Partie VIII. Apprentissage et mémoire : plasticité des synapses et
des circuits adultes
Chapitre VIII.1 Mémoire déclarative et mémoire non déclarative
DIFFÉRENTS TYPES DE MÉMOIRE ET D'AMNÉSIE
Pour prendre une définition simple. l'apprentissage est l'acquisition de nouvelles informations
ou connaissances, et la mémoire correspond à la rétention de l'information acquise. Tout au
long de sa vie, on apprend et mémorise beaucoup de choses différentes, et il faut souligner
que toutes ces choses ne sont probablement pas traitées et stockées par les mêmes processus
neuronaux. Assurément, 1'apprentissage n' implique pas une seule structure du cerveau ou un
seul mécanisme cellulaire. De plus, le processus de stockage d'informations particulières peut
varier à tout moment.
Mémoire déclarative et mémoire non déclarative
Les psychologues se sont beaucoup intéressés à l'apprentissage et à la mémoire. Ces études
extensives ont permis d'établir une distinction entre différents types de mémoire: il y a ainsi
plusieurs façons de distinguer les différentes catégories de mémoire, L'une des manières
classiques de procéder est de distinguer la mémoire déclarative de la mémoire non
déclarative. Au cours de la vie, on apprend toute une série de faits - par exemple que Namur
est la capitale de la Wallonie; ou que l'entrée d'ions Na+ dans une cellule a un effet
dépolarisant. Les souvenirs des événements de la vie sont aussi stockés - par exemple: «J'ai
mangé des céréales au petit déjeuner» ou "Hier, le cours de génétique était très ennuyeux".
Ainsi considère-t-on que le stockage des faits et des événements fait appel à la mémoire
déclarative. (Fig. 23.1). La mémoire déclarative est à considérer dans le sens que nous
donnons en général au mot "mémoire" au quotidien. Néanmoins, nous nous souvenons de
bien d'autres choses. Ces mémoires dites non déclaratives se répartissent en deux catégories.
Le type le plus commun est ce que l'on appelle la mémoire procédurale ou mémoire des
habilités motrices et, plus généralement, des comportements. On apprend par exemple à jouer
du piano, à lancer une balle ou à nouer ses chaussures et ce type d'information est stocké
quelque part dans le cerveau.
Généralement, la mémoire déclarative est disponible pour un rappel conscient, ce qui n'est pas
le cas de la mémoire non déclarative. Les tâches que nous apprenons et les réflexes ou les
associations que nous formons nécessitent cependant une certaine forme de conscience. Selon
le dicton, on n'oublie pas une fois que l'on a appris à rouler à vélo. On peut ne pas se rappeler
quand on a fait du vélo pour la première fois (référence à la mémoire déclarative) mais le
cerveau a retenu comment on en fait (référence à la mémoire procédurale). La mémoire non
déclarative est aussi fréquemment dénommée mémoire implicite, parce qu'elle résulte de
l'expérience. De même, la mémoire déclarative est appelée mémoire explicite parce qu'elle
nécessite des efforts conscients.
Figure 23.1 Différents types de mémoire déclarative et non déclarative.
Il existe une autre différence entre les deux processus: les souvenirs de la mémoire déclarative
se forment souvent facilement et disparaissent tout aussi facilement alors que les souvenirs
liés à la mémoire procédurale se forment après un temps d'apprentissage émaillé de
nombreuses répétitions, mais ils sont moins susceptibles de disparaître. C'est la différence
entre se souvenir des capitales des pays étrangers et apprendre à faire du ski. La mémoire
déclarative correspond généralement à ce que l'on appelle «souvenir» dans le langage courant,
alors que la mémoire procédurale est plus proche de 1'"habitude" ou de l'habileté acquises.
Mémoire à court terme et mémoire à long terme
Les mémoires à long terme sont celles dont vous pouvez vous souvenir des jours, des mois,
voire des années après leur acquisition. Néanmoins, toutes les informations ne font pas l'objet
d'un stockage à long terme. Par exemple, qu'avez-vous pris lors de votre dernier repas hier au
soir? Il est vraisemblable que vous n'aurez aucune difficulté pour répondre à cette question.
Mais, qu'en est-il d'un dîner de la semaine dernière'? Dans ce cas, les chances de répondre
correctement sont bien moindres. Cet exemple nous montre qu'il est utile de distinguer
mémoire à court terme (qui correspond au dîner d'hier) et mémoire à long terme. Les
mémoires à court terme sont de l'ordre de quelques secondes à quelques heures et sont
relativement labiles. Par exemple, elles peuvent être «effacées» à la suite d'un traumatisme
crânien ou même d'un traitement électroconvulsif appliqué dans le cas de certaines maladies
mentales, alors que les mêmes événements n'affectent pas les mémoires à long terme (par
exemple les souvenirs liés à l'enfance). Ces observations ont conduit à l'idée que les mémoires
font d'abord l'objet d'un processus de stockage à court terme, puis qu'elles sont graduellement
transformées en une forme plus permanente de mémoire selon un processus que l'on
dénomme consolidation mnésique. Cependant, la consolidation mnésique ne nécessite pas
absolument un passage par l'état de mémoire à court terme, qui n'est pas un intermédiaire
obligatoire pour une mémorisation à long terme. De fait, les deux types de mémoires sont
susceptibles d'exister en parallèle (Fig. 23.2).
Figure 23.2
Mémoire à court terme et mémoire à long terme. L'information sensorielle peut être
temporairement retenue sous forme de mémoire à court terme, mais une rétention
d'information plus permanente sous forme de mémoire à long terme nécessite une phase de
consolidation. (a) L'information peut être consolidée directement à partir de la mémoire à
court terme. (b) Alternativement, le traitement de l'information nécessaire à sa consolidation
pourrait intervenir de façon séparée des processus à court terme.
La mémoire à court terme nécessite souvent de maintenir les informations disponibles à
l'esprit. Par exemple, quand quelqu'un vous donne son numéro de téléphone, vous pouvez le
retenir quelques instants, notamment en vous répétant ce numéro. Toutefois, si le numéro de
téléphone est trop long, par exemple parce qu'il réfère en plus à l'identification d'un pays
étranger qui ne vous est pas familier, vous pouvez avoir beaucoup plus de difficultés à le
retenir. La mémoire à court terme est souvent étudiée en mesurant pour un individu le nombre
de caractères qu'il peut retenir dans ce contexte, apprécié par le nombre maximal de chiffres
délivrés au hasard qu'il peut restituer après avoir entendu une liste de ces chiffres. Dans ce
cas, la capacité normale est de 7 chiffres plus ou moins 2 chiffres.
Curieusement, on a observé que des patients atteints de lésions corticales conservent une
mémoire à court terme normale pour les informations en rapport avec une modalité sensorielle
donnée (par exemple, comme des sujets normaux, ils peuvent se rappeler le même nombre de
chiffres après les avoir vus écrits), mais ils présentent un profond déficit de la mémoire à
court terme si les informations ont une autre origine sensorielle (par exemple, ils ne peuvent
se rappeler que d'un seul chiffre après les avoir entendus). Ces cas confortent l'idée de
plusieurs sites de stockage temporaire dans le cerveau.
Amnésie
Dans la vie quotidienne, l'oubli est un fait aussi courant que J'apprentissage. C est normal et
inévitable. Cependant quelques maladies et certaines lésions du cerveau entraînent une sévère
perte de mémoire et/ou de l'aptitude à apprendre dénommée amnésie. Les chocs, l'éthylisme
chronique, certaines encéphalites, les tumeurs cérébrales et les accidents vasculaires
cérébraux peuvent interférer avec les processus mnésiques. L'amnésie est le sujet de
nombreux films, dans lesquels une personne ayant subi un grave traumatisme se réveille le
lendemain sans pouvoir dire qui elle est, ni se rappeler les événements passés. Ce type
d'amnésie totale du passé est en fait très exceptionnel. Les traumatismes provoquent plus
fréquemment une amnésie limitée, accompagnée d'autres déficits sans rapport avec la
mémorisation. Si l'amnésie n'est pas associée à d'autres troubles cognitifs, elle est dite
amnésie dissociée (les troubles de mémoire sont dissociés d'autres déficits), En fait ces cas
d'amnésie dissociée sont particulière¬ment intéressants en raison de la relation qui peut alors
être faite entre les troubles de la mémoire et les lésions cérébrales.
La perte de mémoire qui suit un traumatisme cérébral peut classiquement se manifester de
deux façons: elle peut impliquer soit une amnésie rétrograde, soit une amnésie antérograde
(Fig. 23.3). L'amnésie rétrograde est la perte de souvenirs anciens, acquis avant le
traumatisme. En d'autres termes, le sujet oublie les choses qu'il savait déjà. Les cas les plus
sévères peuvent présenter une amnésie totale de tous les souvenirs relatifs à la mémoire
déclarative, acquis avant le traumatisme. Plus souvent, l'amnésie rétrograde présente un
tableau dans lequel les événements des mois ou des années antérieurs au traumatisme sont
oubliés, mais la mémoire des événements plus anciens est beaucoup mieux préservée.
L'amnésie antérograde est très différente et correspond à l'incapacité de retenir de nouveaux
souvenirs, après le traumatisme. Dans les formes sévères d'amnésie antérograde, l'individu est
parfois incapable d'apprendre quoi que ce soit de nouveau, et dans les formes moins sévères,
l'apprentissage est plus lent et la tâche doit être répétée plus souvent. Les cas cliniques
présentent souvent un mélange d'amnésie antérograde et rétrograde, avec différents degrés de
gravité.
Figure 23.3 Amnésie provoquée par un traumatisme cérébral. (a)
Dans le cadre de l'amnésie rétrograde, les événements qui se sont
déroulés pendant la période ayant précédé le traumatisme sont
oubliés, mais les souvenirs£plus anciens sont préservés. (b) Dans le
cas de l'amnésie antérograde, les événements qui ont précédé le
traumatisme sont conservés, mais le sujet n'est plus capable de se
souvenir de ceux qui ont suivi le traumatisme
À LA RECHERCHE DE L'ENGRAMME
Après avoir étudié les différents types de mémoire, voyons quelles sont les parties du
cerveau concernées par le stockage des souvenirs. La représentation physique ou lieu de la
mémoire s'appelle l'engramme, connu aussi sous le nom de trace mnésique. Quand on
apprend le sens d'un mot dans une langue étrangère, l'information est-elle conservée -
se trouve l'engramme'? La technique la plus souvent utilisée pour tenter de répondre à ce type
de question est la méthode des lésions expérimentales introduite au siècle dernier par Pierre
Flourens (voir chapitre 1).
Les travaux de Lashley: l'apprentissage du rat dans le labyrinthe
Dans les années vingt, le psychologue américain Karl Lashley effectua des expériences sur
le rat pour étudier les conséquences de lésions cérébrales sur l'apprentissage. Avec une bonne
connaissance de l'organisation cytoarchitectonique du néocortex, Lashley entreprit ses
travaux pour déterminer si les engrammes se trouvaient dans des aires associatives
particulières du cortex comme on le pensait à cette époque. Dans une expérience maintenant
très classique, il apprit au rat à retrouver son chemin dans un labyrinthe, en le récompensant
avec de la nourriture (Fig. 23.4a). Au début, il fallait du temps pour que le rat trouve la
nourriture car il s'engageait dans des allées sans issue et devait faire demi-tour. Après avoir
fait tour du labyrinthe plusieurs fois, le rat apprenait à éviter les impasses, et allait
directement vers la nourriture. Lashley se demandait dans quelle mesure l'aptitude à effectuer
cette tâche serait affectée si on provoquait une lésion en un point quelconque du cortex du rat
(Fig. 23.4b). Il découvrit que si les lésions étaient pratiquées avant la période d'apprentissage,
les rats parcouraient le labyrinthe pendant plus longtemps avant d'éviter les impasses. Il
semblait que les lésions interféraient avec leur aptitude à apprendre. Dans un autre groupe de
rats, la lésion intervenait après que les animaux aient appris à parcourir le labyrinthe: dans ce
cas, les rats se trompaient et s'engageaient dans les impasses qu'ils avaient pourtant appris à
éviter. La lésion affectait ou détruisait les processus mnésiques permettant de trouver la
nourriture. Lashley découvrit aussi qu'il existait une corrélation entre la sévérité des déficits
Figure 23.4 Effets d'une lésion corticale chez le rat sur le test du labyrinthe. (a) Le rat est
entraîné à courir un labyrinthe, sans pénétrer dans les allées sans issue. (b) Les schémas
illustrent trois types de lésions corticales délimitées en bleu, jaune et rouge. (c) Les erreurs
de parcours sont directement proportionnelles à la surface de cortex lésé. Le nombre
d'erreurs est représenté sous forme d'un histogramme cumulé, suggérant que les rats
présentant les lésions les plus importantes ont des difficultés à se souvenir des branches du
labyrinthe qui sont sans issue. (Source: d'après Lashley, 1929)
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