L'éthique de la divergence 1. Introduction « et ne vous disputez pas, sinon vous fléchirez et perdrez votre force » (Coran, 8 : 46) « Et cramponnez-vous au habl [câble] d'Allah et ne soyez pas divisés » (Coran, 3 : 103) Allah nous met en garde contre la division, la discorde (fitna). C'est une chose très grave car elle empêche les uns et les autres d'œuvrer ensemble pour la voie du bien. En effet, Allah nous ordonne de mener à bien nos actions dans l'union et la solidarité. L'action collective étant indispensable en Islam, nous nous devons de respecter scrupuleusement une éthique au sujet de la divergence afin de rester le plus unifié possible au sein de notre communauté. 2. Les causes de la divergence 2.1. La nature de la religion Les sources de notre religion (Coran et Sunna) se présentent sous différentes formes : − Elles peuvent avoir un sens formel, ce qui permet des applications littérales (comme c'est le cas de tout ce qui touche au domaine primaire : le dogme, où la divergence n'a pas sa place). − Elles peuvent avoir un sens conjectural, ce qui entraîne des interprétations diverses suivant les différents contextes (on trouve cela dans les domaines secondaires). La nature de notre religion est telle que la lecture des sources traitant les domaines secondaires amène inéluctablement vers une divergence d'opinion quant à leur compréhension. 2.2. La nature de la langue Dans le Coran, Allah s'adresse au Prophète (saaws) et à toute l'humanité en Arabe. Cette langue a la particularité d'avoir une rhétorique supportant le sens propre et la métaphore, le déclaratif et l'imagé, l'explicite et l'implicite, l'exprimé et l'insinué. A titre de comparaison, les différents linguistes qui se sont attaqué à la traduction du Coran en Français affirment à l'unanimité qu'il ne faut pas moins de cinq traductions différentes en français d'un verset pour arriver à comprendre réellement le sens de ce verset. Kathir : On trouve par exemple ce genre d'explication dans les exégèses du Coran de At-tabari et Ibn (Coran, 5 : 6) A ce sujet, Sa`id Ibn Jubayr dit : « La question de ''toucher aux femmes'' a été abordée ; des musulmans convertis (d'origine non arabe) ont dit que cela ne signifiait pas le rapport sexuel, des Arabes ont dit au contraire que cela signifiait le rapport sexuel. Je suis allé voir Ibn `Abbâs et je lui ai parlé de cette « … ou si vous avez touché aux femmes... » divergence. Il me dit alors : les convertis ont tort ! Le ''toucher'' dans le Coran (mass, lams et moulamassa) signifie métaphoriquement le rapport sexuel. Mais Allah exprime ce qu'Il veut par ce qu'Il veut. ». La langue Arabe utilisée dans le Coran peut naturellement amener des divergences de compréhension du texte. 2.3. La nature humaine Les hommes diffèrent en fermeté et en souplesse. Par exemple, Ibn `Umar était connu pour sa fermeté, il tenait à toucher la pierre noire pendant le pèlerinage malgré la difficulté causée par la foule. Ibn `Abbâs, quant à lui, était connu pour sa souplesse, il ne cherchait la difficulté ni pour lui, ni pour les autres. La nature humaine est telle que les différences de caractère amènent inexorablement vers des divergences d'opinions. 3. La divergence au temps du Prophète (saaws) Un hadith rapporté par Al Bukhârî nous montrent que la divergence existait et surtout qu'elle a été admise par le Prophète (saaws) lui même : Lors de l'expédition des Bani Qourayda, le Prophète (saaws) clama : « Que personne ne prie al `asr avant d'avoir atteint le territoire des Bani Qourayda ! ». Les musulmans prirent la route et, à l'heure de la prière de al `asr, certains dirent : « Nous prierons à notre arrivée chez les Bani Qourayda ». D'autres dirent « Nous prions tout de suite, il ne nous a pas été demandé d'ajourner la prière » car ils avaient compris que le Prophète (saaws) voulait qu'ils se dépêchent. Quand le Prophète (saaws) fût mis au courant de leurs agissements, il ne réprimanda personne. En sachant que lorsque le Prophète (saaws) se tait sur un acte, cela vaut son approbation, on peut en conclure que le Prophète (saaws) a admis la divergence sur un point secondaire (un point qui ne touche pas au dogme). 4. Conclusion Nous pouvons donc avoir des points de vue différents sur des questions secondaires, mais l'essentiel est que nous partagions les mêmes principes fondamentaux et que nous adoptions l'avis de la majorité. Aujourd'hui, des mouvances islamiques très différentes existent : les traditionalistes, les soufis, les adeptes d'une école juridique et les adeptes de l'ijtihâd qui ne se reconnaissent pas dans les écoles juridiques. Les relations entre ces différents groupes sont souvent tendues et cela est dû au fait qu'ils n'acceptent pas un autre point de vue que le leur sur les questions secondaires (les questions qui ne touchent pas le dogme). Le meilleur comportement à adopter serait de se concentrer sur l'unité qui existe entre ces différents groupes en ce qui concerne les principes fondamentaux. Cela contribuerait à un rapprochement entre ces différentes idéologies en mettant l'accent sur le fondamental qui est, par définition, plus important que les points secondaires. Cette unification entre les pensées existantes est possible si l'on respecte deux points essentiels : − Demeurer dans l'Islam du juste milieu et combattre clairement les deux extrêmes qui sont l'exagération et la négligence. − Respecter les divergences d'opinions à condition qu'elles ne dépassent pas les deux extrêmes qui délimitent l'Islam du juste milieu. Inspiré par le livre: « Les 2O principes pour comprendre l'Islam » de l'imam Hasan Al Bannâ, dévelloppés par le Shaykh Youssouf Al Qaradawi, traduit et commenté par Moncef Zenati.