partenaire Nick Ormerod. Très remarquées - parfois controversées -, les réalisations
shakespeariennes dépouillées et percutantes de cette jeune compagnie issue de l'Université de
Cambridge l'ont rapidement fait connaître dans une quarantaine de pays.
La France a découvert le détonant élixir de jouvence Donnellan lors d'un mémorable Cid de
Corneille au Festival d'Avignon en 1998. Aujourd'hui metteur en scène acclamé à l'opéra et au
théâtre, en France, en Russie, en Autriche, aux États-Unis et en Angleterre, il n'en poursuit pas
moins le travail avec sa compagnie (lire l'évocation leur «Othello» ci-dessous). Mais qu'est- ce
qui fait courir cet artiste de Londres à Moscou, de New York à Paris, de Salzbourg à Bruxelles?
Le premier trait qui frappe dans sa personne est la formidable énergie qu'il dégage. Sa solide
stature plutôt carrée est surmontée d'un visage rond et ouvert, d'où jaillit un regard à la fois
attentif et espiègle, en perpétuel éveil, d'une vivacité que renforce le débit rapide d'une parole
incisive, dialectique, ironique et modeste. Tout en lui exprime le mouvement: les traits animés
du visage, le corps en proie à une irrépressible «bougeotte», l'élocution et la pensée
perpétuellement sur le qui-vive. Sa personnalité rayonne un très attachant mélange de bonté,
de joie et d'inquiétude.
Metteur en scène vigoureux au regard aigu, main de fer dans un gant de velours, Declan
Donnellan trace une voie royale entre modernité scénique, théâtre populaire et écoute
scrupuleuse du texte. A chacun de ses spectacles, on éprouve presque physiquement sa
présence qui unit à tout instant les spectateurs, l'auteur et les interprètes dans une tension d'où
naît le sens et l'émotion. Il faut avoir vu une rangée entière de spectatrices russes pleurer et
rire à son Boris Godounov ou les festivaliers d'abord sceptiques puis assis au bord de leur
fauteuil, le cœur aux lèvres, devant ce Rodrigue mulâtre à l'accent britannique, magnifique et
pathétique, sublime et vulnérable, proche de nous en un mot...
Il connaît Bruxelles pour y avoir séjourné dans sa jeunesse («J'avoue que je me suis assez fort
ennuyé à l'époque...») et pour avoir dirigé, en 1999, un stage pour les acteurs au Centre
international de formation en arts de la scène (Cifas). Son Cid a été accueilli au Théâtre national
où il devrait à nouveau être présent la saison prochaine. Il vient d'accepter aussi de prendre
sous son aile le lauréat 2004 du Prix Jacques Huisman, bourse créée l'année dernière afin de
permettre à un(e) jeune artiste belge de la scène de se perfectionner auprès d'un maître de
renommée internationale.
C'est que Donnellan a de surcroît la fibre pédagogique. Après avoir été directeur associé du
Royal National Theatre de Londres de 1989 à 1997, il lançait en 2002 la Royal Shakespeare
Company Academy, une émanation de la célèbre troupe de Stratford, destinée à débusquer les
grands acteurs et metteurs en scène shakespeariens de demain. Son livre témoigne de sa
rigueur et de sa fantaisie (sous-titre: «Règles et outils pour le jeu - en 19 chapitres, avec 6
principes fondamentaux, 7 choix difficiles et 4 digressions incontournables»...), mais surtout de
son profond désir de transmettre. Un simple exemple de son sens de la métaphore, dans le
chapitre où il évoque la Peur, ennemie du comédien: «Elle (la peur) doit inventer un temps
artificiel qu'elle puisse habiter et diriger; elle s'empare alors du temps réel, le présent, et le
divise en deux jumeaux pratiquement identiques. Elle appelle une moitié de ce temps artificiel le
passé et l'autre moitié le futur. (...) La Peur gouverne le futur sous le masque de l'Anxiété, et le
passé sous celui de la Culpabilité.»
Bien qu'il préfère le concret aux généralisations théoriques ou aux explications fermées - «tout
ce qu'on peut expliquer est mort», proclame-t-il en un saisissant raccourci -, son livre contient
aussi quelques belles propositions sur les arts de la scène. Comme celle-ci, éloquente quant à la
haute énergie qu'il investit dans l'acte théâtral: «Au théâtre nous voyons d'autres personnes
ressentir ce que nous n'admettons pas ressentir nous-mêmes. Nous aimons que nos maisons
soient sûres, alors nous avons besoin que nos théâtres soient
dangereux. (...) Ne rentrez pas chez vous.»
© La Libre Belgique 2004
TEXTE 2
LIBÉRER L’ACTEUR DE SES BLOCAGES
Pour Declan Donnellan, « l’art du théâtre est d’abord l’art
du comédien ».Qu’il dirige des acteurs anglais, russes ou
français, le metteur en scènebritannique fait jaillir sur
scène la sève brûlante de la vie? Il explique icisa vision
de la formation.
Vous commencez votre ouvrage L’acteur et la cible, Règles et
outils
pour le jeu en décrivant l’instinct du jeu, observé