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(Deuxième partie)
L’existentialisme en quatre temps : précurseurs,
fondateurs, intégrateurs et successeurs
L’existentialisme représente un tournant majeur dans l’histoire de la pensée occidentale.
Largement inspiré par l’idéalisme allemand (Fichte, Scheller, Schelling), le courant prend son envol au
tournant de la Révolution française. Il passe à travers une longue gestation et plusieurs pauses avant
d’émerger dans toute sa splendeur. Un nombre impressionnant d’auteurs et de créateurs en tout genre y
sont associés.
Le mot « existence », dans le sens moderne de « réalité vécue », apparaît pour la première fois
chez Schelling qui oppose la philosophie « négative » celle de la pensée pure, à la philosophie
« positive » de l’« existence ». Quant au terme d’ «existentialisme», on en attribue la paternité à Jaspers
qui l’emploie pour la première fois en 1937, mais à l’occasion d’une mise en garde : « L’existentialisme
est la mort de la philosophie de l’existence », dit-il, pour signifier que cette manière de voir se montre
réfractaire à toute conceptualisation et qu’il faut l’en préserver. À ses yeux l’existence reste et doit rester
rebelle à sa saisie théorique. Voilà qui donne déjà le ton. Par la suite, le terme a surtout été appliqué au
courant français, qui n’a jamais pour autant renié sa généalogie allemande. Certains prétendent que,
rebelle à la philosophie même, cette philosophie s’est presque tout entière déployée, et un peu enfermée,
dans ce paradoxe d’opposition. Comment « penser » ce qui par définition se dérobe à toute abstraction et
à toute universalisation?
Il s’agit, comme son nom le dit, d’un courant philosophique pour qui l’existence joue un rôle de
premier plan. Mais par opposition à quoi? La « philosophie de l’existence » est d’abord l’expression
d’une lassitude envers les « essences ». Son ressort est le rejet de la métaphysique traditionnelle, de son
goût prononcé pour l’absolu et de sa vaine quête du principe unique de toute chose. Donc rejet des
valeurs éternelles, suprêmes, immuables telles que la Vérité, l’Être, le souverain Bien, etc., au profit de
la réalité humaine telle qu’elle est vécue et ressentie. Comme dit Arendt, il s’agit pour les « penseurs de
l’existence » d’affranchir ce monde du fantôme de l’Être (Certains, comme Hegel ou Heidegger se
montreront rebelles aux rebelles).
Renvoyant dos à dos l’idéalisme et le matérialisme d’antan pour décrire le réel, ce courant, issu
de Kant, qui n’entend plus s’intéresser à l’Être, met en avant la seule expérience d’exister comme
humain. On disait autrefois que l’homme se distinguait de l’animal par la raison, les existentialistes
préfèrent dire qu’il se distingue des choses par la conscience. Il déclare que l’ «existentia» n’a plus rien
à voir avec l’«essentia», s’intéressant à la réalité des choses plutôt qu’à leur nature. Entrant de plain-pied
dans le monde subjectif de l’expérience, cette pensée se détournera également de la science objective.
Ce renversement de perspective n’est pas sans présenter le danger de mettre l’homme à la place
de Dieu en établissant un autre genre d’absolu. Toutefois, s’il a fallu faire mourir Dieu (Nietzsche) et
tordre le cou à l’ancienne philosophie de l’être (Kant, Husserl, Jaspers, Sartre, etc.), la transcendance,
comme on le verra, a progressivement repris sa place depuis, et sans doute une place plus juste et plus
prometteuse. Ce qui est « mort », en réalité, c’est l’homme petit et soumis, objet du destin, voué à une
autorité supérieure toute-puissante. Voilà que l’homme se regarde et découvre en lui une subjectivité qui