Les patients déments, même sévèrement touchés, sont bien souvent

Selon les enquêtes, de 50 à 80% des personnes âgées
souffriraient de douleurs à des degrés divers. Il s’agit donc
d’une situation très fréquente qui peut affecter de manière
notable la qualité de vie par son impact éventuel sur le
sommeil, l’humeur et l’appétit par exemple. L’évaluation du
degré de souffrance n’est pas toujours aisée, en particulier
lorsqu’elle survient chez des patients atteints de troubles
cognitifs. Chez ces sujets, les manifestations de la douleur
peuvent être relativement atypiques, se présentant parfois
sous forme d’une limitation de mobilité, d’une agitation ou
encore d’un syndrome confusionnel. Face à ce type de
situation, l’intensité de la douleur est généralement évaluée
grâce à des échelles d’observation annotées par le personnel
soignant sans que le patient lui-même soit directement
interrogé. Peu de travaux semblent avoir été consacrés, en
particulier, à la pertinence de l’auto évaluation de la douleur
chez les personnes atteintes de démence sévère.
Une équipe suisse s’est ainsi proposée de comparer les
données collectées à l’aide d’échelles d’observation à celles
obtenues par auto évaluation. Tous les patients de plus de 65
ans hospitalisés sur une période de 15 mois dans les
départements de gériatrie ou de psychiatrie de l’hôpital
universitaire de Genève et répondant aux critères de
démence du DSM-IV, avec un score au MMSE <11 et ≥3 au
Clinical Dementia Rating ont été inclus dans l’étude. Les
patients atteints de troubles psychiatriques aigus ou
suicidaires ainsi que les patients confus ou en fin de vie
étaient exclus.
Trois échelles d’auto évaluation ont été soumises aux
participants dans un ordre non défini : une échelle verbale
comportant une liste validée d’adjectifs décrivant la douleur ;
une échelle analogique visuelle représentée par un trait
horizontal de 10 cm permettant de positionner le niveau de
douleur ; une échelle illustrant des visages marqués par la
douleur à des degrés divers. L’investigateur s’assurait de la
bonne compréhension des tests et ceux-ci étaient répétés 30
minutes plus tard afin de vérifier la pertinence des résultats.
Le même jour, l’équipe soignante devait, pour chacun des
sujets, compléter le test Doloplus-2, une échelle
d’observation de la douleur. Cette échelle est
particulièrement adaptée aux personnes qui montrent des
difficultés de communication. Ces 2 types d’évaluation de la
douleur ont été réalisés indépendamment l’un de l’autre.
Au total, 129 patients ont participé à cette évaluation, dont
89 femmes. Leur moyenne d’âge était de 83,7 ± 6,8 ans. Les
principales causes de démence étaient la maladie
d’Alzheimer pour 39% des sujets, des démences mixtes pour
34% et des démences vasculaires pour 16%. Lors de
l’interrogatoire, 44% des patients déclaraient souffrir de
douleurs essentiellement musculo-squelettiques, mais 40%
d’entre eux ne recevaient aucun analgésique. Les diverses
analyses pratiquées ont montré que le score au MMSE était
le facteur prédictif le plus important dans la compréhension
des tests pratiqués, alors que le type de démence avait peu
d’influence. Le test d’expression faciale de la douleur était le
plus facilement compris, alors que l’échelle analogique
horizontale était la moins bien perçue. La présence d’un
syndrome dépressif n’influençait pas le niveau de
compréhension. Au moins l’une des échelles d’auto
évaluation était comprise par 61% des patients et près de la
moitié de ceux qui avaient un score au MMSE ≤6 étaient
encore capables de comprendre et répondre à l’un au moins
des tests. Chez les sujets qui avaient une bonne
compréhension, il y avait une très bonne cohérence et
reproductibilité entre les 3 tests. La meilleure corrélation
était notée entre le test d’expression verbale et le test
d’expression faciale de la douleur. L’échelle d’observation
sous-évaluait toujours la sévérité de la douleur, comparée
aux tests d’auto évaluation.
Cette étude confirme tout d’abord le faible pourcentage de
prise en charge de la douleur en gériatrie et plus
particulièrement chez les patients atteints de démence. Une
auto évaluation du niveau de souffrance semble pourtant tout
à fait réalisable et pertinente même chez les sujets atteints de
troubles cognitifs sévères, pour peu que les tests soient
correctement choisis et que l’on prenne soin de s’assurer de
leur bonne compréhension. Il est également important de
noter que, d’après cette étude, l’évaluation de la douleur par
l’équipe soignante tend bien souvent à sous-estimer le niveau
de souffrance des patients.
Af 450-2006 ©2006 Successful Aging SA
Les patients déments, même sévèrement touchés, sont bien
souvent capables d’évaluer eux-mêmes leur niveau de douleur.
Tristan Cudennec,
Hôpital Ambroise Paré, Boulogne Billancourt
Pautex S, Michon A, Guedira M, Emond H, Le Lous P, Samaras D, Michel J-P, Herrmann F, Giannakopoulos P, Gold G.
Pain in severe dementia : self-assessment or observational scales ? J Am Geriatr Soc. 2006;54:1040-1045.
Proportion de sujets qui ont compris les diverses échelles d’évaluation de la douleur et proportion d’échelles comprises en
fonction du degré de l’atteinte cognitive mesurée selon le test du MMSE.
Score au MMSE
≤ 6
(n=67)
>6
(n=62)
Total
(N=129)
Nombre de sujets ayant compris une échelle
-Echelle verbale
-Echelle visuelle analogique
-Expression des visages
25%
22%
36%
53%
36%
63%
39%
29%
49%
Nombre d’échelles comprises
3
2
1
0
15%
21%
13%
51%
32%
27%
15%
26%
23%
24%
14%
39%
1 / 1 100%
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