souligne les contradictions entre l’exploitation croissante des travailleurs et le développement capitaliste. Dans sa
version la plus raffinée, celle de l’école française dite de la régulation (Aglietta, 1976) cette thèse considère la crise
comme un moment de tension entre les transformations du régime d’accumulation du capital et celui de la
régulation des salaires, et plus largement de la demande. L’accumulation intensive qui connaît l’industrie dans les
années 1920 et qui se traduit par un fort taux d’investissement et de forts gains de productivité butte sur une
demande insuffisante due à la croissance plus faible des salaires. Cette faiblesse résulte du fait que, face à des
entreprises souvent en situation monopoliste, l’organisation des salariés est trop faible pour y négocier les salaires.
(…) Dans une économie en forte croissance où l’optimisme envers l’avenir est de mise, l’excès d’investissement
est un risque plus important que celui de la sous-consommation. Dans les années 1920, le taux d’investissement
dépasse en permanence les 20% aux Etats-Unis.
(…) L’école autrichienne qui se réclament de F.Hayek estime que l’excès d’investissement est à l’origine de la
dépression et que cet excès résulte d’un financement monétaire qui s’est indûment substitué à l’épargne. De ce fait
une masse d’équipements s’est accumulée, dont la durée de liquidation est à la hauteur de l’excès de création
monétaire qui en est responsable. (….) Au surinvestissement industriel s’ajoutent les excès de l’investissement
immobilier. Celui-ci est très dynamique aux Etats-Unis au début des années 1920 et provoque une saturation du
marché du logement à partir de 1925. Mais l’excès d’offre y dure exceptionnellement longtemps, car le crédit
permet de maintenir en partie l’activité pendant la seconde moitié de la décennie.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 3 : spéculation, bulle et cycle financier
Par opposition aux interprétations qui voient dans la dépression le résultat de causes structurelles ancrées dans la
guerre, dans les transformations du commerce international, ou dans la « nouvelle économie » des années 1920,
d’autres la présente comme un succession de chocs conjoncturels, d’accidents ou d’erreurs dont l’accumulation
provoque une crise aux proportions inaccoutumées. (…) Le krach boursier de 1929 est l’événement le plus connu
et le symbole de cette grande dépression. Alors que les rentiers du 19ième siècle achetaient surtout des obligations
pour toucher chaque année leurs coupons, l’entre-deux-guerres voit, avec la montée du nombre d’actionnaires, la
diffusion de la spéculation boursière, c’est-à-dire l’achat de titres non pour les revenus qu’ils procurent mais pour
la plus-value que l’on espère tirer de leur revente. Cette spéculation est favorisée par le crédit. En s’endettant pour
acheter des actions, le spéculateur met en œuvre un effet de levier qui accroît les bénéfices comme ses pertes
potentielles. (…) A la bourse de New York des années 1920, où n’existe pas de véritable marché à terme (où l’on
puisse directement acheter une action livrable par exemple le mois suivant , ce qui rend la spéculation plus simple),
c’est le crédit accordé par courtier (les brokers) qui permet aux spéculateurs d’opérer. 80% des achats sont réalisés
à crédit en 1929. Le courtier lui-même emprunte aux banques ou à d’autres prêteurs, en général, par l’intermédiaire
des grandes banques de NYC. (…) La hausse des cours de la bourse de New York est soutenue par l’idée qu’une
nouvelle économie est en place depuis la Première Guerre mondiale., une ère nouvelle dans laquelle les
fluctuations sont supprimés par la prudence de la Fed (fondée en 1913) tandis que la perspective d’une croissance
est ouverte par la développement des grandes entreprises, du progrès technique, de la gestion scientifique des
grandes entreprises. (…) un certain nombre d’observateurs et de responsables politiques ou financiers s’inquiètent
du développement de cette spéculation. (…) Les cours atteignent leur maximum en septembre, la baisse commence
réellement le 3 octobre et s’accélère à partir du 23. Le 29 octobre, la panique fait atteindre un nouveau record de
transactions. Avant la fin de l’année, le Dow Jones perd 30% de sa valeur. (…) Kindleberger insiste sur les
problèmes de liquidités que le krach produit. Si les pertes chez les courtiers et les banques de New York n’ont pas
de conséquences trop graves sur eux du fait de l’intervention de la banque centrale (opération d’open market que la
Fed a inventé dans les années 1920), celles des entreprises qui avaient placé leur trésorerie en Bourse sont plus
importantes car elles les conduisent à liquider des stocks et à restreindre leur production. de fait, la chute de la
production est rapide après le krach. Par ailleurs, les banques restreignent fortement le renouvellement des crédits
hypothécaires, ce qui conduit à la liquidation d’un certain nombre d’hypothèques et à des ventes d’immeubles qui
empirent la situation d’un marché immobilier déjà déprimé. (…) L’effet du krach pousse les gens à épargner pour
reconstituer leur patrimoine, et donc à réduire leur consommation, mais cela ne concerne qu’une population réduite
de détenteurs de titres. Mais il faut y ajouter l’effet de la baisse des prix de l’immobilier, qui concerne une
population plus large. En outre, la baisse des prix accroît fortement le poids réel de la dette des ménages qui
augmente ainsi de 25% entre 1929 et 1932. Enfin, il faut ajouter à ces effets l’impact sur l’incertitude envers
l’avenir. (…) Cela conduit les consommateurs à différer leurs achats de biens durables. Romer (1990) montre que
cela pourrait expliquer l’ensemble de la chute de la consommation qui a eu lieu en 1930. Au total, par des canaux
variés, la krach boursier a certainement un impact puissant sur le début de la crise. Il ne saurait cependant sans
doute expliquer sa caractéristique la plus exceptionnelle : sa durée.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009