortes de documents : ceux qui
racontent l’histoire et ceux qui en témoignent directement. Les deux doivent être soumis à la critique, mais
de façon différente. [p.496]
C CONLUSION
Certes, l’histoire ne prétend pas à une objectivité comparable aux sciences expérimentales, mais
l’établissement de la recherche historique s’appuie tout de même sur des règles strictes (critiques internes et
externes des documents, concordance, véracité, etc…) Il faut en effet que l’histoire soit capable de conférer une
connaissance valide et vraie. Mais la subjectivité de l’historien est lui-même un fait avec lequel il faut composer.
D’ailleurs, n’est-elle pas au fond nécessaire ?
Plus que cela, en établissant la synthèse historique (lieux, évènements, causalité, conséquences, etc…),
l’historien donne une intelligibilité aux faits. En plus d’expliquer fondamentalement la subjectivité de l’historien
et des faits, cet aspect soulève tout le problème du sens de l’histoire : L’histoire a-t-elle un sens ?
III ] LE SENS DE L’HISTOIRE
Qui fait réellement l’histoire ? A-t-elle un sens, une orientation ?
Parce que l’histoire est une conséquence du temps et donc du mouvement, il a un commencement et une fin.
L’histoire a donc un sens si l’on suppose qu’elle a une finalité.
Cette conception qui s’oppose à l’histoire comme simple masse de faits. En effet face au désordre apparent des
évènements qui répondent à une multiplicité d’interventions individuelles, il semble qu’il y ait un ordre
d’ensemble qui s’en dégage…
Il n’est pas alors nécessaire de connaître les détails de l’histoire si l’on veut en comprendre le sens.
A LE DETERMINISME HISTORIQUE
1) Hegel
On reconnaît à Hegel d’avoir mis en évidence ce sens de l’histoire. Pour lui les évènements qui
ont contribué à ce qui est, prennent nécessairement un sens dans l’avenir, et ce sens part forcément d’un
postulat de la rationalité du devenir historique.
Pour Hegel, l’histoire universelle est l’expression du progrès de la conscience et de la liberté. Il
faut donc étudier l’histoire pour scruter et repérer les principales étapes de la reconquête de la liberté :
Démocraties grecques, réforme protestante, révolution française, etc…
Ainsi, l’histoire est objet de philosophie pour Hegel. Cette dernière permettant de comprendre, de
prendre conscience de l’histoire. [T.23-p.328]
La réalité historique est rationnelle et intelligible. C’est là, le fondement d’Hegel qui a voulu
donner un principe d’intelligibilité à l’histoire ; il a voulu dépasser la
continuité successive des formes diverses qui se déploient : « Là, un immense déploiement de forces ne
donne que des résultats mesquins, tandis qu’ailleurs, des causes insignifiantes produisent d’énormes résultats.
Partout, c’est une mêlée bigarrée qui nous emporte, et dès qu’une chose disparaît, une autre aussitôt prend sa
place » (Hegel, La Raison dans l’histoire.)
C’est l’Idée (principe suprême immanent du monde) qui gouverne le monde et l’histoire. Cette
Idée devient de plus en plus claire quand elle est unifiée par la raison humaine. Ainsi le philosophe peut
découvrir une histoire de plus en plus rationnelle qui se dirige vers un principe spirituel supérieur (telle
la philosophie des Droits de l’Homme.) [T22-p.327]
Ainsi, l’Histoire reproduit, retrace cette Idée en marche, qui d’étape en étape s’unifie et se simplifie. Le
temps ne cesse de s’améliorer et si l’on veut comprendre le cours de l’histoire, il faut la voir sous
l’angle du progrès. [T16-p.323]
Le devenir ne se poursuit qu’à travers crises et luttes, par bonds successifs. Toute chose doit
être vue sous l’angle de l’histoire (coutumes, institutions, les faits même
les plus insignifiants.) Tout aura un sens tout à fait intelligible si nous savons le situer dans le temps.
Ainsi conclue Hegel : « tout ce qui est réel est rationnel. » Les peuples sont donc des instruments
inconscients de l’Esprit du monde qui se sert de leur passions individuelles pour triompher avec une
grande ruse. [T18-p.324 / T20-p.326]
2) Marx et Engels
Ils reprochent à leur maître de déposséder les hommes de leur liber : « L’histoire ne sert pas de
l’homme comme d’un moyen pour réaliser ses propres buts, elle n’est que l’activité de l’homme qui poursuit ses
objectifs. » Les hommes font leur histoire selon des déterminations économiques et matérielles. Ainsi
l’histoire n’est pas fatale, elle est leur œuvre. [T8-p.375]
Il ne faut donc pas tant interpréter le monde et son histoire, mais les transformer. L’histoire est
à faire, et c’est la production matérielle qui crée l’histoire, le matérialisme historique détermine la
conscience des hommes. Le vrai moteur par lequel l’homme maîtrisera son destin est la lutte des
classes. Les outils et les techniques de production déterminent les possibilités d’existence. La vie
matérielle explique les activités et le devenir de l’homme. Le démiurge n’est donc pas un principe
spirituel : « A l’encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la Terre, c’est de la terre au ciel que
l’on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s’imaginent, se représentent, ni non plus
de ce qu’ils sont dans les paroles, la pensée, l’imagination et la représentation d’autrui. Non, on part des hommes
dans leur activité réelle » (Marx et Engels, L’Idéologie allemande.)
La lutte des classes est la clé d’interprétation de l’histoire où les forces productives s’affrontent
dans des rapports de production. La lutte des classes est le noyau de l’histoire unitaire, et l’avènement
de la révolution prolétarienne permettra le règne de la liberté : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours
n’a été que l’histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf. En un mot,
oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt
dissimulée » (Marx et Engels, Manifeste du parti communiste.) [T9-p.376] Ce qui fit dire à Lénine : « la
guerre : accélérateur de l’histoire »…
B LA CRITIQUE DU DETERMINISME
1) Critique moderne
La critique moderne concentre ses accusations en considérant le déterminisme comme une porte ouverte
sur un principe totalitaire. Certes une telle vision fournit une certaine espérance et une promesse.
a. Principe idéaliste ou matérialiste
Que ce soit Hegel ou ses deux disciples, les historiens actuels leur reprochent de trouver des
principes trop simplistes.
b. Un risque de justification
Avec une telle vision, le déterminisme peut tout justifier. C’est une divinisation de l’histoire
qui confond fait et devoir, événement et valeur, comme l’illustre la célèbre sentence de
Hegel : « L’histoire du monde est le jugement dernier du monde. » Elle peut être un principe de
terreur si un groupe prétend être le détenteur de ce sens et dont il impose les conséquences à la
société : « la fin de l’histoire n’est pas une valeur d’exemple et de perfectionnement. Elle est un principe
d’arbitraire et de terreur » (A. Camus, L’homme révolté) [T2-p.528] Cf. les mêmes critiques de
Valéry qui accuse l’histoire d’être une fausse science justifiant ce qu’elle veut ; et d’être un
leurre incapable de dire la vérité.
c. Le postulat non vérifié du progrès
Le postulat d’un progrès en marche a été démenti pendant ce XX°s. Ainsi cet espoir d’une
humanité meilleure est bien joli mais n’est-elle pas plus affaire de foi que de raison ?
Une totalisation historique aujourd’hui fort contestée : il n’y aurait pas de direction inéluctable du genre
humain.
2) La vision chrétienne de l’histoire
a. Telle qu’elle est
Si on reconnaît à Hegel d’avoir mis en évidence ce sens de l’histoire, la conception chrétienne
a une vision d’un certain sens historique. Mais selon une acception différente du
déterminisme.
Il n’y a pas de progrès tel qu’il est défini par Hegel ou Marx. Il n’y a pas de croissance vers
l’idéal. Il y a un centre de l’histoire : c’est l’avènement du Christ qui ne fut pas un simple
événement banal de l’histoire ou une étape. L’histoire doit être divisée en deux périodes :
l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. L’histoire ne s’accomplit pas, elle est faite : à ce
titre elle n’est plus fondamentalement progressive ou évolutrice. L’histoire est la suite des
efforts des hommes et des sociétés pour s’appliquer aux conditions du Salut.
Donc l’histoire a un sens : celui de salut des âmes. Nous sortons de Dieu et nous reviendrons à
Dieu ; Il est le commencement et la fin.
b. L’immanence vitale
L’homme veut un sens à sa destinée personnelle et veut l’intégrer dans un devenir historique
intelligible : d’où cette sorte de croyance dans le destin d’un pays ou de la providence divine.
Telle est l’explication psychanalytique et nietzschéenne de la vision religieuse de l’histoire. Ce
pouvoir surnaturel et bienveillant permettrait à l’homme de se grandir et d’aplanir les obstacles.
Désolés par le spectacle affligeant du monde, ils trouveraient là une consolation pour ne pas se
désespérer de l’humanité à laquelle ils appartiennent.
A noter que pour Nietzsche l’histoire enferme l’homme dans son passé et l’empêche de vivre le
présent.
En conclusion, une petite question pourrait renvoyer l’ascenseur à ce qui fut dit plus haut : Les philosophes qui
voient un sens de l’histoire, ne sont-ils pas de ces historiens qui lisent l’histoire dans un sens conforme à leur
aspiration ? Et à contrario, ceux qui réfutent tout sens à l’histoire, ne craignent-ils pas qu’elle en ait un qui leur
déplaise ?
IV ] L’HISTOIRE D’AUJOURD’HUI
En réaction contre l’histoire évènementielle (dite historisante), et le déterminisme historique est né un nouveau
mouvement dans les années 30.
A L’ECOLE DES ANNALES
A partir de 1930, les recherches historiques négligèrent les évènements et les faits au profit de longues
périodes sous l’angle évolutif lié à toutes sortes de paramètres. L’Ecole des Annales considère que les faits n’ont
aucun intérêt. Il faut considérer l’histoire sous tous ses paramètres : Activités économiques, organisations
sociales, mentalités, etc... Un phénomène qui connut son apogée après la Seconde Guerre mondiale. [T1-p.486 / T2-
p.487] Sont révolues ces successions de dates et d’évènements qui ne font qu’apprendre l’histoire sans la
comprendre. D’ailleurs telle était le leitmotiv de cette histoire qui préférait comprendre qu’apprendre selon
l’expression de M. Bloch dans son livre « Le métier d’historien. »
Cette histoire totale se désintéressait de la finalité (à cause de cette 2de guerre mondiale ?), pour se tourner vers
la causalité.
B LE RETOUR ACTUEL
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