Le 10 février 2013
DOSSIER PEDAGOGIQUE
Philippe Cuomo
Professeur missionné par la Délégation Académique
aux Arts et à la Culture
La Comédie de Béthune
C.D.N. Nord Pas-de-Calais
Dossier pédagogique Ubu Roi
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UBU ROI / Alfred Jarry Declan Donnellan
Préambule
Ce spectacle est une création dont on ne sait à peu près rien aujourd’hui.
Il s’agit bien d’un dossier d’avant-spectacle. Dans la programmation, ce
spectacle sera un moment fort puisque le public béthunois découvrira, pour la
première fois, ce metteur en scène dont le travail rayonne en Europe et dans le
monde.
I/ Declan Donnellan
Cet artiste anglais, en 1953, a une renommée et une stature
européennes voire internationales. Il commence par travailler en Angleterre, à
Londres il a grandi. Metteur en scène de renom, il deviendra artiste associé
au prestigieux Royal National Theatre. Avec Nick Ormerod, son partenaire, il
fonde la compagnie Cheek By Jowl en 1981.
Il travaille entre Londres, Paris et Moscou. Il s’intéresse au répertoire de
ces trois pays et montera un certain nombre de textes en langue originale à
chaque fois. En France, par exemple, il a déjà présenté, Andromaque ou Le Cid,
en français donc, avec un travail précis sur l’alexandrin ! En Angleterre, il monte
un très grand nombre de pièces de Shakespeare essentiellement et ses choix se
portent sur Tchekhov notamment, pour le théâtre russe.
C’est un artiste complet puisqu’il s’intéresse au théâtre, à l’opéra, au
ballet, au cinéma (il réalise Bel Ami d’après le roman de Maupassant en 2012)
et à de nombreuses cultures et langues européennes. Grand directeur d’acteurs,
il a publié un texte sur le travail du comédien (L’Acteur et la cible, Editions
l’Entretemps, 2004).
D’après les deux textes suivants, qui est ce metteur en scène ?
Comment travaille-t-il avec les comédiens ?
TEXTE 1
MAÎTRE À JOUER
Declan Donnellan ou le théâtre à haute énergiePhilip Tirard
Mis en ligne le 06/04/2004
Dans L'Acteur et la cible, le metteur en scène irlando-londonien transmet comme un
cadeau aux acteurs sa vision du théâtre et de l'Homme
Les manuels de technique artistique renferment toujours leur lot de science de l'humain.
L'étudiant en art qui travaille sur la représentation du corps en sort plus riche de connaissances
sur l'anatomie. De me, les livres pratiques sur le jeu de l'acteur recèlent de précieux trésors
sur le comportement et la psychologie - il suffit de lire La Formation de l'acteur de Constantin
Stanislavski ou le Petit organon du théâtre de Bertolt Brecht pour s'en convaincre.
Le premier ouvrage à paraître en français du formidable directeur d'acteurs qu'est le metteur en
scène britannique Declan Donnellan ne fait pas exception à la règle. Dans L'Acteur et la cible, il
nous livre, en même temps que certains de ses «secrets de fabrication» et un autoportrait de
l'artiste au travail, une certaine vision de l'Homme. À savoir, essentiellement, que dans son âme
s'unissent les contraires: pas de jour sans nuit, pas de bonté sans cruauté, pas de lumière sans
ombre. De Shakespeare à Jung, Donnellan suit la trace d'un animal humain complexe,
contradictoire, problématique...
en 1953 à Manchester (Angleterre) de parents irlandais - «Je suis irlando-londonien», aime-
t-il à se présenter -, Declan Donnellan a fondé sa troupe Cheek By Jowl en 1981, avec son
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partenaire Nick Ormerod. Très remarquées - parfois controversées -, les réalisations
shakespeariennes dépouillées et percutantes de cette jeune compagnie issue de l'Université de
Cambridge l'ont rapidement fait connaître dans une quarantaine de pays.
La France a découvert le détonant élixir de jouvence Donnellan lors d'un mémorable Cid de
Corneille au Festival d'Avignon en 1998. Aujourd'hui metteur en scène acclamé à l'opéra et au
théâtre, en France, en Russie, en Autriche, aux États-Unis et en Angleterre, il n'en poursuit pas
moins le travail avec sa compagnie (lire l'évocation leur «Othellci-dessous). Mais qu'est- ce
qui fait courir cet artiste de Londres à Moscou, de New York à Paris, de Salzbourg à Bruxelles?
Le premier trait qui frappe dans sa personne est la formidable énergie qu'il dégage. Sa solide
stature plutôt carrée est surmontée d'un visage rond et ouvert, d'où jaillit un regard à la fois
attentif et espiègle, en perpétuel éveil, d'une vivacité que renforce le débit rapide d'une parole
incisive, dialectique, ironique et modeste. Tout en lui exprime le mouvement: les traits anis
du visage, le corps en proie à une irrépressible «bougeotte», l'élocution et la pensée
perpétuellement sur le qui-vive. Sa personnalité rayonne un très attachant mélange de bonté,
de joie et d'inquiétude.
Metteur en scène vigoureux au regard aigu, main de fer dans un gant de velours, Declan
Donnellan trace une voie royale entre modernité scénique, théâtre populaire et écoute
scrupuleuse du texte. A chacun de ses spectacles, on éprouve presque physiquement sa
présence qui unit à tout instant les spectateurs, l'auteur et les interprètes dans une tension d'où
naît le sens et l'émotion. Il faut avoir vu une rangée entière de spectatrices russes pleurer et
rire à son Boris Godounov ou les festivaliers d'abord sceptiques puis assis au bord de leur
fauteuil, le cœur aux lèvres, devant ce Rodrigue mulâtre à l'accent britannique, magnifique et
pathétique, sublime et vulnérable, proche de nous en un mot...
Il connaît Bruxelles pour y avoir séjourné dans sa jeunesse («J'avoue que je me suis assez fort
ennuyé à l'époque...») et pour avoir dirigé, en 1999, un stage pour les acteurs au Centre
international de formation en arts de la scène (Cifas). Son Cid a été accueilli au Théâtre national
il devrait à nouveau être présent la saison prochaine. Il vient d'accepter aussi de prendre
sous son aile le lauréat 2004 du Prix Jacques Huisman, bourse créée l'année dernière afin de
permettre à un(e) jeune artiste belge de la scène de se perfectionner auprès d'un maître de
renommée internationale.
C'est que Donnellan a de surcroît la fibre pédagogique. Après avoir été directeur associé du
Royal National Theatre de Londres de 1989 à 1997, il lançait en 2002 la Royal Shakespeare
Company Academy, une émanation de la célèbre troupe de Stratford, destinée à débusquer les
grands acteurs et metteurs en scène shakespeariens de demain. Son livre témoigne de sa
rigueur et de sa fantaisie (sous-titre: «Règles et outils pour le jeu - en 19 chapitres, avec 6
principes fondamentaux, 7 choix difficiles et 4 digressions incontournables»...), mais surtout de
son profond désir de transmettre. Un simple exemple de son sens de la métaphore, dans le
chapitre il évoque la Peur, ennemie du comédien: «Elle (la peur) doit inventer un temps
artificiel qu'elle puisse habiter et diriger; elle s'empare alors du temps el, le présent, et le
divise en deux jumeaux pratiquement identiques. Elle appelle une moitié de ce temps artificiel le
passé et l'autre moitié le futur. (...) La Peur gouverne le futur sous le masque de l'Anxiété, et le
passé sous celui de la Culpabilité.»
Bien qu'il préfère le concret aux généralisations théoriques ou aux explications fermées - «tout
ce qu'on peut expliquer est mort», proclame-t-il en un saisissant raccourci -, son livre contient
aussi quelques belles propositions sur les arts de la scène. Comme celle-ci, éloquente quant à la
haute énergie qu'il investit dans l'acte théâtral: «Au théâtre nous voyons d'autres personnes
ressentir ce que nous n'admettons pas ressentir nous-mêmes. Nous aimons que nos maisons
soient sûres, alors nous avons besoin que nos théâtres soient
dangereux. (...) Ne rentrez pas chez vous.»
© La Libre Belgique 2004
TEXTE 2
LIBÉRER L’ACTEUR DE SES BLOCAGES
Pour Declan Donnellan, « l’art du théâtre est d’abord l’art
du comédien ».Qu’il dirige des acteurs anglais, russes ou
français, le metteur en scènebritannique fait jaillir sur
scène la sève brûlante de la vie? Il explique icisa vision
de la formation.
Vous commencez votre ouvrage L’acteur et la cible, Règles et
outils
pour le jeu en décrivant l’instinct du jeu, observé
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chez les bébés. Lejeu peut-il s’apprendre ?
Jouer est en effet un réflexe humain, tout comme respirer. Dès sa naissance,un individu ne
cesse de jouer, parce qu’il cherche en vain sa vérité. Il ne peutdécouvrir son « vrai » moi que
dans ses actions, il ne peut l’éprouver que dansle jeu. Peut-on apprendre à quelqu’un à
respirer ? Non. Le rôle du pédagogueconsiste moins à instruire l’acteur qu’à l’aider à se libérer
de ce quil’empêche d’exister. Ces blocages sont souvent vissés par la peur. Notre époquevit
aussi dans un état de contrôle des corps et des cerveaux effrayant. Lesartistes, encore plus
que d’autres, tendent à se forger une forteresse pour seprotéger de la réalité. Cette muraille
devient prison. La formation vise à nouslibérer de nos forteresses imaginaires.
« Sur le plateau, l’énergie surgit des rythmes et des impulsions générés parl’écriture
et qui s’expriment par le mouvement du corps tout entier. »
Comment dénouer ces blocages ?
Les exercices corporels, quotidiens, sont essentiels. Il ne s’agit pas dedevenir un athlète mais
simplement d’« être » dans son corps, d’aiguiser laréceptivi aux stimuli externes, de
développer les sens. La formation doitaussi ouvrir et muscler l’imagination, qui, parce qu’elle
interprète lessensations, permet de percevoir et de dégager une signification. C’est
lapossibilité de produire des images à partir de ce nous ressentons qui nous relieau réel. La
disponibilité, l’écoute, la capacité à être totalement dansl’instant, constituent des qualis
essentielles à mes yeux. Je commencetoujours les répétitions par de la danse et des exercices
physiques. Leprocessus de travail sur une pièce passe par la -cérébralisation du texte
pouren découvrir la musicalité et la sensualité. L’intellectualisation finit souventpar étouffer
une œuvre. Sur le plateau, l’énergie surgit des rythmes et desimpulsions générés par l’écriture
et qui s’expriment par le mouvement du corpstout entier. J’essaie de libérer et de canaliser les
potentialités, de lesinscrire dans un jeu collectif. A la fin du processus, le texte ne
constitueplus qu’un symptôme de tout ce qui se passe en dessous des mots.
Vous parlez beaucoup de la « cible », au cœur de votre méthode. Quedésignez-vous
ainsi ?
Une chose très simple, réelle ou imaginaire, concrète ou abstraite, maissituée hors de moi. Si
je vous demande ce que vous avez fait la semainedernière, votre regard va errer quelques
instants puis se fixer sur un objet ouun point précis, qui, à ce moment, sera votre cible, et
vous aidera à concentrervotre énergie et à raviver votre souvenir. L’acteur ne fait rien sans
objectif.Son jeu devient faux lorsqu’il est perdu dans son intériorité, dans unnarcissisme
mécanique. La cible l’aide à transférer vers l’extérieur sesfonctionnements internes, ses
instincts, ses sentiments, ses pensées et sesdésirs. La peur coupe l’acteur de la cible et le
paralyse. Le pédagogue doitdonc guider les jeunes et les aider à se défaire du jugement
pesant sur leursépaules, de la honte, de l’envie de plaire? Tout cela les empêche d’êtreeux-
mêmes et bloque leur talent.
Quelle importance accordez-vous à la technique ?
La technique apporte une base indispensable, mais elle ne remplacera jamaisl’élan de vie. Elle
doit avoir le bon goût de ne pas se laisser voir et de nes’attribuer aucun mérite. Le
perfectionnisme n’est que vanité. L’acteur ne peutpas s’appuyer sur des certitudes, il doit
avoir foi en lui.
Voyez-vous des différences nationales dans la formation des acteurs ?
La différence majeure relève d’un choix politique, même si persistent desdistinctions, liées aux
contextes culturels et à la langue, aux codes de jeu,aux références esthétiques, au statut du
vrai et du faux ou encore àl’engagement physique. En Russie, les comédiens entrent dans une
troupe à l’âgede 22 ans et, pour la plupart, y restent toute leur vie. Ils ne vivent pas dansla
crainte de ne plus travailler, d’être rejetés. Or tout être redoute d’êtrecueilli, aimé puis
abandonné. La stabilité d’emploi n’écarte certes pastotalement la peur, mais elle atténue le
sentiment de fragilité. La permanencechange radicalement les relations au sein de la troupe et
avec le metteur enscène. Elle permet d’atteindre presque immédiatement une tonali
commune.
Entretien réalisé par Gwénola David pour La Terrasse, publié le 10 mars 2011
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II/ Ubu Roi
1°) Le texte
Le texte d’Ubu Roi a été publié par Alfred Jarry
1
dans l’Echo de Paris, le 23
avril 1893. Il sera même couronné au concours littéraire organisé par le journal.
Le texte se présente comme une œuvre de potache, une caricature du Père
Hébert, professeur de lycée d’Alfred Jarry. Le jeune homme écrit Les Polonais
qui est une sorte de première version d’Ubu Roi. Le titre de la pièce définitive
fait référence à Sophocle (Œdipe Roi) mais c’est bien une parodie de Macbeth
qu’il s’agit. Derrière le Père et la Mère Ubu, c’est toute l’ambition et les meurtres
de Macbeth et Lady Macbeth qu’il faut distinguer.
La représentation n’aura lieu qu’au cours de la saison 1896-1897, au
théâtre de l’œuvre fondé par Lug-Poe depuis 1893. Jarry est en contact avec
lui depuis 1896 et la fameuse lettre qu’il lui envoie le 8 janvier 1896 est une
sorte de manifeste. (cf. rubrique « problématiques de la représentation » ci-
après). Jarry en assure lui-même la mise en scène au cours de laquelle il
cherchera à surprendre voire à provoquer. Le personnage d’Ubu est joué par
Firmin Gémier. Le décor est de Paul Sérusier assisté de Pierre Bonnard et Henri
de Toulouse-Lautrec. La musique est de Claude Terrasse, jeune compositeur,
beau-frère de Bonnard. La première fait scandale dès le premier mot et la
représentation fait penser à la bataille d’Hernani.
Alfred Jarry est l’inventeur de la pataphysique
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, science imaginaire qui
cherche à déplacer le réel vers l’absurde. Il sera un grand inspirateur des
surréalistes et du théâtre contemporain.
Fable de la pièce :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ubu_roi
Présentation de la pièce et de ses références :
http://michel.balmont.free.fr/pedago/uburoi/references.html
Le texte entre au répertoire de La Comédie française en 2009 avec une
mise en scène de Jean-Pierre Vincent.
2°) Ubu Roi par Declan Donnellan
Document 1
Entretien avec Declan Donnellan
Pourquoi choisir de mettre en scène Ubu Roi ?
Declan Donnellan : Ubu roi est notre deuxième création avec notre troupe française : de
même qu’Andromaque, c’est une œuvre qui correspond parfaitement aux talents de ces
comédiens. Voiun aspect du choix. D’autre part, comme Andromaque (et toute grande pièce,
d’ailleurs) Ubu roi nous offre un champ d’exploration très ouvert, qui nous permet d’apporter
des modifications à notre travail au fur et à mesure de nos découvertes. Nous vivons avec les
pièces que nous montons pour de longues périodes dans le cadre d’une tournée, d’où notre
souhait de travailler avec une œuvre qui représente un challenge, qui garde en elle cette vitali
que nous désirons récréer ; c’est un travail continu. D’autant plus qu’il existe davantage de
1
biographie complète sur le site suivant : http://www.alfredjarry.fr/biographie/index.php
2
site du collège de pataphysique fondé par Jarry : http://www.college-de-
pataphysique.org/college/accueil.html
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