28 version du November 7, 2016 Université Paris 8 – Licences d’Informatique et de Mathématiques
4 — INFÉRENCES
Ce chapitre présente, dans le cadre du calcul propositionnel, la notion de déduction : certaines propositions
étant admises/acceptées, quelles propositions en découlent ? i.e. peuvent être, à leur tour, légitimement
admises/acceptées ?
Un des objets de la logique est de justifier ou rejeter chacun de ces passages d’un groupe d’énoncés à un
nouvel énoncé ; car ce processus est l’étape élémentaire de ce que l’on appelle un raisonnement.
§4.1 - Consistance d’un ensemble de formules.
4.1 Exemple. – Un méfait a été commis et trois personnes sont souppçonnées. Les enquêteurs ont recueilli
trois témoignages :
1er témoin : « Quentin est coupable. Roger n’a rien à voir là-dedans. »
2etémoin : « Si Philippe a fait le coup, alors Roger est innocent. »
3etémoin : « Roger est innocent mais l’un des deux autres est coupable. »
– Traduison les trois propositions énoncées par ces témoins. Pour cela, nous choisissons des propositions
simples qui permettent de décomposer les propositions-témoignages :
p=«Philippe est coupable. »q=«Quentin est coupable. »r=«Roger est coupable. »
Les témoignages peuvent alors s’exprimer à l’aide de formules propositionnelles.
1er témoignage F=q∧ ¬r2etémoignage G=p→ ¬r3etémoignage H=¬r(pq)
– Le rôle de l’enquêteur est de trouver un ou plusieurs coupable(s) qui soi(en)t compatible(s) avec les
témoignages. En d’autres termes, on chercher à attribuer des valeurs de vérité aux propositions simples
p,q,r, de telle sorte que les formules F,G,Hsoient vraies. On cherche dont les interprétations pour
lesquelles F,G,Hsont vraies.
On peut, par exemple, dresser une table de vérité. p11110000
q11001100
r10101010
F01000100
G01011111
H01010100
 
– Analyse des résultats obtenus. Seules deux interprétations, signalées par , rendent vraies les trois
formules F,G,H. Donc, si l’enquêteur fait confiance aux témoins, il n’y a que deux possibilités : (p, q, r) =
(1,1,0) ou (0,1,0). Ce qui signifie Philippe et Quentin coupables ou bien Quentin seul coupable.
4.2 On s’intéresse donc à la vérité de plusieurs formules simultanément.
Définition. Un ensemble de formules est consistant ou satisfaisable s’il existe au moins une
interprétation qui donne la valeur « vrai » à toutes ses formules.
4.3 Exemple. Dans l’exemple initial (4.1), les formules F,G,Hpeuvent êre vraies simultanément car
deux interprétations les rendent toutes les trois vraies. Donc l’ensemble {F;G;H}est consistant.
4.4 Cette définition peut se formuler différemment.
Théorème. Un ensemble (fini) de formules est consistant ssi la conjonction de ses formules n’est
pas une contradiction.
Démonstration. Soit Σ = {F1;...;Fk}un ensemble fini de formules.
Pour une interprétations vfixée : vsatisfait Σ(i.e. rend vraies F1, . . ., Fk) ssi vrend vraie la formule F1∧ ··· ∧ Fk.
Or Σconsistant” signifie “il y a une interprétation vqui satisfait Σ, et F1···Fkn’est pas une contradictionsignifie
“il y a une interprétation qui rend vraie F1∧ ·· · ∧ FK.
4.5 Exemple. Dans l’exemple initial (4.1), les interprétations qui satisfont {F;G;H}sont celles qui
rendent vraies les trois formules F,Get Hdonc celles qui rendent vraie la formule FGH.
Introduction à la logique (Mariou) – Automne 2016 version du November 7, 2016 29
4.6 Ensemble inconsistant.
– Lorsqu’un ensemble de formules Σn’est pas consistant, cela signifie que, pour toute interprétation, au
moins une des formules de Σn’est pas vraie. Si Σest fini, cela signifie aussi que la conjonction de ses
formules n’est jamais vraie, i.e. c’est une contradiction. On dit alors que cet ensemble est inconsistant
ou contradictoire.
Cela signifie encore que les formules de Σne peuvent pas être vraies toutes ensemble. Elles se contrdisent,
elles sont incompatibles.
– Exemples d’ensembles inconsistants : {pq;p∧ ¬q}
{p;pq;p→ ¬q}
(exercices)
– Dans l’exemple 4.1, on est parti du principe que les trois témoignages étaient vrais et on a cherché pour
quelles interprétations cela se produisait. On aurait pu se trouver dans le cas où aucune interprétation ne
rend vrais les trois témoignages. Dans ce cas, les trois témoignages sont incompatibles et donc au moins
un des témoins a menti (quelle que soit l’interprétation, un des témoignages est faux).
§4.2 - Notion de conséquence.
4.7 Exemple. Revenons encore à l’exemple 4.1 et aux conclusions que peut tirer l’enquêteur de l’étude
de la table de vérité : lorsque F,G,Hsont vraies, on a (p=q= 1 et r= 0) ou (p=r= 0 et q= 1).
Dans les deux cas, q= 1 et r= 0 i.e. Quentin est coupable et Roger est innocent.
4.8 Cela illustre la notion de conséquence.
Définition. Soient un ensemble de formules Σet une formule G. On dit que Gest conséquence
de Σsi toute interprétation qui rend vraies toutes les formules de Σrend aussi vraie la
formule G. On le note Σ|=G.
4.9 Exemples. – Dans l’exemple 4.1, on a vu que dès que F,G,Hsont vraies, qest vraie. Donc
F, G, H |=q. Mais on a vu aussi que rest nécessairement faux, donc F, G, H |=¬r.
– En revanche, on a une interprétation qui rend vraies F,Get Hmais pas p, donc F, G, H 6|=p. De
même, l’autre interprétation rend vraies F,Get Het p, donc pas ¬p, donc F, G, H 6|=¬p.
4.10 Remarques. – On peut voir Σcomme un ensemble de conditions. Et on ne tient compte que
des interprétations qui satisfont ces conditions. Si Gest vraie pour chacune de ces interprétations, on
considère que les conditions entraînent Gpuisque chaque fois qu’elles sont vraies, Gaussi.
– Inversement, dire que Gn’est pas conséquence de Σ, c’est dire qu’il y a, au moins, une interprétation
qui rend vraies toutes les formules de Σmais pas G.
– Cas particulier. Lorsque Σ = , on note plutôt |=G. Cela signifie que toute interprétation rend Gvraie
i.e. Gest une tautologie (il n’y a aucune condition à satisfaire, aucune contrainte pour sélectionner les
interprétations, elles sont donc toutes prises en compte).
4.11 Caractérisation de la notion de conséquence.
Théorème. On a F1, . . . , Fk|=G,i.e. Gest conséquence de F1, . . ., Fk
ssi la formule (F1 · · · Fk)Gest une tautologie.
Démonstration. F1,...,Fk|=Gsignifie que pour toute interprétation qui rend vraies F1, . . ., Fk,Gest vraie aussi
i.e. pour toute interprétation, si F1, . . ., Fksont vraies alors Gaussi
i.e. pour toute interprétation, si F1∧ ·· · ∧ Fkest vraie alors Gaussi
i.e. pour toute interprétation, (F1∧ ·· · ∧ Fk)Gest vraie.
4.12 Autres caractérisations de la notion de conséquence.
La relation de conséquence F1, . . . , Fk|=Gsignifie donc que, pour aucune interprétation, on ne peut
avoir F1, . . ., Fkvraies et Gfausse. Autrement dit :
F1, . . . , Fk|=Gssi F1 · · · Fk∧ ¬Gest une contradiction ssi {F1;. . . ;Fk;¬G}est inconsistant.
4.13 Inversement, F1, . . . , Fk6|=Gsignifie exactement :
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il y a une interprétation pour laquelle F1, . . ., Fksont vraies et Gest fausse,
(F1 · · · Fk)Gn’est pas une tautologie,
F1 · · · Fk∧ ¬Gn’est pas une contradiction,
{F1;. . . ;Fk;¬G}est consistant,
F1, . . ., Fk,¬Gsont compatibles.
§4.3 - Inférences valides et déduction.
4.14 Inférences.
Une inférence est une opération qui consiste à tirer une conclusion d’un certain nombre d’énoncés
tenus pour vrais ou acceptés (par hypothèse ou parce qu’ils ont été prouvés auparavant), qui sont appelés
prémisses.
4.15 Remarque. – Dans la pratique, il s’agit d’une micro-étape du raisonnement, tellement usuelle qu’on
n’y prête pas attention. On s’attache habituellement au contenu, aux arguments, qui sont spécifiques au
raisonnement en cours ; et on néglige les mécanismes, les opérations de déduction, qui sont (ou semblent)
universelles 1.
La logique a pour objectif de vérifier la correction de ces transitions, et on a donc recours à une formali-
sation des inférences.
4.16 Une inférence se note A1,...,An` B, ce qui se lit “de A1, . . ., Anon déduit/on peut déduire B
ou Bse déduit de A1, . . ., Anou encore A1, . . ., Aninfèrent B. Où les Aiet Bsont des énoncés.
4.17 Remarque. – Comme on cherche des principes généraux, on rejette, par exemple, un inférence comme
«Il pleut donc je prends mon parapluie » qui dépend du sens particulier des propositions en jeu ; mais on
accepte une inférence comme « Il pleut et j’ai froid donc j’ai froid » car elle est du type Aet B ` B.
Il apparaît donc que l’analyse des inférences (comme celle des tautologies) repose sur la structure des
assertions. Ainsi la logique regarde les inférences comme des processus syntaxiques.
4.18 Certaines inférences sont correctes et d’autres pas, et c’est la sémantique qui permet de le décider.
Dans le calcul propositionnel, ce sont les interprétations qui “valident” une inférence.
Définition. L’inférence A1, . . . , An`Best valide ssi A1, . . . , An|=B.
4.19 Exemple. Poursuite de l’exemple 4.1. D’après ce qu’on a vu (4.9), les déductions F, G, H `qet
F, G, H ` ¬rsont valides, ainsi que F, G, H `pqr. On peut donc dire que de F,G,H, on peut
déduire q, on peut déduire ¬r, on peut déduire pqr.
4.20 On peut adapter les propriétés vues en fin de paragraphe précédent (points 4.11 et suivants) en y
introduisant la notion d’inférence valide.
Ainsi l’inférence A1, . . . , An`Best valide ssi (A1 · · · An)Best une tautologie
ou encore ssi A1∧ · · · ∧ An∧ ¬Best une contradiction i.e. {A1;. . . ;An;¬B}est inconsistant.
Et elle n’est pas valide lorsque cet ensemble est consistant i.e. on peut rendre A1, . . ., Anvraies et B
fausse.
4.21 Distinction entre inférence et conséquence. – La notion d’inférence comporte une idée dyna-
mique, de construction d’une nouvelle connaissance à partir de celles acquises auparavant. Elle se situe
dans le domaine de l’argumentation, de la déduction, des preuves. Elle comporte aussi une dimension
d’action, de choix 2, de stratégie (série de choix à faire dans une démonstration qui enchaîne plusieurs
inférences).
– La notion de conséquence constate un état de la table de vérité. C’est une propriété des interprétations
et des formules concernées. Comme toute propriété mathématique, la relation A1, . . . , An|=Bpeut
1. Souvent, on ne remarque l’aspect logique d’un raisonnement que lorsqu’il est visiblement erroné.
2. Idée de choix traduite par la formulation “on peut déduire . . .” : c’est une option, mais ce n’est pas forcément pertinent.
Introduction à la logique (Mariou) – Automne 2016 version du November 7, 2016 31
être vraie ou fausse 3, et on peut la vérifier ou la rejeter ; mais elle n’explique pas pourquoi les formules
A1, . . . , An, B satisfont la relation. Elle est en quelques sortes un constat passif.
– Les deux notions se complètent. Les inférences acceptables sont validées par la notion de conséquence,
mais, inversement, les inférences permettent d’analyser et d’expliquer les phénomènes constatés de façon
brute par la relation de conséquence.
4.22 Analyse du raisonnement.
La logique se propose d’analyser les raisonnements et d’identifier les tautologies. Une méthode consiste
à donner le statut de règles de duction à certaines inférences valides élémentaires, qui découlent des
définitions des connecteurs et qui apparaissent ainsi comme des processus déductifs partagés par tous
(par exemple AB`A) ; et d’essayer de prouver les relations de conséquence plus évoluées à l’aide de
ces quelques règles.
Par exemple, on peut accepter pour règles AB`A,AB`Bet A, B `AB.
On peut même penser que ces inférences définissent le connecteur « et ».
Alors on pourra prouver la relation AB|=BA: de ABon déduit B,
de ABon déduit aussi A,
on a donc B,Adesquelles on peut déduire BA.
Cette approche permet de décomposer les mécanismes de préservation de la vérité, et d’étudier ce qui,
dans la structure des formules, fait fonctionner ces mécanismes.
Plus largement, analyser les relations de conséquence à l’aide d’inférences valides élémentaires permet de
mieux comprendre les raisonnements, quel que soit le contexte, mathématique ou non.
§4.4 - Règles d’inférence.
4.23 Règles de déduction.
– Comme on vient de voir, chaque déduction valide peut être élevée au statut de règle de déduction,
par exemple si on la juge assez courante et élémentaire pour représenter un processus mental commun à
tous les individus.
– Nous allons en voir quelques exemples. Elles correspondent à des techniques de démonstration utilisée
en mathématiques.
– Attention, une de leurs caractéristiques est qu’on peut les appliquer sans se soucier du contenu. Autre-
ment dit, ce sont des règles syntaxiques. Chacune peut être utilisée dès que les formules considérées ont
la forme requise par la règle.
4.24 Modus ponens (“le mode qui affirme”) ou règle de détachement :A, A B`B
Cette règle peut être appliquée dès qu’on est en présence de deux formules F,Gavec Fqui est de la
forme (GH). Et dans cette situation, on peut déduire H.
Elle est validée par le fait que (A(AB)) Best une tautologie, i.e. A, A B|=B.
4.25 Modus tollens (“le mode qui ôte, qui réfute”)¬B, A B` ¬A
Cette règle correspond au principe selon lequel si une conséquence de An’est pas vérifiée, alors Aelle-
même n’est pas vérifiée. Elle est validée par la tautologie (¬B(AB)) → ¬A.
4.26 Autres règles. Dès qu’on dispose d’une tautologie du type FG, elle valide l’inférence cor-
repondante F`G. Certaines sont plus intéressantes que d’autres, car elles rappellent des techiques de
démonstration usuelles. Par exemple :
3. Quand elle est fausse, on note A1,...,An6|=Btandis qu’une inférence non valide est aussitôt oubliée, elle n’a pas
d’intérêt pour elle-même.
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identité A`A
raisonnement par l’absurde (direct) A→ ¬A` ¬A
AB, A → ¬B` ¬A
raisonnement par l’absurde (indirect) ¬AA`A
¬AB, ¬A→ ¬B`A
double négation ¬¬A`A
contradiction A, ¬A`B
propriétés de B`AB
¬A`AB
4.27 Règles du système de déduction naturelle. La duction naturelle est un ensemble de règles
permettant de prouver les relations de conséquence, et caractérisée par des règles attachées à chacun des
connecteurs, simples car correspondant à la pratique. Par exemple :
introduction de A, B `AB
élimination gauche de AB`A
introduction gauche de A`AB
élimination de AB, A C, B C`C
élimination de A, A B`B
introduction de AB, B A`AB
élimination gauche de AB, A `B
§4.5 - Vérité et preuve.
– À quoi servent les preuves dans la mesure où elles ne font que paraphraser la relation de conséquence
et que confirmer des énoncés vrais ?
Un élément de réponse se situe dans le caractère infini des vérifications qu’il faudrait mener pour se
convaincre que certains énoncés sont vrais. Par exemple « tous les entiers multiples de 4 sont pairs ».
De la même façon, si Σest un ensemble infini de formules, on ne peut pas, en pratique, utiliser les tables
de vérité pour voir si Gest conséquence de Σou pas.
L’utilité des démonstrations, en mathématiques, vient donc de la variété infinie des situations à considérer.
La preuve est souvent le seul moyen de se convaincre de la vérité des énoncés.
Un autre avantage est que la preuve, qui est donc finie, souligne quelles sont les hypothèses utiles et
quelles sont celles qui sont superflues.
– Mais pour que les preuves jouent leur rôle, on doit s’assurer qu’elles ne prouvent que des énoncés vrais.
C’est pourquoi, on accorde tant d’importance à la validité des inférences. C’est la garantie qu’ensuite,
les preuves préserveront la vérité et que, si les hypothèses sont vraies, la conclusion de la démonstration
sera nécessairement vraie elle aussi.
– Une autre question est de savoir si on peut, grâce aux preuves, accèder à tous les énoncés vrais. Cela
dépend du système de déduction.
§4.6 - Exercices.
Consistance d’un ensemble de formules.
60 Les ensembles de formules suivants sont-ils consistants ? a) Σ1={pq;p(qr) ; ¬(qr)}
b) Σ2={pq;qr;rp}c) Σ3= Σ2∪ { pqr;¬p∨ ¬q∨ ¬r}
d) Σ4={ ¬p;q;r; (qr)p}e) Σ5={p→ ¬q;q→ ¬r;r→ ¬p;pq;qr;rp}
61 Déterminez si les ensembles de propositions suivants sont consistants ou pas. Lorsque l’ensemble est
consistant, indiquez une interprétation qui rend vraie toutes les propositions de l’ensemble.
a) «Si les appartements sont agréables, les occupants restent chez eux le dimanche. S’ils restent chez eux le
dimanche, ils regardent la télévision. S’ils regardent la télévision, les appartements sont bruyants et on ne peut
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