Taux d`intérêt

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Taux d’intérêt et croissance
Lorsque est paru Le débat interdit de Jean-Paul FITOUSSI au début des années 1990, les
taux d’intérêt, très élevés du fait de la politique monétaire allemande et du contexte du SME, étaient
accusés de pénaliser la croissance. C’était cependant le prix à payer pour réaliser, à terme, l’UEM
(Union Economique et Monétaire européenne) - union monétaire qui a elle-même permis la baisse
des taux et l’accompagnement de la croissance. De même, l’attention avec laquelle les marchés
écoutent et cherchent à anticiper les déclarations d’Alan GREENSPAN, Président du Système de
Réserve Fédérale américain (dont la mission est d’assurer « le plein emploi, la stabilité des prix et la
modération des taux d’intérêt à long terme » - art. 1er de ses statuts) est assez révélatrice des liens
étroits supposés entre taux d’intérêt et croissance.
Le taux d’intérêt réel, défini comme le prix du capital (définition néoclassique) ou la
rémunération de la renonciation à la liquidité (définition keynésienne) corrigé pour tenir compte de
l’inflation, est en effet une variable économique clef en cela qu’elle détermine très largement le niveau
d’investissement (d’endettement) et, en partie, le niveau d’épargne. Le taux d’intérêt à court terme
est le prix de l’argent sur le marché monétaire, tandis que le taux d’intérêt à long terme représente
le prix du capital sur le marché des titres - les deux étant liés par des mécanismes de propagation. Le
taux d’intérêt constitue dès lors un « trait d’union » privilégié entre sphère réelle et sphère financière,
tout autant qu’entre le court terme et le long terme (l’épargne finançant l’investissement). Il constitue
ainsi pour toute politique monétaire un canal-cible privilégié (objectif intermédiaire) pour promouvoir
l’allocation du capital la plus optimale possible, et accompagner la croissance économique avec
une croissance de la masse monétaire appropriée. Depuis les grandes réformes de libéralisation
financière des années 1986-1987, les politiques monétaires ont par conséquent abandonné
l’encadrement du crédit pour se concentrer sur l’arme des taux d’intérêt : via les évolutions de leurs
taux directeurs, et les « effets de signal » correspondants, les Banques centrales influencent en effet
directement le taux d’intérêt à court terme, et, par là, le taux d’intérêt à long terme. Et, si ce qui est
visé ici directement est la stabilité des prix, c’est aussi plus ou moins directement la croissance
économique (objectifs finaux).
Or, si les liens entre taux d’intérêt et croissance sont ténus, ils sont aussi souvent
incertains. D’un côté le niveau des taux d’intérêt détermine en partie la croissance (offre de capital,
épargne), et de l’autre, les anticipations de croissance déterminent largement les taux d’intérêt
(demande de capital, investissement). Mais, les fuites dans le circuit financier épargne/investissement
sont nombreuses. De surcroît, la globalisation financière vient contrarier les politiques économiques,
en restreignant leur marge de manœuvre du fait de la très forte mobilité des capitaux.
Problématique : Il s’agit dès lors de se demander jusqu’à quel point il est possible de leur redonner la
marge de manœuvre nécessaire à l’accompagnement optimal de la croissance économique ?
I) Courroie de transmission entre sphère réelle et sphère financière, les taux d’intérêt
sont devenus pour toute politique monétaire une cible privilégiée, au service d’une
meilleure régulation des marchés financiers et d’une croissance durable…
A) Courroie de transmission entre sphère réelle et sphère financière, les taux d’intérêt jouent
de plus en plus un rôle clef dans le financement de la croissance économique.
•
La sphère financière doit permettre un financement optimal de la croissance de l’économie
réelle : Au niveau macroéconomique, les taux d’intérêt sont le « prix » sur les marchés financiers.
D’après les principes libéraux, leur fixation libre par le marché est optimale au regard de la croissance
(cf. « taux naturel » selon WICKSELL). D’où les mouvements récents de déréglementation /
désintermédiation. Au niveau microéconomique, les marchés financiers permettent un financement au
moindre coût ainsi que l’opportunité d’une croissance interne via l’accroissement des fonds propres.
•
Les taux d’intérêt sont donc une courroie de transmission au rôle de plus en plus
fondamental : Il existe en réalité une multiplicité de « taux d’intérêt », mais les liens entre eux sont
étroits, et leur influence sur la sphère réelle importante (épargne et investissement). En agissant sur
les taux, on agit sur le financement de l’économie tout entier, et donc sur la croissance. D’autres
objectifs intermédiaires restent néanmoins fondamentaux dans l’optique de ces objectifs finaux : les
taux de change, notamment, et la croissance de la masse monétaire (toujours un des objectifs
intermédiaires de la BCE).
•
Mais les mécanismes des transmission sont complexes et aux effets in fine ambivalents & peu
clairs : Cf. les risques de fuite dans le circuit financier mis en lumière par Keynes (le motif de
spéculation, par nature « improductive », est un des motifs de préférence pour la liquidité). Dans
cette optique, le taux d’intérêt n’est plus seulement le prix du capital mais aussi le prix de la
renonciation à la liquidité. Cf. effets contradictoires d’une hausse des taux d’intérêt (effet de
substitution vs. effet de revenu). Cf. aussi l’effet de propagation plus ou moins long des taux à court
terme sur les taux à long terme, en fonction des économies (relativement court dans les pays anglosaxons, assez long en France).
B) Les taux d’intérêt sont ainsi devenus pour toute politique monétaire une cible privilégiée,
au service d’une meilleure régulation des marchés financiers et d’une croissance durable.
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D’une économie d’endettement à une économie de marchés financiers. Développement d’une
politique monétaire (plus flexible) de taux d’intérêt, depuis la fin des années 1980. Cf. fonctionnement
et mécanismes : hausse des taux d’intérêt en cas de surchauffe inflationniste (UEM en 2000) ;
inversement, baisse des taux d’intérêt en cas de risques de récession (Etats-Unis en 2001). La
hausse des taux courts => hausse des taux longs (avec un certain décalage, pouvant causer une
récession en cas d’inversion de l’écart de taux) => baisse du cours des obligations et, par contagion,
des actions. Dans ce « fine tuning », les Banques Centrales jouent le rôle central.
•
L’indépendance des Banques Centrales, et leurs objectifs macroéconomiques différenciés :
En même temps que ces mutations structurelles, les BC ont gagné un statut d’indépendance jugé
nécessaire à l’exécution de la mission qui était désormais la leur (stabilité des prix, notamment).
Cependant, à noter que les BC n’ont souvent ni les mêmes objectifs intermédiaires (les taux d’intérêt
ne sont par exemple pas utilisés comme tels par la BC du Royaume-Uni, qui a opté pour une politique
d’ « inflation targeting »), ni les mêmes objectifs finaux (cf. supra pour la Federal Reserve ;
essentiellement la stabilité des prix et non la croissance économique, pour la BCE).
•
La régulation des marchés financiers au service d’une croissance durable : cf. le « risque de
système » (M. AGLIETTA) : les taux d’intérêt sont un élément majeur de la rentabilité des banques, or
étant donnés les effets de contagion, une crise financière peut donc avoir des effets en cascade
potentiellement très dangereux (faillites, panique, etc.). D’où une politique prudentielle (cf.
recommandations du Comité de Bâle) destinée à limiter ces risques de liquidité & à consolider la
croissance.
II) Mais la globalisation financière, via la très forte mobilité des capitaux
internationaux et le jeu des anticipations de croissance, vient contrarier l’autonomie
des politiques économiques nationales, si bien qu’il apparaît nécessaire d’explorer de
nouvelles voies pour leur redonner la marge de manœuvre nécessaire à
l’accomplissement de leur objectifs macroéconomiques.
A) La globalisation financière, via la très forte mobilité des capitaux internationaux et le jeu
des anticipations de croissance économique, vient contrarier l’autonomie des politiques
économiques nationales.
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Des politiques économiques de plus en plus contraintes par la globalisation financière : La
globalisation financière se traduit par une forte mobilité des capitaux internationaux, par nature très
liée aux mouvements des taux d’intérêt dans leur version spéculative, ce qui implique des effets
notables, notamment en matière de politique de changes (taux d’intérêt élevé ou monnaie forte). Il en
résulte de fortes contraintes externes pour la politique budgétaire, qui doit éviter de trop grands effets
d’éviction (relance budgétaire avec financement par l’endettement => montée des taux, accroissement
des importations, inflation…).Cf. le triangle de Mundell et Fleming : en cas de mobilité des capitaux
et de changes fixes (SME), la politique monétaire n’est pas autonome. Enfin, la loi du prix unique, en
matière financière, risque de conduire parfois à du « chômage wicksellien » (interdépendance des
taux d’intérêt au niveau international), même si les écarts de taux au niveau international restent
néanmoins une réalité (cf. UE / Etats-Unis).
•
Le jeu dangereux des anticipations de croissance et de la spéculation financière et le risque
d’une déconnexion de la sphère financière : Le jeu des anticipations (d’inflation, de croissance) qui
caractérise les marchés financiers a un risque majeur : celui de la formation de bulles via les
anticipations dites « auto-réalisatrices » (confiance => afflux de capitaux => montée des taux =>
poursuite de l’afflux, jusqu’à l’éclatement). Cf. la crise russe de 1998, avec l’éclatement de la bulle des
GKO (taux d’intérêt nominal supérieur à 200%…), ou encore la « bulle Internet » aux USA jusqu’à l’an
dernier (effondrement du NASDAQ). Dans ces cas, la croissance de la sphère financière se
déconnecte totalement de celle de la sphère réelle, et ne joue donc plus, par définition, son rôle
d’allocation. D’autant plus inquiétant que ces phénomènes de bulles sont en réalité portés par des
phénomènes « rationnels » (A. ORLEAN).
•
L’influence des facteurs financiers sur les facteurs réels : Du fait du développement d’une
économie de marchés financiers, il semble que les facteurs financiers jouent un rôle croissant dans
l’apparition des crises réelles du fait de la mondialisation et du développement des échanges
commerciaux sous-jacents (cf. crise asiatique). Cf. la question des cycles économiques et de leur
synchronisation.
B) Si bien qu’il apparaît nécessaire d’explorer de nouvelles voies pour leur redonner la
marge de manœuvre nécessaire à l’accomplissement de leur objectifs macroéconomiques.
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L’intégration financière comme levier de politique économique : L’intégration financière des
zones monétaires optimales (régionalisation) est l’un des principaux moyens de contrer les effets de la
globalisation financière en redonnant une marge de manœuvre à la politique économique. Un tel
mouvement permet en effet de réduire le taux de dépendance externe, et donc libère la politique de
taux d’une partie de la contrainte de changes, tout en ouvrant l’opportunité d’une « policy mix »
(politique budgétaire libérée elle-aussi des contraintes externes). Cf. le (faux ?) débat autour de la
baisse de l’euro en 1999.
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La nécessaire arme de la crédibilité pour contrer l’incertitude. Cf. aussi la politique de
désinflation compétitive & de franc fort des années 1980-1990s. L’idée est de construire une forte
crédibilité qui permettra de réduire l’incertitude et donc d’attirer les capitaux (=> baisse des taux
d’intérêt à long terme). Cf. aussi politique structurelle destinée à renforcer l’attractivité du territoire
(IDE). Cf. enfin l’essor des politiques de désendettement (Pacte de stabilité et de croissance, dans
l’UEM), destinées à dégager des marges de manœuvres conjoncturelles : baisse de la dette publique
ó baisse de la demande de capital ó baisse des taux d’intérêt.
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L’opportunité d’une taxe sur les transactions financières de court terme (dite « taxe Tobin
») : L’idée est « d’introduire un grain de sable dans les rouages de la finance internationale » et de
décourager les mouvements purement spéculatifs de court-terme. Il existe cependant des avantages
et des inconvénients à une telle taxe, sans compter les critiques quant à son caractère réalisable ou
non.
Conclusion :
Le lien entre taux d’intérêt et croissance économique est donc étroit. D’une part, la politique monétaire
de taux d’intérêt, depuis la fin des années 1980, permet d’accompagner la croissance réelle de
l’économie, en favorisant une connexion optimale entre la sphère financière et la sphère réelle. Et
d’autre part, les anticipations de croissance (demande anticipée, anticipations inflationnistes) jouent
un rôle fondamental dans le niveau des taux d’intérêt sur les marchés financiers, et, donc, dans la
formation des cycles.
Néanmoins, les mécanismes à l’œuvre dans cette politique sont loin d’être évidents, d’où le repli de
plus en plus général des autorités monétaires sur une cible directe d’inflation sans objectif
intermédiaire de taux d’intérêt. De fait, il est difficile sinon impossible de définir a priori un taux d’intérêt
optimal du point de vue de la croissance économique.
Les taux d’intérêt demeurent néanmoins des cibles privilégiées des politiques de la BCE et de la FED,
ce qui peut s’expliquer par la plus grande marge de manœuvre dévolue aux grandes économies
unifiées. De ce point de vue, il est certain que l’intégration financière européenne ouvre de nombreux
espoirs en termes de politique économique : l’autonomie gagnée pourra certainement être mise au
service d’un objectif de croissance économique durable au sein de la zone euro.
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