48 Inter médiés Catherine Emmanuel, médiatrice généraliste diplômée d’état, nous donne le mode d’emploi de la Communication Non Violente. C haque jour, nous communiquons et entrons dans des interactions parfois conflictuelles. Les personnes en conflit sont dans l’incapacité de communiquer de manière sereine et constructive : leurs échanges sont soit inexistants, soit empreints d’une telle violence qu’au mieux, ils empêchent la résolution du conflit, au pire, ils le nourrissent. En d’autres termes, la communication est un échec dont chacun a bien conscience : « Cela fait vingt fois que je lui dis, mais il ne veut rien entendre… Elle ne cesse de me faire des reproches, je ne veux plus lui parler… Ça fait deux ans qu’on en parle, mais rien ne change ! » Or, il existe une manière de communiquer qui permet non seulement de résoudre les problèmes de communication, mais d’accroître la satisfaction de nos besoins et la qualité de nos relations : la CNV ou Communication Non Violente. Il s’agit d’un concept créé dans les années 1960 par Marshall Rosenberg (1), psychologue américain et médiateur international (1934-2015). Selon lui, nous naissons tous avec un élan empathique et altruiste. Cet élan vital se trouve bridé par le conditionnement (éducatif, social, culturel…) qui nous amène à coller des étiquettes sur la situation, les autres et nous-mêmes, étiquettes qui nous coupent de nos besoins fondamentaux. Or, en matière de besoins, personne “Connect before correct…” n’a tort ou raison : il existe une infinité de stratégies pour satisfaire un même besoin. Ainsi, pour se détendre, l’un peut vouloir sortir au cinéma voir un film d’action, tandis que l’autre préférera rester lire à la maison. Et si l’autre refuse de faire la même chose que moi, il est possible que je me sente triste ou en colère. Pour autant, il n’est pas responsable de mes émotions et se révèle, tout au plus, leur déclencheur. Comment passer du tu accusateur au je responsable ? En se libérant des jugements qui ne sont que « des expressions détournées de nos propres besoins insatisfaits » (1). Pour ce faire, la CNV offre tout à la fois une méthode de résolution des conflits et une posture bienveillante qui nous rendent capables d’assumer ce qui relève de notre responsabilité. La méthode OSBD La CNV offre une liste de contrôle en quatre temps qui permet de s’assurer qu’on est bel et bien sur la voie non violente. bservation des faits qui m’interpellent (en mettant de côté toute forme de jugement) : « Quand je vois… Quand j’entends… » entiments stimulés par les faits (en les différenciant de nos interprétations et de nos jugements) et en assumant la responsabilité de mes émotions : « Je me sens… » esoins liés à ces sentiments (à distinguer des stratégies) : « Parce que j’aspire à… » emande (à ne pas confondre avec une exigence) en vue de satisfaire ces besoins : « Est-ce que tu serais d’accord pour… ? » Si la méthode est simple, il ne suffit pas pour autant que chacun la suive de manière mécanique. Encore faut-il le faire, en conscience et avec empathie, c’est-à-dire avec une intention bienveillante : « Lorsque nous fixons notre attention sur les sentiments et besoins de l’autre, nous renouons avec l’humanité qui nous est commune. » (1) En tournant ses oreilles non seulement vers l’intérieur (quels sont mes besoins ?) mais encore vers l’extérieur (quels sont ceux de l’autre ?), la CNV permet de passer du mode chacal qui bloque la communication et génère la violence au mode girafe qui facilite la communication et désamorce la violence. Marshall Rosenberg a choisi la girafe parce qu’elle est le mammifère doté du plus grand cœur. La CNV suppose « une connexion de cœur à cœur ». Pour autant, il ne s’agit pas de O S B D sombrer dans le monde des bisounours. Rappelons que la girafe a aussi des sabots. On peut tout à fait exprimer sa colère en mode CNV et de manière plus efficace qu’en y laissant libre cours : exprimer pleinement ses émotions, cela requiert « la capacité d’être pleinement conscients de nos besoins » (1). La CNV permet donc une meilleure assertivité, dans l’authenticité et l’ouverture. Un outil précieux pour la Paix Basée sur une éthique de la relation, la CNV est un chemin vers la responsabilisation et l’empathie par lequel chacun se relie efficacement à soi et à l’autre. Tout conflit étant l’expression tragique d’un besoin insatisfait, il importe donc que le médiateur, confronté à des positions antagonistes et des points de vue divergents, apprenne à « traduire n’importe quel message en besoin » (1). Dans la mesure où la violence est « l’expression de la frustration de notre nature » (2), la CNV permet de nous reconnecter à ce qu’il y a de vivant et précieux en chacun d’entre nous. De ce point de vue, « si la communication est un art, la CNV est un trésor » (3). Et, parce que « la Paix, ça s’apprend » (2), commençons dès maintenant par apprendre à communiquer de manière non violente : « Devenons le changement que nous souhaitons voir dans le monde. » (M. Gandhi). ● Catherine EMMANUEL (1) Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Marshall B. Rosenberg, éd. La Découverte (2) La paix, ça s’apprend !, Thomas d’Ansembourg, éd. Actes Sud (3) Pratiquer la Communication Non Violente, Françoise Keller, InterÉditions ©laetitia marre-cnv-apprentiegirafe.blogspot.com Quand je me formais au CMFM, j’ai rejoint l’association « Les Pierrots de la nuit » pour gérer les problèmes de bruit sur les lieux festifs de la capitale. J’intervenais dans les conflits de voisinage entre riverains et clients de bars. Des artistes de rue passaient dans les endroits où les gens font la fête, et proposaient des mini-spectacles afin d’attirer leur attention sur les nuisances sonores, très gênantes pour les riverains. Ces artistes étaient accompagnés d’un médiateur qui calmait les esprits si ça chauffait, et expliquait l’opération. L’association (en partie financée par la mairie de Paris) avait contacté le CMFM. Je m’étais porté volontaire avec un autre médiateur, et nous avons mis en place le système ensemble. Ça a été une sacrée école de médiation ! On dit toujours que, pour bien faire une médiation, il faut un cadre, qu’on met les gens dans une pièce, que tout est hyper sécurisé. Là, je peux vous dire que la sécurité et le cadre : zéro ! Il peut se passer n’importe quoi… Pour apprendre le métier, il n’y a rien de mieux. C’est très impressionnant. Aller vers des gens un peu bourrés et leur envoyer un ressenti ou un besoin pour les détendre, de façon instantanée, il faut le faire. J’ai beaucoup appris de cette expérience qui aura duré un an. Pour devenir médiateur, je crois qu’il faut « être dedans » en permanence et saisir toutes les opportunités. S’il se passe quelque chose, il faut rencontrer les médiateurs, parler avec eux, foncer dès qu’un projet se fait sans se poser de questions. À partir du moment où l’on se met en mouvement, l’univers se met aussi en mouvement pour nous ouvrir la route. ● Marion delisse LA CNV, d.r. “Je me suis formé à la CNV, outil extrêmement puissant. Je l’ai un peu laissé tomber au profit de la médiation humaniste, mais les deux pratiques sont assez similaires.” 8 portrait C’est à ce niveau-là que les gens peuvent se rencontrer et se reconnaître. Je me sers beaucoup de la CNV quand c’est très « chaud ». Envoyer un besoin au bon moment peut s’avérer extrêmement efficace. La médiation « traditionnelle » permet de sortir de l’émotion pour aller vers le besoin, qui reste cependant au niveau psychologique. À mon sens, la solution est au niveau de la symbolique. Les valeurs sont des éléments constitutifs de la personne humaine, pour lesquelles elle est prête à tout transgresser. Elles sont au-dessus de toutes les lois, certains sont disposés à tout détruire pour faire respecter leurs valeurs. Quand un processus permet à une personne de se connecter à ses propres valeurs, elle comprend tout son fonctionnement. Si, par exemple, pour un individu, la liberté est essentielle, il va comprendre que s’il en est privé, sa souffrance sera telle qu’il sera capable de tout remettre en cause pour elle. Boîte à outils