Génétique médicale: Copy number variants (CNV)

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HIGHLIGHTS
Forum Med Suisse 2008;8(51–52):1007–1008
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Génétique médicale: Copy number variants (CNV)
A l’origine de maladies, un facteur de risque ou une variante de la norme sans signification?
Deborah Bartholdi
Centre universitaire de santé McGill, L’Hôpital de Montréal pour enfants, Montréal, Canada
Introduction
Avec l’achèvement du séquencement du génome
humain, nous voici entrés de plain-pied dans l’ère
«post-génomique». Une découverte importante de
ces dernières années est celle des CNV (Copy Number Variations ou Variants = variations du nombre
de copies), qui ont montré que le génome humain
présente une variance interindividuelle beaucoup
plus élevée que ce que l’on pensait jusque-là [1]. Le
terme de «variation»» ou «variant» induit quelque
peu en erreur, dans la mesure où il suggère que les
CNV ne sont que de bénignes variantes de la norme.
La signification des CNV dans la pathogenèse de
certains syndromes génétiques rares, mais aussi de
maladies multifactorielles fréquentes, est en fait
extrêmement complexe.
Le génome humain est constitué de plus de 3 milliards de paires de bases et on a longtemps pensé
que les chaînes d’ADN de deux individus pris au hasard étaient à 99,9% identiques. On considérait que
les SNP (Single Nucleotide Polymorphism) étaient la
principale source de la variabilité interindividuelle,
autrement dit des échanges «muets» de paires de
bases isolées de la chaîne d’ADN. Les acquisitions
scientifiques de ces dernières années ont cependant
mené à une révision complète de cette conception
et mis au jour une nouvelle dimension de la variabilité génétique interindividuelle. Il s’agit de modifications chromosomiques structurelles submicro-
+2
+1
0
-1
-2
X
Xp22.31
Figure 1
Représentation schématique d’une analyse d’Array-CGH chez
un patient de 18 ans atteint d’une malformation cérébrale
complexe. L’analyse montre que le patient présente une
duplication étendue de 130 kb sur le bras court du chromosome X (Xp22.31). Il n’est pas encore possible de répondre à
la question de savoir si cette CNV est responsable du tableau
clinique ou s’il ne s’agit que d’une variante de la norme.
scopiques, qui ont été appelées CNV. Les CNV sont
réparties selon un ordre probablement pas tout-àfait aléatoire sur toutes les paires de chromosomes
et varient d’un individu à l’autre en termes de nombre et de modèle de distribution. Il s’agit le plus
souvent de duplications ou de délétions au niveau
de certains segments de chromosomes. Ils comprennent par définition plus de 1000 paires de
bases (1 kb), mais peuvent aussi s’étendre sur plusieurs millions de paires de bases (Mb). Bien que les
CNV soient souvent situées dans des régions pauvres
en gènes, ils recèlent globalement des centaines de
gènes codant et d’éléments régulateurs. Les gènes
qui se trouvent à l’intérieur des CNV ne semblent
généralement pas jouer un rôle important dans le
développement embryonnaire, mais plutôt intervenir dans les interactions avec l’environnement, par
exemple dans la perception des odeurs ou dans les
défenses contre les infections. Des estimations prudentes suggèrent que nos chromosomes abritent
environ 1500 régions CNV et que ces dernières
comptent pour plus de 10% du génome humain.
La découverte des CNV n’a été rendue possible
que grâce à la technique dite analyse array-CGH
(Comparative Genomic Hybridization) (cf. Highlight
sur la médecine génétique publié dans Forum en
2006 [2]). Cette méthode consiste à marquer par
fluorescence de manière différenciée un ADN de test
(patient) et un ADN de référence (sujet contrôle),
puis de les fixer de manière compétitive sur un
porte-objet (array). Celui-ci renferme des segments
d’ADN recouvrant la totalité de l’hérédité de la manière la plus régulière possible. L’ADN testé et l’ADN
de référence se fixent sur les fragments d’ADN
correspondants de l’array. Le rapport entre les deux
signaux de fluorescence détecte la présence éventuelle de gains (duplication) ou de pertes (délétion)
de matériel au niveau d’un segment donné de l’ADN
testé (fig. 1 x). La méthode de l’array-CGH permet
donc de «scanner» au moyen d’une seule expérience et avec un pouvoir de résolution très élevé le
génome entier d’un individu à la recherche de duplications et de délétions. La méthode de l’arrayCGH constitue un véritable «saut quantique» dans
le diagnostic médical génétique et s’est établi depuis
quelque temps maintenant dans la pratique clinique
quotidienne. Elle a remplacé entre-temps l’examen
chromosomique conventionnel (détermination du
caryotype) dans certains domaines du diagnostic.
L’exemple typique d’une application de cette technique est celui des enfants porteurs de malformations multiples et/ou handicapés mentaux. L’emploi
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à large échelle a eu pour conséquence non seulement de mettre à notre disposition un meilleur instrument de diagnostic clinique pour notre pratique
quotidienne dans la mise en évidence des aberrations chromosomiques classiques, mais aussi de
nous confronter de plus en plus aux CNV – autrement dit à la variance génétique interindividuelle.
Exemples de la signification des CNV
dans la pratique clinique de tous les jours
On sait depuis longtemps que les délétions et les duplications de segments de chromosomes peuvent
être la cause de syndromes génétiques rares. La maladie Charcot-Marie-Tooth de type 1A, le syndrome
de Prader-Willi, le syndrome de Williams-Beuren,
etc. en sont quelques exemples. Il existe dans ces
syndromes rares une étroite corrélation entre la
duplication ou la délétion du segment chromosomique correspondant (qui peut contenir des gènes
et/ou des ARNm régulateurs) et le phénotype, c’està-dire le tableau clinique. La corrélation entre une
délétion/duplication d’un segment de chromosome
et le phénotype n’est cependant pas toujours aussi
évidente. Un exemple typique de la complexité des
CNV est le syndrome TAR (Thrombocytopenia with
Absent radius ou syndrome thrombocytopénie et
absence de radius), un syndrome extrêmement
rare, caractérisé, comme son nom l’indique, par
une thrombocytopénie en général sévère associée à
une absence bilatérale de radius. Le syndrome TAR
survient habituellement de façon sporadique. Un
groupe allemand a récemment montré que les individus souffrant du syndrome TAR présentent une
importante délétion de 200 kb sur le bras long du
chromosome 1 (1q21.1). On a cependant constaté
que chez la grande majorité des familles ayant un
enfant porteur du syndrome TAR, l’un des parents
ne présentant pas l’affection est lui aussi porteur de
la même délétion sur le chromosome 1. Cette délétion est par conséquent à l’origine de la maladie,
mais seulement par interaction avec d’autres facteurs (encore non identifiés). Un second exemple de
la complexité des CNV est celui d’une délétion de
l’ordre de 600 kB et sa duplication réciproque sur
le bras court du chromosome 16 (16p11.2), que l’on
retrouve chez environ 1% des enfants autistes et qui
constitue à ce titre l’un des rares facteurs de risques
identifiés à ce jour dans le spectre si hétérogène de
cette maladie [3]. La délétion/duplication 16p illustre une autre caractéristique intéressante des CNV:
cette aberration n’est pas associée à un tableau cli-
Correspondance:
Dr Deborah Bartholdi
FMH Médecine génétique
Centre universitaire de santé
McGill,
L’Hôpital de Montréal
pour enfants
Montréal, Qc, H3H 1P3 QC,
Canada
[email protected]
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nique parfaitement défini. Le phénotype va d’un retard mental à un autisme classique, en passant par
un syndrome dysmorphique non spécifique. Des
prédictions sur le phénotype à attendre sont donc
très difficiles à faire. Le troisième exemple montrant
bien le rôle que jouent les CNV dans l’apparition
d’une maladie est une duplication sur le bras long
du chromosome 17, contenant des gènes de médiateurs de l’immunité intervenant dans la défense
contre le HIV: la duplication de cette région a pour
conséquence que le gène CCL3L1, qui code pour le
facteur immunosuppresseur MIP-1 P, se trouve avec
un nombre de copies (de n = 2 à 6) dans différents
groupes de populations et individus. On a trouvé un
nombre abaissé de copies du gène CCL3L1 par rapport à la moyenne de la population avec une susceptibilité accrue à l’infection par le HIV après exposition [4].
Résumé et conclusions
L’amélioration de moyens techniques a mis en évidence une variance beaucoup plus grande de notre
génome que ce que nous pensions. Une bonne part
de cette variance est due à des délétions/duplications chromosomiques submicroscopiques, appelées CNV. Pour une partie de ces CNV, on a clairement pu démonter qu’ils jouent un rôle de facteur
causal dans certaines maladies ou constituent des
facteurs de risque pour certains tableaux cliniques
complexes, tels que l’autisme ou la sensibilité aux
infections. La question de savoir quelle est la proportion des CNV ne représentant «que» des variantes de la norme – comme le suggère leur nom –
reste pour l’instant sans réponse. Bien que nous disposions aujourd’hui de plusieurs bases de données
publiques parfaitement tenues à jour et qui nous informent en permanence sur l’état actuel des
connaissances dans le domaine de la signification
et de la fréquence des CNV [5], leur mise en évidence
dans la pratique quotidienne soulève encore davantage de questions qu’elle n’apporte de solutions.
A maints égards, les moyens techniques ont fait des
progrès plus rapides que notre compréhension des
implications biologiques et médicales de l’information générée. Les CNV remettent en question la définition de «facteur causal de maladie», «facteur de
risque» et «variante de la norme» et montrent que
ces concepts sont probablement plutôt à considérer
comme un continuum dynamique que comme une
caractéristique parfaitement circonscrite.
Références
1 Beckmann JS, Estivill X, Antonarakis SE. Copy number variants
and genetic traits: closer to the resolution of phenotypic to
genotypic variability. Nat Rev Genet. 2007 Aug;8(8):639–46.
2 Miny P, Medizinische Genetik: Die Chromosomenuntersuchung – auf dem Weg vom Mikroskop zum Array-Scanner.
Schweiz Med Forum 2006;6(51):1164–5.
3 Weiss LA, Shen Y, Korn JM et al. Association between microdeletion and microduplication at 16p11.2 and autism. N Engl
J Med. 2008;358:667–75.
4 Gonzalez E, Kulkarni H, Bolivar H, et al. The influence of
CCL3L1 gene-containing segmental duplications on HIV-1/
AIDS susceptibility. Science. 2005 Mar 4;307(5714):1434–40.
5 http://projects.tcag.ca/variation/
https://decipher.sanger.ac.uk/
http://genome.ucsc.edu
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