Et si la classe politique refusait de donner au Sénégal un grand

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Et si la classe politique refusait de donner au Sénégal un grand
dessein pour un développement durable?
Par Professeur Moustapha Kassé
Président de l’Ecole de Dakar
Crise économique et sociale ? Crise de la démocratie ? Crise du politique ? Crise de la
représentation ou de la gestion de l’espace public ? Pour trois bonnes années, l’espace
politique est dégagé en l’absence d’échéances électorales. En comprenant la crise selon la
fameuse périphrase de Trotski comme l’impossibilité pour ceux d’en haut de gouverner
comme avant et ceux d’en bas de refuser d’être gouvernés, les Cassandre ne manquent pas
pour penser les transformations en cours de la société sénégalaise sur le seul modèle de
l'irrémédiable déclin alors qu’aucune situation de cette nature ne se profile ni à l’horizon
économique, politique ou social. La conjoncture économique est favorable avec un tableau de
bord macroéconomique qui présente de remarquables performances: taux de croissance élevé
(plus de 6%), inflation maîtrisée (moins de 3%), déficit budgétaire tolérable (moins de 5% du
PIB), balance des paiements excédentaire (de plus de 5 milliards), endettement encore
soutenable (moins de 60% des exportations), amélioration des avoirs extérieurs ( de plus de
15 milliards), retour progressif des Investissements Directs Etrangers (plus de 500millards
mobilisés par l’APIX) et des partenaires au développement en confiance (environ 900
milliards mobilisables par les bailleurs sous la direction du FMI et de la BM).
Les indicateurs de convergence sont parmi les plus performants du Pacte de Stabilité
et de Croissance de l’UEMOA.Ils placent le Sénégal en peloton de tête de cette organisation
d’intégration qui est la plus structurée et la mieux gérée d’Afrique. Cette embellie
incontestable doit être mise à profit pour rendre le pays plus attractif aux IDE et attaquer tous
les obstacles à une croissance soutenue.
Au plan politique on est trop loin du « niveau zéro » car les institutions démocratiques
fonctionnent, les pouvoirs ne se télescopent pas, l’opposition comme force légitime se
déploie sans entrave, la société civile cette belle « nébuleuse » occupe son espace et joue sa
partition de contrepouvoir éclairé. Le pays a parcouru un long chemin sur la voie de la
formation d'une démocratie ouverte, libérale, pluraliste, favorable au développement de
l'initiative privée et à la bonne marche des affaires. Par rapport à la moyenne des pays
africains, la construction d'un Etat de Droit appuyé sur des institutions administratives et
judiciaires indépendantes compte un temps d'avance. Le pluralisme politique, le contrôle de la
légalité, ainsi que, désormais, la décentralisation, ont fini par former un cadre juridique au
sein duquel les « prérogatives exorbitantes du droit commun », le « fait du prince » et autres
privilèges dont la puissance publique pouvait se prévaloir, ont été progressivement limités. Il
ne faut jamais perdre de vue que c’est la constitution qui consacre la prépondérance
présidentielle. Dans ce système présidentiel, il existe une consubstantialité de droit entre
l’exclusivité du Président et le nanisme de fait de tous les autres centres de pouvoir ce qui
peut créer alors quelques anomies remarquables. Dans ce cas de figure, comme l’observait
Tocqueville « le souverain étend ses bras sur la société tout entière, il en couvre la surface
d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes… Il gère, il comprime, il
énerve, il étreint et hébète ». La constitution ne se contente pas de lui conférer la
détermination et la conduite de la politique de la nation avec des domaines réservés, elle lui
offre également des moyens étendus par les lois organiques et notamment celle relative aux
lois des finances. A l’observation, malgré les attaques au Président de la République on ne
relève pas encore une saisine de la justice pour abus de pouvoir ou violation de la loi
fondamentale.
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Le front social s’échauffe mais ne brûle pas : les acteurs y exercent leurs attributions
sans contrainte. La scène syndicale est picotée de quelques grèves, de marches toujours
tolérées, de revendications somme toute normales dans une démocratie d’un pays en
développement qualifié par des manques de divers ordres. Malgré tout, le dialogue social
continue de réguler les rapports antagoniques entre l’Etat, les Patronats et les Syndicats.
Penser que c’est l’âge d’or, serait embellir la réalité par omission de complexes
questions non encore résolues comme les éboulements qui ont secoué parfois assombri
l’espace politique (rébellion casamançaise en voie de règlement, naufrage du bateau le Diola,
l’affaire Talla Sylla, l’incendie des siéges de la CNTS et du MSD-Jant Bi). Ce sont justement
ces problèmes et d’autres certainement plus compliqués et plus difficiles qui imposent
l’instauration d’une démocratie apaisée et consensuelle qui mette le pays au travail en vue d’
accélérer les transformation en profondeur susceptibles d’améliorer le bien-être des
populations.
Toutefois, au-delà des critiques ponctuelles sur tel ou tel aspect des politiques
sectorielles anciennement appliquées ou nouvellement modifiées, la question de fond est la
l’impérative reconfiguration du champs de spécialisation du Sénégal pour développer
prioritairement les productions pour lesquelles le pays possède des avantages comparatifs ou
construits c’est-à-dire un meilleur profil de compétitivité dans la sous-région et dans la
mondialisation darwiniste. Le choix n'est donc pas entre le refus d'une telle politique ou son
acceptation passive, mais entre la possibilité d'entrevoir, au prix de sacrifices, un avenir
meilleur, et la certitude de s'enfoncer dans la voie du déclin. En outre, les structures
d’encadrement créatrices d’externalités positives comme l’Ecole et la Santé sont à réformer
en profondeur et certainement dans la douleur. Le capital humain constituant à la fois un outil
essentiel pour la croissance et la lutte contre la pauvreté, son amélioration donc celle de la
productivité globale est fonction des investissements dans l’éducation, la santé et la nutrition.
La théorie économique contemporaine accorde à ces facteurs qui porteront la croissance et les
emplois de demain une place prépondérante. Enfin, les moules institutionnels doivent être
impérativement perfectionnés pour mieux fonctionner au bénéfice des partis politiques, des
syndicats, de la société civile et des citoyens. Par exemple la corruption, aujourd’hui décriée
par certaines organisations, est un échange occulte pour accéder à des avantages indus. Par les
rentes de situation et l’enrichissement illicite générés, elle gangrène le fonctionnement de la
démocratie et le libre jeu des mécanismes des marchés. De plus, faut-il le rappeler
(notamment à mon jeune collègue Madior Fall) la démocratie représentative n'a dû sa stabilité
(sur un peu plus d’un siècle) qu'à la confiscation du jeu politique par les élites : notables
traditionnels et modernes (cadres intellectuels et administratifs), professionnels de la
représentation politique. Ces sédiments de la société continuent d’occuper le terrain dont les
citoyens simples électeurs supposés profanes se trouvent de plus en plus exclus. Il leur est
carrément demandé de voter, éventuellement de militer, mais de toujours s'en remettre à plus
capables, plus savants, plus avisés, plus politiques. Cet accaparement justifie la mobilisation
de la société civile pour briser les inégalités d’accès à la politique même si paradoxalement ou
contradictoirement elle veut toujours se définir antagoniquement à la société politique.
La résolution de ces nombreux et complexes problèmes propres à la plupart des
formations sociales en développement appelle de nouvelles visions stratégiques, de nouvelles
praxis économiques, sociales et culturelles. Dans ce sens, l’enjeu des appels répétés du Chef
de l’Etat à l’ Opposition est d’arriver à promouvoir un dialogue constructif, fécond entre les
formations politiques les plus significatives, ayant des vocations différentes ou des idéologies
divergentes. Le résultat escompté est clair : créer les conditions d’une paix qui rassure et
sécurise tous les acteurs internes (apaisement du front social) et externes (Institutions
Financières Internationales et secteur privé étranger porteur des Investissements Directs
Etrangers). Les partis représentés au gouvernement -ou ceux aspirant à y être- ainsi que les
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syndicats et autres associations de la société civile qui, n’ont pas vocation à gouverner, y
gagneraient en lisibilité, en crédibilité et même très vraisemblablement en représentativité. Le
bloc de partis politiques acceptant de « faire société ensemble » aura assez de potentialités
pour opérer les mutations indispensables pour un avenir meilleur ou comme disait Gabriel
Péri des « lendemains qui chantent. Le Président de la République répète à souhait que ce
dialogue est basé sur le respect mutuel et l’autonomie de chacun.
I-
Ce consensus politique pourrait ouvrir un grand
dessein
et
accélérer
le
développement
économique et social.
Depuis plus de trois décennies nous avons construit une économie de rente par
reconduction-retouche du modèle de l’économie coloniale de traite. Celle-ci a débouché sur
la double extraversion structurelle du système productif essentiellement orienté vers
l’extérieur et de la structure de consommation marquée par des importations massives et
coûteuses de produits alimentaires et de biens manufacturés. Cette logique économique a été
accompagnée par une monnaie structurellement surévaluée. Les Politiques d’Ajustement
Structurel ont tenté de démanteler ce système par différentes mesures non articulées mais
sans vision ni schéma d’ensemble cohérent et planifié. Cela donne le désengagement précipité
de l’Etat sans existence d’autres instruments de régulation, la désintégration du secteur public
et parapublic sans présence d’acteurs privés substitutifs, des privatisations mal menées avec le
remplacement de monopoles publics par des monopoles privés extérieurs.
Aucun des Programmes d’Ajustement Structurel (Plan de Stabilisation de 1979,
Programme de Redressement Economique et Financier de 1980, Plan d’Ajustement à Moyen
et Long terme de 1992, Plan d’Urgence de 1993, Programmes post dévaluation de 1994) n’a
véritablement réussi à modifier un tant soit peu les tendances lourdes négatives du
fonctionnement du modèle de base de l’économie sénégalaise caractérisé par : i) une forte
sensibilité de la croissance aux variations de la production et de l’exportation des produits de
rente, ii) une utilisation insuffisamment productive des ressources tirées de la valorisation de
la rente agricole et minière et des apports extérieurs, iii) une répartition inégale des revenus au
profit surtout de la consommation urbaine, iv) une vulnérabilité croissante de l’économie à
l’égard des variables exogènes (climat,cours mondiaux, taux de change et taux d’intérêt etc.).
Les racines historiques profondes, sources des difficultés actuelles, n’ont pas entièrement été
démolies. Leur élimination définitive ne peut s’inscrire qu’à long terme par des réformes qui
auront forcément des coûts sociaux exorbitants de très court terme.
Au-delà des chiffres de conjoncture favorables ou non, le système d’organisation
socio-économique et surtout
son mode de génération et d’absorption des surplus
compromettront toujours les réformes de l’économie nationale même les plus progressistes.
Les moindres fluctuations du système économico-financier mondial viendront d’une part
extérioriser et amplifier les faiblesses structurelles de l’économie et d’autre part accentuer les
déséquilibres internes: variation erratique des taux de change, instabilité des prix des marchés
céréalier et pétrolier, variation des prix des produits primaires exportés d’origine agricole ou
minière.
Dans ce système d’organisation socio-économique, la croissance n’est pas
structurellement saine. Elle reste cloisonnée et la reprise diffuse partiellement ses effets
positifs dans l’ensemble du tissu économique et social ; ce qui en limite fondamentalement la
portée et l’incidence sur le bon fonctionnement d’une économie réellement intégrée. En
conséquence, l’impact de retour de croissance sur le social à travers la création d’emplois
nombreux et diversifiés est faible. Ensuite, au niveau du secteur primaire, l’agriculture est
restée duale avec un écart de productivité trop grand entre les sous-secteurs agricoles les
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mieux équipés (zones irriguées, élevage sédentaire, etc.) et les autres sous secteurs qui sont la
sphère d’évolution d’une paysannerie pauvre évoluant dans des activités déclinantes (arachide
et coton) avec des formes de production archaïques. Naturellement, cette agriculture est
incapable de résoudre le déficit alimentaire, la pauvreté rurale ambiante et de donner un
avenir à la paysannerie. Quant au modèle industriel, il est totalement essoufflé et nécessite
d’être repensé en profondeur après l’échec sur toute la ligne de la fameuse Nouvelle Politique
Industrielle.
L’économie arachidière est restée fortement aléatoire et stagnante avec la dégradation
des sols et la baisse de la productivité. Elle se solde aujourd’hui par une détérioration en
termes réels des prix entraînant un appauvrissement massif des paysans. La baisse de la rente
agricole qui en résulte n’est pas relayée par d’autres spéculations capables de générer des
revenus additionnels pour les producteurs ruraux et cela malgré les efforts louables de
promotion de nouvelles filières (horticulture, maïs). La pêche fortement fouettée par la
dévaluation amorce une phase déclinante faisant suite à plusieurs facteurs dont le repos
biologique suite à la surexploitation. L’élevage présente des caractéristiques lourdes de
conséquence : bas niveau de productivité, faible intégration à l’agriculture, imparfaite
organisation de la production et de la commercialisation. L’émergence d’une agriculture
performante capable de satisfaire la demande alimentaire et d’améliorer le pouvoir d’achat du
monde rural s’inscrit dans le long terme. De plus, pendant longtemps l’Eta a vécu de la rente
agricole et minière. Les prélèvements massifs opérés sur le travail de la paysannerie a
empêché la constitution pour cette couche sociale (et même pour la nation) d’une base
autonome d’accumulation qui l’aurait rendue plus productive et moins vulnérable. Le secteur
agricole occupe plus de 60% de la population mais fournit environ 20% du PIB et compte
plus de 70% des pauvres. La jeunesse paysanne est attirée vers la ville par l’illusion de
revenus stables et la nourriture à bon marché. Elle va gonfler les bidonvilles de plus en plus
explosifs.
L’industrie monopolaire continue de traîner de lourdes contraintes qui la rendent peu
compétitive et incapable d’aller vers la conquête des marchés extérieurs et de contribuer à
l’amélioration de la balance commerciale. L’économie minière et phosphatière ne produit pas
encore une rente substantielle et permanente pour élargir le fonds d’accumulation productive.
Le secteur tertiaire supérieur (tourisme, services et autres) se développe mais
n’engendre pas des surplus et des emplois à la fois permanents et importants. Quant au secteur
informel, il s’enfle démesurément en termes de contribution au PIB (plus de 50%) et de
création d’emplois. Tout étant une économie ingénieuse, elle demeure encore largement
inefficiente caractérisée qu’elle est par sa trop petite échelle, sa faible intensité capitalistique,
son inaptitude à manier des techniques et instruments de modernisation. Ce secteur en voie de
saturation progressive accueille une population hétérogène : produits de l’exode rural et
migrants de toute origine, déflatés du secteur privé et de l’administration victimes des
mesures de libéralisation, jeunes diplômés des universités, laissés-pour compte (rebuts) des
systèmes scolaires. Malgré les effets positifs d’intégration économique et de régulation
sociale, le secteur informel pose de sérieux problèmes à l’Etat (fiscalisation, formation et
organisation, insertion dans les circuits modernes et formels). Une politique publique dans ce
domaine sera longue à se dessiner à cause des fonctions sociales exorbitantes assumées.
Le secteur social soulève des problèmes difficiles avec l’aggravation du couple
chômage-pauvreté. Cette situation constitue les défis majeurs avec aujourd’hui la véritable
mondialisation du chômage (plus de 40 millions dans les pays développés) et l’africanisation
de la pauvreté. Pour gagner le pari de l’emploi et de la pauvreté, il faut réaliser sur une
période longue une croissance économique équitable et au taux le plus élevé possible. Cela
suppose l’édification d’une économie compétitive et performante. En attendant, que feront ces
jeunes ayant entrepris et réussi de brillantes études et qui sont par la suite voués au chômage,
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sans travail et sans avenir. Que fera cette jeunesse rurale chassée de la campagne parce que la
pauvreté urbaine est plus attrayante que la pauvreté rurale. Si tout ce monde continue de
désespérer, elle finira par exploser. La question est d’autant plus alarmante que le processus
d’appauvrissement et de précarisation s’accompagne d’un délitement de toutes les formes
modernes comme traditionnelles de protection sociale. Le modèle social de l’Etat-providence
et protecteur est condamné pour deux raisons majeures d’abord, les contribuables comme les
investisseurs exigent toujours moins d’impôts et moins de prélèvements obligatoires et ensuite
les citoyens (électeurs) demandent toujours plus de protection, plus de sécurité, d’assurance et
de services sociaux (toujours plus chers). Comment les politiques peuvent-ils sortir du
dilemme sans coûts électoraux énormes ?
A ces problèmes s’ajoutent ceux relatifs aux institutions comme l’édification d’un Etat
de droit qui observe la bonne gouvernance, lutte contre la corruption, se libère du
clientélisme, du corporatisme et de la bureaucratie et qui se rend capable d’insérer l’économie
dans la mondialisation, de redresser une situation sociale précaire, d’assurer la sécurité et la
stabilité. Jusqu’où peut aller sa bienveillance ? Comment le relégitimer et le rendre plus
actif ? Les réformes préconisées par la Banque mondiale ont été centrées sur la rationalisation
de l’administration, la redistribution des procédures et des fonctions dans le cadre d’un
processus de décentralisation et de restauration de règles favorables au secteur privé et à la
société civile. Or, le succès du modèle asiatique présenté comme la dernière référence tient
sur deux piliers : la maîtrise des « fondamentaux macroéconomiques » et l’édification d’un
Etat « pro » c’est-à-dire producteur, promoteur, programmeur et prospecteur. Comment
construire cet Etat professionnel au Sénégal en le débarrassant de tout patrimonialisme ?.
Concevoir des solutions radicalement nouvelles sur toutes ces questions et obtenir des
résultats ne peut se faire en peu de temps ; cela d’autant plus que nous sommes confrontés à
de puissantes forces économiques et financières que nous ne pouvons modifier qu’avec de
grandes difficultés. Il faut donc ménager des transitions et mobiliser toutes les énergies
créatrices, toutes les potentialités que compte la nation. Le Chef de l’Etat a clairement
exprimé sa vision tout en manifestant son ouverture. Les projets nationaux de grande
envergure (Nouvelle ville, transfert de l’Aéroport, ouverture de grandes autoroutes à péage,
rénovation du train etc.), le PLAN OMEGA puis le NEPAD sont quelques illustrations d’une
volonté d’offrir au Sénégal et à l’Afrique une grande ambition. Les enjeux sont considérables.
Bien sûr, quand un homme d’Etat pense à si long terme, il risque d’être freiné par le court
terme c’est-à-dire les « marmites» du présent ou le « ventre des peuples ». L’urgence de ces
problèmes et leur complexité constitueront alors le terreau commode pour une exploitation
politicienne ou la formation de nouvelles radicalités qui peuvent alors déstabiliser
l’économique et le politique et mettre en « stand-by » les investisseurs nationaux comme
étrangers. Cela nous éloignerait alors de l’intérêt général en compromettant la réalisation de
redressement économique et de recomposition du champ de spécialisation.
Dans la conjoncture actuelle, marquée par une remarquable stabilité politique et
sociale et un tableau de bord macroéconomique favorable, il convient de poser en des termes
nouveaux la question des voies et moyens de l’élargissement des forces sociales (celles des
partis, des syndicats comme de celles de la société civile) pour soutenir l’action du Chef de
l’Etat en vue d’accélérer la marche vers l’élévation du niveau des forces productives
matérielles et humaines et l’amélioration du bien-être des populations.
La classe politique avait un challenge historique à jouer pour elle et pour le pays afin
de contribuer à la réalisation de ce grand dessein national Elle a décliné l’offre de résoudre
tous les conflits par une culture de négociation à ériger en dogme. Les prétextes avancés sont
assez divers : manipulation, récupération, calculs stratégiques et politiciens. Que ces raisons
soient fondées ou non, les professionnels de la politique ont bouché le tuyau du dialogue qui
aurait pu être exemplaire pour la sous-région et le continent. Dans tous les cas la rénovation et
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la recomposition en profondeur de l’espace politique sont encore différées. Cependant, elles
sont inévitables. Il faut tirer les conséquences de ce refus et lancer le débat sur la formulation
et l’exécution d’un projet national. Ce sera extrêmement salutaire pour la vie politique qui est
figée et manque terriblement d’idées directrices et grande hauteur.
II- En l’absence d’un consensus avec la classe politique
poursuivre le débat citoyen pour un projet national
mobilisateur.
La réflexion sur un tel projet doit avoir pour base une analyse des principales
tendances au changement dans la société sénégalaise pour ensuite déboucher en des termes
nouveaux sur la question des voies et moyens de sa concrétisation.
Les questions soulevées doivent être débattues afin que l’opinion publique puisse
disposer d’une vision aussi objective que possible. L’économique doit déborder sur l’analyse
politique qui lui est subordonnée selon le principe : l’économique commande et le politique
suit. A ce niveau tout indique qu’une véritable refondation et une clarification du champ
politique est incontournable. Deux problèmes se posent aujourd’hui qui nécessitent une
recomposition du champ politique. Le premier est que l'alternance de mars était le résultat
d'un mouvement de rejet d’un système à bout de souffle mais elle n’a point été le moment
privilégier pour les Partis politiques de s’accorder sur un projet ou un choix de société capable
de rassembler durablement un grand nombre de sénégalais au-delà de leur inclination
idéologique. Le mouvement profond d'adhésion susceptible de permettre aux premiers
gouvernements d'engager des réformes de grande ampleur a été interrompu par l’immédiateté
des échéances électorales et les divergences apparues dans la gestion de l’action publique. Le
deuxième problème est que le plateau politique comporte une pléthore de partis environ
quatre vingt dont moins d’une dizaine accepte de se soumettre au verdict des urnes, les autres
se mettant confortablement à l’abri du contrôle populaire et réclamant, par presse interposée,
l’égalité des armes et de traitement. Cette situation conduit à s’interroger sur l’efficacité
démocratique de notre système politique et institutionnel. Les institutions n’ont de sens que si
elles servent des finalités au service du développement économique et social.
Dans un système démocratique, ces institutions sont adossées sur des formations
politiques qui regroupent des hommes et des femmes qui se dévouent à des causes communes.
Dans ce cas, la démocratie est à la fois représentative et participative, en conséquence, elle
doit mettre hors jeu et disqualifier tous ceux qui refusent de se soumettre au verdict des urnes.
Tous ces Partis sans programmes ni militants devront être éliminés. Leur envahissement
décrédibilise la politique et justifie le rôle grandissant des nombreuses organisations de la
société civile qui articulent et défendent des intérêts et des aspirations que, selon nombre de
citoyens, les politiques ne défendent plus, pas visiblement ou pas du tout. Souvent en
formulant leurs revendications, elles font preuve de créativité et d'un grand talent médiatique.
Il est souhaitable que les débats en cours débouchent, nous osons l’espérer, sur à la
fois l’assainissement et la clarification de l’espace politique : il s’agit de l’appel pour la tenue
des Assises de la Gauche et l’édification d’un Parti présidentiel que l’on classe déjà comme
libérale.. Les évolutions économiques (sous-développement et marginalisation), politiques
(jeunesse du système démocratique, écroulement des pays socialistes et des partis
communistes) et sociales (approfondissement du couple pauvreté-chômage) posent les
questions qui suivent : Les notions de Droite et de Gauche correspondent-elles encore à des
réalités politiques ? Existe-t-il en Afrique des identités propres à la droite et à la gauche qui
puissent s'exprimer en termes de politique économique, d'objectifs sociaux, de politique
extérieure ? N’existe-t-il pas une exigence forte de sortir du clivage gauche - droite pour
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trouver d'autres repères et proposer d'autres modalités d'engagement ? Le débat d’idées est
encore à ses débuts mais les premiers échangent semblent s’orienter vers l’amorce d’un
processus de recomposition de la gauche sénégalaise. Mais alors, comment caractériser les
démarches politiques qui, implicitement, s'affrontent ?
Il n'est pas très facile pour la gauche sénégalaise fortement éparpillée suite à de
longues et âpres luttes internes de se définir : en étant réaliste, on l'accusera d'abandonner ses
objectifs révolutionnaires de transformation de la société pour plus d’égalité et de justice
sociale et en gardant, même sous une forme atténuée et non virulente, certaine vision
volontariste révolutionnaire, elle sera taxée d’être plus soucieuse du rêve que de la réalité.
Ayant été associés, sous les deux régimes, à l’exercice du pouvoir, certains de ses
responsables comprennent le fossé entre l'attitude protestataire et la gestion concrète des
affaires publiques. Comment dès lors redonner corps à une doctrine de gauche qui puisse
entraîner l’adhésion des masses populaires ? La solution des problèmes économiques et
financiers, aujourd’hui, passe pêle-mêle par le libéralisme économique, l’acceptation de la
concurrence au sein de tous les services, la décentralisation, la reconnaissance accrue de
l'autonomie du droit, l’acceptation de transferts étendus de pouvoirs vers des organisations
d’intégration. Cela signifie que l'État accomplit ses missions régaliennes (sécurité, stabilité,
amortissement des risques etc.), remplisse jusqu'au bout ses fonctions sociales (assurer la
santé, l’éducation, la répartition des revenus et la justice sociale, la recherche–développement
etc.) et assure l'indivisibilité de la République. Cela implique que l'État soit simultanément
plus libéral et plus fort, plus transparent et davantage contrôlé et mieux capable d'agir sur les
divers
marchés.
Si la Gauche ne parvient pas à construire cette nouvelle posture, elle sera électoralement
groupusculaire et ne pourra point peser dans les décisions politiques. En d’autres termes,
pour être dans le jeu, il lui faut ne point laisser le libéralisme aux libéraux. Les expériences en
Europe et en Amérique Latine confirment largement que la gauche gagne, quand elle se
« libéralise » ou « se droitisé », ou lorsque les divisions de ses adversaires lui offrent des
victoires comme par défaut - les deux explications n'étant évidemment pas incompatibles.
Cela explique que la gauche gouvernementale est rassurante et apaisante. L'espace politique,
en effet, n'est ni isotope, ni isochrone. La conclusion est que la ligne de séparation entre le
libéralisme et la gauche reste floue. Pourtant, le combat des idées ne doit pas être ravalé au
rang des vieilles lunes.
L’autre volet important est l’urgente nécessité de construire un Parti présidentiel fort
autour des idées d’un libéralisme social capable de réconcilier économie de marché,
efficacité et équité. Les écrits du Professeur Abdoulaye Wade sur le keynésianisme, les
politiques de croissance et le rôle de l’Etat donnent des indications sur ce que pourrait être le
contenu idéologique d’un PDS rénové capable de s’organiser comme un véritable Parti de
masse. La démarche de conquête du pouvoir est une chose et celle de sa conservation en est
une autre. Le système politique présidentiel a besoin d’une formation politique forte. Le
nanisme de cette dernière est source de d’instabilité et de fragilisation du Président lui-même.
Les débats qui agitent la classe politique sont extrêmement salutaires et porteurs de
belles perspectives d’une refondation ou d’une recomposition garante de la stabilité et de la
paix civile sans laquelle tout progrès économique et illusoire.
Que conclure de cette analyse ? La première conclusion est que la mondialisation
submerge et exclut tous les inorganisés, tous les acteurs instables et précaires. C’est un
mouvement irréversible. La seconde conclusion est qu’il ne sert à rien de ramer à contre
courant. Le libéralisme n’est plus aujourd’hui une doctrine mais une donnée qu’il faut intégrer
dans la conduite des politiques économiques. C’est un important point de convergence pour
travailler ensemble. Tout en respectant la démocratie représentative. Il est clair que la
poursuite de l’ajustement déflationniste mené depuis 1979 est absolument sans issue. Même
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en renouant avec la croissance suite à la dévaluation, l’économie restera fragile quelles que
soient la compétence et l’habileté des décideurs. Seule une sortie de ce programme serait
susceptible d’ouvrir de nouvelles perspectives à l’économie nationale pour réduire le couple
infernal chômage et pauvreté. La reconversion des Institutions Internationales de l’ajustement
à la lutte contre la pauvreté est symptomatique d’une nouvelle orientation en matière de
stratégie de développement durable. Cette réorientation qui a conduit à la constitution de
nouveaux programmes ( DSRP pour la Banque mondiale et le FMI, Objectifs du Millénaires
du PNUD, Avantages préférentiels de l’Union Européennes, Plan d’Action pour l’Afrique du
G8, NEPAD, nouveaux engagements des bailleurs de fonds bilatéraux, formation d’une
citoyenneté internationale combative : Altermondialisation, ATTAC, ONG etc.)ouvre des
chances inestimables pour le développement et la ccroissance. Ne pourront bénéficier de ces
nouvelle possibilités que les Etats qui respectent deux préalables ou conditionnalités :
l’instauration de la stabilité et de la paix et le respect des règles de bonne gouvernance
politique et économique. En plus, ces Etats devront avoir une vision structurée dans une
stratégie cohérente de développement économique et social
Dans ce contexte, le succès du programme économique préconisé par le Chef de l’Etat
dépendra de sa capacité à créer une cohésion sociale et des supports politiques pour mobiliser
et libérer toutes les initiatives créatrices, individuelles et collectives. Ces conditions sont les
seules à même de mettre le pays au travail. Cela n’est possible que si les acteurs du jeu
politique ont également un sens élevé de l’Etat. Qu’il s’agisse des politiciens professionnels,
des acteurs du secteur privé et de la société civile, des syndicats, des savants, des
techniciens, des journalistes, des juristes, des artistes, des chercheurs bref, de tous ceux qui
exercent une fonction sociale différenciée. Telle est la seule voie de salut, en dehors les
chemins ne mèneront qu’au désordre et au chaos. Si on le comprend ainsi, on économisera
beaucoup de salive dans les discours et beaucoup d’erreurs dans l’action politique. Il est
temps que les politiques cessent de somnoler à l’ombre des baobabs du passé pour accepter
de vivre à l’heure de la planète.
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