d’abrutissement massive. Elle flatte le téléspectateur dans le sens du
poil, elle l’enfonce dans une douce hypnose, qui peu à peu lui ôte
toute capacité de distanciation et donc de réflexion.
A l’inverse, le théâtre est questionnement tout en étant divertissement.
Et ce n’est pas à dire qu’il y a peu à questionner dans notre société
martiniquaise actuelle ? Questionner notre rapport morbide à la
France, à la consommation, à l’automobile, à la sexualité, à la religion
etc…Et quand je dis questionner, j’entends par là être féroce avec
soi-même, avec nous-mêmes.
Prendre le risque de la férocité pour obliger les gens à sortir de leur
torpeur, de leur bienséance, de leurs conventions.
Car, le théâtre a le pouvoir de le faire et dans une société bloquée telle
que la nôtre, c’est même davantage qu’un pouvoir, c’est un devoir !
Si on fait des pièces pour dire « Nou sé Neg, nou fò, nou vayan !
Gadé-wè ki manniè nou bel etc… » ou bien « Sé kolonialis-la sé dé
isalop, sé Blan-an sé dé chien-fè, dé espwatè » etc…, à mon sens, ça
n’a strictement aucun intérêt.
Et pourquoi ? Parce que nous avons intériorisé la domination.
Parce que désormais le Maître est en nous, à l’intérieur de chacun de
nous et ce qu’il faut, c’est non pas perdre son temps à dénoncer le
Maître blanc mais tuer le Maître qui est en nous.
Oui, d’abord tuer le maître qui est en nous ! Voilà la première
exigence que j’assignerais à un théâtre authentiquement créole. Et ce
serait une tâche fascinante que de dévoiler les mille et une facettes de
notre créolité ce qui revient à dire notre complexité car pour moi,
créolité est tout simplement synonyme de complexité.
Trop longtemps, en effet, nous nous sommes enfermés, incarcérés
même, dans des postures idéologiques simplistes : « Nou sé Neg »,
« Yo ka esplwaté nou », « Bétjé déwò », « Tout fanm sé poto-mitan »
etc…, cela sans jamais avoir le courage de reconnaître que nous
avions fini par devenir nos propres fossoyeurs.