ECE 2 – 2015/2016

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ECE 2 – 2015/2016
Sujet de Khôlle n°19
A l’aide de vos connaissances personnelles et du dossier documentaire,
vous traiterez le sujet suivant :
Après avoir présenté la crise de 1929, vous expliquerez en quoi elle se distingue ou se rapproche de
la crise de 2007
Document 1 : tensions géopolitiques après 1918
Les conséquences de la guerre de 1914-1918 sont très fortes sur l’ensemble de l’entre-deux-guerres : l’équilibre des
puissances est profondément modifié, et l’Europe s’avère trop faible et divisée pour contrôler l’économie mondiale.
Les déséquilibres budgétaires et monétaires imposent des stabilisations que les tensions politiques internes comme
externes issues de la guerre rendent difficiles à mener au plan national, et plus encore à coordonner
internationalement, d’où une grande fragilité à la fin des années 1920. Enfin, si certaines interventions de l’Etat
inventées pendant la guerre ou à son lendemain peuvent perturber les mécanismes de l’économie libérale, les
espoirs éveillés par les réalisations de politiques de coordination centralisée, par certaines politiques sociales ou par
des expériences d’association des syndicats à l’organisation de guerre restent d’autant plus forts qu’ils ont été
largement enterrés en 1918. Quelle que soit l’origine que l’on attribue à la dépression des années 1930, cette
tension joue certainement en faveur de son aggravation.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 2 : la baisse des prix dans certains secteurs commence en 1925
(crise de surproduction ? crise de sous-consommation ?)
Au moment où la crise de 1929 prend les dimensions d’une dépression, un certain nombre d’observateurs y voient
la démonstration de l’instabilité structurelle du capitalisme. (…) A la différence de celles qui soulignent les
conséquences de la guerre, ces explications inscrivent la crise dans un temps long qui n’est pas politique mais
économique. (…) Ces explications restent indispensables à ceux qui cherchent à comprendre la crise dans le
contexte large des transformations de l’économie mondiale au 20ième siècle. Si la baisse des prix est au cœur de la
dépression, alors il n’est pas de secteur plus touché que l’agriculture et la production de produits primaires. La
chute des prix y commence tôt, avant que la crise ne touche le reste des économies. Ces secteurs représentent 60%
des échanges économiques mondiaux et plus d’un tiers de la population active dans la plupart des pays. (…) Un
certain nombre d’interventions de autorités publiques permettent de comprendre le maintien de la croissance de la
production malgré une consommation qui ne suit pas : fixation de prix et achat des excédents ; protection
douanière ; subventions directes ou indemnités de guerre. (…) Mais les Etats ne sont pas seuls en cause, et leurs
interventions seraient bien en peine d’affecter ce marché mondial si les marchés financiers n’allaient pas dans le
même sens. Or, l’agriculture bénéfice largement du développement du crédit. aux Etats-Unis, les banques,
particulièrement dans l’ouest financent des achats de terres (…) puis les investissements nécessaires pour les mettre
en valeur. (…) A l’échelle internationale, les crédits affluent aussi depuis New York vers les nouveaux producteurs
agricoles d’Amérique latine et d’Océanie, voire d’Afrique, développant la production et les infrastructures
portuaires ou ferroviaires qui facilitent l’intégration au marché mondial (Kindleberger, 1978). Tous ces
mécanismes contribuent longtemps à maintenir le niveau de production au-dessus de celui de la demande. De ce
fait, les prix baissent pour la plupart des prix agricoles et miniers à partir de 1925. (…) Un premier effet de la crise
agricole est la faillite de nombreux agriculteurs. Ce phénomène est particulièrement important aux Etats-Unis. (…)
Une autre perspective aboutissant également à une thèse de surproduction structurelle trouve sa source dans les
transformations de l’industrie. (…) La montée de la production de biens de consommation durable (automobile …)
constitue la transformation la plus susceptible d’être reliée à un déclenchement de la crise par insuffisance de la
demande. (…) Pendant la crise, la chute de la production y est particulièrement forte : alors qu’elle ne dépasse pas
20% pour les biens de consommation, elle atteint 70% pour les automobiles. (…) Les années 1920 voient
apparaître aux Etats-Unis les formes modernes du crédit à la consommation pour les biens durables. (…) Durant la
période 1919-1929, 15% des américains achètent une voiture à crédit. le crédit à la consommation, tel qu’il est
organisé à l’époque présente les caractéristiques spécifiques qui expliquent l’impact qu’il va avoir sur le
déclenchement de la crise. C’est un crédit à court terme (12 mois en général pour les voitures) ; les mensualités
sont donc élevées ; les taux d’intérêt sont très élevés. (…) dès 1930, l’effort d’épargne conduit les ménages à
réduire fortement l’ensemble de leur consommation, ce qui selon Romer (1990) explique l’essentiel de la baisse de
la demande agrégée et donc le démarrage de la dépression. (…) Certains auteurs voient dans la dépression le
résultat d’une sous-consommation structurelle. Cette hypothèse (…) constitue un avatar de la tradition marxiste qui
souligne les contradictions entre l’exploitation croissante des travailleurs et le développement capitaliste. Dans sa
version la plus raffinée, celle de l’école française dite de la régulation (Aglietta, 1976) cette thèse considère la crise
comme un moment de tension entre les transformations du régime d’accumulation du capital et celui de la
régulation des salaires, et plus largement de la demande. L’accumulation intensive qui connaît l’industrie dans les
années 1920 et qui se traduit par un fort taux d’investissement et de forts gains de productivité butte sur une
demande insuffisante due à la croissance plus faible des salaires. Cette faiblesse résulte du fait que, face à des
entreprises souvent en situation monopoliste, l’organisation des salariés est trop faible pour y négocier les salaires.
(…) Dans une économie en forte croissance où l’optimisme envers l’avenir est de mise, l’excès d’investissement
est un risque plus important que celui de la sous-consommation. Dans les années 1920, le taux d’investissement
dépasse en permanence les 20% aux Etats-Unis.
(…) L’école autrichienne qui se réclament de F.Hayek estime que l’excès d’investissement est à l’origine de la
dépression et que cet excès résulte d’un financement monétaire qui s’est indûment substitué à l’épargne. De ce fait
une masse d’équipements s’est accumulée, dont la durée de liquidation est à la hauteur de l’excès de création
monétaire qui en est responsable. (….) Au surinvestissement industriel s’ajoutent les excès de l’investissement
immobilier. Celui-ci est très dynamique aux Etats-Unis au début des années 1920 et provoque une saturation du
marché du logement à partir de 1925. Mais l’excès d’offre y dure exceptionnellement longtemps, car le crédit
permet de maintenir en partie l’activité pendant la seconde moitié de la décennie.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 3 : spéculation, bulle et cycle financier
Par opposition aux interprétations qui voient dans la dépression le résultat de causes structurelles ancrées dans la
guerre, dans les transformations du commerce international, ou dans la « nouvelle économie » des années 1920,
d’autres la présente comme un succession de chocs conjoncturels, d’accidents ou d’erreurs dont l’accumulation
provoque une crise aux proportions inaccoutumées. (…) Le krach boursier de 1929 est l’événement le plus connu
et le symbole de cette grande dépression. Alors que les rentiers du 19ième siècle achetaient surtout des obligations
pour toucher chaque année leurs coupons, l’entre-deux-guerres voit, avec la montée du nombre d’actionnaires, la
diffusion de la spéculation boursière, c’est-à-dire l’achat de titres non pour les revenus qu’ils procurent mais pour
la plus-value que l’on espère tirer de leur revente. Cette spéculation est favorisée par le crédit. En s’endettant pour
acheter des actions, le spéculateur met en œuvre un effet de levier qui accroît les bénéfices comme ses pertes
potentielles. (…) A la bourse de New York des années 1920, où n’existe pas de véritable marché à terme (où l’on
puisse directement acheter une action livrable par exemple le mois suivant , ce qui rend la spéculation plus simple),
c’est le crédit accordé par courtier (les brokers) qui permet aux spéculateurs d’opérer. 80% des achats sont réalisés
à crédit en 1929. Le courtier lui-même emprunte aux banques ou à d’autres prêteurs, en général, par l’intermédiaire
des grandes banques de NYC. (…) La hausse des cours de la bourse de New York est soutenue par l’idée qu’une
nouvelle économie est en place depuis la Première Guerre mondiale., une ère nouvelle dans laquelle les
fluctuations sont supprimés par la prudence de la Fed (fondée en 1913) tandis que la perspective d’une croissance
est ouverte par la développement des grandes entreprises, du progrès technique, de la gestion scientifique des
grandes entreprises. (…) un certain nombre d’observateurs et de responsables politiques ou financiers s’inquiètent
du développement de cette spéculation. (…) Les cours atteignent leur maximum en septembre, la baisse commence
réellement le 3 octobre et s’accélère à partir du 23. Le 29 octobre, la panique fait atteindre un nouveau record de
transactions. Avant la fin de l’année, le Dow Jones perd 30% de sa valeur. (…) Kindleberger insiste sur les
problèmes de liquidités que le krach produit. Si les pertes chez les courtiers et les banques de New York n’ont pas
de conséquences trop graves sur eux du fait de l’intervention de la banque centrale (opération d’open market que la
Fed a inventé dans les années 1920), celles des entreprises qui avaient placé leur trésorerie en Bourse sont plus
importantes car elles les conduisent à liquider des stocks et à restreindre leur production. de fait, la chute de la
production est rapide après le krach. Par ailleurs, les banques restreignent fortement le renouvellement des crédits
hypothécaires, ce qui conduit à la liquidation d’un certain nombre d’hypothèques et à des ventes d’immeubles qui
empirent la situation d’un marché immobilier déjà déprimé. (…) L’effet du krach pousse les gens à épargner pour
reconstituer leur patrimoine, et donc à réduire leur consommation, mais cela ne concerne qu’une population réduite
de détenteurs de titres. Mais il faut y ajouter l’effet de la baisse des prix de l’immobilier, qui concerne une
population plus large. En outre, la baisse des prix accroît fortement le poids réel de la dette des ménages qui
augmente ainsi de 25% entre 1929 et 1932. Enfin, il faut ajouter à ces effets l’impact sur l’incertitude envers
l’avenir. (…) Cela conduit les consommateurs à différer leurs achats de biens durables. Romer (1990) montre que
cela pourrait expliquer l’ensemble de la chute de la consommation qui a eu lieu en 1930. Au total, par des canaux
variés, la krach boursier a certainement un impact puissant sur le début de la crise. Il ne saurait cependant sans
doute expliquer sa caractéristique la plus exceptionnelle : sa durée.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 4 : les erreurs de politique monétaire aggravent la crise
Selon une interprétation actuellement dominante, la crise de 1929-1930 ne se transforme en grande dépression que
du fait des crises bancaires qui ébranlent l’ensemble de l’économie américaine à partir de la fin de 1930. Entre
1930 et 1933 ; le nombre de banques aux Etats-Unis est divisé par deux. Qui dit disparition des banques dit recul
du crédit,d’où des difficultés des entreprises pour financer leurs fonds de roulement et leurs investissements, donc
baisse accrue des prix, licenciements, chute de la production et du pouvoir d’achat, et donc aggravation de la crise.
Selon la version initiale de cette thèse présentée par Friedman et Schwartz en 1963 (…) Le mécanisme à l’œuvre
peut se comprendre aisément à partir de l’équation quantitative. (…) Si l’offre de monnaie (par le système
bancaire) diminue, elle devient inférieure aux besoins, donc les agents vendent des biens pour en obtenir, ce qui fait
baisser les prix jusqu’à ce que la quantité réelle de monnaie (M/P) soit revenue à son niveau souhaité. Dans les
années 1930, non seulement la quantité de monnaie diminue fortement, mais la vitesse de circulation baisse
également du fait de la ruée sur les billets, ce qui explique un véritable effondrement de la valeur de la production.
Friedman et Schwartz décrivent précisément l’évolution de la quantité de monnaie pendant la dépression,
soulignant l’incapacité de la politique monétaire à maintenir la quantité de monnaie en circulation. Ils observent
que durant la dépression trois changements majeurs ont lieu en matière monétaire : l’augmentation de la base
monétaire (réserves des banques et billets détenus par les agents non financiers) irait dans le sens de l’expansion de
la quantité de monnaie, mais elle est plus que compensée par le recul des dépôts en banque, qui représentent
l’essentiel de la masse monétaire. (…) La masse monétaire passe de 42 milliards en 1929 à moins de 30 milliards
en 1933. (…) Baisse des dépôts et nécessité d’accroître les réserves se seraient conjuguées pour produire un
effondrement des crédits bancaires qui aurait été la cause centrale de la multiplication des faillites, de la chute de
l’investissement et de la consommation et finalement de l’effondrement de la production. (…) La puissance de ce
mécanisme de « déflation par la dette » (I.Fisher, 1933) tient à son caractère cumulatif, dans la mesure où la
destruction du système bancaire rend le crédit inaccessible aux PME, qui pour retrouver de la liquidité licencient et
baissent leurs prix ; cela accroît la baisse des prix en générale, qui empire les difficultés des firmes endettées,
multiplie les faillites, qui empirent en retour la situation des banques. (…) Selon Friedman et Schwartz, la
dépression est donc due aux crises bancaires. Celles-ci ne résultent pas d’un excès antérieur d’octroi de crédit par
les banques ou de dysfonctionnements structurels du système bancaire, mais de la panique des déposants et surtout
d’erreurs de politique monétaire : face aux crises bancaires, la Fed ne réagit pas par l’expansion vigoureuse de la
base monétaire qui aurait permis d’arrêter la chute des dépôts.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 5 : la faiblesse de la régulation bancaire
Autant que l’environnement économique, les crises bancaires résultent de la fragilité structurelle du système
bancaire américain, elle-même due à une régulation très défectueuse. En témoigne le fait que même durant les
prospères années 1920, plus de 5000 faillites bancaires ont eu lieu. (…) La raison de ces insuffisances
réglementaires tient à la structure fédérale des Etats-Unis et à la concurrence que se font les Etats et l’Etat fédéral
depuis la fin du 19ième siècle pour attirer les banques. Cette concurrence se traduit par une régulation très favorable
aux petites banques. (…) Au Canada voisin, la baisse de la quantité de monnaie est aussi importante qu’aux EtatsUnis mais le système bancaire, très concentré, passe à travers la crise sans dégâts, ce qui confirme le rôle de la
régulation bancaire aux Etats-Unis toute en montrant que la quantité de monnaie n’est pas fondamentalement
affectée par les faillites bancaires.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 6 : la montée du chômage
L’aspect le plus dramatique de la dépression est la montée rapide est inexorable du chômage qui aux Etats-Unis
passe de 3% à 25% de la population active et touche 15 millions de personnes en 1933. (…) Comment un tel
chômage est-il possible ? On observe au début de la crise une hausse des salaires réels et une augmentation du
chômage. (…) Les travaux récents montrent que la rigidité des salaires suffit à expliquer l’augmentation du
chômage (…). Si la rapidité de la déflation n’a sans doute pas été perçue en 1929, il est néanmoins difficile de
comprendre pourquoi les salaires n’ont pas baissé pendant plus de deux ans et n’ont jamais ensuite rattrapé la
baisse des prix. les explications par des interventions de l’Etat n’ont pas lieu d’être au début de la crise : il n’y a pas
de salaire minimum, ni guère d’indemnisation chômage. L’explication traditionnelle par le poids des syndicats est
insuffisante. (…) L’idée que les salaires doivent être les derniers coûts à réduire en cas de récession est largement
partagées. Elle est apparue au lendemain de la crise de 1921, durant laquelle certains pensent qu’un ajustement
modéré des salaires a permis une reprise rapidement tirée par la consommation. (…) Une autre interprétation tient
au développement de marchés internes du travail et des stratégies des entreprises destinées à éviter le turn over et à
améliorer la qualité de la main d’œuvre.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 7 : l’impact sur les échanges internationaux
La mondialisation reprend dans les années 1920 mais elle reste moins importante en 1929 qu’en 1913 :
l’intégration des marchés internationaux de capitaux, de marchandises comme du travail est moindre. Le krach de
Wall Street n’est ainsi pas un événement marquant sur nombre de Bourses européennes. (…) en 1930, la crise est
déjà internationale, touchant les exportations de matières premières, les Etats-Unis et l’Allemagne. Elle n’est pas
encore une crise de la mondialisation. Les échanges internationaux sont en recul, mais ils ne rencontrent pas
d’obstacles politiques majeurs. Ce sont de tels obstacles qui surgissent à partir de 1931 avec l’effondrement de
l’étalon-or, les faillits d’Etats souverains et la montée d’un protectionnisme nouveau, frontalement hostile à la
mondialisation et à l’économie de marché.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 8 : le rôle de l’étalon-or dans la mécanique déflationniste
La montée des tensions géopolitiques peut cependant être considérée comme la conséquence de la crise, si l’on
considère que celle-ci résulte du blocage que l’étalon-or oppose à toute autonomie des politiques économiques
nationales, ainsi que de ses caractéristiques intrinsèquement déflationnistes.
Selon Eichengreen (1992) et Temin (1989), l’étalon-or est ainsi la cause fondamentale non seulement de la crise de
l’été 1931, mais aussi de l’enchaînement déflationniste qui caractérise l’ensemble de la plongée dans la dépression
de 1929 à 1933. Leur thèse découle de l’observation de l’écart entre le fonctionnement théorique de l’étalon-or et
son fonctionnement réel.
En théorie, pour tout pays déficitaire forcé de mettre en place une politique déflationniste existe un pays
excédentaire qui va pouvoir mener une politique expansionniste, de sorte que les effets mondiaux s’annulent. En
réalité, l’étalon-or comporte une asymétrie fondamentale : lorsque des capitaux entrent dans un pays, accroissent
les réserves de la banque centrale, celle-ci peut stériliser ce mouvement en réduisant en proportion les crédits à
l’économie ; il n’y a pas de limite à ce comportement. En revanche, lorsque les capitaux sortent, (…) un pays doté
de fortes réserves peut stériliser des sorties d’or, mais un pays qui n’en a pas (ou plus) beaucoup ne peut plus le
faire, et doit adopter une politique monétaire restrictive. (…)
Les possibilités asymétriques de stérilisation conduisent à une tendance mondiale à la déflation. Ce serait le
mécanisme à l’œuvre à partir de 1929 : les pays déficitaires (Amérique latine, Europe centrale) sont forcés de
mettre en place des politiques restrictives alors que les pays receveurs n’accroissent pas (dans le même temps et
symétriquement) leur quantité de monnaie.
L’accusation est-elle justifiée ? Aux Etats-Unis, qui accumulent dans les années 1920 des excédents de balance des
paiements importants, la Fed en stérilise entièrement l’impact sur la masse monétaire (…). Entre juin 1928 et juin
1931, celle-ci stagne alors que les réserves d’or augmentent de 21%. (…) Comme le reconnaît B.Bernanke, la
Banque de France joue beaucoup plus selon les règles : entre juin 1928 et juin 1931, elle accroît sa base monétaire
de 13% quand ses réserves s’accroissent de 19%. (…) Pourtant, la France exerce un effet déflationniste presque
aussi puissant que les Etats-Unis parce qu’elle transforme ses réserves en or. (…) Conformément à sa loi monétaire
de 1928, elle rétablit un étalon-or strict, refusant de détenir des réserves en devises. (…) Autant que la logique
déflationniste de l’étalon-or, c’est donc la logique politique de l’étalon de change or qui est au cœur de la
dépression. En l’absence de puissance hégémonique capable d’imposer la coopération et d’en payer les coûts (non
sans gains de contrepartie), ou de puissantes instances de coopération internationale, l’étalon de change or est un
mécanisme très fragile face aux conflits politiques et capables de provoquer de véritables déflagrations monétaires.
Source : Pierre-Cyril Hautcoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009, p.67-68
Document 9 : le nouveau paysage monétaire mondial à la fin de l’été 1931
Alors qu’une timide reprise a lieu entre la fin 1930 et le printemps 1931, une crise financière et monétaire de
grande ampleur dévaste une grande partie de l’Europe à partir du mois de mai et relance la dépression. (…) Les
quatre principaux pays débiteurs du continent (Allemagne, Grande-Bretagne, Hongrie et Autriche) voient leurs
monnaies et parfois leurs systèmes bancaires emportés par une crise qui détruit le SMI mis en place péniblement
dans les années 1920. (…) La même séquence qu’en Autriche (crise bancaire, tentative de sauvetage par la banque
centrale, sorties de capitaux, prêt international insuffisant, contrôle des changes) a lieu dans la foulée en Allemagne
et en Hongrie. A partir de juillet (1931), les sorties de capitaux touchent la Grande-Bretagne dont le gouvernement
choisit de suspendre la convertibilité de la livre sterling le 21 septembre 1931. La suspension de la convertibilité de
la livre frappe le monde de stupeur et marque la véritable fin de l’étalon-or comme système monétaire
international.
Au terme de cet été 1931(…), le paysage monétaire mondial est bouleversé : la Grande-Bretagne et plusieurs pays
d’Europe de son orbite traditionnelle (pays scandinaves, Irlande, Portugal …) ont désormais des taux de change
flottants, de même que le Japon et un certain nombre de pays de l’Empire britannique et d’Amérique latine. A
l’inverse, une grande partie de l’Europe centrale, mais aussi le Brésil suivent l’Allemagne dans le contrôle des
changes et la gestion administrée des paiements internationaux. L’étalon-or n’est plus respecté que par les EtatsUnis et une minorité de pays principalement européens, autour de la France (le Bloc-or). (…)
Source : Pierre-Cyril Hautcoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009, p.67-68
Document 10 : le repli protectionniste
Face à la chute des prix des exportations et à la fonte rapide du crédit international qui permettait de maintenir le
déficit de leur balance des paiements, nombre de pays cherchent à échapper à l’alternative entre déflation et
dévaluation par le protectionnisme. Plus encore sans doute, la protection est un instrument classique de
redistribution qui permet de protéger les victimes les plus touchées par la crise ou les lobbies les plus puissants. On
constate une accélération du phénomène dès le début de la cris. Le tournant est le tarif américain Hawley-Smoot,
présenté dès 1928 mais adopté le 17 juin 1930. Après sa politique de la chaise vide à la conférence de février 1930
censée relancer la libéralisation des échanges, Hoover signale de nouveau au monde le retour de l’isolationnisme
américain, à un moment où ses responsabilités mondiales semblent pourtant évidentes. Surtout, en empêchant les
autres pays d’exporter vers le seul pays capable financièrement de soutenir la demande mondiale, il aggrave
puissamment la déflation. (…) Le tarif Hawley-Smoot soulève l’indignation générale en Europe et ailleurs. En
1930, les rétorsions sont nombreuses. (…) L’agressivité monétaire britannique provoque elle aussi un regain de
mesures protectionnistes. L’adoption de quotas, arme définitive contre la dépréciation monétaire, se diffuse. La
France y procède sur plus de 1000 produits. après cette première flambée le protectionnisme s’organise suivant
deux chemins de plus en plus différents. La première solution est la constitution de groupes de pays entre lesquels
des accords permettent de limiter la protection. (…) Les zones importantes sont cependant principalement les
empires coloniaux. (…) Un deuxième groupe de pays va progressivement vers un contrôle étatique systématique du
commerce extérieur, sur un modèle soviétique. Ce sont souvent les pays qui adoptent initialement le contrôle des
changes. (…) L’Allemagne est le modèle de cette évolution.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 11 : sortie de l’étalon or et relance
Si la baisse de la masse monétaire est la cause principale de la crise et si l’étalon-or joue un rôle majeur dans sa
transmission et son renforcement, la solution est simple : supprimer la convertibilité et relancer la croissance
monétaire par des taux d’intérêt bas, voire par la création monétaire pure et simple. La Grande Bretagne en 1931 et
les Etats-Unis en 1933 sortent volontairement de l’étalon-or, donnant la priorité à leur politique intérieure par
rapport au maintien de l’ordre international. Dans ces deux cas, une relance monétaire forte a effectivement lieu.
(…) Aux Etats-Unis, selon Romer (1990) la reprise rapide qui a lieu à partir de 1933 n’est pas spontanée : elle
résulte essentiellement de l’expansion rapide de la masse monétaire qui suit la sortie de l’étalon-or et est organisée
par le Trésor. (…) L’accroissement de la demande qui résulte de cette expansion monétaire fait remonter
modérément les prix, ce qui accroît son impact favorable sur l’activité en améliorant les bilans des entreprises,
diminuant la valeur réelle de leur dette. (…) L’efficacité des relances monétaires dépend en partie de la stabilité
bancaire. (…) Roosevelt dont l’arrivée au pouvoir coincide avec une panique bancaire générale, met en place
immédiatement une vaste réforme bancaire. (…) Le Glass Steagell Act (1933) rétablit une séparation stricte entre
les banques de dépôt et les banques d’affaires, séparation dont l’atténuation dans les années 1920 est jugée
responsable des crises bancaires. Il interdit la rémunération des dépôts à vue, accroît le contrôle des banques et crée
une assurance des dépôts destinée à assurer les particuliers. (…) Le contrôle des opérations boursières est
également fortement accru avec la création de la Securities and Exchange Commission.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 12 : les conséquences de la Grande Dépression sur les politiques économiques
La grande dépression est souvent considérée comme le moment de l’émergence de politiques keynésiennes de
relance par la dépense publique et le déficit budgétaire. Ce n’est en fait qu’en partie le cas. Au début de la crise,
tous les partis politiques sont hostiles au déficit budgétaire. (…) Ce n’est qu’aux Etats-Unis, et pas avant 1935, que
des déficits budgétaires substantiels sont enregistrés (5% du PIB) ; encore sont-ils rapidement combattus (ce qui
contribue à la crise de 1937). Pourtant, les dépenses budgétaires augmentent massivement dans la plupart des pays,
lorsque les dépenses sociales et des politiques de travaux publics pour employer les chômeurs sont mises en place.
Cela conduit à l’accroissement des impôts, qui dans de nombreux pays prend la forme d’une augmentation massive
des taux marginaux de l’impôt sur le revenu. (…) si dans certains pays une protection sociale prise en main par
l’Etat s’est développée dans les décennies précédant la crise, le cas n’est pas général. (…) C’est le New Deal qui
met en place pour la première fois une politique sociale fédérale. Dès 1933, les dépenses sociales augmentent de
160% par rapport à 1932. Entre 1933 et 1935, leur part dans l’ensemble des dépenses sociales passe de 2% à 79%.
(…) A côté des programmes qui affectent directement la situation des chômeurs et des pauvres, d’autres visent à
empêcher la chute dans la pauvreté. (…) L’intervention directe du gouvernement dans l’activité des entreprises est
une autre innovation due à la crise. Jusque-là, seule la guerre avait pu justifier des contrôles des prix ou une
allocation centralisée de certaines ressources rares. (…) au début de la crise, l’idée d’organisation de l’industrie naît
d’abor d’observation que les secteurs cartelisés sont capables de réduire la production et de maintenir les prix,
évitant ainsi les vagues de faillites qui touchent les secteurs fortement concurrentiels. Cela conduit à des efforts
pour favoriser (…) l’organisation des marchés sinon la cartellisation. (…) Au niveau macroéconomique, la
stabilisation conjoncturelle par l’Etat et la mise en place des « stabilisateurs » que sont l’assurance chômage et les
politiques de protection sociale sont cohérent avec un développement centré sur la conquête de grands publics qu’il
faut rendre solvables et confiants dans l’avenir.
A tous ces égards, c’est donc dans la crise des années 1930 que l’on voit se mettre en place les équilibres politiques
et sociaux qui perdurent ensuite jusqu’aux années 1970. Du moins, on peut reconstruire a posteriori une telle
cohérence dans le cas des Etats-Unis, le pays où la dépression entraîne les réformes les plus profondes.
Source : P.C.Hautecoeur « La crise de 1929 », La découverte, 2009
Document 13
Document 14
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