LARCIER
IntroductIon La téLévIsIon européenne
est-eLLe menacée par La tv.2.0 ?
Fondée sur la diversité culturelle, la télévision européenne vise à
protéger les valeurs et les droits fondamentaux de l’Union européenne
et contribue à la réalisation des objectifs d’intérêt géral. Caracté‑
risée par la coexistence dun secteur public et d’un secteur privé, elle
fut réglementée dès 1989 par la directive « Télévision sans frontières 1 »
qui instaura notamment une politique de quota de production et de
diffusion, participant ainsi à la promotion de l’industrie audiovisuelle et
cinématographique européenne. Cette directive fut modifiée en 1997 2,
et son champ dapplication fut étendu aux services de médias audiovi‑
suels en2007 3. La directive 2010/13/UE 4, directive « services de médias
audiovisuels » (SMAV), codifie les directives précédentes et réglemente
la télévision européenne, tout au moins le contenu, qui est également
soumis aux dispositions de la directive sur le commerce électronique,
directive 2000/31/CE (directive e‑commerce) 5. Elle reconduit la poli
tique des quotas de production et de diffusion, et organise notamment
l’exploitation des œuvres sur les différents canaux de diffusion dans le
cadre d’une chronologie des médias. Toutefois, cette directive suscite des
1 La directive 89/552/CEE du 3octobre 1989 visant à la coordination de certaines dispositions législa‑
tives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodif‑
fusion télévisuelle, J.O., L 298, 17octobre 1989.
2 Directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 30juin 1997, J.O., L 202, 30juillet 1997.
3 Directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007, J.O., L 332,
18décembre 2007.
4 La directive 2010/13/UE consolide la directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil du
11décembre 2007 modifiant la directive 89/552/CEE du Conseil visant à la coordination de certaines
dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice
d’activités de radiodiffusion télévisuelle, J.O., L 332, 18décembre 2007, p.27.
5 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8juin 2000 relative à certains aspects
juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans
le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), J.O., noL 178, 17juillet 2000, pp.1
à16.
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interrogations quant à sa clarté et sa capacité à réglementer lensemble
de ces nouveaux services 6.
La télévision sur l’Internet Protocol (I.P.T.V.), utilisant la technologie
DSL (Digital Subscriber Line), constitue le premier pas de la télévision
vers le secteur des télécommunications. La convergence va franchir une
étape suppmentaire avec la télévision connectée à Internet. Cette télévi‑
sion permettra d’avoir accès sur un écran de télévision à des programmes
audiovisuels et des services de médias audiovisuels provenant de l’In‑
ternet. Le téléviseur devient un terminal numérique polyvalent. Perçue
comme une opportunité pour certains opérateurs, cette télévision peut se
révéler une menace pour la télévision européenne, ses opérateurs et, par
voie de conséquence, son industrie audiovisuelle et cinématographique.
Remise en cause lors des négociations sur laccord géral sur le
commerce et les services (GATS), la télévision européenne a été sauvée
par l’exception culturelle. Consirant que « [l]’audiovisuel nest pas une
marchandise comme les autres ! » selon la célèbre phrase de Jacques
Delors, les services de médias audiovisuels ont été exclus du champ
d’application du GATS. À l’occasion du sommet UE‑US de novembre
2011, l’idée d’un accord de libre‑échange entre l’Union européenne et
les États‑Unis d’Arique a ressurgi. Un éventuel accord remettrait en
cause la capacité de l’Europe de réglementer le secteur audiovisuel et de
mettre en œuvre une politique audiovisuelle européenne fondée sur la
diversité culturelle.
Dans cet univers convergent où les marchés changent déchelle et les
acteurs de dimension, la menace se révèle sur tous les fronts.
Tout d’abord, avec la télévision de la convergence (TV.2.0), les
services sont transportés directement sur le réseau Internet, alors qu’avec
l’I.P.T.V., ces derniers sont acheminés dans le cadre de services gérés par
le fournisseur de réseau. Ce mode de transport dit « over‑the‑top » (O.T.T.)
génère des coûts qui, en raison de la politique de gratuité du peering,
l’échange de trafic entre opérateurs consirés comme pairs, restent à
la charge du fournisseur d’accès. Par ailleurs, le réseau en cuivre n’a
pas les capacités de faire face à laccroissement du trafic. En attendant
6 J. B
arata
M
Ir
, « Les attentes des législateurs et des autorités de régulation dans le domaine des
services de médias audiovisuels à la demande », Faculté des sciences de la communication Blan‑
querna, Université Ramon Llull, pp.105 à111, in S.Nikoltchev (éd.), La réglementation des services
audiovisuels à la demande : chaos ou cohérence ?, IRIS Spécial, Strasbourg, Observatoire européen de
l’audiovisuel, 2011.
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la construction de réseaux de nouvelle génération par les fournisseurs
d’accès à Internet (F.A.I.), ces derniers ralentissent le transport des
services de médias audiovisuels, très consommateurs de bande passante.
Ces pratiques ont pour effet d’altérer la qualité du service et sont préjudi
ciables aux opérateurs du Net qui peuvent perdre des ressources publici
taires. Le risque de voir se développer des services prioritaires pour les
opérateurs puissants qui accepteront de payer pour une qualité dache‑
minement des données est réel. Ce comportement menace la tévision
européenne, fondée sur le pluralisme des médias.
Ensuite, le passage à la télévision connectée gére l’arrivée de
nouveaux opérateurs, notamment ceux venus du Net dans un audiovisuel
européen réglementé. Le manque de clarté de la définition des services
de médias audiovisuels de la directive services de médias audiovisuels
a pour effet d’exclure de son champ d’application un grand nombre de
services de la TV.2.0. Ces incertitudes juridiques tendent à instaurer
deux régimes pour les acteurs de la télévision, ceux relevant de la régle‑
mentation européenne et les autres. Or ces deux catégories dacteurs
sont en concurrence sur le marché amont des contenus et sur le marché
connexe de la publicité. Il en résulte que cette dualité de régime menace
la télévision européenne.
Par ailleurs, ces opérateurs venus du Net se développent sur le marché
de la vidéo à la demande par une politique de contenus premium, généra
teurs de trafic et donc de recettes publicitaires. Les œuvres européennes
sont marginalisées sur ces services, en raison notamment d’une régle‑
mentation inadaptée aux exigences du 2.0. Cette tendance menace les
chaînes de télévision qui se voient privées de laccès aux contenus attrac‑
tifs, d’une part, et la production européenne, dautre part.
Enfin, lévolution de la publicité télévisuelle vers la publicité ciblée,
fondée sur un traitement des données personnelles, confère un avantage
aux opérateurs du Net. Forgerons de cette nouvelle forme de publicité, ils
sont en mesure de proposer aux annonceurs des offres globales, sur le
marché de le‑publicité (xe/mobile/tablette). Cette offre « cross‑médias »
constitue une barrière à lentrée du marché de la publicité télévisuelle
pour les opérateurs de laudiovisuel traditionnel. Par ailleurs, ces opéra
teurs soumettent les internautes à un traçage de plus en plus intrusif
non consenti, qui accroît le degré de sophistication du profilage à des
fins publicitaires au mépris du droit fondamental de la protection des
données personnelles, et qui renforce leur pouvoir de marché auprès des
annonceurs.
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En conséquence, la télévision se révèle effectivement menacée par la
TV.2.0. La préservation d’une télévision européenne à l’ère 2.0. ne peut
se concevoir que dans une perspective d’exclusion du secteur audiovi
suel de toute libéralisation. Lintégration verticale des acteurs de l’indus‑
trie des technologies de l’information et de la communication constitue
une menace pour la mise en œuvre d’une politique audiovisuelle euro‑
péenne effective et nécessite une définition large des services de médias
audiovisuels pour négocier leur exclusion du champ d’application d’un
éventuel accord de libre‑échange. Accord ou pas, il n’en demeure pas
moins vrai que la bataille de lexception culturelle version 2.0. est bel et
bien engagée. Pour conserver une télévision européenne 2.0, l’Union est
condamnée à la victoire.
Jusqu’à présent, l’Union avait eu recours à une approche ex post, au
contrôle des concentrations, et au droit des télécommunications 7 pour
préserver le pluralisme des médias. La TV.2.0 reformule la question de
l’accès au marché de l’infrastructure, à celui du contenu et de la publi‑
cité. Dans l’audiovisuel convergent, la régulation de laccès peut‑elle se
contenter d’une approche ex post ? Ne devrait‑elle pas être complétée
par une approche ex ante pour réguler le pouvoir de marché de Apple,
Google, Netix, ces nouveaux entrants, qui ont mis en œuvre des stra‑
tégies dintégration verticale intracouches et intercouches dans l’indus‑
trie des TIC, leur conférant ainsi des leviers pour élever des barrres à
l’entrée de ces trois marchés stratégiques pour laudiovisuel ?
Le développement du modèle européen, fondé sur la diversité cultu
relle, est subordonné au libre accès à ces trois marchés. Dès lors, il
convient de déterminer les conditions dacheminement des données
relatives aux services de médias audiovisuels sur le réseau Internet qui
permettront de garantir laccès de ce marché aval de la distribution de
la télévision sur le réseau Internet à tous les opérateurs de la TV.2.0
(I). En ce qui concerne le marché amont du contenu, le développement
du contenu audiovisuel européen est lié aux conditions de sa production
et de sa diffusion. Ce qui nécessite de s’interroger sur l’opportunité de
velopper un marché unique de la diffusion des œuvres audiovisuelles
et cinématographiques et dexaminer les conditions d’adaptation de la
7 L’accès a été réglementé par la directive 95/47CE, avant d’être réglementé par le droit européen des
télécommunications : directives 2002/19/CE et 2002/22/CE du 7 mars 2002, et directive 2002/77/
CE de la Commission du 16septembre 2002, modifiées, en 2009, par les directives 2009/136/UE et
2009/140/UE.
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politique de quota de production et de diffusion à l’ère2.0 (II). Enfin,
cette nouvelle donne audiovisuelle favorise une convergence des marchés
publicitaires, créant un avantage concurrentiel au profit des opérateurs
venus du Net, déjà positionnés sur le marché de la publicité en ligne. La
réglementation du traçage devrait maintenir la concurrence. Cependant,
cette mesure se révèle insuffisante, puisqu’en augmentant leur base de
données, ou en favorisant le regroupement des données collectées par
leurs différents services et applications dans le cadre d’une politique
de guichet unique de traitement des données à caractère personnel,
les opérateurs peuvent mieux répondre aux besoins des annonceurs et
accroître leurs recettes publicitaires et renforcer ainsi leur puissance
financière. Ce pouvoir de marché favorisera leur accès aux contenus
premium et leur conférera la possibilité d’imposer des exclusivités, insti
tuant par là même des barrres à lentrée du marché amont du contenu.
Il apparaît dès lors impératif d’examiner les conditions daccès au marché
de la publicité télévisuelle dans le cadre de cette nouvelle donne, ce qui
implique également une analyse des conditions daccès au marché amont
du contenu dans la mesure où ces marchés sont interdépendants (III).
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