Le Coran, entre histoire et écriture

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Le Coran, entre histoire et écriture
Par Abdelhamid BELHADJ HACEN
jeudi 10 février 2000
De la difficulté à théoriser l'étude coranique
En effet comment choisir les éléments théoriques nécessaires à l'étude du Coran sans
paraître préférer la superficialité à la profondeur des idées qu'exprime un travail
scientifique digne de ce nom ?
D'autant plus qu'un certain nombre d'éléments concernant la transcription du Coran
continuent de susciter des interrogations diverses et variées à travers des études ne
proposant que rarement des modèles adéquats. À l'heure actuelle, certains travaux se
caractérisent par leur côté polémique et se limitent à légitimer ou infirmer l'inspiration
divine du texte coranique. D'autres se cantonnent à l'analyse de ses structures internes
bien plus qu'elles ne proposent une réelle exégèse. A cet effet, il convient, avant tout, de
préciser que l'approche "exégétique" des Ecritures Saintes, d'une manière générale, est
une entreprise qui rebute beaucoup de non-initiés. À ce propos, Régis Blachère nous
déclare qu'une telle entreprise exige : "une initiation, une mise en garde du lecteur nonmusulman contre lui-même et contre ses habitudes intellectuelles" 1.
L'approche coranique est d'autant plus délicate qu'elle nécessite une rigueur et une
pluridisciplinarité difficiles à acquérir. Il ne suffit pas de se déclarer arabophone ou
arabisant pour prétendre à la maîtrise du texte coranique et des idées qu'il exprime. Non
seulement, il convient de maîtriser la langue arabe avec sa grammaire, nahw, son
analyse grammaticale, i'rab , et sa morphologie, sarf, mais il faut aussi connaître le texte
coranique dans son ensemble et les "sciences" dites coraniques, telles que les devises
lectionnelles (ahkam al-qira'a ), les causes ou circonstances de la révélation ( asbab
annuzul ), la difficile et rigoureuse science de " l'abrogeant et l'abrogé " (Al-nasih wa almansuh) … etc.
Rappeler tout cela c'est faire un effort pour allier le plus possible l'efficacité à une
objectivité toujours difficile à obtenir lorsqu'on traite ce type de sujet. Notre
préoccupation première et fondamentale est d'éviter de participer ou d'alimenter telle ou
telle querelle ou polémique en proposant une analyse des plus objectives possibles. C'est
pourquoi, notre étude, se propose de revenir sur un point d'une autre nature et concerne
la mise par écrit du texte coranique dès les origines et jusqu'à la constitution de la
"Vulgate " uthmanienne .
Malheureusement, peu de travaux nous renseignent sur la Révélation au début de
l'apostolat du Prophète Muhammad et en l'absence d'une base théorique conséquente,
parce qu'il est difficile d'étudier le texte coranique à travers les seuls repères et
habitudes intellectuelles occidentales, nous nous proposons d'une part de revenir sur les
modalités pratiques de la transcription de la Révélation et d'autre part d'exploiter
l'énorme masse de travaux des exégètes et historiens musulmans. Il est impossible de
faire abstraction de ces nombreuses sources, sous prétexte qu'elles manquent de rigueur
méthodologique, même si un bon nombre de ces travaux se limitent, bien souvent, à la
seule analyse descriptive et à la répétition d'éléments issus d'études antérieures
présentant les mêmes insuffisances. Beaucoup de ces traditionnistes se sont cantonnés
dans la sphère du taqlid et se sont sentis très peu inspirés par le tajdid en prétextant la
fermeture de la porte de l'ijtihad.
La question fondamentale qui se pose à ce niveau est la suivante : quelle méthode
adopter pour faire un tri bibliographique sélectif qui nous permettrait de ne prendre en
compte que les témoignages considérés comme étant fiables ? Répondre à cette question
c'est déjà faire un grand pas dans la compréhension du problème de la mise à l'écrit du
Coran. Si nous devons nous contenter du seul texte coranique pour y répondre, nous
devons vite nous rendre compte que les indications s'y trouvant relèvent plus du
domaine de la foi que de l'étude historique. C'est donc contraints et forcés que nous
devons nous tourner vers la Tradition (Sunna) pour étudier cette question, "même si elle
ne saurait malheureusement donner une grande sécurité à l'historien occidental."
(Blachère).
Pour d'autres auteurs occidentaux il convient de ne prendre en compte que les éléments
de la Tradition issus des ouvrages les plus "authentiques" et remontant dans tous les cas
aux toutes premières générations de spécialistes du Coran, tels Ibn 'Abbas, 'Abdallah Ibn
'Umar, Ibn Mas'ud, Ubbay Ibn Ka'ab … etc.
C'est le cas pour l'écrivain Caratini 2 qui adopte, d'une certaine façon, le système du
tawatur cher aux traditionnistes et aux exégètes les plus rigoureux et qui n'admet
comme authentiques que les témoignages concordants et les écrits provenant de
plusieurs témoins oculaires et auditifs et remontant à une chaîne de garants jugés non
suspects.
C'est ainsi qu'est une "science" critique voit le jour entre le IIe et le IIIe siècles de
l'Hégire, sous la plume d'experts et érudits, aimat al-jarh wa ta'dil (textuellement, les
imams-chirurgiens et réparateurs, faisant allusion à leur minutie) qui s'employèrent à
mettre sur pied une méthode qui permettrait de séparer les traditions authentiques de
ceux qui ne l'étaient pas, toujours sur la base de l'isnad et de la méthode multilatérale ou
tawatur. Cette méthode a été instituée pour donner plus de garantie et d'authenticité au
hadith.
C'est justement cette méthode qui a été employé par ashab as-sunan (traditionnistes
canoniques) et ashab attafsir (coranistes et exégètes), notamment Al-Bukhari et Muslim,
Tabari et Al-Qurtubi, etc.
Malgré la prudence requise et l'inexistence d'un texte fixé ne varietur durant l'apostolat
du Prophète Muhammad, il convient de dire qu'il n'est point possible de se renseigner sur
l'élaboration du texte coranique sans se référer à la Sunna et à l'exégèse traditionnelle
(Blachère).
AÀ cet effet, les ouvrages des traditionnistes tels que que Al-Bukhari, Muslim et ceux des
exégètes Ibn Katir, Tabari et Al-Qurtubi et ceux de certains spécialistes occidentaux
comme Blachère, Bell, Noëldeke, etc. , nous seront d'un précieux secours pour étoffer
notre étude.
Enfin, si nous voulons proposer un travail scientifique digne de ce nom n'oublions pas,
malgré toutes les précautions requises, que : " les meilleurs de ces commentateurs sont
les exégètes musulmans qui ont écrit depuis mille ans (…)" et qu'un très grand nombre
de titres et d'articles attendent le spécialiste.
À travers l'analyse que nous présentons nous tenterons, principalement, de démontrer
qu'aucune rupture sémantique ou lectionnelle n'est venue perturber la transcription
coranique du début de l'apostolat de Muhammad à la canonisation de la Vulgate du Calife
'Utman et que les seules variations introduites dans le texte coranique ont été des
variations d'ordre graphique et lectionnel.
Les questions que nous allons nous poser et auxquelles nous tenterons de répondre pour
asseoir notre thèse sont donc les suivantes : Comment s'est opéré la pérennisation de la
Révélation durant l'apostolat du Prophète ? Comment a-t-elle été transmise après sa
mort ? Comment le texte canonique du Coran s'est-il établi ?
Est-ce que la copie du Coran que nous avons entre les mains est identique à celle qui
prévalait du temps du Prophète de l'islam ? Quels sont les changements linguistiques
notables qui ont été opérés depuis l'avènement de l'islam ?
Les modalités de la révélation
Le Coran a été prêché dans son ensemble du vivant du Prophète mais il n'a certainement
pas été écrit par lui. Tout d'abord, il est peu vraisemblable que le Prophète ait su écrire
et ensuite parce que nous n'avons aucun hadith, ni aucun témoignage nous le présentant
comme transcrivant les révélations reçues par lui.
Certains orientalistes occidentaux (Kasimirsk etc.) soutiennent cette affirmation
rejoignant en cela la théorie généralement admise dans les cercles musulmans.
Ces révélations, nous disent ces mêmes traditions, ont été apprises par cœur par
Muhammad grâce à un messager divin, reconnu comme étant l'Archange Jibril (Gabriel).
Le Coran abonde en ce sens dans un bon nombre de sourates et la Sunna en fait de
même dans la mesure ou de nombreux hadiths qualifient de ummi le fondateur de la
religion musulmane, peut-être pour accentuer un peu plus le côté exceptionnel et
prodigieux du texte coranique. C'est pourquoi on parle souvent de i'jaz, mal traduit par
"inimitabilité " lorsqu'on tente de définir le style coranique.
Dans Lisan Al-'Arab et Tuhfat Al-'Arus (les deux plus importants ouvrages
encyclopédiques sur la langue arabe), nous apprenons que le terme ummi recouvre la
notion d'analphabétisme et que les ummiyin ne s'apparentent pas aux gentils comme
l'ont suggéré Weil et Blachère mais sont tout simplement des personnes qui ne savent ni
lire ni écrire. Actuellement, c'est cette explication qui prévaut dans les sociétés arabes.
Dans le Coran, la sourate intitulée l'Araignée, par exemple, fait allusion à
"l'analphabétisme" du Prophète de la manière suivante : "Pourtant naguère tu ne récitais
le texte d'aucune Écriture, pas plus que tu n'en retraces de ta (main) droite : Et c'est
cela qui fait douter les tenants du faux. " (XXIX, 48).
S'agit-il réellement d'une méconnaissance de l'art de l'écriture et de la lecture ou
simplement une allusion à la méconnaissance des textes antérieurs ?
Chez les fidèles musulmans cela ne fait aucun doute et ils se basent pour ce faire sur
l'expression " an-Nabi al-ummi" contenue dans le Coran.
Nous retrouvons cette interprétation chez certains orientalistes comme 'Amari,
Kasimirski, Montet qui suivent en cela, comme nous l'avons déjà suggéré, l'exégèse
orthodoxe. En réalité cela semble un peu plus complexe que cela. Pour Blachère cela fait
plutôt référence à l'ignorance de la loi divine. Il cite pour se justifier le commentaire de
Tabari qui aurait déclaré que : "les Ummiyun sont des gens qui ne déclarent véridique
aucun Apôtre envoyé par Allah, ni aucune Écriture révélée par Lui, mais qui forgent une
"écriture" de leurs mains." Puis il nous déclare que ce même Tabari revient sur sa
déclaration et retourne à la première interprétation 3.
En fait, Tabari après avoir cité une tradition attribuée à Ibn Abbas, donne à la fin de cette
citation son propre commentaire en se basant sur l'explication linguistique en nous disant
que "cette acceptation n'est pas celle de l'arabe".
Certains orientalistes ont remis en cause la notion d'"analphabète" et se basent sur
l'interprétation de l'impératif iqra' qui pour eux ne signifie pas : Lis ! mais : Prêche !
(Weil, Nöldeke, Schwally). Pour < an>formé sur le verbe qara'a qui signifie " réciter ou
"lire". Pour lui le Coran peut-être défini comme étant : "une récitation ou une lecture
d'une révélation divine (…) Dès lors le Coran peut-être pris au sens de : " l'ensemble des
messages divins qui ont été révélés à Mahomet, lus et récités par lui" ( ummiyin, nous ne savons
par écrire et compter". Pour lui, l'absence de la mention de l'ignorance de la lecture dans la déclaration Prophète confirmerait sa thèse.
Par contre, l'exégèse coranique traditionnelle argumente dans un autre sens en se basant leur argumentaire sur celui du Coran. Ces
exégètes glosent à partir d'un verset coranique (Al-Baqara, 99) pour nous signifier que le Prophète ne pouvait en aucun cas maîtriser la
lecture et encore moins l'écriture : " Si tu étais (ô Prophète !) du nombre de ceux qui écrivent et qui lisent, les incrédules (les noncroyants) diraient : Peut-être a t-il appris cela et l'a t-il recueilli dans les Écritures des Anciens".
Ces différentes interprétations démontrent, si besoin, la fragilité des arguments mis en exergue et la question n'en demeure pas moins
ouverte.
Par contre, beaucoup de hadiths et de témoignages nous décrivent le fondateur de l'islam dictant les révélations qu'il a reçues à ses
nombreux scribes et Compagnons ( Buhari, Muslim, Qurtubi, Ibn Kathir, Tabari, etc.).
A ce niveau de la démonstration, à notre sens, il serait plus intéressant de tenter de savoir si le Prophète a porté lui-même à l'écrit le
texte coranique que de tenter de savoir s'il a su manier le qalam (sorte de plume en roseau) et déchiffrer un écrit. Mais la question qui
s'impose à nous est la suivante : Si le Prophète a su écrire pourquoi n'a t-il pas lui-même entrepris de fixer par écrit le texte coranique
alors qu'il a constamment encouragé les autres à le faire. ? Force est de constater, là encore, que la question demeure posée malgré les
explications issues de la Tradition et des études orientalistes.
Les Compagnons du Prophète se basaient pour apprendre le Coran sur les dictées et les récitations du Messager ou de tout autre
Compagnon érudit l'ayant appris du Prophète lui-même. A l'exemple de 'Abd-Allah Ibn Mas'ud, Ubay Ibn Ka'b ou Zayd Ibn Tabit, 'Ali Ibn
Abi Talib 5.
Le Coran a été révélé sur une période allant de 610 à 632, soit sur une longue période de vingt trois années, en plusieurs fois et selon les
circonstances et les évènements vécus par la communauté musulmane naissante. Comme nous l'avons déjà dit, à chaque révélation d'un
ou de plusieurs versets, le Prophète demandait à ses scribes (la Sunna nous en cite quarante) de porter la parole divine à l'écrit.
A ce propos les quatre spécialistes de la Sunna, Abu Dawud (817-889) dans son ouvrage Kitab Al-Sunan, Al-Tirmidi (mort en 892), dans
son livre canonique Al-Jami' Al-Sahih, Ibn Majah (824-887), dans Kitab Al-Sunan et Al-Nisa'i (830-915) 6 ont rapporté un hadith de Ibn
'Abbas (considéré par beaucoup comme étant la plus grande autorité en matière d'exégèse coranique ) dans lequel 'Utman dit : "À
chaque révélation le Prophète convoquait ses scribes et leur disait" : "Mettez cela dans la sourate où il est invoqué tel ou tel propos, selon
les directives du Gardien de la Révélation (Amin Al-Wahy), l'Archange Jibril (Gabriel)".
En raison de l'inexistence du papier, les versets coraniques étaient portés à l'écrit sur des objets disparates (planches, omoplates de
chameaux, feuilles de palmiers, pierres (…).
Selon toute vraisemblance, le Coran dans son intégralité a été porté à l'écrit du vivant de l'Envoyé d'Allah de la même façon et déjà selon
les sept caractères, al-qira'at assab', (les sept lecture ) inspirés par la Révélation.
Chérifi 7 abonde en ce sens en nous déclarant que le Coran : "fut codifié au moment même de son énonciation et qu'il n'y a pas eu de
transmission orale entre le moment de son énonciation et celui de sa rédaction…".
Pour Blachère cette fixation graphique s'est surtout manifestée à la fin de l'apostolat de Muhammad. Mais, ceci n'infirme pas l'existence
d'un double système d'apprentissage du texte coranique, l'un oral et qui s'adresse à la majorité des arabes d'alors qui ignoraient
l'écriture et l'autre écrit et qui ne concerne que les seuls scribes et secrétaires (quelques dizaines au plus dans toute la péninsule
arabique).
Selon un Hadith rapporté par Ibn 'Abbas ( Al-Buhari) le Prophète a dit : "L'Ange Gabriel m'a fait réciter le Coran 'ala harf ( le mot harf
désigne ici une variété du langage et par extension une lecture) et je ne cessai de lui en demander plus qu'il me le fit réciter 'ala sab' at
ahruf " (ceci nous indique l'origine de la théorie des sept lectures ou variantes).
Pour Bell 8 qui a accompli un remarquable travail de reconstitution et de datation, dans une période qu'il nomme "période-livre", le
Prophète de son vivant et jusqu'à sa mort, a remis de l'ordre ou du moins contrôlé la mise en ordre des matériaux anciens et a composé
un Livre écrit.
Ainsi, à la mort du Prophète, la pérennisation écrite et orale du Coran, selon des sources concordantes, semble pleinement accomplie.
Cependant l'absence d'un canon officiel a laissé libre cours aux " corpus " individuels qui se caractérisaient, dans la plupart des cas, par
leurs insuffisances ou leurs ajouts. Dans ce qui peut-être considéré comme l'un des plus importants ouvrages de bibliographie islamique
" le Fihrist "
(composé en 987 par Ibn Al-Nadim), divers traditionnistes mentionnent les "corpus" particuliers des Compagnons Ubbay Ibn Ka'b (mort
entre 639 et 649), Abu Musa Al-As'ari (614-664) et Ibn 'Abbas.
Suite à la recension de 'Utman les détenteurs de copies individuelles ont accepté de remplacer leur mushaf par la "Vulgate" uthmanienne.
Seul Ibn Mas'ud aurait rechigné à abandonner le sien sans toutefois s'opposer à cette canonisation obtenue par un consensus général
(ijma') 9.
Toutefois, aucun véritable témoignage oculaire ou écrit d'époque, ne nous renseigne sur cet épisode de la vie de ce Compagnon.
En bref, nous pouvons énumérer les hypothèses suivantes qui semblent être corroborées par de nombreux témoignages et hadiths.
1- Le Prophète Muhammad a très vite ressenti la nécessité d'une recension écrite de la révélation parce qu'il doit, tout d'abord, se
conformer au commandement divin qui lui intime l'ordre d'apprendre le texte par cœur, puis de le réciter (certains spécialistes comme
Chahine traduisent le vocable iqra ! par l'impératif : Lis !)
Par conséquent, la nécessite d'écrire transparaît à travers les premiers versets qui lui ont été révélés lors d'une retraite sur le mont Hira
dans les abords immédiats de la Mecque. L'appel reçu par Muhammad, ressemble, à beaucoup d'égards, à ceux reçus par les grands
initiés et Prophètes avant lui. Mais la différence fondamentale, à notre sens, réside dans la prise de conscience, dés le début de son
apostolat, de la nécessité fondamentale de sauvegarder la Révélation en la transcrivant et de la suprématie de l'écrit, tant en religion que
dans les sciences et les relations humaines dans leur ensemble (Caratini).
Cette affirmation se trouve confirmé par le Coran qui déclare à travers la première sourate qui lui a été révélée : "Celui (Allah) qui appris
par le qalam. Il a appris à l'homme ce qu'il ne savait pas" (l'Adhérence, 4 et 5).
D'autre part, un bon nombre de traditions nous montre le Prophète pousser ses fidèles à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.
Selon Al-Buhari et Muslim, le Prophète a libéré des prisonniers de guerre parce que chacun d'entre eux avait appris à écrire et à lire à une
dizaine de ses fidèles.
2 - Le Prophète qui était au fait des autres Saintes Ecritures, dans la mesure ou il était entouré par les "Gens du Livre", ahl al-kitab, (les
chrétiens et les juifs), a craint la falsification et la perversion du texte coranique. A ce propos, bon nombre de ses enseignements ont
rendu compte de la manière avec laquelle la Thora et les Evangiles auraient été remaniés faute d'avoir été sauvegardés par l'écriture dés
le début de leur Révélation respective.
3 - Il est tout a fait vraisemblable qu'il a lui-même dicté le Coran dans son intégralité à ses secrétaires (la tradition nous le montre
dictant des versets à Zayd, 'Ali, etc.).
Il a, par ailleurs, encouragé ou du moins laissé certains de ces Compagnons (Abu Bakr, 'Umar, Ibn Mas'ud, etc.) confectionner de son
vivant des recueils qu'on peut qualifier de provisoires (Blachère).
4 - le Prophète a constamment différé toute compilation tout d'abord, en raison de la variabilité du texte (principe de l'abrogation) mais
surtout parce que de son vivant la Révélation ne pouvait cesser et par conséquent toute compilation aurait été prématurée, voire
incomplète.
La Compilation du texte coranique après la mort du Prophète
Le terme de Coran prend souvent le sens de kitab (livre) et dans le texte coranique les deux termes sont interchangeables. Au fur et à
mesure que les révélations commencèrent à être fixées graphiquement, le Coran qui avait comme sens premier "la lecture" ou "la
récitation" (Al-Qur'an), prit le sens d'écriture.
Comme nous l'avons déjà noté, pour Blachère par exemple, c'est vers la fin de la mission de Muhammad que le terme " prit parfois le
sens général d'Ecriture dans l'acceptation où nous l'entendons" (Blachère op. cit, pp. 15-16). À partir de ce moment, le terme de Qur'an
alterne très souvent avec le vocable kitab, ce qui est confirmé par le Coran lui-même qui utilise en alternant les termes de kitab (texte
écrit, livre), dikr ( rappel), furqan (qui distingue ou sépare) et Qur'an (lecture, récitation), etc.
Dans un hadith rapporté par Al-Buhari, nous retrouvons cette notion d'ouvrage écrit ( kitab). Cette tradition attribuée au Prophète, nous
apprend que lors d'un de ses discours testamentaires, il recommande à ses fidèles de se réunir autour de "kitab Allah ". En plusieurs
endroits le Coran utilise, lui aussi, cette formule.
Certains Compagnons du Prophète, comme nous l'avons vu précédemment, avaient leur propre copie du Coran et selon la tradition
musulmane, toutes ces copies étaient toutes conformes à l'originale écrite sous le contrôle et selon les recommandations du Messager
d'Allah avec, tout de même, des différences au niveau lexical et parfois avec des commentaires comme celui de Ibn Mas'ud.
La crainte de voir les commentaires se mêler aux versets coraniques a poussé les auteurs des recensions officielles (Abu Bakr et surtout
'Utman) à les écarter pour éviter toute confusion ultérieure avec le texte coranique proprement dit.
Ibn Katir 10 nous apprend que la copie de Ibn Mas'ud était exempte de la première sourate, " Al-fatiha " et ce dernier a pensé qu'il était
inutile d'écrire une sourate qui était apprise par cœur par tous et que tout un chacun devait réciter tous les jours plusieurs fois ; " si je
devais l'écrire " aurait-il dit, "je l'écrirais au début de chaque sourate".
Les différences qui subsistaient à travers ces différentes copies individuelles, étaient parfois d'ordre chronologique mais surtout d'ordre
lectionnel dans la mesure ou il y avait sept lectures permises. Ces variantes, dites qira'at ou "lectures" peuvent être utilisées lors de la
psalmodie et ne portent en fait que "sur des modes d'articulations consonantiques ou vocaliques, sur de légères divergences de détail
n'entamant généralement pas le sens du texte" 11.
À titre d'exemple, l'utilisation des lettres "zayn" ou " sin " au lieu de la lettre "sad", ou la généralisation de l'utilisation de la damma
équivalent du son "ou" en français à la fin des mots qui se terminent par l' adjectif possessif "Kum" (le vôtre) au lieu du "sukun" (arrêt
sonore qui suppose une absence d'articulation) : Comme dire ""ilahukumu" au lieu de " ilahukum " pour signifier votre Dieu.
Durant les Batailles de Al-'Aqaba (menée en 633 contre un faux prophète du nom de Musaylama) et celle dite Alyamama (menée en 656
contre les armées byzantines) de nombreux mémorisateurs du Coran ont été tués.
Devant ces hécatombes successives, 'Umar qui craignait la disparition d'un plus grand nombre de ces précieux mémorisateurs, ce qui
serait préjudiciable au texte coranique, suggéra au Calife Abu Bakr de rassembler le Coran pour en faire un canon officiel.
Abu Bakr hésita tout d'abord à accomplir une tâche que le Prophète n'a pu faire de son vivant, mais sur l'insistance de 'Umar, il finit par
céder.
Al-Buhari et la Tradition nous citent un hadith qui nous apprend que c'est Zayd Ibn Tabit, le plus jeune sécrétaire du Prophète, un
linguiste qui savait écrire l'arabe, l'hébreu et le syriaque, qui a été pressenti pour accomplir cette tâche. Après avoir hésité, lui aussi, et
pour les mêmes raisons qu'Abu Bakr, il finit par cerner l'importance de l'œuvre pour les générations à venir.
La recension a été longue et fastidieuse comme le rapporte Al-Buhari dans son Sahih. Il nous apprend, par ailleurs, qu'Abu Bakr aurait dit
a 'Umar et Zayd : "Tenez-vous debout devant la porte de la mosquée et ne portez à l'écrit les fragments du Coran en la possession des
gens qui se présentent à vous qu'à la condition qu'ils présentent en même temps (pour chacun d'entre eux) deux témoins pour les
authentifier".
Les témoins se devaient d'attester que le texte présenté a été porté à l'écrit en présence de l'Envoyé d'Allah.
Parallèlement, ces textes devaient être authentifiés par les lectures orales en possession des mémorisateurs (Huffaz ou qurra'), cette
dernière opération était tout aussi importante que la première et constituait une double sécurité.
La recension d'Abu Bakr était présentée à chaque litige ou différent, devenant ainsi une sorte de source d'authentification du texte
coranique.
Ces lectures permises du vivant du Prophète et canonisées après sa mort, ont été introduites pour faciliter aux différentes tribus arabes
l'utilisation de certains phonèmes et morphèmes qui caractérisaient leurs idiomes respectifs. Ces menues différences lectionnelles ont
tout de même engendré des polémiques comme le rapporte Abu Dawud dans son livre Al-Masahif qui transcrit les dires d'un certain Abu
Qulaba : "Durant le califat de 'Utman, les maîtres privilégiaient telle ou telle lecture. Ceci a débouché sur des divergences d'abord entre
les apprenants puis entre les enseignants eux-mêmes. Pour finir chaque partie traitait l'autre d'infidèle et 'Utman l'ayant appris aurait dit
alors : "c'est sous mon autorité que vous vous opposez, (sachez que ) les grandes villes qui s'éloignent de moi sont de plus grands
opposants".
Ces paroles sont confirmées par le Compagnon du Prophète, Hudayfa Ibn Al-Yamane (Buhari) qui informe le Calife que les habitants de
l'Irak et ceux du Sam 12 s'opposent au niveau de la lecture du Coran.
Durant la bataille d'Arménie, le calife 'Utman réunit les Compagnons du Prophète et ensemble ils décidèrent de réunir un consensus
général
( ijma') autour d'une copie officielle du Coran.
Selon des sources concordantes, les circonstances dans lesquelles cette recension a été accomplie peuvent être décrites de la manière
suivante.
En premier lieu, Le Calife 'Utman a demandé à Hafsa épouse du Prophète et fille de 'Umar de lui remettre les feuillets (suhuf) de la
première recension qu'elle avait hérités de son père qui lui, en avait hérité à la mort d'Abu Bakr (Ibn Kathir).
Ces feuillets ont servi de garantie à toute écriture postérieure et notamment lors de la recension uthmanienne. Pour confectionner cette
vulgate, quatre scribes ont été choisis : Zayd Ibn Tabit, 'Abd-Allah Ibn Zubayr, Sa'id Ibn Al-'Asi et Abd-Arrahmane Ibn Harit Ibn Hisam.
S'adressant aux scribes Quraïshites, 'Utman leur dit : "Si vous vous opposez à Zayd, utilisez le parler de Qurays 13 car le Coran a été
révélé en leur langue."
A partir de cette période les sourates seront classées selon l'ordre que nous connaissons. Une copie de cette vulgate dite "uthmanienne"
est envoyée à toutes les grandes capitales de l'empire musulman en pleine expansion, après l'élimination des autres variantes.
Cette recension malgré toutes les précautions prises suscita tout de même la polémique. Certains détracteurs du Calife 'Utman le
traitèrent de brûleur de masahif copies du Coran ).
Néanmoins, la vulgate ainsi obtenue était exempte de points diacritiques et de flexion désinencielle (sakl) 14. Il faut tout de même
préciser que lors de la récitation du Coran, les nombreux mémorisateurs maîtrisaient et restituaient les différents phonèmes de telle sorte
qu'aucune confusion entre les différentes lettres ne soit possible.
Nonobstant les changements linguistiques induits par le développement de la langue arabe et de par les événements décrits ci-dessus, il
apparaît comme tout à fait vraisemblable que la copie du Coran que nous avons entre les mains n'a aucunement subi de changement au
niveau sémantique, même s'il a varié sur le plan morphologique, et semble demeurer fidèle, à ce niveau, au texte transcrit du vivant du
Prophète.
A ce propos, certains orientalistes et notamment Blachère soutiennent que le besoin de porter le Coran à l'écrit s'est manifesté du vivant
même du Prophète et que le texte actuel, malgré la multiplicité des "lectures" n'a pas varié au niveau du sens (Blachère, Le Coran, op.
cit. , pp. 23-24).
C'est vraisemblablement ainsi qu'est née la "Vulgate" uthmanienne qui continue de faire autorité depuis près de treize siècles.
Les changements linguistiques notables opérés dans la Vulgate Coranique
Au fur et à mesure que le système graphique arabe se précisait les différences lectionnelles ont été à l'origine d'un certain nombre de
polémiques. Chaque lecteur (qari') jugeait sa lecture plus canonique en mettant en avant une chaîne de garants (isnad) incontestable qui
remontait aux scribes et aux premiers Compagnons du Prophète ('Ali, 'Umar, Ibn 'Abbas, etc.).
C'est pourquoi Al-Hajjaj Ibn Yusuf, le plus célèbre des gouverneurs ommeyades, homme de lettre et de guerre, entreprit de réviser la
graphie uthmanienne avec l'aide d'érudits et de lecteurs renommés.
Cette révision a consisté, pour l'essentiel, à introduire les voyelles et les points diacritiques. Signalons tout de même que dès les origines,
les lecteurs (qurra') et autres mémorisateurs (huffaz ), ont toujours su restituer les différents phonèmes lors de la récitation qui peuvent
prêter à confusion, ce qui n'était pas à la portée de tous les fidèles, d'ou la nécessité d'uniformisation. Avant cette révision les non-initiés
pouvaient confondre entre plusieurs lettres qui s'écrivaient alors de la même manière.
Par exemple un seul caractère servait à noter "Al-ba' " (équivalent du "b" français) ; "Al-ta' " ("t" français") ; la semi-voyelle "Al-ya'" ; le
"ta" (équivalent du "th" anglais dans "think"), etc.
Pour les spécialistes musulmans et occidentaux (Nöldeke, Schwally, Blachère, etc.), Al Hajjaj n'a pas été le seul artisan de la restauration
graphique du Coran.
Les écrivains arabes du temps des Omeyyades, tels Ibn Abi Dawud (mort en 698), Abu Ahmad Al-'Askari (mort en 992) ont contribué à la
transformation de l'écriture défective des Arabes en une écriture "pleine" (scripto plena). Mais, le principal artisan de cette œuvre serait
un poète de Bassorah nommé Abu'l Aswad Al-Du'ali ( mort en 688). Un lecteur du nom de Nasr Ibn 'Asim aurait placé des points pour
marquer les voyelles sur ordre d'Al-Hajjaj, mais les voyelles dites flexionnelles (marquant la fonction des mots) seraient l'œuvre d'un
certain Yahya, lecteur à Bassorah ( mort en 746).
À ce propos, les exemples les plus frappants sont : l'utilisation de la notion de "raf' " avec l'emploi de la "damma" pour indiquer le sujet
et la notion de "nasb " avec l'utilisation de la "fatha" pour indiquer le complément d'objet.
Dans la foulée on aurait introduit la chadda (signe qui signifie le doublement de la lettre), la hamza ( émission "piquée" d'une voyelle
longue initiale), et la nounation (tanwin) des voyelles brèves (prononciation " ann ", "unn ", " inn "). Pour toutes ces raisons, les lecteurs
commencent à prendre de plus en plus d'importance à mesure que la nécessité de disposer d'une Vulgate canonique unifiée se fait de
plus en plus grande.
C'est à partir de cette période que l'on parvient à ressentir la nécessité de canoniser les sept lecteurs qui prennent appui sur le système
hérité du vivant du Prophète. La toute première tentative pour mettre en pratique le principe unanimement admis de la pluralité des
lectures, a été l'œuvre d'un philologue du nom de Abu 'Ubayd (mort en 837) qui a dressé, pour la première fois une liste. Il fallait avant
tout sélectionner les lectures "canoniques" et rejeter celles jugées comme "exceptionnelles" (le principe appliqué ici a été celui de l'ijma').
C'est Ibn Mujjahid ( 859-936), chef des lecteurs à Baghdad qui a mis sur pied, le premier, une version écrite complète et officielle du
Coran en se basant sur la doctrine des sept lectures devenues désormais des références canoniques.
Qui étaient ces sept ? Il s'agit de professeurs du Coran du VIIIe siècle (IIe siècle de l'Hégire) qui enseignaient dans les plus grandes villes
arabes (La Mecque, Médine, Damas, Bassorah, Coufa). Chacun d'entre se basait sur une chaîne de garants (isnad) jugée irréfutable. Ce
sont :
1 - Nafi' (mort en 785) pour Médine. Il eut pour disciples les " lecteurs" Isma'il Ibn Ja'far, l'imam Malik (fondateur du rite malékite), le
grammairien de bassora Al-Asma'i, le grammairien
"lecteur" de ce même centre Abu 'Amr Ibn 'Ala'. Il a eu pour transmetteurs ses deux disciples l'Egyptien Utman Ibn Sa'id, plus connu
sous le nom de Wars et 'Isa Ibn Mayna, plus connu sous le nom de Qalun. C'est cette lecture qui prévaut au Maghreb et dans une bonne
partie du reste de l'Afrique.
2 - 'Abd Allah Ibn Katir (mort en 737) pour la Mecque : Ses garants sont le Compagnon du Prophète 'Abd-Allah Ibn As-Sa'ib, Mujahid et
Dirbas. Ses transmetteurs sont des disciples indirects : Ahmad Ibn 'Abd-Allah dit Al-Bazzi et Muhammad Ibn 'Abd-Arrahman Ibn
Muhammad dit Qunbul.
3 - Abu 'Amru Ibn Al-'Ala' Al-Mazini (689-770) pour Bassorah : Il reçut les lectures de presque tous les grands "lecteurs" : Nafi', Ibn
Katir, 'Asim, etc. Un bon nombre de grammairiens adoptèrent sa lecture, notamment Al-Asma'i et Ibn Habib. Ses transmetteurs ont éte
des disciples indirects, ce sont : Hafs Ibn 'Umar (Ad-Duri) et Salih Ibn Ziyad (Abu Su'ayb As-Susi).
4 - Ibn Amir (mort en 736) pour Damas : Ses garants sont le Calife 'Utman et le Compagnon du prophète Abu -Ad-Darda', etc. Cadi de
cette ville sous le règne du Calife Ommayyade al-Walid Ier. Il eut pour transmetteurs ses disciples indirects 'Abd-Allah Ibn Ahmad (ibn
Dakwan) et 'Amar As-Sulami, cadi de Damas.
5-'Asim Ibn Abi'l- Najjud (mort en 744) : l'isnad qu'il produit pour sa lecture remonte aux Compagnons-"lecteurs" les plus célèbres :
'Utman, 'Ali, Zayd Ibn Tabit, Ubay Ibn Ka'ab, Ibn Mas'ud. Parmi ses élèves, on compte Al-A'mas, Abu 'Amr Ibn 'Ala, le grammairien AlHalil, etc. Il eut pour transmetteurs ses disciples directs : Su'ba Ibn 'Ayyas et surtout Hafs Ibn Sulayman. À l'exception du Maghreb et
une partie de l'Afrique, sa lecture prévaut dans presque la totalité du monde musulman.
6- Hamza Ibn Habbib (mort en 772) : Ses garants sont pratiquement les mêmes que ceux de 'Asim. Le plus célèbre de ses élèves est le
grammairien -"lecteur" A- Kisa'i. Ses transmetteurs sont des disciples indirects Halaf Ibn Hisam et Hallad Ibn Halid.
7- Pour la ville de Coufa 'Ali Ibn Hamza, plus connu sous le nom de Al-Kisa'i, (mort en 804). Elève de Hamza dont il se sépara, de Nafi'
(indirectement) de Ibn 'Ala. ¨Parmi ses disciples on cite l'imam Ibn Hambal. Ses deux transmetteurs sont Abu Al-Harit (Al-Layt Ibn Halid
Al-Bagdadi) et Ad-Duri ( Hafs Ibn 'Umar).
Selon Abu Muhammad Al-Himani (Al-Qurtubi) c'est aussi Al-Hajjaj qui le premier demanda aux exégètes et lecteurs du Coran d'étudier
ses structures littéraires.
Peut-on porter un jugement historique sur le texte coranique ?
Pendant plus de trois siècles, les initiatives et les tentatives se sont succédées pour établir une version complète et officielle du Coran et
dés le début de la Révélation, le Prophète et ses Compagnons, puis les Tabi'ines et les savants et coranistes musulmans ont toujours eu
comme souci majeur, la pérennisation du texte coranique et le développement de la graphie arabe.
Dans une société essentiellement à tradition orale et en raison de l'imperfection de l'écriture arabe de l'époque, le cheminement a été
long et fastidieux. Malgré toutes ces péripéties, la conservation du texte coranique a été un succès grâce au zèle des fidèles mais surtout
grâce aux initiatives de certains Compagnons du Prophète (Abu Bakr, Umar, Utman, Zayd, etc.) et autres hommes d'état tels que le calife
ommeyade Abdalmalik et son gouverneur Al-Hajjaj Ibn Yussuf.
Même si la fragilité des éléments historiques demeure, il est un fait bien établi auprès de tous que ni la science, ni le modèle historique
ne peuvent nous renseigner sur l'intégrité absolue du texte coranique hérité de par la recension uthmanienne. Hamidullah dans son
introduction à sa traduction du Coran parle d'une copie de la vulgate uthmanienne se trouvant en Turquie et selon Ibn Nadim (le Fihrist)
Ibn Batuta le célèbre géographe et voyageur maghrébin aurait consulté une autre copie à Tachkent.
Néanmoins, les copies les plus anciennes du Coran et accessibles actuellement en Occident dateraient du deuxième, cinquième ou du
sixième siècle de l'Hégire comme celles de la Bibliothèque Nationale à Paris dont les écritures sont soit hedjazienne (exempte de points
diacritiques et de flexion désinentielle) ou coufique (avec un vocalisme très limité ou une absence de diacritisme).
Les témoignages et les hadiths se référant à la mise à l'écrit du texte coranique restent les seuls éléments d'époque qui peuvent nous
renseigner sur la question. Cependant, la période très restreinte qui sépare la Vulgate uthmanienne des copies hedjaziennes et coufiques
(au plus un siècle pour les plus anciennes) et le grand nombre des traditions et des témoignages concordants, depuis les toutes
premières générations de musulmans, semble plaider en faveur de l'intégrité sémantique du texte coranique (Blachère, 1991 et Caratini,
1996, op. cit.). n
Abdelhamid BELHADJ HACEN
docteur en linguistique (université Lille 3)
1 - R. Blachère, Le Coran, P.U.F., 1973, p. 13.
2 - R. Caratini, Le Génie de l'islamisme, Laffont, 1992, p. 237.
3 - R. Blachère, Introduction au Coran, Maisonneuve et Larose, Paris, 1991, p. 7.
4 - 'Abd-Assabur Chahine, "La langue arabe coranique", communication faite à la télévision marocaine, Rabat 1998.
5- Al-Qurtubi, Jamiî Ahkam Al-Qur'an, Dar Al-'Ilm, 2e édition, 1988, p. 17.
6 - Les ouvrages de ces traditionnistes sont canonisés au même titre que ceux de Malik ibn Anas (717-795) avec Al-Muwatta ("la Voie
Aplanie"), de Muslim Ibn Al-Hajjaj (817-889), avec le Sahih, et Buhari (810-870) avec son Sahih. Les deux derniers ouvrages sont
considéréÈs par la Tradition comme les plus importants.
7 - Jamil Cherifi, " L'Effort Créateur Normatif en islam", in revue islam de France, n° 2, 1998, pp.95-96, l'Harmatthan, Paris 1998.
8- Ronald Bell, Traduction du Coran, Edimbourg, 1937-1939, in R. Caratini, pp. 236-237.
9 - L'ijmaâ est la troisième source de législation en islam, c'est aussi la première forme d'ijtihad et la plus importante car elle nÈcessite
l'approbation de la majoritÈ des savants et docteurs de la loi musulmans.
10 - Ibn Katir, Tafsir Al-Qur'an Al-'Azim, tome I, p. 4, Dar Al-Jil, Beyrouth, 1991.
11 - R. Blachère, op. cit., p. 23.
12 - Al-Sam ou Bilad Al-Sam : chez les Arabes, ce terme a toujours désigné la région anciennement appelée la Grande Syrie et qui
désigne en fait, la Syrie, le Liban et la Palestine.
13 - Ancêtre éponyme de la tribu qui porte le même nom et dont est issu le Prophète. Par extension, cela désigne le parler de la Mecque,
considéré par les Arabes comme la variété la plus pure, et qui constitue une sorte de "lingua franca".
14 - Système de voyellisation et de vocalisation qui note essentiellement les voyelles courtes et qui permet le fait grammatical.
Abdelhamid BELHADJ HACEN
Docteur en linguistique (université Lille 3)
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