Tous deux découlent de l'évolution des sociétés qui rend les individus de plus en plus
indépendants de la pression de la collectivité.
Cela est vrai notamment du suicide anomique : des augmentations du taux de ce type de
suicide s'observent par exemple en période de boom économique, lorsque les ambitions et les
aspirations des individus ne se trouvent plus bornées par des limites relativement précises
mais s'ouvrent sur des perspectives indéfinies : ce résultat dérive ici encore, selon Durkheim,
de ce que l'apparente liberté qui en résulte, en supprimant les bornes dans lesquelles sont
contenus les appétits sexuels, conduit en fait l'individu à l'insatisfaction.
L'étude du suicide égoïste définit l’individu qui ne pense qu’à lui-même et qui est proie à ses
désirs infinis : ils ne retrouvent pas l’équilibre par l’extérieur. C'est le suicide de l'homme
dont la conduite n'est pas guidée de l'extérieur par les normes et les pressions sociales, mais
de l'intérieur par les règles qu'il se donne lui-même.
Les rapports entre suicide égoïste et suicide anomique sont nombreux. Les deux types de
suicide conduisent à constater l'importance des pressions sociales et du poids de la collectivité
sur le comportement individuel : si ces pressions se relâchent trop, ce dernier devient
erratique et peut aller jusqu'au désespoir.
« Les formes élémentaires de la vie religieuse » - 1913 -
L'intérêt de Durkheim pour l'analyse des phénomènes religieux est ancien puisqu'il publie
dès 1899, dans L'Année sociologique, une étude sur « La Définition des phénomènes
religieux » et de nombreux comptes rendus sur des ouvrages de sociologie religieuse.
Personnellement athée, convaincu que le rôle de la religion traditionnelle devait s'affaiblir
avec le progrès scientifique et persuadé cependant de l'importance des croyances collectives
pour la vie des sociétés, il était naturel qu'il s'intéressât à la sociologie des phénomènes
religieux.
La religion est conçue par Durkheim comme un phénomène qui, par-delà ses
manifestations particulières, est d'essence universelle. Pour en saisir la nature, il choisit donc
d'analyser la forme de religion qui, dans la perspective évolutive qu'il a héritée de Spencer et
de Comte, lui paraît la plus simple, à savoir le totémisme australien, conçu comme « forme
élémentaire de la vie religieuse ». Il est alors conduit à définir la religion : si on la définit par
la croyance en un dieu transcendant ou par la croyance au surnaturel, la religion cesse d'être
un phénomène universel, car il existe de nombreuses religions qui n'impliquent ni dieu
transcendant ni croyance en des forces surnaturelles. La religion est une effervescence
sociale, le croyant considère comme véritable sa vision du monde et juge efficaces ses
pratiques rituelles : la foi est liée à la raison.
Cette essence du fait religieux, Durkheim la trouve dans l'opposition entre sacré et profane,
commune à tous les systèmes religieux : « Une religion est un système solidaire de croyance
et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites ». Si l'on accepte
de voir dans le totem le symbole d'une force impersonnelle extérieure à l'individu, le
totémisme devient une expression particulière du sacré, qui définit toute religion. La force
impersonnelle dont le totem est le symbole se retrouve chez les Mélanésiens sous le nom de
mana à savoir une « force anonyme et diffuse dont nous découvrions tout à l'heure le germe
dans le totémisme australien ». Il s'agit alors d'expliquer pourquoi les sociétés sont conduites
à concevoir cette force anonyme et diffuse dont elles considèrent les symboles comme sacrés.
Pour Durkheim, une seule interprétation est possible, car la seule force réelle qui dépasse les