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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE WVOL :1 N°2 /// PAGE 74/93
Alzheimer 2008-2012. À l’aube de la cinquième et dernière année de ce plan, le bilan dressé révèle que,
bien que la majorité des objectifs aient été atteints, l’amélioration concrète de la qualité de vie des malades
reste problématique (4e anniversaire du Plan Alzheimer 2008- 2012, 2012).
La présente étude a pour origine l’observation du quotidien de personnes âgées souffrant de DTA en Éta-
blissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes – EHPAD – à Paris : les altérations cogni-
tives caractéristiques de la DTA compromettent le sentiment d’identité, les capacités relationnelles et le
vécu émotionnel de la personne âgée, ce qui entraîne une dégradation de la qualité de vie.
Cette constatation induit plusieurs interrogations : La personne âgée souffrant de démence de type Alzhei-
mer peut-elle encore ressentir du plaisir et accéder à un mieux-être au quotidien ? Quelles sont les méthodes
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processus de déconstruction et d’autodestruction qui résultent des pertes causées par la DTA ? Comment
adapter le travail thérapeutique aux besoins des personnes âgées souffrant de démence en EHPAD ?
Cadre théorique de l’étude
Étymologiquement, la démence fait référence à la perte de l’esprit. Dans le cas des DTA, il serait
plus juste de parler de « déconstruction de la pensée » (Péruchon, 2011). Celle-ci se manifeste par une
dégradation progressive et irréversible des fonctions intellectuelles. Les principaux symptômes sont les
défaillances de la mémoire, la désorientation temporo-spatiale, les altérations de la pensée et du langage,
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capacité à reconnaître les objets ou les visages familiers. Selon les individus et les stades de la patholo-
gie, ils s’accompagnent parfois d’une agitation, d’accès intempestifs d’agressivité, d’hallucinations ou
de stéréotypies (Le Gouès, 2008). À ces symptômes cognitifs viennent se mêler des troubles appelés «
comportementaux », expression du cataclysme que subit la vie psychique.
Au fur et à mesure que la DTA attaque les processus de pensée, la vie psychique de la personne s’appauvrit.
Péruchon (2011) explore les effets de cette pathologie sur la pensée des personnes âgées. Elle postule que
la pensée parcourt en sens inverse son schéma de développement, processus qu’elle nomme « involution de
la pensée » (p.18). La personne âgée souffrant de démence se trouve ainsi prise dans un mouvement de dé-
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du somatique comme dans le vieillissement non-pathologique mais d’une progressive déconstruction psy-
chique qui entraîne un retour à la primarité par le biais de la déliaison de la pensée (Péruchon, 2011).
Christen-Gueissaz (2004) prend en considération l’impact de la régression de la pensée sur le sentiment
d’identité. La pensée d’un individu constitue son socle identitaire, ce qui lui permet de se différencier des
autres et de maintenir une conscience de soi dans le temps et dans l’espace. Quand l’individu n’est plus à
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de la maladie, la pensée va chercher à s’étayer sur le corps : le vécu sensoriel et l’enveloppe corporelle
vont permettre à la personne âgée de maintenir une certaine identité et une impression d’existence dans le
monde, à la manière du nourrisson qui utilise le psychisme de sa mère comme étayage à la construction de
son individualité (Anzieu, 1985). À ce stade, les expériences sensitives et sensorielles sont utilisées par le
sujet pour convoquer des traces mnésiques ou résidus de souvenirs comme moyen de se rassurer sur son
sentiment d’identité et d’existence (Péruchon, 2011).
Cette tentative d’adaptation et de régulation d’un vécu de perte de soi s’accompagne d’une dépendance
aux objets externes, ce qui se manifeste par une angoisse d’abandon ou d’envahissement. Ambivalente, la
personne souffrant de DTA va tenter de lutter contre ce sentiment en s’isolant des autres. Le regard posé par
la société sur la démence va accroître ce retrait relationnel (Maisondieu, 1989).
Avec l’avancée de la pathologie, l’angoisse ressentie va laisser place à la dépression consécutive aux pertes
subies et à l’impossibilité de se projeter dans le futur (Starkstein et Mizrahi, 2006). Aux stades sévère et
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même, aux prises avec un vécu de perte identitaire qui s’accompagne d’un isolement social et, au niveau
émotionnel, d’un état apathique.