PROFESSION KINESITHERAPEUTE Septembre 2005
LE CONTEXTE MUSCULAIRE DES LOMBALGIES
Yves CHATRENET
kinésithérapeute-chef Sancellemoz et praticien libéral – F74480 Plateau d’Assy
La difficulté à identifier réellement l’étiologie des lombalgies explique certainement les résultats
aléatoires des traitements et la fréquence des récidives. Les origines peuvent être nombreuses
et variées voire multiples. Les sources ostéo-articulaires, musculo-conjonctives, crânio-sacrées,
viscérales et neurales peuvent être incriminées. Des compétences multidisciplinaires
s’imposent et nous devons avoir l’humilité du niveau actuel de nos connaissances
physiopathologiques.
Même si la cause de la douleur peut être identifiée, le patient peut présenter une altération
biologique et anatomique irréversible de ses tissus et la restitution ad integrum des éléments
organiques est alors impossible. Nécessité de fonction dans les meilleures conditions est alors
imposée. La thaumaturgie a ses limites et une orientation thérapeutique réaliste s’impose.
Quoiqu’il en soit, les répercussions musculaires sont immédiates et prouvées, et nécessitent
une intervention de la part du kinésithérapeute. Les revues bibliographiques internationales
sont unanimes pour recommander en priorité une approche musculaire chez les lombalgiques
chroniques. Sa complémentarité avec les thérapies manuelles place ainsi le kinésithérapeute
en tant qu’acteur central du dispositif thérapeutique.
L’affection musculaire chez les patients lombalgiques s’exprime autant dans sa disponibilité
d’extensibilité musculo-conjonctive, que dans sa composante sensori-motrice. Cette dernière se
traduisant par une difficulté de sommation et de maintien de l’activité des unités motrices et par
un appauvrissement de l’information proprioceptive.
L’APPROCHE SENSORI-MOTRICE
Différentes investigations ont permis de mieux comprendre les répercussions musculaires chez
les patients lombalgiques. Ainsi, HIDES JA a montré que dès le premier épisode de lombalgie,
la fonte du multifidus apparaît précocement au niveau de l’étage vertébral et du coté
douloureux. Sans entraînement spécifique, cette amyotrophie localisée persiste même après
disparition des symptômes douloureux et fonctionnel. Par contre avec un entraînement par
gainage lombo-abdominal, cette fonte est réversible. Cette fonte des muscles postérieurs
s’étend également sur le psoas du côté douloureux chez les patients lombalgiques chroniques
(BARKER BK). L’altération du contrôle neuro-musculaire d’un ou plusieurs étages vertébraux
est certainement source d’une instabilité vertébrale qui explique l’évolution récidivante ou
chronique de la lombalgie.
Les exercices actifs précoces chez les lombalgiques en complément des gestes manuels de
réharmonisation articulaire s’avèrent ainsi particulièrement recommandés pour lever les
inhibitions musculaires réflexes localisées.
Les perturbations neuro-motrices ne se limitent pas uniquement aux muscles postérieurs et
psoas, puisque le transverse présente également une atrophie (CRITCHLEY DJ) et surtout des
déficits du contrôle neuro-moteurs alors que les muscles obliques internes et externes ne
semblent pas altérés (HODGES PW, FERREIRA PH). C’est pourquoi le travail postural de
redressement axial associant l’activité simultanée des muscles postérieurs, latéraux et
antérieurs apparaît particulièrement indiqué.
HIDES JA a ainsi pu démontrer, avec un temps de recul suffisant, des récidives deux fois et
demie moins nombreuses suite à ce type d’entraînement.
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La motricité vertébrale est largement conditionnée par les afférences crânio-cervicales (vue,
vestibule, port de la tête) et a fortiori par les stimulations de l’apex crânien qui favorisent le
redressement axial. L’exemple des africaines ou asiatiques portant des charges sur la tête en
est un bon exemple.
La stimulation de l’apex crânien associée à un gainage lombo-abdominal constituent ainsi les
conditions optimales du recrutement musculaire vertébral.
Comme toute stimulation motrice, l’importance des feedbacks conditionne le degré et la durée
du recrutement. La levée des inhibitions musculaires vertébrales et l’exercice endurant vertébral
seront d’autant plus efficaces que ces mécanismes seront largement utilisés. La rétroaction des
paramètres musculaires développés est un facteur important de la récupération et place le
patient au cœur de la démarche thérapeutique active.
Figure 1 : Radiographies comparatives
de la position de redressement axial et
de la position relâchée.
La pratique du redressement axial présente l’énorme
avantage de recruter simultanément l’ensemble de la
musculature abdomino-vertébrale et de manière
physiologique, en stimulant les propriocepteurs dans
leur position habituelle de fonctionnement. La position
debout en redressement favorise l’organisation
naturelle des courbures vertébrales et en particulier
les lordoses qui maintiennent une position de
neutralité indispensable à la régulation de longueur
des muscles vertébraux (postérieurs longs, psoas,
transverse abdominal pour la lordose lombaire)
(figure 1). Cette position est préférée à la position
assise pour sa globalité d’organisation motrice
incluant bassin et membres inférieurs avec une
source d’afférences crânio-cervicales et
proprioceptives physiologiques.
En pratique, l’adaptation des connaissances histo-métaboliques et neuro-sensorielles des
muscles rachidiens à l’exercice de redressement axial nous amène à utiliser les formes
d’exercices suivantes :
- Contraction Maximale Volontaire (CMV) : c’est l’exercice de choix pour favoriser les
levées d’inhibitions vertébrales étagées par un recrutement maximal et synchrone des
unités motrices. L’efficacité de cet exercice est largement conditionnée par l’utilisation du
feedback.
- Temps Maximal Endurant (TME) : il permet d’exercer l’endurance soutenue des muscles
vertébraux. Le déficit de cette qualité musculaire est une caractéristique des patients
lombalgiques chroniques. Le choix d’un seuil à 70 % de la CMV permet de cibler le
métabolisme lactique pour cette musculature.
- Contraction Statique Intermittentes (CSI) : l’intermittence des contractions présente le
double effet de sollicitation aérobie et de dynamisation de la colonne vertébrale. En effet,
l’oxygénation musculaire par la phase de repos obligée, répond à la sollicitation
préférentielle de la proportion particulièrement importante de fibres I des muscles
rachidiens (KERKOUR K). D’autre part cette nécessité de décontraction intermittente
oblige la colonne vertébrale à un retour à une position de relâchement qui, avec
l’alternance des contractions en redressement, dynamise la colonne et stimule ainsi
également l’activité des propriocepteurs vertébraux.
Ces formes d’exercices, pouvant être pratiquées par le kinésithérapeute, répondent aux
objectifs de la tonification musculaire dont l’efficacité thérapeutique est prioritairement
recommandée chez les patients lombalgiques chroniques. L’apport de dispositifs
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technologiques permettant une application pratique des ces principes (ACTIBACK®)), ouvre une
possibilité nouvelle de pratiquer pertinemment cette action neuro-musculaire à partir d’une
évaluation des qualités musculaires vertébrales.
En phase post-aiguë immédiate et sous une forme adaptée, ces exercices pratiqués
précocement, court-circuitent les mécanismes musculaires d’inhibition neuro-réflexe immédiats.
La réactivation musculaire complète alors avantageusement l’acte manuel de ré-équilibration
articulaire évitant l’instabilité vertébrale segmentaire et par conséquent les récidives et le
passage éventuel à la chronicité.
LA RESTITUTION DE L’EXTENSIBILITE MUSCULO-CONJONCTIVE
L’adaptation musculaire à la morphologie posturale, à une spécificité professionnelle ou
sportive, à la douleur ou à d’autres causes, contraint les tissus musculo-conjonctifs à des
régulations de longueur sous forme de rétraction.
Cette rétraction est une adaptation de l’organisation intime des fibres de collagène, à laquelle
s’ajoute certainement dans ce contexte pathologique une protection neuro-sensible des tissus
conjonctifs de recouvrement musculaire.
Sur la chaîne musculaire posturale postérieure (figure 2) les
nappes conjonctives tendineuses d’insertion sont localisées sur
les longissimus et ilio-costaux, semi-membraneux et biceps, et sur
les gastrocnemiens (CHATRENET Y).
Comme pour le muscle sain, la notion réflexe de tolérance à
l’étirement (SHRIER I) peut être évoquée en particulier lors des
gains rapides d’extensibilité. Néanmoins le gain sur la raideur
directe avec amélioration de la visco-élasticité passive est
vérifiable lors des tests d’extensibilité chez les patients
lombalgiques.
Chez ces patients la vérification de l’extensibilité est nécessaire.
Elle porte sur les muscles postérieurs sus-cités, sur les psoas et
les droits fémoraux.
Pour les longissimus et ilio-costaux, l’évaluation et
l’assouplissement sont obtenus par un auto-grandissemnt de la
colonne vertébrale par effacement des courbures. L’effacement de
la courbure lombale est obtenu par le relâchement des psoas avec
flexion de hanche et rétroversion du bassin. Il s’agit d’une posture
d’étirement segmentaire. Ischio-jambiers, gastrocnemiens, droits
fémoraux, psoas sont ainsi évalués de manière segmentaire et
des programmes d’auto-étirement peuvent être, si nécessaire,
pratiqués quotidiennement par les patients.
Figure 2 : Chaîne
musculaire posté-
rieure. En vert le
tissu conjonctif de
recouvrement.
La globalisation des postures d’étirement s’impose naturellement avec la notion de chaînes
musculaires associées entre autres aux muscles pluri-articulaires. Par exemple, l’étirement du
psoas (figure 3) nécessite une fixation du segment vertébral
Figure 3 : Posture d’étirement du psoas en global
lombal avec effacement de la
lordose (1). La régularisation de
longueur des psoas est
obligatoirement synergique de celle
des longissimus et ilio-costaux qui
nécessitent alors un effacement de
la lordose cervicale par rentrée du
menton (2). Dans ces conditions la
diminution de la flexion des hanches
(3) avec fixation des insertions vertébrales des psoas permet un travail d’étirement global de la
musculature vertébrale, associée à la fonction expiratoire agissant sur le diaphragme.
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D’une manière générale, les techniques neuro-musculaires basées sur les principes
d’inhibitions agonistes et antagonistes, pratiquées en course musculaire externe, offrent la
meilleure optimisation de l’étirement avec une sollicitation maximale des différents constituants
conjonctifs du muscle.
CONCLUSION
Si la recherche étiologique des lombalgies est légitime, la fréquence des récidives nous prouve
la difficulté de pouvoir les traiter durablement. Les adaptations musculaires, tant sous leurs
aspects sensori-moteurs que rétractiles, sont des réalités pour lesquelles le kinésithérapeute
est le plus qualifié pour apporter des solutions constructives. Les expérimentations cliniques
effectuées scientifiquement montrent qu’il s’agit de l’approche la plus efficace des lombalgiques
chroniques. La colonne vertébrale nécessite d’être activement stabilisée. L’application de ces
principes thérapeutiques au niveau des autres articulations portantes est suffisamment
probante pour que leur application au rachis ne puisse souffrir d’exception.
Au-delà de toute considération mécanique, la dynamique dans laquelle le patient lombalgique
s’inscrit avec cette forme active de rééducation crée un impact psychologique à travers les
sensations retrouvées, les fonctions restituées et les performances objectivées.
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