Table des matières
Introduction ..................................................................................................................... 2
I LA THEORIE : de grandes espérances............................................................................. 2
A. De la CEE au Marché unique et à l’UEM : les étapes de l’intégration économique en
Europe ................................................................................................................................................................................... 2
B. Les effets possibles de cette intégration sur la croissance européenne ................................... 3
Selon le modèle de Balassa ................................................................................................................................................ 3
Selon le modèle de Solow .................................................................................................................................................... 4
Selon les théories de la croissance endogène ............................................................................................................ 4
II LA PRATIQUE : « real life is rarely so simple » .............................................................. 5
A. Les effets escomptés du Marché unique : « big numbers » et rapport Cecchini (1988) ....... 5
B. Les effets réels du Marché unique .................................................................................................................... 6
Conclusion ........................................................................................................................ 7
Bibliographie .................................................................................................................... 9
Annexe : chronologie de l’intégration économique européenne (en anglais) ................... 10
DISSERTATION D’ÉCONOMIE
Le Marché unique est-il vecteur de croissance ?
par Alexandre Mirlesse
(conférence de macroéconomie de Fabrice BITTNER, avril 2009)
Alexandre MIRLESSE conf. de F. Bittner Le Marché unique est-il vecteur de croissance ?
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Introduction
Pour l’Union européenne, l’année 2007 fut celle du bilan, cinquante ans après le
Traité de Rome et quinze ans après la mise en place du Marché unique. Compte
tenu de l’échec du traité constitutionnel, qui marque un coup d’arrêt dans la
dynamique d’intégration politique, c’est sur le terrain économique que ce bilan
semble le plus positif : du Traité de Rome à l’Union économique et monétaire, la
taille et le degré d’intégration du marché commun européen n’ont cessé
d’augmenter, ce processus coïncidant avec une expansion continue de l’économie
européenne. Mais si la corrélation entre intégration européenne et développement
économique ne fait pas de doute, faut-il y voir un lien de causalité ? En d’autres
termes, le marché unique est-il vecteur de croissance ? Tel est naturellement l’avis
de la Commission, qui publiait en 2007 une brochure sur les bienfaits économiques
de l’intégration :
Ces affirmations, qui appartiennent à la vulgate des institutions européennes, ne sont
pourtant pas sans soulever plusieurs problèmes du point de vue de la théorie
économique. Le premier est d’ordre méthodologique : comment a-t-on calculé ce
chiffre de 2% ? Plus précisément, comment peut-on évaluer, ceteris paribus, l’effet
de l’intégration économique de l’UE qui est une variable endogène - sur son taux
de croissance ? Deuxièmement, si cet effet est avéré, à quoi est ? Quels sont les
mécanismes et les canaux de transmission par lesquels le marché unique stimule la
croissance de l’UE ? Enfin, cet effet est-il statique ou dynamique ? La politique
d’intégration économique a-t-elle entraîné un simple « bonus » ponctuel de
croissance, limité aux années de la mise en place du marché unique, comme le
voudrait la théorie néoclassique de Solow ? Ou a-t-elle aussi permis l’accélération
des gains de productivité, et donc des taux de croissance à moyen et long terme,
conformément aux théories de la croissance endogène ?
I LA THEORIE : de grandes espérances
A. De la CEE au Marché unique et à l’UEM : les étapes de
l’intégration économique en Europe
Dans son ouvrage de 1963, A Theory of Economic Integration, l’économiste hongrois
Béla Balassa distingue six étapes successives d’intégration économique
transnationale : le partenariat commercial privilégié, l’accord de libre-échange, l’union
douanière, le marché commun, l’union économique et monétaire et enfin l’union
économique complète. Formellement, la Communauté économique européenne
fondée par les six États signataires du Traité de Rome (1957) appartenait à la
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quatrième catégorie : l’abolition de toutes les barrières douanières (réalisé en 1968),
l’établissement d’un tarif extérieur commun et l’harmonisation progressive des
normes et standards devait permettre l’unification graduelle des marchés des États-
membres. Cependant, à la fin des années 1960, la communauté économique ainsi
créée s’apparentait plutôt à une union douanière, le maintien d’importantes
« barrières non-tarifaires » (principalement réglementaires) empêchant la formation
d’un marché unique. La crise consécutive au choc pétrolier eut pour effet de
renforcer le protectionnisme déguisé des Etats-membres, qui atteignit son
paroxysme pendant les années dites d’ « eurosclérose » (1974-1983).
Ce n’est qu’avec la « relance » impulsée dès le milieu des années 1980 par le
président de la Commission de l’époque, Jacques Delors, que vit le jour un projet
visant à abolir toutes les barrières non tarifaires entre membres de la CEE. Entériné
par l’Acte Unique, adopté en 1986, ce projet tendait à l’achèvement du marché
unique, c’est-à-dire d’un « espace sans frontières intérieures dans lequel la libre
circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est
assurée selon les dispositions du traité », avant 1er janvier 1993. Pour ce faire, les
gouvernements et les institutions européennes ont déployé une intense activité
législative permettant de supprimer les barrières physiques, techniques et fiscales
qui entravaient sa réalisation. Ces réformes permirent la néralisation du principe
de reconnaissance mutuelle des normes nationales, l’ouverture à la concurrence de
marchés nationaux dans des secteurs jusque-là très protégés (transports aériens et
télécommunications notamment) et de nombreuses mesures de dérégulation. Ce
marché unique s’étend en 1995, 2004 et 2007, au fil des élargissements de l’UE ; il
s’approfondit également par la création de l’union économique et monétaire, décidée
à Maastricht en 1992, qui fait accéder l’Eurozone à la cinquième étape de
l’intégration économique au sens de Balassa, en faisant la zone multinationale la
plus intégrée au monde.
B. Les effets possibles de cette intégration sur la croissance
européenne
Selon le modèle de Balassa
Ce modèle, élaboré bien avant la mise en place du Marché unique et en l’absence
d’études empiriques s’intéresse essentiellement aux effets de l’intégration
économique sur le commerce, et non sur la croissance. Selon Balassa, le Marché
unique aurait dû entraîner deux types d’effets :
- des effets statiques, à court terme, résultant de l’augmentation du commerce
intracommunautaire
- des effets dynamiques, à moyen et long terme, résultant des économies
d’échelles, d’une plus grande efficience des entreprises, de la concurrence
accrue, et de la spécialisation sectorielle plus poussée en fonction des
avantages comparatifs de chaque pays-membre.
A supposer qu’ils se vérifient, ces effets sont-ils porteurs de croissance ? Pour le
savoir, il faut analyser quels sont les déterminants de la croissance économique, et
voir lesquels sont susceptibles d’être affectés par l’un des effets de l’intégration
européenne. Nous le ferons en nous fondant sur les deux principaux modèles
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explicatifs de la croissance économique développés après-guerre : le modèle
néoclassique de Solow, et les théories de la croissance endogène.
Selon le modèle de Solow
Les théories de Solow, publiées pour la première fois en 1956, sont quasi
contemporaines de la création de la CEE. Dans son modèle, La croissance est
équilibrée lorsque le rapport entre la propension marginale à épargner (s) et le
coefficient de capital (v) est égal à la croissance de la population active :
s/v = n.
Les déterminants de la croissance sont au nombre de trois :
- la propension marginale à épargner (s), supposée égale au taux
d’investissement ;
- le taux de croissance de la population (n) ;
- le taux de progrès technique (t), égal au taux de croissance de la productivité
du travail et considéré comme exogène
Le lien entre intégration économique européenne et croissance de la population
n’étant pas pertinent, c’est donc essentiellement sur (v) que peut agir le processus
d’intégration. Mais si ce phénomène a pu se produire dans les premières années de
la construction européenne (la réconciliation entre pays européens a sans nul doute
eu un effet « rassurant » pour les épargnants), il perd de son importance avec le
retour de l’Europe à la prospérité. De plus, cet effet n’a pu provoquer une hausse de
la croissance qu’à court terme, une hausse de (s) toutes choses égales par ailleurs
entrainant mécaniquement une substitution de capital au travail, donc une hausse de
(v) et un retour à l’équilibre.
Selon les théories de la croissance endogène
Les théories de la croissance endogène qui viennent amender ce modèle dans les
décennies suivantes nous permettent de formuler de nouvelles hypothèses. En
assouplissant les hypothèses de concurrence pure et parfaite et en faisant du
progrès technique une variable endogène, elles introduisent une nouvelle série de
déterminants de la croissance et notamment les facteurs institutionnels et les
facteurs de progrès technique, les évolutions institutionnelles. Parmi ces facteurs, il
en est plusieurs qui est susceptible d’avoir été fortement influencés par l’intégration
européenne :
- le taux de croissance des exportations, dont l’économiste suédois du
développement Gunnar Myrdal a montré l’influence sur l’innovation. En
encourageant le commerce intracommunautaire, le marché unique pourrait
entrainer un cercle vertueux les innovations technologiques en cascade
entraineraient une accélération de la croissance de la productivité, des
bénéfices plus importants, favorisant ainsi l’augmentation de l’investissement
et donc accélérant la croissance à long terme.
- L’effet d’imitation, qui pousserait les pays dotés d’institutions peu
performantes à les aligner sur les standards des pays les plus efficaces ; au
niveau des entreprises, la mise en concurrence de modes d’organisation très
différents devait aussi entrainer une sélection et un alignement sur les best
practices.
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Si l’on combine ces deux modèles, il ressort que le marché unique aurait pu
influencer positivement la croissance européenne en agissant sur plusieurs de ses
déterminants potentiels : l’épargne, l’investissement, les exportations, les facteurs de
progrès technique et les améliorations institutionnelles ou organisationnelles.
Le test « grandeur nature » que constitue la mise en place du Marché unique sur les
deux dernières décennies offre pour la première fois aux théoriciens de l’intégration
économique et monétaire l’occasion de vérifier ces hypothèses et, partant, de mettre
en question la validité des théories de la croissance dont elles découlent.
II LA PRATIQUE : « real life is rarely so simple »
A. Les effets attendus du Marché unique : « big numbers » et
rapport Cecchini (1988)
La mise en place des dispositions de l’Objectif 92 visant à établir le Marché unique a
été largement pilotée par des économistes de la Commission. Pour convaincre les
gouvernements nationaux de renoncer à la protection non tarifaire de leurs marchés,
un comité d’experts s’attela dès la signature de l’Acte unique (1986) à la rédaction
d’un rapport de prospective
1
, présentant sous un jour très favorable les effets
escomptés de l’Acte unique. Ces effets furent calculés selon une méthode hybride de
simulation micro et macroéconomique, fondée sur un postulat discutable : les
bénéfices à attendre du Marché unique étaient considérés comme égaux aux « coûts
de la non-Europe » à l’aube de sa création.
Commentant le rapport Cecchini, J. Waelbrock écrit à ce sujet :
« La Commission a cherché à évaluer les potentiels effets du Marché unique
sur la croissance, et non sur le commerce, comme le faisait la théorie de
l’intégration économique existante. Ils s’attendaient à quatre types d’effets :
- une importante réduction des coûts (économies d’échelles)
- une efficience accrue dans les entreprises, résultant de l’intensification de la
concurrence
- des ajustements sectoriels renforçant les avantages comparatifs de chacun
sur le marché intégré
- un flot d’innovations, de nouvelles procédures et de nouveaux produits,
stimulés par les dynamiques du marché intérieur »
Soucieuse de marquer les esprits avec un « gros chiffre » a big number », écrit
Waelbrock), le comité Cecchini finit par situer le surplus de croissance escompté sur
10 ans dans une fourchette de 2,5% à 6,5%. En plus de ce gain ponctuel, affirmait le
rapport, la hausse des revenus, de l’épargne et de l’investissement entrainerait une
accélération permanente de la croissance comprise entre un quart et trois quarts de
points par an. Dans les deux cas, l’hypothèse basse correspondait à un scénario
1
EMERSON, Michael, The economics of 1992: The E.C. commission's assessment of the economic
effects of completing the internal market, Oxford University Press, 1988
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