Identité et conscience européenne à travers les relations

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UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE
U.F.R LETTRE ET SCIENCES HUMAINES
THÈSE DE DOCTORAT EN HISTOIRE CONTEMPORAINE
Par Kim Yoo-Joung
Titre
IDENTITÉ ET CONSCIENCE EUROPÉENNES À TRAVERS
LES RELATIONS DE JEAN MONNET ET DE L’ÉLITE
AMÉRICAINE 1938-1963
Directeur de Thèse
Professeur Gérard Bossuat
(Université de Cergy-Pontoise, chaire Jean Monnet ad personam, Histoire de
l‘unité européenne)
1
REMERCIEMENTS
Ce travail n‘existerait pas sans le soutien de nombreuses personnes qui m‘ont conseillé,
corrigée et dirigée dans mon travail. Qu‘ils soient tous ici remerciés :
Mes remerciements vont avant tout à mon directeur, Monsieur Gérard Bossuat, qui tout au
long de cette thèse, n‘a jamais compté ni son temps, ni ses efforts, ni son soutien à mon égard.
Sans le professeur Bossuat, sans sa confiance, ses précieux conseils, ses encouragements et
son indulgence, ce travail n‘aurait jamais existé. Aussi, ces mots en préambule vous sont
directement adressés Monsieur. Je vous remercie autant pour l‘aspect méthodologique,
l‘extraordinaire érudition sur l‘intégration européenne que vous me fîtes entrevoir, que pour
les leçons de vie, le positivisme qui faut toujours garder au cours de cette longue et difficile
entreprise qu‘est la thèse : Ne jamais abandonner, tenir et conserver l‘espoir dans ses
recherches et ses convictions à l‘instar de Jean Monnet pour l‘Europe.
Je tiens aussi à remercier le professeur Wilfred Loth, qui en m‘invitant à visiter
l‘université d‘Essen, m‘a accordé un précieux entretien et d‘inestimables conseils pour mes
recherches. J‘étais heureuse de pouvoir bénéficier de ses lumières, de sa très grande
expérience et de ses doctes idées. Je tiens également à remercier le professeur Myung-Whan
Noh de l‘université de Hankuk Foreign Studies, à Séoul, qui m‘a toujours soutenue à chacune
de ses visites à Paris ou à distance par e-mails.
La quatrième personne que je souhaiterais remercier est Thierry Parain. Son aide, ses
conseils, ses patientes relectures, ses corrections rédactionnelles et sa rigueur dans le travail
ont été essentiels à la bonne réalisation de ce manuscrit de thèse. Je tiens à témoigner ma
sincère et profonde gratitude pour son aide.
Par ailleurs, ce travail n‘aurait pu être mené à bien sans le très large accès aux archives de
la Fondation Jean Monnet pour l‘Europe (FJME), à Lausanne. Aussi, je remercie
chaleureusement, Monsieur Patrick Piffaretti, directeur de la Fondation, ainsi que ses
collaborateurs, et particulièrement Madame Françoise Nicod : leurs merveilleux accueils,
leurs constantes disponibilités et leurs chaleureux encouragements à chacune des visites
réalisées à Lausanne, ont été d‘incroyables soutiens dans la poursuite de cette thèse. Merci à
eux.
2
Enfin, je souhaite exprimer un très grand remerciement à Jenny Raflik et Danielle Gérard
qui ont accepté avec gentillesse et patience de relire les rédactions de cette thèse. Leurs efforts
et leurs conseils m‘ont beaucoup renforcée dans mes recherches.
Enfin, cette étude n‘existerait pas, non plus, sans le soutien de mes parents et de ma
famille et sans les encouragements et le réconfort de mes amis.
C‘est la générosité, la bonté, la patience et les précieux conseils de toutes les personnes
citées qui ont rendu possible cette présente étude. Merci sincèrement à tous.
3
Sommaire
AVANT PROPOS ...................................................................................................................... 8
INTRODUCTION GÉNÉRALE .............................................................................................. 10
PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSE .................................................................................. 22
NATURE DES SOURCES ...................................................................................................... 34
Première partie:Identité et conscience européennes face aux blocs occidental et
soviétique durant la première étape de la construction européenne (1938-1949) ............ 38
Chapitre 1 : L'émergence d‘une idée d‘identité européenne, à travers la rencontre de Jean
Monnet et de ses amis américains (1938-1943) ....................................................................... 39
« L‘Europe de demain » chez Jean Monnet et les élites politiques américaines et les élites
européennes, durant la guerre. ............................................................................................. 41
Achat d‘avions de combat américains : Prémices d‘une coopération franco-angloaméricaine (1938-1939) ....................................................................................................... 44
Jean Monnet et l‘administration Roosevelt : Entre Arbitrage et Neutralité. Quel doit être le
rôle des États Unis dans le conflit européen ? ..................................................................... 52
Les amis « rooseveltiens » de Jean Monnet, leurs points de vue et leurs positions durant la
seconde guerre mondiale. .................................................................................................... 56
Une identité européenne naît de la rencontre de deux grands hommes : Jean Monnet et
Clarence K. Streit, deux visions de l‘Unité Atlantique (1939). ........................................... 62
Charte Atlantique et vision de John F. Dulles sur l‘avenir de l‘Europe, après la guerre
(1941)................................................................................................................................... 65
L‘Europe d‘après-guerre selon Jean Monnet : Réflexions d‘ Alger (1943) ........................ 68
4
Chapitre 2 : De l‘union rêvée à l‘union nécessaire : l‘Europe occidentale (1945-1946) ......... 76
L‘Europe : Un chemin pour la paix occidentale ou un chemin pour un bloc occidental ?.. 77
L‘idée de la solidarité économique : les trois composants, ―Paix, Europe, FranceAllemagne‖, selon Jean Monnet. ......................................................................................... 80
L‘idée de « la dépendance consentie » avec l‘aide américaine entre la France et l‘Amérique
(1945-1946) ......................................................................................................................... 85
Jean Monnet et Robert Nathan: l‘influence de l‘Amérique sur le plan de modernisation
français (1946) ..................................................................................................................... 90
Chapitre3 : Les premiers conflits en Europe dus au Plan Marshall (1947) .............................. 95
Le changement de la politique étrangère de Truman et l‘unification européenne. ............. 97
De quoi rêvent les hauts fonctionnaires américains à propos de l‘Europe au lendemain de la
guerre ? .............................................................................................................................. 100
Dialogue entre Jean Monnet et les élites américaines durant le Plan Marshall. ................ 106
La relation de Jean Monnet avec ses interlocuteurs américains pour le plan Marshall..... 114
Chapitre4 :Une vision structurelle de la triade Allemagne-Europe-France d‘après Jean Monnet
et les élites politiques américaines (1948-1949) .................................................................... 120
La perception du danger allemand pour Jean Monnet, les États-Unis et l‘unité de l‘Europe
Ouest (1947-1948) ............................................................................................................. 121
L‘idée de fédération occidentale : les points de vue de Jean Monnet et des responsables
américains (1948) .............................................................................................................. 129
Le refus britannique de l‘Europe et le leadership de la France en 1949. .......................... 138
Deuxième Partie : Identité et conscience européennes à travers les institutions
européennes (1950-1954)...................................................................................................... 149
5
Chapitre 5 : L‘influence et le rôle des États-Unis dans le plan Schuman. ............................. 150
Le cercle des « lawyers » américains associés à Monnet et le plan Schuman. ................. 152
Les journalistes américains de l‘Europe fédérale et Jean Monnet..................................... 166
Chapitre 6 : La CECA et les États-Unis (1950-1952) ............................................................ 175
Les idées communes de Jean Monnet et des États-Unis sur la supranationalité. .............. 181
La contribution des Américains au succès des négociations pour la CECA. .................... 191
La collaboration Tomlinson-Monnet pour les institutions européennes (1950-1954) ...... 200
Chapitre 7 : La Défense européenne et les États-Unis (1952-1954) ...................................... 209
La divergence entre Monnet et les États-Unis quant au réarmement allemand, en écho à la
guerre de Corée (de juin à septembre 1950) ...................................................................... 211
Vers une convergence pour l‘armée européenne (d‘octobre 1950 à juillet 1951)............. 221
L‘utilisation des Américains par Monnet pour la CED : le chemin pour l‘intégration
européenne par l‘association atlantique? (1952-1954) ...................................................... 233
Troisième Partie :Identité et conscience européennes pour ou contre la Communauté
Atlantique (1954-1963) ......................................................................................................... 243
Chapitre 8 : La solution atlantique : les coopérations atlantiques (1954-1955) ..................... 245
L‘Atlantisme comme alternative à l‘échec de la CED. ..................................................... 246
L‘Atlantisme pour l‘intégration européenne, selon Monnet ............................................. 254
L‘Atlantisme peut-il sauver la construction européenne ? ................................................ 261
Chapitre 9 : L‘Atlantisme dans les institutions européennes (1956-1958) ............................ 271
6
La coopération atlantique pour la recherche atomique : collaboration entre Jean Monnet,
Max Isenberg et Robert Schaetzel. .................................................................................... 272
Divergence et convergence entre Monnet et les élites américaines sur l‘intégration
économique européenne : le Marché commun. ................................................................. 284
Chapitre 10 : « Un seul lit pour deux rêves » : l‘Atlantisme générateur de conflit (1959-1963)
................................................................................................................................................ 295
Deux conceptions conflictuelles de la coopération économique : la petite Europe du
Marché commun et la Grande Zone de libre-échange. ...................................................... 296
Une identité européenne conflictuelle : « l‘Europe continentale » des Gaullistes face à
« l‘Europe atlantique » de Monnet. ................................................................................... 306
Kennedy et Monnet contre De Gaulle : conflit autour de l‘entrée de la Grande-Bretagne à
la CEE. ............................................................................................................................... 321
Les conceptions de Monnet et des élites américaines vis-à-vis de la Communauté
atlantique. .......................................................................................................................... 331
CONCLUSION GÉNÉRALE ................................................................................................ 344
CHRONOLOGIE ................................................................................................................... 349
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 355
SOURCES .............................................................................................................................. 369
SIGLES .................................................................................................................................. 408
ANNEXES ............................................................................................................................. 409
INDEX DES NOMS PROPRES ............................................................................................ 432
7
AVANT PROPOS
Les motivations de mes recherches concernent la possibilité de dégager un modèle de
compréhension de la construction et de l‘unification européenne, ceci, afin de servir de pattern
de développement à la stabilité voire, éventuellement, à l‘unification des pays d‘Asie
orientale.
Depuis plusieurs années, le développement des pays asiatiques a généré un enrichissement
global de cette zone et provoqué une modification des rapports de forces entre ses membres.
Malheureusement, parallèlement au progrès et à la croissance un renforcement du sentiment
d‘identité nationale, déjà bien marquée dans cette région semble émerger. Les succès
économiques répétés n‘ont fait qu‘exacerber un nationalisme dangereux pour l‘équilibre de
cette région. Equilibre, ô combien fragile puisque déjà malmené par la progression de ce
même nationalisme durant la période de l‘après-guerre froide. En effet, en dépit de certaines
crises économiques et financières à la fin des années quatre-vingt dix, tous les pays asiatiques,
sans exception, se sont empressés d‘acheter des armes dans le but de renforcer leurs capacités
militaires. Cette course à l‘armement avait pour objectif premier de maintenir une paix
durable. Paradoxalement, elle n‘a abouti qu‘à renforcer le sentiment d‘insécurité. La Corée en
est l‘exemple parfait car elle est toujours confrontée au douloureux problème de la séparation,
et ce, depuis la guerre froide. La Corée est toujours enlisée dans un statu quo, un armistice de
façade qui ne laisse envisager aucune paix concrète à court terme, bien au contraire, eu égard
aux récents incidents politiques et militaires de la part des nord-coréens.
Dans l‘échiquier politique et militaire asiatique, seule, la présence américaine assure une
relative sécurité. Une quiétude fragile car au fur et à mesure que les conflits politiques
s‘intensifient, l‘arbitrage américain est de plus en plus contesté, ceci, particulièrement depuis
l‘émergence de la Chine. L‘intervention des États-Unis n‘apparaît plus comme l‘unique
solution face à la crise que rencontrent les pays d‘Asie orientale. Plusieurs voix s‘élèvent, ici
et là, pour enjoindre les nations asiatiques à reprendre leur destin en main. Mais quelle
solution adopter pour une stabilité permanente ?
8
Un courant de pensée traverse ce projet, peut être utopique, d‘une unification continentale
à la manière européenne. C‘est dans cette perspective que s‘inscrit ma recherche : développer
un modèle de stabilité asiatique fondée sur la construction et l‘unification l‘européenne
d‘après-guerre. L‘Europe d‘après-guerre et l‘Asie Est-Nord contemporaine se ressemblent sur
bien des points : une culture et des valeurs communes, de fortes rivalités, un nationalisme
exacerbé, des ressentiments dus à la guerre, l‘humiliation de la défaite, une relation CoréeJapon conflictuelle mêlée de haine et d‘admiration, une croissance forte, en somme, un
nombre non négligeables de similitudes.
Les Asiatiques n‘ont, jusqu‘à présent, jamais eu l‘occasion d‘organiser leur paix propre.
C‘est sur ce chemin qu‘il faut chercher une forme de coexistence et de coopération asiatique
tout comme l‘Europe l‘a réalisée après la seconde guerre mondiale. C‘est pour cette raison
que l‘idée d‘unification européenne et en particulier celle de Jean Monnet est capitale. Bien
entendu, il ne s‘agit pas de transposer mécaniquement et intégralement un modèle européen
théorique, en écartant tout particularisme asiatique, mais plutôt de reprendre l‘esprit et les
idées du modèle ainsi que la démarche (voire la méthodologie) adoptée lors de sa
construction. Les Asiatiques doivent apprendre à se réconcilier, se comprendre, travailler
ensemble pour trouver une solution commune mais surtout, à pouvoir se projeter dans un
avenir commun, soutenu par des institutions économiques, politiques et de défense commune,
à l‘instar du projet de Jean Monnet pour l‘Europe, pendant la période de 1939 à 1963. Car il
fut l‘une des sources de projets politiques les plus fertiles du XXème siècle : il a exercé une
influence observable partout, tant dans l‘esprit que dans les préceptes de l‘unification de
l‘Europe, ou encore dans la stratégie et la tactique d‘intégration des diverses communautés,
particulièrement entre 1945 et 1963 (plan Monnet, plan Schuman, CECA, projet d‘armée
européenne, Euratom, le partenariat transatlantique…). L‘engagement de Jean Monnet tout au
long de sa vie a été fondamental pour la construction européenne. Apprendre des idées de
Monnet est la voie à suivre pour l‘intégration asiatique. Toutefois, si le résultat d‘aujourd‘hui,
l‘Europe communautaire ne correspond pas exactement au dessein de Jean Monnet, l‘esprit et
la méthode d‘action demeurent plus qu‘encourageants pour une éventuelle intégration
asiatique nécessaire pour la paix dans le pacifique, et par extension pour la stabilité à venir du
monde.
9
INTRODUCTION GÉNÉRALE
« Drawing from my own experience, I think that one of the reasons of the success of this
European unity and Common Market is that we have always dealt with the problems of the
day with an eye on the future, but never allowed ourselves to make propositions on purely
hypothetical situations. What are the real problems of to-day? »1
La construction européenne a souvent été en proie aux doutes, à la peur et à l‘inquiétude.
Son histoire est jalonnée de crises qui, pourtant, sauront être surmontées ; crises, qui par
ailleurs, confirmeront la nécessité de forger une Europe forte et unie comme le dit René
Girault : « On a souvent demandé à l‘Histoire d‘expliquer le Présent, voire de préfigurer
l‘Avenir, Il est assuré que le Passé fonde le Présent. Or le présent de l‘Europe est fait de
doutes sur les possibilités de construire une union politique, sur les capacités économiques, et
particulièrement de créer un ensemble multinational, alors que la vague nationaliste semble
s‘imposer»2.
Jean Monnet parle de « nécessité » pour faire l‘Europe alors que René Girault introduit la
notion de « doute » pour pousser les pays européens à se rassembler. Mais, l‘Europe du
présent n‘est-elle pas plutôt le résultat de la « peur » dans cette histoire contemporaine ? Pour
comprendre l‘enjeu et le processus de construction européenne, ainsi que le mécanisme qui la
renforce, faut-il nécessairement tenir compte des innombrables peurs : celles liées à la
seconde guerre mondiale, puis celles liées au contexte de la guerre froide ? Plus récemment,
d‘autres peurs ont assombri l‘avenir de l‘Europe comme l‘élargissement à 27 États-membres
et la peur du « gigantisme », la candidature de la Turquie et la peur d‘une dissolution de la
culture occidentale ; ou encore, la peur de la disparition des identités nationales à travers
1
Fondation Jean Monnet pour l‘Europe(FJME) AMK C 23/1/145: Lettre de Jean Monnet à George Ball,
(17.11.61)
2
René Girault (dir.), Identité et Conscience européennes au XXe siècle, Paris, Hachette, 1994, p.13.
10
l‘établissement d‘une constitution européenne, qui fut pourtant stoppée par le double refus
franco-néerlandais.
Nombre de freins à la construction européenne relèvent des peurs qui se matérialisent
autour de question d‘identité et de conscience européennes. Il semble que ces notions soient
souvent employées sans jamais être rigoureusement définis. Pire, le sentiment européen qui
leur est rattaché, parait souvent fragile, contribuant malheureusement à construire une Europe
de moins en moins européenne.
La constitution européenne est-elle véritablement un danger pour l‘identité nationale des
pays membres ? Est-ce pour cette raison qu‘elle fut rejetée ? L‘adhésion de la Turquie pose-telle un réel problème d‘identité pour les pays déjà membres ? Peut-on vraiment parler d‘une
crise identitaire en Europe ? A-t-on le droit de dire cela ?
Récemment, beaucoup de questions posent le problème du lien entre l‘élargissement et
l‘approfondissement de la construction européenne. Or ces concepts sont nécessairement
paradoxaux. Dans cette contribution, nous espérons répondre à la question du déficit
d‘imaginaire et de la faiblesse relative du « sentiment européen », qui contrastent avec la
puissance du processus d‘intégration européenne observée depuis plus de cinquante ans.
La première partie des travaux de René Girault (1989), sur Identité et conscience
européennes au XXe siècle, a permis de développer une réflexion historique sur « les diverses
notions d‘identité », de conscience et « de sentiments européens », à travers l‘analyse de
milieux sociaux différents (monde des affaires, monde politique, milieu intellectuel, les
immigrés et les réfugiés, les anciens combattants et résistants, les pacifistes et enfin les
antifascistes). Cette analyse de strates a dévoilé l‘existence de valeurs spécifiques aux
différents milieux qui ont renforcé le processus d‘identification européenne au cours du XXe
siècle (croissance économique, sentiment démocratique, traits communs et spécificités des
sociétés européennes, cultures des masses, sociabilité au sein d‘organisations européennes,
créations d‘institutions supranationales de la SDN à la CEE).
Ces travaux ont abouti au colloque de Paris (1993), sur l’identité et de la conscience
européenne : vers une identité et une conscience européenne au XXe siècle. Par la suite, une
seconde vague de travaux pour les années 1995 à 1999 a été lancé malgré
l‘«europessimisme » apparu dans les années 1990. Cette seconde partie de travaux devait
élargir la problématique initiale (les identités européennes) et l‘articuler dans une thématique
11
de « réseau européen » pour sa construction. Cette nouvelle vague de travaux fut réalisée sous
la coordination générale conjointe des Professeurs Robert Frank et Gérard Bossuat3, sous le
titre de double orientation de l‘enquête sur les identités européennes de 1995 à 1999.
En premier lieu, le nouveau programme s‘attacha à prendre en compte l‘articulation entre
les différentes identités en Europe : les rapports entre identité européenne et identités
nationales mais aussi entre identité européenne et identité « occidentale » qui inclut le
sentiment complémentaire et concurrent d‘appartenance à un monde plus large, comprenant
également l‘Amérique du Nord. L‘objectif a été d‘analyser, à travers chaque lieu, milieu ou
vecteur précis, ces éléments d‘identités afin d‘en dégager l‘ambivalence des différentes
parties (i.e. les différents éléments d‘identité pouvaient parfois s‘opposer entre eux bien que
regroupés dans une même catégorie identité : e.g. sentiment et conscience ne renvoyant pas à
la partie d‘identité), la dialectique de la diversité et des convergences, non seulement dans la
diachronie mais aussi dans la synchronie des phénomènes. Au cours de cette deuxième étape,
une des questions centrales a été de savoir si la ligne de clivage dans le processus
d‘identification en Europe entre les « élites » et les « masses » était effective, car les
premières étaient réputées plus « européennes » que les secondes, et les secondes davantage
« nationalistes » que les premières.
En second lieu, il y avait des recherches étendues aux opinions, représentations, images et
pratiques. Ces recherches ont englobé aussi l‘étude des comportements conscients et des
actions, et se sont attachées, sans complexe, à isoler les « solidarités européennes » et la façon
dont elles entrent ou non en concurrence avec les solidarités nationales4.
La présente recherche part du double constat : celui de la nécessité d‘abandonner
l‘antithèse entre l‘identité européenne et l‘identité nationale. Ensuite, de la possibilité que des
intérêts nationaux puissent servir à la construction des identités.
L‘unification européenne a 50 ans. Au cours de cette période, la notion « d‘État nation » a
bien évolué. Par ailleurs, ce concept n‘a jamais été contraire à la construction européenne : par
exemple, Alan S. Milward5, explique que le processus d‘unification européenne s‘est construit
en parallèle des nations, et que celle-ci a même permis le développement et la sauvegarde de
ces mêmes États-nations. Aussi, pour cet auteur, l‘identité nationale et l‘identité européenne
3
Robert Frank (sous la dir.), Les identités européennes au XXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004.
Robert Frank (sous la dir.), ibid., pp.10-11.
5
Alan S. Milward, The European rescue of the Nation-State, London, Routledge, 1992.
4
12
ne sont pas opposées mais complémentaires. Cette assertion est d‘autant plus vraie qu‘aux
yeux de l‘histoire, les État-nations se sont développés conjointement à l‘édification
européenne. Par ailleurs, la politique étrangère ne peut être séparée des activités nationales.
Les environnements nationaux et internationaux sont engagés dans un processus d‘interaction
constante, et, ni les événements politiques, ni le rôle des élites dans ces événements ne
peuvent être expliqués de manière satisfaisante en avantageant l‘importance de l‘une ou de
l‘autre partie (l‘Europe ou les États-nation). Gérard Bossuat, spécialiste de la politique de
construction européenne, renforce et commente cette relation de la manière suivante :
« l‘essentiel de la politique de construction européenne de la France, n‘était pas la formation
de l‘unité. La première raison de faire l‘Europe était de donner à la France, de l‘influence
dans les affaires européennes et mondiales, par un relèvement économique. La seconde raison
était d‘assurer sa sécurité militaire et économique par rapport à l‘ennemi allemand »6.
Alors, cette étude se propose de préciser l‘histoire de la construction européenne à travers
les notions d‘identité et de conscience européennes, et ce, en corrélation avec l‘action des
« Pères fondateurs » de l‘Europe dans une continuité historique. C‘est-à-dire, se demander si
une recherche historique en termes d‘identité et de conscience européennes, peut oui ou non
appréhender le processus de l‘unification européenne, sans pour autant reproduire les
faiblesses des travaux théoriques sur l‘intégration européenne en sciences politiques. Car,
fréquemment, les théories de la construction européenne s‘affranchissent de questions
approfondies sur les notions de conscience, sentiments, d‘identités européennes : pour
exemple, Ernst Haas, suppose que le « spill-over » n‘est pas suffisant pour expliquer les
obstacles à l‘unification politique de l‘Europe d‘aujourd‗hui, car contrairement à l‘idée reçue,
la croissance économique ne peut à elle seule développer une conscience européenne. Fait que
Jean Monnet avait déjà relevé en 1963 : « Nous savons que la réalisation d‘une association sur
un pied d‘égalité dans le domaine économique ne conduira pas automatiquement à une
association de partenaires égaux en matière de défense. En Europe aussi, le Marché commun
à lui seul, ne suffira pas à créer l‘unité politique. Mais sans le Marché commun, la question de
l‘unité politique ne serait jamais devenue une question actuelle»7. En conséquence, une union
économique n‘entraîne pas nécessairement une conscience européenne ou une Union
politique, bien que la conscience européenne de l‘époque, accentuait la volonté de se défendre
6
Gérard Bossuat, l’Europe des Français 1943-1959, Paris, Publication de la Sorbonne, 1996, p.436.
Jean Monnet, Europe-Amérique : Relations de partenaire nécessaires à la paix, Fondation Jean Monnet pour
l‘Europe, Lausanne, 1963, p.12.
7
13
de la menace soviétique tout en augmentant le désir de croissance. Malheureusement, ces
arguments n‘ont pas garanti son apparition.
Réflexion théorique sur les notions d’identité et de conscience européenne.
Parle-t-on d‘une identité ou de plusieurs identités européennes ? Dans l‘éventualité qu‘il y
en ait plusieurs, quelles sont-elles ? En outre, identité et conscience est-ce bien la même
chose ?
Comment appréhender le concept d‘identité en sciences humaines ? Avant de commencer,
il semble nécessaire d‘expliquer les différences d‘approche de l‘identité européenne sur un
plan historique (issue de l‘Antiquité), puis sur un plan de la philosophique des sciences et de
la conscience de soi, en particulier sur l‘aspect ontologique de la construction européenne. On
se souvient du « connais-toi toi-même » inscrit sur le fronton de Delphes dont Socrate fit sa
devise, et Platon en transcenda l‘héritage : ce questionnement existentiel traverse précisément
toute l‘histoire de la philosophie. Alors qu‘à l‘époque moderne, on songe au doute vertigineux
de Montaigne « que suis-je ? Je doute même de moi qui doute »(les Essais, livre Ⅱ, 1595), au
cogito de Descartes (Discours de la méthode, 1637), qui place l‘acte de raison du sujet au
cœur de la vérité, à la philosophie du sujet avec Kant qui propose un sujet de la connaissance
autonome qui forme et est formé (Critique de la raison pure, 1781) et jusqu‘à Hegel, qui
définit le caractère social de l‘identité comme la résultante d‘une reconnaissance
(mutuellement) réciproque : pour une grande partie de l‘histoire de la pensée, la question de
l‘identité a été co-substantielle à la création de la connaissance, et par extension à l‘histoire :
« Connaissance de ce que l‘identité du moi n‘est possible que grâce à l‘identité de l‘autre qui
me reconnaît, identité dépendant elle-même de ma propre connaissance […] le moi comme
identité de l‘universel et du singulier »8.
Le psychologue William James, dans « la conscience de soi », renforce cette hypothèse de
l‘identité construite par le collectif, en expliquant que « le soi » ne serait pas tant une entité
essentielle fondant sa réalité dans le cogito mais serait plutôt un « courant de pensée », généré
dans la relation avec l‘autre. Autrement dit, si l‘identité se situe au point de rencontre entre la
8
Philosophie de l‘esprit d‘Iéna, 1805, p.176.
14
connaissance de soi par soi-même et par autrui, elle est essentiellement construite à travers
l‘autre. Alors, nous proposons d‘avoir une réflexion sur une identité réciproque et l‘identité
comme « courant de pensée » établie à travers la relation avec l‘autre : une identité
européenne construite sur la réciprocité (l‘identité européenne vue ou construite, en
interactions avec les perceptions et les actions d‘autrui, ici s‘agissant des États-Unis) des
relations entre l‘Europe et les États-Unis dans l‘histoire contemporaine, et particulièrement
entre Jean Monnet et l‘élite politique américaine.
La recherche de l'identité européenne catégorisée selon trois niveaux hiérarchiques
d’analyse.
L'identité « idéologico-culturelle », c‘est la base idéologique et culturelle, qui puise ses
racines, au plus profond de l‘héritage historique commun à un peuple entier. En ce qui nous
concerne, pour la construction européenne, il s‘agit d‘éléments tels que l‘héritage grécoromain, le Christianisme, la renaissance italienne, la philosophie des Lumières, ou encore la
révolution industrielle. De fait, la prise en compte des enjeux culturels est aujourd‘hui
décisive pour une union européenne, rendue à ses dimensions continentales, et consciente de
son appartenance solidaire au reste du monde. Et ceci, en étant convoqué plus souvent qu‘à
son tour comme source de citoyenneté, de solidarité et de cohésion sociale. L‘identité, c‘est la
place donnée à la culture et à l‘éducation afin de contribuer à mettre en échec, le seul
paradigme d‘européanisation, c‘est-à-dire la domination financière et la constitution
d‘oligopoles dangereux pour la diversité culturelle9. Cependant, l‘essentiel des études
académiques a tendance, pour ce type d'identité européenne très abstraite et générale de
marginaliser l‘identité dans le processus d‘intégration communautaire.
L‘identité selon « la relation à un groupe ». Comme nous l‘avions mentionné
précédemment, la notion d'identité est aussi indissociable au processus par lequel un groupe
d'individus développe un sentiment d'appartenance à une structure particulière ou à un groupe,
(e.g. Europe) et pour lequel, les individus partagent « quelque chose » (valeurs, idées,
préceptes religieux, traits culturels similaires, etc...). Nous concernant en histoire
9
Anne-Marie Autissier, L’Europe de la Culture : Histoire(s) et Enjeux, Proche, Internationale de l‘imaginaire,
Babel, Paris, 2005, p.23.
15
contemporaine, il s‘agira de la « citoyenneté européenne ». Ce qui est nouveau depuis 1945,
c‘est le fait que les idées européistes de quelques individus aient été désormais repris de façon
collective par des groupes qui entendent bien concrétiser leurs projets10 .
L'identité « institutionnelle ». En effet, la notion d‘identité ne saurait être uniquement
définie, comme une réification érudite ou un phénomène de masse dont la nature est plus
« conséquentielle » que causale car elle s'exprime également dans le contexte très restreint des
sphères politiques. Aussi, prenant conscience d'une convergence de leurs intérêts ou de leurs
valeurs, des États souverains peuvent juger souhaitable de fusionner, plus ou moins
étroitement, certains de leurs domaines de compétence (défense, politique étrangère, politique
monétaire, politique commerciale, agriculture...), faisant ainsi émerger de nouvelles identités
« politico-institutionnelles », plus ou moins cohésives dans l'océan des relations
internationales11.
Ces trois types d‘identité12 ne sont pas segmentales mais constituent un tout. D‘ailleurs,
même les experts chargés de la construction européenne n‘effectuent pas cette distinction
d‘analyse, bien au contraire, car dans la perception que les commissaires ont de la dynamique
d'intégration, ces trois « états » de l'identité européenne, apparaissent souvent superposés,
voire confondus en un tout. Pourtant, la construction de l‘identité s‘effectue bel et bien à
plusieurs niveaux.
À travers les différentes recherches sur l‘identité, nous pouvons nous poser des questions
essentielles et profondes sur l‘histoire de l‘Unification européenne et sur le plan pragmatique,
tels que les motivations à la base des politiques européennes, ou les besoins et les intérêts
spécifiques de l‘Europe, ou encore la question des frontières de l‘Europe (physiques ou
mentales) pour nécessiter la construction d‘une véritable identité.
Avant tout chose, il nous semble indispensable de définir précisément l‘élément
fondamental de notre recherche : le concept d‘identité que nous avons choisi, celle de Robert
Frank : «l‘identité européenne », c‘est le sentiment d‘appartenance à l‘Europe ou d‘être
européen. Elle est en priorité une dimension socioculturelle. Elle est à la fois le résultat d‘un
héritage qui s‘ancre profondément dans le passé, dans le long terme pluriséculaire, mais elle
10
Anne-Marie Autissier, ibid., p.52.
Bertand Rochard, L’Europe des commissaires : réflexions sur l’identité européenne des traités de Rome au
traité d’Amsterdam, Bruxelles, Établissements Émile Bruylant, 2003, pp.2-3.
12
Bertand Rochard, ibid.
11
16
est également, une projection dans l‘avenir grâce à la perception claire ou confuse d‘une
« communauté de destins ».13
Cependant, cette identité européenne, un sentiment d‘appartenance à une culture
commune, reste difficile à saisir, car profondément abstraite et générale, (i.e. Bertrand
Rochard). Aussi, il nous semble pertinent de distinguer les notions d‘identités, de conscience
et de sentiment européen pour rendre opérationnel l‘étude de l‘identité européenne.
La recherche historique a tendance à n‘expliquer que deux éléments de l‘identité
européenne : l‘identité culturelle et l‘identité politique. Avant 1945, l‘identité européenne était
fréquemment expliquée, comme un concept philosophique abstrait. Après 1945, l‘identité
européenne se révèle, au contraire, comme le ressort des politiques et des structures
décisionnelles qui en sont l‘expression concrète. Alors, d‘un côté, nous avions une Europe qui
se posait comme un héritage culturel ; et de l‘autre, nous avions une Europe, au sortir de la
seconde guerre mondiale jusqu‘à la chute du mur de Berlin, une Europe de la CECA à
l‘Euroland, une Europe qui se construisait, s‘élargissait et se renforçait dans un mouvement
historique institutionnel, et ce, à travers la dynamique de certaines élites.
Ainsi, la construction européenne du XX siècle était-elle moins le produit d‘une idée
ancestrale que le résultat de l‘action patiente et un brin obstiné de grands hommes concernés
par l‘unification européenne. Et c‘est ce particularisme précis que nous souhaitons analyser,
au-delà de l‘Europe des idées et des envolées lyriques14. C‘est pourquoi, traiter l‘identité
européenne, c‘est avant tout étudier l‘histoire communautaire après 1945.
La notion de « conscience européenne », quant à elle, relève d‘une dimension morale et
politique. Elle a été ainsi un phénomène plus récent que l‘identité culturelle européenne, car
n‘apparue qu‘au début du XXe siècle comme la volonté de paix après les carnages de la
guerre. Mais elle est aussi vécue comme une protection contre la menace soviétique ou la
hantise d‘un déclin face au formidable essor des États-Unis. Le désir de prospérité, ainsi que
le besoin de sécurité face au nouveau bloc soviétique, après le chaos laissé par la guerre, sont
autant d‘éléments qui structurent la notion de conscience européenne.
L‘aspect politique de la conscience européenne, elle, s‘appuie sur la volonté américaine,
d‘après-guerre, de contenir l‘expansionnisme structurel du communisme : le “containment‖
13
14
Robert Frank (sous la dir.), op.cit., p.9
François Saint-Ouen, Les grandes figures de la construction européenne, Paris, George, 1997, p.8.
17
de Dean Acheson appelant à des « situations de force ». Pour cela l‘Europe devait être forte et
unie. Cette pensée était très largement partagée en France particulièrement par Jean Monnet,
permettant ainsi, la création de liens étroits entre l‘élite politique américaine et ce dernier.
Les autres éléments de l‘aspect politique de la conscience européenne furent l‘impérieuse
nécessité de résoudre le problème allemand, la gestion du « Plan Marshall » (1947), ou encore
la fondation du Pacte atlantique de 1949 : le fameux « partnership atlantique » chèr au
Président Kennedy mais resté inapplicable en raison de la politique de De Gaulle. Ainsi, la
conscience européenne naît de l‘obligation politique d‘une Europe unie et non uniquement de
la culture.
L‘idée d‘Europe est ancienne : de Podiebrad, roi de Bohême au XVe aux romantiques du
XlXe comme Giuseppe Mazzini ou Victor Hugo, en passant par un Sully, un Charles-Irénée
de Saint-Pierre, ou encore des Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant. Nombreux ont été
les projets d‘unité ou de confédération européenne dont l‘objectif était une paix durable. Mais
cette grande idée d‘Europe était le fait d‘individus, de rêveurs, de prophètes ou de
philosophes. Au XXème siècle, cette idée s‘ancre davantage dans les sociétés européennes, et
de cette socialisation de l‘idée d‘Europe apparait la conscience européenne. Toutefois, celle-ci
se distingue farouchement de l‘identité culturelle, bien qu‘elle y soit intimement liée : car le
processus de « conscientisation » n‘est aucunement un processus « d‘identification »15
Enfin, « le sentiment européen » désigne, quant à lui, le degré d‘adhésion « affective » à la
construction de l‘Europe ; en acceptant non seulement les droits qui en découlent mais aussi,
les devoirs qu‘implique une telle construction. Le sentiment européen naît au XX ème siècle
mais il se confine souvent dans les cercles militants et il est bien plus faible que les sentiments
nationaux.16
Ayant réfléchi sur les diverses notions d‘identités, de conscience et de sentiment européen,
et ayant établi une distinction entre ces différents concepts, nous devons, nous semble-t-il,
nous interroger pour savoir à quelle partie de la population doit être attribué chacun de ces
concepts, car chacun de ces éléments (identités, conscience et sentiments) diffèrent selon leurs
finalités : l‘identité européenne est une dimension socioculturelle propre à tous ; la conscience
européenne s‘impose plutôt à la politique et aux élites, alors que le sentiment européen pourra
être attribué à l‘ensemble des Européens, variant selon les individus. Cependant, ce dernier
15
16
Robert Frank, op.cit., p.9.
Robert Frank, ibid., pp.9-10.
18
élément est capital pour que l‘Europe vive au cœur des Nations, à travers les peuples. Aussi,
peut-on s‘interroger sur l‘appartenance du sentiment européen plutôt du côté identitaire
(culturel et définition de soi) ou plutôt du côté de la conscience politique et de l‘action ?
L’Europe des élites, l’Europe des peuples, où se situe la véritable identité européenne ?
Dès 1814, le comte de Saint-Simon posait-il, le lien existant entre l‘action des élites, en
vue de la construction européenne, et la « volonté commune » de l‘opinion. Cette
problématique est devenue un enjeu crucial pour l‘avenir de l‘intégration européenne depuis
le traité de Maastricht17 : jusqu‘au referendum du 20 septembre 1992, qui a confronté pour la
première fois l‘unification européenne à l‘adhésion ou au rejet démocratique, le soutien de
l‘opinion publique n‘avait que peu de valeur, pour les élites. La ratification sur le fil du traité
de Maastricht en France a accéléré une double prise de conscience: d‘abord, le décalage les
sondages et l‘état réel du sentiment européen pour la population, ensuite, la quasi-absence du
choix des peuples dans le processus communautaire, bien que parfois consultés par voie
électorale18, pour la portion congrue. Aussi, il est intéressant d‘observer les places respectives
de la population et des élites dans la construction européenne. Quel rôle doivent jouer les
élites ? Quelles sont les conséquences de leurs actions sur l‘intégration européenne ? Quels
types de relations entretiennent-elles avec les institutions nationales et internationales, avec le
peuple ? Y-a-t-il dans cette articulation entre la population et les élites, une relation spécifique
? Ce sont autant de questions essentielles pour comprendre et déterminer clairement le
construit européen.
En premier lieu, définissons ce qu‘est « l‘élite ». Comment appréhender ce concept?
S‘agissait-il de créateurs ou de producteurs d‘idées destinées à un public ? Conformément à
Gramsci, « C‘est l‘élite qui donne leur propre fonction à différents groupes sociaux». Or la
question n‘est pas neuve puisqu‘elle est au centre de nombreuses études de sociologie
17
Anne Dulphy & Christine Manigand(eds.), Les opinions publiques face à l’Europe communautaire : entre
opinion and europe, Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt /M, New-York, Oxford, Wien, PIE, Peter Lang, 2004.
p.9.
18
Anne Dulphy & christine Manigand, ibid., p.23.
19
politique, dès l‘entre-deux-guerres où paraissent les œuvres bien connues de Vilfredo Pareto
et Gaetano Mosca19.
Selon la théorie classique des élites, rappelée par Renata Dwan20, le pouvoir dans la
plupart des sociétés est concentré entre les mains de minorités, qui exercent leur monopole
pour influencer de façon décisive les activités des sociétés. Quant à l‘étude de Wright Mills,
postérieure à la Seconde Guerre, elle souligne également les fondements institutionnels du
processus de formation des élites : selon lui, les individus concernés, tirent leur pouvoir des
positions dominantes qu‘ils tiennent dans les structures institutionnelles d‘une société,
qu‘elles soient organisations politiques, militaires ou économiques ; agissant en synergie, les
acteurs influents, au sein des ces trois secteurs, forment l‘élite du pouvoir conscient, cohérent
et cohésif21.
D‘après, Gérard Bossuat, l‘élite administrative est constituée « de hauts fonctionnaires »
des grands corps de l‘État, et particulièrement des ministères des Affaires étrangères, des
finances et de la Défense (la politique extérieure, l‘économie et l‘armée). Et leurs objectifs
(des élites) seraient de trouver des solutions partielles, successives et pratiques, de sorte à être
capables de répondre à trois impératifs supérieurs : la sécurité, le rang et l‘idéal.22
Nous pouvons citer, l‘exemple de solutions « européennes » : afin d‘assurer la sécurité
contre l‘Allemagne ou encore contre la Russie, les hauts fonctionnaires jouèrent « d‘une
forme d‘unité européenne tout en servant la grandeur de leur pays et sa prospérité
économique » (Clauses de sauvegarde pour la France, dans les discussions sur le marché
commun.23 Des études plus récentes ont réévalué le processus d‘identification des élites
décisionnelles. Elles font, en effet, apparaître le rôle d‘experts, de réseaux politiques 24 et des
groupes d‘intérêts privés.
19
Vilfredo Pareto, The Mind and Society, New York, Dover Press, 1935 ; Gaetano MOSCA, The Ruling Class,
New York, McCraw Hill, 1939.
20
Renata Dwan, « Un outil puissant : les théories de l‘élite et l‘étude de la construction européenne », in
Elisabeth du Réau, (dir.), Europe des Elites? Europe des peoples? : La construction de l’espace européen 19451960, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1998, p.32.
21
C. Wright Mills, The Power Elite, New York, Oxford University Press,1956, cité par Renata Dwan, « Un outil
puissant : les théories de l‘élite et l‘étude de la construction européenne », in Elisabeth du Réau, (dir.), ibid.,
p.29.
22
Gérard Bossuat, op.cit., p.436.
23
Gérard Bossuat, ibid.
24
Lorsque le concept de « réseaux politiques » fut introduit dans les années soixante-dix, l‘attention se tourna de
nouveau vers d‘identification des élites. Un réseau politique comprend plus que les acteurs institutionnels
pertinents politiques, militaires et économiques : il comprend des individus possédant de l‘expertise et/ou des
connaissances techniques ayant un rapport à la question, ainsi que des individus et/ou des groupes avec un intérêt
20
L‘étude du rôle joué par les élites dans le processus de construction européen est plus que
pertinente pour nous, car elle montre toute l‘ambivalence des élites dans la construction
européenne, tant par la constitution de réseaux favorables à des initiatives de coopération, que
par la création de groupes d‘opposition, constituant de véritables freins à la mise en œuvre des
projets européens25.
Les travaux de Robert Keohane et Joseph Nye illustrent parfaitement cette ambivalence.
Ces auteurs expliquent, notamment, comment la révolution des communications et de la
technologie, la globalisation économique croissante, ont contribué à promouvoir le
développement de coordination consciente entre les officiels d‘institutions nationales et
internationales, créant ainsi, d‘authentiques « réseaux trans-gouvernementaux d‘élite » liés
par des « intérêts communs, des orientations professionnelles ou des amitiés personnelles »26.
Des études de liens transnationaux montrent que le processus n‘est pas limité aux officiels
gouvernementaux mais peut, aussi, englober un grand nombre d‘acteurs privés et publics.
Cette focalisation sur les élites est une analyse de « micro-niveau » pour expliquer les
résultats de certaines élites ou groupes d‘influence sur la politique étrangère des nations et
l‘attention croissante qu‘elles suscitent. Dans l‘étude de l‘intégration européenne, le concept
« d‘élite » est capital car ce concept implique l‘idée d‘un groupement de membres, les plus
puissants de la société, qui dans une certaine mesure, éprouve un sentiment de cohésion
important et une forte conscience de son existence27, souvent au-delà des frontières
nationales. L‘élite a un poids important dans les décisions politiques, aussi, l‘étude de leur
impact sur l‘intégration européenne, nous semple des plus pertinentes.
particulier sur une question, qui ne sont pas des participants permanents dans les processus décisionnels
politiques d‘un État. En résumé, c‘est une politique spécifique de l‘État et sa considération qui mènent à la
formation d‘un group d‘intérêts communs et, en tant que telle, l‘existence de ce groupe dépend de la politique de
l‘État. Renata Dwan, « Un outil puissant : les théories de l‘élite et l‘étude de la construction européenne », in
Elisabeth du Réau, (dir.), op.cit., p.32.
25
Robert Presthus, Elites in the Policy Process, Cambridge, Cambridge University Press, 1974.
26
Robert Keohane et Joseph Nye, ―Transgovernmental Politics and International Organizations‖, World Politics,
t. 27, 1974.
27
Renata Dwan, « Un outil puissant : les théories de l‘élite et l‘étude de la construction européenne », in
Elisabeth du Réau, (dir.), op.cit., p.27.
21
PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSE
La relation entretenue par Jean Monnet avec l‘élite politique américaine pour l‘intégration
européenne est un thème fondamental dans l‘étude de la construction européenne. Car pour
bien comprendre l‘enjeu et le processus de la construction européenne, il est obligatoire de
tenir compte de l‘influence des États-Unis : sans les États-Unis point de construction
européenne ! Aussi, doit-on, dans cette perspective, considérer les relations d‘amitié entre
Jean Monnet et l‘élite politique américaine de1938 à 1963.
De toutes les questions, la première porte sur l‘importance de Monnet, son omniprésence
dans les accords européens, alors même qu‘il n‘a jamais réellement eu de fonction d‘État. En
effet, il est étrange qu‘il n‘ait jamais été ministre (tout juste chargé de mission diplomatique
en 1945), ni appartenu à un quelconque parti politique de pouvoirs, durant la seconde guerre
mondiale. Mais, fait étonnant, il demeure incontournable dans l‘ensemble du processus de
construction de l‘Europe. Cette place privilégiée s‘explique par ses rapports de confiance,
étroits et intimes avec les gouvernants et les puissants, qui exercèrent une influence décisive
sur la politique américaine : parmi lesquels, nous pouvons compter Dean Acheson, John Mac
Cloy, Georges Ball et John Foster Dulles, Walt et Jene Rostow, Mc George Bundy, Robert
Bowie, Robert Schaetzel ou encore David Bruce. Et ces liens privilégiés avec les États-Unis
confèrent à Jean Monnet, une stature d‘homme d‘État ou d‘élite occidentale. Aussi, dès lors
que l‘on travaille sur l‘intégration européenne, ces relations occupent, une place
prépondérante dans la littérature scientifique sur Jean Monnet et sur l‘Europe.
Un bilan historiographique : Comment la question de la relation entre Monnet et les élites
américaines s’est-elle posée dans l’étude de l’unification européenne ?
La relation entre Jean Monnet et les hommes américains à l‘égard de l‘intégration
européenne est bien connue, notamment de l‘époque de l‘aide américaine d‘après-guerre
jusqu‘au milieu des années cinquante. En posant la question : Pourquoi l‘Amérique a-t-elle
22
défendu les plans de Monnet concernant l‘intégration de l‘Europe depuis la seconde guerre
mondiale? Y-avait-il des influences américaines à travers cette relation ? C‘est lever le voile
sur la construction européenne et l‘importance de l‘influence des États-Unis dans cette
unification, comme le soulignent beaucoup d‘auteurs :
L‘un des ouvrages généraux mais le plus spécialisé est celui de Pierre Mélandri, Les ÉtatsUnis face à l’unification européenne, 1945-195428. Dans cet ouvrage, Mélandri est très précis
sur le rôle joué par les États-Unis dans l‘unification européenne. Il qualifie de tournant
historique, la position américaine par rapport à l‘Europe d‘alors, notamment à travers les
débats internes entre l‘administration fédérale et le Congrès sur le sujet. Et dans ces débats, la
relation entretenue par Jean Monnet avec les élites politiques américaines apparait
systématiquement. L‘historiographie du plan Marshall et les motifs de la politique américaine
en est l‘illustration parfaite, car au cœur de la seconde guerre mondiale, Jean Monnet avait
participé à la réflexion du changement de la politique étrangère américaine : c‘est-à-dire
l‘abandon de la politique traditionnelle d‘isolationnisme des États-Unis, pour devenir une
politique d‘engagement international actif dont le Plan Marshall sera le premier pas.
Philippe Mioche, dans Le plan Monnet, genèse et élaboration, 1941-194729 aborde la
question de la modernisation de la France par rapport au plan Monnet. L‘auteur explore les
rapports franco-américains avant le plan Marshall. Et l‘une de ses réflexions principales porte
sur la place du Plan Monnet dans les relations franco-américaines, à travers les liens
privilégiés de Jean Monnet, avec les milieux politiques et économiques américains, dont la
contribution de Robert Nathan au Plan Monnet. Aussi, cette réflexion nous entraîne-t-elle au
cœur de notre thématique : le rôle et la contribution des amitiés américaines de Jean Monnet
quant aux idées et aux projets de Monnet pour l‘Europe : « Chez Monnet, l‘idée de faire un
plan pour mettre de l‘ordre dans les programmes d‘importation naît dans la foulée des
négociations économiques et financières avec les États-Unis ; elle lui est soufflée par ses amis
démocrates de l‘Administration du Président Roosevelt ».
Egalement, Gérard Bossuat, dans Les aides américaines économiques et militaires à la
France, 1938-196030, explicite l‘importance de la relation de Monnet avec les responsables
américains : relation qui fut déterminante dès les débuts pour les échanges franco-américains,
28
Lille, Université de Lille III, 1979.
Paris, Publication de la Sorbonne, 1987.
30
Paris, Comité pour l‘Histoire Économique et Financière de la France, 2001.
29
23
du dossier de l‘achat des avions de guerre en 1938 à la dernière aide financière importante
accordée par les États-Unis à la France en 1958, et réglée par les accords Monnet-Dillon ;
Monnet a toujours été le trait-union entre les responsables américains, anglais et français. Ce
qui fait dire à Gérard Bossuat, que (Monnet et les Américains) « Sans eux, le destin de la
France n‘aurait pas été le même ».
Hungdah Su, à travers sa thèse, Jean Monnet face à la politique européenne du général de
Gaulle de 1958 à 196931, fait le parallèle entre Monnet et De Gaulle, et relève, lui aussi,
l‘importance de la relation entre Monnet et les États-Unis dans l‘intégration européenne. Et
fait intéressant, cet auteur souligne la plus profonde divergence (voire l‘opposition
consommée) entre De Gaulle et Monnet quant à leurs conceptions, engagements et positions
par rapport aux États-Unis, les relations de ces derniers avec l‘Europe occidentale et les
perspectives de partenariats atlantiques. Car quand De Gaulle parle de construction
européenne, il fait référence à une Europe continentale sous influence française, alors que
Monnet cherche une intégration occidentale de l‘Europe.
À cette question, René Girault répond clairement, dans l‘article, « Interrogations,
réflexions d‘un historien sur Jean Monnet, l‘Europe et les chemins de la Paix », paru en
199932 que pour les Gaullistes, Monnet puise directement ses idées chez ses amis américains,
ce qui suffisait à le classer parmi les suspects ou les adversaires de la nation française et que
de son côté, Monnet soutient les orientations du président Kennedy, de « grand dessein » pour
des relations atlantiques fortes.
Aussi, cette séparation définitive de corps et d‘idées entre ces deux personnages de
l‘histoire, rendra la relation entre Jean Monnet et les États-Unis compliquée et le partenariat
franco-américain difficile.
Toutefois, qu‘elle que soit l‘orientation de l‘histoire, un nombre important d‘auteurs
s‘accordent sur le rôle fondamental des relations entre Jean Monnet et les élites américaines
dans la construction européenne, tant sur le plan politique, institutionnel qu‘idéologique.
31
Paris, Université de Paris-Sorbonne (Paris Ⅳ), juin, 1998.
Gérard Bossuat et d‘Andreas Wilkens, (sous la dir.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la Paix, Paris,
Publication de la Sorbonne, 1999.
32
24
Pourquoi l’Amérique a-t-elle décidé de favoriser l’intégration de l’Europe ainsi que le
concept de supranationalité de Monnet ?
Selon Pierre Mélandri, la volonté américaine d‘après-guerre concernant l‘intégration de
l‘Europe est souvent présentée dans un contexte d‘expansionnisme structurel du communisme
: l‘endiguement ―containment”, ce que Dean Acheson appelait des « situations de force ».
Pour cette raison impérieuse, l‘Europe devait être forte. Sentiment, très largement partagé en
France par Jean Monnet, ce qui assurait des liens étroits entre ce dernier et l‘élite politique
américaine. Ainsi pour faire face au problème allemand, la gestion du « Plan Marshall »
(1947), ou encore la fondation du Pacte atlantique de 1949 ; le fameux « partnership
atlantique », l‘Europe devrait être unie.
Concernant les mobiles stratégiques et politiques inspirés et menés par le gouvernement
américain pour établir son hégémonie sur l‘Europe occidentale, l‘un des principaux partisans
de cette thèse est Alan Milward. Cet auteur critique vertement la conception d‘une
coopération atlantique équilibrée, et considère l‘aide américaine comme une politique
« impérialiste » dont l‘unique objectif aurait été le maintien de l‘hégémonie des États-Unis sur
l‘Europe occidentale. Dans son ouvrage, The reconstruction of Western Europe, 1945-195133,
Milward réfute la thèse habituelle du sauvetage de l‘économie européenne grâce à une aide
américaine, car, d‘après cet auteur, la production industrielle européenne aurait pu retrouver
rapidement son niveau d‘avant guerre, sans aide extérieure. Selon lui, l‘offre faite par
Marshall à l‘Europe s‘inscrivait dans une manœuvre tactique destinée à rejeter la
responsabilité du partage de l‘Europe sur l‘Union soviétique.
L‘autre ouvrage généralement lié à cette question, est celui de Murielle Delaporte, La
politique étrangère américaine depuis 1945 : l’Amérique à la croisée de l’Histoire34. Dans cet
ouvrage, Delaporte explique que le succès de la stratégie de l‘endiguement dépendait de trois
conditions : les dirigeants des États-Unis devaient avoir la volonté de continuer à prendre en
charge une politique anti-communiste ; l‘économie américaine devait être aussi capable de
soutenir cette ambition ; enfin, la stratégie de dissuasion nucléaire, de part le coût
insupportable de l‘escalade des armements conventionnels, nécessitait pour son déploiement,
une coopération des alliés, et particulièrement des Européens.
33
34
Berkelely, University of California Press; 1984.
Paris, Complexe, 1996.
25
Nicolas Vaicbourdt, dans son article, « Les ambitions américaines pour l‘Europe, 19451960 »35, retient la même approche et défend la thèse d‘un soutien américain à l‘intégration
européenne co-substantiel à l‘émergence de la Guerre froide. Selon lui, pour les Américains,
le développement d‘une supranationalité en Europe apparaissait nécessaire pour réaliser les
trois objectifs américains concernant l‘Europe : premièrement, dans une perspective à long
terme, les Américains cherchaient à favoriser une évolution de l‘Europe qui aille dans le sens
de leurs valeurs ; deuxièmement, dans une perspective à court terme, dans le cadre de la
Guerre froide, assurer une position de force favorable aux Occidentaux ; enfin, le dernier
objectif était de pacifier définitivement l‘Europe occidentale, en réintroduisant l‘Allemagne
dans la communauté européenne. Aussi, pour ces trois raisons, une Europe unie politiquement
était souhaitable.
Enfin, le dernier apport scientifique défendant le choix de la supranationalité par les
Américains, est l‘article de Klaus Schwabe, « L‘influence américaine et la structure
supranationale du plan Schuman »36. Dans cet article, Schwabe explique que la
supranationalité était une cause américaine ancienne et impérieuse pour régler le problème
allemand : en créant la République fédérale allemande en 1949, les Américains visaient la
stabilité
européenne,
à
travers,
d‘une
part,
la
reconstruction
d‘une
Allemagne
économiquement forte et politiquement stable ; et d‘autre part, sous la tutelle conjointe des
alliés, empêcher la nouvelle Allemagne de redevenir une puissance dominatrice en Europe.
Aussi, dans cette perspective, selon Schwabe, Washington accueillit très favorablement la
proposition de Monnet-Schuman de construire une institution supranationale partageant les
ressources énergétiques de la Ruhr (CECA).
L’intégration européenne n’a-t-elle été qu’un enjeu de la politique des blocs dans un contexte
de guerre froide ?
La volonté des dirigeants américains à endiguer le communisme, était incontestable.
Cependant, il semble qu‘ils aient par ailleurs, eu à cœur sincèrement, de favoriser la
35
Gérard Bossuat et de Nicolas Vaicbourdt, (ed.), États-Unis, Europe et Union Européenne, Histoire et avenir
d’un partenariat difficile (1945-1999), Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt /M, New-York, Oxford, Wien, P.I.E.Peter Lang, 2001.
36
Marie-Thérèse Bitsch, (dir.), Le couple France-Allemagne et les institutions européennes : une postérité pour
le plan Schuman ? Bruxelles, Établissements Émile Bruyant, 2001.
26
construction européenne, conformément au témoignage de Monnet : « Bruce et Mac Cloy qui
étaient, eux, d‘ardents partisans de l‘intégration européenne. Leur raisonnement n‘était pas
différent du mien, car notre préoccupation commune était la paix: il n‘y avait pas, quoi qu‘en
aient dit les esprits compliqués, une manière américaine, une manière allemande ou française
de renforcer la paix, et toutes les spéculations sur les arrière-pensées de ceux qui travaillaient
à la même œuvre en Europe me paraissaient futiles »37.
Gérard Bossuat, dans la France, l’aide américaine et la construction européenne, 19441954,38 précise et soutient cette hypothèse. Pour cet auteur, les amitiés américaines de Monnet
ont permis de lever un certain nombre d‘obstacles, notamment dans les négociations
houleuses de la CECA, entre l‘éloignement de la Grande-Bretagne, le conflit entre les
différents intérêts nationaux et les réserves d‘Adenauer au projet. Le rôle et les contributions
de Monnet et des États-Unis furent déterminants. Aussi, explique-t-il que pour parvenir à
convaincre tous les opposants (et ils étaient nombreux), Monnet et ses amis américains
devaient obligatoirement faire front ensemble, et pour cela, ils devaient communier dans un
même esprit de consensus sur la construction européenne, et particulièrement concernant la
question de l‘intégration des industries lourdes européennes : Bien que « le projet du plan
Schuman n‘était pas venu des États-Unis. Il en résultait des réflexions communes entre
Monnet, Georges Ball ou Mac Cloy […] ».
Ainsi, la preuve est faite que les États-Unis avaient à cœur de construire l‘Europe, au-delà
des considérations d‘endiguement du communisme. Aussi, si le soutien sincère à l‘intégration
européenne n‘est pas remis en question, on peut, toutefois, s‘intéresser à la nature des
relations souhaitées par ces derniers. Devaient-ils être plutôt européistes (pour l‘Europe ellemême indépendamment des autres considérations, vision idéaliste de la construction
européenne) ou atlantistes et pragmatiques ?
À cette question, bien que cruciale, il est difficile de répondre, pour preuve, la lettre de
John Foster Dulles adressée à son frère Allen, datant du 19 janvier 1950 : « À mon avis, entre
les deux idées (européenne et atlantique), le conflit n‘est pas nécessaire. J‘estime que quelque
forme d‘union est indispensable pour permettre la solution du problème allemand, mais que
les pays d‘Europe occidentale pourraient renoncer, par peur, à apporter un traitement
37
38
Jean Monnet, Mémoires, p.523.
Paris, Comité pour l‘Histoire Economique et Financière de la France, 1997.
27
audacieux et efficace à ce problème, à moins de jouir de la protection qui peut être accordée,
le plus efficacement, par quelque forme d‘union atlantique incluant les États-Unis »39.
Concernant la pensée politique européenne de Jean Monnet, il est ardu de l‘appréhender
séparément de sa relation avec les élites américaines car dissocier le pragmatisme de Monnet
de l‘unification européenne idéalisée et souhaitée, séparer l‘action publique de son action
privée est impossible : pour exemple, il n‘est pas possible d‘expliquer l‘opposition entre Jean
Monnet et De Gaulle, quant à la politique de l‘union européenne, sans une réflexion profonde
sur les liens d‘amitié entre Monnet et les États-Unis (et de l‘agacement de De Gaulle pour cet
état de faits), ce que des travaux récents intègrent dans l‘étude de la pensée de Jean Monnet en
croissant études thématiques (personnalités et réseaux transatlantiques) et recherches
sectorielles (les politiques communes européennes).
Par exemple, l‘ouvrage collectif, Monnet and the Americans. The father of a United
Europe and U.S. Supporters40, paru en 1995 sous la direction de Clifford P. Hacket et la
contribution de François Duchêne, Jean Monnet, The First Statesman of Interdependence41,
traitent justement de cette question du statut « européiste » ou « atlantiste » des Américains, et
attestent de l‘importance de la question dans la compréhension historique des liens entre
Monnet et les élites américaines. Les Américains étaient-ils influencés par Monnet et/ou
Monnet partageait-il de manière exhaustive les conceptions américaines ?
Nous pouvons également citer deux études, Eisenhower, Kennedy, and the United States
of Europe de Pascaline Winand42, et Americans visions of Europe : Franklin D. Roosevelt,
Joseph F. Kennan and Dean Acheson43 de John Lamberton Harper, qui traitent du rôle des
Hommes clefs de la construction européenne, afin de mettre en relief le rôle exact de Jean
Monnet dans la construction européenne : Pascaline Winand se focalise sur le caractère
« visionnaire » de l‘élite américaine dans la construction européenne. L‘étude de l‘action de
cette « intelligentsia transatlantique » repose sur le dépouillement des archives publiques et
privées du personnel de l‘administration américaine ainsi que sur plusieurs dizaines
d‘interviews. Alors, Pascaline Winand s‘est intéressée en priorité à l‘émergence et à la
dynamique d‘un réseau pro-intégrationniste aux États-Unis. De son côté, John Lamberton
39
« J. Foster Dulles to Allen W. Dulles », January 19, 1950, Dulles Papers, 1971, cité par Pierre Mélandri,
op.cit., p.186.
40
Washington, 1995.
41
New York, Norton Company, 1994.
42
London, Macmillan, 1993.
43
Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
28
Harper éclaire les caractéristiques de la politique européenne des États-Unis par une analyse
de la philosophie politique de trois grands architectes de la politique étrangère que sont :
Roosevelt, Kennan et Acheson, qui auraient incarné (chacun) une vision singulière de
l‘Europe. Nous constatons que la question du sens de l‘influence dans les relations d‘amitiés
entre Jean Monnet et les élites américaines est complexe mais déterminante dans la
compréhension de l‘évolution de l‘intégration européenne, de ses débuts idéalistes à sa
réalisation pragmatique.
Monnet était-il l’homme de l’Amérique ?
Son biographe, François Duchêne, considère ses amitiés comme des éléments
déterminants (« central fact ») de la carrière et de la pensée politique de Jean Monnet, même il
relève dans l‘articulation de la pensée politique de Jean Monnet, des éléments typiquement
français. Pascaline Winand estime que pour Monnet, il n‘était pas question pour l‘Europe de
se rapprocher des États-Unis jusqu‘à perdre son identité, de se noyer dans une sorte de
« soupe atlantique » alors qu‘il lui restait encore à conquérir son unité politique44. Éric
Roussel, autre biographe de Monnet, accentue plutôt, l‘indépendance de Monnet par rapport
aux États-Unis45. C‘est dire l‘extrême difficulté de définir catégoriquement le sens de
l‘influence dans ces relations d‘amitiés entre Jean Monnet et les États-Unis. Gérard Bossuat,
dit d‘ailleurs à ce sujet, que Monnet était un « Euroatlantiste convaincu, autant dans l‘attitude
que dans les actes ». Il ajoute que Monnet exprima tout au long de sa vie, une familiarité peu
commune avec les États-Unis et leurs dirigeants, qui du reste, influenceront profondément ses
choix professionnels et politiques, qui seront sources d‘admiration pour leur efficacité et leurs
savoir-faire politiques46.
44
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.), op.cit., p.225.
45
Éric Roussel, Jean Monnet, Paris, Fayard, 1996, p.741.
46
Gérard Bossuat, ―Jean Monnet ou l‘anti-utopie‖, Europa Utopia-Europa Realidade, Estudos do Século XX, n
2-2002, pp. 85-86. Monnet est entré en contact avec le monde anglais et américain à partir de 16 ans par son
travail professionnel au service de la maison paternelle de Cognac. Il découvre l‘Amérique du Nord, le Canada,
tout en vendant du cognac. Il admire l‘organisation de la City de Londres et l‘ampleur de l‘organisation
commerciale du monde anglo-saxon. Il prend la mesure des ambitions financières mondiales du monde des
affaires américain. Il se fait des amis et des relations d‘affaires. Ibid.
29
L‘article de Gérard Bossuat, « Jean Monnet, le Département d‘État et l‘intégration
européenne (1952-1959 ) »47, développe cette problématique en précisant l‘action de Monnet
et l‘attitude des responsables américains du Département d‘État et de l‘Ambassade américaine
en France, dans la création des institutions communautaires européennes, particulièrement
concernant Euratom. D‘après lui, le débat sur la supranationalité se posait à travers la notion
ambiguë de l‘intégration européenne constamment utilisée par la diplomatie américaine.
Monnet aussi l‘utilise, mais est-ce dans le même dessein ? Il conclut enfin que Monnet et
Dulles se sont rencontrés pour défendre l‘intégration européenne supranationale. Mais il y
avait des différences entre les conceptions des deux hommes. Dulles voulait essentiellement
mobiliser l‘Europe occidentale contre le monde communiste au nom de l‘idée européenne.
Quand à Monnet, il poursuivait un objectif plus large, celui de conduire les Européens et les
citoyens du monde atlantique à s‘unir. Cette problématique nous engage à identifier et
comparer les intentions fondamentales de Monnet et des élites américaines quant à
l‘unification européenne. De même, l‘article de Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les ÉtatsUnis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique »48, renforce cette thèse. Il
insiste sur les désaccords éventuels entre les Américains et Monnet, notamment quand les
États-Unis s‘écartaient, dans leurs actions, de leur conception singulière du partenariat
atlantique.
C‘est sur toutes ces différences que la présente étude s‘appuie pour faire le distinguo entre
avoir une « influence réciproque » et « être sous influence » des États-Unis. Car si Monnet
était influencé par ses amis américains, il n‘était pas pour autant « l‘homme de l‘Amérique »,
au sens de l‘homme défendant les intérêts de l‘Amérique au détriment de l‘Europe, comme
aiment à le nommer les souverainistes gaullistes. Mais simplement avait-il compris
l‘importance des États-Unis, leur force, leurs désirs de démocratie et de liberté, qu‘il
partageait pleinement pour le bien de l‘Europe. La seule chose évidente était son
pragmatisme. Réaliste, Jean Monnet, comme il l‘avouait dans ses Mémoires : « J‘ai quelques
idées générales sur l‘Amérique et les Américains, elles se sont formées au cours de dizaines
d‘années de contacts familiers, mais pour l‘action je me fie à mon jugement du moment »49.
Par ailleurs, n‘oublions pas que l‘influence était réciproque, notamment quand Monnet
47
René Girault et Gérard Bossuat, (dir.), Europe brisée Europe retrouvée : Nouvelles réflexions sur l’unité
européenne au
siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994.
48
Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., 1999.
49
Jean Monnet, Mémoires, p.391.
30
influence la politique étrangère des États-Unis relative à la question de l‘intégration
européenne, pour le bien de la France. Une lettre d‘Eisenhower destinée à Monnet l‘atteste :
« I have long been cheering for you in the effort to bring about European Union; in my own
way I have been working for the same thing. Aside from the many presentations I have made
behind closed doors to the European governments, you will recall in early July of 1951 I made
this the subject of a talk I gave in Britain. I don‘t recall exactly, but I think you were probably
the one to encourage me to speak out on the matter. At the time, of course, I was a soldier
only and had to talk about the subject from the standpoint of security and political union, but
the purpose was the same »50.
Nombre d‘études font état de la relation entre Jean Monnet et les élites politiques
américaines concernant les thématiques sur la modernisation de l‘économie européenne
d‘après-guerre, ainsi que sur la défense européenne (Particulièrement pendant l‘époque 19451954). Mais rares sont les études qui font directement le lien entre les réseaux politiques
américains et l‘unification européenne, à travers l‘amitié entre Monnet et les États-Unis. Car
la question de la périodisation de la politique américaine, à l‘égard de l‘intégration
européenne est indissociable de la relation d‘ordre amical et privé entre Jean Monnet avec les
élites politiques américaines. Aussi, pouvons-nous constater que cette relation d‘amitié a été à
l‘origine des projets politiques les plus fertiles entre 1938 et 1963. Ce que nous décrypterons
au cours de cette thèse.
Un bilan pour une problématique : l’influence réciproque entre Jean Monnet et les élites
américaines pour l’intégration européenne.
Pour conclure sur notre problématique, nous présentons une vision globale de la
segmentation en trois parties de notre présente étude. Notre objectif principal est de savoir si
Jean Monnet et l‘élite politique américaine avaient une vision commune de l‘unification
européenne : en déterminant, d‘une part, l‘existence éventuelle des réseaux américains
d‘intellectuels et de diplomates, amis de Jean Monnet, associés à la construction européenne,
et d‘autre part, au travers de leurs échanges respectifs, de savoir si Monnet avait une vision
européo-occidentale ou plutôt une plus large vision atlantiste américaine.
50
FJME AMK C/23/3/302 : Lettre de D. Eisenhower à Jean Monnet, (23.03.62)
31
Aussi, l‘essentiel de notre travail consistera à établir les niveaux de dialogues entre Jean
Monnet et l‘élite politique américaine, concernant l‘Europe et les échanges atlantiques, à
l‘heure de la construction européenne et de l‘ouverture des frontières communautaires, en
pleine guerre froide.
À cet effet, nous proposons de comparer les idées respectives de Jean Monnet et de l‘élite
politique américaine quant à la construction et l‘intégration européenne, à travers les
similitudes mais aussi, à travers les divergences, cela afin d‘évaluer la véritable contribution
de Jean Monnet à l‘intégration de l‘Europe.
En outre, notre problématique sera structurée autour du rôle des élites politiques, pour
comprendre les processus de décisions politiques concernant la construction de l‘Europe, en
lien avec les motivations des décideurs nationaux.
Par ailleurs, nous souhaitons analyser les éléments structurants du concept d‘identité
européenne à travers la relation privilégiée entre Jean Monnet et les élites américaines.
Notre période de recherche se situera entre 1938 et 1963. Durant cette période, nous
étudierons, sur la base d‘archives, l‘origine de la politique européenne des États-Unis, leurs
motivations profondes et leurs intérêts spécifiques pour l‘Europe, ainsi que des questions
relatives aux frontières physiques de l‘Europe, cela à travers les échanges et les nombreuses
correspondances entre Jean Monnet et ses amis américains.
Eu égard à la régularité des liens d‘amitiés entre Monnet et les élites politiques
américaines de 1938 à 1963, concernant la réflexion sur l‘Unification européenne, nous
décomposons la période d‘analyse en trois périodes chronologiques, qui correspondent, selon
nous à trois formes d‘identités européennes distinctes :
De 1938 à 1949, l‘identité occidentale : Cette identité est construite contre les Soviétiques,
dans le contexte de la guerre froide, et avec l‘aide américaine pour rétablir l‘Europe. Jean
Monnet pensait que l‘aide américaine permettrait de reconstruire l‘Europe d‘après-guerre, et
particulièrement la France. C‘est l‘époque des genèses concomitantes : celle de la guerre
froide et celle de la construction européenne.
De 1950 à 1954, l‘identité institutionnelle : C‘est la période de construction des
institutions européennes : De la CECA à l‘échec de la CED. Cette époque est l‘ère de la
naissance des institutions européennes. Et l‘identité européenne est construite à travers le
32
déploiement physique des institutions. Elle marque l‘avènement d‘une véritable identité
européenne dont le souhait était la résolution des grands maux européens : le problème de
l‘Allemagne, le rétablissement de l‘économie européenne et la sécurité européenne face à la
montée du communisme.
De 1955 à 1963, l‘identité Euro-atlantique : Les problèmes militaires, le réarmement de
l‘Allemagne (face à la montée de l‘URSS), le conflit à propos de l‘entrée de la GrandeBretagne dans le Marché commun, sont autant d‘obstacles majeurs à la poursuite harmonieuse
de la construction européenne. En outre, cette période marque la volonté affichée des
Américains, de se rapprocher de l‘Europe. Ce qui n‘est aucunement évident eu égard à la
politique européenne menée par De Gaulle, en France : c‘est la période des discordes.
33
NATURE DES SOURCES
L‘accès direct aux sources premières nous aura permis de relancer la réflexion et les
perspectives concernant la problématique de notre sujet (Monnet avait-il une vision
européocentriste ou s‘inscrivait-il plutôt dans une vision plus largement atlantiste, englobant
les positions américaines ?). Car à travers ces dernières, nous découvrons une certaine
réciprocité entre les idées de Jean Monnet et de ses amis américains, notamment autour des
concepts de « paix », d‘« institutions » et de « partenariat » (« partnership ») entre l‘Europe et
l‘Amérique. Et ce sont ces concepts notamment qui donneront naissance à l‘intégration
européenne, et cela à chaque étape de sa construction. Ainsi, à chaque évolution des idées de
Monnet par rapport à l‘unification européenne (de l‘idéal à la matérialité institutionnelle, pour
peut-être aboutir à l‘élargissement Atlantique) les idées des élites politiques américaines font
écho et inversement afin de mettre en évidence une influence mutuelle entre Monnet et ses
amis américains.
Par ailleurs, le fort enthousiasme américain concernant l‘unification européenne s‘exprime
à travers trois types de sources :
Le premier type de source concerne l‘étude de l‘opinion américaine, à travers le Congrès
américain. Courroie de transmission privilégiée entre l‘administration et le peuple américain,
le Congrès produit une multitude de documents. Chargé de l‘expression structurée de
l‘opinion et des divers groupes d‘intérêt de la nation, mais également partenaire de
l‘administration dans l‘élaboration de la politique étrangère, le dépouillement de ses
publications introduit naturellement à l‘étude des positions de l‘administration. Donc, ils ne
peuvent être négligés. Concernant toujours l‘étude de l‘opinion américaine, il faut également
noter l‘importance des pressions de la presse américaine sur la politique gouvernementale en
faveur de l‘unification européenne (Parmi lesquels le Washington Post, le New York Times ou
encore le Herald Tribune). Les journaux sont remarquablement bien informés au sujet de
l‘intégration européenne. Ils sont le miroir des principaux débats suscités dans l‘opinion
34
publique. Ils permettent souvent de reconstituer la trame de la politique européenne des ÉtatsUnis.
Le second type de source concerne l‘évolution de la fonction présidentielle, de
l‘organisation de l‘administration et du processus administratif de la politique économique
internationale américaine : Les articles, les biographies et les Mémoires présidentielles
concernant la politique étrangère américaine menée sous les différents mandats Aussi résumer
l‘action diplomatique et politique des Administrations américaines successives, c‘est tenir
compte des cercles d‘études et de publications tel que le : « Council on Foreign Relation ».51
Enfin, le dernier type de source est la correspondance étroite entre Jean Monnet et ses
contacts américains. Son réseau social était une véritable coterie d‘amis où l‘action publique
et les relations privées étaient largement entremêlées, lui permettant la résolution informelle
de problèmes politiques ou/et techniques. Malheureusement, cette proximité avec le pouvoir
était une médaille à deux faces dont le revers était parfois un éloignement par rapport à la
réalité, eu égard au caractère élitiste et fermé de ce cercle d‘amitiés.
Bien que singulière, notre argumentation sera essentiellement basée sur cette dernière
catégorie de sources : L‘accès à la consultation d'archives d‘articles, concernant Jean Monnet,
situées à la Fondation Jean Monnet pour l‘Europe (FJME) à Lausanne nous aura permis
d‘éclairer d‘un jour nouveau l‘étude de l‘Unification européenne. Ceci, à travers la relation
entre Jean Monnet et les Américains.
51
Il a été fondé dans les années 1920. Ce groupe avait pour objectif, de par ses conférences, cercles d‘études et
publications, d‘influencer la politique étrangère des EU, à tel point que l‘on l‘a comparé à un « gouvernement
invisible ». Il était constitué, il est vrai, de personnalités issues de la classe politique mais aussi de la finance, du
commerce, de l‘industrie, de l‘université, des médias. Un certain nombre de ses projets furent financés par la
fondation Rockefeller et son recrutement était assez élitiste. Ses principaux présidents furent Paul M. Varburg,
créateur du « Federal Reserve System », R. C. Leffingwell, associé de la banque Morgan, John Jay Mac Cloy
(haut commissaire en Allemagne 1949 à 1952) ou encore David Rockefeller (1970 à 1985). Déterminant des
objectifs et des principes d‘action à long terme, le « Council on Foreign Relation » réussit à assurer une certaine
continuité dans les décisions concernant la politique internationale des États-Unis, au-delà des changements
d‘équipes gouvernementales et de l‘alternance entre les deux grands partis américains. Notamment grâce à une
« pénétration » du Council on Foreign Relation au sein du Département d‘Etat, du conseil national de sécurité et
du Pentagone. Ses principes se résument essentiellement à la recherche de l‘unité économique, commerciale et
financière de parties ou régions du monde les plus étendues possibles, pour lesquelles il préconise des
groupements politiques régionaux, voire continentaux, favorisant cette intégration générale; et, logiquement,
selon lui, le blocage principal à la recherche, par ce biais, de la prospérité et de la paix, réside dans
l‘indépendance ou l‘autonomie des politiques des différentes Nations issues du concept de souveraineté
nationale, d‘Etat-Nations. Christophe Réveillard, Les premières tentatives de construction d’une Europe
fédérale: des projets de la Résistance au traité de C.E.D.(1940-1954), Paris, François-Xavier de Guibert, 2001,
p.143.
35
Orientation des sources
Notre argumentation est basée sur la consultation d'archives concernant Jean Monnet.
Nous avons recherché des sources selon trois directions à la Fondation Jean Monnet pour
l‘Europe : Les archives américaines, les entretiens et les correspondances.
Le Fond des archives américaines:
Aux archives de la Fondation Jean Monnet, il a été possible de consulter des articles
d‘élites politiques américaines considérables telles que Dean Acheson, John Mac Cloy,
Georges Ball, John F. Dulles, Walt et Gene Rostow, McGeorge Bundy, Robert Bowie, Robert
Schaetzel ou encore David Bruce
Le Fond des archives américaines : Les données principales sont les archives américaines
à la Fondation Jean Monnet pour l‘Europe(FJME) de Lausanne. Le projet de recherche
d‘archives, conjointement mené avec l‘Institut universitaire de Florence, a été placé, sous la
direction du professeur Sherill Wells, du Département d‘histoire de George Washington
University, à Washington D.C. Elle a rassemblé un groupe de chercheurs pour visiter les
institutions et récolter les archives liées à Jean Monnet aux États-Unis (bibliothèques et
Archives publiques, bibliothèque présidentielle et bibliothèques universitaires). À ce corpus,
nous avons ajouté les articles de Robert R. Nathan (51 pièces) que nous avons consulté dans
les archives de Jean Monnet à FJME
Depuis février 1994, les archives de la Fondation Jean Monnet ont été complétées par huit
envois successifs, totalisant 771 pièces sous forme de photocopies et de microfilms
américains. Aussi, à l‘heure actuelle, la FJME de Lausanne est l‘institution regroupant le plus
important catalogue de sources concernant Jean Monnet. Par conséquent, nous avons pu avoir
un accès aisé à la plus riche base de données d‘archives américaines associées à Jean Monnet
(sous forme d‘articles, d‘interviews, de discours, de correspondances, de dialogues
téléphoniques et de dossiers américains officiels.
Les interviews
36
Les entretiens sont plutôt détaillés (enregistrés et dactylographiés) et ont été réalisés dans
les années quatre-vingt (pour l‘essentiel). L‘apport essentiel de ces entretiens est leur capacité
à rendre compte de la nature et de la qualité du lien entretenu par Jean Monnet avec les élites
politiques américaines. Ces entretiens permettent également d‘apporter des éléments sur la
perception des interlocuteurs (particulièrement celle de Jean Monnet) par rapport à la
politique américaine menée. Il existe deux types d‘entretiens concernant les élites américaines
politiques associées à Jean Monnet et à l‘unification européenne : les premières ont été réalisé
pour le compte de la Fondation Jean Monnet pour l‘Europe à Lausanne par des journalistes ;
les secondes ont été réalisées aux États-Unis et récoltées par la Fondation Jean Monnet pour
l‘Europe de Lausanne.
Les correspondances
Une attention toute particulière a été portée aux correspondances entre Jean Monnet et ses
amis américains car elles témoignent d‘actions méconnues voire inconnues du grand public,
mais celles-ci ont souvent été déterminantes dans l‘intégration européenne. L‘échange des
idées entre Jean Monnet et les élites américaines par la correspondance est en effet un corps
documentaire non négligeable qui nous a permis de saisir la position assumée à l‘égard de la
construction européenne, par l‘ensemble des relations de Jean Monnet du monde politique,
économique, diplomatique et intellectuel des États-Unis.
Si riches que soient les correspondances, nous n‘avons jamais perdu de vue qu‘elles
étaient, bien évidemment, un accès direct et privilégié aux idées (intimes) de Jean Monnet
pour la construction européenne. Aussi, prudence gardée, nous avions conscience que de ces
correspondances, pouvait ressortir une vision « nécessairement » biaisée et subjective de
l‘attitude des responsable américains à l‘égard des efforts de Monnet pour mener à bien
l‘intégration européenne.
37
Première partie
Identité et conscience européennes face aux blocs occidental et
soviétique durant la première étape de la construction européenne
(1938-1949)
Au début de la guerre froide, la construction européenne concernait uniquement l‘Europe
occidentale, qui cherchait à s‘unifier contre la menace communiste. L‘Europe qui se dessinait
alors de 1945 jusqu‘à la fin des années quarante, était un nouvel espace remodelé et fracturé.
L‘idée d‘une Europe rêvant d‘une paix durable s‘estompa rapidement au sortir de la guerre
pour faire place à d‘impérieuses nécessités politiques.
L‘Europe d‘après-guerre dut faire face à la crainte d‘un danger soviétique et à la
perception du problème allemand. Les deux perceptions se rejoignirent pour créer la nouvelle
Europe nécessaire, c‘est-à-dire, l‘Europe occidentale face à des nouvelles peurs. Or elle
différait sur la définition idéologique et la limite géopolitique de la conception fasciste
d‘ « Europe nouvelle » et de celle rêvée pendant la guerre.
Rapidement, l‘Europe occidentale dut prendre en compte les problématiques
posées pendant les années 1947-1949 : le lancement du relèvement économique de
l‘Allemagne ; la fusion des trois zones d‘occupation occidentales ; les débuts de la
construction européenne, et le réarmement allemand. En bref, la disparition de la grande
alliance qui s‘était formée contre le Reich nazi et la formation d‘un nouvel équilibre européen
et mondial, pour lequel, l‘entrée de la plus grande partie de l‘Allemagne dans le monde
occidental allait rapidement devenir un élément décisif.
38
Chapitre 1 : L'émergence d’une idée d’identité européenne, à
travers la rencontre de Jean Monnet et de ses amis américains
(1938-1943)
« La frontière des États-Unis se trouve sur le
Rhin ». (Franklin D. Roosevelt, en 1940)52
La construction de l‘Europe apparaît comme un processus relativement récent puisqu‘elle
ne démarre qu‘au lendemain de la seconde guerre mondiale avec la prise de conscience, d‘un
nécessaire rapprochement européen. Toutefois, l‘idée d‘une identité européenne était présente
depuis fort longtemps. Mais c‘est à partir de la seconde guerre mondiale que cette idée
commença à se développer chez certains intellectuels et certains politiques, face à l‘angoisse
que représentait l‘avenir en Europe.
L‘émergence de l‘idée d‘une identité européenne chez Jean Monnet et ses amis
américains, est liée à la prise de conscience d‘un continent européen au lendemain de la
Deuxième Guerre mondiale : une Europe tant dans ses différences que dans le regard qu‘elle
porte sur l‘extérieur.
Nous proposerons d‘examiner dans ce chapitre la genèse de la vision de Jean Monnet : une
Europe démocratique unie qui se dresse tel un rempart contre la menace nazie durant les
années 1938-1943. Une vision débattue, promue et construite à travers les relations de Jean
Monnet et l‘élite intellectuelle et politique américaine.
En effet, c‘est durant la période entre 1938 à 1943 que l‘avenir européen selon Jean
Monnet prend corps dans ses réflexions avec ses amis américains. C‘est pourquoi, nous
proposons d‘apporter quelques éclairages nouveaux dans l‘amitié atlantique de Jean Monnet
et de ses amis américains, qui, selon nous, permettront de mieux comprendre les enjeux ainsi
que les motivations à l‘origine de l‘idée de la construction européenne.
52
André Kaspi, Franklin D. Roosevelt, Paris, Fayard, 1988, p.384.
39
Cette théorie de la genèse de la construction européenne s‘appuie particulièrement, sur les
archives du « projet de coopération de franco-anglo-américaine » de 1938 à 1940 ; ainsi que
sur les notes personnelles et les réflexions de Jean Monnet sur l‘Europe d‘après-guerre,
pendant son séjour à Alger, en 1943. Cette genèse établit clairement une articulation entre
deux périodes distinctes : les prémisses de l‘idée d‘unification européenne, à travers le travail
d‘union franco-anglaise, de 1938 à 1940 ; et la période de réflexions pragmatiques sur l‘avenir
de l‘Europe et de la France après d‘après guerre, de 1943 à 1944.
Nos travaux permettront quelques éclaircissements, remises en cause et observations sur le
sujet ; observations, qui n‘en pas douter, appelleront d‘autres problématiques : notamment,
celle d‘une Europe européano-centriste ou/et atlantiste et américaine. Nous pourrons
également, nous poser la question d‘une vision partagée de l‘Europe entre Monnet et les
Américains, ainsi que l‘incidence de leurs influences mutuelles sur l‘intégration européenne.
40
« L’Europe de demain » chez Jean Monnet et les élites politiques
américaines et les élites européennes, durant la guerre.
En pleine guerre, il n‘était question que de l‘après-guerre ; de la paix à venir et de
l‘Europe à organiser. C‘était non seulement le résultat des erreurs des accords de Versailles et
du dogme de la souveraineté absolue, mais aussi l‘occasion unique de penser aux moyens de
pacifier définitivement le continent. Comme le rappelle Jean-Baptiste Duroselle, l‘idée était
dans l‘air depuis un certain temps53. Des Résistants, des intellectuels, et des hommes
politiques s‘affirmaient à réorganiser « l‘Europe de demain en Paix », comme une impérieuse
nécessité. Ainsi, l‘identité européenne était une invocation obligatoire pour construire
« l‘Europe de demain »54.
L‘Europe de la Résistance est apparue en réaction à l‘Europe de la propagande nazie.
Propagande nazie, qui, d‘ailleurs, prétendait organiser « l‘Europe nouvelle » autour d‘un État
directeur, l‘Allemagne du « Nationalsozialistische deutsche Arbeiterpartei », et cimenter ce
« nouvel ordre » par une idéologie inspirée des principes du fascisme. Par opposition à la
vision hégémonique du nazisme, la Résistance met l‘accent sur le caractère démocratique de
la future Europe unie. Parmi les nombreux textes pro-européens écrits dans la Résistance et
connus grâce à la recension magistrale faite par Walter Lipgens55, le Manifeste de Ventotene,
intitulé « Pour une Europe libre et unie », écrit par Altiero Spinelli, antifasciste en rupture
avec le parti communiste italien, relégué sur l‘île de Ventotene, marque le point de départ de
cette renaissance de l‘idée européenne dans la résistance56 : « Le problème qu‘il faut résoudre
tout d‘abord- sous peine de rendre vain tout autre progrès éventuel- c‘est celui de l‘abolition
de la division de l‘Europe en États nationaux souverains. […] Les esprits sont déjà beaucoup
mieux disposés que dans le passé à l‘égard d‘une réorganisation de type fédéral de l‘Europe.
[…] On a désormais démontré l‘inutilité et même la nuisance d‘organismes du type de celui
53
Jean-Baptiste Duroselle, L’Abîme, Paris, Seuil, p.228.
Marie-Thérèse Bitsch, Histoire de la construction européenne, Paris, Editions Complexe, 1999. P.24.
55
Walter Lipgens, Documents on the History of European Integration 1939-1945, Berlin, New York, de
Gruyter, 1986.
56
Marie-Thérèse Bitsch, op.cit.
54
41
de la Société des Nations lequel prétendait garantir le droit international sans une force
internationale capable d‘imposer ses décisions et en respectant, en outre, la souveraineté
absolue des États-membres»57.
Par ailleurs, les intellectuels et les politiques ne sont pas en reste. Puisqu‘à l‘automne 1939
et les premiers mois de 1940, ils s‘activent énergiquement à travers la mobilisation pour une
future « Fédération européenne ». Mouvement, qui était jusque là sans précédent : Dans une
conférence tenue à Paris le 17 mai 1939 sur le thème de « l‘Europe de demain »,
Coudenhove-Kalergi avait ainsi présenté la question de la forme de l‘Union européenne
comme devant résulter de la lutte prochaine entre les formules rivales du bolchevisme, du
racisme et du démo-libéralisme paneuropéen58.
On pourrait se demander si Monnet eut vent des idées de ce grand mouvement européen ?
Car l‘avenir de l‘Europe pour Jean Monnet s‘accordait jusqu‘à s‘opposer à l‘idée même de
souveraineté nationale : « Les buts à atteindre sont : le rétablissement ou l‘établissement en
Europe du régime démocratique, et l‘organisation économique et politique d‘une ―entité
européenne‖. Ces deux conditions sont essentielles à l‘établissement de conditions qui fassent
de la paix en Europe un état normal. […] Il n‘y aura pas de paix en Europe si les États se
reconstituent sur une base de souveraineté nationale avec ce que cela entraîne de politique de
prestige et de protection économique. Si les pays d‘Europe se protègent à nouveau les uns
contre les autres, la constitution de vastes armées sera à nouveau nécessaire. Certains pays, de
par le traité de paix futur, le pourront; à d‘autres, cela sera interdit. Nous avons fait
l‘expérience de cette méthode en 1919 et nous en connaissons les conséquences»59.
Le point de vue de Jean Monnet est assez semblable à celui de Altiero Spinelli et à celui
de Coudenhove-Kalergi. En dépit d‘une grande différence de style et d‘une grande différence
de carrière politique, les trois textes se rencontrent sur des thèmes essentiels : Tous les trois
sont convaincus de la nécessité de limiter la souveraineté des États nationaux en vue de
pouvoir garantir la paix, la démocratie et la réforme de la société. C‘est-à-dire, pour eux,
l‘idée d‘unité de l‘Europe est étroitement associée à celle du maintien de la paix. Construire
l‘Europe, revient à tisser des liens entre États européens et prévenir la résurgence des
nationalismes. On pourrait résumer cette volonté d‘identité européenne commune, durant la
57
Bernard Bruneteau, Histoire de l’idée européenne au premier
e siècle à travers les textes, Paris, Armand
colin, 2006, p.192.
58
Bernard Bruneteau, ibid., p.146.
59
FJME AME 33/1/1 : Notes de réflexion de Jean Monnet, (05.08.43)
42
guerre, par trois mots : Paix, démocratie et fédéralisme afin de limiter les souverainetés
nationales génératrices de conflits.
Alors que les responsables américains consacrèrent, au cœur même du conflit, une partie
de leur temps à définir la future politique étrangère des États-Unis ; la guerre ne manquait pas
de créer une situation de table rase des relations internationales. Dès le 12 décembre 1939,
Hamilton Fish Armstrong, le rédacteur en chef de la revue Foreign Affairs (publication
trimestrielle de l‘éminent Council on Foreign Relations) offrait au département d‘État, la
collaboration de ses mandants. Cette dernière fut acceptée immédiatement. Le titre même
donné à l‘ensemble du projet, « Les intérêts américains dans la Guerre et dans la Paix », ne
laisse aucun doute sur l‘orientation générale des recherches qui y furent menées.60
Au cours de la même année, le secrétaire d‘État, Cordell Hull avait, lui aussi, nommé un
de ses hommes de confiance, Léo Pasvolsky, au rang d‘assistant spécial, chargé des
problèmes de la paix. Bientôt il établissait au sein de son ministère, un « Committee on
problems of Peace and Reconstruction » qui devenait le 8 janvier 1940, « l’Advisory
Committee on Problems of Foreign Relations ». Hull proposa, le 22 décembre 1941,
d‘adjoindre une institution beaucoup plus ouverte et représentative des forces économiques,
intellectuelles et politiques de la nation, « l’Advisory Committee on Post War Foreign
Policy ». Six jours plus tard, Roosevelt en approuva avec enthousiasme la création.61
C‘est en Amérique que semble débuter, et ceci dès 1940, des réflexions sur le thème de
l‘avenir de l‘Europe conformément à une lettre de Tommy à Monnet date du 12 septembre
1940 : « Like every other nation under the sun they appear to think they should have their
own specialists which are difficult to fetch at the moment but if you can find some suitable
stuff in the U.S.A. it would be helpful»62. À Washington, le thème semblait une priorité au
Département d‘État, qui en discutait avec ardeur dans la perspective de l‘après-guerre.
Plusieurs thèses étaient en concurrence : Cordell Hull souhaitait la mise en œuvre d‘un ordre
universel et d‘une économie internationale où les États-Unis, seraient appelés à jouer le rôle
prépondérant. Sumner Welles, le sous-secrétaire, se faisait au contraire l‘avocat d‘une
organisation régionale, et donc, par voie de conséquence, d‘une fédération de l‘Europe
60
Pierre Mélandri, op.cit., p.17.
Jean-Baptiste Duroselle, De Wilson à Roosevelt, La Politique étrangère des États-Unis, 1913-1945, Paris,
Armand Colin, 1960, p.380.
62
FJME AME 11/5/6 : Lettre de Tommy à Jean Monnet, (12.09.40) [L‘auteur de cette lettre, Tommy n‘est pas
identifié]
61
43
continentale, perspective également défendue par John Foster Dulles et George Kennan, un
haut fonctionnaire qui sera appelé à jouer un grand rôle au sein du plan Marshall. Il nota que
l‘on pouvait attendre des « avantages économiques » et « politiques » évidents d‘éventuels
regroupements sur le vieux continent63. Soucieux de ne pas se mettre à dos l‘Union
soviétique, Roosevelt finit par donner raison à Cordell Hull et cautionna son projet
d‘organisation des Nations unies, mais le débat ne fut pas clos pour autant64.
En dépit de l‘extrême confusion entre les points de vue et les ambitions de ses divers
partisans, le thème de l‘unité européenne commença à partir du second semestre 1942, à
susciter un intérêt accru dans les cercles des dirigeants américains. Un certain nombre
d‘études furent alors conduites par le département d‘État, sur la possibilité d‘une organisation
économique commune en Europe centrale et en Europe occidentale respectivement, puis dans
l‘Europe entière prise dans sa globalité65. Le même souci de peser les avantages et les
inconvénients d‘une plus grande coopération économique, anima l‘équipe « économique et
financière » du Council on Foreign Relations. Elle consacra alors une partie de son temps à
l‘étude des répercussions, d‘une éventuelle union douanière européenne sur l‘économie
américaine66. Les deux groupes avaient un accord sur la nécessité d‘englober étroitement un
tel ensemble, dans le cadre plus large d‘une organisation mondiale.
Achat d’avions de combat américains : Prémices d’une coopération
franco-anglo-américaine (1938-1939)
63
DS : postwar Foreign Policy Preparation, 1939-1945, Washington, D.C. 1959, p. 158-460, cité par Mélandri,
op.cit., p.18.
64
Éric Roussel, Jean Monnet, p.378. Le 4 mars 1933, le nouveau président démocrate, Franklin Delano
Roosevelt, prêta serment et prit le pouvoir. Il choisit comme secrétaire d‘Etat un politicien connu, longtemps
membre du Congrès, né en 1871, dans le Tennessee, Cordell Hull, et le garda comme collaborateur jusqu‘en
novembre 1944. Hull fut assisté par un sous-secrétaire d‘Etat. Roosevelt nomma à ce poste en 1937 Sumner
Welles, qui y resta jusqu‘en septembre 1943. Roosevelt se sentait plus proche de lui que de Hull. Mais il
comptait beaucoup sur l‘influence considérable de ce dernier auprès des sénateurs. Jean-Baptiste Duroselle,
Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris, Dalloz, 1990. p.317.
65
DS : Postwar Foreign Policy Preparation, p. 137-138, cité par Mélandri, op.cit., p.21.
66
Council on Foreign Relations, ―economic and Financial Group‖: étude E-B56, September 14, 1942.
44
La première rencontre entre Roosevelt et Monnet initiée par Edouard Daladier67, au début
de 1938, chez des amis communs où l‘avait conduit Pierre Comert. Monnet décrit Daladier
dans ses Mémoires, comme « un homme très estimable, humain, pour lequel j‘avais de
l‘amitié. […] À partir de janvier 1938, je fus témoin de ses efforts désespérés pour rattraper
notre infériorité aérienne, aidé en cela par Guy La Chambre, son jeune ministre de l‘Air,
discret et non moins obstiné »68.
Daladier, le Président du Conseil français, avait pressenti Jean Monnet pour lui confier
une mission confidentielle auprès du Président Roosevelt. L‘ambassadeur des États-Unis,
William Bullitt, ami et confident d‘Edouard Daladier, devait l‘introduire à Washington. Il dit
au chef de la Maison-Blanche : « La situation est si grave que je dois vous la décrire de vive
voix. L‘homme qualifié pour traiter cette question d‘avions est Jean Monnet, un ami intime de
longue date, en qui j‘ai confiance comme en un frère »69. Grâce à l‘intervention de Bullitt, le
19 octobre, Jean Monnet put enfin rencontrer le Président Roosevelt, qui le reçut chez lui, à
Hyde Park, près de New York. La première étape de la mission Jean Monnet était d‘établir
des contacts au plus haut niveau à Washington, avec le consentement d‘Édouard Daladier.
Cette visite confidentielle permit un premier échange de point de vue. Roosevelt confia sa
vive inquiétude devant la montée en puissance de l‘Allemagne. Jean Monnet consigna dans
ses Mémoires, cette confidence comme suit : « Roosevelt voyait les États-Unis par rapport au
monde et, à ses yeux, les périls qui s‘accumulaient sur l‘Europe mettaient en danger la
démocratie dans le nouveau comme dans l‘ancien contient. C‘est pourquoi il accueillait un
Français dont il savait peu de choses, mais la seule qui lui importait, […] Hitler n‘était pas
encore l‘adversaire déclaré du peuple américain mais déjà Roosevelt le considérait comme le
pire ennemi de la liberté, donc des États-Unis»70.
67
Édouard Daladier, ministre de la Défense nationale, avait succédé à Léon Blum, à la Présidence du Conseil.
Dès le 12 avril 1938, il avait présenté à la Chambre des Députés son programme ; son discours très structuré et
prononcé sur un ton vigoureux préconisait une véritable relance du réarmement. Il escomptait également pour
réussir son plan de relance l‘appui de partenaires étrangers. Dès la fin du mois d‘avril, il se rendait à Londres
avec Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères qui avait occupé précédemment le poste de ministre des
Finances et devait prendre de discrets contacts avec les milieux financiers britanniques afin de préparer dans les
meilleures conditions une nouvelle dévaluation. Élisabeth du Réau, « Jean Monnet, le Comité de coordination
économique franco-britannique et le projet d‘Union franco-britannique: les moyens de vaincre le nazisme
(septembre 1939-juin 1940) », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., pp.78-79.
68
Jean Monnet, Mémoires, p.165.
69
Jean Monnet, Mémoires, p.166.
70
Jean Monnet, Mémoires, p.167.
45
À ce moment là, Monnet était vraiment loin d‘être utopique et était conscient qu‘une
action unilatérale de la France contre l‘Allemagne était vouée à l‘échec. Monnet trouva un
Président décidé à soutenir les démocraties71. Il expliquait que la défense des démocraties
passait par une action commune franco-anglo-américaine. Il proposait, dès 1939, que le
fournisseur de l‘arsenal industriel de la France soit les États-Unis, pour des raisons
stratégiques. Il suggéra aussi que fut crée comme en 1917, un conseil franco-britannique de
l‘aviation, puis des approvisionnements de guerre.72 Quelques jours plus tard, William Bullitt
écrivit à Edouard Daladier pour lui indiquer que la mission s‘était engagée sous de bons
auspices : « Les conversations ont été caractérisées de la part du Président et du secrétaire
d‘État aux Finances par une franchise et une confiance exceptionnelles »73.
Le 5 décembre, Édouard Daladier, qui avait souligné « l‘infériorité tragique » de l‘aviation
française, concluait : « L‘achat des avions américains est possible et il doit être effectué »74.
Dès le 9 décembre, Jean Monnet était chargé d‘engager des négociations avec des
constructeurs américains. La mission qu‘il devait diriger impliquait la constitution d‘une
équipe : celle-ci fut rapidement formée, elle comprenait, le lieutenant-colonel Jacquin, chef de
la délégation militaire envoyée par l‘armée de l‘Air, accompagné du capitaine Chemidlin et
Henri Hoppenot, sous-directeur d‘Europe du quai d‘Orsay75.
Le résultat de la première mission de Monnet fut mitigé mais prometteur. En effet, s‘il
avait rencontré des difficultés et laissait en suspens plusieurs questions importantes ; les
premiers contacts avaient été fructueux, et aboutirent à des relations dynamiques
encourageant un authentique dialogue. Comme Roosevelt écrivait à Bullitt : « I had a nice talk
with M. And since then he has seen Morgenthau twice. The gist of it is that we are all agreed
that a somewhat elastic formula holds out some hope in the future but that the present time is
71
Gérard Bossuat, Les aides américaines économiques et militaires à la France, 1938-1960…op.cit., p.8.
Gérard Bossuat, ―Jean Monnet ou l‘anti-utopie‖, op.cit., p.87.
73
FNSP-AN, Fonds Daladier, Lettre W. Bullitt, 25 octobre 1948, cité par Élisabeth du Réau, « Jean Monnet, le
Comité de coordination économique franco-britannique et le projet d‘Union franco-britannique: les moyens de
vaincre le nazisme (septembre 1939-juin 1940) », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit.,
p.80.
74
SHAT, CSDN, le section, Coopération franco-britannique, 5 N 579, dr.2, cité par Élisabeth du Réau, « Jean
Monnet, le Comité de coordination économique franco-britannique et le projet d‘Union franco-britannique: les
moyens de vaincre le nazisme (septembre 1939-juin 1940) », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la
dir.), ibid., p.81.
75
Élisabeth du Réau, « Jean Monnet, le Comité de coordination économique franco-britannique et le projet
d‘Union franco-britannique: les moyens de vaincre le nazisme (septembre 1939-juin 1940) », in Gérard Bossuat
et Andreas Wilkens (sous la dir.), ibid.
72
46
inopportune. I told him frankly that I thought it would be a mistake for his government to
deplete a bettering cash condition for a little while»76.
À ce moment-là, l‘idée de Monnet n‘était pas encore opportune. Son expérience
diplomatique datant de la Première Guerre77 et les récentes missions qui venaient de lui être
confiées, le désignaient bel et bien comme l‘impulsion nécessaire à ce grand projet européen.
Édouard Daladier lui manifestait sa confiance totale. Bullitt l‘expliqua à Roosevelt :
« He[Daladier] believed that on one was so well qualified as Jean Monnet to handle this
matter and he would send Monnet a personal telegram today asking him to return to Paris
from New York for a few days to discuss the matter and to return immediately to America.
Daladier added that on Monnet‘s arrival in Paris he would wish to have a discussion with
Monnet and myself. If you have any ideas that you think I ought to have in mind during such
a discussion, you might transmit them to me by letter in the confidential pouch
immediately»78.
Alors, dès septembre 1939, Jean Monnet exposait à Edouard Daladier ses vues sur la
nécessaire coopération franco-britannique. Quelques semaines plus tard, se mettait en place le
triangle atlantique Paris-Londres-Washington79. C‘était un tournant décisif dans les relations
entre les Alliés et les États-Unis.
Le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne et la France déclaraient la guerre à l‘Allemagne.
Les deux gouvernements désormais alliés devaient se concerter au sein du Conseil suprême
franco-britannique. Dans la perspective d‘une guerre longue, hypothèse retenue par les deux
alliées, l‘organisation, dès les premiers temps du conflit, prit la forme d‘une véritable
coopération. L‘initiative restait cependant à Jean Monnet : «In the main, the ideas and
organization I have discussed with you and the various British Ministries to whom you were
good enough to introduce me, are nothing else than the very ideas and organization which
76
FDR 28, Franklin Delano Roosevelt Library, Presidential Secretary‘s File, Box 30, France : Bullitt 1939,
Letter (Franklin Delano Roosevelt to William Bullitt), (16.05.39)
77
En 1916, entrant au Cabinet de Clémentel, il convainc les Britanniques et les Français de réquisitionner les
flottes marchandes des deux côtés de la Manche et de les placer sous une direction unique opérationnelle. Un
pool maritime entre en action, des commissions d‘achat franco-anglaises se constituent pour procéder à une
répartition commune des ressources. En 1917, les États-Unis entrent dans ces organisations et Jean Monnet y
rencontre les plus hauts responsables américains. Pascal Fontaine, Jean Monnet et la construction de l’Europe,
1971, p.4.
78
FDR 24, Franklin Delano Roosevelt Library, Presidential Secretary‘s File, Box 30, France : Bullitt 1939, letter
(W.C. Bullitt to Secrétaire de State, Washington), (23.03.39)
79
Élisabeth du Réau, « Jean Monnet, le Comité de coordination économique franco-britannique et le projet
d‘Union franco-britannique: les moyens de vaincre le nazisme (septembre 1939-juin 1940) », in Gérard Bossuat
et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p.82.
47
finally, after three years of conflict, the Allies had to recognize as essential, and were
successfully tested. [...] Such an organization should necessarily be in close touch with the
Economic Warfare organization, as it is clear that the programs of purchases of the Executive
Committee will be very often influenced by the necessities of Economic Warfare, while the
existence of the Committees and of their joint purchasing organizations will in many cases
assist the action of the Economic Warfare »80.
Lors du 1er octobre 1939, Monnet envoya une lettre à Sir Edward Bridges, le secrétaire du
Cabinet anglais de la guerre, qui s‘employait à préparer la venue de Jean Monnet. Le thème
de cette lettre était « l‘organisation de la coordination économique anglo-française ». Elle
commençait par un rappel de l‘expérience de la précédente guerre : « I am attempting only to
cover the various points which we discussed and to outline suggestions for the solution of
some of the problems which will face our two countries; some of these problems have been
met during the last war and were solved by the organization which was created at the end of
1917, while some others are new and might require original solutions»81.
Les propositions sont inspirées par les idées de Jean Monnet. Ces idées de coordination, en
particulier, de l‘effort de guerre, se retrouvent dans le « Victory Pogram » américain de 1941,
initié en partie par Monnet. Et cette idée d‘organiser la production et la distribution se
retrouva dans le Plan français de 1945, et dans le Plan Schuman de 195082. L‘organisation de
la coordination économique reposait sur la mise en place de comités exécutifs permanents
spécialisés dans divers domaines : ravitaillement, armements et matières premières, pétrole,
aéronautique, production et achats, transports maritimes : « As regards the organization, there
should be established for each main category of needs an Anglo-French Council and
corresponding Permanent Executive Committee. The following Councils and Committees
could be immediately created:
Anglo-French Council of Armaments-Permanent Executive Committee of Armaments;
 Anglo-French Council of Aviation-Permanent Executive Committee of Aviation;
 Anglo-French Council of Food-Permanent Executive Committee of Food;
80
FDR 17, Franklin Delano Roosevelt Library, White House Official File, Box 2, W.C. Bullitt, letter (Jean
Monnet to Edward Bridges), (01.10.39)
81
FDR 17, Franklin Delano Roosevelt Library, White House Official File, Box 2, W.C. Bullitt, Letter (Jean
Monnet to Edward Bridges), (01.10.39)
82
François Saint-Ouen, op.cit., p.84.
48
 Anglo-French Council of Maritime Transports-Permanent Executive Committee of
Sea Transports.
The requirements of certain raw materials, such as : coal, oil, timber, are likely to be so
important that is might with these products. Also certain groups of supplies, such as for
example wheat, sugar, etc., which are grouped under the handing of Food may require special
Executives such as wheat, sugar, etc. This can be worked out as and when necessary »83.
Par conséquent, la contribution financière franco-britannique devait favoriser une
importante relance des investissements, au profit de la modernisation de l‘appareil productif
américain. Monnet insista sur ce point dans sa missive, selon la lettre pour Edward Bridges,
datée du 1er octobre 1939 : « As to finance, the difficulty is going to be the limited resources
of gold and foreign exchange of our two countries. Indeed the problem of financing foreign
imports will be an important one which never existed to a similar extent in 1914-1918,
because we could draw on the financial resources of the U.S.A. both before 1917 and after.
This question is evidently much more complex than any of the others which the allied
organization will be called upon to deal with. I will take advantage of my visit to Paris to take
up this matter with Mr. Paul Peynaud, but already: I suggest you give thought to the
possibility of the two Governments asking the two Treasuries to consider the best methods of
securing also in the financial field the coordination of efforts to the two countries in a manner
which will permit the working of the Allied organization in relation to finance. I will inform
Mr. Daladier of the various conversations that I have had with you and the various British
Ministries of generally our common understanding of the problems»84.
À travers cette lettre, il expliqua le besoin de la prochaine union franco-britannique
entendue, comme noyau structurant, d‘une future entente européenne. Car la contribution
financière franco-britannique favorisant la modernisation de l‘appareil productif américain,
devenait un pilier de la coopération franco-britannique. Monnet le savait et adressait à Paul
Reynaud ainsi qu‘à Churchill une note importante dans ce sens, présentée et commentée par
Éric Roussel : «Le potentiel de capacité de production des États-Unis est presque illimité. Il
dépasse les possibilités dont l‘Allemagne dispose et est beaucoup plus considérable que les
capacités réunies de la France et du Royaume-Uni, surtout depuis que ces deux pays sont
83
FDR 17, Franklin Delano Roosevelt Library, White House Official File, Box 2, W.C. Bullitt, Lettre de Jean
Monnet à Edward Bridges, (01.10.39)
84
FDR 17, Franklin Delano Roosevelt Library, White House Official File, Box 2, W.C. Bullitt, Lettre de Jean
Monnet à Edward Bridges, (01.10.39)
49
exposés aux bombardements ennemis. […] Dans les circonstances nouvelles de la guerre, les
États-Unis peuvent devenir la source principale de ravitaillement des Alliés, et l‘expansion de
leur production, constituer un facteur décisif pour l‘issue du conflit »85.
Pour Monnet, il était donc essentiel que la France continue à être un belligérant dans le
conflit mondial ; que ses ressources soient sauvegardées afin de continuer la lutte armée ; que
les États-Unis interviennent également comme belligérants ; et enfin, que les nazis soient
empêchés d‘envahir les îles britanniques86. Pour lui, il était évidemment, plus facile, de régler
les problèmes en additionnant des forces plutôt qu‘en les soustrayant. S‘ajoute à cela une
ancienne arrière-pensée, celle de savoir, déjà, que les États-Unis disposeront, à l‘avenir, d‘une
réserve de puissance décisive pour la victoire finale. Et par la même occasion, qu‘ils seront
(les États-Unis) d‘autant plus disposés à aider des pays unis, plutôt que des nations agissant en
ordre dispersé.
Même si la coopération franco-anglo-américaine ne devait pas donner tous les résultats
escomptés, et ce, même si l‘idée d‘une Union franco-britannique n‘était pas un objectif
immédiat, (ce qui sera particulièrement vrai dans l‘histoire de l‘Europe d‘après-guerre) ; ce
plan permettait, toutefois, dans un avenir proche, un engagement américain. Comme l‘auteur
britannique, Avi Shlaim, le souligne dans une intéressante contribution sur la genèse du projet
vue de Londres : l‘idée d‘une Union franco-britannique n‘était pas un objectif immédiat, mais
plutôt un idéal lointain pour l‘après-guerre87.
Cependant, cette fameuse missive de Jean Monnet pour Sir Edward fut adressée à
Roosevelt, par l‘entremise de Bullitt, trois jours après : « I enclose herewith three documents
that will interest you. The long one beginning, ―Dear Sir Edward‖ is the communication on
behalf of the French Government, written by Jean Monnet, to the British Government, in the
person of Sir Edward Bridges, Secretary of the War Cabinet, concerning the organization for
practical collaboration between the French and British Governments. You will note that it
follows the lines established in 1918. It is entirely sensible, I think; and I plead guilty to
85
Éric Roussel, Jean Monnet, pp.225-228.
Jean Monnet, Mémoires, p.19.
87
Avi Shlaim, ―Prelude to Downfall. The British Offer of Union to france, June 1940‖, in Journal of
Contemporary History 9, 1974, p.30, cité par Élisabeth du Réau, « Jean Monnet, le Comité de coordination
économique franco-britannique et le projet d‘Union franco-britannique: les moyens de vaincre le nazisme
(septembre 1939-juin 1940) », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p. 91.
86
50
getting the idea started and to getting Daladier to put the matter in Monnet‘s hands»88. Cette
lettre modifiait-elle la perception des enjeux internationaux de Roosevelt ?
Lorsqu‘à compter du 16 janvier, 1939, Roosevelt estima que ce moment était arrivé, il
communiqua ses ordres écrits au général Arnold qui obtempéra. Les isolationnistes l‘apprirent
et tempêtèrent au Sénat et dans le pays. Roosevelt dut s‘expliquer auprès du Congrès et
devant la presse. Il avait choisi sa ligne de défense : « Oui, nous vendons des avions aux
Français. C‘est une excellente affaire pour notre industrie aéronautique qui est en sommeil et
qui sera stimulée par ces commandes»89. Jean Monnet écrivit dans ses Mémoires, à propos de
la défense de Roosevelt : « il donnait là une des raisons essentielles de l‘intérêt qu‘il portrait à
l‘objet de ma mission. Au-delà de l‘aide immédiate que le gouvernement américain consentait
à des démocraties menacées en première ligne, seules les commandes européennes pouvaient
remettre en route une production militaire américaine difficile à réveiller dans le climat de
fausse sécurité entretenu par les isolationnistes »90.
En conclusion, Jean Monnet et le Président Roosevelt partageaient la même vision quant
aux obstacles qui empêchaient l‘entrée en guerre des États-Unis depuis longtemps. Décidé à
réarmer, le Président Roosevelt, était cependant conscient du poids des contraintes intérieures.
« Il devait tenir grand compte du courant isolationniste aux États-Unis et, en cas de conflit, le
« Neutrality Act »91gênerait sérieusement sa décision de fournir des avions à la France et à
l‘Angleterre. »92 Jean Monnet en était conscient. Selon le témoignage de Robert Nathan,
ancien conseiller du président Roosevelt et vice-président de l‘Office de mobilisation de
guerre ; Jean Monnet ne parlait pas de participation active des États-Unis dans la guerre. Au
cours de ses longues et fréquentes conversations, toute son attention se portait sur les moyens
de réaliser un net accroissement de la production américaine d‘avions, de munitions, de
canons et d‘autre matériel afin de les mettre en mains britanniques.93 Monnet était conscient
que Roosevelt avait d‘abord à surmonter, au Sénat l‘obstacle du « Neutrality Act ».
88
FDR 16, Franklin Delano Roosevelt Library, White House Official File, Box 2, W. C. Bullitt, Lettre de W.C.
Bullitt à Franklin Delano Roosevelt, (04.10.39)
89
Jean Monnet, Mémoires, p.172.
90
Jean Monnet, Mémoires, p.172.
91
Ensemble des lois américaines prises entre août 1935 et mai 1937 mettant l‘embargo sur les envois d‘armes à
destination de tout pays en état de guerre. Jean Monnet, Mémoires, p.167.
92
Jean Monnet, Mémoires, p.173.
93
Robert Nathan, « Jean Monnet » in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, Lausanne, Fondation Jean
Monnet, 1989, p.365.
51
Et en novembre 1939 la mission d‘achat franco-britannique établie à New-York enfin
annonça la commande faramineuse de 10 000 avions à livrer fin 1941. Dans un
environnement nouveau, la loi américaine cash and carry remplaça les lois de Neutralité sur
le commerce des armes. À travers la proposition française pour l‘achat d‘avions américaines,
les États-Unis débutèrent la réflexion sur l‘avenir de l‘Europe avec l‘aide américaine. Cette
aide ouvrit la voie aux suivantes après la guerre.
Jean Monnet et l’administration Roosevelt : Entre Arbitrage et
Neutralité. Quel doit être le rôle des États Unis dans le conflit européen ?
La question du rôle des États-Unis dans le conflit européen, est largement liée à un débat
entre les grands courants de pensé politiques des États-Unis d‘alors, vis-à-vis de leur politique
étrangère : c‘est-à-dire un conflit permanent entre internationalisme économique et
isolationnisme géopolitique. Pour bien comprendre le processus d‘arbitrage des États-Unis en
guerre, il est nécessaire de tenir compte, tout d‘abord, de ce point essentiel. Plusieurs grands
débats firent rage au cours de l‘histoire américaine :
Le premier grand débat s‘est tenu entre les deux premiers partis politiques des États-Unis,
le parti fédéraliste dont Alexander Hamilton était la figure de proue, et le parti républicaindémocrate, dont le premier leader était Thomas Jefferson. Hamilton avait été l‘un des maîtres
d‘œuvre de la Constitution et à l‘origine des institutions qui allaient permettre aux États-Unis
« d‘étendre leurs relations commerciales » avec les autres États. En somme, Hamilton
cherchait à maximiser la puissance de son pays sans se soucier, outre mesure, des
considérations de démocratie interne.
À l‘opposé, Jefferson accordait la priorité au credo de la souveraineté populaire promue
par la Déclaration d‘indépendance qu‘il avait lui-même rédigée. Il se faisait le défenseur de la
décentralisation et de l‘autonomie, des États dans la fédération. Une fois devenu président, il a
mené une politique étrangère prudente, centrée sur le maintien de la souveraineté américaine
et le respect des autres. Il entendait surtout que les États-Unis demeurent à l‘écart et protègent
leur propre système.
52
C‘est cette profonde divergence que George Washington chercha à réconcilier en prônant,
simultanément un isolationnisme géopolitique et un internationalisme économique. Pour
autant, le débat entre les hamiltoniens et les jeffersoniens perdure toujours aujourd‘hui sous
des formes nouvelles. On peut toujours percevoir deux approches antagonistes de la politique
étrangère, l‘une visant avant tout à assurer l‘hégémonie de la superpuissance, alors que l‘autre
recherche davantage la coopération, l‘expansion de la démocratie et le respect des droits.
En résumé, on peut dire que de Washington à Truman, les courants de pensée politiques
vont se décliner sur une gamme allant de l‘isolationnisme à l‘engagement effectif des ÉtatsUnis dans le monde. Woodrow Wilson se fait élire à la présidence en 1912, en promettant de
demeurer à l‘écart de la politique internationale. En 1917, ce même Wilson fait volte-face et
adopte une approche idéaliste, orientée vers la formation d‘un nouvel ordre international,
fondé sur le respect des souverainetés. L‘intransigeance de Wilson se heurte alors à une vision
républicaine, centrée sur les intérêts strictement nationaux des États-Unis, accompagnée d‘une
méfiance croissante à l‘égard d‘un engagement en Europe. Le courant isolationniste revint
alors en force après cette période.
En 1933, Franklin D. Roosevelt tente de réhabiliter l‘internationalisme sous une forme
moins idéaliste que celle de Wilson. Avec lui, se dessine le grand courant contemporain de
l‘internationalisme libéral, fondé sur des liens plus étroits, avec des partenaires européens, sur
des institutions internationales et sur une présence active des États-Unis dans le monde,
conformément à leur nouveau rôle de grande puissance. Politique, qu‘Harry Truman
poursuivit indéniablement vers un internationaliste total à compter de 1947, alors que
s‘amorce la guerre froide94.
La politique étrangère de Roosevelt fut souvent accusée d'incohérence et de confusion.
Une grande partie du doute découle certainement de l'impression que Roosevelt était
prisonnier de l'opinion isolationniste95. Roosevelt cherchait une base d'harmonie et de
synthèse dans l'exemple de Thomas Jefferson. Comme Jefferson, Roosevelt fonda sa politique
étrangère sur une croyance en la vertu et une destinée spéciale pour Amérique, dont le
94
David Charles-Philippe, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des États-Unis : Fondements,
acteurs, formulation, Presses de Sciences PO., 2003, pp.73-78.
95
Les sondages d‘opinion qu‘entreprend l‘Institut Gallup et que Roosevelt suit avec beaucoup d‘intérêt en
apportent la preuve : Une majorité (60%) croit que l‘accord de Munich augmente les risques d‘une guerre; 77%
estiment que la demande du Reich d‘annexer les districts allemands des Sudètes n‘était pas justifiée, mais 59%
reconnaissent que la France et la Grande-Bretagne ont agi pour le mieux en cédant à Allemagne. Si la guerre
éclate, les États-Unis pourront-ils rester en dehors du conflit? 57% le croient à la fin de septembre 1938, 43% en
février 1939, 24% seulement en août. André Kaspi, Franklin D. Roosevelt, p.385.
53
comportement serait « un exemple que le monde chrétien devrait respecter et imiter ». En
définitive, Roosevelt s‘orientait vers un internationalisme partiel, à l‘instar de Jefferson96.
L‘internationalisme de l‘Administration Roosevelt débuta par la question de l‘arbitrage
par rapport à la guerre en Europe. À notre avis, les questions de commandes d‘avions passées
par Jean Monnet, interpellèrent suffisamment l‘Administration Roosevelt, pour l‘obliger à
méditer sur l‘avenir de l‘Europe. Mais, cette occasion-ci n‘était pas encore opportune; étant
donné que l‘administration Roosevelt devait d‘abord se confronter à l‘autre obstacle majeur,
l‘opinion du pays par rapport à la commande française d‘avions de guerre. Bullit l‘expliqua
dans une lettre pour Roosevelt : «The French Air-Ministry, and Daladier as well, have great
confidence in Colonel Jacquin who is now in Washington; but business on the scale
contemplated—which will probably amount to a billion dollars—will probably be placed in
the hands of Monnet. Nothing of course will be done until the embargo provisions of the
Neutrality Act shall have been eliminated»97. D‘autant que la perspective de la prochaine
élection présidentielle, pour laquelle Roosevelt était pour la troisième fois candidat, bloquait
toute décision importante. Monnet savait parfaitement que le moment n‘était pas encore venu
pour Roosevelt d‘agir.
Et l‘opinion était divisée entre deux idées totalement différentes, celle de Jean Monnet et
celle de Charles Lindbergh, par exemple. Les tensions et les conflits pour Monnet, en
Amérique, surgit avec la famille Lindbergh, le héros américain de la trans-atlantique de 1927.
L‘épouse de Lindbergh, Anne Morrow, était la fille de Dwight Morrow, un proche ami de
Monnet, qui avait travaillé avec Monnet à Londres pendant la Première Guerre mondiale.
Lindbergh était aussi une connaissance de l‘ambassadeur Bullitt qui avait présenté Monnet à
Lindbergh, à plusieurs reprises, à Paris au début de 1939. Contrairement à Monnet, Lindbergh
le héros, était hostile à l‘idée d‘un réarmement de la France98. De même, Lindbergh repoussa
l‘idée de l‘entrée en guerre des États-Unis en Europe : « When history is written, the
responsibility for the downfall of the democracies of Europe will rest squarely upon the
shoulders of the interventionists who led their nations into war uninformed and unprepared.
96
John Lamberton Harper, op.cit., pp.63-64.
FDR 16, Franklin Delano Roosevelt Library, White House Official File, Box 2, W. C. Bullitt, lettre de W. C.
Bullitt à Franklin Delano Roosevelt, (04.10.39)
98
Pour l‘opinion de Charles Lindbergh, voir FJME AME 15/2/1 : Address by Charles A. Lindbergh, (23.04.41);
FJME AME 15/2/2 : Address by Charles A. Lindbergh, (10.05.41); FJME AME 15/2/3 : ―Did you hear‖ speak
by Charles A. Lindbergh, (29.08.41); FJME AME 15/2/5 : ―Did you hear‖ speak by Charles A. Lindbergh,
(03.10.41)
97
54
With their shouts of defeatism, and their disdain of reality, they have already sent countless
thousands of young men to death in Europe. […] Yet these are the people who are calling us
defeatists in America today. And they have led this country, too; to the verge of war »99.
Mais, au début de l‘année 1940, le problème immédiat demeure celui des avions. Aux
États-Unis, en dépit de la résolution de Franklin Roosevelt et de l‘appui de Morgenthau,
secrétaire au Trésor, subsistent de nombreux obstacles100à cette commande. L‘opinion
publique restait isolationniste. Et Roosevelt, s‘en rendit compte, une fois de plus lorsque le 31
janvier 1940, recevant la commission sénatoriale de la Défense pour cette affaire d‘avions, il
prononça la fameuse phrase : « Les frontières des États-Unis sont sur le Rhin »101. Et au cours
de l‘année, il déclara : « Nous devons faire face à la tâche qui est devant nous en abandonnant
immédiatement et irrémédiablement l‘illusion que nous pouvons nous isoler de nouveau du
reste du monde»102. Il affirma que les États-Unis étaient concernés par le conflit européen
jusqu‘à la frontière du Rhin. Par conséquent, n‘ouvrait-il pas une nouvelle période
d‘engagement international, pour les États-Unis, longtemps entravés par le lobbying
isolationniste?
Roosevelt ouvrait alors une nouvelle ère d‘engagement international qui ne s‘est pas
interrompue depuis lors, comme nous l‘avons bien observé avant. En outre, elle se poursuivit
dans cette veine internationaliste par Harry Truman, surtout à compter de 1947. Ce qui nous
frappe dans cette histoire associée à la relation entre l‘Administration Roosevelt et Monnet,
c‘est surtout qu‘avec Roosevelt, Monnet participa à la réflexion de l‘administration
américaine sur la fin de l‘isolationnisme, l‘abaissement des frontières entre les États-Unis et
l‘Europe, un développement du libre-échange rendu possible par une intégration des Nations
d‘Europe censée éliminer leurs divisions. De tout cela, peut-on dire ce que Jean Monnet
inspira directement à Roosevelt ? L‘évidence, c‘est que son projet relève d‘une réflexion
collective. Robert Nathan en témoigne: « Ce furent les efforts incessants et efficaces de Jean
Monnet pour parvenir à des objectifs bien plus élevés qui conduisirent à la prise de
conscience, dans les plus hautes sphères du gouvernement, qu‘on ne pourrait pas répondre à
de telles exigences sans l‘hypothèse de la participation active des États-Unis à la
99
FJME AME 15/2/1 : Address by Charles A. Lindbergh, (23.04.41)
Éric Roussel, Jean Monnet, p.220.
101
André Kaspi, Franklin D. Roosevelt, p.384.
102
13 décembre 1940, John M. Blum et al., The National Experience :A History of the United States, New York,
Harcourt, Brace & World, 1963, p. 699, cité par David Charles-Philippe, Balthazar Louis, Vaïsse Justin, op.cit.,
p.78.
100
55
guerre»103. Monnet était convaincu que l‘union des démocraties face à l‘Axe était inéluctable,
tôt ou tard l‘Amérique sortirait de sa neutralité.
Ainsi, pour l‘administration Roosevelt, cette question, « l‘avenir de l‘Europe » se posait
essentiellement avec les commandes d‘avion par la France. Jean Monnet était au centre de
cette question des États-Unis. À travers cette négociation, Monnet pouvait contacter au plus
haut niveau du pouvoir des États-Unis et aboutit à avoir tout confiance de Roosevelt.
Les amis « rooseveltiens » de Jean Monnet, leurs points de vue et leurs
positions durant la seconde guerre mondiale.
Les amis politiques américains de Jean Monnet, l‘historien allemand Klaus Schwabe, les
désigne comme les «responsables de la politique extérieure » des États-Unis de l‘époque.
Clifford P. Hackett, historien américain, reste plus modéré et les décrit comme « un groupe
d‘étude » (studying group) confidentiel et composé par des pro-interventionnistes. Enfin, Éric
Roussel les qualifie de « rooseveltiens ». Pour notre part, nous partageons l‘assertion d‘Éric
Roussel, et choisissons de définir le terme de « rooseveltiens », comme membres de l‘élite
politique de 1939 à 1945 appartements à l‘entourage du Président Roosevelt. À vrai dire,
l‘équipe Roosevelt qui travaille aux côtés du président s‘est considérablement étoffée : les
textes de lois, par exemple, ce ne sont pas les législateurs qui les préparent ; la plupart d‘entre
eux ont des idées, mais manquent d‘expérience. Les conseillers du président sont les
principaux rouages du mécanisme.
À ce titre, Jean Monnet essayait de maintenir ses contacts au plus haut niveau de la
politique américaine avec ses amis. Ces liens privilégiés et privés avec les élites politiques
américaines sont, bien évidemment, considérables pour comprendre non seulement ses actions
aux États-Unis, mais aussi ses idées dans le projet de construction européenne d‘aprèsguerre104. Parce que les relations amicale contribuent à aider Monnet à convaincre le
103
Robert Nathan, « Jean Monnet », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, p.368.
En ce qui concerne les contacts entre Jean Monnet et les amis «rooseveltiens », voir les correspondances,
FJME AME 20/1/119: Lettre de Félix Frankfurter à Jean Monnet,(01.04.41) ; FJME AME 40/1/35 : Lettre de
Félix Frankfurter à Jean Monnet,(04.06.43) ;FJME AME 20/1/160 : Lettre de Jean Monnet à Harry
104
56
gouvernement des États-Unis. C‘est dans un cercle très proche du pouvoir suprême que
certaines de ses idées sont reprises par les responsables. Comme Félix Frankfurter le dit : « He
brings the great advantage of enjoying the friendship and confidence of Americans who
happen to be in the key places.[…]»105.
Il travailla en étroite collaboration avec ses amis américains, avant et particulièrement,
pendant la guerre. On peut compter parmi eux, Robert Nathan et George Ball, les personnes
archétypes de la reconstruction européenne d‘après-guerre, dont la collaboration fut étroite
avec Jean Monnet. C‘est-à-dire qu‘ils sont avocats et présents avant la guerre, tout comme
Henry Stimson, Jack Mac Cloy ou encore Dean Acheson. Tous ont été rencontrés par
l‘entremise de Roosevelt, à la suite de la mission de Jean Monnet, d‘achat d‘avions de guerre
américains, pour la France (1938 à 1939). Et ces amitiés, Jean Monnet, ne cessera de les
renforcer, tout au long de la guerre, en vue de préparer le rétablissement de la France, ainsi
que la construction d‘une Europe unie après la guerre.
Jean Monnet avait des liens profonds avec ce groupe, au point de jouer, de plus en plus, le
rôle d‘inspirateur de la politique européenne des États-Unis. Ce groupe était composé de
juristes, de financiers et de diplomates : une seule et même personne pouvant réunir plusieurs
de ses fonctions106.
Pendant la guerre, le groupe s‘organisa autour du Pentagone et du ministre de la guerre
Henry Stimson, qui jouissait alors d‘un très grand crédit. Plus tard, le groupe eut comme
centre de gravité, le Département d‘État. C‘est-à-dire les services diplomatiques des
institutions, auxquelles le président Harry S. Truman, mais aussi son successeur, Dwight D.
Eisenhower, accordaient un rôle extraordinairement influent107.
Hopkins,(14.01.42) ; FJME AME 20/1/161 : Lettre de Harry Hopkins à Jean Monnet,(15.01.42) ; FJME AME
20 /1/162 : Lettre de Jean Monnet à Harry Hopkins,(31.08.42) ; FJME AME 20/1/163 : Lettre de Jean Monnet à
Harry Hopkins, (24/12/42) ; FJME AME 20/1/165 : Lettre de Jean Monnet à Harry Hopkins,(27.12.42) ; FJME
AME 20/1/166 : Lettre de Jean Monnet à Harry Hopkins,(04.02.43) ; FJME AME 20/1/234: Lettre de Jean
Monnet à J.J.Mac Cloy,(30.04.41) ; FJME AME 20/1/235 : Lettre de Jean Monnet à J.J. Mac Cloy, (29.10.41) ;
FJME AME 20/1/236 : Lettre de Jean Monnet à J.J.Mac Cloy,(22.03.42) ; FJME AME 20/1/237 : Lettre de Jean
Monnet à J.J.Mac Cloy,(01.04.42) ; FJME AME 20/1/282 : Lettre de Jean Monnet à Robert Nathan, (22.03.42)
105
LC/FF 3, US Library of congress, Félix Frankfurter Papers, Monnet, Jean 1940-1958, lettre de Félix
Frankfurter à Lord Halifax, (14.11.41)
106
Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les États-Unis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique, in
Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p.274.
107
Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les États-Unis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique»,
Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), ibid.
57
C‘est à ses relations privées et aux activités officielles que Monnet devait avoir des
rapports de confiance extrêmement étroites, avec certains représentants majeurs de cette élite,
tels Dean Acheson, John Mac Cloy, Georges Ball et John F. Dulles, auxquels vinrent
s‘ajouter, après la guerre, Walt et Jene Rostow, Mac George Bundy, Robert Bowie, Robert
Schaetzel et David Bruce. Comme Félix Frankfurter le dit : « I might add that everyone to
whom I have spoken who has worked on close and intimate terms with Monnet has absolute
confidence in him and in his trustworthiness, discretion and single-minded devotion to the
cause he is serving. May I add also a purely personal or for I have seen much of him, and
have long known him intimately, I know no one on when I should rely more securely that he
would never be deflected from his loyalty and his duty by any personal consideration»108.
En 1940, lors de son arrivée à Washington, pour les affaires financières avec le crédit du
vice-président du « British Supply Council », Jean Monnet était cependant en pays connu.
Non seulement, il avait longtemps vécu aux États-Unis, mais il était proche de
l‘administration Roosevelt. Bientôt sa maison de Foxhall Road à Washington devint l‘un des
points de ralliement des fidèles du président et le cercle de ses amis « rooseveltiens » ne
cessait de s‘étendre. Monnet parle de la relation avec ses amis dans ses Mémoires qu‘«entre
ces hommes, circulait un incessant courant d‘information et d‘idées. nous dînions ensemble,
souvent dans la maison de Foxhall Road, nous nous téléphonions, échangions des notes à tout
moment de jour et de nuit»109.
Au premier rang d‘entre eux, il y avait Félix Frankfurter, né en Autriche, et juge à la Cour
suprême des États-Unis. À la différence d‘un Dulles ou un Mac Cloy qui étaient avant tout
des hommes d‘action. Comme Frankfurter le dit de lui-même : « I am, of course, wholly
outside the administration of our defense activities »110. Il était plutôt un théoricien intraitable
sur un certain nombre de grands principes, tels que les droits de la personne humaine. Il
participait à un groupe composé d‘avocats, d‘hommes d'affaires, de religieux, et de
journalistes. Les membres de ce réseau étaient, certes moins organisés que le groupe du
secrétariat d‘État, mais ils étaient en étroite connexion avec l‘élite politique anglaise, de part
l'éducation, les familles, ou encore des intérêts personnels propres. Certains comme Lewis
108
LC/FF 3, US Library of congress, Félix Frankfurter Papers, Monnet, Jean 1940-1958, lettre de Félix
Frankfurter à Lord Halifax, (14.11.41), voir document annexe 1.
109
Jean Monnet, Mémoires, p.223.
110
LC/FF 3, US Library of congress, Félix Frankfurter Papers, Monnet, Jean 1940-1958, lettre de Félix
Frankfurter à Lord Halifax, (14.11.41)
58
Douglas, le futur ambassadeur en Grande Bretagne, comme William Clayton (fondateur
d'Anderson, Clayton et Co., le plus grand exportateur coton), avaient soutenu la politique
commerciale de Hull. Donc Frankfurter était en contact régulier avec la Maison Blanche. Au
début 1941, Frankfurter avait aidé à la rédaction du « Lend and Lease » et placé son protégé
Ben Cohen comme adjoint du nouvel ambassadeur de Grande Bretagne, John Winant.111Jean
Monnet, qui avait fait sa connaissance à cette occasion, se lia spontanément avec Frankfurter
dont l‘influence, comme nous l‘avons remarqué, était grande. Et Frankfurter, le renforça
encore dans l‘idée que le droit était le garant de la démocratie, et il ne cessa d‘être pour
Monnet, une référence morale et de probité : « Souvent, dans le passé, en période de
difficultés ou au moment de succès, dit-il, trente ans plus tard, j‘ai été encouragé et inspiré par
mon ami Félix Frankfurter, par sa fermeté, son optimisme profond, son bon sens
tranchant »112.
D‘autre part, Frankfurter, très lié à Roosevelt, était aussi pour Jean Monnet un
intermédiaire précieux pouvant joindre directement le président. « John Mac Cloy racontait
que Monnet et Frankfurter aimaient d‘ailleurs tous deux être proches des sources du pouvoir.
Ils avaient là, en quelque sorte, un objectif commun. Ils étaient si intimes qu‘ils se
réunissaient à toute heure soit chez l‘un, soit chez l‘autre »113. Alors, Frankfurter était toujours
dans l‘entourage des grands hommes. Par l‘intermédiaire de celui-ci, Monnet réussit à nouer
le contact avec le milieu dirigeant de la capitale fédérale, dans son intégralité : «Nous le
voyions aussi assez souvent, à l‘occasion de dîners qui réunissaient un petit cercle d‘amis. Il y
avait là les Frankfurter bien sûr, les Dean Acheson, les Henri Bonnet, les Francis Biddle. Ce
qui unissait les membres de ce groupe c‘était qu‘ils connaissaient tous très bien les problèmes
mondiaux. Avec le recul du temps, je me dis d‘ailleurs que l‘état d‘esprit qui régnait était très
particulier, très lié à l‘époque que nous venions de vivre. C‘était la fin du New Deal. Nous
étions tous, naturellement, pour Roosevelt et libéraux; spontanément, nous pensions en termes
d‘intérêt public. Et, dans ce groupe, il est certain que Jean a eu, tout de suite, une aura. Mon
mari le comparait à Benjamin Franklin. C‘était d‘autant plus frappant qu‘au départ il ne
connaissait en définitive qu‘un petit nombre de gens et que ses seuls atouts étaient la
puissance de son intelligence et sa compétence»114.
111
John Lamberton Harper, op.cit., pp.70-71.
Éric Roussel, Jean Monnet, p.255.
113
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de John J. Mac Cloy par Leonard Tennyson, (15.07.81)
114
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de Mme Katherine par Leonard Tennyson, (28.07.81)
112
59
À Washington, Jean Monnet retrouve aussi Henry Stimson qui a beaucoup évoqué ces
relations établies avant le conflit et approfondies entre 1940 et 1943. Au même titre que
Frankfurter, Stimson reste une figure respectée de la vie politique américaine, au cours de la
première moitié du XXe siècle. Diplômé de Yale et de Harvard, il est entré en politique dès
1910, en briguant le poste de gouverneur de l‘État de New York, mais c‘est sous la présidence
de Taft, en 1919, qu‘il est devenu ministre de la Guerre, poste clé qu‘il quitta en 1913.
Pendant la Grande Guerre, il a combattu aux côté de Pershing en France. Gouverneur général
des Philippines de 1927-1929, il a acquis dans ces fonctions une réputation de libéral. Il la
confirma quand il devint secrétaire d‘État, en 1931, sous la présidence d‘Herbert Hoover.
Antimunichois, animateur du Comité pour la défense de l‘Amérique par l‘aide aux Alliés, il
attira l‘attention de Roosevelt. Le 9 juillet 1940, son vœu a été exaucé : en dépit de son
appartenance au Parti républicain, Roosevelt l‘a nommé ministre à la Guerre. Le 18 juin, sur
les antennes de NBC, il avait déclaré sans détours: « Nous vaincrons l‘Allemagne, comme en
1918 ». Détenir la confiance d‘Henry Stimson est donc pour Jean Monnet à son arrivée à
Washington un atout précieux.115
Lors d‘un dîner chez Félix Frankfurter, Jean Monnet put multiplier les contacts, et faire
une rencontre capitale avec Harry Hopkin. Le secret de son étonnante fortune auprès du
président, c‘était d‘abord son anticonformisme et sa connaissance de la psychologie de celui
qu‘il s‘appelle « the boss ». Roosevelt détestait travailler seul ; à l‘étude patiente des dossiers
il préférait les échanges d‘idées, les discussions. Certains de ses conseillers ne le
comprendront jamais. Hopkins, au contraire, avait parfaitement assimilé cette donnée de base.
Secrétaire au Commerce depuis 1938, après avoir assuré la mise en œuvre du New Deal, il dut
renoncer à ses fonctions en août 1940, mais ne quitta pas pour autant le cercle du pouvoir. En
tout cas, Jean Monnet comprit d‘emblée que, auprès du président, Harry Hopkins était
l‘homme clé, bien davantage que Frankfurter, pourtant proche de Roosevelt.
La première rencontre avec Harry Hopkins arriva au début de 1941. Ce fut la période où
Hopkins devint l‘assistant particulier de Roosevelt pour gagner la guerre116. Il était le
confident le plus proche de Roosevelt et son éminence grise. Ainsi, grâce à Hopkins, Monnet
avait un contact encore plus direct avec la Maison-Blanche. C‘est pour cette raison qu‘il put
joindre sans limite Roosevelt.
115
Éric Roussel, Jean Monnet, p.256.
Clifford P. Hackett, « Jean Monnet and the Roosevelt Administration », in Clifford P. Hackett (ed.), op.cit.,
p.46.
116
60
Hopkins et Monnet avaient en commun d‘être d‘exceptionnels optimistes. Ce fut l‘une des
raisons pour lesquelles, ils apprirent facilement à travailler ensemble. Chacun d‘eux croyait
dans ses capacités respectives de réussite et dans l‘utilité de sa mission117. Laissant de côté les
détails, ils se sont concentrés sur les concepts les plus larges. Et chacun fut stupéfait par la
conviction de l‘autre : Monnet et Hopkins étaient dans une même équipe, partageant les
mêmes objectifs pour cause de guerre118.
Alors dès le 26 mai 1941, Roosevelt décréta l‘état d‘urgence illimité, notamment grâce à
cette fructueuse collaboration. Pour Jean Monnet, comme pour le vice-président du « British
supply Council », dont l‘obsession était l‘entrée en guerre des États-Unis en Europe.
Autrement dit, la voie était libre pour mettre en marche un grand programme en vue de la
victoire. Dès le 28 mai, avec John Mac Cloy, qui allait devenir le coordinateur de cet immense
effort d‘armement en tant qu‘assistant de Stimson, Monnet prépara les instructions que le
Département de la Guerre lança dans tous les services, dans la perspective de l‘établissement
d‘un bilan anglo-américain complet. Et ce bilan réclamé par Stimson, le fut sur les conseils de
Monnet119.
Jean Monnet fut-il influencé par cette rencontre privée ? ou Jean Monnet a-t-il influencé la
politique étrangère des États-Unis? George Ball, futur secrétaire d‘État de Kennedy et de
Lyndon Johnson, témoigne de son côté : « Jean, à cette époque, avait déjà une petite légende à
Washington. Son passé était bien connu, du moins dans le petit cercle de gens qui comptaient
dans le processus de décision. […] Son rôle est difficile à évaluer, mais il a été de toute façon
considérable, ne serait-ce que par la pression qu‘il n‘a cessé d‘exercer sur le président
Roosevelt »120.
Conformément à une lettre, datant du 14 Novembre 1941, de Félix Frankfurter à Lord
Halifax, devenu ambassadeur de Grande-Bretagne à Washington, Jean Monnet est décrit
comme « le maître à penser de l‘administration Américaine de la Défense. : « […] I have
heard no higher praise of any official entrusted with British interests than what has been
accorded Monnet by men charged with ultimate responsibility. I have heard Harry Hopkins,
Secretary Stimson, the two Assistant Secretaries of War, Mac Cloy and Lovett, leading men
117
FJME AME 20/1/160 : Lettre de Jean Monnet à Harry L. Hopkins (Conseiller du Président US) (14.01.42) ;
FJME AME 20/1/161 : Lettre de Harry L. Hopkins à Jean Monnet (15.01.42)
118
Clifford P. Hackett, « Jean Monnet and the Roosevelt Administration », in Clifford P. Hackett (ed.), op.cit.,
p.48.
119
Éric Roussel, Jean Monnet, p.270.
120
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de George W. Ball par Leonard Tennyson, (15.07.81)
61
in the Army, in the Lend lease Administration, and in OPM, speak of Monnet in terms of the
highest esteem and admiration. He has been a creative and energizing force in the
development of our defense program. As one important official put it to me, ―Monnet has
really been a teacher to our defense administration […] »121.
Paul-Henri Spaak, ministre des Affaires étrangères du gouvernement belge en exil,
relatera sa rencontre à Washington en 1941, avec Jean Monnet, en ces termes : « Nous
parlâmes de l‘après-guerre, de la façon dont il faudrait assurer la paix et l‘avenir de l‘Europe.
Il m‘exposa la philosophie et les grandes lignes de ce qui devait être un jour le plan
Schuman »122. Au cours de cette entrevue, les deux hommes développèrent les grands axes
d‘un plan, dont des variantes resurgiront, ensuite, à intervalles réguliers, pour déboucher
finalement sur la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l‘Acier (CECA),
en 1951.
À l‘évidence, les débats autour des questions relatives à l‘Europe, dont l‘Inspirateur
Monnet, avait été témoin, l‘ont profondément marqué. D‘ailleurs, en 1982, son ami John Mac
Cloy, en recevant à Lausanne le prix Jean Monnet, déclarera : « Je suis convaincu, que
Monnet forgea en grande partie son idée d‘une communauté européenne, au cours de son
séjour aux États-Unis, à partir des considérations, que lui inspirèrent l‘étendue et la
profondeur continentale, de l‘économie américaine et de ses marchés »123.
Alors, quelles que soient les visées des États-Unis et leurs intérêts pour l‘avenir d‘Europe :
l‘idée consentie entre Jean Monnet et les responsables politiques américains à propos de la
situation de l‘Européenne au lendemain de la guerre, est clairement établie : Un vœu de Paix.
Mais aussi, une certaine idée commune.
Une identité européenne naît de la rencontre de deux grands hommes :
Jean Monnet et Clarence K. Streit, deux visions de l’Unité Atlantique (1939)
121
LC/FF 3, US Library of congress, Félix Frankfurter Papers, Monnet, Jean 1940-1958, Lettre de Félix
Frankfurter à Lord Halifax, (14.11.41)
122
Paul-Henri Spaak, Combats inachevés, tome 2: De l‘espoir aux déceptions, p. 38, cité par Éric Roussel, Jean
Monnet, p.379.
123
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de John Mac Cloy par Leonard Tennyson, (15.07.81)
62
Au cours de l‘année 1939, les théoriciens du fédéralisme, Lord Lothian, Lionel Robbins
ou Clarence Streit, tous anglo-saxons et pratiquement inconnus en Europe continentale,
réfléchissaient à l‘avenir du Vieux Continent. L‘américain, Clarence Streit, président
d‘« Union Now », anti-isolationniste, proposait de grandes fédérations pour les démocraties.
:« Le moyen est « Union Now » des démocraties que l'Atlantique Nord et les peuples dans
une grande république fédérale construit. C‘est la raison pour laquelle ils partagent leur
commune principe démocratique pour la liberté individuelle»124. Elles devaient, à ses yeux,
obligatoirement « s‘unir ou périr », les citoyens devaient choisir entre « union ou chaos »125.
Streit né dans le Missouri, volontaire durant la Première Guerre mondiale, membre de la
délégation américaine à la conférence de Versailles, étudiant au Rhodes Collège à Oxford en
1920, est marié à Paris avec une française, Jeanne De France, en 1921. Streit fit ensuite une
longue carrière de reporter à travers le monde. En 1929, devenu correspondant du New York
Times auprès de la Société Nations, il connait bien les défaillances de cette jeune institution,
dont la lente crise ne pouvais qu‘être inexorable.
Ancien membre de la délégation américaine à Versailles et fort de son expérience
internationale de correspondant du New York Times, dès le milieu des années 1930, il savait
ne plus rien attendre de la SDN, dont l‘échec devait, selon lui, être mis à profit pour définir
une organisation de sécurité collective plus fiable. Concrètement, il allait plus loin encore
dans les voies du fédéralisme, et proposait une grande fédération « atlantique », décrite dans
son ouvrage « Union ou chaos ? Proposition américaine en vue de réaliser une fédération des
grandes démocraties ». Etant donné que, la fédération en tant que forme de gouvernement
démocratique des relations internationales, suppose la démocratie et la responsabilité
historique de promouvoir la création d‘un gouvernement mondial, dont les responsabilités
reviennent aux États démocratiques : « Ces quelques démocraties suffiraient à constituer
l‘embryon d‘un gouvernement universel, qui serait étayé par la puissance financière,
monétaire, économique et politique indispensable, à la fois pour assurer la paix du simple fait
d‘une supériorité et d‘une invulnérabilité évidentes et pour mettre fin à l‘instabilité monétaire
et à la guerre économique qui ravagent le monde entier »126.
124
Clarence Streit, Union Now, New York, 1939.
Bernard Bruneteau, op.cit., p.146.
126
Clarence Streit, op.cit.
125
63
Ainsi il proposait une union fédérale entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et si
possible toutes les autres démocraties. C‘est-à-dire quinze démocraties au total : « Passant du
théorique au concret, nous examinerons l‘embryon que pourraient constituer les quinze
démocraties suivantes : l‘Union américaine, le Royaume-Uni, la France, l‘Australie, la
Belgique, le Canada, le Danemark, la Finlande, la Hollande, l‘Irlande, la Nouvelle-Zélande, la
Norvège, la Suède et l‘Union sud-africaine. Ayant étudié les possibilités offertes par ce
groupe, nous serons mieux à même de décider s‘il faut créer notre gouvernement avec un
groupe plus restreint ou plus nombreux de participants.[…] Pourtant, la Méditerranée n‘était
pas alors, il s‘en faut de beaucoup, aussi rapidement et aussi commodément traversée que l‘est
aujourd‘hui l‘Atlantique […] »127.
Jean Monnet, évidemment, n‘était pas resté extérieur à cette discussion. À plusieurs
reprises, il avait abordé Clarence Streit sur ce sujet. Et les deux hommes se rencontrèrent sur
une idée principale : La nécessité de fédérer tous les pays démocratiques, et particulièrement
les États-Unis et la Grande-Bretagne aux autres démocraties. Mais ce qui différenciait Jean
Monnet de Clarence Streit, c‘était le réel concret de sa vision. Et ceci, notamment à travers, sa
première mission à Washington : l‘achat d‘avions de combat, qui devait exprimer la véritable
solidarité entre la Grande-Bretagne, les États-Unis et la France128, face au danger allemand.
Avec John Foster Dulles et en liaison avec Clarence Streit, il échafauda, ainsi, un projet
d‘union des démocraties, autour de l‘axe franco-britannique.
« Here is the first suggestion which I made to Streit. Perhaps it does not go far enough, but
it illustrates an alternative approach. I exclude the recitals and article 1, dealing with the
invitation to from the Union »129.
La relation entre Monnet et Streit se développa et se prolongea jusqu‘aux années de la
création des institutions au delà de l‘océan Atlantique. L‘une en tant que supporteur de l‘idée
d‘une unité de l‘Europe, tandis que l‘autre en tant que réalisateur dans la création d‘une
127
Clarence Streit, ibid. Les idées de Clarence Streit, en 1939, esquissaient déjà les perspectives de l‘atlantisme
de l‘après-guerre. William Clayton, l‘un des constructeur de l‘ordre atlantique, du Plan Marshall et de
l‘ « European Recovery Plan», ne cacha jamais s‘être inspiré de l‘enseignement de Streit. En 1949, avec William
Clayton et Owen Roberts, Streit fonda « l‘Union now » et « l‘Atlantic Union Committee», dont l‘objectif était de
réformer l‘Alliance atlantique, selon les principes de la démocratie et du fédéralisme. Bernard Bruneteau, op.cit.,
p.151.
128
Clifford P. Hackett, Clifford P. Hackett, « Jean Monnet and the Roosevelt Administration », in Clifford P.
Hackett(ed.), op.cit., p.38
129
P-SML9, Princeton-Seeley Mudd Library, John foster Dulles Papers (Correspondence.-JM) 1940-box 19,
report (John Foster Dulles à Jean Monnet), (14.11.40)
64
Europe unie. En 1950, Clarence Streit écrivait à Monnet pour donner son soutien par rapport à
l‘idée du plan Schuman : « Hearty, if belated, congratulations on your Franco-German Plan. It
has had, as you doubtless know, a very favorable reception generally here. Last you missed it
in the rush; I enclose my own editorial on the subject. […] Remembering a conversation
about the Germans I had once with you at a dinner in your home during the war, I appreciate
more than most the magnanimity as well as statesmanship you are showing »130. Dans la
même année, lors de la déclaration pour le comité « Freedom and Union » Monnet ajouta :
« voici plus de vingt ans que je suis les efforts de Clarence A. Streit, et je l‘ai toujours
encouragé à persévérer »131.
Charte Atlantique et vision de John F. Dulles sur l’avenir de l’Europe,
après la guerre (1941)
Malgré l‘isolationnisme de l‘opinion publique américaine et du Congrès dans sa grande
majorité, le Président des États-Unis se montrait de plus en plus disposé à aider les alliées par
des fournitures d‘armements. En outre, il avait réussi à faire réviser le « Neutrality Act » du 4
novembre 1939 par le « lend and lease Act » du 11 mars 1941. Cela donna, en conséquence,
au Président des pouvoirs de « prêt et bail » d‘agir par des fournitures de tout matériel pour la
défense des États-Unis selon son appréciation et ses conditions. Étant donné que la victoire
semblait à la portée de la main d‘Hitler132, il était urgent de se tourner vers le « cousin
d‘Amérique ». Alors, la Charte de l‘Atlantique fut proclamée le 14 août 1941, à l‘issue de la
rencontre historique du Président Roosevelt et du Premier ministre Churchill au large de
Terre-Neuve. En Bref, la Charte de l‘Atlantique avait pour but de démontrer l‘unité des
intérêts et des valeurs des puissances anglo-saxonnes dans le conflit qui les opposait à
l‘Allemagne national-socialiste.
Ce n‘est qu‘au cours de la période précédent immédiatement leur engagement dans la
Seconde Guerre mondiale, qu‘on se mit à parler publiquement d‘une unité du monde
130
FJME AMG 5/6/15 : Lettre de C. Streit à Jean Monnet, (03.07.50)
FJME AMG 5/6/16 : Déclaration pour Freedom and Union, par Jean Monnet, en 1950.
132
Philippe Drakidis, La Charte de l’Atlantique, Paris, CRIPES, 1989, p.16.
131
65
atlantique. L‘un des principaux porte-parole de ce mouvement fut Clarence Streit, qui dans
son ouvrage « Union Now », appelait ses compatriotes à faire acte de solidarité avec les
puissances occidentales du continent européen133.
Monnet entra en contact avec lui, à Washington, en 1941134. Les opinions de Streit étaient
partagées par Jean Monnet et bien évidemment par John Foster Dulles. John Foster Dulles,
aussi, constata que les trois grandes démocraties, l‘anglaise, l‘américaine et la française,
auxquelles l‘histoire avait confié le soin d‘orienter la politique mondiale vers la paix, avaient
échoué dans leur tâche et qu‘une menace de guerre plus grave encore qu‘en 1914, pesait. Il
suggéra alors pour régler le conflit, non pas de déplacer les frontières, mais de les faire
oublier. En assurant la liberté au commerce international, c‘est-à-dire, pour lui, les frontières
n‘apparaissant plus comme une entrave à la prospérité et à l‘activité des citoyens des divers
États, alors la guerre reculerait d‘elle-même puisque certains des plus grands problèmes
qu‘elle devait trancher auraient disparu135.
Pour John Foster Dulles, il devenait de plus en plus évident, que la réalisation de la guerre
en Europe demanderait la collaboration active de presque tous les civils, les arrachant à leurs
occupations de paix et les soumettant tous à des risques personnels ainsi qu‘à des pertes
matérielles136. Dès le début de la guerre, Monnet savait l‘influence que l‘Amérique devrait
avoir sur l‘avenir de l‘Europe et du monde. Il partageait alors les mêmes convictions que John
Foster Dulles. Il était au courant des travaux menés par la « Commission to study the bases of
a Just and Durable Peace » créée par le Conseil fédéral des Eglises du Christ. Et dont le
président était l‘ami de Dulles137.
Dans un article de septembre 1941, « Long Range Peace objectives », Dulles commente
les 8 points de la Charte de l‘Atlantique et propose de faire de l‘Europe continentale, une
communauté fédérée « federated commonwealth », au point de dire que le rétablissement de la
pleine et entière souveraineté des États européens, serait « a political folly »138. En janvier
133
Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les États-Unis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique»,
in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p.275.
134
Éric Roussel, Jean Monnet, p.265.
135
John Foster Dulles, Condition de la Paix : (War, Peace and Change), traduit de l‘anglais par A.M. Petitjean,
Paris, 1939. pp.2-3.
136
John Foster Dulles, ibid., p.12
137
FJME AME 66/20/10 : ―A just and Durable Peace. Data Material and discussion question.‖ Publié par la
Commission to Study the Basis of a Just and Durable Peace of the Federal Council of the Churches of Christ in
America.
138
FJME AME 66/20/12 : ―Long Range Peace Objectives. Including an Analysis of the Roosevelt-Churchill
Eight Point Declaration‖, de John Foster Dulles,(18.09.41).
66
1942, il écrit. : « […], tout programme de paix américain se doit de rechercher une fédération
pour l‘Europe continentale »139.
La première rencontre de Monnet avec le futur Secrétaire d‘État, John Foster Dulles, date
de la conférence de la Paix de Versailles en 1919. Il participait aux côtés de son oncle M.
Lansing, secrétaire d‘État du Président Wilson, à toutes les discussions du traité de Versailles.
Il a été mêlé depuis, à de nombreuses négociations financières et politiques, en Europe
comme aux États-Unis. Visiblement, M. Dulles s‘est rendu compte, dès le début, que les
lourdes erreurs du traité de Versailles ne promettaient pas à celui-ci une longue vie. Il ne
pouvait pas prévoir que la manière dont le traité serait appliqué contribuerait encore à réduire
son efficacité.: « Malgré la Société des Nations et le Pacte de Paris, l‘institution de la guerre
prévaut encore et tous les peuples vivent sous sa menace. Nous avons certes encore la
conviction que le caractère de la guerre s‘est tellement modifié qu‘on ne devrait plus la
tolérer »140.
Dulles s‘était efforcé de dissuader ses interlocuteurs d‘exiger de l‘Allemagne des
indemnitiés surpassant ses capacités : elle serait encouragée, pour détruire un traité de paix
inique, à recourir une fois de plus au conflit. L‘éclatement, en 1939, de la seconde guerre
mondiale le renforça dans sa conviction que, telle quelle, l‘Europe serait toujours le « pire
foyer d‘incendies du monde ».
À la différence de Coudenhove-Kalergi et de ses partisans qui voulaient faire de l‘Europe
orientale comme occidentale un bastion anti-bolchevik, Dulles était tout préoccupé par le
problème allemand. En cela, il était en harmonie avec la pensée de Monnet qui avait un grand
prestige dans les cercles dirigeants américains141.
Tout au long des années vingt et trente, Monnet rencontra John Mac Cloy, sous-secrétaire
d‘État à la guerre de Roosevelt, et le journaliste Walter Lippmann. Mais c‘est pendant la
Seconde Guerre mondiale, seulement, qu‘il retrouva John Foster Dulles. Dulles était alors
conseiller juridique du « British supply Council »142. Il est un vieil associé et ami de Monnet.
139
John Foster Dulles, « Peace Without Platitudes » in Fortune, XXV, n 1, January 1942, p.87, cité par Pierre
Mélandri, op.cit., p.27.
140
Pierre Mélandri, ibid., p.14.
141
Pierre Mélandri, ibid., pp.27-28.
142
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet pour la construction européenne », in Gérard
Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p.257.
67
Avec tous ces hommes, Monnet partage une vision du monde : celle de financiers
internationaux naturellement enclins à donner à leurs opérations une échelle débordant
largement le cadre des frontières nationales ; celle, aussi, de pragmatistes, aisément
convaincus que les cadres politiques qui leur font obstacle ne sont que les vestiges, parfois
dangereux, et toujours néfastes, d‘un passé désuet. Unir des communautés séparées pour
faciliter l‘épanouissement d‘une économie plus riche et plus moderne, c‘est, pour eux,
travailler à la paix en même temps que promouvoir leurs intérêts. Durant la guerre, ces
hommes ont aidé Hull à imposer ses idées. Pourtant, dès ces années, Monnet usa de son
influence pour préparer leur conversion à ses propres conceptions.143
En conclusion, la relation entre Monnet et Dulles fut très importante pour la poursuite de
l‘unité européenne, après la Seconde guerre Mondiale. Surtout dans la politique ― new look‖
où il joua un rôle essentiel, autour des concepts de dissuasion et de représailles massives dus
au facteur nucléaire. Dans un tel contexte, il apparaissait donc évident que les Américains
avaient une perception aiguë de la géopolitique mondiale, autant en fonction de leurs intérêts
propres que ceux du camp occidental, dont ils assumaient aussi résolument la direction
(leadership). Alors, l‘histoire de la construction européenne d‘après-guerre est profondément,
liée aux perceptions et la politique des États-Unis vis-à-vis de l‘Europe, et de sa sécurité
nationale. mais qui regroupe trop d‘influences diverses : la question de la CED, le rôle de
l‘Allemagne en Europe, la perception américaine des efforts pour la construction européenne.
L’Europe d’après-guerre selon Jean Monnet : Réflexions d’ Alger (1943)
En 1943, à Alger, Jean Monnet s‘efforça de rapprocher les Français de Londres des
Français d‘Afrique, avec comme obsession, la question de l‘équipement des troupes
françaises en Afrique du Nord. C‘était une question capitale pour toutes les parties : du
général Giraud aux Américains en passant par le gouvernement britannique. Alors, le 22
février 1943, Jean Monnet reçut, officiellement, une lettre envoyée par Harry Hopkins : « This
is a question of the greatest importance to all portion-General Giraud, the United States and
the British Government and in which their interest is common. […] It is through it that the
143
Pierre Mélandri, op.cit., p.29.
68
detailed allocations of armaments have been made as between the Allied Nations for over a
year and, as you know, the French requirements submitted by General Giraud for North
Africa have for some time been reviewed here in this way. On General Eisenhower‘s
recommendation and at the President‘s request this is being done with the firm intention of
taking promptly the steps intended to most them in all possible measure.
As General Giraud has asked you to come to Algiers to see him, and in view of the
importance to him and all concerned of the equipment of the French troops, I am asking you,
with the approval of the President and of the British Government, to go the North Africa on
behalf of the combined Munitions Assignments Board on a special mission. You will acquaint
General Giraud with the situation here, review this matter with General Eisenhower and
General Giraud and generally give through appropriate channels every assistance to the
solution of question arising in connection with the rearmament of French forces »144.
Roosevelt avait toute confiance en Jean Monnet, et souhaitait lui confier une mission
confidentielle à Alger. Monnet était, à ce moment-là, probablement, le Français le plus
influent et le plus apprécié des milieux américains. Roosevelt écrivit à Eisenhower pour
témoigner de son entière confiance en Jean Monnet : « [...] As you may know Monnet was the
Allied Chairman of the Anglo-French Co-ordinating Committee until the French Armistice.
He then volunteered to serve the British Government in the war. He has since been a member
of the British Supply Council in Washington while closely associated with the work of the
Combined Production and Resources Board. He is familiar with the question of military
supplies and with the method of assignment of equipment among the Allied Nations. The
President and the British Government consider that in the present circumstances he can be of
real service in helping us all to deal with this important question of equipping the French
troops in North Africa»145.
Le mardi 23 février, Jean Monnet quitta Washington, où il avait vécu, presque sans
interruption depuis 1940. Le samedi soir suivant, il arriva à Alger. Son ami John Mac Cloy
l‘attendait. Car Eisenhower avait demandé, depuis le début de janvier 1943, que l‘adjointe
144
FDR 97, Franklin Delano Roosevelt Library, Harry Hopkins Book 330, Bk 7 Post-Casablanc N. Afr., Letter
(H. Hopkins to Jean Monnet), (22.02.43)
145
FDR 100, Franklin Delano Roosevelt Library, Harry Hopkins Book 330, Bk 7 Post-Casablanca N. Afr.,
Telegram (Franklin Delano Roosevelt to Dwight D. Eisenhower), (02.22.43)
69
d‘Henri Stimson vienne à Alger, afin de prendre en charge les affaires politiques. Avec
l‘accord du général Marshall, Mac Cloy, bien informé de la situation, avait accouru146.
Washington, semble-t-il, préférer travailler avec Jean Monnet. Car Jean Monnet avait
compris l‘importance des États-Unis, leur force, leur envie de démocratie et de liberté147.
Alors Monnet concluait de sa visite aux deux grands généraux français par le fait que,
Giraud était sans grand intérêt, et que De Gaulle avait des manières messianiques fâcheuses.
Et ses missives relayaient malheureusement l‘opinion très négative sur les deux Généraux à
Washington148. Robert Murphy149 rapportait ainsi dans sa correspondance avec Washington :
«GIRAUD […] I sincerely hope that General Giraud‘s visit is not a headache for you. He was
determined to proceed at this time and I felt that from the local point of view there was every
reason in favor of his going. His presence or absence will not make the slightest difference in
de De Gaulle‘s campaign to improve and strengthen his personal position. Giraud‘s weakness,
as you know, is an indifference to, if not contempt of, politics, and, I am sorry to say, a lack of
understanding of the value of political action to support a military position. This weakness has
badgered both his administration and our position here for many months, but as it was
counterbalanced by an honesty of purpose, and loyal cooperation in the military field, I
considered it just one of those things which had to be accepted in the bargain. It has, however,
left us open to a number of attacks on the part of the press and the de Gaulle organization,
which could well have been avoided. However, the military results achieved provide a
definite compensation.
Giraud‘s future is hard to discern. It is difficult to visualize Giraud and de Gaulle working
together as a team. De Gaulle refers to it derisively as ―half and half unity‖, implying that the
solution is one imposed by the Allied contrary to the better judgment of the French people. It
may be that one or the other, or both, will be eliminated. Catroux, for examples, I know has
definite ambitions to replace them both and in this be has the support of people like Monnet as
well as some of our British friends. Catroux might not be an unhappy solution as he is an
intelligent and able person who is well disposed and reasonable. Catroux, according to his
146
Éric Roussel, Jean Monnet, p.292.
Éric Roussel, Jean Monnet, p.91.
148
François Saint-Ouen, op.cit., p. 91.
149
L‘Afrique française intéresse beaucoup le président des États-Unis. Dès la fin de l‘année 1940, son
représentant personnel, Robert Murphy, fait une grande tournée à Alger, à Dakar, au Soudan, en Tunisie, au
Maroc. Il a beaucoup vu et entendu. Il a noué des liens avec le général Weygand, délégué général de Vichy
depuis le 9 septembre 1940. Murphy envoie à Washington un rapport dont Roosevelt fait une lecture attentive.
André Kaspi, Franklin D. Roosevelt, p.508.
147
70
statements to me, considers de Gaulle a menace for elimination at the first appropriate
moment. Adjustment between Catroux and Giraud would be simple. They understand each
other and Catroux is conscious of Giraud‘s lack of political ambition.
De Gaulle, as you know, is another cup of tea. He suspects Catroux and has no intention
of permitting Catroux to supersede him. I doubt seriously that Catroux will be able to
overcome de Gaulle‘s energy, ambition, and his intention to appeal for popular support by
using every trick dear to the heart of a demagogue who believes in his own publicity.
Jean Monnet, arrived with a definite objective-to sell French unity. He succeeded. Some
of his critics describe the result as a confirmation of disunity. Monnet respects the United
States and Britain and, I am sure, will avoid giving offense to us, but he is definitely out to
gain every advantage for the French he possibly can. He knows our methods so well that he
will profit by every opportunity we offer him to seize advantage»150.
Ainsi, aux yeux des Américains, l‘avenir de Giraud est difficile à discerner. Car il manque
d‘ambition politique. Alors que De Gaulle représente une véritable menace, devant être
éliminée à la première occasion favorable. Et pour couronner le tout, il est impossible
d‘imaginer Giraud et De Gaulle travaillant de concert. Or, « Jean Monnet n‘est loyal ni envers
Giraud ni envers De Gaulle, mais il est loyal envers la France et envers Monnet »151. De ce
fait, il respectait les États-Unis et la Grande-Bretagne et espérait beaucoup des méthodes
américaines pour préparer un avenir à l‘Europe. Pour se faire, il comptait sur l‘appui de Jack
Mac Cloy et de Félix Frankfurter.
Monnet passait beaucoup de temps, à Alger, avec Murphy et Macmillan, le représentant de
la politique de Churchill152. Robert Murphy d‘origine irlandaise, et né en 1894 dans un milieu
modeste, connaît très bien la France. Il comptait d‘ailleurs parmi ses amis français, nombre de
politiques, surtout de droite, car, contrairement à William Bullitt, il était sans conteste
conservateur. C‘est assez naturellement, qu‘il s‘est retrouvé, alors, chargé d‘affaire à Vichy,
s‘est vu rapidement confier des missions importantes et confidentielles. Conseiller politique
150
FDR 111, Franklin Delano Roosevelt Library, Harry Hopkins Book 330, Bk 7 Post-Casablanca N. Afr., Cable
(Robert Murphy to Franklin D. Roosevelt), (06.07.43)
151
FDR 111, Franklin Delano Roosevelt Library, Harry Hopkins Book 330, Bk 7 Post-Casablanca N. Afr., Cable
(Robert Murphy to Franklin D. Roosevelt), (06.07.43), En version d‘anglais : «Monnet is loyal neither to Giraud
nor de Gaulle, but he is loyal to France and to Monnet ».
152
Clifford P. Hackett, « Jean Monnet and the Roosevelt Administration », in Clifford P. Hackett(ed.), op.cit.,
p.59.
71
d‘Eisenhower, fidèle exécutant de la ligne du Département d‘État, Robert Murphy au
demeurant détestait de Gaulle153.
Du côté britannique, l‘interlocuteur de Jean Monnet était Harold Macmillan, Membre de la
Chambre des communes depuis 1924. À la fin de 1942, sa carrière décolle quand le Premier
ministre, lui confie le poste de représentant britannique, en Afrique du Nord.
Après avoir longuement réfléchi le 2 juillet 1943, Monnet fit connaître son point de vue à
Roosevelt. N‘étant plus officiellement le chargé de mission de Roosevelt, Monnet chargea
Félix Morand, un collaborateur de John Mac Cloy (recommandé auprès de lui par le président
d‘IBM, M. Watson) de l‘expédition du message, après précautions de sécurité154.
Monnet s‘activa à réconcilier les deux généraux français Henri Giraud et Charles de
Gaulle, mission dont l‘avaient chargé les États-Unis. Cependant, il devait aussi réfléchir à
l‘Europe d‘après-guerre. De 1938 à 1939, il médita la création d‘une union francobritannique, comme noyau européen, d‘une hypothétique union atlantique, telle que la
préconisait Clarence Streit dans son pamphlet « Union now ». À Alger, dès l‘été 1943, il
semble avoir posé les questions, fort éloignées de la politique politicienne, afin de se focaliser
sur les réelles perspectives d‘une Europe d‘après-guerre155. C‘est surtout à reconstruire
l‘économie française qu‘il consacre par la suite l‘essentiel de son énergie. Car sans une France
forte et sure d‘elle-même, l‘Europe ne sera qu‘un rêve utopique ou qu‘une anarchie : « De la
manière dont la France, dès sa libération, rétablira sa vie nationale dans l‘ordre, dépendront la
stabilité européenne et la possibilité de faire une paix constructive et durable. Sans
contribution française à la conception de la Paix et de la reconstruction de l‘Europe, il n‘y
aura qu‘anarchie »156.
153
Éric Roussel, Jean Monnet, p.294.
Éric Roussel, Jean Monnet, pp. 371-372. Le message destiné au président des États-Unis sera mis dans deux
enveloppes, la première adressée à Mac Cloy, la seconde à Harry Hopkins. Pour plus de sûreté, il est même
décidé qu‘Hopkins remettra à Washington la lettre envoyée au chef de l‘Exécutif à Silvia Monnet qui, munie de
ce document, le donnera en mains propres à l‘illustre destinataire qui le lui rendra après lecture ; .Éric Roussel,
Jean Monnet, pp.371-372.
155
Pendant tout l‘entre-deux-guerres, on l‘a constaté, il n‘a pris aucune part active aux premières tentatives
d‘unification européenne. Rien n‘indique qu‘il ait rencontré avant la Seconde Guerre mondiale le comte Richard
de Coudenhove-Kalergi, créateur dès 1923 du Mouvement paneuropéen auquel il a su associer des personnalités
telles que Edouard Herriot, Joseph Caillaux, Léon Blum, Edvard Benès, Venizélos, Francesco Nitti, Paul
Claudel, Paul Valéry ou Miguel de Unamuno. Sans doute a-t-il suivi avec sympathie les efforts d‘Aristide Briand
visant à l‘émergence d‘une fédération européenne, mais rien n‘indique qu‘il soit allé plus loin. Éric Roussel,
Jean Monnet, pp.377-378.
156
FJME AME 33/1/3 : Notes de réflexion de Jean Monnet, (05.08.43)
154
72
À Alger, la réflexion sur l‘avenir du Vieux Continent arrivait à maturité157. Il a rédigé une
note destinée à nourrir sa propre réflexion. Dans sa note de réflexion rédigée à Tipaza le 5
août 1943158, concernant la réconciliation et l‘unité de l‘Europe après la fin des hostilités, il
manifeste sa volonté d‘anticiper l‘action concrète. Le premier élément, c‘est que Jean Monnet
n‘a jamais eu pour dessein une simple alliance européenne, mais une véritable fédération, une
entité européenne opérationnelle : « les buts à atteindre sont : Le rétablissement ou
l‘établissement en Europe du régime démocratique, et l‘organisation économique et politique
d‘une entité européenne [...] »159.
Le deuxième élément, provient de son expérience en tant que coordinateur des efforts de
guerre franco-britanniques. Au cours des deux guerres, Monnet a eu pour enseignement que,
pour garantir une paix et une stabilité durables, il fallait avant tout une union économique. Il a
bien insisté dans une note du 20 août1943 : « Je considère comme admise l‘idée de faire de
l‘Europe, -ou d‘une certaine partie de l‘Europe – immédiatement après la libération – une
unité économique. Il en découle que, pendant les semaines qui suivront le départ des armées
d‘occupation, aucune mesure ne doit être prise qui rétablisse le nationalisme économique
antérieur, ou qui crée à nouveau des conflits d‘intérêt entre chaque pays»160.
Enfin, le troisième élément, est que le but de la collaboration européenne, doit être la
« création d‘une véritable force de l‘Europe de l‘Ouest » : « [...] La fédération d‘Europe
Occidentale. Nous sommes maintenant en mesure de préciser ce que pourrait être ce bloc
d‘Europe occidentale qui permettrait de rétablir l‘équilibre politique et militaire du Continent.
Il comprendrait les éléments suivants :
1. La France et l‘Angleterre, dont l‘union forme le fondement de tout l‘édifice ;
2. Les pays membres du bloc métallurgique de l‘Europe occidentale : Belgique,
Luxembourg, Hollande, Sarre, Rhénanie, Westphalie. À l‘origine au moins la
Fédération pourrait être limitée à ces deux premiers groupes de pays qui sont parvenus
au même degré de civilisation ;
3. L‘Italie et l‘Espagne dont les rapports économique et politiques avec la Fédération
seront étroits des le point de départ et qui pourront ensuit y trouver place ;
157
Éric Roussel, Jean Monnet, p.379.
FJME AME 33/1/3 : (05.08.43)
159
FJME AME 33/1/3 : Notes de réflexion de Jean Monnet, (05,08.43)
160
FJME AME 33/2/11 : « Je considère comme admise l‘idée de faire l‘Europe [… ]»,(20.08.43)
158
73
4. Des États limitrophes, comme les pays scandinaves et la Suisse qui seraient
probablement attires par la Fédération ;
5. Plus tard peut-être, quand les souvenirs de la guerre se seront effacés, l‘Allemagne
elle-même qui retrouverait ainsi les territoires qui en auront été provisoirement
détachés […]»161.
En résumé, l‘Europe d‘après-guerre devait être, selon Jean Monnet une fédération ou une
entité européenne, dont l‘unité économique et de sécurité (d‘Europe de l‘Ouest) était une
évidence. La réflexion d‘Alger durant l‘été de 1943 était une ébauche précise de ce qui
viendrait sept ans plus tard le Plan Schuman. Ainsi, l‘été 1943 en Afrique du Nord constitua
un temps fort dans la rencontre entre Jean Monnet et l‘Europe.
Mais à Alger, si le projet de concrétiser son projet d‘union européenne s‘enracine, l‘on est
en droit de s‘interroger sur la forme définitive que devrait revêtir l‘Europe d‘après-guerre :
Monnet avait-il une vision européenne-occidentale, c‘est-à-dire une entité autonome des
États-Unis, ou bien s‘inscrivait-il, dans une vision atlantiste, plus large, englobant, par la
même occasion, les intérêts américains ?
Cette question légitime sera au cœur de cette recherche. Et tout au long des deux chapitres
suivants nous tenterons d‘apporter notre réponse.
L‘idée de Monnet sur l‘Europe d‘après-guerre est née avec les États-Unis. Car l‘aide
américaine était indispensable à la reconstruction et à la modernisation tant de la France que
de l‘Europe. Sa crainte que l‘Europe ne reste trop longtemps dépendante des États-Unis. En
particulier, précisons maintenant la vision qu‘avait Jean Monnet de l‘avenir du monde euroatlantique.
C‘est à l‘occasion de ses activités politiques à Alger (1943) qu‘il élabora sa conception de
l‘Europe d‘après-guerre. Alors qu‘il s‘efforçait de mobiliser la puissance militaire des ÉtatsUnis, en vue de la libération de l‘Europe occupée par l‘Allemagne, il se confronta violemment
à l‘opinion de De Gaulle sur l‘avenir de l‘Europe. Contrairement à Monnet, De Gaulle ne
voyait pas ce que l‘Amérique pouvait apporter aux vieilles nations occidentales. Les deux
hommes se rencontrèrent à plusieurs reprises, mais le dialogue se révéla très rapidement
infructueux. En effet, quand De Gaulle parlait de l‘avenir de la France, Monnet évoquait
161
FJME AME 33/2/14 : « L‘organisation politique et économique de l‘Europe occidentale » [La date n‘est pas
identifiée.]
74
l‘avenir du monde libre, dont l‘Amérique serait le pilier principal. Ils ne pouvaient pas se
comprendre : Pour Monnet, le nationalisme mystique de De Gaulle était incompréhensible, et
pour De Gaulle, l‘internationalisme pragmatique de Monnet, était une utopie dangereuse.
Tous deux refusaient la défaite, tous deux croyaient à la liberté et à la démocratie, tous
deux savaient que le conflit était planétaire, tous deux étaient d‘accord pour reconnaître que la
France ne pourrait vaincre seule. Mais là s‘arrêtait les comparaisons. À travers eux,
s‘exprimaient deux sensibilités différentes voire antagonistes162.
Les réflexions de Jean Monnet pour l‘avenir de l‘Europe, aboutirent à la conclusion, d‘une
nécessaire union atlantique, au-delà de la coopération militaire franco-anglo-américaine
contre l‘empire nazi. Pour lui, il se faisait aucun doute, à ce moment-là que l‘Europe sans les
États-Unis ne pouvait exister.
162
Éric Russel, Jean Monnet, pp.242-250.
75
Chapitre 2 : De l’union rêvée à l’union nécessaire : l’Europe
occidentale (1945-1946)
Il s‘agit dans ce présent chapitre, d‘expliquer comment l‘identité européenne occidentale
s‘est construite de 1945 à 1946, face à une nouvelle menace de conflit (l‘URSS), et cela, à
travers le contenu des dialogues entre Jean Monnet et les élites américaines pour la
construction européenne : le processus de la construction d‘une identité européenne
équivalant à une identité occidentale, ajustée des influences américaines sur la reconstruction
européenne d‘après-guerre.
En fait, l‘idée européenne n‘avait jamais réussi à se réaliser avant 1945. Néanmoins, dès la
fin de la guerre, elle commença à se muer en une idée forte avec une nouvelle borne
géographique et une nouvelle découverte idéologique. C‘est l‘Europe occidentale qui
s‘imposa à la suite de la tension entre les États-Unis et l‘État soviétique, conflit déjà bien
répandue par l‘opposition entre certains intellectuels et politiques pendant la seconde guerre
mondiale. Comme nous l‘avons vu précisément dans le chapitre 1, cette tension était
fréquemment évoquée avec toute la problématique inhérente à la guerre en Europe.
Cependant, l‘idée européenne d‘après-guerre marqua la transition d‘une Europe rêvée, idéale
vers une Europe nécessaire et pragmatique. Il était inévitable que cette période de transition
aboutisse à une identité qui correspond finalement à l‘Europe occidentale de jadis.
76
L’Europe : Un chemin pour la paix occidentale ou un chemin pour un
bloc occidental ?
L‘unité européenne s‘affirma en raison des antagonismes étatiques ou des nécessaires
solidarités économiques. Le cœur de ces débats se trouvait toujours dans la question
allemande. Déjà en 1944, Anglais, Américains et Soviétiques discutèrent de l‘Après-guerre et
du sort à réserver à leur ennemi commun. À cet effet, ils créèrent à Londres une Commission
consultative européenne (European Advisory Commission, EAC), chargée de délimiter les
futures zones d‘occupation et de définir le régime administratif interallié. Le 14 novembre
1944, l‘EAC mit au point le mécanisme de contrôle en Allemagne. Les commandants en chef
des trois puissances exerceraient « l‘autorité suprême en Allemagne », « individuellement,
dans leurs propres zones d‘occupation », « collectivement, pour les questions intéressant
l‘ensemble de l‘Allemagne », au sein de « l‘organisme suprême de contrôle appelé le Conseil
de contrôle»163.
La France était la seule des quatre nations en lutte contre l‘Allemagne à avoir subi une
défaite et une occupation complète de son territoire. Ces deux faits lui conférèrent un statut
singulier. Elle devait redevenir une grande puissance. À cet égard, le cas français d‘aprèsguerre est particulièrement significatif. C‘est Churchill en visite à Paris, le 11 novembre 1944
qui informa De Gaulle de l‘acceptation de la participation française aux travaux de l‘EAC. À
cette occasion, il énonça avec vigueur qu‘« il ne peut y avoir de renaissance de la dignité et de
la splendeur européennes sans une France forte»164. L‘idée de ses propos se retrouve dans le
thème essentiel de la réflexion d‘après-guerre de Jean Monnet : « Sans contribution française
à la conception de la Paix et de la reconstruction de l‘Europe, il n‘y aura qu‘hésitation,
confusion et incompréhension de la situation européenne»165. Grâce à la mansuétude des
Alliés, particulièrement celle de l‘Angleterre, et à la politique étrangère française envers
163
Cyril Buffet, Mourir pour Berlin : La France et l‘Allemagne 1945-1949, Paris, Armand Colin, 1991, p.6.
Discours de Winston Churchill, 5/6/46, Le Figaro, (06.06.46)
165
FJME AME 33/1/3. : Une note de Jean Monnet, (05.08.43)
164
77
Staline, cela malgré la réticence de Roosevelt, la France obtint finalement un siège au Conseil
de contrôle et une zone d‘occupation de Berlin166.
Après avoir été acceptée comme puissance occupante le 10 février 1945 par Roosevelt,
Churchill et Staline à Yalta, la France souscrivit le 1 mai 1945 à l‘accord sur le mécanisme de
contrôle et le 26 juillet suivant, au protocole relatif aux zones d‘occupation. Une semaine plus
tard, elle devint l‘une des quatre puissances signataires de l‘acte de capitulation de
l‘Allemagne nazie du 8 mai 1945. Le 5 juin, les vainqueurs entérinèrent officiellement les
dispositions préconisées par l‘EAC sur le mécanisme de contrôle et la répartition des zones en
Allemagne : la zone Est à l‘Union soviétique, la zone Nord-Ouest au Royaume-Unis, la zone
Sud-ouest au États-Unis et la zone Ouest à la France167.
Or, dès les lendemains de la signature de ces accords, l‘URSS intervint en Roumanie et y
installa un gouvernement dans lequel les communistes détenaient les « postes-clés ». Quant
aux États-Unis et au Royaume-Uni, membres d‘un organisme de contrôle tripartite, ils ne
dénoncèrent pas ouvertement cette violation de la « déclaration sur l‘Europe libérée»168.
L‘Europe continentale était prise en tenaille entre deux blocs opposés : ce qu‘André
Fontaine appelait « un seul lit pour deux rêves169 ». Pour Staline, la sécurité de l‘URSS devait
être assurée par la création d‘une zone d‘influence en Europe, ce qui excluait l‘hypothèse
d‘une Europe continentale organisée sur une base démocratique. Le président américain,
quant à lui, ne voulut pas mécontenter les Soviétiques afin de maintenir, si possible, la
« grande alliance » d‘après-guerre. Aussi, comptait-il sur une organisation supranationale
présidée par les USA (la future ONU)170. Dans ces conditions, lors des sommets États-Unis –
URSS, l‘idée d‘une gouvernance européenne par les Européens n‘avait aucune chance de voir
le jour, tant Roosevelt que Staline y étaient opposés. Alors la lente ascension de l‘idée d‘une
unité économique ou politique était-elle, à peine esquissée, qu‘éclatait déjà, au sein du
département d‘État des États-Unis, une querelle ouverte sur la nature de l‘ordre mondiale de
l‘après-guerre.
À compter de l‘année 1946, la tension monta entre l‘Est et l‘Ouest. La peur du
communisme se propagea rapidement. Par conséquent, le resserrement des liens entre les pays
166
Cyril Buffet, op.cit., p.19.
Cyril Buffet, ibid., p.7
168
Elisabeth du Réau, op.cit., p.135
169
André Fontaine, Un seul lit pour deux rêve, Paris, Fayard, 1981.
170
Marie-Thérèse Bitsch, op.cit., p.26
167
78
d‘Europe occidentale était voulu comme un moyen de protection face au danger soviétique.
Walt W. Rostow, ancien secrétaire d‘État adjoint des États-Unis,171 écrivait que «given the
history of Russian relations with the West over the previous forty years-for Russia a history of
defeat and frustration, for the West of intervention, fear, and exclusion-there would appear to
have been on simple diplomatic formula by which a unified operation of Germany might have
been decreed in the summer of 1945»172. Ce nouveau climat d‘après-guerre n‘empêchait pas
de stimuler le mouvement de promotion de l‘idée européenne. Le 5 mars en 1946, Winston
Churchill, dans un discours à Fulton, évoqua le « rideau de fer » qui tombait entre l‘Est et
l‘Ouest : « Une ombre s‘est répandue sur les scènes si récemment illuminées par la victoire
alliée. Personne ne sait ce que la Russie soviétique et son organisation internationale ont
l‘intention de faire dans l‘avenir immédiat […]. De Stettin dans la Baltique à Trieste dans
l‘Adriatique, une rideau de fer est descendu à travers le continent »173.
C‘est dans ce contexte de guerre froide que s‘élaborèrent les premières initiatives
publiques en faveur de l‘Union européenne. Et les choix opérés par les Européens en ces
années cruciales ne pouvaient s‘interpréter qu‘en fonction du nouvel ordre international. Le
19 septembre 1946, dans un discours à l‘université de Zurich, Winston Churchill, ancien
Premier ministre britannique, proposa la création des États Unis d‘Europe (sans le RoyaumeUni), dont la première étape serait la formation d‘« un Conseil de l‘Europe » : « [...] Si
l‘Europe s‘unissait un jour pour partager cet héritage commun, il n‘y aurait pas de limite au
bonheur, à la prospérité et à la gloire dont pourrait jouir sa population de trois ou quatre cents
millions d‘âmes. C‘est cependant en Europe qu‘est née cette série de terribles guerres
nationalistes, déclenchées par les nations teutoniques au cours de leur ascension vers la
puissance, que nous avons vu en ce XXe siècle, et même dans notre propre génération, ruiner
la paix et les espérances de toute l‘humanité [...] »174.
Et il proposa un « remède souverain » sur la base d‘une association franco-allemande :
« [...] Quel est ce remède souverain ? Il consiste à reconstituer la famille européenne, ou du
moins, autant que nous en pouvons reconstituer, et à lui fournir une structure qui lui permette
de vivre et de croître en paix, en sécurité et en liberté. Nous devons créer façon seulement, des
171
Walt W. Rostow a quitté le département d‘Etat en 1946 pour enseigner l‘histoire américaine à Oxford.
FJME AMF 23/4/198 : The American diplomatic revolution. Article de Walt W. Rostow, (12.11.46)
173
Winston Churchill, « Discours du 5 mars 1946 » à l‘Université de Fulton (Missouri, U.S.A.), cité par
Elisabeth du Réau, op.cit., p.134.
174
Documents rassemblés par Pierre Gerbet, Françoise de La Serre et Gérard Nafilyan, L’union politique de
l’Europe : Jalons et textes, Paris, La documentation Française, 1998, p.35.
172
79
centaines de milliers de travailleurs pourront recouvrer les simples joies et espoirs qui rendent
la vie digne d‘être vécue. [...] Je vais maintenant vous dire quelque chose qui vous
surprendra : le premier pas vers la reconstitution de la famille européenne doit être une
association entre la France et l‘Allemagne. C‘est ainsi seulement que la France pourra
reprendre sa direction culturelle et morale de l‘Europe. Il ne peut y avoir de renaissance de
l‘Europe sans une France spirituellement grande et sans une Allemagne spirituellement
grande aussi »175.
Ce qui était clair dans le discours de Churchill, c‘est qu‘il s‘agissait de créer une Europe
occidentale et une Europe continentale dans la mesure où la Grande-Bretagne restait à l‘écart
et où l‘Europe de l‘Est en était exclue. Toutefois, ce discours est souvent considéré comme le
point de départ de la cristallisation du mouvement européen d‘après-guerre.
En même temps, même si les États-Unis n‘étaient pas encore prêts à vraiment suivre les
conseils de l‘ancien Premier ministre anglais, les dirigeants des États-Unis étaient persuadés
des desseins impérialistes de la Russie et de la nécessité de s‘y opposer176. Pour l‘Amérique,
la question de la sécurité contre la Russie était liée à la reconstruction européenne dans
laquelle le potentiel industriel allemand était confiné. Raison pour laquelle cet échec
économique pouvait avoir de graves conséquences politiques.
Les deux années (1945-1946) qui s‘écoulèrent de la fin de la guerre contre les Nazis à
l‘entrée en guerre froide contre l‘U.R.S.S. étaient marquées par les crises qui conduisirent à
former un « Bloc » en Europe. Les États-Unis avaient besoin d‘une nouvelle perception de
l‘Europe, et de l‘Europe occidentale face à la nouvelle menace.
L’idée de la solidarité économique : les trois composants, “Paix, Europe,
France-Allemagne”, selon Jean Monnet.
Sur le plan économique, le partage des idées entre Jean Monnet et les élites américaines, a
d‘abord été lié à la prise de conscience du problème allemand, au lendemain de la deuxième
175
Documents rassemblés par Pierre Gerbet, Françoise de La Serre et Gérard Nafilyan, ibid., p.36.
Pierre Mélandri, Une incertaine Alliance : Les États-Unis et l’Europe 1973-1983, Paris, Publication de la
Sorbonne, 1988, p.17.
176
80
guerre mondiale. L‘Europe s‘affirmait dans la perception de ces solidarités économiques la
possibilité de bénéficier du potentiel industriel allemand. Aussi, contrairement à 1918, les
puissances d‘occupation tentèrent d‘intégrer l‘Allemagne dans un espace économique. Idée
que l‘on retrouve dans le Plan Schuman de 1950.
Pour Monnet, l‘essentiel était de ne pas répéter les erreurs commises par la guerre. Durant
celle-ci, il développa ses réflexions sur le sujet autour de trois composantes : la paix, l‘Europe
et le partenariat franco-allemand177. Car le chemin de la paix en Europe passait
obligatoirement par une résolution du problème allemand. Au printemps 1944, il évoqua le
problème allemand dans le contexte de l‘avenir de l‘Europe en lien directe avec la France, en
affirmant qu‘après la libération de la France et de l‘Europe, il fallait résoudre définitivement
la question centrale de la sécurité et du développement du continent européen, c‘est-à-dire
régler le problème allemand178.
Or, l‘histoire enseignait que la seule solution du problème consistait en l‘ancrage solide de
l‘Allemagne, soit dans une Europe des Nations, soit dans une fédération européenne. À
mesure qu‘approchait la fin de la guerre et après la Libération de la France, la question
allemande s‘installa progressivement au cœur des discussions sur le futur de l‘Europe,
devenant l‘un des principaux enjeux : « Pour que les problèmes de l‘Europe d‘après-guerre
puissent être résolus, il est impératif que soit apportée une réponse définitive à la question
allemande, qui est d‘un intérêt majeur pour la France. Après la guerre, on devra procéder à
une intégration totale de l‘Europe. La mise sur pied d‘un authentique système fédéral se
présente comme la meilleure solution à cet égard. Un ordre fédéral permettra de céder des
droits souverains à des degrés divers et pour des domaines politiques déterminés et, par le
biais d‘instances de contrôle, de préserver en même temps les droits d‘intervention de chaque
pays. Avant de passer à la solution de la question allemande, à l‘occasion par exemple d‘un
congrès pour la paix, on doit veiller à empêcher que l‘Europe ne sombre dans le chaos. Des
instances démocratiques doivent être créées ou, selon les pays, réinstaurées. L‘Allemagne
démocratique ainsi établie, et qui devra nécessairement disposer de structures et d‘une
organisation en parfait état de fonctionnement, devra être intégrée dans la communauté des
peuples européens. La reconstruction économique de l‘Europe doit être considérée comme
l‘un des objectifs de paix suprêmes. Ce point signifiait, et pas seulement pour les Français,
177
AME 33/1/3 : Une note par Jean Monnet, (05.08.43)
Wolf D. Grüner, « La place de l‘Allemagne dans l‘Europe d‘après-guerre selon Jean Monnet(1940-1952) in
Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p.125.
178
81
« reducing the economic potentialities of an over industrialized Germany, a new division of
plants and factories over the continent, and a reasonable measure of industrialization of the
poor agricultural countries of Europe, without which there could be no rise in the standard of
living amongst the populations»179.
La solidarité économique européenne permit d‘envisager l‘intégration de l‘Allemagne
dans un espace économique plus large. Monnet avait compris que les Anglais désiraient que le
problème du charbon allemand fasse l‘objet d‘un règlement collectif, suivant une doublerésolution :
«1) Le charbon ne serait pas considéré isolément, mais du point de vue de l‘ensemble des
exportations et importations de la zone Ouest de l‘Allemagne, notamment, c‘est ainsi que les
exportations de charbon seraient considérées en liaison avec les importations de produits
alimentaires.
2) La question du charbon elle-même ferait l‘objet, non pas d‘un règlement à trois pour la
zone occidentale seulement, mais d‘un règlement à quatre pour l‘ensemble de
l‘Allemagne»180.
Pour Monnet, la solidarité économique européenne était vraiment celle du partage du
charbon produit dans Allemagne de l‘Ouest. Il avait bien compris l‘importance du charbon
pour l‘Europe occidentale, pour la France mais aussi pour les États-Unis. Il l‘a d‘ailleurs
communiqué à William Clayton dans une lettre du 24 septembre 1945 : « I gave Mr. Clayton
my letter and memorandum, emphasizing that coal was vital for Western Europe […], and the
burden would be much greater on the United States if Ruhr coal production was not
increased »181.
Clayton partagea cette opinion après en avoir discuté avec Monnet. Il pensait qu‘il était
indispensable d‘avoir un nouveau point de vue sur la situation complexe de la production du
charbon. C‘est une conception de la coopération de la production du charbon : «[…] we
thought it necessary to introduce a new factor into the situation, which would at the same time
have an overall view which is essential in view of the tendencies in the different zones to
remain sovereign and closed to one another, and also would know what steps are effectively
179
FJME AME 56/2/15 : German Problem, 1944 -1955. [ La date n‘est pas identifiée]
FJME AME 57/1/138 : Télégramme de Jean Monnet à R. Pleven et Lacoste, (18.07.45)
181
FJME AME 57/1/179 : Notes of a conversation between Mr. Monnet and Mr. Clayton, (24.09.45), voir
document annexe 2.
180
82
taken in each zone to help production of coal and on the basis of that knowledge recommend
steps which otherwise administratively would never get done»182.
En fait, Monnet avait été informé confidentiellement par l‘Administration Américaine que
le président Truman entendait fixer les quotas de production du charbon allemand, et que
Churchill venait de lui donner son accord183. Effectivement, en juillet 1945, des directives du
Président Truman furent envoyées aux Commandants des zones d‘occupation américaine,
britannique et française, fixant les buts à atteindre pour la production de charbon en
Allemagne occidentale. Ces directives prévoyaient que toutes les mesures nécessaires
devraient être prises pour assurer la disponibilité en vue de l‘exportation de 10 millions de
tonnes de charbon en 1945 et d‘une nouvelle tranche de 15 millions pendant les 4 premiers
mois de 1946184.
Désormais, il lui apparaissait évident que les programmes établis par ces directives ne
seraient pas exécutés, à moins que de nouvelles mesures soient immédiatement prises afin
d‘assurer une mobilisation plus efficace des ressources globales des trois zones d‘occupation.
Monnet prenait conscience que la meilleure façon d‘y parvenir était d‘en confier la
responsabilité à une seule autorité : responsabilité de mettre sur pied un plan coordonné pour
accroître la production de charbon allemand et pour s‘assurer que les mesures nécessaires à
l‘exécution de ce plan seront bien effectivement prises dans les trois zones. Alors, il demanda
au Gouvernement américain la création d‘un Comité de trois membres en vue d‘assurer la
coordination de la production de charbon allemand. La lettre de Jean Monnet, accompagnée
d‘une proposition destinée à assurer la coordination de la production de Charbon Allemand
envoyée à M. Clayton y fait référence : « les dispositions suivantes devraient être mises à
exécution : 1. Formation d‘un comité composé d‘un Président et de trois membres. Le
Président devrait être nommé conjointement par le Président des États-Unis, le Premier
ministre de Grande-Bretagne, et le Chef du Gouvernement provisoire de la République
française. Chaque membre devrait représenter une des trois zones d‘occupation et devrait être
nommé par le Commandant de la zone correspondante.
2. Ce comité devrait aussitôt établir un plan pour l‘utilisation efficace des ressources des
trois zones d‘occupation, ceci de façon à accomplir les objectifs et atteindre les chiffres de
182
FJME AME 57/1/179 : Notes of a conversation between Mr. Monnet and Mr. Clayton, (24. 09.45)
FJME AME 57/1/138 : Télégramme de Jean Monnet à R. Pleven et Lacoste, (18.07.45)
184
FJME AME 57/1/184 : Télégramme de Jean Monnet à C. de Gaulle (copie à Pleven, Bidault, Lacoste),
(27.09.45)
183
83
production établis par les directives formulées en Juillet 1945, et par toutes autres directives
qui pourraient intervenir ultérieurement.
3. Le Président du Comité devrait avoir pouvoir d‘obliger le Commandant de chacune des
trois zones d‘occupation à édicter toutes directives ou à prendre toutes mesures qui, dans
l‘opinion dudit Président, seraient jugées par lui nécessaires pour mener à bien le plan établi
par le Comité. Le Président devrait avoir le droit d‘en appeler directement aux Chefs des trois
gouvernements, dans l‘hypothèse où le commandement de l‘une quelconque des trois zones
ne donnerait pas suite à la requête formulée par le Président du Comité.
4. Chaque membre du Comité devrait être responsable de la surveillance et de la direction
de la production de charbon dans sa propre zone. Il devrait également être habilité à prendre,
le cas échéant, toutes mesures jugées nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective des
directives formulées par le Président»185.
Ce comité était chargé d‘établir un plan d‘utilisation des ressources existantes entre les
trois zones. Chaque membre était responsable de l‘exécution du plan dans sa zone. Le
Président avait le pouvoir de demander à chaque commandant de zone d‘occupation de
prendre les directives nécessaires. Il avait le droit d‘en appeler aux Chefs des trois
Gouvernements en cas de conflit ou de non-exécution des directives. Cette proposition a été
étudiée avec le Général Eisenhower par M. Mac Cloy, sous-secrétaire d‘État à la Guerre, lors
de son passage à Francfort. Mac Cloy informe Monnet : « Eisenhower et moi avons câblé à
Washington pour demander instamment la création d‘un Comité dans une forme qui lui donne
satisfaction. Biddle Smith est au courant. Je n‘ai pu vous joindre au téléphone »186.
À ce moment-là, Mac Cloy était tombé d‘accord avec le Général Eisenhower pour faire au
Gouvernement américain des propositions sur la création d‘un comité tripartie à la production
du charbon. Il est certain que cette solution n‘était pas idéale. Elle présentait cependant un
progrès considérable par rapport à la situation difficile, car elle permettait enfin d‘instituer un
Comité qui dégagerait une vue et un plan d‘ensemble sur les besoins relatifs à la production
du charbon (ravitaillement, logement, équipement, etc…) et sur les problèmes généraux de
transports. Elle permettait également d‘instituer dans chaque zone une responsable chargé
d‘exécuter les measures décidées. Enfin, elle permettait d‘éliminer les difficultés dont la
185
FJME AME 57/1/184 : Télégramme de Jean Monnet à Charles de Gaulle, (27.09.45), voir documment annexe
3.
186
FJME AME 57/1/194 : Télégramme de John J. Mac Cloy à Jean Monnet, (08.10.45)
84
plupart n‘existaient souvent que par l‘absence d‘organisation et de coordination, et
d‘augmenter dans de larges proportions la production du charbon en Allemagne
occidentale187.
La solidarité de la production de charbon allemand proposée et précisée par Jean Monnet
se limite à l‘espace économique d‘Allemagne occidentale, c‘est-à-dire, aux trois zones
d‘occupations occidentales. On peut dire que c‘est une esquisse de l‘idée d‘unité économique
européenne des futures années cinquante dans la mesure où elle implique le principe de la
coopération de la production d‘un secteur économique. L‘idée de Monnet, en 1945, et la
proposition de créer un comité de la production du charbon en Allemagne occidentale seront
mise à profit plus tard, à l‘époque de la construction de la communauté de la CECA en 1950.
L’idée de « la dépendance consentie » avec l’aide américaine entre la
France et l’Amérique (1945-1946)
Au sortir de la guerre, la France était bouleversée. La reconstruction ne concerna pas
seulement l‘économie, mais aussi la politique, l‘administration, les institutions, la société.
C‘est pourquoi l‘après-guerre correspond en France à une période fébrile pendant laquelle on
épurait, restaurait, nationalisait, planifiait et innovait. Or le déficit budgétaire ne pouvait le
permettre. Même si René Pleven, ministre de l‘Économie et des Finances, parvint à réduire en
1945 d‘un quart la masse monétaire, l‘inflation ne fut pas muselée pour autant. Alors, l‘aide
extérieure était indispensable188. Monnet en était conscient.
Pour lui, l‘intervention des États-Unis dans la guerre en l‘Europe avait été impérative pour
lutter contre le totalitarisme. Mais ses réflexions d‘après-guerre l‘avaient conduit à penser
qu‘une intervention extérieure, non seulement pour le redressement d‘Europe, mais aussi pour
la modernisation économique de la France était indispensable. Et cette aide extérieure ne
pouvait être qu‘américaine.
187
FJME AME 57/1/208 : Note sur la production du charbon allemande, de Jean Monnet à de Gaulle, G.
Bidault, R. Pleven, Lacoste, R. Mayer, (13.11.45)
188
Cyril Buffet, op.cit., p.8.
85
Monnet croyait qu‘une relation à long terme entre la France et le gouvernement des ÉtatsUnis était plus importante que des questions uniquement financières comme le prêtbail« lend-lease ». Aussi espérait-il que les gens avaient vraiment une compréhension claire
des problèmes français d‘après-guerre, en essayant de façonner les négociations du prêtbail,189 dans une discussion entretenue par Jean Monnet avec Morgenthau, Mr. Oscar Cox,
Mr. White190.
Jean Monnet, était-il un maniaque des États-Unis pour autant ? Etait-il un représentant des
intérêts américains en France ? Les liens entre l‘Amérique et l‘Europe ne lui semblaient pas
malsains. À toutes ces spéculations nauséabondes, l‘histoire, la grande, répondra que non !
Monnet n‘était pas l‘homme de l‘Amérique, au sens de l‘homme des intérêts américains mais
il était simplement persuadé que le soutien américain était indispensable compte tenu de la
situation de la France après la seconde guerre mondiale. Pour lui, il n‘était pas permis de
douter. Il fallait faire quelque chose pour la reconstruction de la France. Et au sortir de la
guerre, seuls les États-Unis pouvaient aider l‘Europe par conséquent la France : « […] La
France, qui a gardé jusqu‘ici Outre Atlantique, le bénéfice d‘un capital de précieuses
sympathies, n‘est pas la puissance européenne la plus menacée par ce jeune impérialisme et
puisque le concours américain, soit pour la voie d‘organismes internationaux, soit en dehors
de ces organismes, sera indispensable pour notre relèvement, c‘est pour nous un devoir de
créer dès maintenant les conditions les plus propres à nous le ménager. La tradition de
l‘amitié américaine doit être soigneusement maintenue »191.
Il savait par ailleurs que l‘Amérique défendait ses intérêts propres : la liberté du
commerce, l‘abandon de tout système discriminatoire. Il était convaincu depuis longtemps
que Washington ne voulait plus de marchés fermés pour une raisons de principe ou de choix
idéologique. Il y avait un consentement de dépendance économique à accepter. Monnet ainsi
que les Américains savaient pertinemment qu‘il n‘y avait d‘autre solution que celle-ci. Ils
étaient aussi conscients des implications de cette dépendance aux USA.
En 1945, le 28 février, l‘accord du prêt-bail entre la France et les États-Unis était signé.
L‘article Ⅶ de ce texte évoquait dans le futur la nécessité d‘une action commune entre les
189
La loi Prêts-bails (Lend Lease) fut présentée au Congrès des États-Unis en janvier 1941 et signée le 11 mars
1941. le 11 novembre de la même année, elle fut étendue aux Forces françaises libres et le 7 décembre à tous les
alliés de Washington. La France métropolitaine n‘entra dans le Prêt Bail que le 28 février 1945.
190
FDR 60, Franklin Delano Roosevelt Library, Morgenthau Diaries, Roll 235, Box 812, diary (Book 812Meeting), (24.01.45)
191
FJME AME 33/2/12 : « Les conditions dans lesquelles la France sortira de la guerre [...] », Alger, (23.10.43)
86
deux pays. Le document était un accord de principe « il s‘agissait de la liberté du commerce,
la réduction des barrières douanières et la suppression de toute discrimination ». Les
Américains entendaient obtenir des confirmations très précises sur les engagements pris par la
France dans le cadre de l‘article Ⅶ. Jean Monnet ne refusa pas d‘y souscrire car il défendait
l‘idée que la modernisation de la France était une priorité absolue. Il l‘avait bien précisé lors
de conversations avec William Clayton à la fin du mois d‘août 1945. : «The real difference
between Mr. Clayton and me is that he wishes and is intent upon having negotiations with us
bringing about commercial arrangements for reduction of tariff, etc. between the United
States and France on the basis of the present situation and of the present loans. Irrespective of
what may be done for the general modernization of France, I think such commercial
arrangements can only be a consequence of what arrangements may be made to meet the
general needs of France enabling her to change her internal conditions completely. I am not
asking Clayton to commit himself to doing what we will ask, but I want him to accept that the
first thing in the order of business must be to examine the general French needs before
making a trade agreement»192. Cette conversation entre Monnet et Clayton montre bien que
Monnet défendait les intérêts de la France.
Il s‘appuyait sur la modernisation et la reconstruction française pour faire accepter ces
accords du prêt-bail. Autrement dit, « si le gouvernement américain n‘accepte pas de mettre à
la disposition de la France les larges crédits couvrant l‘ensemble de ses besoins et de faciliter
ainsi la reconstruction de son économie, une négociation générale sur l‘établissement des
libertés commerciales sera vaine et ne pourra aboutir qu‘à une impasse »193. C‘est sur cette
base que Jean Monnet rédigea le mémorandum194 remis par le général De Gaulle au Président
Truman le 22 août 1945. Et, c‘est à cette occasion que Jean Monnet en vint à la proposition
d‘un programme de modernisation. Cette proposition fut approuvée par De Gaulle. Jean
Monnet lui donna un contenu plus précis lors de conversation avec W. Clayton à la fin du
mois de septembre : « Le gouvernement français présentera lorsque les négociations
s‘ouvriront dans quelques mois, un plan qui traitera de la position fondamentale de la France
et indiquera quels sont les besoins français pour une vie immédiate, la reconstruction et la
modernisation. Ceci signifiera que des décisions extrêmement importantes devront être prises
192
FJME AME 59/1/41 : Note by Jean Monnet on conversation with Mr. Clayton, (27.08.45)
FJME AMF 3/5/10 : Brouillon d‘une note de synthèse de Jean Monnet, (45,08)
194
NAE, A 196 /7 (carton 51) : Mémorandum de Jean Monnet, le 24 août 1945, cité par Philippe Mioche, op.cit.,
p.81.
193
87
en France et signifiera également la présentation d‘un programme qui comportera des
demandes substantielles adressées aux États-Unis »195. Le 20 octobre 1945, les deux
gouvernements trouvèrent un accord au sujet de la politique commerciale : « Conformément
aux engagements qu‘ils ont souscrits le 28 Février 1945 (Article Ⅶ du Master Agreement), le
G. P. R. F. et le Gouvernement des États-Unis afin d‘assurer leur contribution au
développement de la production au plein emploi, à l‘échange et à la consommation des
produits, s‘engagent par la présente note à ouvrir des négociations très prochainement pour
arriver à un accord entre eux et avec les pays qui y sont également disposés, sur les mesures
mutuellement avantageuses et tendant à réduire les tarifs et les barrières douanières et à
éliminer tout traitement discriminatoire dans le commerce international, […] En attendant les
conclusions des négociations envisagées au paragraphe précédent, le Gouvernement des ÉtatsUnis et le Gouvernement Provisoire de la République Française déclarent que leur politique
consiste à éviter d‘adopter de nouvelles mesures à long terme concernant le paiement des
échanges commerciaux internationaux et des investissements à l‘étranger qui porteraient
préjudice au but de cet accord, compte tenu de la mise en applications des résolutions
adoptées par la Conférence de Bretton Wood »196.
Ainsi, les deux Gouvernements acceptèrent de se consulter chaque fois qu‘il serait
nécessaire de le faire sur toutes mesures tombant dans le domaine défini par le paragraphe
indiqué ci-dessus. En conséquence, cet accord permis de démarrer l‘ouverture de négociations
sur les besoins totaux de la France et les ressources actuellement disponibles ou qui pouvaient
être rendues disponibles pour mettre la France en mesure de participer au développement
ordonné du commerce international.
Au printemps 1946, les gouvernements aboutirent à la grande négociation francoaméricaine (Blum-Byrnes). Cette négociation était destinée à satisfaire les demandes de
modernisation de l‘économie française afin de lui permettre de participer aux échanges
mondiaux. Donc, la France s‘engagea à suivre les principes de la Charte de l‘Atlantique et de
la conférence de Bretton Woods.
Le crédit dont Jean Monnet disposait en Amérique fut capital. Et le Plan Monnet pour la
modernisation de la France se réalisa dans un contexte favorable. Jean Monnet et son Plan
étaient perçus positivement aux États-Unis. Joseph Alsop, journaliste américain, en parla en
195
196
FJME AMF 3/5/5 : Conversation entre Jean Monnet et W. Clayton, (24.09.45)
FJME AME 59/1/72 : Projet de la note à échanger au sujet de la politique commerciale, (20.10.45)
88
ces termes : « By official estimate, the country emerged from the war poorer by 100 billion
francs than in 1938. And even in 1938, the French economy was dangerously out of date.
Because her industrial plant had not been modernized, France‘s average worker produced
only a quarter to a third the amount of goods of his American counterpart. Because of her
hand agriculture, France‘s average peasant fed only five consumers, where America‘s average
farmer fed 15. The national plan which is designed to remedy these defects and transform the
new France into a rich, modern nation, is the work of a government planning council led by
the brilliantly able Jean Monnet»197.
Etait-il étonnant que Monnet consacra l‘intérêt national sur celui de l‘Europe ? Non, selon
le témoignage de Walt W. Rostow, puisque l‘intérêt de l‘Europe et de la France étaient
intiment liés : « Je n‘oublierai jamais ce que Monnet m‘a dit en 1946, qu‘en premier lieu, il
faut moderniser la France. Sans une France modernisée, il n‘y aura pas d‘Europe occidentale
forte. Une Europe occidentale forte sera attrayante pour l‘Europe orientale. L‘Est et l‘Ouest
de l‘Europe se réuniront comme cela. On aura donc préparé »198.
Quant aux États-Unis, pensaient-ils de même? Gérard Bossuat nous a clairement expliqué
que « les raisons d‘aider la France n‘avaient pas de rapport avec les ambitions françaises,
mais tenaient à la menace soviétique perceptible dès 1945 »199. Selon lui, la poursuite de
l‘aide américaine à la France s‘appréciait à la lumière de l‘influence soviétique grandissante
en Europe. Un soutien américain à un De Gaulle anticommuniste semblait raisonnable. Hervé
Alphand, responsable de la direction des Affaires économiques et financières du Quai
d‘Orsay, écrivait en mai 1945 que les États-Unis continueraient d‘aider la France pour
renforcer sa stabilité économique et assurer son appui « compte tenu de leurs relations avec
l‘URSS ». La tension américano-soviétique profiterait aux Français. Les conditions du
dialogue franco-américain étaient tributaires des Américains, dès la fin des hostilités. Les
Français pensaient à favoriser les Allemands. Il fallait en conclure que les relations francoaméricaines dépendraient des politiques allemande, française et américaine200. Il faut
également remarquer le lien entre l‘intérêt national et l‘intérêt européen par rapport à la
construction européenne. Nous avons bien vu jusqu‘ici, que l‘action de Jean Monnet et sa
politique européenne ne pouvaient pas être séparées des activités nationales, comme
197
FJME AMF 5/3/56 bis : ―Matter of Fact‖ by Joseph Alsop, Washington Post, (10.07.46)
Eric Russel, Jean Monnet, p.460.
199
Gérard Bossuat, Les aides américaines économiques et militaires à la France, 1938-1960…op.cit., p.104.
200
Gérard Bossuat, ibid., p.105.
198
89
l‘explique Alain Milward : « Le processus d‘une unification européenne est en même temps
une aide à sauver les États-nations »201. Par exemple, dans le cas de la France, Gérard Bossuat
a expliqué que : « L‘essentiel de la politique de construction européenne de la France, n‘était
pas la formation de l‘unité. La première raison de faire l‘Europe était de donner à la France,
de l‘influence dans les affaires européennes et mondiales, par un relèvement économique. La
seconde raison était d‘assurer sa sécurité militaire et économique par rapport à l‘ennemi
allemand »202.
Le trait d‘union entre l‘intérêt national et l‘intérêt européen était l‘aide mutuelle. Comme
l‘intérêt national français ne pouvait être détaché de la construction européenne, l‘était
nécessaire de tenir compte du rôle de l‘intérêt national dans la construction européenne.
Jean Monnet et Robert Nathan: l’influence de l’Amérique sur le plan de
modernisation français (1946)
L‘idée d‘utiliser la compétence des experts américains n‘était pas nouvelle pour Jean
Monnet. Il avait déjà proposé en octobre 1945 d‘employer David Silberman, statisticien
américain203. Nous allons noter que la prestation de R. Nathan anticipe celle de William
Tomlinson en 1948, lors du plan Marshall. Dans la carrière de Jean Monnet, l‘introduction
d‘une personnalité américaine a été considérable à chaque étape de la construction de ses
idées. Aussi, la contribution de Robert Nathan aux travaux du Plan Monnet semblait naturelle.
En fait, chacun apportait des connaissances utiles à l‘autre. Monnet avait beaucoup appris
de Nathan avant et pendant la guerre sur la mobilisation de l‘économie et le rôle critique
d‘une planification attentive. Aussi avait-il appliqué ce qu'il avait appris de Nathan pour
concevoir son propre plan de relance de l'économie française peu après la guerre. Tandis que
Nathan, lui, a appris de Monnet, son pragmatisme, sa capacité de persuasion, les stratégies et
201
Alan S. Milward,op.cit.
Gérard Bossuat, l’Europe des Français 1943-1959…op.cit., pp.435-437.
203
Philippe Mioche, op.cit., p.136. Dans ses mémoires, Jean Monnet précise que Silbermann a été détaché du
Massachusetts Institute of Technology(M.I.T.) pour initier les planificateurs français, particulièrement les jeunes
gens les plus capables aux techniques statistiques américaines. Jean Monnet, Mémoires, p.327.
202
90
les moyens à employer pour obtenir des dirigeants qu‘ils prennent les décisions importantes et
exécutent les programmes204.
Depuis 1940, ils entretenaient une relation amicale. Cet économiste et statisticien avait
débuté sa carrière publique dans l‘administration du New Deal. Il joua un rôle très important
dès 1940, dans l‘organisation de la production de guerre. C‘est à ce moment qu‘il a
commencé à travailler avec Monnet et qu‘il est devenu son ami205 : « Je travaillais comme
économiste et statisticien sur le problème des besoins militaires américains. Nous tentions de
les définir et de planifier l‘effort de défense. C‘est dans ce travail que j‘ai rencontré Monnet,
qui était lui-même très impliqué dans tout ce programme de besoins militaires. Lorsque j‘ai
fait sa connaissance, la raison de son intérêt pour ces problème était très claire »206.
Lors de la chute de la France en juin 1940, Nathan quitta son poste d‘économiste dans le
département du Commerce, où il était chef de division du revenu national, pour devenir
directeur associé au Bureau de recherche et de statistiques de la Défense nationale
Commission consultative « the bureau of research and statistics of the National Defense
Advisory Commission ».207 Après la guerre, il entra en conflit avec l‘administration Truman.
En décembre 1945, R. Nathan démissionna de ses fonctions pour protester contre la politique
fiscale de H. Truman. Il fonda alors un bureau de consultations privées et il travailla dès 1946
sur les salaires et les prix pour « the Congress of Industrial Organization (CIO) ». En 1947, il
fonda « the American for Democratic Action, (ADA) ». Opposant à la politique
d‘Eisenhower, il sera conseiller économique de H. Humphrey puis de John F. Kennedy208.
Nathan arriva à Paris dès le mois d‘avril 1946, avant que le contrat avec Monnet n‘ait été
conclu. Tout de suite, il se mit à l‘œuvre avec l‘énergie et la force de travail dont il était
capable. Il avait alors pour mission de consulter et de donner son avis sur le travail du
Commissariat. Son travail sur le Plan Monnet s‘inspira de son expérience. Il était donc un de
204
Douglas Brinkley and Clifford Hackett (ed.), Jean Monnet : the path to European unity, Basingstoke (GB) :
Macmillan, 1991, p.198.
205
Philippe Mioche, op.cit., p.136.
206
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de Robert Nathan par Leonard Tennyson, (18.12.81)
207
Son nouveau travail était de recueillir des informations sur des besoins militaires et d‘analyser la capacité
productive de l'économie, avec l'accent sur les matières premières, les machines et équipements. Son objectif :
déterminer quels goulets d'étranglement seraient rencontrés et quels éléments essentiels seraient nécessaires si la
mobilisation devenait nécessaire. Cette analyse des exigences de matériaux indispensables dans le cadre du
concept d'un plein-emploi ont entraîné d'importants investissements dans de nouvelles installations, et augmenté
leurs stocks de matériaux venant de l'étranger tel le caoutchouc, le nickel et les alliages d'acier. Brinkley Douglas
and Hackett Clifford (ed.), op.cit., p.198.
208
Philippe Mioche, op.cit., p.136.
91
ceux avec qui Jean Monnet avait pu évoquer ses projets au cours de la guerre : « La nécessité
de la coordination de la politique dans les sphères dirigeantes a été la plus importante des
leçons que nous avons apprises pendant le « New Deal » et pendant la guerre. Plus encore, cet
objectif n‘a jamais été atteint par le « New Deal » mais seulement plus tard durant l‘année
1943 lorsque Byrnes a été nommé Directeur de la mobilisation de guerre »209.
Ainsi, Nathan a expliqué comment l'expérience américaine de mobiliser son économie de
guerre pouvait être appliquée aux objectifs français de rénovation et la reconstruction. « [...]
Many of the devices and techniques, used by the U.S. during the war, might be applicable.
Increased interest is needed among the people on the importance of overcoming the inflation.
Management must be stimulated to strive for modernization and be willing to make new
investments [...] »210
Dans les longs documents qu‘il donna à Monnet en 1946, Nathan commenta les objectifs
généraux du projet de plan. Il souligna qu‘il était nécessaire de développer un plan sur 5 ans
;« It is appropriate to concentrate the efforts of the Commissariat au Plan on the preparation of
a sound and constructive program for the next five years ».211 La réalisation des objectifs
dépendrait dans une large mesure de la vitesse et de la portée des mesures prises pendant 12
mois. Des mesures immédiates, avait-il dit, doivent être prises afin d'augmenter la production
de charbon, des produits agricoles, de la construction, de l‘acier et de juguler l'inflation212.
Le 6 août 1946, Jean Monnet engagea R. Nathan comme consultant du Commissariat.
Alors Nathan dut faire un séjour de longue durée à Paris, pour aider à l‘intégration et à la
coordination du travail du Commissariat ainsi qu‘à la préparation du plan dans sa forme
finale. Il prit la responsabilité de faire des « critiques constructives » et des propositions sur la
totalité du travail du Commissariat.
Certains des rapports rédigés par R. Nathan étaient destinés uniquement à Jean Monnet.
En répétant les méthodes utilisées durant la guerre, Nathan soulignait la nécessité d'avoir des
objectifs réalisables. Il soulignait aussi que pour être solide, un plan doit être fondé sur des
estimations réalistes et objectives213. En outre, il mit au point des lois sur le travail. La Maind‘œuvre était le plus important facteur pour l'expansion de l'économie française. Donc, il
209
FJME AMF 5/3/9 : commentaires généraux sur les tableaux et sur les rapports pour le plan, (06.08.46)
FJME AMF 5/3/5 : Programme of action, (30.04.46)
211
FJME AMF 5/3/5 : Programme of action, (30.04.46)
212
FJME AMF 5/3/5 : Programme of action, (30.04.46)
213
FJME AMF 5/3/17 : Broad philosophy and General Objectives of the Plan, (16.08.46)
210
92
soutint que le gouvernement français devait réglementer le travail dans les zones économiques
importantes pour le pays, augmenter la durée de la semaine de travail à 48 heures214. Il a
également souligné l'importance des politiques fiscales et de la nécessité des efforts pour
réduire les dépenses gouvernementales et équilibrer le budget de façon à contrôler l'inflation.
Jean Monnet et Robert Nathan avaient la même idée concernant l‘inflation. C‘est sur ce
thème que porta la principale critique de R. Nathan. Il estimait que la demande réelle et la
demande différée seraient supérieures à l‘augmentation de la production. C‘est pourquoi il
prévit , « une forte poussée inflationniste durant la plupart de la période couverte par le
Plan»215. Jusqu‘à l‘été, en fait, Monnet n‘accorda pas une importance prioritaire à ce péril
inflationniste déjà sensible. Puis convaincu par Nathan, il n‘était plus systématiquement
contre. Tant que les importations seraient en fort excédent par rapport aux exportations,
l‘inflation intérieure ne serait pas un très grand mal. Pour la réalisation du plan, une inflation
galopante serait évidemment catastrophique, mais une inflation modérée constituerait
finalement un facteur positif. En d‘autres termes, pour R. Nathan, puis pour Jean Monnet, une
inflation mesurée était un facteur positif de la réalisation du plan.
Monnet et ses collègues ont intégré de nombreuses idées de Nathan dans leur plan. En
associant étroitement un responsable américain à l‘élaboration du Plan, J. Monnet manifesta
une grande confiance en R. Nathan. Ces rapports ne sont pas négligeables parce qu‘ils
illustrent le regard d‘une certaine Amérique, celle du New Deal sur la France. Alors, on put
mesurer l‘influence réelle des travaux de R. Nathan sur la réflexion de Monnet surtout mais
aussi des hommes politiques français. Ils ont suivi ses conseils et fait en sorte que le
Commissariat général du plan dirige les opérations alors que initialement la mise en place du
plan devait revenir aux ministères et aux représentants des syndicats et de l‘industrie.
Bien que Nathan vit rarement Jean Monnet après 1946, il avait fortement influencé sa vie
intellectuelle et personnelle. Quant à Nathan, il admirait véritablement la personnalité de
Monnet qui apprenait sans cesse aux autres, qui ne convoitait pas d‘avantages politiques pour
lui, et qui était un étonnant stratège, apportant des solutions pratiques aux problèmes
difficiles. Parlant de la vie de Monnet, Nathan a témoigné : « je n'ai pas été surpris par le
succès phénoménal du rôle joué par Monnet dans la création et mise en œuvre de la
Communauté européenne car il a souvent parlé de la nécessité de prévenir une autre guerre. Il
214
215
FJME AMF 5/3/10 : General comments on Manpower, (07.08.46)
Philippe Mioche, op.cit., p.139.
93
a exprimé sa détresse que la Seconde Guerre survint si étroitement après la Première Guerre.
Même s'il était totalement et profondément impliqué dans la mobilisation de la guerre
mondiale, il a vu venir la réhabilitation de l'économie française et une solution pacifique et
prospère : la Communauté européenne. Il révèle sa vision, sa stratégie et sa performance» Et
puis, Nathan a conclu : « Monnet était vraiment un héros méconnu de la Seconde Guerre
mondiale »216.
En s‘associant étroitement avec Nathan, Monnet développa et testa ses idées. Aussi, on
peut conclure que ces rapports illustrent le résultat d‘échange des points de vue entre eux,
comme en témoigne de Nathan : « Nous passions des heures ensemble; j‘allais chez lui à
Foxhall Road, et nous prenions souvent notre petit déjeuner ensemble; ensuite il m‘emmenait
pour une promenade dans Rock Creek Park, qu‘il appelait ―son‖ bois. Il se levait le matin et il
allait faire une grande marche dans les bois. Il marchait comme un fou. L‘homme était petit,
mais il fallait se hâter pour le suivre. Et ensuite nous rentrions, et il parlait tout le temps, avec
cette petite étincelle dans le regard. Il adorait lancer des idées pour les tester»217.
216
217
Douglas Brinkley and Clifford Hackett (ed.), op.cit., pp.203-204.
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de Robert Nathan par Leonard Tennyson, (18.12.81)
94
Chapitre3 : Les premiers conflits en Europe dus au Plan
Marshall (1947)
«Europe exists between the two greater powers of
the East and West. Each is inordinately sensitive to
strategic changes in the European balance of
power. The political disorganization of Europe is
the most menacing of all the threats to peace»
218
.
À compter de 1945, la puissance ne résidait plus en Europe : les nouvelles puissances, les
vrais vainqueurs de la guerre étaient les États-Unis et l‘URSS. Le traumatisme de la seconde
guerre incita les Alliés à davantage de solidarité et de stabilité pour assurer durablement la
paix dans le monde. Aussi, créèrent-ils un organisme international pour protéger cette paix
fragile : la Société Des Nations (SDN) en 1945 et qui se transformera en Organisation des
Nations Unis (ONU) en 1948. Malheureusement toutes ces bonnes résolutions disparurent
instantanément avec la belle et grande alliance américano-soviétique. La tension et le conflit
prirent définitivement le pas sur les honnêtes promesses des dirigeants politiques : la guerre
froide avait commencée.
Les alliés avaient perdu confiance entre eux : la volonté de Staline de constituer « un
glacis » autour de l‘Union soviétique était évident. En Pologne, l‘influence soviétique et
marxiste éliminait systématiquement l‘influence occidentale, ce qui provoqua les premières
frictions graves entre Moscou, Washington et Londres219. Au cours de la même année 1945,
l‘ambassadeur américain à Moscou, George kennan souligna dans un rapport, que le premier
impératif de la diplomatique américaine à l‘égard de l‘Union soviétique devait être : « de
contenir avec patience, fermeté et vigilance les tendances à l‘expansion de l‘URSS ».
218
FJME AMF 23/4/176 : ―An American view of Britain‖, Article de E.V. Rostow (Professeur de droit à Yale
University), (17.03.47)
219
Maurice Vaïsse, Les relations internationales depuis 1945, Paris, Armand Colin, 1996, p.14.
95
Contrairement à James Bynes, qui, quand, il était secrétaire d‘État, était au moins favorable à
la poursuite des négociations avec les Soviétiques. Le général Marshall, ancien commandant
en chef des troupes américaines en Chine, fut nommé le 9 janvier 1947. Et ce dernier n‘était
plus enclin à tolérer ces négociations. Un mois après son entrée en fonction comme secrétaire
d‘État, il constata que « le monde était dans un état très critique ». Pour confirmation,
quelques mois après la victoire suffirent aux vainqueurs de la guerre pour se désunir
joyeusement. Ils avaient échoué dans leur tâche à bâtir un monde nouveau. Et l‘Europe n‘était
pas le seul terrain de confrontation.
Dans ce contexte de confrontation entre l‘Est et l‘Ouest, l‘attitude des États-Unis face à
l‘unification de l‘Europe se modifia sensiblement à partir de 1947. Une Europe occidentale
amie et alliée des États-Unis semblait être le contrepoids idéal à une Europe orientale sous
tutelle soviétique. Et cette Europe occidentale devait avoir le maximum de cohésion possible
pour constituer une barrière efficace contre le communisme. On peut souvent voir à partir de
1947, Washington intervenir en faveur de l‘Europe unie en exerçant des pressions sur les
hommes politiques européens ou par des encouragements marqués aux mouvements de
promotion d‘une idée européenne.
Dans ce chapitre, nous allons voir les idées ou les rêves des États-Unis à l‘heure de son
intervention pour la reconstruction de l‘Europe. Aussi, seront traités les problématiques de
l‘influence des États-Unis sur l‘intégration européenne à travers l‘aide économique
américaine ainsi que le pragmatisme de la politique étrangère menée par les États-Unis, au
sortir de la guerre.
96
Le changement de la politique étrangère de Truman et l’unification
européenne.
Pourquoi un tel abandon des traditions isolationnistes américaines ?
Le changement dans le comportement diplomatique faisait suite à l‘acceptation de deux
idées émises par le gouvernement américain, ainsi que par le peuple : une plus grande
implication militaire dans les conflits mondiaux afin d‘assurer une sécurité des États-Unis
accrue et le maintien d‘équilibre des pouvoirs sur le contient eurasien (et en particulier en
Europe).
En fait, depuis l‘été 1944, la méfiance allait croissant. Les points de vue respectifs
divergeaient et il devenait de plus en plus difficile d‘éviter les désaccords 220. Finalement, au
retour de la Conférence de Yalta, en 1945, Roosevelt déclara au Congrès américain que le
monde était entré dans une nouvelle ère et qu‘on en avait fini avec les sphères d‘influence,
l‘équilibre des puissances et autres expédients. Le secrétaire d‘État, Cordell Hull, et le
conseiller du président, Harry Hopkins tinrent le même discours221. Le danger que Roosevelt
avait redouté s‘était, en effet, largement concrétisé après Yalta : la division de l‘Europe et
celle de l‘Allemagne avaient mis en danger tout le système que les Américains avaient
imaginé.
Concernant la sécurité militaire de la nation, il y eut un bouleversement des mentalités en
1946 selon l‘analyse de Walt W. Rostow : «American thinking about the military security of
the nation has been successively altered in the past six years by the Crisis in the West of
1940-1941 ; the attack on Pearl Harbor in December 1941 ; and then by the dropping of the
atom bomb on Hiroshima in August 1945»222.
220
Ceci devint manifeste à l‘occasion de la conférence monétaire mondiale de Bretton Woods (1944), comme
lors de la conférence préparatoire des Nations unies de Dumbarton Oaks (1944), de la conférence de
Crimée(1945), de la conférence de San Francisco du printemps d‘intensité et des centres de gravité
géographiques différents, « la guerre froide » avait déjà commencé. Wolf D. Grüner, « La place de l‘Allemagne
dans l‘Europe d‘après-guerre selon Jean Monnet (1940-1952) », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la
dir.), op.cit., pp.126-127
221
David Charles-Philippe, Balthazar Louis, Vaïsse Justin, op.cit., p.87.
222
FJME AMF 23/4/198 : ―The American diplomatic revolution‖, Article de Walt W. Rostow, (12.11.46)
97
Après la seconde guerre mondiale, la priorité aux États-Unis, en matière de politique
étrangère, était de préserver le mode de vie américain en renonçant à une guerre militaire avec
l‘Union soviétique, comme l‘explique Rostow : « There is a sense in which the foreign policy
of the United States is now mainly concerned to secure the political rather than the military
security of the country- in a comfortable phrase, to protect the American Way of life. The
realization has grown that in defense of the American national interest the United States may
or may not face a military war with Soviet Union. ; it certainly faces a conflict of political and
economic conception and, broadly, of political influence »223. C‘est autour de ces questions de
préservation des valeurs américaines que s‘articulaient les débats de politique étrangère.
Dès le printemps 1946, dans les projets que les dirigeants américains avaient établis,
figurait une « unification » économique de l‘Europe. Comme Rostow devait plus tard le noter,
il s‘agissait de l‘idéologie de l‘union européenne: « L‘idée politique contemporaine la plus
prometteuse en Europe est celle d‘une union européenne. Elle est le germe de programme que
les Russes et nous-mêmes pourrions suivre et approuver ensemble comme alternative
pacifique à une querelle permanente quant aux affiliations idéologiques de la Pologne, de la
Roumanie, de la Grèce ou de l‘Allemagne »224.
Très vite, le problème préoccupa Harry Truman. S‘adressant à Stimson le 16 mai, il lui
expliqua : « Le problème était d‘aider à unifier l‘Europe en liant le grenier à nourriture avec
les centres industriels grâce à un flux libre du commerce »225. Cette idée devait être à la base
de sa proposition d‘internationalisation des voies d‘eau européennes. En fait, il conçut une
politique moins idéalisée et fondée davantage sur le principe de réalité. Dans le discours
solennel au Congrès, du 12 mars 1947, qui établit la doctrine Truman : « L‘un des premiers
objectifs de la politique étrangère des États-Unis est la création de conditions qui nous
permettront d‘élaborer, avec d‘autres nations, un mode de vie exempt de toute contrainte »226.
En fait, les projets américains concernant l‘union de l‘Europe étaient antérieurs à 1944.
Plusieurs témoignages décrivaient déjà le penchant messianique des élites américaines et leurs
223
FJME AMF 23/4/198 : ―The American diplomatic revolution‖, Article de Walt W. Rostow, (12.11.46)
Walt W. Rostow, « The partition of Germany and the Unity of Europe » in Virginia Quarterly Review, vol.
ⅩⅩⅢ, n. 1 p. 21, cité par Pierre Mélandri, « le rôle de l‘unification européenne dans la politique extérieure des
États-Unis 1948-1950. » in Raymond Poidevin, Histoire des Débuts de la Construction européenne (mars 1948mai 1950); Actes du colloque de strasbours28-30 nov. 1984, Bruylant/Bruxelles, Giuffrè/Millano,
L.G.D.J./Paris, Momos Verlag/Baden, 1986, p.28.
225
Harry S. Truman, Memoirs. 1945, Year of Decisions, New York, The New American Library, 1965, p.263.
226
David Charles-Philippe, Balthazar Louis, Vaïsse Justin, op.cit., p.87.
224
98
goûts prononcés pour la défense de leurs intérêts économiques : par exemple, la
« Commission pour une paix juste et durable » de John Foster Dulles en 1941, ou encore le
partage de l‘Europe en « sphères d‘influence » pendant les années 1942-1943, proposé par
Cordell Hull, le secrétaire d‘État à l‘administrative Roosevelt.
Toutefois, la motivation première du soutien américain à la question de l‘Union
européenne était essentiellement liée à la montée de la menace soviétique. L‘Europe devait se
développer à marche forcée et la politique extérieure des États-Unis s‘orienta définitivement
vers l‘atlantisme pour la préservation de sa sécurité. Pour l‘administration Truman, le
développement d‘une supranationalité en Europe apparaissait nécessaire devant les nécessités
géopolitiques inhérentes à la confrontation. Cela constitua une étape essentielle de l‘évolution
du système international, tel qu‘ils avaient pu l‘imaginer dès la fin de la guerre en inventant
des structures de coordination internationale nouvelles, telles que l‘ONU ou le GATT227.
En outre, une partie de l‘élite américaine était convaincue de l‘universalité de ses valeurs,
et considérait comme indispensable que l‘Europe s‘y rallie et s‘oriente vers le
supranationalisme. Aussi en mars 1947, les sénateurs William Fullbright et Elbert Thomas,
associés au représentant Hale Boggs, déposèrent une résolution devant le Congrès, appelant à
« favoriser la création des États-Unis d‘Europe, dans le cadre des Nations Unies ». Elle
illustrait l‘état d‘esprit qui animait les élites américaines, lorsque les nouvelles conditions des
relations internationales amenèrent les États-Unis à s‘engager sur le contient européen sur les
plans politique et économique, avec la doctrine Truman et le Plan Marshall228.
À l‘heure de la crise de la Grèce et de la Turquie, c‘est dans ces pays, disait en effet
Truman, que se livre un combat idéologique à dimension globale entre deux systèmes, l‘un
totalitaire et l‘autre démocratique. Truman affirmait que ce combat ne pouvait pas être évité,
et que l‘action américaine devait viser à « aider les peuples libres à maintenir leurs institutions
et leur intégrité nationale contre des mouvements agressifs qui chercheraient à leur imposer
des régimes politiques totalitaires ». Avec le discours du 12 mars 1947, une page de l‘histoire
américaine était tournée Désormais, selon « la doctrine Truman », les États-Unis avait le
devoir de sortir de leur isolationnisme pour faire face à l‘agressivité et la belligérance de
l‘URSS : la politique de l‘endiguement était lancée !
227
Nicolas Vaicbourdt, « les ambitions américaines pour l‘Europe, 1945-1960 », in Gérard Bossuat et Nicolas
Vaicbourdt (ed.), op.cit., p.18.
228
Nicolas Vaicbourdt, « les ambitions américaines pour l‘Europe, 1945-1960 », in Gérard Bossuat et Nicolas
Vaicbourdt, (ed.), ibid., pp.18-19.
99
Et pour soutenir cette politique du « containment », la création d‘une organisation
régionale de l‘Europe occidentale avait germé dans l‘esprit de l‘élite américaine. Alors, tout
au long de l‘été 1947, les diplomates américains répétèrent sans cesse aux Européens
rassemblés à Paris, la nécessité de gestes concrets de «coopération » et d‘ « unification»
européenne : ce fut le début du Plan Marshall. La concrétisation de la stratégie d‘endiguement
nécessitait une Europe intégrée, aussi bien économiquement que politiquement pour faire face
à la montée de la puissance soviétique229. Ainsi, Truman franchit le pas qui séparait son pays
de l‘isolationnisme traditionnel à la gestion du monde occidental.
De quoi rêvent les hauts fonctionnaires américains à propos de l’Europe
au lendemain de la guerre ?
Dans cette section, nous allons éclaircir le rêve d‘Europe des hauts fonctionnaires
américains au lendemain de la guerre : l‘objectif sera ici de dévoiler les causes premières de la
décision américaine d‘aider l‘Europe.
Selon Bruce Jentleson, quatre objectifs essentiels sont à considérer pour comprendre la
politique étrangère des États-Unis : « La puissance, la paix, la prospérité et les principes »230.
La puissance
La notion de puissance est le fondement de la politique étrangère des Etats-Unis : elle
représente l‘assise de l‘Etat, sa lutte constante pour la préservation de sa souveraineté
politique et territoriale. Elle définit le système international, encore passablement anarchique,
en termes de rapports de force et d‘usage de la force au besoin. La promotion de l‘intérêt
national passe donc, en premier lieu, par l‘affirmation de la puissance des États-Unis.
229
Nicolas Vaicbourdt, « les ambitions américaines pour l‘Europe, 1945-1960 », in Gérard Bossuat et Nicolas
Vaicbourdt, (ed.), ibid.,p.20.
230
Bruce W. Jentleson, American Foreign Policy : The Dynamics of choice in the 21st Century, New York,
Londres, W.W. Norton, 2000, p.10-18.
100
La paix
La paix doit être ici entendue au sens d‘une recherche rationnelle d‘un ordre mondial, sans
doute animé par le leadership américain mais fondé sur la coopération, les partenariats et
l‘ouverture aux autres cultures. Cette quête de paix s‘appuie sur la création d‘institutions
internationales et d‘un corpus de normes internationales. Les États-Unis recherchent donc une
paix assise sur une coopération soutenue.
La prospérité
La recherche de la prospérité conduit à placer les questions économiques au centre de la
politique étrangère. Elle renvoie à la puissance capitaliste, à l‘expansion du commerce
international déjà envisagée à l‘époque de George Washington et à la recherche de profits
pour l‘économie américaine. Les États-Unis poursuivent donc directement un objectif
économique international.
Les principes (ou les valeurs américaines)
Derrière les principes, se retrouve l‘ensemble des valeurs, des idées et des convictions
profondes que les États-Unis proclament comme les leurs. En effet, les Américains
considèrent ces principes comme appartenant au fondement même de leur nation. Directement
liée à l‘exception américaine : proclamation des principes qui entendent favoriser l‘expansion
de la démocratie dans le monde, respect accru des droits de la personne et résolution des
conflits entre les États, même au niveau intra-étatique. Les États-Unis cherchent à asseoir une
paix démocratique conforme à la lecture de leur propre destinée.
En résumé, les principes de la nouvelle politique extérieure américaine sont simples,
comme le dit Bruce Jentleson : C‘est le maintien de la paix, la diffusion de la prospérité et
l‘extension progressive du modèle américain pour garantir la puissance américaine.
Pour la puissance des États-Unis, les hauts fonctionnaires et l‘administration américaine
ont élaboré une arme d‘expansion redoutable : l‘« arme économique». Cependant, comment
l‘ont-ils politiquement construite ? À n‘en pas douter, cette élaboration touche à des questions
politiques graves et se prête donc à des affrontements idéologiques virulents.
101
Deux ans après la fin de la guerre, l‘Europe marquait réellement le pas. Les problèmes s‘y
multipliaient. Depuis le début de l‘année 1946, tous les observateurs étaient conscients qu‘une
grave rupture idéologique et territoriale allait se produire dans le monde : l‘Europe allait être
scindée en deux. La Grèce et la Turquie, après l‘Europe centrale, paraissaient en danger
devant l‘expansion soviétique. Des troubles secouèrent la Turquie directement menacée par
les visées de Moscou sur les détroits de la mer Noire et sur les districts frontaliers de Kars et
d‘Arda Han. En juillet 1946, Molotov, ministre soviétique des Affaires étrangères, avait
proposé à Ankara de réserver aux seules nations riveraines de la mer Noire le passage du
détroit des Dardanelles. Le Kremlin se proposait même d‘exercer un contrôle conjoint avec la
Turquie. En Grèce, depuis 1946, des maquis communistes s‘opposaient au gouvernement
royaliste d‘Athènes soutenu à l‘époque par les Britanniques (avec 40 000 hommes sur place).
Le 24 février 1947, l‘ambassadeur britannique à Washington informa le Département d’État
que les troupes britanniques seraient prochainement retirées de Grèce231. Aussitôt, Truman vit
poindre la menace d‘une nouvelle expansion soviétique et de l‘idéologie communiste en
Europe. Il n‘hésita pas à manifester sa désapprobation. Aussi, le 12 mars 1947, il déclara au
Congrès que les États-Unis étaient prêts à prendre le relais des Britanniques en Grèce et en
Turquie et demanda au congrès de voter des crédits pour cette opération : « Le moment est
venu de ranger les États-Unis d‘Amérique dans le camp et à la tête du monde libre »232.
Le même jour s‘ouvrait à Moscou la très houleuse conférence des quatre vainqueurs de la
guerre. Pendant tout un mois, Marshall, Bevin et Bidault s‘affrontèrent avec Molotov sur
presque tous les points relatifs à la paix, et particulièrement au sujet de l‘Allemagne. Quand
Marshall revint à Washington, il comprit qu‘il n‘y aurait plus d‘accord possible avec l‘URSS
de Staline et que la « guerre froide » était dorénavant engagée. Marshall demanda alors à
Kennan, le 27 avril, de créer un « Policy Planning Staff (PPS) » destiné à élaborer un plan de
redressement en Europe. Kennan était entouré de Joseph E. Johnson, de Ware Adams, de
Jacques J. Reinstein et de Carlton Savage233 pour mener à bien cette entreprise.
La situation politique de l‘Europe de l‘ouest préoccupait grandement ces hauts
fonctionnaires. Connu comme étant expert de la Russe et de l‘Union soviétique, George
Kennan tira très vite la sonnette d‘alarme. Il fit alors une proposition en ce sens le 23 mai
231
Maurice Vaïsse, op.cit., p.17.
Maurice Vaïsse, ibid.
233
Pierre Mélandri, op.cit., pp.92-93.
232
102
1946. Et l‘aide qu‘il préconisait était essentiellement une aide financière et économique aux
pays libres d‘Europe occidentale234 car d‘après Gérard Bossuat, « Kennan ne souhaitait pas
donner une aide dont l‘objectif serait le combat contre les communistes, mais pour la
restauration de l‘économie et de la société en Europe, et d‘éviter ainsi qu‘elle soit victime
d‘un quelconque totalitarisme ». Le principal était de lever quelques goulots d‘étranglement
dans les économies ouest-européennes à travers la proposition d‘un programme commun, en
coordination avec l‘Europe235.
Et c‘est dans ce contexte de tension que les conditions de « la doctrine Truman » furent
définies le 12 mars 1947. Devant un Congrès redevenu isolationniste, Truman demanda des
crédits et des armes pour la Grèce et la Turquie, et proclama : « Nous devons entreprendre
une action immédiate et résolue. Notre devoir est d‘aider les peuples libres à travailler à leur
propre destinée, selon leur propre voie. Je crois que notre aide doit être d‘abord économique
et financière, essentielle à la stabilité économique et à l‘ordre politique ». La doctrine Truman
avait une portée générale et signifiait que les États-Unis empêcheraient que l‘Europe ne devînt
une zone de dépression à la merci du communisme236. La logique d‘une telle doctrine avait
été offerte à Truman, quelques mois plus tôt, par George Kennan, qui dans le cadre d‘un câble
diplomatique depuis l‘ambassade américaine à Moscou, recommandait aux États-Unis de
poursuivre une stratégie d‘endiguement (containment), c‘est-à-dire l‘application de
contrepoids qui équilibreraient les manœuvres expansionnistes des Soviétiques237.
L‘analyse de Kennan rejoignait les thèses de « l‘école de Riga », ainsi nommée, pour avoir
hébergé les premiers diplomates américains chargés de suivre et d‘analyser l‘évolution des
politiques soviétiques, dans la capitale lettonne pendant l‘entre-deux guerres. Cependant,
Kennan n‘avait nullement l‘intention de poursuivre outre mesure des thèses qui, devait-il
expliquer plus tard, n‘avaient, dans son esprit, aucune implication globale puisqu‘il voulait
234
FRUS Ⅲ, 1947, 840.50 Recovery/5-2347, the director of the Policy Planing Staff (Kennan) to the Under
secretary of State(Acheson) secret. Washington, May 23, 1947, in Gérard Bossuat, ―Aux origines du Plan
Marshall‖, HES, 1999 (18 e année, n 2), p.280.
235
Gérard Bossuat, ―Aux origines du Plan Marshall‖, ibid.
236
Jean Monnet, Mémoires, p.382.
237
Les thèses de Kennan fut préparées de Moscou pour le secrétaire de la Défense James Forrestal. Elle devaient
être rendues publiques par le Foreign Affairs en juillet 1947, « Sources of Soviet Conduct ». La meilleur critique
de ces thèses reste encore celle développée à l‘époque par Walt Lippmann dans une série d‘éditoriaux écrits pour
le New York Herald Trubune. Simon Serfaty, La politique étrangère des États-Unis de Truman à Reagan : les
années difficiles, Presses universitaires de France, 1984, p.26.
103
limiter ces « contrepoids » aux seules régions d‘importance vitale aux intérêts américains238, à
savoir l‘Europe occidentale.
La thèse de Kennan était très largement partagée par les hauts fonctionnaires américains,
comme l‘explique Jean Monnet dans ses Mémoires : « le phénomène dont il avait été témoin
quelques années plus tôt à Washington de la maturation intensive d‘une idée au sein d‘un petit
groupe d‘hommes, idée qui, au moment choisi par l‘exécutif, déboucha sur une action
vigoureuse. Cette fois-ci, l‘affaire fut menée entre cinq ou six personnes dans un secret total et
avec une rapidité fulgurante. Marshall, Acheson, Clayton, Harriman, Kennan conçurent une
proposition d‘une ampleur et d‘une générosité sans précédent »239.
Dans l‘immédiat, le Président Harry Truman énonça la doctrine du « containment » devant
le Congrès en mars 1947 puis accepta l‘idée d‘un plan destiné à redresser les économies
ouest-européennes. En outre, un instrument de contrôle de l‘adversaire et des partenaires fut
installé par la CIA pour accompagner cette politique240. Dans son essence, ce document offrait
une explication simplifiée de la menace soviétique ( telle qu‘elle s‘était précisée depuis la fin
de la guerre ) et en réponse à cette menace, im prévoyait un programme démesurément
systématique et de beaucoup supérieur à ce qu‘avait prévu George kennan241. Il était évident
que Truman défendait en priorité l‘intérêt national américain dans lequel toute agression,
directe ou indirecte, aurait été perçue comme une atteinte « aux fondations de la paix
internationale et en conséquence à la sécurité des États-Unis ». C‘est-à-dire que l‘essentiel du
soutien américain n‘était pas la construction de l‘unité européenne. Mais l‘unification
européenne était un moyen utilisé par les États-Unis pour augmenter leur influence dans les
affaires européennes et internationales. En outre, structurer l‘unité européenne était également
la possibilité d‘assurer et de maintenir une sécurité militaire et économique face au danger
soviétique pour les États-Unis, in fine. Aussi, en matière de politique étrangère, la véritable
signification du plan Marshall était la sécurité collective (politique de l‘endiguement) face à la
montée du communisme (territorialement et/ou idéologiquement).
Pour les hauts fonctionnaires américains l‘unité européenne avait pour objectif principal la
défense idéologique des valeurs et du mode de vie américain et par extension de l‘identité
occidentale. Par exemple, Kennan prônait une aide exclusivement ouest-européenne.
238
Simon Serfaty, ibid., p. 27.
Jean Monnet, Mémoires, p.383.
240
Durandin Catherine, Les États-Unis, grande puissance européenne, Paris, Armand Colin, 2004. p.7.
241
Simon Serfaty, op.cit., p. 27
239
104
W. Averell Harriman, le futur responsable de l‘ECA Europe, pensait de même car dès la
réunion du 25 octobre 1947, rassemblant les délégués européens, il dit que « la coupure de
l‘Europe est ouverte. Il faut comprendre que le plan Marshall aura deux objectifs : la
reconstruction économique, mais aussi la défense d‘une certaine forme de civilisation qui
nous est commune »242. Puis, il réitéra les mêmes propos lors d‘un entretien réalisé en 1971 :
« I was anxious that it shouldn‘t be just customs union—a customs union which would
exclude the United States. I wanted to see more fundamental understandings about greater
integration than simply a customs union. That I think is happening, although some people call
European integration more of a customs union that I do. I think it‘s more fundamental. The
military aspects are also very important » 243..
En cela, il mit l‘accent sur deux idées importantes pour le plan Marshall : la première étant
l‘aide économique, la seconde, une aide militaire. Alors que Paul Hoffman, administrateur de
l‘ECA, voulait limiter l‘aide à l‘objectif économique seulement : « […] So I went into the
Marshall Plan with the idea that both economic and military considerations had to be taken
into account. This is one of the differences I had with Paul Hoffman. He wanted to limit it to
economic goals alone, and I was very keen to see the NATO treaty become more of a reality,
remembering this experience in the inter-war period. Now that isn‘t an answer directly to your
question, but it does show that we looked upon military integration and economic integration
as supporting as other »244. Telle était l‘idée de Paul Hoffman : « Speaking personally, I
thought that union would first come along economic lines and that some degree of political
union was certain to follow. The reason for economic union was compelling »245, une idée
qu‘il partageait avec John Foster Dulles . En effet, pour lui, l‘unité européenne était, d‘abord,
celle d‘une unité économique. : « […] I greatly hope that something can be done toward
achieving a greater degree of economic unity in Europe, which I assume involves not only
dealing with customs barriers, but with unconvertible currencies. The task is a hard one, but
one which all of your friends here feel you are uniquely qualified to lead to a successful
conclusion »246. Cette vision était également partagée par Jean Monnet. Monnet écrit en ce
242
CE46, Bonnet 25 octobre 1947, 20h 30, 3242-46, cité par Gérard Bossuat, (voir bibl. n 43), op.cit., p,152.
Harry S. Truman Library, Oral History Interviews de W. Averell Harriman, 1971.
244
Harry S. Truman Library, oral History Interviews de W. Averell Harriman, 1971.
245
HST 70, Harry S Truman Library, oral History Interviews, Interview de Paul G. Hoffman, (25.10.64)
246
P-SML 10, Princeton-Seeley Mudd Library, John Foster Dulles Papers (Correspondence-JM) 1947-Box 32 :
Letter (John Foster Dulles to Jean Monnet), (22.08.47)
243
105
terme dans ces Mémoires : « […] dès maintenant l‘établissement de bases communes de
développement économique doit être la première étape de l‘union franco-allemande »247
Aussi, partageant pleinement les mêmes idées avec Monnet, John Foster Dulles soutint
grandement Monnet et Schuman dans la préparation de leurs plans respectifs. C. Douglas
Dillon dit à ce sujet: « I think that the fact that this European unity concept was still kept, but
transferred to the economic field, satisfied Mr. Dulles. This would be the way to work toward
European unity. I think it satisfied Chancellor Adenauer. They then concentrated on that. Of
course, Mr. Dulles was a very close friend all his life of Jean Monnet, who was so interested
in this economic field, in the Common Market field »248.
La convergence des points de vue des hauts fonctionnaires quant à la nécessité de faire
l‘unité européenne, acheva de persuader Marshall et son assistant Acheson de poursuivre leur
entreprise. Pour les Américains, la proposition Marshall était l‘occasion d‘inciter les
Européens à coopérer entre eux. Ils souhaitaient créer les conditions politiques et sociales de
l‘émergence d‘institutions libres et puissantes capables de contribuer efficacement à
l‘endiguement du communisme. En outre, les hauts fonctionnaires voulaient régler le
problème européen dans son ensemble, sa globalité. Aussi, en proposant un programme
commun Europe-États-Unis, ils souhaitaient lever plusieurs goulots d‘étranglement dans les
économies ouest-européennes afin de contribuer à l‘édification d‘une l‘Europe idéalisée,
d‘une Europe occidentale partageant des valeurs universelles américaines, de liberté et de
démocratie. Rêve que Monnet partageait pleinement.
Dialogue entre Jean Monnet et les élites américaines durant le Plan
Marshall.
Dans cette section, nous souhaitons analyser les niveaux de dialogue entre Jean Monnet et
les élites américaines politiques, à l‘heure du Plan Marshall. Toutefois, nous nous bornerons,
ici, à comparer les représentations de Monnet et celles de ses correspondants américains afin
247
248
Jean Monnet, Mémoires, p.427.
JFD oral history project C. Douglas Dillon, (24.06.65)
106
de mesurer, d‘estimer leur degré de concordance quant à l‘unité européenne et le règlement du
problème soviétique.
Le 5 juin 1947, le général Marshall fit un discours à Harvard à l‘occasion du
« Commencement Day » de l‘université sur le thème de l‘inauguration d‘un nouveau type de
relations internationales : « Aider les autres à s‘aider eux-mêmes ». C‘est ainsi qu‘il proposa
aux pays menacés d‘Europe, le plan qui, pour l‘histoire, portera son nom 249. Cependant nous
nous interrogeons ici sur ce que voulait réellement dire Marshall, ce jour-là.
Monnet a expliqué dans ses Mémoires, qu‘à ce moment-là, Marshall ne pouvait pas
demander à ses compatriotes de nouveaux sacrifices pour l‘Europe à nouveau en perdition
devant un auditoire acquis à la cause de l‘isolationnisme. Ou du moins devait-il introduire une
idée neuve et créatrice. Monnet rapporte ainsi l‘idée de Marshall dans ses Mémoires : «Je
pense que l‘initiative doit venir d‘Europe, dit-il. Le rôle de l‘Amérique ne consiste qu‘à offrir
une aide amicale pour l‘établissement d‘un programme européen et à donner ensuite son
appui pour l‘exécution de ce programme dans la mesure où cela sera nécessaire.[…] Nous ne
pouvons plus faire du coup par coup, c‘est aux Européens de dire ce dont ils ont besoin»250.
Selon l‘historien américain Charles S. Maier, le général Marshall aurait été pragmatique ;
il s‘informait et écoutait mais refusait de dramatiser la situation et de prendre des mesures trop
hâtives251. John J. Mac Cloy renforce cette idée en déclarant que Marshall ne pouvait
concrétiser son plan seul, aussi eut-il eu recours à Dean Acheson : « George Marshall was, in
spite of the fact that he was a soldier, a statesman of very high order. He may not have alone
conceived of the idea of the Marshall Plan, but in combination with Dean Acheson he did and
he was capable of carrying the movement on and giving it the force and dynamism that it later
developed. I recall now a number of occasions when Marshall, as I was about to say, comes as
close as any man of that period to touching the mantle of greatness »252.
Ce point de vue fut relayé par le secrétaire d‘État aux Affaires économiques, William
Clayton, de retour d‘un voyage en Europe, en rendant un rapport secret des plus alarmants :
« Il devint évident que nous avons gravement sous-estimé les destructions causées à
249
Éric Roussel, Jean Monnet, p.478.
Jean Monnet, Mémoires, pp.384-385.
251
Charles Maier, « Premises of the recovery program : Les présupposés économiques américains dans
l‘élaboration du Plan Marshall », in René Girault et Maurice Lévy-Leboyer, (sous la dir.), Le plan Marshall et le
relèvement économique de l’Europe, Colloque tenu à Bercy 21, 22, 23 mars 1991, le Comité pour l‘histoire
économique et financière de la France, Paris, 1993. p.39.
252
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de John J. Mac Cloy par Léonard Tennyson, (15.07.81)
250
107
l‘économie européenne par la guerre. Si le remède doit venir de l‘Europe elle-même, c‘est aux
États-Unis de fournir l‘aide au départ»253.
Ainsi, pour la première fois, la responsabilité de l‘effort était partagée mais Marshall
s‘était arrangé pour que l‘initiative paraisse venir d‘Europe. Elle fut donc invitée à se réunir
pour faire le bilan de ses ressources et de ses déficits. Le rôle de l‘Amérique était seulement
d‘offrir une aide amicale pour l‘établissement d‘un programme européen. Telle était l‘idée du
plan Marshall : « Ce programme doit être un programme commun, faisant l‘accord de la
plupart, sinon de la totalité des nations européennes »254.
À ce moment-là, fin juin 1947, Bevin et Bidault envoyèrent aussitôt une invitation à
Molotov, qui accepta de se rendre à Paris début juillet, accompagné d‘une suite de quatrevingts experts russes. Cependant ils refusèrent de s‘engager dans un programme contraire à la
souveraineté des nations. Molotov déclara qu‘il défendrait la souveraineté des États européens
contre l‘impérialisme américain et anglo-français sur l‘Europe. Aussi, ce refus entraîna celui
des satellites de l‘U.R.S.S. et creusa, au cœur de l‘Europe, une profonde fracture. Les
conséquences en furent immenses et durables, surtout auprès des seize pays qui se
retrouvèrent en juillet 1947 à Paris, à l‘invitation de la France et de la Grande-Bretagne255 :
«Cette coupure en deux de l‘Europe n‘était pas une condition de l‘aide américaine, mais une
conséquence des tensions entre Russes et Anglo-Saxons depuis deux ans. Elle donna une
coloration antisoviétique au plan Marshall», dit Gérard Bossuat256.
La France accepta immédiatement l‘aide, heureuse de pouvoir profiter d‘un plan de
modernisation et d‘équipement. Les dirigeants français se plaisaient à souligner que la France
«n‘avait pas perdu de vue la nécessité de concevoir son propre relèvement dans le cadre du
relèvement de toute l‘Europe », et que leur revendication d‘un statut international pour la
Ruhr correspondait à « un projet d‘utilisation des ressources de la Ruhr au bénéfice de
l‘Europe toute entière, Allemagne comprise»257.
Deux raisons expliquent l‘enthousiasme de la France :
253
Jean Monnet, Mémoires, p.383.
Jean Monnet, Mémoires, p.385.
255
Jean Monnet, Mémoires, p.385.
256
Gérard Bossuat, Les aides américaines économiques et militaires à la France, 1938-1960, op.cit., p.150.
257
Commentaire officieux publié par l‘agence France-Press, 7 juin 1947, in l’Année politique, 1947, p. 352, cité
par Marie-Thérèse Bitsch, op.cit., p.35.
254
108
En première lieu, les Français avaient déjà bénéficié d‘une série d‘aides américaines
depuis le prêt-bail : 3,4 milliards de dollars en Prêt-Bail dont une partie avait déjà été
remboursée par la France, et 1,9 milliards de dollars de prêt de 1945 à 1947. Mais en 1947 le
guichet américain avait fermé258. Alors, ce ne fut pas un hasard si la France paraissait la plus
pressée à répondre à cette proposition.
En second lieu, la situation française était l‘une des plus critiques en l‘Europe, avec une
production tombée à un niveau particulièrement bas entre 1944 et 1945 et un lent
redressement comme en témoignait le maintien des rationnements259. Donc, l‘aide américaine
était indispensable pour la France, surtout pour financer le plan de modernisation et
d‘équipement, comme le confirme Jules Moch, ministre de la Défense Nationale : « During
the two years I was Minister of Public Works, we rebuilt every day three big bridges. I call a
bridge something that is more than forty meters, fifty yards, in length. [...] We had to build
every day three bridges; no country in the world had every done such a thing. That means a
thousand bridges a year. We had 9,600 big bridges destroyed in France, so it was a program
of ten years, you see. In building three bridges a day, we had ten years work. We went on with
our plan, but with the help of the Marshall plan »260. Il ajouta également : « As far as I
remember the Marshall plan gave us the means to go further on the lines of the French plan.
[...] We had our plans before the Marshall plan ; we knew exactly what we should do, and
never did the Americans ask you to do this rather than that »261.
Alors, la réaction française fut rapide. Le 7 juin 1947, Bidault indiquait à son ambassadeur
à Washington combien le gouvernement français partageait les vues des États-Unis sur une
« politique de reconstruction européenne » grâce à un programme d‘ensemble. Le 9 juin,
Bonnet envoyait le texte officiel du discours de Marshall et soulignait combien il était
essentiel que les Européens agissent ensemble262.
Quant aux États-Unis, dès le 17 juin, Jefferson Caffery, ambassadeur des États-Unis à
Paris, faisait part au Département d’État des instructions données par Georges Bidault,
ministre des Affaires étrangères, à Henri Bonnet, ambassadeur de France à Washington : « Le
258
Gérard Bossuat, ―Aux origines du Plan Marshall‖, op.cit., p.282.
Marie-Thérèse Bitsch, op.cit., p.35.
260
HST 75, Harry S. Truman Library, Oral History Interviews, Jules Moch by Richard D. KcKinzie and
Theodore A. Wilson, (29.04.70)
261
HST 75, Harry S. Truman Library, Oral History Interviews, Jules Moch by Richard D. KcKinzie and
Theodore A. Wilson, (29.04.70)
262
Gérard Bossuat, ―Aux origines du Plan Marshall‖, HES 1999, op.cit., p.285.
259
109
gouvernement français croit que l‘Europe, pour sa part, a déjà établi un plan de reconstruction
et de modernisation qui est bien connu du gouvernement américain. C‘est à l‘échelon
européen qu‘un effort de cette sorte doit être entrepris »263. Jefferson Caffery était conscient
que la France était un pays clé pour la sécurité de l‘Europe. En ce sens, ces ambassadeurs
français et américain partagèrent le même point de vue avec Monnet. Fin juillet 1947, lorsque
Clayton, discuta en tête à tête avec Monnet, il était sûr d‘être compris. Monnet était bien
convaincu que la France était la cheville ouvrière du plan Marshall : « Aucun pays européen
n‘avait l‘équivalent du plan français qui, dès le premier jour, avait servi non seulement à
remplir pour sa part le questionnaire, mais encore à en tracer le cadre pour l‘ensemble. En
dépit d‘un travail intense, le remède devrait attendre, alors que le mal empirait »264.
Lors d‘une réunion à Matignon avec Paul Ramadier et Jean Monnet en septembre 1947,
Clayton ne cacha pas que « pour que les crédits qui vont alors être demandés au Congrès
soient obtenus, il est sans aucun doute nécessaire de donner une forme positive et constructive
à la coopération européenne »265.
Jean Monnet ne pouvait qu‘approuver. Selon le témoignage de Lord Roll, « Monnet était
évidemment tout à fait convaincu de la nécessité d‘obtenir les crédits Marshall, mais ce qui
l‘intéressait surtout, c‘était de savoir ce que les Européens allaient faire avec les dollars :
rétablir leur économie, moderniser leur économie et leur commerce»266.
Aux yeux de Monnet, le crédit américain était nécessaire pour le relèvement de la France
et pour le rétablissement de l‘économie. Il écrivit un mémorandum remis à G. Bidault : « La
France se trouve engagée dans une politique d‘accord avec l‘Amérique et l‘Angleterre comme
conséquence de la rupture dont les Soviets ont pris l‘initiative et la responsabilité lors de la
Conférence de Paris. Cette politique a comme objet l‘obtention des crédits américains
nécessaires au relèvement de la France et au rétablissement de son économie sur des bases
solides qui soient une garantie d‘indépendance »267.
Jean Monnet pensait qu‘à travers le plan Marshall, la France serait bénéficiaire : « son
succès dépend en partie de l‘organisation d‘une certaine coopération européenne dont la
préparation technique est en cours. Cette coopération elle-même dépend du règlement du
263
Éric Roussel, Jean Monnet, p. 478.
Jean Monnet, Mémoires, pp.387.
265
Éric Roussel, Jean Monnet, p.485.
266
Éric Roussel, Jean Monnet, p.485.
267
FJME AMF 14/1/6 : Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47)
264
110
problème allemand ». Il était au courant, en effet, que certaines ressources allemandes,
comme le charbon de la Ruhr, étaient nécessaires au relèvement immédiat de l‘Europe et le
relèvement allemand lui-même était une nécessité pour une Europe prospère. Il souligna
encore que « les 70 millions d‘Allemands doivent, dans une Europe prospère remplirent leur
rôle de producteurs et de clients. C‘est seulement si un programme d‘ensemble européen,
comprenant un règlement allemand est présenté au Congrès et à l‘opinion publique
américaine que nous aurons une chance de succès»268.
Non seulement pour vraiment construire une nouvelle Europe économique, mais aussi
pour obtenir les dollars dont l‘Europe avait besoin, il fallait continuer sur cette base : celle de
l‘unité. Dès lors, il pensait qu‘il fallait aller plus avant. Il était sûr que la France et
l‘Allemagne seraient appelées un jour à jouer un grand rôle dans le rétablissement de
l‘Europe. Il était conscient que cela faisait partie de la mission des Pays Européens. À ce
propos, il connaissait le contenu des idées américaines du plan Marshall. Monnet avait
compris que l‘objectif de Kennan était politique, économique mais aussi et surtout européen.
L‘unité européenne semblait résoudre les difficultés de l‘Europe grâce à la nouvelle
conception de la relation entre la France et l‘Allemagne, comme le pensait Monnet.
Du fait de ce tournant majeur de la politique américaine par rapport à l‘Europe, Monnet se
retrouvait dans une situation clé en France. Même s‘il n‘avait pas inspiré le plan Marshall ses
relations avec les États-Unis et sa position à la tête du Commissariat général du Plan le
désignaient comme un interlocuteur capital pour Washington ainsi que pour le milieu
politique parisien. À tel point que le plan Monnet était unanimement jugé par les dirigeants
américains comme un modèle de programme de reconstruction.
Puis, les autorités américaines commençaient à chercher l‘homme du programme de la
reconstruction européenne. Jean Monnet s‘imposa alors naturellement dans leurs esprits, selon
la lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet : « According to the papers, the Government has
adopted the Monnet Plan, which now becomes the most dynamic piece of planning outside
the USSR, and may be even more dynamic than that I. Congratulations and good luck. I‘d
would very grateful for a copy. I take it you (wisely) short circuit the irrelevant issue of
ownership by the Government, (the old form of socialism) in favour of direct concentration on
the economic realities-goods. Are you using W.P.B. techniques of control? Form the papers
268
FJME AMF 14/1/6 Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47)
111
and occasional echoes of gossip we hear good things of you. How you keep your feet in the
whirlpool is a mystery. I suppose, like Acheson and Conway, you are indispensable or at
least, so people must think. We are waiting to see what happens next. Marshall has just taken
over-a very fine person, and a man of real quality. But after all a general»269.
Hoffman aussi témoigna du rôle indispensable de Monnet au sein du programme Marshall
et de l‘importance du plan Monnet : « Those of us involved in the actual administration of the
Marshall Program had very much in our minds the building of the new Europe. We had been
persuaded by Jean Monnet and others that there was no hope for progress of a
compartmentalized Europe and that in a post-war world, Europe‘s future would be dim unless
there was close cooperation among the Marshall Plan countries […] Jean Monnet was the
father of the concept of a United States of Europe and his efforts more than those of any other
single man helped change the thinking of European leaders»270.
Il y eut une lettre importante pour mesurer la popularité de Monnet auprès des élites
politiques américaines. À l‘heure de Plan Marshall, Rostow adressa une lettre à Monnet dans
laquelle on peut comparer la réciprocité de leurs idées : « [...] I am writing principally to
recall a day we spent a year ago in the garden of the French Embassy, debating the problem of
European Unity and its implications. Now you have to achieve it. To do that will require two
ideas, and on both I have suggestions, which I have talked over at length both with Dean and
with George Ball, who is perhaps now with you. […] I have a personal plan you may be able
to facilitate. I have a book almost ready on how to manage the capitalist system: l’économie
dirigée des États-Unis, in more polite terms, or how to be prosperous but free. Before
finishing and publishing it I should like to spend a year abroad, preferably based in France, to
see what socialism means at first had. To do so effectively it would be best to have an
academic post, as visiting Professor of Law or Economics (I am in both faculties here). If you
think this is a good plan, would you be in a position conveniently to mention it where it could
be arranged? I could get a grant here to go abroad, but I think one could see more, and more
quickly, from an official post. And besides, it would do Paris no harm to have some lectures
on the American system for controlling the national economy! »271
269
FJME AMF 23/4/174 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, en 47
HST 70, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview de Paul G. Hoffman, (25.10.64)
271
FJME AMF 23/4/174 : Lettre de E.V.Rostow à Jean Monnet, (05.08.47)
270
112
Dans la même lettre, Rostow donna des conseils par rapport au problème de l‘unification
européenne à l‘issue d‘un discours de Marshall « […] It is more important. It concerns
Germany, the Achilles heel of the Marshall Plan in Europe. Obvious, if the Russians can
portray us as the proponents of Germany, all will be lost in the ideological war, and in fact
too. France must produce a simple formula which will permit us to use German productive
capacity without fortifying a new German state. We will insist on using both coal and a good
deal of steel in Germany, because the occupation costs us so much money. We don‘t really
care so much about German political unity. A Suez Canal Company for the Ruler might be
acceptable. But surely now is the time, to try to move for a fundamental change which would
alter the shape of the problem for our time. If the dynamic idea in Marshall‘s speech (which,
by the way, Dean wrote to give himself at Middletown) is strong enough to shift the direction
of events, the notion of separate German States within a unified Europe (including Britain)
might have a powerful and revolutionary appeal too […] »272.
C‘est pourquoi, Monnet comprenait si bien, qu‘aucun programme européen n‘aurait de
réalité aux yeux des Américains, s‘il n‘intégrait pas l‘Allemagne dans son entier ou réduite
aux zones de l‘Ouest car ces derniers étaient focalisés sur la production de ressources
matérielles de l‘Allemagne dont l‘Europe avait besoin pour se développer273. Monnet était
convaincu que le problème allemand était au cœur de la négociation avec l‘Amérique pour
l‘obtention de crédits. Il savait aussi que de tous les obstacles, c‘était le plus grand. Aussi,
pour Monnet, la France devait « donner cette collaboration, mais le fait que la question
allemande se trouve être un élément essentiel de la solution qui sera apportée l‘oblige à ne la
donner que si certaines conditions sont remplies ». En fait, « la France devait définir vis-à-vis
de l‘Angleterre et des États-Unis quelle solution elle entendait voir donner à la question
allemande dans son ensemble, ou du moins à la question de l‘Allemagne de l‘Ouest »274.
C‘était également une manière détournée de montrer que sans la France, la coopération
européenne était inconcevable : « Pour régler cette solution au mieux de nos intérêts et de la
paix de l‘Europe, nous sommes au point où nous avons le maximum de force, car sans nous,
272
FJME AMF 23/4/174 : Lettre de E.V.Rostow à Jean Monnet, (05.08.47)
FJME AMF 14/1/6 Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47)
274
FJME AMF 14/1/6 Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47)
273
113
la ―Coopération européenne‖ est impossible. Les Américains ne sont pas encore assez
engagés pour ne pas pouvoir ajuster leur position »275.
Les opinions entre Jean Monnet et E.V. Rostow se rejoignaient sur trois thèmes
essentiels : Tous deux étaient convaincus de « l‘organisation d‘une certaine coopération
européenne dans la préparation technique » et tous deux insistaient sur l‘importance du
«règlement du problème allemand pour le relèvement de l‘Europe ». Aussi, les deux hommes
accordaient une grande place à la France dans la construction européenne mais ils savaient
également que la résolution du problème allemand était essentielle.
En résumé, pour Monnet, le Plan Marshall comprenait plusieurs étapes telles que : « faire
accepter un règlement du problème allemand qui soit satisfaisant pour la France et la
définition d‘un programme d‘assainissement financier, sans lequel les crédits américains
auraient de grandes chances de ne pas être obtenus et sans lequel, en tout état de cause, ils
resteraient illusoires »276. Ainsi, pour Jean Monnet, le plan Marshall n‘était qu‘une étape, et
rien n‘était plus éloigné de sa pensée que de mettre la France et l‘Europe dans une
dépendance durable à l‘égard des États-Unis. Jean François-Poncet constate que : « Jean
Monnet et le général de Gaulle, étaient tous deux très désireux de voir l‘Europe prendre son
autonomie par rapport aux États-Unis. Simplement, à la différence du Général, Monnet
pensait qu‘il n‘était pas possible de tout faire immédiatement, donc dans un premier temps,
compte tenu des difficultés terribles de l‘après-guerre, on ne pouvait faire autrement que
d‘agir de concert avec l‘Amérique »277.
La relation de Jean Monnet avec ses interlocuteurs américains pour le
plan Marshall.
Un petit groupe d‘interlocuteurs importants collaborait autour du général Marshall, pour
élaborer dans le plus grand secret et avec une rapidité fulgurante le résultat que l‘on connaît.
Ce groupe était composé de George Kennan, Dean Acheson, William Clayton, Averell
275
FJME AMF 14/1/6 Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47)
FJME AMF 14/1/6 Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47)
277
Éric Roussel, Jean Monnet, p.484.
276
114
Harriman, David Bruce et William Tomlinson. Leur influence et leur rôle furent déterminants
dans la construction du plan Marshall. Parmi les principaux personnages, nous nous
retiendrons surtout George Marshall, Averell Harriman, David Bruce et William Tomlinson,
tous associés à Jean Monnet.
George Marshall
Jean Monnet avait connu le général Marshall lorsque, chef d‘état-major, il avait appuyé de
toute son autorité la réalisation du « Victory Program ». Monnet dit de Marshall dans ses
mémoire que : « Peu d‘hommes ont été autant respectés que lui, sans doute parce que
l‘autorité lui était aussi naturelle que la modestie et l‘humanité. Lorsqu‘elles vont ensemble,
ces qualités frappent l‘esprit des contemporains et l‘histoire des États-Unis offre quelques
grands exemples de cette forme de supériorité qui s‘impose sans écraser personne »278.
John J. Mac Cloy dit aussi du général Marshall : « Marshall had what the Romans used to
identify as the single quality of their greatest statesmen. They called it gravitas. He had weight
and he had authority. I never saw a conference which Marshall attended, I don‘t care who else
was attending it, that he could not dominate. It was just this gravitas. Another element of his
greatness was that he very rarely exercised his power. Stimson and Marshall got along very
well, they respected each other. Each had behind him a great deal of history on which they
could rely for their thinking and their precedents, and they were both men of great
integrity»279.
Dans la guerre, Marshall fit preuve d‘un certain génie et d‘une méthode remarquable,
traits qui se retrouvèrent dans son action pour la paix. Roosevelt ne pouvait se séparer de ce
grand organisateur, et c‘est la seule raison pour laquelle Marshall ne fut pas le héros de la
libération de l‘Europe. Truman fit un diplomate de ce militaire retraité, l‘envoya en Chine,
puis lui confia le Département d‘État où la stratégie de la paix était tout entière à imaginer.
Bien qu‘il ne connût pas l‘Europe, Marshall prit aussitôt la mesure des dangers qui s‘y
amoncelaient. Il était conscient que : « les destructions visibles de la guerre en Europe étaient
278
279
Jean Monnet, Mémoires, p.384.
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de John J. Mac Cloy par Léonard Tennyson, (15.07.81)
115
moins graves que la dislocation profonde de tout l‘appareil économique. Nous commençons
seulement à comprendre que le relèvement sera plus long et plus difficile que prévu »280.
Averell Harriman
Averell Harriman, grand diplomate, était le prototype de ces héritiers de dynasties
industrielles qui se consacrent à la politique, dans la première moitié du XXe siècle. Après
1940, il devint l‘un des hommes de confiance du président dans le domaine international. Peu
avant que ne soit votée, en mars 1941, la loi Prêt-bail, Harriman vint à Londres en tant
qu‘envoyé spécial du chef de l‘exécutif. En août 1942, il était à Moscou quand Churchill et
Staline discutèrent de l‘ouverture d‘un deuxième front à l‘ouest. Dans les rapports avec
l‘Union soviétique, il devint un intermédiaire dont on se passait difficilement.
Conscient de la menace soviétique, Averell Harriman fut l‘un des plus fervents partisans
du plan Marshall dont il devint l‘une des figures de proue en tant que représentant en Europe
de l‘administration américaine. Dans plusieurs messages adressés à Washington, il avait
souligné que l‘aide alimentaire était insuffisante et que seule la reconstruction de l‘Europe
occidentale serait susceptible d‘arrêter la poussée des soviétiques. Monnet ne pouvait donc
que s‘entendre avec ce grand négociateur convaincu, comme lui, que le meilleur moyen
d‘arrêter le communisme stalinien, était de donner son plein accomplissement à l‘idéal des
démocraties libérales européennes281.
Il joua un rôle capital intermédiaire : « Averell was terribly important, but he simply
moves away from the running of the organization, to the inter-relationships between the
different aspects of the European recovery. And of course he became increasingly interested
in NATO and the military side of things »282.
Monnet le connaissait depuis longtemps, mais ils n‘avaient jamais travaillé ensemble.
Pendant la guerre, il avait été l‘envoyé spécial de Roosevelt auprès de Staline, et ce grand
homme d‘affaires, qui avait négocié avec Trotski, quinze ans auparavant, fut écouté et
respecté au Kremlin. Selon le témoignage de Monnet : « Il y avait de la distinction dans son
abord, de la rigueur dans son esprit, et sa capacité de négocier était remarquable. Comme
280
Jean Monnet, Mémoires, p.384.
Éric Roussel, Jean Monnet, p.482.
282
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de Milton Katz par Léonard Tennyson, (28.01.88)
281
116
beaucoup de diplomates américains de sa stature, il abordait les problèmes en homme
d‘État »283.
L‘octroi de l‘aide américaine aux Européens, et notamment à la France, s‘est réalisée en
grande partie grâce à leurs liens d‘amitié avec Jean Monnet. D‘autres interlocuteurs
incontournables pour le Plan Marshall sont à citer, parmi lesquels, nous avons David Bruce et
William Tomlinson.
David Bruce et William Tomlinson
Selon la description très clairvoyante de Jean Monnet, David Bruce était un homme
d‘action. Représentant de la Croix-Rouge américaine à Londres dès les débuts de la seconde
guerre, il était rapidement retourné aux États-Unis, en 1941, afin d‘aider le général Donovan à
organiser l’Office of Strategic Services (OSS), souche de la future CIA dont il dirigera de
Londres les opérations européennes à partir de 1941. Au même titre qu‘Harriman, Bruce allait
jouer un rôle majeur dans le plan Marshall. Nommé en 1948 à la tête de la branche française
de l‘Organisation européenne de coordination économique (OECE), il lui revint de mettre en
œuvre l‘aide américaine en France. Ambassadeur en France de 1949 à 1952, il y revint en
1953, après avoir été brièvement secrétaire d‘État adjoint à l‘avancement du projet de l‘armée
européenne. Etienne Hirsch explique le rôle de David Bruce, lors de sa mission en tant
qu‘ambassadeur à Paris : « Well, when Bruce was ambassador, he understood our problems
and was of great help in explaining them to Congress in order to get the money
appropriated »284.
David Bruce était déjà un ami pour Monnet avant la constitution du plan, et le sentiment
de confiance qui n‘avait jamais cessé de les unir, à plusieurs occasions, facilita bien des
règlements politiques. Dans ses Mémoires, Monnet exprime tout son estime à l‘égard de
l‘ancien ambassadeur des États-Unis à Paris : « Je pourrais le définir comme un homme
essentiellement civilisé, car cette expression générale a un sens précis pour moi : je veux dire
par là qu‘il tient compte des autres et qu‘il écoute les opinions sans chercher à imposer son
point de vue, sans s‘obstiner à avoir nécessairement raison. […] Cet homme des grandes
ambassades et des missions difficiles ne s‘enferme pas dans une politique – démocrate il a
283
284
Jean Monnet, Mémoires, pp.527-528.
Oral history Interviews with Etienne Hirsch by Theodore A. Wilson (University of Kansas), Paris, (30.06.70)
117
servi dans les gouvernements républicains – et ne pense pas à son pays en termes de
domination. David Bruce est un ambassadeur de la haute tradition américaine, comme j‘en ai
connu quelques cas, qui participe à l‘élaboration de la politique qu‘il est chargé de représenter
au-dehors »285.
D‘après Pascaline Winand, Tomlinson se joignit à ce cercle d‘amis de Jean Monnet, aux
côtés de David Bruce. Tous deux développèrent des relations privilégiées avec Monnet, l‘un
comme confident, l‘autre presque comme un fils (Tomlinson). Tous deux en poste à Paris,
l‘un comme chef de la mission du Plan Marshall, l‘autre comme représentant du Trésor
américain, étaient chargés de mettre en œuvre le Plan Marshall en France et étaient
extrêmement bien placés pour intervenir en faveur du Plan Monnet à Washington. Ensemble,
Monnet, Bruce et Tomlinson ont réussi à faire pression sur le gouvernement français, par le
truchement de l‘influence américaine, pour amener ce dernier à prendre les mesures
nécessaires pour réduire l‘inflation en France286.
Fonctionnaire du Trésor américain, William Tomlinson fut déterminant en plusieurs
circonstances. Âgé de vingt-huit ans, il devint pour Monnet, en dépit de la différence de
génération, un ami sincère : « De tous les Américains avec lesquels il travaillait, dit François
Fontaine, Tomlinson était celui dont il se sentait probablement le plus proche. Il avait pour lui
de l‘estime et l‘affection que l‘on porte à un grand fils »287. Stanley Cleveland fut témoin de
cette relation entre Monnet et Tomlinson : « Tommy had worked closely with the French
government in relationship to everything concerning the Marshall Plan, including the whole
planning process. Tommy is interesting relationship with Monnet in that period. He was the
only authentic genius I‘ve ever known, an incredible fellow who at the age of about 33 or 34
was one of the most important American officials in Europe. It was a position he had earned
for himself by the way that manipulated the French situation during the Marshall Plan period.
He had done this by a combination of using the external pressures of the United States
government combined with an extraordinary penetration of the French bureaucracy. This
included both the Ministry of Finance and Monnet‘s Plan »288.
285
Jean Monnet, Mémoires, p.389.
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par jean Monnet pour la construction européenne », in Gérard
Bossuat et Andreas Wilkens, (sous la dir.), op.cit., p.257.
287
Éric Roussel, Jean Monnet, p.483.
288
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de Stanley Cleveland par Léonard Tennyson,(15.07.81)
286
118
En conclusion de ce chapitre, la confiance des alliés tissés pendant la seconde guerre
mondiale disparut rapidement à la fin de la guerre. La rivalité américano-soviétique modifia
profondément le monde en éloignant définitivement un retour durable de la paix en Europe.
Dans ce climat de tensions, l‘attitude et la politique des États-Unis concernant l‘Europe unie
se modifia sensiblement, à partir de 1947. Et l‘idée de la nécessité d‘intégrer les pays
européens à travers une aide financière américaine s‘imposa comme la contre-mesure idéale à
l‘expansion soviétique. Cette Europe composée uniquement par des pays occidentaux, devait
avoir le maximum de cohésion possible pour constituer une barrière efficace contre le
communisme. Même si, cette coupure en deux de l‘Europe n‘était pas l‘objectif principal de
la politique américaine à travers le Plan Marshall, cette conséquence poussa les États-Unis à
construire l‘intégration européenne.
Le plan Marshall offrait des perspectives nouvelles aux Européens : une relance
économique et l‘idée d‘une unité européenne. Mais cette initiative devait venir d‘abord des
Européens pour que le congrès et l‘opinion américaine puissent accepter d‘aider à nouveau
une Europe malade. Et cette conviction était pleinement partagée par Jean Monnet et ses amis
américains, interlocuteurs de l‘Europe pour le plan Marshall. Le dernier point de concordance,
et non des moindres entre Monnet et les élites américaines, était l‘obligation du règlement du
problème allemand, non seulement pour bénéficier de l‘aide du plan Marshall mais aussi pour
le relèvement futur de l‘Europe.
119
Chapitre4 :Une vision structurelle de la triade AllemagneEurope-France d’après Jean Monnet et les élites politiques
américaines (1948-1949)
Dans ce présent chapitre, nous allons mettre en évidence le lien historique du triangle
France-Allemagne-Europe pour la construction européenne, à travers l‘analyse des dialogues
entre Jean Monnet et l‘élite politique américaine de 1948 à 1949.
L‘expérience historique acquise depuis la première guerre mondiale, enseignait que la
seule solution du problème allemand consistait à ancrer solidement l‘Allemagne au sein de la
communauté européenne, à travers une Europe des Nations ou mieux une fédération
européenne. Jean Monnet et ses amis américains considéraient la fédération européenne
comme étant la meilleure réponse au règlement du problème allemand.
Véritablement, tout au long de la construction européenne, la question allemande ne cessa
d‘être l‘élément déterminant de la politique d‘intégration européenne pour Monnet et l‘élite
américaine. La fédération offrait deux avantages : d‘une part, le partage des ressources
minières de la Ruhr et de la Rhénanie, et d‘autre part, l‘intégration de l‘Allemagne, sur un
pied d‘égalité dans l‘Europe « occidentale », en limitant toute velléité belliqueuse due à
l‘humiliation de la guerre. Pari difficile mais nécessaire car pour Monnet et l‘élite politique
américaine : « faire l‘Europe c‘était ligoter l‘Allemagne dans l‘Europe occidentale ».
120
La perception du danger allemand pour Jean Monnet, les États-Unis et
l’unité de l’Europe Ouest (1947-1948)
Dans les faits, la perspective d‘une union européenne restait très vague, comme l‘écrit
Pierre Mélandri : « le temps n‘était pas encore mûr pour de tels développements. Les Français
redoutaient, en effet, de se retrouver seuls face aux Allemands et les Anglais persistaient à
vouloir se tenir à l‘écart du vieux continent »289. Indépendamment des problèmes
économiques, financiers et sociaux, depuis l‘été 1947, le Vieux Continent vécut à l‘heure
d‘une fracture idéologique et territoriale. À la suite du refus soviétique d‘adhérer au Plan
Marshall, une nouvelle stratégie se dessinait à l‘Est. La naissance du Kominform fin de
septembre 1947, était un événement grave d‘une portée considérable pour les Occidentaux.
Aussi, tous ces événements anxiogènes contraignaient les nations d‘Europe à se rapprocher
des puissances occidentales quand elles le pouvaient. Le problème était d‘autant plus difficile
que la question allemande était loin d‘être résolue. Il était donc urgent de trouver un accord
satisfaisant pour tous.
Effectivement, il était difficile de séparer les problèmes posés par l‘avenir de l‘Europe de
ceux soulevés par le sort de l‘Allemagne. Ce qui rendait indissociable l‘unité européenne et
l‘unité allemande. Ainsi, pour réaliser l‘unité de l‘Allemagne, il état inévitable de construire
une unité européenne.
Pour Monnet, également, l‘aboutissement de ce sujet était indispensable pour que les
problèmes de l‘Europe d‘après-guerre puissent être résolus. Pendant la guerre, Monnet
songeait déjà qu‘une relation triadique France-Europe-Allemagne290 était nécessaire pour la
stabilité du continent. Après la guerre, la question allemande devenait urgente et de septembre
1945 à avril 1947, les quatre conférences des ministres des Affaires étrangères des pays
vainqueurs furent consacrées au sort de l‘Allemagne291.
James Byrnes, secrétaire d‘État, parla dans ses Mémoires, « du triomphe qui échoua »
pour parler de la conférence de Potsdam de février 1945. Les accords étaient très ambigus.
289
Pierre Mélandri, op.cit., p.38.
FJME AME 33/1/3 : AME 33/1/3 : Une note au C.F.L.N. par Jean Monnet,(05.08.43)
291
Éric Roussel, Jean Monnet, p.492.
290
121
Les Russes avaient bien précisé que les accords signifiaient, en substance, que «chaque pays
aurait les mains libres dans sa propre zone et agirait indépendamment les uns des autres»292.
Cette identification des zones d‘armistice avec ce qui pouvait devenir des sphères d‘influence
économique risquait de cristalliser les divisions, nées de la rencontre de l‘Armée soviétique
avec celles de l‘Occident. Aussi, la rencontre à Torqau des armées, pouvait-elle se retourner
contre les États-Unis.
Les dirigeants américains percevaient parfaitement le danger. Certains comme Truman et
Bynes jugèrent même opportun de prévenir toute ingérence soviétique dans la Ruhr et, plus
généralement, dans toute la vie économique de l‘Allemagne occidentale. À tel point que
Truman révéla un projet d‘unification commerciale, pour la première fois mais en vain. Aux
yeux du Département d‘État, l‘instauration d‘une étroite interdépendance commerciale entre
les nations européennes était le gage le plus sûr de stabilité et de prospérité de l‘Europe293.
La politique américaine à l‘égard de l‘Allemagne ne cessa d‘évoluer, tout au long de la
seconde guerre mondiale. Elle oscillait entre deux extrêmes : d‘une part, la destruction totale
et définitive de l‘unité politique et le potentiel industriel de l‘ancien Reich, d‘autre part, le
maintien d‘un État unique démilitarisé, recouvrant rapidement l‘essentiel de ses capacités
économiques. Le choix de la politique à adopter était un sujet capital notamment lors des
discussions avec la France dans l‘après-guerre l‘immédiat. Cependant, l‘option d‘un État
démilitarisé capable de reconstruire rapidement ses capacités industrielles et économique était
souvent débattue294. La Grande-Bretagne était d‘ailleurs pour cette solution afin de
reconstituer une Allemagne solide capable de résister à la menace soviétique. Nombre
d‘experts et d‘hommes d‘affaires américains étaient du même avis295 : pour ancrer solidement
la paix en Europe, il fallait obligatoirement l‘étayer par une base économique saine. C‘est
pourquoi ils voulaient accélérer le relèvement économique et politique de l‘Allemagne. Walt
Rostow fut l‘un des soutiens de cette thèse296 : « Le thème prédominant de la politique
Américaine était de chercher une Allemagne unie ; c'est de cette façon positive, que la
réalisation des compromis pourrait conduire à un accord avec une forte majorité du centre de
292
William A. Williams, The Tragedy of American Diplomacy, New York, Delta Books, 1962, p. 251, cité par
Pierre Mélandri, op.cit., p.55.
293
Pierre Mélandri, ibid., pp.54-55.
294
Wolf D. Grüner, « La place de l‘Allemagne dans l‘Europe d‘après-guerre selon Jean Monnet (1940-1952) »,
in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, (sous la dir.), op.cit., p128.
295
Pierre Mélandri, op.cit., p.48.
296
Pierre Mélandri, ibid., p.62.
122
l'Europe et donc permettrait de se rapprocher de la réalité du concept des trois grandes
unités»297.
Alors, les Américains proposèrent dès l‘été 1946, la fusion économique des zones
occidentales en Allemagne. Mais la France ne renonçait pas à l‘idée d‘annexer
économiquement la Sarre. Donc, les tensions avec la France continuèrent. Les États-Unis
marquaient de plus en plus leur volonté de voir l‘Allemagne se relever sur le plan
économique. A tel point que le problème allemand devint la pomme de la discorde entre
anciens alliés et la question du statut de Berlin en fut le point le plus conflictuel.
En outre, les vues des anciens alliés étaient encore plus divergentes concernant le futur
gouvernement de l‘Allemagne. La France désirait une Allemagne très peu centralisée à
structure fédérale regroupant une douzaine de Länder. L‘Union soviétique au contraire
réclamait un État très fortement centralisé et un contrôle international de la Ruhr, où elle
aurait sa part. Les Anglais et les Américains se prononçaient pour un gouvernement fédéral
fort, contrôlant les Affaires étrangères, l‘Economie et les Finances car ils pensaient qu‘il était
difficile de séparer les problèmes liés à l‘avenir de l‘Europe de ceux du sort de l‘Allemagne.
Ce qui était encore plus vrai pour la question de l‘unité.
Face à l‘exacerbation du conflit entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France,
Monnet, en tant que commissaire général du Plan, se vit obliger d‘intervenir dans le débat298 :
«Il était le seul Français qui voyait les choses du même œil que nous» note l‘un des assistants
de William Clayton, se rappelant Jean Monnet jouant le rôle de tampon entre de Gaulle et son
patron pendant la guerre299. Ce rôle fut renforcé au cours des années du plan Monnet. Celui-ci
était unanimement jugé par les dirigeants Américains comme un modèle de programme de
reconstruction. Alors même qu‘ils découvraient les mérites d‘une Europe unie, les Américains
ne pouvaient que se rappeler les efforts répétés pour promouvoir cette idée dans leur propre
pays300 : « Tout au long des deux années qui suivent la fin de la seconde guerre mondiale,
écrit Mélandri, Jean Monnet n‘a pas manqué, en effet, une occasion de plaider la cause qui lui
était chère auprès de ses amis. À l‘occasion de conversations informelles en 1946, il convertit
297
FJME AMF 23/4/198 : ―The American diplomatic revolution.‖ Article de Walt W. Rostow. (46.11.12) En
version d‘anglais. « The predominant theme in American policy has been to seek a united Germany ; that is,
positively to achieve the compromises which might lead to major-power agreement in the centre of Europe, and
thus to bring closer to reality in a crucial area the concept of Big Three unity».
298
Wolf D. Grüner, « La place de l‘Allemagne dans l‘Europe d‘après-guerre selon Jean Monnet (1940-1952)», in
Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, (sous la dir.), op.cit., p134.
299
Pierre Mélandri, op.cit., pp.38-39.
300
Pierre Mélandri, ibid.
123
ou conforta dans leur sympathie certains hommes d‘affaires ou fonctionnaires dont Paul G.
Hoffman, futur Administrateur du plan Marshall ou Harold Van B. Cleveland»301.
Concernant le problème allemand, Monnet comprit très vite que sans un règlement
satisfaisant pour tous, il resterait un sujet de conflit permanent entre la France et les ÉtatsUnis. Par ailleurs, il savait que les États-Unis s‘étaient engagés avec l‘Angleterre pour régler à
eux seuls les questions essentielles dont la production de charbon de l‘Allemagne de l‘Ouest.
Aussi, pour Monnet, la France devait éviter de s‘isoler, quellequ‘en fut la raison : « la France
doit donner cette collaboration. [...] C‘est maintenant que la France doit définir vis-à-vis de
l‘Angleterre et des États-Unis quelle solution elle entend voir donner à la question allemande
dans son ensemble, ou du moins à la question de l‘Allemagne de l‘Ouest»302. Compte tenu
que le problème allemand était au cœur de la négociation avec l‘Amérique sur les crédits, il
était bien clair, pour Monnet, que : « tous les efforts doivent être faits pour amener
l‘Angleterre et les États-Unis à accepter, - en particulier sur la Ruhr - le règlement
allemand»303.
Monnet savait et partageait la même conviction que les Américains sur le fait qu‘aucun
programme européen n‘aurait de réalité, s‘il ne comprenait pas l‘Allemagne dans ses projets,
comme dans le mémorandum qu‘il adressa à G. Bidault, juillet 1947 : « […] C‘est seulement
si un programme d‘ensemble européen, comprenant un règlement allemand, est présenté au
Congrès et à l‘opinion publique américaine que nous aurons chance de succès. […] Il est clair
qu‘aucun programme européen n‘aura de réalité aux yeux des Américains s‘il ne comprend
pas l‘Allemagne dans son entier ou réduite aux zones de l‘Ouest car les Américains sont
essentiellement préoccupés de la production de ressources matérielles et c‘est, en effet là le
problème immédiat »304.
En bref, le rétablissement économique de l‘Allemagne était indispensable à la
reconstruction d‘une Europe prospère, eu égard aux ressources allemandes. Aussi, dans les
grandes lignes, Monnet partageait les idées de ses amis Américains sur le traitement de
l‘Allemagne, et ce, déjà depuis ses réflexions d‘Alger, en 1943, où il parlait d‘un traitement
égalitaire pour les Allemands quand viendrait l‘heure de l‘unification économique
301
Max Beloff, The United States and the Unity of Europe, New York, Random House, 1963, p.45; Interview de
Harold Van B. Cleveland, mars 1974, cité par Pierre Mélandri, ibid.
302
FJME AMF 14/1/6 : Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47).
303
FJME AMF 14/1/6 : Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47).
304
FJME AMF 14/1/6 : Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47).
124
européenne. Mais il optait non pour un État national allemand centralisé, mais pour une
Allemagne divisée en différents petits États, dont le bassin de la Ruhr devait, en outre, être
internationalisé305. Par ailleurs, il soulignait encore une fois qu‘ « [...] une certaine
coopération européenne elle-même dépendait du règlement du problème allemand. En effet,
certaines ressources allemandes, comme le charbon de la Ruhr, sont nécessaires au
relèvement immédiat de l‘Europe et le relèvement allemand lui-même est une nécessité pour
une Europe prospère»306. Aux yeux de Monnet, le problème allemand était un sujet urgent à
régler tant pour la France que pour l‘Europe.
Il était conscient qu‘un règlement satisfaisant de la question de la Ruhr était vital pour la
France aux abois : « Lorsque fut élaboré, en 1946, le plan de modernisation et d‘équipement,
nous avions prévu que seule une augmentation de la production nationale nous permettrait de
résoudre le problème qui se posait. D‘autre part, nous ne pouvions pas encore déterminer les
produits que nous aurions une chance de vendre. Nous avions donc concentré nos efforts sur
les moyens de production matériels. Nous n‘avions pas alors assez d‘énergie. Avant la guerre,
la France disposait, sous forme de pétrole, d‘électricité, et de charbon, de 2 tonnes
d‘équivalent de charbon par tête d‘habitant. Chaque Allemand disposait de moitié plus
d‘énergie, et chaque Anglais du double. C‘est dire que toute augmentation de la production
française demande avant tout une augmentation de l‘énergie»307. La fragilité énergétique de la
France était telle que la question du contrôle de la Ruhr était particulièrement délicate sur la
voie d‘une solution du problème allemand.
J. Foster Dulles en accord avec Jean Monnet était également préoccupé par le problème
allemand, et particulièrement par la Ruhr. Parlant devant le Syndicat national des éditeurs de
Journaux, Dulles insista sur la nécessité d‘un contrôle commun qui permettrait le
développement du plein potentiel industriel allemand, cela dans l‘intérêt économique de
l‘Europe toute entière. Après avoir évoqué une unification générale de l‘Europe et de
l‘Allemagne, il aboutit finalement à la perspective d‘un « bloc » ou du moins d‘un système
305
FJME AME 33/2/14 : « L‘organisation politique et économique de l‘Europe occidentale »
FJME AMF 14/1/6 : Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet (24.07.47)
307
FJME AMF 17/3/2, :Exposé de Jean Monnet, commissaire Général du Plan de Modernisation et
d‘Equipement, séance du ler février 1949.
306
125
économique occidental308. À son avis, il était essentiel que le potentiel de l‘économie
allemande soit entièrement développé et « intégré » dans l‘Europe « occidentale ».
Cette idée était largement diffusée par les diplomates Américains : Dean Acheson insista,
publiquement sur la nécessité de reconstruire rapidement l‘économie allemande. Kennan eut
rapidement la même conviction que Dulles, dans le mémorandum du 19 mai 1947 : « Nos
politiques d‘occupation en Allemagne et en Autriche doivent être élaborées de façon à
permettre aux zones occidentales de ces pays d‘apporter leur contribution maximale à la
restauration économique de l‘Europe de l‘Ouest en général »309.
Malheureusement lors de la rencontre des ministres des Affaires étrangères de France
(Bidault), de Grande-Bretagne(Bevin), des États-Unis (général Marshall) et de l‘URSS
(Molotov), à Moscou, en mars-avril 1947, l‘impasse fut totale, aussi bien sur la dénazification
que sur les frontières orientales de l‘Allemagne ou encore concernant les réparations de
guerre. Quand Anglais et Américains unifièrent leur zone le 17 décembre 1947, les
Soviétiques protestèrent et réclamèrent leur part de réparations. La France obtint
l‘approbation des Anglo-Saxons pour un détachement politique de la Sarre de l‘Allemagne et
son rattachement économique à la France. « Après l‘échec de la conférence de Moscou et le
refus soviétique du plan Marshall, écrit Pierre Gerbet, le relèvement économique de
l‘Allemagne devient inéluctable»310. C‘est-à-dire, de nouvelles conditions : la rupture de fait
avec l‘Union soviétique et la nécessité de fortifier l‘Europe occidentale amenèrent une
nouvelle perception mais il était très difficile à faire participer l‘Allemagne à la construction
de l‘économie européenne.
À la conférence de Londres (du 25 novembre au 18 décembre 1947), aucun progrès ne fut
réalisé. Molotov imputa les difficultés à la « mauvaise foi » des Occidentaux et refusa net
toute proposition : « Le gouvernement soviétique considérant que le plan franco-britannique
d‘établir une organisation spéciale pour la coordination des économies des États européens
entraînerait une interférence dans les affaires intérieures des pays européens»311. Aussi,
Molotov réclama l‘organisation immédiate d‘un gouvernement central allemand. À la suite de
la conférence de Londres, de juin 1948, Français, Anglais et Américains tombèrent d‘accord
308
« A New Year Resolves. » Address by J. Foster Dulles Before the National Publishers Association, January
17, 1947, Dulles Papers, 1971, I., cité par Pierre Mélandri, op.cit., p.83.
309
FRUS, 1947, I, p. 220-223, cité par Pierre Mélandri, ibid., pp.97-98.
310
Pierre Gerbet et Jean Laloy (sous la dir.), Le Relèvement, Paris, Imprimerie national, 1991. p.279.
311
Barton J. Bernstein and Allen J. Matusow, (ed.) The Truman Administration, A documentary History, New
York, Harper, 1966, p.259-260.
126
pour unifier leurs trois zones d‘occupation et y organiser des élections devant une assemblée
constituante. Pour montrer leur volonté d‘unification, les trois puissances occidentales
décidèrent de créer une monnaie commune, le Deutsche Mark (DM). Cette réforme monétaire
déplaisait aux soviétiques qui, par mesure de rétorsion, organisèrent un blocus terrestre total
de Berlin : c‘était l‘épreuve de force312.
Au printemps 1948, après l‘effondrement du Conseil de contrôle allié, suite au départ du
représentant soviétique, les États-Unis firent des concessions à la France dans le but de la
rallier à leur politique. Enfin, lors de la conférence de Londres, en juin 1948, les trois
puissances occupantes acceptèrent de réunir à la bi-zone anglo-américaine la propre zone
d‘occupation de la France moins la Sarre. Par conséquent, ils gardèrent le contrôle de la
démilitarisation et la production du charbon et de l‘acier de la Ruhr313.
Pourquoi tant de sympathie pour l‘Allemagne de la part des États-Unis, qui semblaient
rechercher non seulement leur reconstruction mais aussi une place à leur offrir dans
l‘unification européenne ?
Car le danger allemand était évidemment un point essentiel dans le processus de
construction européenne314, comme le souligne Raymond Poidevin : « le problème allemand
est inséparable de l‘offre d‘aide Américaine. Chacun comprend qu‘il ne peut être question
d‘organiser l‘Europe sans y inclure l‘Allemagne. Mais ne faut-il pas du coup essayer
d‘assurer la sécurité de la France et son redressement économique tout en interdisant un
redressement trop rapide du vaincu ? »315. Effectivement, là était la question : le relèvement
de l‘Europe dépendait des ressources de l‘Allemagne. Aussi, ce potentiel et cette vitalité
économique de l‘Allemagne devait être défendus ou tout au moins préservés. Alors dans cette
logique un réarmement de l‘Allemagne devenait nécessaire. Endiguer l‘URSS c‘était donc
résoudre le problème allemand pour les États-Unis, comme le souligna Rostow à Jean Monnet
: « I had further talks with Dean over this week-end. I am inclined to think that the German
question will be the key to persuading Americans of his view that a western union is a
312
Maurice Vaïsse, op.cit., pp.22-23.
Éric Roussel, Jean Monnet, p.492.
314
À ce sujet, voir Wolf D. Grüner, « La place de l‘Allemagne dans l‘Europe d‘après-guerre selon Jean Monnet
(1940-1952) », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, (sous la dir.), op.cit., pp.113-146.
315
Raymond Poidevin, « Plan Marshall et problème allemand : les inquiétudes françaises (1947-1948) », in René
Girault et Maurice Lévy-Leboyer (sous la dir.), op.cit., p.87.
313
127
practical necessity at this time, the promise of which outweighs its dangers with best regards
to you all »316.
Monnet aussi était conscient de l‘urgence de trouver une solution au problème allemand.
« Monnet partageait cette idée, écrit Éric Roussel, et il était alors d‘autant plus incité à
brusquer les choses qu‘il savait dans quelles dispositions d‘esprit étaient les Américains
comme les Allemands, et qu‘il était un contact direct et confiant de Robert Schuman par
l‘intermédiaire de Bernard Clappier »317. D‘ailleurs, Monnet avait exprimé cette opinion à
diverses occasions depuis la fin de la guerre : « Le rétablissement économique de l‘Allemagne
est indispensable à la reconstruction d‘une Europe prospère. La solution des problèmes
européens est indissociablement liée à la question allemande […] »318. Aussi, devint-il d‘une
certaine façon l‘inspirateur de la proposition des États-Unis d‘intégrer en Europe les
industries du charbon et de l‘acier.
Dans l‘esprit de Monnet, toute coopération européenne fructueuse passait par une solution
satisfaisante du problème allemand. Il partageait avec Washington l‘idée selon laquelle, d‘une
part, la reconstruction de l‘Europe était impossible sans les Allemands ; et d‘autre part, que
l‘Europe unie éviterait que l‘Allemagne redevienne une puissance capable de dominer
l‘Europe. Cependant, contrairement aux États-Unis, il était convaincu que la solution au
dilemme franco-allemand était de faire de l‘Autorité internationale de la Ruhr une Autorité
supranationale à dimension européenne. Peut être avait-t-il déjà décidé de gagner le
gouvernement français à ses idées en essayant de convaincre les Américains de poursuivre
l‘intégration européenne au-delà du rétablissement économique.
En somme, l‘initiative d‘une Europe unie durant les années 1947-1948, autant pour
Monnet que pour les Américains était l‘antithèse de la tendance européenne : à savoir le doute
et le rejet de la France face à l‘intégration des Allemands dans l‘union européenne. Toutefois,
l‘intégration européenne s‘effectuerait d‘abord économiquement avec le partage des
ressources allemandes et ne comprendrait qu‘une partie de l‘Allemagne, l‘Allemagne de
l‘Ouest. Monnet et les élites américaines imaginaient à mesure que les nations d‘Europe
perdraient de leur souveraineté avec l‘intégration économique, le problème allemand
diminuerait et se résoudrait.
316
FJME AMF 23/4/177 : Lettre de E. V. Rostow à Jean Monnet,(11.05.48)
Éric Roussel, Jean Monnet, p.519.
318
FJME AMF 14/1/6 :: Mémorandum remis à Monsieur G. Bidault par Jean Monnet, (24.07.47)
317
128
L’idée de fédération occidentale : les points de vue de Jean Monnet et des
responsables américains (1948)
L‘année 1948 constitue, dans l‘histoire de la construction européenne, une étape
importante parce qu‘elle coïncida avec l‘ouverture d‘un débat authentique sur l‘avenir de
l‘Europe, et la création des premières institutions de la coopération européenne. À l‘aube de
l‘année 1948, on commençait à s‘interroger sur l‘avenir politique de l‘Europe. Le printemps
est marqué par une volonté de rassemblement de toutes les forces qui œuvrent pour la
construction de l‘Europe ; le succès du Congrès de La Haye en mai en fut une illustration. On
vit émerger différentes voies favorables à une Union européenne tant dans l‘Europe que dans
l‘outre-Atlantique.
En Europe, deux grands mouvements travaillaient à la construction européenne :
l‘« unionisme » et le « fédéralisme ».
L‘unionisme était la voie de ceux qui étaient favorables à la mise en œuvre d‘une
coopération intergouvernementale et qui récusaient l‘établissement de liens plus étroits entre
les États membres. Les unionistes étaient donc opposés au modèle fédéral et aux formules
d‘intégration. Ils ne se démarquaient pas par une grande originalité et s‘inspiraient largement
des propositions de l‘entre-deux-guerres qui, sous des formules diverses, préconisaient la
coopération intergouvernementale319.
En revanche, le fédéralisme était la voie proposée par ceux qui souhaitaient l‘instauration
d‘un gouvernement fédéral européen. Les Fédéralistes admettaient donc la limite de la
souveraineté des États au profit d‘une institution centrale. S‘inspirant du schéma des ÉtatsUnis d‘Amérique, ils envisageaient une délégation à l‘autorité fédérale de certaines
compétences (Affaires étrangères, Défense, Commerce international)320. Les fédéralistes
étaient les plus audacieux face à l‘opportunité historique d‘après-guerre : le danger contre le
communisme, l‘intérêt économique et une idéologie commune.
319
320
Elisabeth du Réau, op.cit., pp.167.
Elisabeth du Réau, ibid., pp.169-170.
129
En premier lieu, le danger commun n‘était plus le Reich qui symbolisait le point
d‘aboutissement du chaos provoqué par les politiques nationales ou nationalistes, du moins à
partir de la fin de l‘année 1947, mais le communisme aux portes de l‘Europe occidentale. En
1948, le « coup de Prague », le blocus de Berlin et la mise au pas d‘autres pays occupés par
l‘URSS provoquaient une prise de conscience du danger soviétique en Europe occidentale. À
tel point que, dans la même année, le congrès de mai à La Haye se déroulait en plein
développement d‘une tension Est-Ouest de la « guerre froide ». Alors que Winston Churchill
amorçait le début d‘une prise de conscience européenne. L‘ensemble de ces circonstances
renforça particulièrement le camp de ceux qui désiraient une union plus étroite et la
constitution rapide d‘un État fédéral en Europe.
En deuxième lieu, des intérêts économiques communs se retrouvaient dans la nécessité de
reconstruire l‘Europe. À l‘heure de l‘aide américaine et du plan Marshall, on avança donc le
cadre de l‘Organisation européenne de coopération économique (O.E.C.E.) où était
préconisée l‘union des États européens pour une meilleure gestion. Mais, comme Monnet le
remarqua : « les voies plus pragmatiques ouvertes par l‘O.E.C.E. ne déboucheraient pas
d‘avantage sur des perspectives d‘unité, car il était stipulé que chacun pouvait se soustraire
aux décisions qui le gênaient. C‘était contraire à l‘esprit de communauté »321. Toutefois, la
coopération, avec ces limites, était un facteur potentiel de progrès pour l‘économie
européenne.
En troisième lieu, l‘idéologie commune représente les idéaux du monde libre dont la
défense ne peut être assurée que par le fédéralisme européen, avec toutes les variantes
possibles, en coopération avec les États-Unis. Cette attitude était commune à une certaine élite
intellectuelle et politique : celle des groupes fédéralistes représentés par Alexandre Marc,
celle des hommes politiques tels que Robert Schumann, Pierre-Henri Teitgen, Léon Blum…
une bonne partie des responsables du M.R.P. et du parti socialiste (S.F.I.O.)322.
À cet égard, on peut dire que Jean Monnet représentait ce troisième courant. Il admettait
surtout la limite de la souveraineté des États au profit d‘une institution centrale, en
coopération avec les États-Unis, comme le résume Robert Bowie, professeur à l‘Université
d‘Harvard et conseiller de John J. Mac Cloy, artisan et défenseur du fédéralisme européen :
321
322
Jean Monnet, Mémoires, p.394.
Christophe Réveillard, op.cit., pp.66-67.
130
« 1. L‘État souverain, particulièrement en Europe, n‘était pas à la hauteur de sa tâche dans
le monde moderne interdépendant ; 2. les négociations et la coopération entre États ne
convenaient pas pour définir et faire progresser les intérêts communs dans les domaines de la
paix, de la prospérité et de l‘influence ; 3. seules des institutions supranationales se partageant
la souveraineté et appliquant des règles communes peuvent répondre à ce besoin ; 4. l‘égalité
entre les membres est essentielle au maintien de la cohésion de la communauté et à
l‘observance des règles. La rivalité pour une domination nationale entendre la guerre et
l‘éclatement»323.
Comme il l‘écrivait déjà dans sa note au C.F.L.N. le 5 août 1943, il développait sa
philosophie d‘une fédération de l‘Europe, étant donné qu‘à ses yeux, il était nécessaire de
contribuer en priorité à éviter la guerre : «Il n‘y aura pas de paix en Europe si les États se
reconstituent sur une base de souveraineté nationale [...]. Il est essentiel que soit empêchée la
reconstitution de souveraineté économique [...]. les pays d‘Europe sont trop étroits pour
assurer à leurs peuples la prospérité [...]. Leur prospérité et les développements sociaux
indispensables sont impossibles à moins que les États d‘Europe ne se forment en une
fédération […] »324.
D‘autres voies américaines, aux niveaux politique et diplomatique peuvent être comparées
à celle empruntée par Jean Monnet, parmi lesquelles se situent Dean Acheson, William
Clayton, Charles Bolhen, Mac Cloy, Dulles ou encore le jeune McGeorge Bundy.
En 1947, les partisans de l‘intégration européenne, supplantés à la fin de l‘ère Roosevelt
par les mondialistes, commencèrent à occuper dans l‘administration des postes très
importants. C‘était le cas notamment de Dean Acheson, secrétaire d‘État adjoint, de William
Clayton, de Charles Bolhen, sans oublier Mac Cloy, Dulles et le jeune McGeorge Bundy,
ancien collaborateur d‘Henry Stimson.325 Tous ont en commun de croire à la nécessité de
hâter le processus d‘unification à l‘ouest de l‘Europe. Ils ne cessèrent de répéter aux
Européens la nécessité de gestes concrets de « coopération » et d‘«unification » : «À ce
moment là, écrivait Pierre Mélandri, l‘« intégration » ou l‘« unification » de l‘Europe tient,
dans la politique étrangère Américaine, une place clé. Très vite, en effet, elles sont apparues
indispensables au succès des deux principaux objectifs que l‘Administration s‘est fixés :
323
Robert Bowie, « Réflexions sur Jean Monnet », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, op.cit., p.84.
FJME AME 33/1/3 : Une note au C.F.L.N. par Jean Monnet, (05.08.43)
325
Éric Roussel, Jean Monnet, p.488.
324
131
amarrer solidement le nouvel État allemand à l‘Occident et persuader le Congrès d‘accorder
d‘impressionnants subsides aux pays dont l‘économie doit être relevée. Inversement, dans le
cadre de l‘endiguement, la vision « pan européenne » n‘est plus d‘actualité. L‘Europe que
l‘on entend organiser, unifier et donc renforcer, c‘est celle qui échappe à l‘emprise du camp
opposé »326.
Le 17 janvier 1947, Dulles tenta d‘unifier la « doctrine européenne » des États-Unis en
développant le concept d‘intégration. Il dut juger que l‘heure était mûre pour engager le parti
républicain derrière des thèmes européens. Parlant devant le Syndicat national des éditeurs de
Journaux, il rappela que les fondateurs des États-Unis avaient déjà inventé la seule solution
durable aux incertitudes européennes. Se gardant cependant de préconiser une unification
politique, il se déclarait en faveur de l‘unification économique327. De plus, en novembre 1947,
il se lança dans le combat en faveur d‘une Europe unie. Il le dit devant le comité pour les
Affaires étrangères du Sénat : « Le projet Marshall proposé à Harvard le 1 juin est puissant
non dans la mesure où il signifie que les USA doivent faire cadeau de plus d‘argent. Cela
serait de la routine. Ce qui frappe l‘imagination des hommes et les engage dans une action
rapide, c‘est la suggestion selon laquelle les peuples d‘Europe devraient coopérer dans
l‘intérêt d‘une Europe conçue comme un ensemble. C‘est cette conception de l‘unité
européenne qui doit être et rester le thème central. Après ce qui s‘est passé au cours des
dernières années, les peuples d‘Europe seront incapables de se maintenir eux-mêmes à un
niveau de vie décent s‘ils agissent en tant que petites unités économiques désunies […] »328.
Tandis qu‘au niveau économique, un rapport de la Banque Mondiale (sous direction
américaine) publié le 29 septembre 1948, indiquait la nécessité d‘une unification économique
de toute la zone géographique bénéficiant du plan Marshall ; unification à réaliser par le biais
de la libre circulation des personnes, des biens et capitaux. Pour ce faire, toute une série de
mesures spécifiques était préconisée : modernisation, concentration et standardisation de la
production industrielle329.
Les États-Unis étaient ainsi très enthousiastes à l‘idée de l‘unité européenne, parce qu‘à
leurs yeux, l‘intégration permettait d‘espérer la suppression des barrières monétaires
326
Pierre Mélandri, « le rôle de l‘unification européenne dans la politique extérieure des États-Unis 1948-1950 »,
in Raymond Poidevin, op.cit.
327
Pierre Mélandri, op.cit., pp.82-83.
328
Nation archives, Washington DC 840-50, Recovery/11-1247, cité par Éric Roussel, Jean Monnet, p.489
329
Éric Roussel, Jean Monnet, p.489.
132
permettant ainsi une croissement et une activité économique décuplée : « Pour protéger du
communisme, écrit Éric Roussel, mais aussi parce qu‘une Europe unie et prospère est une
perspective favorable aux intérêts des États-Unis. Et parce qu‘ils souhaitent une libéralisation
du commerce mondial »330, une grandes majorité de financiers et d‘industriels américains
partageait cette conviction. En fait les États-Unis craignaient le retour au nationalisme et au
protectionnisme, véritables freins à la croissance européenne et terreau pour la discorde et les
conflits, bref une situation peu favorable aux intérêts américains, comme le souligne Pascaline
Winand, spécialiste du projet des États-Unis d‘Europe : « Il n‘y a pas de doute que les ÉtatsUnis sont sortis de la guerre avec une production agricole et industrielle de très loin
supérieure aux besoins domestiques. Si l‘économie américaine ne devait pas trouver de
débouchés sur les marchés étrangers pour ses produits, il s‘ensuivrait certainement un
sentiment de frustration»331.
Outre le développement économique de l‘Europe mais aussi des États-Unis, l‘intégration
aiderait à surmonter le problème allemand parce qu‘une unification européenne permettrait la
conciliation des intérêts opposés et la contribution économique d‘une Allemagne productive
et stable. John Foster Dulles remarqua le lien indissociable entre l‘unification européenne et le
problème allemand : « […] Je pense que l‘européanisation pourrait commencer un processus
qui finalement aboutirait à une union économique et politique plus grande en Europe, quelque
chose que je juge impossible si l‘Allemagne contrôle seule la Ruhr et la Rhénanie»332. Il était
essentiel, en conséquence, que le potentiel de l‘économie allemande, ou du moins celui de la
Ruhr et de la Rhénanie fût entièrement développé et « intégré » dans l‘Europe « occidentale »
selon un processus qui interdisait toute domination germanique.
En résumé, pour les Américains, une unification européenne permettait d‘espérer une
libéralisation du commerce mondial, ainsi que l‘apport d‘une solution au problème allemand,
en ancrant et stabilisant l‘Allemagne dans l‘Europe occidentale. Cependant, nous pouvons
nous interroger sur le type d‘unification souhaité par les Américains.
Par exemple, John Foster Dulles, le futur secrétaire d‘État, grand ami de Jean Monnet,
écrivait déjà en juillet 1942 : « d‘un point de vue strictement égoïste, tout programme de paix
330
Éric Roussel, Jean Monnet, p.488.
Pascaline Winand, op.cit., p.5.
332
John Foster Dulles to Freddie Mayer », September 24, 1946, Dulles Papers, I., cité par Pierre Mélandri,
op.cit., p.82.
331
133
Américain se doit de rechercher une fédération pour l‘Europe continentale»333. Cet
établissement officiel des priorités trouvait d‘ailleurs son origine dans le début de
conversation du président Roosevelt selon lequel les intérêts de l‘Amérique résidaient dans
une intégration européenne. Bernard Baruch, financier de Wall Street, chargé de la direction
du War Industries Board, affirma en janvier 1945 qu‘une fédération des États européens serait
un objectif des plus désirables : « Comme d‘habitude, relate le vieux financier, il [Monnet]
lançait des idées et recherchait les réactions qu‘elles provoquaient. Une des idées qu‘il discuta
avec Baruch fut la création d‘États Unis d‘Europe -une union fédérale- qui, pensait-il, pourrait
être la réponse à de nombreux et vieux problèmes économiques et politiques de cette
dernière»334. De même, William Bullitt, en 1946, insista pour une fédération démocratique :
«Ou bien une partie importante de l‘Europe s‘unira en une fédération démocratique, ou bien
toute l‘Europe se trouvera unie sous la tyrannie soviétique»335.
Le 17 mars 1947, avant le discours du secrétaire d‘État Marshall à Harvard, le sénateur J.
William Fulbright écrivait dans le magazine Life : «Notre politique devrait être d‘aider les
Nations d‘Europe à se fédérer, comme (nos) États se sont fédérés en 1787»336. Par ailleurs,
différemment de Marshall qui n‘évoquait la nécessité que d‘«un programme commun » et
d‘« unité économique de l‘Europe », lors de son discours d‘Harvard, William Clayton, le
sous-secrétaire d‘État aux affaires économiques, précisa qu‘une fédération économique était
préférable, conformément à ce qu‘il écrivit, le 27 mai 1947, au secrétaire d‘État Marshall : le
plan de redressement du vieux continent devrait «être basé sur une fédération économique de
l‘ordre de l‘union douanière de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg»337.
À ce moment-là, Monnet partageait avec eux l‘idée d‘une fédération européenne. Les
projets Américains lui semblaient entrouvrir la possibilité de créer une « véritable
Fédération » de l‘Europe occidentale, Grande-Bretagne comprise. Quand l‘O.E.C.E. fut
lancée en 1948, il la critiqua et fit part de ses réflexions à George Bidault en ces termes :
« L‘effort des différents pays, dans les cadres nationaux actuels, ne sera pas à mon avis
suffisant. En outre, l‘idée que seize pays souverains coopéreront effectivement est une
333
John Foster Dulles, « Peace Without Platitudes » in Fortune, XX V, n. 1, January 1942, p. 87, cité par Pierre
Mélandri, ibid., p.27.
334
Bernard M. Baruch, The public Years, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1960, p. 340, cité par Pierre
Mélandri, ibid., p.15.
335
William Bullitt, Le Destin du Monde, Paris, 1948, p. 154. Ce livre est la traduction de The Great Globe Itself
paru aux États-Unis en 1946.
336
Christophe Réveillard, op.cit., p.152.
337
Mémorandum du 27 mai 1947 adressé par Clayton à Marshall, cité par Pierre Mélandri, op.cit., p.97.
134
illusion. Je crois que seule la création d‘une fédération de l‘Ouest, comprenant l‘Angleterre,
nous permettra en temps voulu de régler nos problèmes et finalement d‘empêcher
l‘impossibilité, mais je ne vois pas d‘autre solution, si le répit nécessaire nous est accordé»338.
Pour Monnet, la fédération était l‘unique solution tant pour obtenir la prospérité de
l‘Europe que pour régler les problèmes nés des tensions internationales. Et, l‘exemple
américain, pour lui, était un argument fondamental pour transformer l‘intégration économique
européenne en une véritable fédération. Parce qu‘il était convaincu que le développement
européen conditionnerait l‘aide américaine et qu‘une constitution des États-Unis d‘ Europe
pourrait être la dernière étape d‘une fédération européenne qui stabiliserait le monde ; toutes
ses réflexions l‘amenaient à cette seule et unique conclusion : la conviction profonde que
l‘avenir de l‘Europe était le fédéralisme, après son voyage aux États-Unis en 1948. Il l‘énonça
dans ses Mémoires : «Si cette idée (la création d‘une fédération de l‘Ouest) s‘est, de nouveau,
imposée à moi avec force, ce n‘était pas en raison des insuffisances de l‘effort fait à Paris - je
n‘en attendais pas beaucoup - mais en conclusion de ce que je venais de voir en quelques
semaines aux États-Unis après deux ans d‘absence »339.
L‘objectif officiel de son voyage était d‘obtenir à l‘origine des allocations supplémentaires
de blé. Mais comme à son habitude, il commença par rencontrer des gens importants de qui il
tirait des informations sûres : « C‘est l‘objet de mes voyages réguliers qui commencent
chaque fois par le même rituel de l‘amitié d‘où je tire mes information les plus sûres. Là où se
traitent les grandes affaires-à Londres, à New York, à Washington-, je vais d‘abord voir les
hommes dont la première règle est de ne pas se tromper : banquiers, industriels, avocats,
journalistes. […] Je revoyais également dans leurs cabinets d‘avocats Dean Acheson et
George Ball, dans leurs universités Robert Bowie, Walt et Gene Rostow, et McGeorge Bundy
[…] »340. Dans son voyage aux États-Unis en 1948, à ses yeux, l‘Amérique était en marche,
mais elle n‘était ni réactionnaire ni impérialiste, comme l‘atteste sa lettre adressée à Robert
Schuman le 18 avril 1948 : « Ce pays est toujours animé par une force dynamique qui vient de
la nature même de chaque individu. L‘Amérique est en marche, mais elle n‘est ni
réactionnaire, ni impérialiste. Elle ne veut pas la guerre, mais elle la fera si c‘est nécessaire.
Sa résolution sur ce point est très ferme. Mais pas une résolution aveugle. Je vous expliquerai
la transformation qui s‘est produite ici au cours des dernières semaines: on est parti de la
338
Jean Monnet, Mémoires, p.392.
Jean Monnet, Mémoires, p.392.
340
Jean Monnet, Mémoires, pp.391-392.
339
135
préparation pour la guerre, on en est à la préparation pour empêcher la guerre – et maintenant
se dessine l‘idée d‘une possibilité de détente. […] il faut nous rendre compte, ainsi que je
vous le disais plus haut, que l‘Amérique est animée essentiellement d‘une volonté d‘action –
action chez elle – et aussi chez les autres – action pour elle, veut dire à l‘heure actuelle
empêcher la guerre, aider l‘Europe de l‘ouest à se reconstruire et préparer les voies à l‘arrêt de
l‘expansion russe» 341.
Il précise cependant avec réalisme que : « Dans l‘esprit de tous ici l‘effort européen doit
correspondre à l‘effort de ce pays – effort de production d‘abord – effort aussi d‘une autre
nature. Ils aideront ces efforts de toutes sortes de manières et avec détermination. Mais il faut
bien nous rendre compte que, tant les dirigeants ici que l‘opinion publique, attendent
beaucoup de nous. Nous nous exposerions à de cruelles déceptions en pensant que les crédits
Marshall continueront longtemps si l‘Europe ne peut pas montrer rapidement une production
accrue et modernisée»342.
Aussi, arriva-t-il à ces nouvelles conclusions dans sa lettre à Robert Schuman : qu‘en
premier lieu, les pays d‘Europe devaient se décider à mettre fin à leur dépendance, ce qui
impliquait à terme la création d‘une fédération de l‘Ouest : «Je ne peux pas m‘empêcher
d‘être frappé de la nature des relations qui risquent de s‘établir entre ce grand pays dynamique
et les pays d‘Europe s‘ils demeurent dans leur forme et leur mentalité actuelles: il n‘est pas
possible, à mon avis, que l‘Europe demeure « dépendante » très longtemps et
presque exclusivement pour sa production, des crédits Américains, et pour sa sécurité, de la
force Américaine, sans que des conséquences mauvaises se développent ici et en Europe»343.
Et qu‘en second lieu, seule la création d‘une fédération de l‘Ouest, comprenant
l‘Angleterre, était la solution tant pour régler les problèmes que pour empêcher la guerre : «
[...] l‘effort des pays de l‘Europe de l‘ouest pour être à la mesure des circonstances, du danger
qui nous menace et de l‘effort Américain a besoin de devenir un effort européen véritable que
seule l‘existence d‘une Fédération de l‘ouest rendra possible. Je sais tout ce qu‘une telle
perspective représente de difficultés mais je crois que seul un effort dans ce sens nous
341
FJME AMF 22/1/ : Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, (18.04.48)
FJME AMF 22/1/5 : Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, (18.04.48)
343
FJME AMF 22/1/5 : Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, (18.04.48)
342
136
permettra de nous sauver, de demeurer nous-mêmes et de contribuer essentiellement à éviter
la guerre »344.
Cette idée, Monnet l‘exprima avec force et enthousiasme : «pas d‘effort européen
véritable sans fédération de l‘Ouest, mais en même temps pas de fédération qui ne prenne
appui sur un tel effort»345. En somme, le fédéralisme était la solution tant économique que
politique pour sauver l‘Europe des tensions et du chaos, d‘après Monnet. À travers ce voyage,
en discutant avec Hoffmann et ses collaborateurs, ils échangèrent des points de vues. L‘étatmajor regroupé autour de Hoffmann était composé d‘hommes que Monnet connaissait de
longue date. Monnet l‘écrivit :
«Je m‘apprêtais à partir aujourd‘hui pour être avec vous lundi en réponse à votre
télégramme. Hier Hoffmann m‘a demandé d‘avoir avec lui et ses collaborateurs personnels un
échange de vues vers le milieu de la semaine car il a dû s‘absenter pour quelques jours en
Californie. Je connais Hoffmann depuis longtemps; ses collaborateurs sont pour moi pour la
plupart des amis de très longue date. Il a exprimé le désir d‘examiner avec moi le programme
qu‘il se propose de suivre. Après m‘en être entretenu avec Bonnet, nous n‘avons pas douté
que vous penseriez que je ne pouvais pas manquer cette occasion de discuter son programme
avec Hoffmann au moment même où ce dernier forme son opinion.
Au cours de mon séjour ici j‘ai vu en ami les nombreuses personnes que je connais depuis
longtemps. Je vous en donnerai le détail à Paris. J‘ai naturellement été en rapport journalier
avec Bonnet que j‘ai tenu au courant de toutes les conversations que j‘ai eues. Vous
connaissez assez l‘Amérique pour savoir que ces conversations ont été des conversations
amicales, officieuses et découlant tout naturellement des rapports personnels amicaux et
souvent intimes que j‘ai ici depuis longtemps»346.
Ainsi que Hoffman s‘en souvenait dans un interview.
«Those of us involved in the actual administration of the Marshall Program had very much
in our minds the building of the new Europe. We had been persuaded by Jean Monnet and
others that there was no hope for progress of a compartmentalized Europe and that in a
postwar world, Europe‘s future would be dim unless there was close cooperation among the
Marshall Plan countries. Speaking personally, I thought that union would first come along
344
FJME AMF 22/1/5, Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, (18.04.48)
Jean Monnet, Mémoires, p.393.
346
FJME AMF 22/1/5 : Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, (18 04.48)
345
137
economic lines and that some degree of political union was certain to follow. The reason for
economic union were compelling»347.
Toutefois, Monnet se démarqua un peu de ses amis américains en rejetant en bloc l‘idée
d‘institutions européennes intergouvernementales auquel il préférait l‘efficacité de nouvelles
institutions supranationales, dotées de réels pouvoirs et d‘une indépendance par rapport aux
nations européennes. D‘où certainement sa critique envers l‘O.E.C.E. et le Conseil de
l‘Europe, qui à ses yeux, ne visaient que l‘échec du fédéralisme de part leur incapacité à agir
pour l‘Europe contre les nations. Trois ans seulement après la fin des combats (1948), à
travers le fédéraliste européen, Monnet déclarait son ambition d‘unir non seulement des États
mais aussi des peuples : « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes»348.
Le refus britannique de l’Europe et le leadership de la France en 1949.
En 1948-1949, certaines conditions permettant une intégration positive de l‘Allemagne
dans la communauté des peuples d‘Europe semblaient être remplies. Un large consensus se fit
autour de l‘idée que la stabilité, la prospérité, la sécurité et la modernité de l‘Europe ne
pouvaient être obtenues que grâce à l‘intégration de l‘Allemagne dans le système européen.
Par ailleurs, le contrôle commun permettait de développer son potentiel industriel dans
l‘intérêt de la vie économique de l‘Europe de l‘Ouest. C‘étaient les idées que partageait Jean
Monnet avec les élites politiques Américaines.
La question du contrôle de la Ruhr était au cœur du conflit entre Washington et Paris
concernant le problème allemand. Du fait que la Ruhr devait servir de berceau à l‘aventure
européenne sous la forme de la Communauté du Charbon et de l‘Acier. Le désaccord des
Français avec leurs alliés persistait à ce sujet, les empêchant de se sentir en sécurité, les
rendant incapables de passer de l‘affrontement à la coopération349.
À ce moment-là, Monnet pensa que le temps était venu de tenter un saut vers l‘inconnu. Il
commença à voir plus loin en termes d‘institutions dotées de compétences non seulement sur
347
HST 70, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview de Paul G. Hoffman, (25.10. 64)
Jean Monnet, Mémoires.
349
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954…op.cit., p.662.
348
138
l‘Allemagne mais aussi sur ses voisins. Au cœur de l‘été, il s‘efforça de rallier les Américains
au concept international de la Ruhr souhaitée par les Français. Aux États-Unis, il y avait un
certain nombre de personnes séduites par l‘idée d‘étendre à d‘autres régions le contrôle de la
Ruhr, en fondant un embryon d‘union ou de fédération sur cette organisation350.
Tout au long de ces mois, Monnet vit souvent les responsables de la politique américaine
en Allemagne et en particulier Robert Murphy, qu‘il avait rencontré en 1937-1938, à Paris
avant de le revoir à Alger en 1943. Il eut également de fréquentes discussions avec Lewis
Douglas, ambassadeur américain à Londres. Il les convainquit que la solution au dilemme
était de faire de l‘Autorité internationale de la Ruhr une Autorité de dimension européenne.
Peut-être, envisageait-il de gagner le gouvernement français à ses propres idées en
convaincant les Américains de les avancer351 : «I am still thinking hard about your Ruhr plan,
but can‘t yet see its relation to the overall economic problem (as distinguished from the
political-military) nor its immediate practicability. What do you think ? »352.
Lors de la conférence de Londres sur l‘Allemagne, Douglas parla de faire contrôler la
Lorraine par la future Autorité Internationale de la Ruhr. Bien sûr l‘idée restait inacceptable,
mais la direction Europe du Quai d‘Orsay décida de l‘étudier comme une étape vers une unité
européenne et surtout vers une égalité entre la France et l‘Allemagne. Ce comportement était
vraiment nouveau en juin 1948353.
Le 10 novembre 1948, la « loi 75 » fut édictée en Allemagne de l‘Ouest. Elle prévoyait
que des gérants allemands remplaceraient les anciens propriétaires en attendant la décision du
peuple allemand. Clay et Robertson soumirent brutalement au commandant en chef français
en Allemagne une méthode de déconcentration de l‘industrie allemande de la bizone et un
projet, qui laissait le soin au futur gouvernement allemand, de trancher la question de la
propriété des mines et industries de la Ruhr, en contradiction avec les positions françaises les
plus connues354.
350
Pierre Mélandri, op.cit., pp.154-155.
Pierre Mélandri, ibid.
352
FJME AMF 23/4/190 : Lettre de R.V.Rostow à Jean Monnet. [La date n‘est pas identifiée]
353
YI 1944-49, 399, D. Europe, 12 juin 1948, «Note», cité par Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et
la construction européenne 1944-1954, op.cit., p.655.
354
YI 1944-49, 372, Direct des accords techniques, « a/s des intérêts alliés en Allemagne », à Washington 466667, Londres 3856-57. YI 1944-49, 399, DAEF, 16 octobre 1948, cité par Gérard Bossuat, La France, l’aide
américaine et la construction européenne 1944-1954, ibid. pp.662-663.
351
139
Le lendemain, les conversations sur la charte de l‘Autorité Internationale de la Ruhr
(AIR), à Londres, s‘ouvrirent dans des conditions peu favorables aux thèses françaises en
raison de la loi 75, parce que Anglais et Américains voulaient, une fois de plus, accélérer le
relèvement économique et politique de l‘ancien Reich. Ils étaient décidés à augmenter la
production allemande alors que les Français réclamaient l‘internationalisation de la propriété
et un contrôle serré sur la production des industries de la Ruhr355 .
C‘est dans ce climat tendu, que Anglais et Américains prirent l‘initiative de remettre la
gestion de la Ruhr aux Allemands. En conséquence, le communiqué final de la conférence de
Londres (28 décembre 1948) annonça le transfert de pouvoirs plus étendus à l‘Autorité
internationale356. À la fin, la mise en place des accords se fit difficilement. Par contre, le
communiqué final concernant le projet d‘Autorité Internationale de la Ruhr, comportait des
avancées pour les positions françaises selon Gérard Bossuat. L‘AIR devait coordonner les
activités de production de la Ruhr avec celles de l‘OECE, interdire les pratiques
discriminatoires, partager la production de charbon et d‘acier entre l‘Allemagne et
l‘exportation et préserver les intérêts étrangers dans la Ruhr»357.
Cependant la création de l‘Autorité internationale de la Ruhr358, qui venait d‘être
officialisée à Londres le 28 avril 1949, ne régla pas tous les problèmes. Les Français avaient
toujours un sentiment de peur contre l‘Allemagne, car la sécurité de la France n‘était pas
assurée. Il leur semblait que les Américains choisissaient l‘Allemagne, qu‘ils ne répondaient
pas à l‘angoisse des Français quant à leur sécurité par rapport à l‘Allemagne ou sur les risques
d‘un renouveau de l‘industrie allemande. Inversement, les Allemands avaient le sentiment
d‘être tenus sous surveillance. Monnet s‘en inquiétait, comme en témoigne George Ball, le
futur secrétaire d‘États de Kennedy : « […] But during ‗48 then I continued to work with
Monnet, primarily to assure that the Plan was getting enough interim funds from the United
states to go about its business effectively. In ‘49 I spent three and a half months in Paris. […]
It was ‘49. The reason I spent so long in Paris was that I was setting up an office there for my
law firm. But I spent a lot of time with Jean, too […]. There was a lot of fear and distress
building up between the Germans and the French and there was deep concern that once
355
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, ibid., p.664.
Éric Roussel, Jean Monnet, pp.156-157.
357
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit, p.666.
358
En ce qui concerne l‘Autorité Internationale de la Ruhr (AIR), voir Gérard Bossuat, La France, l’aide
américaine et la construction européenne 1944-1954, ibid., pp.662-667.
356
140
Germany began to break loose from Allied restrictions, it would outpace the French, and that
the French would fall back into their old protectionist mood again. In Paris, during ‘49, as an
American, I could sense a resurgence of introspection, a slackening of vitality and an
examination once again of old dark rivalries, fears, and complexes, Monnet was very much
worried about this. Well, then came the Schumann Plan »359.
C‘est dans ce contexte que Monnet allait se tourner vers la Grande-Bretagne pour essayer
d‘aller plus loin dans l‘organisation de l‘Europe occidentale. Aux yeux de Monnet, la GrandeBretagne était appelée à jouer un rôle décisif, comme l‘explique Klaus Schwabe : « puisque sa
participation pouvait empêcher que l‘Europe unie ne devienne un jour une Europe
germanisée. Puisque sa participation était censée augmenter le poids politique de l‘Europe
unie de façon à ce qu‘il fût possible d‘entretenir un dialogue entre le vieux monde et les ÉtatsUnis »360.
C‘est dans l‘espoir que la Grande-Bretagne accepterait le rôle de contrepoids vis-à-vis de
l‘Allemagne et d‘intermédiaire entre l‘Europe et les États-Unis, que Monnet discuta, en 1949,
avec le ministre Edwin Plowden361, qui dirigeait l‘équipe de travail chargée de la planification
au ministère des finances britanniques. Au début de mars, de nouveaux entretiens eurent lieu.
Monnet valorisa d‘emblée le rôle que la Grande-Bretagne allait être appelée à jouer. Il pensait
que « ni l‘Angleterre ni la France, n‘avait une politique constructive vis-à-vis de
l‘Allemagne»362.
Monnet entra au cœur du sujet dans sa discussion avec Plowden : « L‘OECE, sans doute,
était très utile, mais cette organisation ne pourrait, seule, créer une dynamique ; elle avait
l‘avantage de fournir un cadre fixe pour des négociations bilatérales ; toutefois, regroupant
des nations souveraines, elle ne pouvait dégager de vraies solutions»363. Monnet était très
mécontent des modalités de distribution des moyens financiers intergouvernementaux de
l‘OECE. Il préférait, notamment au regard de la question allemande, une institution
indépendante dotée de certaines compétences supranationales.
359
FJME Fonds d‘Histoire orale, témoignage de George Ball par Léonard Tennyson, (15.07.81)
Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les États-Unis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique »,
in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, (sous la dir.), op.cit., p.278.
361
Edwin Plowden a été nommé en 1947-après un bref retour vers le secteur privé-Chief Planning Officer et
président de l’Economic Planning Board, un organisme un peu comparable au Plan français. En 1954, il
deviendra le premier président de l’Atomic Energy Authority.
362
Éric Roussel, Jean Monnet, p.505.
363
Éric Roussel, Jean Monnet, p.505.
360
141
Cependant Plowden n‘accorda pas une pleine attention aux analyses de Monnet, car il
pensait que sa proposition n‘était acceptable ni pour un gouvernement travailliste ni pour un
gouvernement conservateur, ni surtout pour l‘opinion publique. Il commenta cet échec avec
du recul : « Lors de cette réunion, Jean Monnet a fait deux remarques qui sont restées ancrées
dans mon esprit. […] Il me semble que Jean Monnet réalisait qu‘il était très difficile de faire
comprendre à des Anglais les avantages qu‘ils pouvaient avoir à rejoindre le continent. Il faut
bien voir, en effet, que le Foreign Office était bien persuadé que seule l‘intervention de
l‘Amérique au cours des deux guerres mondiales avait changé le cours de l‘Histoire et même
qu‘il eût été préférable que les États-Unis intervinssent avant. Par conséquent, la diplomatie
britannique tenait absolument à ce que les États-Unis fussent engagés en Europe afin de parer
à toute éventualité.[…] Il était très réaliste et il connaissait très bien les Anglais, Je ne crois
pas qu‘il ait eu beaucoup d‘illusions sur les chances d‘arriver à un accord avec la GrandeBretagne sur le terrain qu‘il proposait; je pense qu‘il voulait surtout lancer un ballon d‘essai,
évaluer les réactions de la Grande-Bretagne et lui donner éventuellement la chance d‘être
associée plus tard à ce qui devint le plan Schuman »364.
Les responsables anglais énumérèrent les raisons pour laquelle ils refusaient toute atteinte
à la souveraineté de leur Nation. Selon Christophe Réveillard, les principales raisons avancées
par l‘Angleterre à ce moment étaient : « -la crainte de voir sa politique travailliste (de
nationalisation, entre autres) remise en cause au sein d‘une Europe intégrée acquise aux
principes libéraux Américains ; -son refus absolu de voir sa monnaie, la Livre, n‘avoir plus
qu‘un statut de second rang, voire « fusionnée » dans le cadre d‘une intégration monétaire ; son rejet de toute union institutionnelle dans le cadre d‘une O.E.C.E, renforcée politiquement,
menaçant les rapports privilégiés avec l‘empire et le Commonwealth ; -et surtout sa volonté
de partager avec les États-Unis le leadership mondial dans un « rassemblement anglo-saxon »
qui ne manquait pas de soutiens outre-Atlantique »365.
Sur ce dernier point, Gérard Bossuat explique que « sa répugnance à aller vers l‘unité
européenne, répond à une analyse plus vaste de ses intérêts : l‘alliance privilégiée avec les
États-Unis. En 1949 les Anglais choisissent l‘Atlantisme, c‘est-à-dire l‘Amérique366. La
signature du traité de l‘Atlantique les renforça dans cette voie. Depuis les négociations et la
signature du pacte Atlantique, le gouvernement anglais « était soulagé de pouvoir se dégager
364
Éric Roussel, Jean Monnet, p.508
Christophe Réveillard, op.cit., p.154.
366
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit., p.643.
365
142
de l‘aventure européenne et de jouer dans l‘Alliance atlantique un rôle de direction aux côtés
des États-Unis »367. À cet égard, le traité n‘était pas une bonne affaire pour l‘unité
européenne. D‘après Gérard Bossuat, les Britanniques choisirent la sécurité pour eux et le
Commonwealth contre l‘aventure européenne, qu‘ils ne se sentaient pas capables de conduire,
et qui leur paraissait même dangereuse pour leur stabilité économique et leur sécurité. Les
attitudes britanniques sur la question européenne conduisirent à un état de crise qui rendait
impossible l‘élaboration d‘une politique européenne368.
Côté américain, on déplora la position anglaise. Le problème posé par les réticences de la
Grande-Bretagne avait été d‘autant plus commenté aux États-Unis que ses partenaires ne
s‘étaient jamais privés de l‘invoquer pour se justifier. En outre, le manque d‘enthousiasme du
gouvernement britannique envers le projet de « Conseil de l‘Europe » avait provoqué aux
États-Unis un mouvement d‘irritation suffisamment vif pour émouvoir l‘Administration. En
fait, les relations avec l‘Angleterre étaient l‘une des questions les plus embarrassantes
auxquelles le département devait faire front, parce que la nation britannique paraissait tout
naturellement appelée à jouer le rôle d‘allié privilégié de l‘Amérique, alors que la Guerre
froide prenait un caractère de plus en plus militaire, comme l‘indique Robert Lovett, adjoint
de Marshall au Secrétaire d‘État, le 3 décembre 1948 : « Il est essentiel que les Britanniques
prennent la direction de la construction d‘une intégration européenne plus étroite. Pourtant, au
moins pour le moment, une telle évolution ne serait opportune ni pour nous ni pour eux si elle
devait impliquer un relâchement de leurs liens avec notre pays ou avec les Dominions »369.
Quand il fut évident qu‘il ne fallait pas compter sur un engagement européen de la
Grande-Bretagne, un partenariat actif entre l‘Allemagne et la France fut proposé par les ÉtatsUnis. Au sein du département Europe du Quai d‘Orsay, on commença à considérer la
possibilité de procéder à un rapprochement avec l‘Allemagne à l‘intérieur de l‘OECE. Selon
l‘explication de Gérard Bossuat, certains hauts fonctionnaires du Quai d‘Orsay proposèrent
une nouvelle politique à propos de l‘Allemagne, incluant les propositions de Monnet. À
l‘automne 1948, les services français du Quai d‘Orsay étudiaient précisément les
complémentarités des trois économies : française, allemande et du Benelux. La notion
367
Maréchal Huddleston au général Stehlin in « Retour à zero », P. Stehlin, Paris, Laffont, 1968, p.58, cité par
Christophe Réveillard, op.cit., p.155.
368
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit, .p.643.
369
FRUS, 1948, I, p.303.
143
d‘intégration de l‘économie allemande à l‘Europe de l‘OECE était acquise. Mais les zones de
friction persistaient dans les domaines de la sidérurgie ou de l‘électricité370.
C‘est vrai que la présence de l‘Allemagne à l‘OECE causait aux Français des soucis
permanents. Mais, en 1948, les Français commencèrent à espérer contenir le développement
allemand en s‘appuyant sur l‘OECE où la France disposait d‘une grande influence. Les pays
du Bénélux, par exemple dans le cadre d‘une union douanière, rejoignirent les positions que
Jean Monnet avait défendues depuis les premières années de la guerre371: « Ce nouveau
tournant de la discussion, écrit Wolf D. Gruner, permettait à Monnet de croire en la prochaine
concrétisation de ses propositions»372.
Washington ne cacha plus son désir non seulement de voir l‘Allemagne se relever de ses
ruines mais aussi de s‘entendre durablement avec la France : la sécurité du continent
dépendait de cette nouvelle entente, selon le témoignage de Bernard Clappier, directeur du
cabinet de Robert Schuman, en 1949 : «À l‘automne 1949, la guerre froide entre l‘URSS et
les trois Alliés occidentaux tendait à se radicaliser. La division de l‘Allemagne était un fait. À
l‘Ouest, un gouvernement fédéral de l‘Allemagne occidentale allait devenir une réalité. Tout
naturellement, le nouveau gouvernement fédéral, et en particulier son chef, le Chancelier
Adenauer, réclamait l‘égalité des droits. À cette demande, les États-Unis et, dans une moindre
mesure, la Grande-Bretagne étaient favorables. La France était plus réticente : le devenir de la
Sarre en particulier et aussi le contrôle de la Ruhr constituaient un problème que les difficultés
du moment et les passions politiques entretenaient constamment. J‘ai souvent raconté
comment, en septembre 1949, à l‘occasion d‘une rencontre entre les ministres des Affaires
étrangères des trois Alliés occidentaux, le Secrétaire d‘État américain, Dean Acheson, avait
demandé à Robert Schuman de définir une position commune des Trois vis-à-vis de la
nouvelle Allemagne. Ce mandat informel avait été pris très au sérieux par le ministre français
qui en fit dès lors l‘un des éléments fondamentaux de ses réflexions et de son action »373.
Alors que la rivalité américano-soviétique tournait au conflit, l‘idée d‘une Europe
neutralisée perdit de plus en plus de poids. Elle ne s‘inscrivait plus du tout dans l‘atmosphère
370
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit., p.657.
Wolf D. Grüner, « La place de l‘Allemagne dans l‘Europe d‘après-guerre selon Jean Monnet (1940-1952) »,
in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, (sous la dir.), op.cit., p.140.
372
Wolf D. Grüner, « La place de l‘Allemagne dans l‘Europe d‘après-guerre selon Jean Monnet (1940-1952) »,
in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, (sous la dir.), ibid.
373
Bernard Clappier, « Souvenirs sur Jean Monnet », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, op.cit.,
p.110.
371
144
politique qui avait présidé à la signature de l‘acte fondateur de l‘OTAN, en avril 1949. C‘est
dans ce climat que l‘« intégration » apparut à Washington comme le plus sûr chemin pour
amarrer solidement l‘Allemagne de l‘Ouest à l‘Occident.
Au début 1949, les responsables américains commencèrent à parler de l‘importance de
l‘unité du vieux continent. Le 1er janvier, Paul Hoffman déclara au New York Herald Tribune
qu‘il y avait tout lieu d‘être satisfait des progrès de l‘Europe vers l‘unité. Quant à Harriman,
le 1er avril, il s‘estimait en droit de décerner un véritable « brevet de coopération » aux vieilles
nations et le Congrès parut partager cette opinion. Dans son rapport du 3 mars 1949, la
Commission des Affaires étrangères du Sénat se déclara parfaitement satisfaite374. Et William
Fulbright relança l‘idée d‘inclure les aspects politiques de l‘unification dans les
développements souhaités officiellement par sa nation. Il ne fut pas loin de réussir à la
Chambre des représentants375.
Par ailleurs, le 23 mars, la Chambre des Représentants s‘avéra plus déterminée que le
Sénat. La commission des Affaires étrangères adopta une modification du préambule selon
laquelle la politique du peuple américain était d‘encourager non seulement l‘« unification »
mais la « fédération » de l‘Europe376. Le représentant Judd devait même essayer, le 11 avril,
de faire préciser que le peuple Américain était en faveur de l‘«unification économique » et de
la « fédération politique »377.
En fait, l‘idée que la meilleure solution au problème allemand serait l‘intégration de
l‘Allemagne dans la communauté européenne n‘était pas nouvelle. Mais comme le dit
Kennan, l‘Administration de Truman prit la décision de renoncer à toute tentative sérieuse de
règlement à Quatre faisant d‘un tel développement un impératif urgent : « l‘abandon de l‘idée
d‘un règlement à Quatre de l‘Allemagne et la création d‘un État ouest-allemand eurent une
importance fondamentale pour l‘avenir des relations internationales, et en particulier en ce qui
concerne les diverses idées et divers projets en faveur d‘une unification européenne »378.
C‘est dans ce contexte que la politique européenne des États-Unis prit un tournant suite à
la politique allemande de la France. Ce changement de position concernait le rôle de la France
374
81st Cong., 1 sess., Senate Report n. 100, March 8, 1949, p. 3-4, cite par Pierre Mélandri, op.cit., p.202.
Pierre Mélandri, ibid., p.203.
376
« Office Memorandum », March 24, 1949, ERP-ECA 2-14-49 – 8-16-49, ECA-ERP File, Snyder Papers, cité
par Pierre Mélandri, ibid.
377
Pierre Mélandri, ibid.
378
George F. Kennan, Memoires, p.474.
375
145
au sein de l‘Europe. Aussi, les Américains estimaient que c‘était à la France, et non à
l‘Angleterre, qu‘il fallait confier le rôle de moteur de l‘Europe, puisque celle-ci avait refusé
toute forme d‘intégration européenne, pour éviter l‘adoption de structures supranationales.
C‘était peut-être là un aveu de l‘impuissance de la Grande-Bretagne à résoudre seule le
problème allemand. C‘est pourquoi, dès le 15 septembre, Dean Acheson lança un premier
avertissement à Robert Schuman : l‘objectif du « leadership français » doit être de trouver une
« solution à long terme à l‘hostilité franco-allemande »379.
Aussi le gouvernement américain dut se résoudre à promouvoir, comme première étape,
une unification partielle de l‘Europe excluant la Grande-Bretagne, mais réunissant les autres
États européens dans une très étroite communauté. Dans cette perspective, c‘est à la France
que revenait le rôle du meneur380. Dès avril 1949, Jean Monnet renonça à rallier l‘Angleterre
au processus d‘intégration européenne : « Le temps s‘écoulait, et ma tentative pour créer un
noyau communautaire autour duquel s‘organiserait l‘Europe venait d‘échouer avec la seule
grande puissance du vieux monde alors en état de prendre une responsabilité politique de cette
dimension »381.
Les États-Unis demandèrent à la France de maintenir l‘Allemagne dans le bloc occidental.
En fait, les États-Unis savaient de longue date que la guerre franco-allemande était inexpiable.
Lippmann explique la peur de la France contre l‘Allemagne, en ces termes : « I think that it is
important that French thought should be put on the inevitable fact that a military retirement
from the center of Germany, if not a withdrawal from the whole of Germany, is, over a time,
the only alternative to war. I realize that people in France are afraid of the idea because of the
feeling that they will be left defenseless if the American army were withdrawn to the United
States. But it does not follow at all that a solution of the German occupation problem requires
the withdrawal of American forces to the United States » 382.
Les États-Unis pensaient que la France pourrait d‘une façon ou d‘une autre, à la faveur de
l‘unité européenne, surmonter sa peur et organiser à son profit des rapports avec l‘Allemagne.
Cette politique fut clairement expliquée par George Kennan : « En promouvant l‘idée d‘union
en Europe, nous avons essayé de donner aux Français une chance de créer des accords grâce
379
Dean Acheson, Present at the Creation, New York, Norton and C, 1969, p.326.
Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les États-Unis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique »,
in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, (sous la dir.),op.cit., p.279.
381
Jean Monnet, Mémoires, p.405.
382
Y/WL 4, Yale University Press, Walter Lippmann Papers, Letter (Walter Lippmann to Jean Monnet),
(30.09.48)
380
146
auxquels le potentiel allemand pourrait être utilisé à des fins européennes sans lui permettre
d‘assumer à nouveau la position de protagoniste de la puissance nationale allemande»383.
Depuis 1942, Kennan n‘avait vu d‘autre solution à long terme au nationalisme allemand que
dans son épanouissement à travers une union du vieux continent. En mai et juin 1949, il
consacra le plus clair de son temps à l‘étude de la question. Début juillet, il remettait ses
conclusions à Acheson384.
De même, lors des conversations entre Bevin, Acheson, Schuman du 15 septembre 1949,
Acheson soutint le leadership français en Europe385. Ainsi, cette politique mettait la France au
cœur du dispositif de l‘unité européenne continentale car l‘«une des plus forte craintes
américaines était, écrit Gérard Bossuat, de voir l‘Allemagne s‘écarter du bloc occidental au
moment où les alliés occidentaux lui redonnaient sa souveraineté. Pour contrer ce risque ils
voulaient donner à l‘OECE (Organisation européenne de coopération économique) des
pouvoirs supranationaux dans le domaine économique et monétaire, en parlant d‘intégration
»386. Pour ce faire, ils parièrent en octobre 1949 sur le leadership de l‘Europe occidentale par
la France, qui maintiendrait en même temps des liens étroits avec les Britanniques et les
Américains.
En conclusion, l‘échec d‘un condominium franco-britannique, amena les Français, à se
confronter plus directement au relèvement allemand, auquel ils ne pouvaient échapper et à
jouer un rôle plus important pour l‘avenir de l‘unification européenne. Par conséquent, cela a
induit une nouvelle politique française envers l‘Allemagne.
Sous l‘influence des États-Unis qui voulaient l‘intégration de l‘Allemagne à l‘Europe, les
Français durent renoncer à construire une Europe continentale anti-allemands malgré leur
peur de l‘Allemagne. Bien que l‘idée d‘une coopération franco-allemande restait inacceptable
pour les Français, ce changement de position conforta le rôle de la France au sein de l‘Europe.
Par ailleurs, le refus anglais de prendre le leadership européen obligea les États-Unis à
383
«Kennan to Bohlen», 12 octobre 1949, Kennan Papers, Princeton University, Box 7, cité par Pierre Mélandri,
« Le rôle de l‘unification européenne dans la politique extérieure des États-Unis 1948-1950. » in Raymond
Poidevin, op.cit., p.25.
384
George F. Kennan, Mémoires, pp.474-496.
385
Gérard Bossuat, « Les représentations de l‘unité européenne chez Jean Monnet et ses interlocuteurs
Américains de 1948-1959 », Les Cahiers de l'IHTP, Images et imaginaire dans les relations internationales
depuis 1938, Sous la direction de Robert Frank, avec la collaboration de Maryvonne Le Puloch, cahier n 28, juin
1994, p.114.
386
Gérard Bossuat, « Les représentations de l‘unité européenne chez Jean Monnet et ses interlocuteurs
Américains de 1948-1959 », ibid., pp.114-115.
147
reconsidérer l‘alliance atlantique, idéal américain pour le monde, à travers l‘association de
deux groupements bien distincts : d‘un côté les États du continent européen, et de l‘autre un
rassemblement anglo-saxon composé de l‘Angleterre, du Canada et des États-Unis.
148
Deuxième Partie
Identité et conscience européennes à travers les institutions
européennes (1950-1954)
Dans cette deuxième partie, nous souhaitons nous concentrer sur les apports des différents
groupes d‘influences américains lors de la création et de l‘organisation des institutions
européennes, et ce, directement ou indirectement au travers de la relation de Jean Monnet
avec les élites américaines.
La période 1950-1954 fut l‘une des plus fastes en termes d‘intégration et de construction
d‘institutions européennes : cette époque est celle de l‘établissement d‘énormes chantiers
institutionnels, allant du plan Schuman aux prémisses du Marché commun.
Les trois questions principales posées dans cette partie sont :
1. L‘influence et le rôle des États-Unis dans la création des institutions européennes ;
2. Le plan Schuman sert-il les objectifs de la politique étrangère américaine ou est-il un
plan pour l‘Europe unie, uniquement ?
3. Jean Monnet et les élites politiques américaines partagent-ils des idées communes
concernant la défense européenne?
149
Chapitre 5 : L’influence et le rôle des États-Unis dans le plan Schuman.
Comme le montre un document de l‘ECA de novembre 1949 : « le programme de
reconstruction européenne, le programme d‘assistance militaire, et les efforts du secrétaire
d‘État Acheson pour réaliser un règlement politique incluant le rôle de l‘Allemagne dans
l‘Europe de l‘Ouest, tous ces développements régulent désormais explicitement une
intégration européenne»387, Washington pensait pour le réarmement de l‘Occident,
notamment celui de l‘Allemagne de l‘ouest. Cependant, il était aussi séduit par un
rapprochement « France-Allemagne » durable comme l‘atteste l‘intervention de John Mac
Cloy, Haut commissaire à l‘Allemagne en 1949, « la priorité est un solide rapprochement
avec la France»388. La même année, dès le 15 septembre, Dean Acheson avertissait déjà
Robert Schuman que l‘objectif du « leadership français » en Europe, était une solution à long
terme à l‘hostilité franco-allemande389. C‘est dire, si tous fondaient l‘espoir d‘une sécurité du
continent dans cette nouvelle entente.
John Foster Dulles, dans son livre « War or Peace» (1950), écrivait : « Il n‘y a pas de
solution viable au problème allemand à moins que l‘Allemagne, ou du moins tout ce qui reste
libre en Allemagne, ne soit insérée dans le cadre de l‘Occident comme part intégrale de cet
Occident [...]. Cette intégration est impossible si l‘Occident lui-même n‘est pas intégré. On ne
peut mettre un tableau dans un cadre s‘il n‘y a pas de cadre»390. Son livre fut envoyé à
Monnet, avec une lettre datée du 30 mars 1950 : « My publishers, Macmillan‘s, are at my
suggestion sending you an advance copy of my book, “War or Peace.” It attempts to review
the United States‘ post war foreign policies. You will see a reference to yourself at page 100.
You will also, I imagine, be particularly interested in what I have to say about Western Unity
in Chapter II»391.
Cette correspondance régulière avec Monnet laisse imaginer une collaboration ouverte, ou
du moins une connivence quant à la question allemande et la nécessité d‘une véritable entente
387
Bulletin de l‘ECA, Joseph Jones to George Elsey, November 17, 1949, Foreign Economic Planning Folder,
Subject File, Elsey Papers, cité par Pierre Mélandri, op.cit., p.206.
388
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de John J. Mac Cloy par Leonard Tennyson, (15.07.81)
389
Dean Acheson, op.cit., p.326.
390
John Foster Dulles, op.cit., p.220.
391
John Foster Dulles Papers, lettre de John Foster Dulles à Jean Monnet,(30.03.50)
150
franco-allemande. L‘Allemagne, du statut d‘agresseur devait devenir l‘enjeu d‘un lien
constructif en Europe. Peu à peu la réflexion de Monnet mûrit : « C‘est au début de 1950,
raconte Bernard Clappier, que ses idées sur ce qu‘il conviendrait de faire avec l‘Allemagne
commencèrent à prendre forme. Vers le début du mois de mars 1950, il entreprend de me lire
des notes qu‘il a rédigées sur ce sujet, des projets, des ―draft‖ comme on dit. Mais il ne me
laissait pas de textes. Ce qui ne m‘empêchait pas, bien sûr, de mettre Robert Schuman au
courant»392.
Dans une note du 28 avril 1950 adressée à Robert Schuman et George Bidault, Jean
Monnet écrivait à ce sujet que seule, la France, pouvait prendre l‘initiative de dégager un
intérêt commun pour améliorer l‘entente franco-allemande393 : « Afin de rendre possible le
rassemblement des nations européennes, l‘opposition séculaire de la France et de l‘Allemagne
doit être éliminée. En envisageant sous ce jour nouveau les relations franco-allemandes, le
Gouvernement français entend avant tout servir la paix. Dans cet esprit, le Gouvernement
français estime que l‘unité allemande pacifiquement réalisée est nécessaire, et il s‘efforcera de
la promouvoir dans les entretiens internationaux. Dès maintenant, au Conseil de l‘Europe et à
l‘O.E.C.E., l‘Allemagne doit collaborer sur une base d‘égalité avec les autres nations
européennes : « Le gouvernement français propose de placer l‘ensemble de la production
franco-allemande de charbon et d‘acier sous une Haute Autorité commune, dans une
organisation ouverte à la participation des autres pays d‘Europe. La solidarité de production
qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l‘Allemagne devient non
seulement impensable, mais matériellement impossible»394.
Or, d‘après Gérard Bossuat : « les Français, n‘étaient pas favorables à une participation
allemande immédiate, mais leur opposition se faisait beaucoup plus lâche que six mois
auparavant. Les élites dirigeantes du pays évoluaient progressivement sur la question
allemande. Le rapprochement franco-allemand est sans doute dû à la conjonction de plusieurs
facteurs : lassitude des élites politiques françaises de défendre contre l‘évidence la sujétion de
l‘Allemagne aux Alliés, acceptation réaliste de l‘Allemagne rénovée et démocratique,
innovation idéologique disponible dans ce contexte de blocage, espoir aussi de trouver une
392
FJME, l’Europe, une longue marche, 1985, cité par Éric Roussel, Jean Monnet, pp.519-120.
FJME AMG 5/1/3 bis : La lettre de Jean Monnet à G. Bidault, (28.04.50) «[...] Je voulais vous faire part des
réflexions que votre discours et la situation générale m‘ont amené à faire et des conclusions concrètes auxquelles
elles m‘ont conduit. […]»
394
FJME AMG 5/1/3 : Note de réflexion de Jean Monnet,(28.04.50), voir document annexe 5.
393
151
solution pour contrôler radicalement l‘Allemagne.395 C‘est pourquoi, le plan Schuman fut si
bien accueilli par les États-Unis car celui-ci semblait correspondre aux conclusions formulées
par la diplomatie américaine de l‘automne 1949. Aussi, dès le 18 mai 1950, Harry Truman
déclarait à la presse : « La proposition de M. Schuman demandant la mise en commun des
productions de charbon et d‘acier de France et d‘Allemagne est un acte gouvernemental
constructif. Nous lui faisons bon accueil. Cette manifestation de l‘initiative française dans la
solution des problèmes européens est dans la grande tradition française. […] Cette proposition
fournira la base sur laquelle peuvent s‘établir des relations tout à fait nouvelles entre la France
et l‘Allemagne et donne de nouvelles perspectives à l‘Europe »396.
Dès lors, les pressions américaines augmentèrent et on sentit à travers elles que les
Français ne pourraient plus échapper à cette entente.397 Aussi, on peut penser que le plan
Schuman n‘était finalement que le résultat de la pression américaine, pour que la France,
prenne le leadership européen (en lieu et place de la Grande-Bretagne) afin de permettre une
reconstruction européenne, avec comme priorité un rapprochement entre la France et
l‘Allemagne. Ce rapprochement garantirait alors une stabilité européenne et limiterait
l‘influence des soviétiques. Monnet en avait pleinement conscience : «les U.S.A. ne
souhaitent pas que les choses se développent ainsi. Ils accepteront une autre solution si elle est
dynamique et constructive, surtout si elle est proposée par la France»398. Mieux, il partageait
pleinement cette vision américaine : « Il ne faut pas chercher à régler le problème allemand,
qui ne peut être réglé avec les données actuelles. Il faut en changer les données en les
transformant […]. Il faut entreprendre une action dynamique qui transforme la situation
allemande et oriente l‘esprit des Allemands, et ne pas rechercher un règlement statique sur les
données actuelles»399.
Le cercle des « lawyers » américains associés à Monnet et le plan
Schuman.
395
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit., pp.735-736.
FJME AMG 25/2/28 : Déclaration de M. Truman, faites à la presse à Washington,(18.05.50)
397
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit., p.735.
398
FJME AMG 5/1/5 : Note de réflexion de Jean Monnet, (03.05.50) [note confidentielle]
399
FJME AMG 5/1/5 : Note de réflexion de Jean Monnet, (03.05.50) [note confidentielle]
396
152
Dans ce présent chapitre, nous allons montrer les relations entre Jean Monnet et le groupe
d‘élite de « lawyers » américains : Notamment l‘entourage de Félix Frankfurter, dont
l‘influence et la participation dans la création du plan Schuman dans les années cinquante, fut
considérable. À travers ce plan, nous pouvons remarquer la force des liens transatlantiques,
tant sur le plan officiel que sur le plan confidentiel entre les États-Unis et la France (Jean
Monnet). Cela à travers une analyse minutieuse des entretiens réalisés par la Fondation Jean
Monnet pour l‘Europe à Lausanne, auprès de personnages américains capitaux pour la
construction d‘une Europe unie. Aussi, avons-nous mis à jour un faisceau de liens informels
et privés entre Jean Monnet et un cercle de lawyers américains influent, guidé par Félix
Frankfurter : Le Cercle d‘Harvard.
Jean Monnet et le Cercle d’Harvard
L‘influence et la création des liens par Monnet s‘effectuaient par cercles concentriques :
du plus proche de ses amis de juriste en la personne de Félix Frankfurter (conseiller spécial de
Roosevelt), en passant par le secrétaire d‘État de Truman, Dean Acheson, ou John Mac Cloy
(Haut commissaire attaché à l‘Allemagne), Gorge Ball jusqu‘à Bowie, ami influent mais
moins intime. Parmi ses amis, on comptait également, sans être lawyers, des hommes de
pouvoir tel que John Foster Dulles, secrétaire d‘État sous Eisenhower, des journalistes
influents comme Walter Lippmann, ou encore des élites américaines comme Averell
Harriman, David Bruce, Donald Swatland, ou encore d‘Eugene Rostow.
Concernant l‘influent cercle de lawyer de Harvard, leurs relations avec Jean Monnet
débutèrent dans les années 1920-1930. Le groupe fut constitué sur des bases tout à fait
informelles, et la confiance mutuelle en était le ciment. L‘ensemble des membres de ce cercle
d‘avocats jouèrent un rôle important à cette époque. Cependant, certaines figures se
détachaient de l‘ensemble eu égard aux rôles considérables qu‘ils jouèrent ou joueront (pus
tard) dans la construction d‘une Europe unie, notamment à travers le plan Schuman. Après la
SDN, Jean Monnet commençait à élargir son cercle de relations, particulièrement en direction
des États-Unis. Il s‘avérera plus tard (dans les années 1950) que ces liens d‘amitiés seront le
153
socle (soutiens politiques, financières, échanges intellectuels) sur lequel s‘érigeront le Plan
Schuman et les futurs institutions européennes (CECA, CED, CEE)
Curieux et perfectionniste, Jean Monnet souhaite à cette période (après SDN), parfaire ses
compétences des mécanismes juridiques et bancaires. En fait, il souhaitait, surtout élargir
l‘horizon de ses connaissances. Attiré par la compréhension de problèmes concrets, dont la
résolution requiert nécessairement la prise en considération, de multiples facteurs contingents
et interdépendants ; il ne recherchait pas la « franche camaraderie » mais plutôt des esprits
muent par une insatiable volonté de comprendre la complexité du monde. Et Félix Frankfurter
était l‘un d‘entre eux.
« Il avait très peu d‘amis, constate François Fontaine, mais l‘habitude de cheminer avec
les mêmes gens tenait lieu d‘un sentiment n‘avait aucun nom, même pas celui de fidélité. […]
En vérité, il avait choisi très jeune des partenaires du même métal que lui, de ce métal dont on
fait les ressorts puissants, réguliers, inusables. Quelques avocats, des hauts fonctionnaires, des
banquiers, des éditorialistes qui deviendront comme lui, loin de lui, mais pour les mêmes
raisons que lui, des acteurs respectés de la scène internationale. Cette exigence et ce
discernement sont les signes d‘un immense orgueil et d‘une décision réfléchie de ne faire
aucun compromis avec la médiocrité. Le jeune Charentais était avare de respect et économe
d‘admiration. Il n‘aimait pas non plus perdre son temps avec les importuns, nombreux sur son
chemin. Mais il a dû se priver des plaisirs faciles de la camaraderie »400.
Par l‘intermédiaire de Frankfurter, Monnet renoua le contact avec le milieu dirigeant de la
capitale fédérale. Grâce à Frankfurter, Monnet était introduit chez beaucoup de puissants.
Aussi, il en tirait un profit considérable pour l‘avancement de ses idées. Le témoignage de
Katherine Graham nous éclaire précisément sur le caractère de Monnet et sa capacité à créer
des liens jusqu‘au plus haut sommet de l‘État, de part ses convictions et sa personnalité. « [...]
Monnet had no power base at that time except the power of his brain and his personality, and
his ability to get things done. That of course was why he was of great value to his country.
The little circle of personal friends with whom Jean and Sylvia were close included the
Frankfurters, the Archibald Mac Leishes and Dean Acheson. And the Bonnets, the French
Ambassador—we joked about the Bonnets and the Monnet »401.
400
401
François Fontaine, Plus loin avec Jean Monnet, Lausanne, p.13.
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de Katherine Graham par Leonard Tennyson, (28.07.81)
154
Une autre caractéristique de Jean Monnet, qu‘il partageait avec Frankfurter : c‘était qu‘il
aimait les jeunes. Ils parlaient sans discontinuer. Et les jeunes gens avaient pris l‘habitude de
se promener avec lui le matin. Par ailleurs, il voyait assez régulièrement ce petit groupe
d‘amis avocats, à l‘occasion de dîners qui réunissaient tout ce petit monde« Il y avait là les
Frankfurter, les Dean Acheson, les Henri Bonnet, les Francis Biddle»402. Ce qui unissait
véritablement les membres de ce groupe, c‘était qu‘ils connaissaient parfaitement (pour y
avoir participé) et partageaient pleinement les idées New Deal. Ils s‘étaient d‘ailleurs tous
rencontrés et rapprochés en cette période de fin du New Deal. Jean Monnet trouva
immédiatement sa place au sein de ce groupe. Et, à travers celui-ci, il avait accès au plus haut
sommet de la politique américaine pendant la guerre. Monnet s‘en souvient dans ses
Mémoires : « Il y avait un bon moyen de résoudre ces problèmes de contradictions apparentes,
c‘était de les poser en termes simples et de les introduire dans le vaste processus de
discussions dont j‘ai parlé plus haut. Ç‘allait être ma principale contribution à l‘effort de
guerre pendant les mois qui suivirent mon retour à Washington. Je n‘eus pas de peine, cette
fois-ci, à trouver les hommes prêts à m‘écouter et à transformer en décisions les projets que
nous élaborions ensemble : des amis déjà anciens, et ceux que je me fis près d‘eux,
appartenaient au groupe des conseillers de Roosevelt »403.
Félix Frankfurter
Au premier rang de ces amitiés forgées ou fortifiées, il y a la grande figure de Félix
Frankfurter. Il apprit l‘anglais à douze ans, puis se distingua à l‘école de droit de Harvard, où
il enseignera plus tard, après une carrière brillante carrière d‘avocat. Il a marqué des
générations de juristes, dont beaucoup le rejoignirent auprès de Roosevelt pendant le New
Deal. Après l‘administration Roosevelt, il mit son prestige et ses compétences au service de la
lutte contre le totalitarisme Partageant un idéal commun, il se lia profondément d‘amitié avec
Jean Monnet. Il fut d‘ailleurs son principal soutien pendant cette période, lui permettant ainsi
(Jean Monnet) l‘accès à l‘élite intellectuelle et politique des États-Unis404 Comme le rappelle
Milton Katz, collaborateurs de l‘ECA : «I was with the War Production Board in Washington.
402
Jean Monnet, Mémoires, p.183.
Jean Monnet, Mémoires, p.183.
404
Jean Monnet, Mémoires, p.183.
403
155
I‘d gone down in 1939 to work with its predecessor organization. [...] when President
Roosevelt announced contemporaneous reorganization of war production under the aegis of
the War Production Board, that I received a phone call from Félix Frankfurter. He said he
wanted me to meet a man named Monnet, whom he described (I remember this clearly) as
ruthless in thought and analysis. He was, said Frankfurter, eager to meet me and tell me how
the War Production Board should be organized. […] I was actually his chief adviser. And it
was in that capacity that Monnet wanted to talk to me. I went over to Felix‘s for dinner.
Monnet was invited. I guess Jimmy Byrnes was there, and Owen Roberts. After dinner, Felix
had arranged for Monnet and me to sit to one side, in a corner and chat »405.
« Justice » Frankfurter le désignait-on. En qualité de juge, il n‘avait évidemment aucune
fonction officielle auprès du président mais il avait accès à son bureau à chaque fois qu‘il le
jugeait utile. Monnet raconte : « Frankfurter ne cherchait pas de position politique, et ceux qui
avaient pris des fonctions officielles, tels Stimson, Mac Cloy, Harriman, Dean Acheson, se
considéraient en quelque sorte comme mobilisés au service de l‘État. Leur vraie carrière était
au service du droit. Je les avais rencontrés et respectés précédemment comme lawyers -cette
profession spécifiquement américaine où la compétence et la technique du travail sont portées
au plus haut degré que je connaisse»406.
Monnet estimait tant les idées de Félix Frankfurter, qu‘il avouera dans ses Mémoires : « je
ne manquais pas d‘aller prendre les avis de Félix Frankfurter jusqu‘à sa mort en 1965»407. Et
cela, pour tous les moments déterminants pour l‘Europe, par exemple 1948, Monnet s‘enquit
de l‘avis de Frankfurter sur les événements décisifs de cette année. « I have formed now of
the future of this part of the world, as well as of the character and temperament of my own
countrymen, a judgment and opinion which certainly differ from those I had in the past. I now
want to check from the outside the views that I have now formed during these last two years
here, and I am anxious to go across the Atlantic and see you all »408. Pour Monnet, the outside
the views, est l‘opinion des États-Unis, ainsi que celle de Félix Frankfurter. Pour Monnet, le
véritable point de vue des États-Unis c‘est celui de Félix Frankfurter. Aussi, lors du plan
Schuman, Monnet ne manqua pas d‘envoyer à Félix Frankfurter, les photocopies des
405
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de Milton Katz par Leonard Tennyson,(28.01.88)
Jean Monnet, Mémoires, p.184
407
Jean Monnet, Mémoires, p.391.
408
LC/FF 18, Félix Frankfurther Papers, Monnet, Jean 1940-1958, Letter (Jean Monnet to Félix
Frankfurter),(13.02.48), voir documment annexe 4.
406
156
documents au sein du plan Schuman et de lui poser la question suivante : « this is the
beginning of Europe or is it the beginning of the end ? »409 À quoi, Frankfurter répondit « […]
Yes, it is the beginning of Europe, and if only your indomitable will be profound wisdom
have their way it will be not an abortive beginning but a beginning of the real thing »410.
Ainsi, Félix Frankfurter reste pour Monnet un interlocuteur privilégié et une haute distinction
morale.
Dean Acheson
Au second rang des personnalités ayant eu une influence importante sur Monnet, et
notamment dans l‘intégration européenne, c‘est Dean Acheson. Monnet le décrit ainsi dans
ses Mémoires : « Je connaissais bien Acheson qui avait été un familier de notre maison à
Washington et un grand amateur de la cuisine française d‘Amélie. Chaque matin, on pouvait
le voir marchant côte à côte avec Félix Frankfurter sur le chemin de leur bureau. Avec leur
chapeau melon, ces deux amis incarnaient le droit et la Constitution des États-Unis. Nous
savions aussi qu‘ils étaient des hommes d‘esprit et des âmes généreuses. Acheson pouvait être
léger et mondain, mais son intelligence très vive, était attachée à une conviction»411.
Acheson est une figure bien connue de la politique étrangère des États-Unis, notamment
durant la guerre froide, sous l‘administration Truman. Juriste formé à Yale et à Harvard, il est
le successeur du général Marshall, et un ami intime de Monnet. Dean Acheson est né le 11
avril 1893 à Middle Town dans le Connecticut. Juriste de formation, membre de la
Corporation de Yale, auteur, il deviendra secrétaire d'État sous l'administration Truman. Il
servira pendant plus de douze ans le département d'État américain (1941-1953), d'abord
comme assistant et sous secrétaire d'État, puis comme secrétaire d'État du président Truman.
Au cours de ces années, Acheson contribua à forger l'alliance de l'OTAN, la doctrine de
Truman et le plan Marshall. Il développa et renforça le statut des États-Unis de l'après-guerre
face à l'Allemagne, l'Union soviétique, et la république populaire de Chine. Il fut aussi
responsable des négociations diplomatiques au cours de la guerre de Corée. Son rôle fut
409
LC/FF 25, US Library of Congress, Félix Frankfurter Papers, Monnet, Jean 1940-1958, Letter (Jean Monnet to
Felix Frankfurter), (01.09.51)
410
LC/FF 26, US Library of Congress, Felix Frankfurter Papers, Monnet, Jean 1940-1958, Letter (Félix
Frankfurter to Jean Monnet), (19.10.51)
411
Jean Monnet, Mémoires, p.437.
157
tellement important en matière de politique étrangère, qu‘il incarna le visage de la politique
étrangère des États-Unis durant toute la période de la guerre froide.
Acheson et Monnet nouèrent des liens sous la période Roosevelt, pendant qu‘il était
encore secrétaire au Trésor. Acheson n‘a pas uniquement prêté main forte à l‘instauration de
la CECA. Il a pleinement collaboré à sa création, pour devenir l‘un des leaders d‘une nouvelle
Europe intégrée.412 Dans une série de remarquables discours entre 1949 et 1953, Acheson
expliqua que la création et le maintien « du monde libre » était l‘unique rempart efficace face
à la guerre et la seule arme de dissuasion devait être l'unité et la force. Cette révélation, il l‘eut
tout au long de sa présidence du Conseil de l'Atlantique Nord, à Londres, de 1949 à 1952,
pour la promotion de l'unité des pays de l'Ouest.
Acheson et Monnet : Une influence mutuelle
Acheson fut pour Monnet un collaborateur assidu et influent. Nous pouvons constater leur
influence réciproque ainsi que leur proximité intellectuelle : Lors de son discours d‘adieu au
secrétariat d'État en 1953, il n‘a pas manqué d‘appeler l‘Europe à faire des progrès vers
l'intégration et le partenariat. Les discussions avec Jean Monnet étaient telles que même la
cérémonie d‘adieu au secrétariat d‘État était une occasion de plus de faire avancer «l‘unité de
l'Europe ». Ces efforts furent également soutenus par d‘autres partisans du fédéralisme
européen, comme Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Dirk Stikker, Paul-Henri Spaak et
Robert Schuman.413
Un autre exemple de l‘implication d‘Acheson dans l‘intégration européenne, fut le soutien
qu‘il apporta à la déclaration de Robert Schuman, en 1950, déclarant que « la proposition de
M. Robert Schuman, visant à l‘utilisation en commun des ressources européennes en charbon
et en acier, représente un pas en avant, courageux et imaginatif, pour aborder les anciennes
rivalités et préjugés»414. Il ajouta : « La vitalité ainsi que l‘initiative qui se sont reflétées dans
la proposition de M. Schuman, et l‘énergie avec laquelle elle s‘est développée, sont la
412
Douglas Brinkley, «Dean Acheson and Jean Monnet : On the Path to Atlantic Partnership », in Clifford P.
Hackett(ed.), op.cit., p.80
413
Douglas Brinkley, «Dean Acheson and Jean Monnet : On the Path to Atlantic Partnership », in Clifford P.
Hackett(ed.), ibid., p.82.
414
AMG 25/1/3 : Extrait du discours prononcé par Acheson à Dallas,(14.06.50)
158
manifestation d‘un nouveau ton en Europe. Cet esprit indique une détermination de l‘Europe à
travailler avec ardeur à son propre redressement et à sa sécurité»415.
Outre le plan Schuman, Acheson et Monnet travaillèrent aussi de concert dans le
lancement de la nouvelle initiative institutionnelle de « Partenariat de l'Atlantique ». Leurs
efforts conjoints, ainsi que ceux de Walt Rostow, George Ball, Henry Owen et J. Robert
Schaetzel, aboutiront au discours historique de JF Kennedy, le 4 juillet 1962, à l'Independence
Hall où le jeune président américain appela de ses vœux la création d‘un « Atlantic
Partnership ».
John Mac Cloy
Au troisième rang des amitiés sincères se trouve John Mac Cloy, rencontré dès la fin de la
Première Guerre mondiale. « Well, I did have a long association with Monnet. There were
various stages of his career, and each of those stages represented perhaps a different aspect of
his character and his relation. Thinking back, I remember very vaguely, I can‘t be very
specific about it, his associations in the postwar period of World War Ⅰ, when he was in
Paris and Versailles, I don‘t know who he was close to, perhaps André Tardieu at that
time»416.
Né en 1895 à Philadelphie, fils d‘une famille modeste, il devint élève du prestigieux
collège d‘Amherst, puis de l‘école de droit de Harvard. Ses études terminées, il devint expertconsultant puis assistant spécial du secrétaire à la Guerre, Henry Stimson. Dès lors, il ne
quitta plus le cercle des dirigeants de son pays. Appartenant au Parti républicain, il était le
conseiller écouté de tous les présidents, de Roosevelt à Kennedy, s‘octroyant ainsi le titre de
« citoyen privé le plus influent des États-Unis».
Administrateur d‘innombrables sociétés, président du conseil d‘administration de la Chase
Manhattan Bank à la demande de la famille Rockefeller, il devint président de la Banque
mondiale, puis haut commissaire en Allemagne de 1949 à 1952. Ce poste devait devenir une
fonction clef, car l‘Allemagne était l‘un des enjeux fondamentaux de la guerre froide. Par
ailleurs, proche d‘Adenauer, il devint conseiller officieux du président Eisenhower dans les
415
416
AMG 25/1/3 : Extrait du discours prononcé par Acheson à Dallas,(14.06.50)
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de John J. Mac Cloy par Leonard Tennyson,(15.07.81)
159
années 50, membre très actif et enfin président du « Council on foreign relations, CFR ».
D‘une certaine manière, selon Robert Marjolin, Mac Cloy était le Monnet américain.417 « Il ne
faut pas oublier disait Robert Marjolin, que, avant le plan Marshall, il y avait déjà eu des aides
américaines. Je suis sûr que Jean Monnet a contribué dans une très grande mesure à les
obtenir, y compris, si je me rappelle bien, un prêt de 250 millions de dollars donné par la
Banque mondiale, dont le président était à cette époque son ami John Mac Cloy. Puis il y a eu
des prêts intérimaires consentis par les Américains, et Monnet a certainement joué un très
grand rôle, car ses relations avec l‘administration américaine étaient excellentes»418.
En outre, dans une négociation délicate où la fermeté de la vision politique et la diplomatie
d‘Adenauer pouvaient être très utile, Mac Cloy alors haut commissaire en Allemagne et
l‘interlocuteur officiel, tentait d‘ouvrir des conversations entre Monnet et Adenauer.419
Monnet avait une réelle confiance en cet homme dont il dira : « Bruce et Mac Cloy étaient,
eux, d‘ardents partisans de l‘intégration européenne. Leur raisonnement n‘était pas différent
du mien, car notre préoccupation commune était la paix : il n‘y avait pas, quoi qu‘en aient dit
les esprits compliqués, une manière américaine, une manière allemande ou française de
renforcer la paix, et toutes les spéculations sur les arrière-pensées de ceux qui travaillaient à la
même œuvre en Europe me paraissaient futiles»420.
Les idées de Mac Cloy pour l‘Europe unie, étaient assez proches de celles de Monnet.
Point de vue qu‘il affirmera lors des négociations du plan Schuman, en insistant sur la
nécessité politique et économique d‘un rapprochement France-Allemagne : « I remember,
Adenauer came to me the day he was made Chancellor. In effect he said, ―Mr. Mac Cloy,
you‘ve been running this country for a long time. Tell me what would you say is the most
important thing for me to do?‖ He said, ―I replied, ―I don‘t have the slightest hesitation in
saying what I consider the priority; it‘s a solid rapprochement with France. It‘s getting rather
tiresome, twice in my lifetime I‘ve had to come over here because of hostilities between the
Germans and the French. This is your main objective. Other things will fall in place in proper
time. There are all sorts of rehabilitation programs but they‘ll be taken care of by the
economists and the economic planners. Politically and economically rapprochement with
France is the most significant.‖ He immediately picked that up. Adenauer was something of a
417
Éric Roussel, Jean Monnet, p.111.
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de Rober Marjolin par Antoine Marès, (24.11.81)
419
Jean Monnet, Mémoires, p.446.
420
Jean Monnet, Mémoires, p.523.
418
160
Holy Roman Emperor…the Holy Roman Empire had occurred only the day before yesterday,
so far as he was concerned. Adenauer had a firm belief in the idea of a united Western Europe
(he had less concern over the East). He looked back on the Holy Roman Empire as one of
history‘s best periods. I remember after World War, he started a little political cable, to work
out a certain political association between France and the Rhineland»421.
Aussi, le soutien de John Mac Cloy pendant les accords de Schuman, fut déterminant.
Certes, Jean Monnet et John Mac Cloy ne partageaient pas toujours les mêmes opinions.
Toutefois, il fit toujours son possible pour convaincre Bonn de la nécessité d‘aboutir à un
rapprochement entre la France et l‘Allemagne. D‘autant que la question allemande, au-delà de
l‘intégration européenne, était un enjeu capital pour Washington. Car l‘ancrage de
l‘Allemagne à l‘Ouest était vital dans la perspective de la sécurité en Europe, et rien
n‘apparaissait plus souhaitable aux Américains qu‘une coopération et une productivité accrue
de la sidérurgie européenne.
Selon Thomas Alan Schwartz, de son parcours, Mac Cloy gardera trois convictions :
1. Que l‘Europe est une priorité pour les intérêts américains ;
2. Qu‘il faut obligatoirement, pour une construction européenne réussie, réintégrer
l‘Allemagne à l‘Europe ;
3. Enfin, que dès le lancement des projets de la CECA et de la CED, il faut
multiplier les déclarations publiques en faveur de l‘Union européenne422.
À travers ces trois considérations, l‘on peut mesurer combien l‘influence mutuelle avec
Monnet fut importante C‘est certainement pour cette raison, que Mac Cloy soutint Monnet
tout au long de sa quête d‘unité européenne, et particulièrement pendant la période création
des institutions européennes.
George Ball
421
FJME, Fonds d‘histoire orale, témoignage de J. Mac Cloy par Leonard Tennyson, (15.07.81)
Thomas Alan Schwartz, America’s Germany : John J. Mac Cloy and the Federal Republic of Germany,
Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, London, England, 1991.
422
161
Au quatrième rang des avocats liés à Jean Monnet, il y a George Ball, jeune avocat et futur
secrétaire d‘État du président Kennedy et de Lyndon Johnson. Immense, et massif, tel un
géant, ce partisan totalement acquis à la cause de l‘unité européenne était très intime avec
Monnet. À tel point, que lorsqu‘il prit en charge le Département d‘État, un sénateur lui fit
observer : « M. Ball, n‘oubliez pas qu‘à partir de ce moment vous n‘êtes plus au service de M.
Monnet!»423 Monnet dira de lui dans ses Mémoires : « Taillé en force, il respirait une
puissance d‘équilibre comme beaucoup d‘Américains de son type dont l‘apparence massive
va de pair avec un contrôle impressionnant des moyens physiques et intellectuels. La
pondération de son esprit, le courage de ses choix et la fidélité de ses attachements lui
donnaient déjà une grande autorité morale. Pour lui, l‘intérêt général était celui de l‘alliance
tout entière, dans laquelle l‘Europe reconstruite et réunie devait jouer, pensait-il, un rôle
essentiel»424.
Il rencontra Monnet, pour la première fois, à Washington pendant la guerre, lorsqu‘il était
au conseil de l‘administration du « prêt-bail » qui allait devenir plus tard « la Foreign
Economic Administration ». Monnet, était quant à lui, vice-président du British Supply
Council.425 George Ball dit de la première impression qu‘il eut de Monnet dans une
interview : «Well, Jean had already become a minor legend in Washington. His past was well
known. I felt some initial surprise but I was accustomed to the idea that Monnet was not like
other people, he was sui generis. He got along just as well with the British, probably better
than he did with the French in many ways. They thought everything of him. He was an
enormous source of help and inspiration to them. The official British economic history of the
war makes that pretty clear»426.
En ce temps-là, George Ball était passionné par les échanges qu‘il entretenait avec Jean
Monnet, ils étaient même infatigables dans l‘art de converser. Puis, petit à petit, ils devinrent
l‘un pour l‘autre, des « punching-balls intellectuels », c‘est-à-dire des personnes sur lesquelles
ils pouvaient tester leurs idées, les faire avancer, les porter à maturité : « Looking for planes?
Yes, he talked about that, And of course that was when he really began to build up that
enormously powerful group of friends that he had, people like Félix Frankfurter (was an
423
Éric Roussel, Jean Monnet, p.424.
Jean Monnet, Mémoires, p.327.
425
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de George W. Ball par Leonard Tennyson, (15.07.81)
426
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de George W. Ball par Leonard Tennyson, (15.07.81)
424
162
Associate Justice of the Supreme Court) and people in the White House he came to know very
well like Ben Cohen»427.
Tout au long de la longue maturation des idées de Monnet concernant le plan Schuman
Ball et Monnet travaillaient de concert. Il résidait à cette époque à Paris. D‘ailleurs, il était le
seul qui disposait d‘un petit bureau, sous l‘escalier, rue de Martignac, chez Monnet, où il
rédigeait en secret les premières idées de Monnet sur le plan Schuman. On pourrait presque
dire « dans la clandestinité » tant Monnet redoutait que De Gaulle ne l‘apprenne et que l‘on ne
dise qu‘un Américain travaillait pour lui. Plus tard, il prit un bureau à l‘ambassade des ÉtatsUnis et travailla avec Tomlinson. C‘était l‘occasion pour Ball, de rédiger de nombreuses notes
pour Monnet et d‘apporter, au travers de nombreux documents officiels, des solutions à divers
problèmes soulever par le plan Schuman, comme la question du commerce international, la
lutte antitrust, la stabilisation du prix de l‘acier. «[…] And I was spending a lot of time in
Paris. I got into the habit of going over about every month because Jean would telephone to
me to come over immediately. The Plan‘s headquarters was in a funny little house on the Rue
de Martignac. Jean gave me a little office under the stairs which I used. I did a lot of drafting
for him and worked on the first U.S.-French loan. Gradually Jean was maturing his ideas for
the Schuman Plan. I‘ve written about this, incidentally, in this book I‘m working on. Let me
get this chapter in front of me, if you don‘t mind.[...] we were used to working together, and
he wanted somebody with a certain facility for writing and for arguing, I mean, writing for
Jean wasn‘t writing, you discussed something for a while and then you‘d go put your thoughts
down, and he‘d say, ―Oh, that‘s not it, that‘s not quite it, try it again,‖ and we‘d talk a little
further, and I‘d go back, and sometimes we‘d go through sixteen or seventeen drafts that way.
Often at the end we didn‘t know where we‘d started, but we‘d certainly circled the field. […]
Well, I hung around then, and the following year, after the Schuman Plan conference I was in
and out of Paris all the time. It was very funny, because I had this little office under the stairs
and this was for the drafting that was going on. The European delegation was there. He didn‘t
want them to know he had an American working for him, so I was being smuggled up to his
office, and smuggled out the back door»428.
Robert Bowie
427
428
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de George W. Ball par Leonard Tennyson,(15.07. 81)
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de George W. Ball par Leonard Tennyson,(15.07. 81)
163
Au cinquième rang des avocats influents, il y a Robert Bowie. Jeune professeur de droit à
Harvard, il passait pour être le meilleur spécialiste de la législation antitrust aux États-Unis. Il
était l‘un des européistes du département d'État sous Eisenhower. Il était également, l‘un des
principaux conseillers de Mac Cloy en Allemagne. Ce qui lui permettait de suivre
attentivement le développement du Plan Schuman et d‘aller régulièrement à Paris discuter
avec Monnet et son équipe.
Rentré aux États-Unis, il s‘investit pleinement dans le domaine universitaire, afin de
devenir l‘un des conseillers les plus entendus sur les affaires européennes à la Maison
Blanche. Sa collaboration avec Jean Monnet se divise en deux axes de travail : d‘une part, la
collaboration au cours des négociations du plan Schuman et d‘autre part, la collégialité et les
consultations durant l'administration Eisenhower.429
Pendant les négociations du plan Schuman, Bowie fut chargé par Mac Cloy de la
responsabilité de l'application de la loi 27, concernant l‘adoption par la Haute Commission
des alliées à déconcentrer le charbon et l'acier allemands. L'objectif était de partager de
manière équitable les ressources entre la France, l‘Allemagne et l‘Italie.430 Dans le même
temps, Mac Cloy lui demanda d‘aller à Paris parler à Monnet par rapport aux premières
phases des négociations du plan Schuman. Ce fut l‘occasion pour Monnet et Bowie de devenir
rapidement amis et travailler ensemble de manière efficace.431 Leur collaboration fut d‘autant
plus fructueuse que Bowie avait connaissance des objectifs de la politique des États-Unis,
concernant la reconstruction et l‘intégration de l'Europe. Ensemble, Monnet et Bowie
collaborèrent efficacement à concevoir rapidement des solutions pratiques à des problèmes
complexes. «[...] And this was a part of the general policy, which had been in effect since
WWII, of putting constraints on Germany. It was reflected in the Ruhr authority, and other
measures which had grown out of the Potsdam agreement. Well, the thing that was striking
about the Schuman Plan to me was that it represented a basic shift of policy toward Germany
from the policy whith the French had up to that time espoused—essentially from trying to
constrain or hold Germany down to one of trying to integrate Germany and France and the
429
Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―The Insiders‖ : Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel », in Clifford
P. Hackett(ed.), op.cit., p.211
430
Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―The Insiders‖ : Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel », in Clifford
P. Hackett(ed.), ibid., p.212
431
FJME Fond d‘histoire oral, témoignage de Robert R. Bowie par Antoine Marès,(16. 06. 81)
164
other European countries into a Community. As I saw it, it was a profound, radical shift to a
much more constructive approach to the problem»432.
Bowie étant pleinement conscient de la volonté de Monnet de réconcilier la France et
l‘Allemagne au travers du plan Schuman, il souhaitait, quant à lui, œuvrer du même coup
pour le maintien de la paix dans le monde. « Pour lui, raconte Robert Bowie, les choses
étaient simples : c‘était en poursuivant le mouvement d‘unification de l‘Europe de l‘Ouest, en
liaison étroite avec les États-Unis, que l‘on combattait le mieux le totalitarisme soviétique. La
guerre froide, à ses yeux, était un fait. Une Europe forte et prospère était, à son avis, la
meilleure réplique à la menace soviétique»433.
En outre, Bowie fut d‘une aide providentielle pour gérer les problèmes de monopoles dans
les secteurs de l‘industrie et de l‘énergie relatifs au plan Schuman et surtout à l‘instauration de
la CECA. Aussi, les articles 65 et 66 de la version finale du traité de la CECA consacrèrent
les lois « antitrust » américaines434. Bowie avait un point de vue différent des autres
Américains et s‘attachait particulièrement aux problèmes des monopoles : « Yes, I remember
very well conversations in which some Americans viewed it merely as an effort to adopt an
official cartel, and were rather cynical about it, But I suppose the fact that we in the Allied
High Commission were so close to the whole question of the approach to Germany caused us
to see it in a somewhat different light. And as I remember it Mac Cloy too was very
enthusiastic for this proposal»435. Contribuant à rédiger les articles anti-trust du Traité de la
CECA, il devint alors un proche de Monnet. Il travailla étroitement avec Monnet et
Tomlinson à Paris, tout en faisant régulièrement des rapports à Mac Cloy à Bonn. Ils étaient si
proches que Monnet leur donna ses notes confidentielles pour suivre les négociations. Lors de
la création des institutions européennes, les apports dans les domaines de la concurrence,
l‘influence de Robert Bowie et W. Tomlinson, fut déterminante.
Puis après l'échec de la CED en 1954, Monnet demanda à Bowie de trouver le soutien
américain pour la communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom)436. Car tous deux
étaient conscients du rôle de gardien mondial des États-Unis dans l'utilisation pacifique de
432
FJME Fond d‘histoire oral, témoignage de Robert R. Bowie par Antoine Marès,(16.06. 81)
Témoignage de R. Bowie à l‘auteur, Washington, 21 octobre 1991, cité par Éric Roussel, Jean Monnet, p.621.
434
Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―The Insiders‖ : Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel », in Clifford
P. Hackett (ed.), op.cit., p.212-213
435
FJME Fond d‘histoire oral, témoignage de Robert R. Bowie par Antoine Marès, (16.06.81)
436
Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―The Insiders‖ : Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel », in Clifford
P. Hackett (ed.), op.cit., p.215
433
165
l'énergie atomique. Enfin, leur collaboration en tant que négociateurs et conseillers suscita
assez d'intérêt pour permettre une intégration européenne au travers de la CEE. Car très tôt, ils
étaient conscients des potentialités d'intégration apportées par la CEE437
En conclusion, le véritable pouvoir de Monnet dans l‘élaboration des institutions
européennes fut sa capacité à inspirer confiance et à convaincre les vrais décideurs
américains. Sa force a été, comme nous venons de le voir, dans sa capacité à mobiliser un
réseau puissant et efficace de pouvoir et de compétences américaines dont le cercle de
lawyers de Harvard tient la place centrale eu égard, à sa capacité à mobiliser les
administrations successives de la Maison-Blanche. Et si l‘unification européenne était le
simple fait de l‘étroite collaboration d‘un humaniste français et de l‘élite intellectuelle et
dirigeante américaines ? On pourrait le penser, au vu du témoignage des multiples connexions
entre Monnet et l‘élite américaine dans l‘accouchement des principales institutions symboles
de l‘unité européenne. Comme le note Georgette Elgey, l‘Europe s‘est d‘abord construite
entre Paris et Washington : « L‘innovateur français (Monnet) et les politiciens américains ont
de l‘Europe et de ses relations avec les États-Unis, note Georgette Elgey, une conception
voisine. Il s‘est formé à Paris et à Washington un cercle de responsables unis par un idéal
commun. Convaincus d‘œuvrer dans l‘intérêt général, pour le bien, par conséquent, de leur
propre pays, ils travaillent la main dans la main au-delà de leur nationalité. Les unissent aussi
le souvenir de la dernière guerre et leur collaboration constante à Washington. Avec
enthousiasme, ils croient l‘heure venue de jeter à terre les barrières nationales, d‘édifier un
monde nouveau libre et efficace »438.
Les journalistes américains de l’Europe fédérale et Jean Monnet.
La qualité et la profondeur des liens avec les journalistes américains furent déterminantes
sur les idées de Jean Monnet. Pour des raisons évidentes, les grands « columnists » américains
ou certains patrons de presse étaient particulièrement proches de Monnet.439 On pouvait
437
Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―The Insiders‖ : Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel », Clifford P.
Hackett (ed.), ibid., p.216
438
G. Elgey, La République des contradictions, p. 269, cité par Éric Roussel, Jean Monnet, p.589.
439
Éric Roussel, Jean Monnet, p.704.
166
compter parmi ses amis de nombreux journalistes américains tels que Walter Lippmann,
James Reston, (Washington Post), Harold Callender (New York Times) ou encore Philip et
Katherine Graham (propriétaires du Washington Post). Et ces amitiés se renforcèrent surtout
après la seconde guerre, quand Jean Monnet rencontrait régulièrement ces journalistes
américains qui voyaient en lui, une opportunité de « pont intellectuel et médiatique » entre
l‘Europe d‘après-guerre et les États-Unis. Et cet intérêt mutuel et réciproque nourrissant la
vision de chacun allait grandissant : «[...] je tirais le plus grand profit de mes conversations
avec mes amis Phil et Kay Graham, Walter Lippmann, Joe Alsop, James Reston, David
Schoenbrun, Robert Kleiman »440.
Monnet considérait la presse américaine comme une ressource parmi la constellation de
ressources possibles qu‘il trouvait tout au long de son chemin dans la réalisation de ses idées
européennes. Il avait confiance dans les journalistes. Il sondait leurs points de vue et évaluait
leurs sources d‘informations. Monnet, pour sa part, n'attendait pas que la presse vienne à lui
automatiquement. Il n'était pas non plus homme à appeler de ses vœux les conférences de
presse mais quand il avait besoin ou quand les journalistes sollicitaient son avis, ils se
rencontrèrent naturellement comme des amis, s‘appréciant mutuellement et estimant leur
valeur respective. Monnet avait une relation particulière avec la presse américaine qui tenait
davantage d‘une relation amicale que d‘une rencontre médiatique opportune. D‘ailleurs, il
entretenait une relation presqu‘intime avec certains journalistes lors de ses fréquentes visites
aux États-Unis. François Duchêne, son collaborateur, explique les perceptions de Monnet sur
les journalistes américains : « He did not see good journalists just as conductor for his own
point of view. He regarded them as vital sources of intelligence and sounding boards of ideas.
He always saw journalists before approaching the politics to sell his wares. I think there was a
special affinity for Americans, but there were specific reasons for it. They were thus better
informed and more influential, more valuable to him at both ends of the relationship. Also he
liked a set-up where he could influence matters by what he was best at-personal relations»441.
Parce qu‘il était toujours avide d‘informations, il éprouvait un besoin permanent de
discussion. Il essayait de rencontrer toute personne susceptible de faire progresser sa
réflexion. En outre, Monnet était conscient du rôle et l‘influence des médias depuis la seconde
guerre mondiale. Et l‘acuité de cette importance fut renforcée par le professionnalisme des
440
Jean Monnet, Mémoires, p.391.
Don Cook and the Editor, « Monnet and the American Press », in Clifford P. Hackett(ed.), op.cit., pp.241242.
441
167
journalistes américains durant cette période appelée plus tard « l'âge d'or » de la presse écrite
outre-Atlantique. Par ailleurs, ce désir presque insatiable des Américains de s'informer était
l‘une des prémisses de la rupture de la politique isolationniste traditionnelle des États-Unis,
afin de muer vers un rôle de supra-puissance mondiale qu‘on lui connaît aujourd‘hui.
Quant à Monnet, esprit curieux et ouvert sur le monde, son souci d‘information dépassait
très largement les frontières nationales, avec un intérêt particulier pour tout ce qui avait trait
aux États-Unis. Aussi, il lui semblait plus que naturel de développer des contacts privilégiés
avec la presse, et cela, dès son retour à Washington après la Guerre. À partir de cette date, il
prit soin de développer des liens étroits avec les grands journalistes américains. Il l‘écrivait
d‘ailleurs, dans ses Mémoires : « [...] le général Burns, le lieutenant-colonel Aurand que
l‘armée tenait en suspicion pour ses liaisons avec ce groupe qui n‘avait ni nom ni structure,
mais dont on ne pouvait ignorer l‘influence sur les décisions de la Maison-Blanche. C‘est là
que je pris l‘habitude de travailler en totale confiance avec les grands journalistes qui, comme
Walter Lippmann et James Reston, pouvaient être associés aux plus graves délibérations où
leur expérience était utile, sans qu‘ils eussent même la tentation d‘en violer le secret. Partie
secrète de ces délibérations où leur expérience était d‘ailleurs moins importante, que le débat
public, qui faisait avancer les esprits vers les objectifs que nous nous étions assignés : faire
entrer la puissance américaine dans la lutte»442.
En outre, au-delà du soutien politique et médiatique, Jean Monnet appréciait
particulièrement, tout comme Philip Graham et Walter Lippmann, les longues discussions qui
lui permettait d‘enrichir sa réflexion sur l‘Europe. Car les entretiens ressemblaient davantage
à une collaboration intellectuelle qu‘à une interview journalistique classique : « Quand il
recevait un journaliste, c‘était une conversation -pas une interview. Il posait des tas de
questions […]. Il disait ―Qu‘est-ce que vous feriez à ma place?‖ et il prenait des notes.
Finalement, le journaliste partait en ayant parfaitement compris ce à quoi Monnet se préparait,
parce qu‘il avait participé à la mise à jour de l‘essentiel»443. À travers le témoignage de Jean
Fourastié, on peut accéder à une conception presque philosophique de l‘information chez Jean
Monnet. « Informez-vous les uns les autres », aurait-il finalement prêché tout au long de sa
vie. Selon Fourastié, Jean Monnet aurait conçu le Plan Monnet comme un lieu d‘échanges et
de rencontres : « Le Commissariat au Plan doit être un centre d‘information. Il faut rapprocher
442
Jean Monnet, Mémoires, p.223.
George Berthoin, interview dans le Point, 7 novembre 1988, cité par Elsa Guichaoua, Jean Monnet,
l’information et l’opinion publique, p.319.
443
168
les patrons des ouvriers, ils détiennent chacun des informations souvent valables et ignorées
par les autres; il faut rapprocher gens de droite et gens de gauche ; en s‘informant
mutuellement, les gens en viennent à découvrir leurs ignorances et leurs erreurs. Le
Commissariat au Plan, par ce rapprochement des différents acteurs, des différents facteurs
aussi de l‘activité économique, a joué un rôle de ―décrispation‖ comme on dirait aujourd‘hui,
et d‘information réciproque»444.
De tous les journalistes américains liés à Monnet, Walter Lippmann, Philip Graham et
Katherine Graham ont certainement été ceux qui ont eu l‘influence la plus grande dans la
réflexion sur l‘unification européenne. Aussi, intéressons-nous d‘un peu plus près à ces
personnages majeurs :
Walter Lippmann
Né à New York en 1899, dans un milieu juif cultivé, cet ancien de Harvard devint
rapidement une célébrité dans le monde du journalisme. Il fut longtemps considéré comme
une institution vivante aux États-Unis. Animateur à ses débuts au The New Republic, modeste
hebdomadaire de l‘avant-garde politique et artistique new-yorkaise, il défendait des opinions
résolument pacifistes pour un public libéral de gauche où se retrouvait la bohème dorée. Puis,
le colonel House, l‘éminence grise de Wilson, le remarqua et l‘appela à ses côtés, notamment
pour l‘aider à la rédaction du mémorandum clarifiant les quatorze points du président à
l‘intention des alliés. Mais ce fut seulement plusieurs années après à travers le journalisme
qu‘il trouva enfin l‘opportunité d‘exprimer pleinement ses idéaux d‘universalisme et
d‘ouverture des États-Unis sur le monde. Et cela dans le « Herald Tribune » pendant plus de
trente ans445
Quant à Jean Monnet, il le rencontra dès les années 20. Très proches dès le début, et
particulièrement durant la Seconde Guerre mondiale, leurs relations se distendent un peu vers
la fin de leurs vies, lorsque Lippmann évolua vers ce que Katherine Graham appela « un
444
FJME, Fonds d‘histoire orale, témoignage de Jean Fourastié Par Antoine Marès,(06.05.81)
Éric Roussel, Jean Monnet, p.111-112. Comme Tocqueville et l‘idéologie dominante de son pays, Lippmann
est convaincu que la démocratie n‘est rien en soi, ni facteur de vertu, ni facteur de progrès, ni garantie
d‘harmonie et que, laissée à elle-même, elle n‘engendre que le vide, ce vide pouvant devenir plénitude si le règne
de la majorité reçoit l‘élan d‘une élite et le correctif d‘une norme sociale extérieure. Éric Roussel, Jean Monnet,
p.111-112.
445
169
certain conservatisme ». Aussi, autre sujet de désaccord, comme George Ball aimait à le dire,
Lippmann était un grand admirateur du général de Gaulle en qui, il voyait une sorte de
prophète : «[…] Lippmann was a great Gaullist, he was very enthusiastic for the General. He
once gave a television interview in which he said that De Gaulle had the capacity for looking
over the centuries and could see farther than any other man of our time—that he was a very
great statesman. I admired Walter, and quoted this statement he‘d made. I added, ―You know,
I agree with him entirely, but I just wish they‘d turn him around and face him forward»446.
Intellectuel souvent en porte-à-faux par rapport à son pays où il était parfois mal compris
tout en jouissant d‘une influence énorme. On pouvait dire qu‘il était en fait très différent de
Jean Monnet, et à bien des égards le plus américain des deux n‘était pas celui auquel on
pensait immédiatement. Analyste de l‘éphémère, philosophe de la politique, homme de
passion, élite avant tout, partisan d‘une démocratie dirigée par des gens éclairés, realpolitiker
par excellence, Walter Lippmann n‘en restait pas moins l‘un des rares hommes que Monnet
considérait avec respect447. À ce sujet, George Ball disait de Monnet « he felt Lippmann was a
great historian»448.
Et pour cause, Walter Lippmann fut de ceux qui plaidèrent en faveur du plan Marshall et
de la constitution d‘une union économique en Europe. Il salua dans le New York Herald
Tribune, un « tournant dans la politique étrangère des États-Unis » à travers l‘établissement
du plan Marshall. Il soutenait vigoureusement le mouvement et l‘idée de la fédération de
l‘Europe449. Notamment en rejetant, tout comme Monnet, l‘idée d‘une division de
l‘Allemagne d‘après-guerre car inquiet d‘une éventuelle déstabilisation européenne. C‘est
pourquoi, il soutenait avec ferveur les tentatives de Monnet en ce sens, à travers le plan
Schuman. Ce soutien, il le formula dans sa correspondance avec Monnet (du 01 juin 1950) : «
My own belief is that the right policy for your government now is to push ahead quickly for
an agreement primarily with the Germans. The other western countries can be negotiated with
after that. The decisive event will be the France-German agreement »450
446
FJME, Fonds d‘histoire orale, témoignage de George Ball par Leonard Tennyson,(15.07. 81)
Éric Roussel, Jean Monnet, p.111-112.
448
FJME, Fonds d‘histoire orale, témoignage de George Ball par Leonard Tennyson,(15.07. 81)
449
FJME AMG 25/2/5 : Congressional Record, vol. 96, United States information Library, Washington,
Thursday, (11, 05, 50) n. 94. En version d‘anglais : «As everyone knows, Mr. Lippmann has for many years
almost alone among the columnists supported vigorously the movement and the idea of European federation».
450
Y/WL 8, Yale University Press, Walter Lippmann Papers, Letter (Walter Lippmann to Jean Monnet),
(01.06.50)
447
170
Ainsi, il partageait les mêmes idées que Jean Monnet sur la question de l‘Allemagne dans
le dispositif Schuman. Et tous deux avaient l‘intime conviction que la question de
l‘Allemagne en serait le point crucial : pour Lippmann et Monnet l‘Allemagne était le
véritable «enjeu» du Plan Schuman. Aussi, elle devait être le lien fédérateur des différents
pays européens : «Le but du Plan Schuman est de créer dans ces six pays, une seul marché
libre et concurrentiel pour le charbon et l‘acier – un marché, ainsi que l‘a décrit M. Monnet,
où tous les consommateurs peuvent avoir accès au charbon et à l‘acier aux mêmes conditions,
sans discrimination de monopole et où les seules différences de prix seront représentées par
des différences dans les coûts du transport. Cette proposition a eu l‘appui enthousiaste, même
passionné, d‘hommes désintéressés et bien informés ici et à l‘étranger. Ils sont d‘avis que sa
réalisation constituerait la première promesse convaincante d‘une réconciliation francoallemande et, en même temps, qu‘il entraînerait la disparition par étapes de l‘habitude
mortelle des monopoles et des restrictions en Europe occidentale : «La rébellion des
industriels de la Ruhr a été ouvertement aidée et soutenue par une horde de juristes
américains, présidés par l‘ancien secrétaire à la Guerre qui- croyez-le ou non- a réellement été
en Allemagne pour plaider leur cause devant son ancien propre subordonné au ministère de la
Guerre, l‘actuel Haut-commissaire américain, Mr. Mac Cloy. La maladresse monumentale de
cette façon de faire a jeté les doutes les plus graves sur la bonne foi de la politique allemande
en Allemagne-sur la politique officielle d‘un support plein et enthousiaste du Plan
Schuman»451.
On peut sans aucun doute deviner qu‘à cette période, les échos de Walter Lippmann dans
la presse étaient considérables, eu égard à son statut éditorialiste du plus influent journal
politique des États-Unis, notamment sur la classe dirigeante américaine. Selon le ―record
congress‖:« Mr. Fulbright. Mr. President, I also ask unanimous consent to have printed at this
point the Record an article pertaining to this proposition, by Mr. Walter Lippmann, appearing
in this morning‘s newspapers»452.
Concernant, le plan Schuman, Lippmann était à la fois une source précieuse d‘information
pour Monnet, mais aussi, un moyen de faire entendre ses positions aux instances dirigeantes
américaines. Aussi, lorsque Monnet était inquiet par rapport à l‘administration américaine, il
pouvait compter sur le soutien de Lippmann : «I have made some careful inquiries in very
451
FJME AMG 20/7/19 : id.-Traduction française : « un contretemps pour le Plan Schuman ».
FJME AMG 25/2/5 : Congressional Record, vol. 96, United States information Library, Washington,
Thursday, (11, 05, 50), n 94.
452
171
reliable high places as to whether it would be useful for you to pay a quick visit to this
country. The net conclusion is that support for the plan is so strong here that your immediate
presence is not needed for the purpose of beginning support, and that your presence in
Europe-in order to see that the negotiation proceed well-is indispensable. After negotiations
are well started a visit here might be very useful in order to deal with difficulties that will
arise out of details. […] I think you would be greatly reassured by the attitude of the
Administration here. The offer is regarded by the President and the Secretary of State, Paul
Hoffman, by all the top policy people of the State Department and of the Pentagon, by all the
leading members of both political parties in Congress, as the most hopeful post-war
development in Europe. Instructions have been issued to the technicians that no difficulties
are to be raised on technical grounds until the main political purposes are assured. The matter
is to be treated as a question of high policy and not as an incident of an economic problem, or
trade ideology»453.
Ainsi, on pourrait qualifier la relation Lippmann-Monnet de véritable « partenariat » dans
le développement des idées européennes, l‘un en nourrissant Lippmann de contenus et
d‘informations précises sur l‘Europe, l‘autre en apportant sa vision globale du monde et son
influence médiatique de journaliste politique incontournable aux États-Unis. Une association
des plus productives !
Philip et Katherine Graham
Philip et Katherine Graham, sa femme, sont les propriétaires influents du Washington
Post. Là encore, l‘amitié est ancienne. Cependant, elle se revivifie au cours de ces années
d‘après-guerre, des années décisives pour l‘unité du vieux continent. Philip Graham et Jean
Monnet étaient amis avant même la période du Washington Post. À l‘époque où Graham
n‘était qu‘un simple éditeur, il rencontra Monnet par l‘intermédiaire de Frankfurter, dont il
était l‘assistant en 1940. Comme le raconte Katherine Graham, sa femme : «My husband met
him with Félix Frankfurter, when he was over here during the war. That must have been 1940,
because Phil was then Frankfurter‘s law clerk. Monnet and he took a great shine to each other.
453
Y/WL 8, Yale University Press, Walter Lippmann Papers, Lettrer (Walter Lippmann to Jean Monnet),
(01.06.50)
172
He, like Frankfurter, liked bright young men. Phil took advantage of this for he had developed
an enormous admiration for Jean. The two men used to take walks together. […] Phil had
taken a job with the Lend-Lease Administration in 1941. Monnet was then living on Foxhall
Road. They would take walks together in the mornings. Phil saw a great deal of him
separately, but we also saw him together»454.
Les relations entre Jean Monnet et Philip Graham s‘approfondirent en même temps, que
Graham devenait un fervent partisan d‘une Europe intégrationniste. Selon Katherine, Philip
était prodigieusement intéressé par la construction européenne : « Phil used to compare him
(Monnet) to Benjamin Franklin. I‘m not quite sure why. I haven‘t read enough about Franklin
to know what parallel he found. I suppose that he compared him with Franklin as a radiant
personality and implementer ideas. Phil was quite swept off his feet. […] The idea of a United
Europe excited Phil tremendously. The concept of a federal authority over European
economic and monetary interests—that whole idea of one community—was one of the
guiding forces in Phil‘s life. I think it started with Jean and picked up after the war when we
got to know David Bruce»455. Intérêt qu‘il put partager aussi avec certains de ces
collaborateurs comme Robert Estabrook et Chalmers Roberts, durant sa direction de la ligne
éditoriale du Washington Post. Par ailleurs, Jean Monnet et David Bruce étaient considérés
comme les sources les plus expertes en matière de politique et d‘actualités européennes par
nombre d‘éditorialistes américains. De même, en Europe et particulièrement à Paris, Monnet
était une source incontournable, compte tenu de ses nombreux contacts avec le gotha politique
et l‘intelligentsia médiatique456.
Katherine Graham, femme de Philip Graham, devint l'éditorialiste du Washington Post en
1963, après le décès de son mari. Elle n‘était pas une intime de Jean Monnet du vivant de son
mari. Elle le devint après le décès de Phillip. Leur amitié permit à Katherine Graham de
prendre une place plus importante à Washington. Pour Jean Monnet, Katherine était une
source d'informations précieuse mais également, la possibilité de rester en contact avec les
personnes influentes à Washington, dont l‘accès devenait moins évident avec le temps,
notamment avec l‘administration de Johnson : «If he didn‘t already know, he wanted to know
all about people. Kennedy was that way. So was Roosevelt. They cared about the busman side
of things, and were amused by gossip. Monnet had a capacity for intimacy and friendship.
454
FJME, Fonds d‘histoire orale, témoignage de Katherine Graham par Leonard Tennyson,(28.07. 81)
FJME, Fonds d‘histoire orale, témoignage de Katherine Graham par Leonard Tennyson,(28.07.81)
456
Don Cook and the Editor, « Monnet and the American Press », in Clifford P. Hackett(ed.), op.cit., p.252.
455
173
One of the most wonderful things that ever happened to me was that I was privileged to be his
friend»457.
En conclusion, plusieurs des journalistes américains associés à Monnet jouèrent un rôle
décisif dans la réflexion sur l‘unification européenne, surtout à l‘époque de la création du Plan
Schuman. Monnet partageait avec eux dans une grande ligne d‘une idée sur le traitement de
l‘Allemagne et celle sur la réflexion de la fédération. Concernant, le plan Schuman, ils étaient
non seulement une source précieuse d‘information pour Monnet, mais aussi un moyen de faire
entendre ses positions aux instances dirigeantes américaines. Pour Monnet, au-delà de leurs
rôles d‘amis, les journalistes américains remplissaient son désir insatiable d‘informations. Il
les consultait fréquemment : « [...] ces personnages de la presse obtenaient de moi des
informations sur l‘Europe d‘où j‘arrivais, mais en retour ils m‘apportaient beaucoup grâce à la
vision très large qu‘ils avaient dans ces postes d‘observation reliés au monde entier [...] »458.
De leurs régulières confrontations, Jean Monnet obtint des aspects différents d‘un même
problème. Ce qui contribua à faire énormément progresser son idée sur l‘unification
européenne.
457
458
FJME, Fonds d‘histoire orale, témoignage de Katherine Graham par Leonard Tennyson, (28.07. 81)
Jean Monnet, Mémoires, pp.391-392.
174
Chapitre 6 : La CECA et les États-Unis (1950-1952)
« Bruce et MacCloy qui étaient, eux, d‘ardents partisans de
l‘intégration européenne. Leur raisonnement n‘était pas différent
du mien, car notre préoccupation commune était la paix: il n‘y
avait pas, quoi qu‘en aient dit les esprits compliqués, une manière
américaine, une manière allemande ou française de renforcer la
paix, et toutes les spéculations sur les arrière-pensées de ceux qui
travaillaient à la même œuvre en Europe me paraissaient futiles.
Jean Monnet »459
Dans leurs travaux portant sur l‘enjeu de l‘Unification européenne et l‘importance de la
CECA, The Schuman Plan,460 The European Coal and Steel Community461, William Diebold
et Hans A. Schmitt défendent la thèse de l‘intervention et de l‘influence des États-Unis dans
l‘histoire de l‘intégration européenne, après-guerre. En résonnance avec l‘esprit de la
« Communauté atlantique » issu de la Guerre froide, les États-Unis accentuèrent leurs
contributions à l‘intégration de l‘Europe de l‘Ouest462.
Cependant, depuis une vingtaine d‘années, une thèse contraire est apparue, cristallisant les
tensions, créant ainsi un débat sur l‘influence des États-Unis dans l‘intégration européenne.
Des spécialistes comme Alan Milward, historien économiste britannique, critiquèrent
l‘orthodoxie de la thèse de l‘aide américaine. Les hypothèses centrales de l‘étude de Milward
portent sur le fait que l‘Europe n‘avait pas vraiment besoin de l‘aide américaine : d‘après cet
auteur, les Européens de l‘ouest étaient suffisamment forts pour reconstruire leurs économies
eux-mêmes et avaient déjà commencé de le faire, minimisant au passage l‘importance du Plan
Marshall et plus généralement la contribution américaine à la reconstruction européenne dans
459
Jean Monnet, Mémoires, p. 523.
New York, Praeger, 1959.
461
In Journal of Business History, printemps, 1964, pp. 102-122.
462
Voir aussi, David Ellwood, Rebuilding Europe. Western Europe, America and Postwar Reconstruction, 19451955, New York, Longmans, 1992
460
175
son ensemble. Il affirme que «la crise économique de 1947 qui mit un terme à la convertibilité
Dollar/Sterling et généra le European Recovery Programme ne fut pas déclenchée par la
dégradation de la situation économique intérieure des économies ouest-européennes. Elle était
encore moins le fait de la menace d‘un effondrement politique, moral ou spirituel. Elle fut,
bien au contraire, la conséquence de la rapidité considérable et du succès de la reconstruction
économique de l‘Europe occidentale. »463. Ainsi, en 1947, il s‘agissait d‘une crise des
paiements dans une économie européenne qui, par ailleurs, se portait très bien. Ce n‘était pas
le résultat de la faiblesse structurelle des systèmes industriels de l‘Europe de l‘Ouest, au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Aussi, pour Milward, l‘Europe était bien partie
pour se sortir d‘elle-même, après les destructions dues à la guerre. Dans les années 1990,
Milward conforta son hypothèse par les résultats d‘une seconde étude sur ce sujet : The
European Rescue of the Nation State464. Entre-temps, l‘historien allemand, Hartmut Kaelble,
renforça cette position en exprimant l‘idée que l‘Europe était engagée « On a path Toward a
European Society ». Et plus récemment, le politologue de Harvard, Andrew Moravcsik,
conforta cette position avec son étude sur la dynamique de l‘intégration européenne qui ne
prend guère en compte le rôle que les États-Unis ont joué dans ce processus, en utilisant
toutefois une méthodologie controversée465.
Cependant, un grand nombre d‘historiens européens continuèrent d‘affirmer que les ÉtatsUnis avaient apporté une aide décisive à la reconstruction européenne, notamment Gérard
Bossuat, l‘historien français, développa la thèse des liens entre la modernisation française et la
politique allemande, menée par la France, entre le plan Marshall et le plan Schuman. Dans
son ouvrage « la France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954»
466
,
Gérard Bossuat constate que « la France avait besoin de deux aides pour se reconstruire : une
aide d‘urgence et une aide pour la modernisation. Ainsi, avec le plan Marshall vint le temps
de l‘espoir, l‘espoir de sortir de la pénurie financière qui ralentissait la modernisation, et
l‘espoir aussi de contrôler l‘Allemagne au moyen de l‘OECE.
Concernant la contribution américaine à l‘intégration européenne, Gérard Bossuat insiste
sur l‘importance du plan Marshall comme l‘événement essentiel de l‘unité européenne : « le
plan Marshall n‘est qu‘un apport de dollars. Cette vérité ne s‘est manifestée qu‘après un
463
Alan Milward, op.cit., p.465.
Alan Milward, The European Rescue of the Nation state, London, Routledge, 1992.
465
Andrew Moravcsik, The Choice for Europe, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
466
Comité pour l‘histoire économique et financière de la France. 1992.
464
176
parcours sinueux, débutant au congrès américain. Pour y parvenir, il avait fallu réfléchir sur
l‘unité européenne, assainir les finances, accepter l‘Allemagne comme partenaire égal,
défendre les programmes de modernisation de l‘OECE, convaincre l‘opinion que les
Américains lui voulaient du bien, manifester sa souveraineté éminente, ouvrir ses bureaux et
ses secrets à des étrangers. » Alors, « les années 1948 et 1949 mettaient en place une Europe
préparée à une nouvelle donne internationale, la guerre froide, contre le vœu profond des
Français, mais qui sauva la modernisation. Le plan Marshall imposa le principe de l‘unité
européenne»467.
Gerd Hardach de Marbourg, historien économiste, renforce la thèse de Bossuat, en
insistant, côté ouest-allemand, sur l‘importance du plan Marshall dans la reconstruction de
son agriculture : « sans le Plan Marshall, l‘Allemagne de l‘Ouest aurait dû fournir un effort
plus important pour le développement de son agriculture. […] Cet effet structurel fut
probablement la contribution la plus importante à la reconstruction de l‘économie ouestallemande. De plus, le Plan Marshall a favorisé la libéralisation du commerce et des
paiements en Europe. La reconstruction économique était possible sans le plan Marshall mais
elle aurait été beaucoup plus lente»468.
Michael Hogan, dans l‘ouvrage de The Marshall Plan, America, Britain and the
Reconstruction of Western Europe, 1947-1952469, développe l‘idée d‘une aide américaine
beaucoup plus vaste que l‘unique plan Marshall : il considère que les États-Unis étaient
déterminés depuis 1941 à restructurer les économies ouest-européennes selon les principes de
leur modèle mais qu‘ils mettraient en œuvre leurs plans qu‘après 1945. Aussi, pense-t-il, que
les Américains visaient une « américanisation » des structures industrielles et des mentalités
de l‘ensemble des milieux d‘affaires.
Repris et reformulé en partie comme réponse à Alan Milward et Werner Abelshauser, le
paradigme de l‘américanisation stimula une bonne partie des recherches historiques récentes,
particulièrement dans les domaines de la culture et de la consommation, bien que celui-ci
467
Gérard Bossuat, la France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit. p.901.
Gerd Hardach, « The Marshall Plan in Germany, 1948-1952 », in Journal of European Economic History 16
(1987), p.485.
469
Michael Hogan, The Marshall Plan, America, Britain and the Reconstruction of Western Europe, 1947-1952,
New York, Cambridge University Press, 1987.
468
177
provoqua quelques critiques et rejets au cours des années 1990470. Cependant, force est de
constater que les recherches récentes conforment le paradigme de « l‘américanisation » plutôt
qu‘elles ne l‘infirment : Beate Neuss réaffirma, sur la base de travaux d‘archives
considérables, toute l‘importance de l‘influence de Washington, l‘intégration européenne471
Si la majorité de la communauté scientifique s‘accorde sur l‘effet considérable du plan
Marshall sur le développement de l‘intégration européenne, qu‘en est-il du second plan d‘aide
américaine, et particulièrement pour la France ? Le plan Schuman.
Annie Lacroix-Riz, historienne française, dans la continuité de ses recherches avait décelé,
concernant le plan Schuman, la main de Washington dans les origines de la proposition
française, et réaffirmait que le Plan faisait partie intégrante de la détermination américaine
d‘utiliser une industrie allemande restructurée, comme moteur de la reconstruction
économique européenne472. Par contre, l‘historien allemand Klaus Schwabe qualifiait de
« non-sens » l‘idée selon laquelle le Plan Schuman était le fruit de la pression américaine car
c‘était, selon lui, apporter de l‘eau au moulin de ceux pour qui, le projet sortirait tout droit des
cerveaux de Jean Monnet et de Robert Schuman. John Gillingham, historien américain,
affirma, quant à lui, que la Communauté européenne du charbon et de l‘acier (CECA) était
pour l‘essentiel une reprise des pratiques des cartels de l‘entre-deux-guerres et que les
industries de la Ruhr et du Nord de la France étaient les forces motrices derrière le renouveau
du projet Schuman en 1950473. Toutefois, en révisant partiellement ses hypothèses antérieures,
il peignait Monnet comme un « Americanizer » européen, qui, par son initiative, visait à
changer les mauvaises habitudes « cartellistiques » de l‘industrie européenne474. Toutefois,
après avoir loué les mérites de Monnet pour avoir porté les négociations de la CECA à une
470
Pour une bonne et récente présentation de cette approche ch. Heide Fehrenbach et Uta Poiger (éd.),
Transactions, Transgressions, Transformations. American Culture in Western Europe and Japan, New York,
Berghahn Books, 2000, en particulier l‘introduction des éditeurs sous le titre « Americanization Reconsidered ».
471
Beate Neuss, Geburtshelfer Europas? Die Rolle der Vereinigten Staaten im europäischen Integrationsprozeß,
1945-1958, Baden-Baden, Nomos, 2000, cité par Volker Berghahn, « Reconstruction et Réorganisation. Le
modèle américain, l‘économie européenne de l‘après-guerre et le plan Schuman, 1941-1951 », in Andreas
Wilkens, (dir.), Le plan Schuman dans l’histoire : l’intérêts nationaux et projet européenne, Bruxelles,
Établissements Émile Bruylant, 2004, p.110.
472
Annie Lacroix-Riz, « Paris et Washington au début du plan Schuman (1950-1951) », in Klaus Schwabe (éd.),
Die Anfänge des Schuman-Plans 1950-1951, Baden-Baden, Nomos, 1988, pp.241-268, cité par Volker
Berghahn, « Reconstruction et Réorganisation. Le modèle américain, l‘économie européenne de l‘après-guerre et
le plan Schuman, 1941-1951 », in Andreas Wilkens, (dir.), ibid.
473
John R. Gillingham, A case of continuity. The cartelization of the Western European Montanindustrie, 19331945, St. Louis, University of Missouri, 1979.
474
John R. Gillingham, Coal, Steel and the Rebirth of Europe, 1945-1955. The Germans and French from Ruhr
Conflict to Economic Community, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
178
heureuse conclusion, il déclara que le Français avait échoué dans l‘application du traité sur le
charbon et l‘acier. Monnet avait échoué, selon Gillingham, car l‘opposition de l‘industrie
lourde européenne était bien trop rude. C‘est pourquoi, il qualifia le traité de Rome en 1957,
non comme la suite logique de la CECA mais plutôt comme la conséquence de l‘échec de
Monnet face aux barons de l‘industrie lourde européenne475.
Toutefois, concernant le rôle joué par les États-Unis mais aussi celui de Jean Monnet dans
l‘intégration européenne, il semble pertinent d‘observer l‘étendue des liens qui unissent ces
deux entités. L‘une des premières interrogations serait de déterminer l‘influencé de
« l‘influenceur ». Aussi, Monnet était-il l‘homme de l‘Amérique? Ou l‘Amérique était-elle
l‘instrument de Monnet ? Selon Gérard Bossuat, Monnet comprenait bien le rôle des ÉtatsUnis, leur force, leurs intérêts.476. Il était notamment informé de la politique étrangère des
États-Unis grâce à ses relations confidentielles et privilégiées avec les élites américaines, avec
lesquelles, il partageait pleinement, reconnaissons-le, les visions sur l‘avenir de l‘Europe
d‘après-guerre. Il est difficile de répondre de manière catégorique à cette question de
« l‘influenceur » et de l‘influencé. Pour Annie Lacroix-Riz, Monnet est l‘outil des
Américains. Elle fait référence à la proposition du plan Schuman, pour lequel, elle affirme
déceler « la main de Washington » dans les origines de la proposition française.
Gérard Bossuat dément l‘hypothèse d‘un pilotage du plan Schuman depuis Washington en
arguant que : «le projet du plan Schuman n‘est pas venu du Département d‘État ou de l‘ECA
(Economic Cooperation Administration) en tant que tel, à la différence de l‘UEP (Union
Européenne de Paiements). En revanche il est le fruit des réflexions communes de Monnet,
Ball et MacCloy, mais il est tout autant l‘expression de réflexions analogues d‘Européens»477.
La détermination de l‘élite américaine dans l‘unification européenne n‘est pas suffisante pour
conclure à l‘unilatéralisme de la construction du plan Schuman par les seuls Américains.
Aussi, la thèse de Bossuat, d‘une collaboration étroite au devenir de l‘Europe, entre Monnet et
l‘élite américaine semble davantage plausible, car si les Américains ont joué un rôle majeur
dans les négociations du plan Schuman, celui-ci fut indirect et discret. Si Monnet avoua dans
ses Mémoires la contribution de ses amis politiques américains à l‘unification européenne, il
parlait aussi de collaboration : « Bruce et MacCloy qui étaient, eux, d‘ardents partisans de
l‘intégration européenne. Leur raisonnement n‘était pas différent du mien, car notre
475
John R. Gillingham, ibid.
Gérard Bossuat, la France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit., p.904.
477
Gérard Bossuat, la France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit., p.743.
476
179
préoccupation commune était la paix : il n‘y avait pas, quoi qu‘en aient dit les esprits
compliqués, une manière américaine, une manière allemande ou française de renforcer la
paix, et toutes les spéculations sur les arrière-pensées de ceux qui travaillaient à la même
œuvre en Europe me paraissaient futiles»478. En outre, une lettre de E.V. Rostow, ancien
secrétaire d‘État adjoint des États-Unis, à Jean Monnet en mars 1950 conforterait cette thèse :
«[…] I was embarrassed by the story in ―Le Monde” about my connection with your work. It
sounded to me as if someone were attempting to kill your project by identifying it as of
American inspiration. I am very sorry about it»479.
Depuis l‘automne 1949, le gouvernement américain exhortait les Européens à créer un
cadre institutionnel pour assurer une intégration plus profonde de leurs économies. La montée
des tensions de la Guerre froide rendait cet objectif de la politique américaine encore plus
urgent. Dans une allocution devant le conseil de l‘OECE, en octobre 1949, Hoffman, définit
comme un objectif prioritaire « la mise en place d‘une économie en expansion en Europe de
l‘Ouest, à travers l‘intégration économique. La base d‘une telle intégration serait la formation
d‘un vaste marché commun à l‘intérieur duquel toutes les restrictions quantitatives des
mouvements des biens, les barrières monétaires et la limitation des flux de paiements ainsi
que- successivement tous les tarifs douaniers seraient définitivement éliminés»480. On imagine
aisément que cette déclaration servait d‘orientation à des personnes comme Jean Monnet,
même si tous les pays qui s‘apprêtaient à rejoindre les négociations sur la mise en commun du
charbon et de l‘acier avaient aussi des motifs d‘intérêt national.
Donc, il est certain que la CECA faisait partie intégrante de l‘effort américain soutenu par
Monnet. L‘idée commune entre Monnet et les élites américaines, que l‘Europe devait être
intégrée pour qu‘elle soit forte contre les menaces confrontées au temps, et que la France
devait prendre le leadership européen afin qu‘une reconstruction européenne soit permise,
avait comme priorité un rapprochement franco-allemand.
478
Jean Monnet, Mémoires, p. 523.
FJME AMF 23/4/196 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet (29.03.50)
480
Harry B. Price, The Marshall Plan and its Meaning, Ithaca, Cornell University Press, 1955, p.122.
479
180
Les idées communes de Jean Monnet et des États-Unis sur la
supranationalité.
Au début de 1950, pour Monnet, il apparaissait nécessaire de faire collaborer plus
étroitement l‘Allemagne occidentale à l‘organisation européenne, ceci pour mieux l‘encadrer
et la lier définitivement à l‘Occident. Aussi, l‘unification européenne devait passer par le
développement du secteur industriel de base allemand pour Monnet. C‘est au début de 1950
que ses idées sur ce qu‘il conviendrait de faire avec l‘Allemagne commencèrent à prendre
forme481.
Les institutions européennes créées avec l‘aide américaine étaient très peu efficaces voire
totalement inopérantes pour certaines car aucun plan de développement à long terme ne
pouvait être programmé par l‘Organisation européenne de coopération économique, dont les
fonds provenaient de l‘aide Marshall. D‘après Pierre Gerbet, « le problème de l‘acier
commençait à être posé. L‘OECE n‘ayant pas réussi à coordonner les plans de relèvement
économique, chacun des pays européens avait développé son potentiel au maximum dans un
état d‘esprit plutôt autarcique et avec la volonté de se donner une puissante industrie de
base»482. Monnet était bien conscient des limites de l‘action entreprise au titre de la
coopération intereuropéenne. Il en parla dans ses Mémoires : « quand je pris connaissance de
cet accord (O.E.C.E), je vis la faiblesse congénitale d‘un système qui ne dépassait pas le stade
de la simple coopération intergouvernementale»483. Certes, Monnet ne voulait pas une
organisation intergouvernementale.
Sur le plan politique, jusqu‘en 1949, le Conseil de l‘Europe était encore beaucoup plus
décevant. Il n‘était pas en mesure de réaliser la construction de l‘Europe unie. Monnet le
critiquait également : « j‘avoue que je n‘y prêtais pas grande attention, et l‘enlisement des
résolutions enthousiastes qui devaient aboutir un an après à la formule du Conseil de l‘Europe
481
FJME, l’Europe, une longue marche, 1985, cité par Éric Roussel, Jean Monnet, pp.519-120.
Pierre Gerbet, La construction de l’Europe, Paris, Notre Siècle, 1983.,p.104.
483
Jean Monnet, Mémoires, p.392.
482
181
me confirma que cette voie conduisait à une impasse»484. Il fallait donc trouver une formule
nouvelle.
La tension entre l‘Est et l‘Ouest devenait de plus en plus grave. La guerre froide ne
semblait pas permettre une garantie de la paix en Europe. Les Soviétiques avaient fait
exploser leur bombe atomique le 23 septembre 1949 et le président Truman avait riposté en
décidant la construction de la bombe à hydrogène. La politique américaine se durcissait.485
C‘est dans ce climat d‘extrême tension que les États-Unis commencèrent à avoir l‘idée de
réarmer l‘Allemagne. Ils s‘inquiétaient de la faiblesse militaire d‘une Europe qu‘ils s‘étaient
engagés à défendre. Au début de 1950, au Congrès, on posait ouvertement la question de
l‘utilisation des ressources économiques et humaines de l‘Allemagne occidentale et de
l‘entrée de la République fédérale dans le Pacte atlantique. C‘était l‘idée de l‘opinion
publique américaine sur l‘Allemagne. Dans le journal américain « Today and Tomorrow »,
Walter Lippmann dit : « we can get along without relations with eastern Europe and with
Russia. Britain can get along. But not Germany. And any conception of European and
German policy wihich assumes the contrary is sure to lead to disappointment and to
failure»486.
Malheureusement, au début de cette année là, les relations franco-allemandes n‘étaient pas
au beau fixe. Les Français avaient peur d‘une participation allemande à l‘Europe. La peur de
l‘inlassable dynamisme allemand perturbait les Français. La rivalité franco-allemande était
perceptible surtout au niveau commercial et industriel. Le gouvernement français s‘inquiétait
d‘autant plus du relèvement de l‘Allemagne occidentale que se posait le problème de la
Sarre.487 C‘était l‘obstacle principal aux bonnes relations franco-allemandes.
Par ailleurs, le problème avec l‘Allemagne se doublait d‘un problème avec les Sarrois,
eux-mêmes peu satisfaits de la façon dont les Français les traitaient dans le cadre du plan
Marshall. Les dirigeants américains en étaient conscients. Trois Secrétaires d‘État, Byrnes,
Marshall et Acheson avec l‘approbation du Président adoptèrent « la position que les ÉtatsUnis soutiennent et soutiendront la position française qui est que la Sarre doit être détachée de
484
Jean Monnet, Mémoires, p.323.
Pierre Gerbet, « La naissance du Plan Schuman » in Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p.16.
486
FJME AMG 25/2/5 : Congressional Record, vol. 96, United States information Library, Washington,
Thursday, (11.05.50), n. 94.
487
Celle-ci avait été rattachée économiquement à la France dès 1947, la France ayant besoin du charbon sarrois
et le réclamant au titre des réparations. Des élections avaient eu lieu en Sarre, le 5 octobre 1947, et 91,5% des
votants s‘étaient prononcés pour l‘autonomie politique du territoire. Pierre Gerbet, op.cit., p.103.
485
182
l‘Allemagne et doit être intégrée à la France sur le plan financier et économique»488. Le 18
janvier 1950, Acheson déclara officiellement que « l‘avenir politique de la Sarre est une
question qui devrait être résolue par le traité de paix qui mettrait un terme à la guerre avec
l‘Allemagne. À cet égard, le point de vue américain est que nous soutiendrons à nouveau le
point de vue français qui est que la Sarre devrait avoir un certain degré d‘autonomie, et c‘est
en raison de cette position, que nous avons dans le passé donné notre appui aux diverses
initiatives prises par le Gouvernement français»489. Et il ajouta que «de notre point de vue,
bien entendu, il serait très sage de la part des Français, quelles que soient les initiatives qu‘ils
prennent, de ne pas prendre d‘initiatives qui rendraient difficiles les relations entre la France
et l‘Allemagne ou avec la constitution de l‘Europe occidentale»490. Les conventions francosarroises du 3 mars 1950 précisaient le statut d‘autonomie politique et les conditions du
rattachement économique du territoire sarrois à la France étaient valables jusqu‘au traité de
paix. La question de la Sarre envenima les rapports entre Bonn et Paris au printemps 1950.491
Néanmoins, seul Monnet lança des idées nouvelles et différentes. Il proposa le
rapprochement franco-allemand, comme le remarque Gérard Bossuat : « l‘égalité entre
l‘Allemagne et la France était nouveau»492. Au début de 1950, Jean Monnet pensait qu‘il
fallait régler le problème allemand avec des données nouvelles, libérer l‘industrie allemande
des discriminations nées de la défaite et éliminer en France la crainte de la domination
industrielle allemande493 : « En 1950, où était l‘alliance et où était le danger immédiat? Le
danger, pour les Français, était toujours l‘Allemagne et son avenir incertain. Aussi une
alliance totale avec elle, à son initiative, parut-elle invraisemblable»494.
Monnet était convaincu que la poursuite du relèvement de la France dépendait entièrement
du règlement de la question de la production industrielle allemande qui concurrençait une
industrie française fragile et complexée495 : « du point de vue français, une telle solution
[l‘égalité] mettait l‘industrie française sur la même base de départ que l‘industrie allemande,
488
FJME AMG 25/1/1 : Déclaration officielle du Secrétaire d‘Etat américain, Dean Acheson, (18.01.50)
FJME AMG 25/1/1 : Déclaration officielle du Secrétaire d‘Etat américain, Dean Acheson, (18.01.50)
490
FJME AMG 25/1/1 : Déclaration officielle du Secrétaire d‘Etat américain, Dean Acheson, (18.01.50)
491
Pierre Gerbet, op.cit., p.103.
492
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954, op.cit., p.905.
493
Yves-Henri Nouailhat, « Les États-Unis face au plan Schuman et au plan Pleven », in Michel Catala, (sous la
dir.), Cinquante ans après la déclaration Schuman : Histoire de la Construction européenne, Colloque
international de Nantes 11,12 et 13 mai 2000, Ouest Éditions, p. 156.
494
Jean Monnet, Mémoires, p. 411.
495
FJME AMG 5/1/5 : Note de réflexion de Jean Monnet du 03.05.50 [note confidentielle], voir document
annexe 6.
489
183
éliminait le dumping à l‘exportation qu‘autrement poursuivrait l‘industrie allemande de
l‘acier, faisait participer l‘industrie française de l‘acier vers une expansion européenne, sans
crainte de dumping, sans la tentation du cartel. La crainte chez les industriels, qui entraînerait
le malthusianisme, l‘arrêt des ―libéralisations‖ et finalement le retour aux ornières du passé,
serait éliminée. Et le plus grand obstacle à la continuation du progrès industriel français aurait
été écarté»496.
Aux yeux de Monnet, l‘Allemagne était un élément essentiel tant pour l‘économie
française que pour l‘engagement dans l‘organisation européenne. Le thème de la
réconciliation franco-allemande était nouveau, mais il semblait possible « de faire confiance à
l‘Allemagne par une offre concrète de coopération, de traiter avec elle sur un pied
d‘égalité»497.
Par ailleurs, le dépassement de l‘opposition franco-allemande était considéré par Monnet
comme la condition centrale de la paix. Selon lui, « l‘opposition séculaire de la France et de
l‘Allemagne doit être éliminée. En envisageant sous ce jour nouveau les relations francoallemandes, le Gouvernement français entend avant tout servir la paix. Dans cet esprit, le
Gouvernement français estime que l‘unité allemande pacifiquement réalisée est nécessaire, et
il s‘efforcera de la promouvoir dans les entretiens internationaux»498.
Donc, il s‘agissait de créer une dynamique nouvelle et de donner aux peuples des pays
libres de l‘espoir dans des objectifs plus lointains. En revanche, l‘initiative qu‘il fallait
prendre, concernait exclusivement la place de l‘Allemagne renaissante en Europe. Aussi, dans
les projets de Monnet, à cette époque, seul le rapprochement avec l‘Allemagne importait :
« L‘objectif est la création d‘un monde prospère et pacifique. Les moyens doivent être des
transformations dynamiques faites par étapes entre certains des participants (par exemple :
Allemagne) et graduellement entre l‘ensemble des participants, Ceci devra consister à donner
forme concrète aux dénominateurs communs qui seront déterminés entre les participants, et
sur la base desquels des changements dynamiques seront opérés et constamment élargis»499.
496
FJME AMG 5/1/5 : Note de réflexion de Jean Monnet du 03.05.50 [note confidentielle]
Raymond Poidevin, Robert Schuman, Homme d’Etat, 1886-1963, Paris, Imprimerie Nationale, 1986, pp. 260261.
498
FJME AMG 5/1/3 : Note de réflexion de Jean Monnet, (28.04.50)
499
FJME AMG 5/1/4 : Réflexions à la veille des consultations entre les gouvernements des États-Unis, de la
Grande Bretagne et de la France, de Jean Monnet, (03.05.50)
497
184
Au final, l‘unique conclusion de Monnet, était la proposition d‘un regroupement des
ressources en charbon et en acier en Europe, que permettrait d‘insérer l‘Allemagne
occidentale au cœur du processus d‘intégration. Aussi, pour réussir son pari, Monnet misait
sur une Europe supranationale à caractère sectoriel, organisée autour du noyau francoallemand : « Le gouvernement français propose de placer l‘ensemble de la production francoallemande de charbon et d‘acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation
ouverte à la participation des autres pays d‘Europe»500. Cette proposition, en particulier avait
une portée politique essentielle car : « Par la mise en commun des productions de base et
l‘institution d‘une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions sont acceptées par la France,
l‘Allemagne et les pays qui y adhéreront, elle réalise les premières assises concrètes d‘une
fédération européenne indispensable à la préservation de la paix»501. La méthode pour y
parvenir serait le fédéralisme : «l‘Europe doit être organisée sur une base fédérale»502. Dans
ces notes, en conclusion, Monnet souligne à nouveau le caractère révolutionnaire de la
perspective de la création de cette première organisation supranationale européenne (CECA)
et d‘une fédération européenne indispensable à la préservation de la paix503.
Nous pourrions résumer les réflexions de Monnet dans ce domaine, en 1950, en trois
points essentiels : premièrement, une réconciliation franco-allemande à travers une offre
concrète de coopération assurant des négociations sur un pied d‘égalité ; deuxièmement, un
regroupement et une mise en commun des ressources en charbon et en acier jouant le rôle
ciment dans le couple franco-allemand ; et enfin, des entités européennes supranationales à
caractère sectoriel, structurés autour du noyau franco-allemand afin de garantir une paix
durable en Europe.
De leur côté, depuis 1949, les États-Unis étaient également conscients de la nécessité
d‘efforts accrus dans l‘unification européenne sous une forme nouvelle. Aussi, dès le mois de
mai 1950, le congrès américain manifesta des déclarations en ce sens : « many of us,
including myself, have been losing our enthusiasm for the Marshall plan because of the
apparent impossibility of making any progress toward European federation»504. Toutefois, le
gouvernement américain ne pouvait pas proposer un plan européen. Ce n‘était pas son rôle.
500
FJME AMG 5/1/3 : Note de réflexion de Jean Monnet, (28.04.50)
FJME AMG 5/1/3 : Note de réflexion de Jean Monnet, (28.04.50)
502
FJME AMG 5/1/3 : Note de réflexion de Jean Monnet, (28.04.50)
503
FJME AMG 5/1/3 : Note de réflexion de Jean Monnet, (28.04.50)
504
FJME AMG 25/2/5 : Congressional Record, vol. 96, United States information Library, Washington,
Thursday, (11.05.50) n. 94.
501
185
Cette initiative devait être laissée à un gouvernement européen, même si les États-Unis
poussaient presqu‘ouvertement à la consolidation de l‘Europe à travers la réconciliation
franco-allemande. Ainsi, ils les encourageaient mais ne pouvaient rien imposer. Dans cette
configuration, c‘était à la France d‘agir. Elle était en position de force pour prendre l‘initiative
et faire une proposition pertinente fondée sur les réflexions de Monnet. Une telle proposition
serait de nature à soulager les inquiétudes des États-Unis quant au règlement du problème
européen d‘après-guerre. Le Mémorandum du 9 mai 1950 sur le thème de la coopération
franco-allemande transféré à Paul Hoffman avec un message de Dean Acheson l‘explique :
«The announcement yesterday by the French Government of proposals concerning the joint
utilization of the coal and steel resources of France and Germany in an association open to
other countries is a most important development. […] It is plain from the announcement that
the spirit prompting it was the prevalence of rapprochement between Germany and France
and progress toward the economic integration of Western Europe. These are objectives which
have long been favored by the Government of the United States»505.
Et ce fut dans le même état d‘esprit que le Président Truman se déclara favorable au plan
Schuman le 18 mai 1950 : « This proposal provides the basis for establishing an entirely new
relationship between France and Germany and opens a new outlook for Europe. There will be
many difficult problems to solve in developing this far-reaching plan. I am confident,
however, that the kind of imaginative thinking that went into the proposal can work out the
details in ways that will benefit not only the countries directly concerned, including those who
work in these industries and those who use their products, but also the whole free world»506.
Le 21 juin 1950, Allen Dulles, le Président du Comité pour une Europe unie, déclara à son
tour son soutien au plan Schuman: « […] les États-Unis ont été avertis qu‘à ce point
l‘initiative d‘une union devait venir du Continent. Il est encourageant de voir que la France,
par le Plan Schuman, a donné des preuves de ses possibilités à prendre une telle initiative»507.
Les États-Unis étaient favorables donc au plan Schuman. Cet enthousiasme s‘explique en
partie par le fait qu‘ils considéraient que cette initiative française était la réponse
correspondante aux démarches diplomatiques américaines de 1949, concernant l‘avenir de
505
HST 53, Harry S Truman Library, White House Official file, box 1749, Vile 3123. Memo (Dean Acheson to
W. J. Hopkins), (11.05.50)
506
HST 54, Harry S Truman Library, White House Official file box 1749, file 3123, Statement (per HST),
(18.05.50)
507
FJME AMG 25/1/21: Déclaration de M. Allen Dulls, Président du Comité pour une Europe unie, (21.06.50)
186
l‘Europe. Cette proposition était primordiale pour la politique étrangère américaine après le
refus de l‘Angleterre d‘intégrer une Europe construite selon un modèle supranational. Quand
il fut évident qu‘il ne fallait pas compter sur un engagement européen de la Grande-Bretagne
en 1949, les États-Unis se tournèrent naturellement vers une Europe fondée sur le
rapprochement franco-allemand. Cette nécessité, Robert Schuman en était particulièrement
conscient depuis son entretien de septembre 1949 avec Dean Acheson. Il répétait souvent à
ses proches : « Qu‘allons-nous faire avec l‘Allemagne ?»508 Dans cette politique américaine,
le rôle de la France était fondamental pour mener à bien cette réconciliation franco-allemande.
Dans un mémorandum présidentiel et confidentiel à l‘égard du plan Schuman, ce point de vue
américain fut manifeste : « It is the belief of the Secretary and Ambassador Bruce, as well as
of the Department and ECA, that Mr. Schuman made his proposal as an attempt to resolve the
basic and difficult problem of French-German rapprochement and as a step toward that closer
association of the European countries which we have felt necessary if we are to achieve our
political, economic and strategic objectives in Europe. We believe that the basic objective of
the proposal is to make French and German heavy industry so closely interdependent that the
French will actually participate in the policies and development of German heavy industry,
thus allaying French fears of the resurgence of German aggression while at the same time
giving the Western Germans such a vested interest and stake in Western Europe as to ensure
their becoming a part of the Western Community. […] The Schuman proposal has been
widely greeted as an important evidence of French initiative and leadership in making a
constructive proposal which can potentially bring about a dynamic movement towards the
integration of Western Europe »509.
Ainsi, le plan Schuman, aux yeux des États-Unis, serait l‘événement déclencheur du
rapprochement franco-allemand et l‘arrêt de l‘hostilité française au relèvement économique
de l‘Allemagne. C‘est pourquoi, Washington accueillit très favorablement la proposition de
Schuman et ce, particulièrement, parce que l‘initiative était française et non américaine. En
outre, une seconde raison à cet enthousiasme américain tient au caractère supranational de
cette proposition qui permet de dépasser l‘égoïsme des nations, proposition supranationale
voulue, souhaitée et construite par Jean Monnet à travers la Haute Autorité Européenne :
« Mr. Fulbright. Mr. President, I was pleased, indeed, to read in the morning newspapers
508
Pierre Gerbet, op.cit., p.112.
HST Harry S. Truman Library, White House Central Files confidential, Memorandum regarding Schuman
proposal for poling French and German Coal and Steel industries.[confidential] (16.05.50)
509
187
about the proposal of the French Government to combine the French and German coal and
steel industries. I regard this as an extremely important proposal. If it is carried through
successfully, it will be a large and an important step along the road toward federation of the
Western European countries»510.
Dans une lettre de William Tomlinson, ami de Monnet, ce dernier exposa l‘intérêt des
États-Unis en ces termes : « We have heard reports and rumors both that the supranational
aspect of the proposal has been under criticism and reconsideration and that, as a result of this
reconsideration, may be watered down: as you know, the U.S. welcomed the initiative of Mr.
Schuman but one aspect of great importance to us has been the supranational character of the
Joint High Authority, both from the standpoint of French-German political relations and in
order to make fully effective the favorable economic provisions of the proposal. It is, of
course, important to us, particularly after the public pronouncements of President Truman and
Secretary Acheson, to know if any basic change is under consideration. I think you will agree
that the U.S. should know of any contemplated change, especially on the French aide so that
we could, if necessary, reassess the public position we have taken on the proposal as a
whole»511. Cependant, à la question : pourquoi l‘administration du Président Truman était-elle
à ce point, en faveur d‘une structure supranationale pour la construction de l‘Europe, Klaus
Schwabe pense que « la diplomatie américaine était arrivée à la conclusion que l‘intégration
de l‘Europe d‘une façon supranationale était la seule voie qui permettrait d‘atteindre les deux
buts suivants:
-celui de reconstruire une Allemagne économiquement forte et politiquement stable et, en
même temps,
-celui d‘éviter que cette Allemagne redevienne la puissance dominatrice en Europe»512.
En d‘autres termes, c‘est la nécessité d‘ancrer, après le refus anglais, l‘Allemagne dans le
giron de l‘Europe occidentale, dans une logique des blocs qui motiva grandement la politique
américaine vers la voie de la supranationalité comme garant de la stabilité de l‘Europe. Aussi,
510
FJME AMG 25/2/5 : Congressional Record, vol. 96, United States information Library, Washington,
Thursday, (11.05.50) n. 94.
511
FJME AMG 5/6/1 : Questions asked orally to Jean Monnet by W. Tomlinson, on behalf of Ambassador
Bruce, (19.07.50)
512
Klaus Schwabe, « L‘influence américaine et la structure supranationale du Plan Schuman. », in MarieThérèse Bitsch, (sous la dir.), op.cit., p.23.
188
selon Schwabe, le plan Schuman n‘avait d‘autres objectifs que d‘intégrer l‘Allemagne de
l‘Ouest dans l‘Europe occidentale pour Washington.513
Concernant, Monnet la vision supranationale n‘était pas nouvelle car fervent défenseur
d‘une intégration et d‘une identité européenne forte, depuis les premières heures du processus
européen. Aussi, il partageait très largement la position de Washington sur la question de
l‘Allemagne.
Cependant, si à la conclusion de la proposition française, l‘enthousiasme américain était
intense, à ses prémisses, en revanche, les réactions américaines étaient plutôt froides compte
tenu des craintes de voir apparaître un éventuel mastodonte énergétique, sous une
gouvernance française, ce que le Secrétaire d‘État Dean Acheson appela un « super-cartel »514
de l‘acier et du charbon : « Le cartel le plus épouvantable que j‘ai jamais vu»515. Inquiétudes
américaines que John Foster Dulles fit remarquer à Jean Monnet : « I had made a statement in
a nationwide radio talk a few days earlier. There are, of course skeptics, and those who feel
that the proposal represents merely a new and bigger ―cartel‖. There will be sniping from
various quarters, particularly if the proposal loses momentum. […] There are some who are
afraid that France is trying to build up a ―third force‖ which will be ―neutral‖. As I understand
it, there is no desire to be ―neutral‖ except in the sense of not wanting a war, and we all want
to be neutral in that sense. If building up new strength in Europe by ending the age-old
rivalries between France and Germany will contribute a new strength against war and end the
temptations of same to maneuver the Germans against the French, and vice versa, that is
surely a good thing for peace.[…] I believe, however, that there is need for some clarification
of this ―neutrality‖ view which is increasingly being attributed to France and which, unless
understood, could have an unfavorable effect upon the relations of our two countries»516.
Mais grâce à l‘aide de John Mac Cloy, Haut Commissaire américain détaché à la toute
nouvelle République Fédérale d‘Allemagne, et de David Bruce, Ambassadeur à Paris, Monnet
513
Klaus Schwabe, « L‘influence Américaine et la structure supranationale du Plan Schuman. », in MarieThérèse Bitsch, (sous la dir.), ibid.
514
En ce qui concerne les préoccupations des États-Unis au niveau de point de vu de Cartel du plan Schuman,
voir, Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976 ; Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la
construction européenne, 1944-1954, Paris, Comité pour l‘Histoire économique et financière de la France, 1992;
Pierre Mélandri, Les États-Unis face à l’unification de l’Europe, 1945-1954, Paris, Pedone, 1980 ; Pierre Gerbet,
« la genèse du Plan Schuman, Des origines de la déclaration du 9 mai 1950 », in Revue française de science
politique 6, 1956, pp. 525-553.
515
Jean Monnet, Mémoires, pp.436-437.
516
Dulles papers, lettre de John Foster Dulles à Jean Monnet (23.05.50)
189
réussit à dissiper les inquiétudes d‘Acheson et parvint à le convaincre d‘apporter son soutien
au plan Schuman. Parallèlement, Monnet demanda à Robert Bowie et Tomlinson de rédiger
plusieurs projets de lois antitrust concernant la CECA517, de sorte à rassurer définitivement le
secrétaire d‘État américain.
Par ailleurs, les quelques inquiétudes américaines manifestées à l‘égard d‘une orientation
neutraliste de l‘Europe par rapport à la politique des blocs, apparue vers 1947, s‘évanouirent
rapidement face à la détermination et l‘enthousiasme de Monnet en faveur de la création
d‘une association Atlantique dans les années cinquante. En effet, si au départ (1947), la
France souhaitait instaurer une politique d‘équilibre entre les deux blocs518, une fois l‘Europe
fédérale établie, pensant que l‘émergence d‘une troisième puissance mondiale pourrait
améliorer le climat Est-Ouest ; celle-ci dut rapidement se résoudre à modifier profondément
sa politique extérieure et même intérieure au bénéfice d‘un soutien sans réserves aux ÉtatsUnis. Certainement que le rôle de Jean Monnet ait pu être décisif dans le revirement français,
notamment à travers le plan Schuman. Il plaida parfois en faveur de la création d‘une
association entre l‘Europe et les États-Unis.
En conclusion, les États-Unis partageaient la position de Monnet concernant le règlement
du problème franco-allemand et le caractère de supranationalité de l‘intégration européenne
vers une Europe unie. Dans cette perspective, le plan Schuman semblait prendre en
considération, dès sa conception, un rapprochement franco-allemand nécessaire à la stabilité
et au relèvement de l‘économie européenne. Ce plan qui ancrerait durablement l‘Allemagne
dans le bloc occidental, selon les Américains, serait également le premier pas vers un futur
marché européen unifié et pourquoi pas une Europe fédérale. Toutefois, ce plan suscita des
tensions et des inquiétudes américaines quant à la menace d‘un super cartel énergétique, ainsi
que l‘éventualité d‘une indépendance totale de l‘Europe unie envers les États-Unis, en pleine
guerre froide, inquiétudes qui furent rapidement dissipées grâce à l‘intervention de Jean
Monnet et de ses amis politiques. Ainsi, des relations étroites et une influence mutuelle entre
Monnet et les Américains servirent à l‘élaboration du plan Schuman. Cependant une influence
américaine manifeste et immédiate n‘était pas souhaitable dans ce processus. Aussi, des
méthodes indirectes étaient nécessaires pour promouvoir la naissance d‘un accord
international sur le plan Schuman. C‘est pourquoi la diplomatie américaine renonça à une
517
518
FJME Fond d‘histoire oral, témoignage de Robert R. Bowie par Antoine Marès, (16.06.81)
Éric Roussel, Jean Monnet, p.497.
190
représentation officielle pendant les négociations sur la CECA. Cependant, cette influence
américaine était patente. Aussi, nous allons à présent analyser les rôles et les influences
discrets des uns et des autres (Monnet et les Américains) dans les négociations du plan
Schuman, dans la section suivante.
La contribution des Américains au succès des négociations pour la
CECA.
Plusieurs personnalités américaines jouèrent un grand rôle dans la négociation du plan
Schuman. Et certaines aidèrent Monnet à convaincre le gouvernement des États-Unis
d‘apporter son soutien. Toutefois, les États-Unis voulaient éviter de donner l‘impression
qu‘ils se trouvaient directement impliqués. Par conséquent, ils décidèrent d‘utiliser le
représentant du ministère des Finances à l‘ambassade américaine de Paris, William
Tomlinson, collaborateur de l‘ambassadeur David Bruce et de Robert Bowie ainsi que du haut
commissaire américain en RFA : Mac Cloy, éminent spécialiste du droit constitutionnel et de
la législation « anti-trust » aux États-Unis. Ce groupe de travail était finalement complété par
George Ball, jeune avocat qui devait servir d‘intermédiaire privé (non officiel) entre les
membres de ce groupe. Les négociations concernant le plan Schuman à Paris étaient
constamment couvertes par William Tomlinson, Robert Bowie et George Ball. Aussi, leurs
influences furent déterminantes. Dans ce sous-chapitre, nous allons mettre en évidence leurs
contributions et leur rôle précis qui permirent d‘affronter les difficultés rencontrées durant la
négociation du traité de la Communauté du Charbon et de l‘Acier. Cette négociation connut
trois étapes décisives : la première fut l‘obtention du soutien des États-Unis à travers l‘accord
du Secrétaire d‘État, la seconde fut l‘éloignement de la Grande-Bretagne du projet, et enfin, la
troisième fut la délicate persuasion du chancelier allemand Adenauer, de participer au projet.
Aidé de John Mac Cloy et de David Bruce, Monnet parvint à persuader le gouvernement
américain ainsi que le Secrétaire d‘État Dean Acheson du bien-fondé du projet CECA. Cela
ne fut pas une mince affaire, eu égard aux réticences de Dean Acheson de voir apparaître un
191
géant de l‘énergie, un cartel du charbon et de l‘acier519 capable de concurrencer l‘Amérique à
long terme. Pourtant, malgré ses réticences, Bruce et MacCloy ont su convaincre Dean
Acheson d‘apporter son soutien au plan Schuman : « The announcement yesterday of the
French plan for integrating France‘s coal and steel production with that of Germany, […] If
properly developed, adopted, and activated it can have a vast influence on bringing about an
atmosphere favorable to peace, aside from its almost revolutionary economic implication»520.
Ainsi, le 8 mai 1950, Dean Acheson vint à Paris pour discuter avec Schuman et Bevin 521 de la
CECA et fit montre de son soutien à ce projet, deux jours plus tard, à Londres : « je reconnais
avec sympathie et approbation la signification et l‘intention à portée de l‘initiative
française»522. Puis, étant fermement convaincu, il convainquit à sont tour Truman de
s‘exprimer officiellement en faveur du plan Schuman, à son retour aux US : « Mr. Schuman‘s
proposal for the pooling of the French and German steel and coal industries is an act of
constructive statesmanship. We welcome it. This demonstration of French leadership in the
solution of the problems of Europe is in the great French tradition. The wholehearted
reception of this proposal in Germany is likewise encouraging […] This proposal provides the
basis for establishing an entirely new relationship between France and Germany and opens a
new outlook for Europe. There will be many difficult problems to solve in developing this farreaching plan. I am confident, however, that the kind of imaginative thinking that went into
the proposal can work out the details in ways that will benefit not only the countries directly
concerned, including those who work in these industries and those who use their products, but
also the whole free world»523.
Peu de temps après l‘annonce du Plan Schuman, John Foster Dulles écrivit à Monnet que
les implications politiques : la création d‘une véritable union d‘intérêt entre l‘Allemagne et la
France étaient plus importantes que l‘aspect économique : « The French proposal, of which it
is now generally recognized you are the author, has tremendous implications. The political
implications seem to me even more important than the economic. A genuine union of interest
between Germany and France is an enormous insurance for a peaceful future. The proposal
brings a new spirit into a western world which has so far not been able to imagine anything
better than going down the rather dreary road which in the past has usually led to war. The
519
Jean Monnet, Mémoires, p.436.
Le journal de David Bruce, (10.05.50)
521
Le journal de David Bruce, (08.05.50) et le journal de David Bruce, (10.05.50)
522
FJME AMG 25/1/2 : Déclaration à la presse de. Dean Acheson, faite à Londres, (11.05.50)
523
HST Harry S. Truman Library, Department of state Washington, Memorandum for the president (17.05.50)
520
192
reaction in this country has, outwardly at least, been very favorable. You doubtless saw the
President‘s statement»524.
Selon l‘interview de René Mayer, John Foster Dulles montra, en particulier, l‘intérêt de
l‘activité de la Communauté Européenne du Charbon et de l‘Acier : « Il était au courant, et je
l‘ai vu quand j‘ai été en Amérique comme Président de la Haute Autorité en 1956. Il avait
beaucoup aidé Monnet et Schuman dans la préparation de ce projet. Son soutien n‘a
certainement pas du être étranger à la réussite du traité de 1950, en faveur du projet CECA,
car celui-ci a coïncidé avec son entrée au gouvernement (State Département)525.
En juin de cette année, un autre ami de Monnet, Averell Harriman, représentant Spécial
des États-Unis en Europe, déclara, dans une conférence de presse que « le Plan Schuman a
une importance politique considérable. Son but est d‘arriver à une entente de base entre la
France et l‘Allemagne »526. En réponse à un journaliste qui lui demandait si, à son avis, le
Plan Schuman pouvait contribuer à l‘intégration de l‘Europe, sans la participation britannique,
M. Harriman dit que « le Plan serait d‘une énorme importance pour l‘Europe même sans les
Britanniques, mais il serait préférable que ceux-ci y participent »527 Puis, en répondant à la
question de savoir si le plan français justifiait les accusations de cartel économique en Europe
ou ailleurs, il dit que « l‘objectif de ce plan était exactement l‘opposé d‘un développement de
cartels»528.
De Dean Acheson à Averell Harriman, les manifestions de soutien étaient importantes car
certains Américains continuaient de suspecter le Plan Schuman, d‘une part, de construire des
cartels nationaux et internationaux de l‘énergie et de l‘acier, et d‘autre part, de favoriser
l‘émergence d‘une Europe « neutraliste »
529
. La contribution des amis américains de Jean
Monnet était donc essentielle pour surmonter ces obstacles et aboutir à des accords sur ce
plan. Cependant, pour mener à bien cette entreprise, Monnet devait participer pleinement au
524
Dulles papers, Princeton Library, box 54, lettre de John Foster Dulles à Jean Monnet (23.05.50)
P-SML P-SML 81, Princeton-SM Library, JFD Oral history project René Mayer, (06.10.64)
526
FJME AMG 25/1/25 : Déclaration de Presse de M. Harriman à Washington, (07.06.50)
527
FJME AMG 25/1/25 : Déclaration de Presse de M. Harriman à Washington, (07.06.50) : « Précisant ensuite
qu‘il exprimait une opinion personnelle, M. Harriman a prédit que les Britannique participeraient aux
négociations à ―un stade plus avancé‖. Il a expliqué que la Grande-Bretagne désirait en savoir plus long sur les
intentions de la France au sujet de l‘intégration des ressources en charbon et en acier, et prcisé qu‘il y avait
certains ―problèmes complexes intéressant le bassin du Rhin inférieur qu‘il serait bon de résoudre d‘abord».
FJME AMG 25/1/25 : Déclaration de Presse de M. Harriman à Washington, (07.06.50)
528
FJME AMG 25/1/25 : Déclaration de Presse de M. Harriman à Washington, (07.06.50)
529
En ce qui concerne les préoccupations des États-Unis au sein du plan Schuman, il est bien présenté dans une
lettre de John Foster Dulles, destinée à Monnet. Dulles papers, lettre de John Foster Dulles à Jean Monnet,
(23.05.50)
525
193
pilotage de la préparation des négociations du plan Schuman, comme l‘évoque la
correspondance de Walter Lippmann à destination de Monnet : «The net conclusion is that
support for the plan is so strong here that your immediate presence is not needed for the
purpose of winning support, and that your presence in Europe-in order to see that the
negotiation proceed well-is indispensable. After negotiations are well started a visit here
might be very useful in order to deal with difficulties that will arise out of details […] I think
you would be greatly reassured by the attitude of the Administration here. The offer is
regarded by the President and the Secretary of State, Paul Hoffman, by all the top policy
people of the State Department and of the Pentagon, by all the leading members of both
political parties in Congress, as the most hopeful postwar development in Europe»530.
Toutefois, dans un premier temps, le seul véritable problème dans les négociations du plan
Schuman était l‘attitude anglaise : « The situation is better than I thought it was. I was rather
afraid that the British had exerted influence successfully at the high levels »531.
Monnet s‘efforçait sans cesse de convaincre et d‘expliquer. Sans beaucoup d‘illusions
mais avec une rare détermination, il concentra ses efforts sur la Grande-Bretagne, s‘assurant
le soutien de son ami Edwin Plowden dont le rôle était capital. Dès le 1er juin, le
gouvernement français envoya à Londres une note déclarant que l‘instauration de la Haute
Autorité était un objectif immédiat. Une réponse fut demandée pour le jour suivant, à 7 heures
du soir532. Cependant la Grande-Bretagne n‘était pas prête à entrer dans la nouvelle structure
supranationale. Précisément, le gouvernement britannique n‘était pas capable d‘accepter le
principe de la fusion partielle de souveraineté. Le 2 juin, les Britanniques confirmèrent leur
regret de ne pouvoir adhérer préalablement à la déclaration du 9 mai. Le jour suivant, les
Français annoncèrent leur intention d‘entamer des discussions avec les 5 pays ayant accepté la
déclaration Schuman. Il n‘y eut pas de modification des bases de la déclaration. Par contre, les
six gouvernements qui allaient participer au projet de la CECA publièrent un communiqué
commun, ouvrant la voie à l‘unité européenne. D‘après Gérard Bossuat, « ce fut la rupture du
3 juin avec les Britanniques»533.
530
Y/WL 8, Yale University Press, Walter Lippmann Papers, Letter (Walter Lippmann to Jean Monnet),
(01.06.50)
531
Y/WL 8, Yale University Press, Walter Lippmann Papers, Letter de Walter Lippmann à Jean Monnet,
Postwar Europe, (01.06.50)
532
Éric Roussel, Jean Monnet ,p.544.
533
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne 1944-1954, op.cit., p.757.
194
Dans le même temps, Monnet, qui tenait les Américains discrètement informé de
l‘évolution des négociations par l‘intermédiaire de Tomlinson, Bruce et MacCloy, reçut leur
appui pour défendre les aspects supranationaux du Plan Schuman face au refus anglais. Bruce
écrivit dans son journal daté du 3 juin 1950 : « At ten o‘clock, Lew Douglas, Bob Murph,
Averell Chip and myself met at the office. I told them of my conversations yesterday with
Monnet about the Schuman Plan, and we discussed various features of it. The last note on the
subject was delivered this morning to the British by the French; at noon today a communiqué
will be issued. At 12.30 Lew and I went over to see Monnet. The British have tacked on to the
end of their press communiqué a paragraph to the effect that they would like to have a Foreign
Ministers Conference to consider procedure on the subject. The French had rejected this
proposition in their last note, and it was unfortunate to have the British reiterate it in this
public fashion. The lines are now drawn and representatives of these nations, namely France,
Germany, Italy and the three Benelux countries, will convene shortly, having previously
pledged themselves to the principles of 1) a common polling of their steel and coal resources;
2) the creation of supra-national authority. The British will be kept intimately informed of
their proceedings. It is regrettable that the British would not join in this endeavor at the outset
but it is still I think mistakenly, hoped they will adhere to it later on »534.
Le même jour, Bruce demanda à Washington d‘apporter son soutien au plan Schuman
devant le refus anglais d‘y participer, en raison des aspects supranationaux de ce dernier :
«Now that the French and five other continental nations have decided after fruitless
negotiations with the British to go ahead and implement the Schuman plan I hope that our
Government will sympathetically and vigorously encourage this initiative. It is regrettable that
the United Kingdom did not see its way clear to endorse the scheme at this time by accepting
the chief principle involved, namely the creation of a supranational authority to direct a coal
and steel pooling arrangement […]»535. Avec l‘appui que la proposition française ouvrait une
nouvelle possibilité de l'intégration européenne et au moins offert une perspective de modérer
l'antagonisme séculaire entre le français et l'Allemagne, il conseilla au gouvernement des
États-Unis d‘encourager la France ainsi que les autres pays européens associés : « This is a
formidable task and in its initial stages the United States can contribute little except moral
support. But this moral support is of cardinal importance. I therefore respectfully recommend
534
535
Le journal de David Bruce, (03.06.50), voir document annexe 7.
Le journal de David Bruce, (03.06.50)
195
that the Department consider immediately the advisability of the President issuing a statement
congratulating the French for their leadership in the enterprise, felicitating the other countries
associated with it on their participating and wishing them well in the adventurous but peaceful
combination »536.
Dès le 14 juin 1950, Dean Acheson déclara à nouveau son soutien au plan Schuman et ses
idées : « La vitalité ainsi que l‘initiative qui se sont reflétés dans la proposition de M.
Schuman, et l‘énergie avec laquelle elle s‘est développée, sont la manifestation d‘un nouveau
ton en Europe. Cet esprit indique une détermination de l‘Europe à travailler avec ardeur à son
propre redressement et à sa sécurité »537.
Dean Acheson décida de réaffirmer chaque fois qu‘il le fallait le soutien américain au plan
sans condamner les Anglais pour autant. Sans vouloir intervenir directement dans les
discussions entre Paris et Londres à propos d‘une éventuelle participation anglaise à la CECA,
Washington fit bien comprendre au gouvernement britannique que les Américains
souhaitaient voir appliquer la conception supranationale défendue par les Français538.
Dans l‘immédiat, Jean Monnet estima que le plus urgent était d‘avancer et de préparer la
conférence des six pays ayant accepté le plan Schuman dans un deuxième temps des
négociations au sein du plan Schuman. Monnet alla à Bonn rencontrer John MacCloy : « un
autre ami, mais cette fois-ci il serait interlocuteur officiel de Monnet dans une négociation
délicate où la fermeté de sa vision politique et sa diplomatie pouvaient nous être utiles »539.
Monnet lui demanda « l‘autorisation d‘ouvrir des conversations avec Adenauer »540. Enfin,
lors de la dernière phase des négociations MacCloy et son conseiller, le jeune professeur de
Harvard, Robert Bowie, ainsi que Bruce et Tomlinson, parvinrent à obtenir l‘accord de
Konrad Adenauer de mener les négociations du plan Schuman à bon terme, et ce, malgré les
attaques des puissants industriels de la Ruhr541. Le 13 juin, le chancelier Adenauer déclara
devant le Bundestag : « Je tiens à déclarer expressément et en plein accord non seulement
536
Le journal de David Bruce, (03.06.50)
FJME AMG 25/1/3 : Extrait du discours prononcé par M. Acheson à Dallas, (14.06.50)
538
Yves-Henri Nouailhat, « Les États-Unis face au plan Schuman et au plan Pleven », in Michel Catala, op.cit.,
p.161.
539
Jean Monnet, Mémoires, p.446.
540
Jean Monnet, Mémoires, p.446.
541
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens,
(sous la dir.), op.cit., p. 259.
537
196
avec le gouvernement français mais encore avec M. Jean Monnet que ce projet revêt au tout
premier chef une importance politique et non économique »542.
Finalement, la conférence sur le plan Schuman s‘ouvrit le 20 juin 1950, au Quai d‘Orsay,
sur la base de la déclaration du 9 mai. Les Six (France, Italie, Allemagne, Belgique, Pays-Bas
et Luxembourg) décidèrent d‘accepter une Haute Autorité, c‘est-à-dire la supranationalité.
Monnet présidait les négociations. Au cours d‘un exposé qui dura plus de deux heures, il
rappela l‘origine de la Proposition française et en retraça les grandes lignes ; il eut l‘occasion
d‘énoncer les principaux problèmes susceptibles de se poser au cours des conversations et il
présenta en même temps la directives du gouvernement français pour les solutions
pratiques543.
Durant la conférence, Monnet reçut encore une fois l‘appui de Bruce et Mac Cloy pour
défendre les aspects supranationaux du plan Schuman notamment face à la délégation
néerlandaise qui espérait replacer le débat dans le cadre intergouvernemental544 : « We have
heard reports and rumors both that the supranational aspect of the proposal has been under
criticism and reconsideration and that, as a result of this reconsideration, may be watered
down: as you know, the U.S. welcomed the initiative of Mr. Schuman but one aspect of great
importance to us has been the supranational character of the Joint High Authority, both from
the standpoint of French-German political relations and in order to make fully effective the
favorable economic provisions of the proposal. It is, of course, important to us, particularly
after the public pronouncements of President Truman and Secretary Acheson, to know if any
basic change is under consideration »545.
L‘ambiance changea avec le début de la guerre de Corée, le 25 juin 1950. C‘est à la suite
de cet événement que la perspective d‘un réarmement allemand fut soutenue par les
Américains. Monnet perçut immédiatement les dangers pour le Plan Schuman, d‘un
rétablissement effectif et soudain de la souveraineté allemande, qui pourrait conduire
rapidement à un durcissement de la position allemande dans les négociations du plan. Il
manifesta ses craintes dans ses Mémoires : « Leur participation au réarmement sur une base
542
Éric Roussel, Jean Monnet, p.552.
FJME AMG 3/2/4: communiqué publié à l‘issue de première réunion, (21.06.50)
544
En ce qui concerne la discussion de Dirk Spierenburg, le chef de la délégation néerlandaise, pendant la
conférence des Six pays sur le plan Schuman, voir Éric Roussel, Jean Monnet pp. 559-560.
545
FJME AMG 5/6/1 : Questions asked orally to Jean Monnet by W. Tomlinson, on behalf of Ambassador
Bruce, (19.07.50)
543
197
nationale et la liberté d‘action qui leur serait reconnue en contrepartie leur donneraient les
moyens et la tentation de balancer entre l‘Est et l‘Ouest. Ils considéreraient que la
Communauté appartient au passé ou ils la ramèneraient à une pure affaire technique »546. Pour
Monnet l‘objectif essentiel était de réarmer l‘Allemagne dans le cadre défini d‘une
organisation fédérale de la défense atlantique547. Monnet n‘hésita pas à s‘en ouvrir à ses amis
américains qui élaborèrent rapidement une stratégie pour prêter main forte aux tentatives de
Monnet d‘introduire dans le traité des dispositions antitrust, sans lesquelles, celui-ci ne
pouvait être parachevé. Dans ce contexte, le rôle de ses amis, Mac Cloy « le champion de la
décartellisation » et Robert Bowie, « jeune professeur de Harvard, le meilleur spécialiste de la
législation antitrust», fut déterminant. La constitution américaine avec ses nombreux
amendements constituait le cadre qui régissait la politique et la société civile. Le « Sherman
Anti-Trust Act » de 1890, de nombreuses fois amendé, fut généralement considéré comme la
constitution économique des États-Unis. Monnet avait très bien compris cet aspect548. Servant
tout autant les intérêts américains qui visaient la dissolution des cartels allemands de l‘acier et
du charbon dans la Ruhr (Loi n. 27), Monnet tenta de sauver les négociations Schuman. Il
demanda à MacCloy et Bowie de se faire les défenseurs d‘une réorganisation et d‘une
déconcentration des industries du charbon et de l‘acier de la Ruhr. Quand à Robert Bowie, il
lui fut confié de rédiger plusieurs projets antitrust pour le traité de la CECA. Selon Pascaline
Winand, «ceci afin d‘atténuer l‘influence de la Ruhr sur la politique allemande, de calmer les
craintes françaises en diminuant le contrôle des producteurs d‘acier allemands sur la
production de charbon, et de permettre l‘établissement d‘une économie de marché ouverte en
Europe »549.
Or durant l‘automne de l‘année 1950, la tension entre Bonn et Paris monta d‘un cran.
Certaines équipes dirigeantes de la Ruhr, soutenues par Erhard, ministre fédéral de
l‘Economie, allaient agir avec sa bénédiction officieuse contre l‘Autorité internationale de la
Ruhr (AIR) et la loi 27. La décartellisation paraissait être un acte de méfiance du plan
Schuman quant à l‘égalité de traitement entre l‘Allemagne et ses partenaires. Le 25
septembre, Adenauer fit des difficultés pour appliquer la loi 27 et la loi 35 sur la
546
Jean Monnet, Mémoires, p.496.
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet pour la construction européenne » in Gérard
Bossuat et Andreas Wilkens, op.cit., p.260.
548
Volker Berghahn, « Reconstruction et Réorganisation. Le modèle américain, l‘économie européenne de
l‘après-guerre et le plan Schuman, 1941-1951 », in Andrea Wilkens, op.cit., p.114
549
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens,
op.cit., p. 259.
547
198
décartellisation : en somme, les Allemands résistaient aux mesures de déconcentration. Le
climat devint très tendu pour le plan Schuman550. Monnet entama alors des conversations au
Commissariat général du Plan sur les contrôles en Allemagne ; Tomlinson et Bowie y
assistaient, à titre personnel, ce qui prouvait l‘engagement des Américains selon Gérard
Bossuat : « ce qui est pour le moins ambigu mais significatif de l‘importance de l‘engagement
américain et des méthodes de Monnet »551. Dans une conversation tenue, le 20 novembre
1950 portant sur l‘harmonisation du Plan Schuman et des contrôles exercés en Allemagne,
entre Hallstein et Monnet avec leurs proches, Bruce et Tomlinson, le problème était qualifié
de délicat. En effet, Hallstein soulevait les points suivants :
1. « que l‘Allemagne puisse signer volontairement le Plan Schuman, selon la
procédure déjà adoptée pour la participation allemande à l‘O.E.C.E ;
2. Que l‘Allemagne devait être déchargée de ses obligations en ce qui concerne le
commerce extérieur; ce qui impliquerait une modification du paragraphe « 2g » du
statut d‘occupation pour les échanges des produits concernés ;
3. Qu‘il existerait un conflit des compétences entre l‘Autorité de la Ruhr, si celle-ci
était maintenue, et la Communauté charbon et de l‘acier, en matière de répartition
de non discrimination et de déconcentration des investissements ;
4. Qu‘il existerait également selon lui, un chevauchement de certaines activités de
l‘Office Militaire de Sécurité entre matière de contrôle des travaux et le Plan
Schuman. Aussi, a-t-il demandé que la limitation de la production de l‘acier soit
supprimée, contrairement au principe d‘égalité dans la concurrence qui est à la
base du Plan Schuman.
5. Enfin, Hallstein a évoqué la question des groupes de contrôle et d‘évaluation du
plan Schuman, en reconnaissant que la meilleure solution serait de hâter leur
travail de réorganisation des industries, de façon que la question soit réglée avant
l‘entrée en vigueur du Plan Schuman » 552
Suite à ces interrogations d‘Hallstein, Tomlinson et Bowie rétorquèrent : « L‘opinion des
États-Unis soutient le Plan Schuman parce que celui-ci lui apparaît comme le moyen de créer
550
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954, op.cit., p.769.
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954, ibid.
552
FJME AMG 9/5/3 : Compte rendu de la conversation ayant eu lieu au Commissariat au Plan au sujet de
l‘harmonisation du Plan Schuman et des contrôles actuellement exercés en Allemagne, par F. Valéry, (21.11.50)
551
199
une Communauté en Europe. Il est avant tout nécessaire que le Projet de Traité, en ses
différentes dispositions, établisse vraiment une telle Communauté. Celle-ci ne saurait naître
en particulier d‘une combinaison de cartels »553. Et à Bonn, MacCloy menait les négociations
en faisant savoir à Adenauer la volonté des Américains d‘apporter leur soutien à Monnet et
aux Français. Aussi, MacCloy permit d‘amener le gouvernement fédéral à se montrer plus
conciliant. Le 14 mars 1951, enfin, le plan allié de décartellisation reçut l‘accord d‘Adenauer,
et aussitôt Hallstein acceptait les deux articles en suspens, que Bowie avait rédigé. Monnet
avoua dans ses Mémoires : « c‘était une innovation fondamentale en Europe, et l‘importante
législation antitrust qui règne sur le Marché commun trouve son origine dans ces quelques
lignes pour lesquelles je ne regrette pas de m‘être battu quatre mois durant»554.
En conclusion, dans les négociations du plan Schuman, la contribution des amis
américains, comme interlocuteurs privilégiés, fut déterminante. John MacCloy, Robert Bowie
et William Tomlinson désignés par David Bruce pour suivre les négociations travaillèrent
étroitement avec Monnet. Ils représentent leur gouvernement mais éprouvent aussi un intérêt
personnel pour l‘intégration. Ce que l‘un est à Bonn, l‘autre en paraît l‘exacte réplique à Paris.
En particulier, John MacCloy qui joua un rôle clé dans le succès du plan Schuman : « Monnet
a eu beaucoup de chance, dit Gérard Bossuat, d‘avoir pour interlocuteur américain son ami
MacCloy »555. En fait, « la négociation est le fruit des échanges entre MacCloy et Adenauer,
et entre Monnet et MacCloy »556.
La collaboration Tomlinson-Monnet pour les institutions européennes
(1950-1954)
« He was always calling on his friends, he was always
(saying), ―Now draft this, put that down.‖ He was always
using his staff. [...] He was constantly calling on people
553
FJME AMG 9/5/3 : Compte rendu de la conversation ayant eu lieu au Commissariat au Plan au sujet de
l‘harmonisation du Plan Schuman et des contrôles actuellement exercés en Allemagne, par F. Valéry, (21.11.50)
554
Jean Monnet, Mémoires, p. 514.
555
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954, op.cit., p.773.
556
J.L. Mandereau, 14 janvier 1983, interview par Antoine Marès, cité par Gérard Bossuat, La France, l’aide
américaine et la construction européenne, 1944-1954, ibid.
200
who could do this. His association with Tommy was
typical, what was his name, Tomlinson, was it? »557
Tomlinson, selon Éric Roussel, était un « grand ami de Monnet qui avait
vraisemblablement suggéré sa nomination. Ce jeune haut fonctionnaire était non seulement un
interlocuteur compétent mais un allié précieux»558. Il était si proche de Monnet qu‘il lui
donnait ses notes confidentielles. MacCloy illustra leur relation étroite, de la manière suivante
: «Monnet was constantly calling on people who could do this. His association with Tommy
was typical, what was his name, Tomlinson, was it? »559.
Ces citations montrent que William Tomlinson eut une énorme influence dans le processus
d‘unification de l‘Europe, à travers sa relation intime et confidentielle avec Monnet. Nous
allons procéder, en deux étapes, analyser l‘évolution de sa pensée à travers la relation entre
Monnet et Tomlinson, et montrer l‘influence que William Tomlinson put exercer dans
l‘organisation des institutions européennes. En premier lieu, nous examinerons donc les
conceptions de Tomlinson en matière d‘organisation des institutions européennes ; et en
second lieu, nous analyserons l‘impact de Tomlinson dans le processus de l‘unification
européenne, à travers les notes rédigées par Tomlinson pour Monnet concernant les
institutions européennes, ainsi que leur correspondance collectée à la Fondation Jean Monnet
pour l‘Europe (FJME).
Commençons d‘abord par l‘histoire de l‘amitié entre deux hommes, car les conceptions
communes entre Monnet et l‘élite américaine à propos de l‘unité de l‘Europe, sont souvent la
conséquence directe du processus d‘évolution de leurs pensées respectives sous l‘effet de la
constance de leurs contacts.
Né à Moscou, (Idaho), le 8 février 1918, William Tomlinson, passa l‘année 1940-1941 à
étudier l‘économie à l‘Université Brown, après l'obtention de son diplôme de l'Université.
Après avoir travaillé quelques temps à « Capitol Hill », il rejoignit le Département du Trésor
de la Seconde Guerre mondiale. Et, en 1945, il fut envoyé à Londres comme représentant
officiel. En 1947, il fut transféré à Paris où il servit comme représentant de la trésorerie et de
557
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de John J. Mac Cloy par Leonard Tennyson, (15.07.81)
Éric Roussel, Jean Monnet, p. 634.
559
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de John J. Mac Cloy par Leonard Tennyson, (15. 07.81)
558
201
l'attaché financier à l'ambassade des États-Unis. Il rencontra pour la première fois Monnet.
Lorsque les Français commencèrent les négociations avec le gouvernement américain pour
l‘obtention d‘une aide financière dans lesquelles les deux hommes étaient impliqués560.
Cependant la collaboration entre les deux hommes débuta véritablement avec le plan
Marshall. Au moment du plan, Tomlinson travaillait étroitement avec le gouvernement
français, comme l‘indique le témoignage de Stanley Cleveland : « […] Tommy had worked
closely with the French government in relationship to everything concerning the Marshall
Plan, including the whole planning process. Tommy is interesting relationship with Monnet in
that period. He was the only authentic genius I‘ve ever known, an incredible fellow who at the
age of about 33 or 34 was one of the most important American officials in Europe. It was a
position he had earned for himself by the way the manipulated the French situation during the
Marshall Plan Period. He had done this by a combination of using the external pressures of
the United States government combined with an extraordinary penetration of the French
bureaucracy. This included both the Ministry of Finance and Monnet‘s Plan »561.
Ils eurent deux périodes différentes de collaboration, de 1948 à 1949 pour l‘économie de
la France à travers le plan Marshall ; et de 1950 à 1954 pour l‘unification européenne dans le
cadre des institutions européennes.
La première période de collaboration : de 1948 à 1949
La responsabilité de Tomlinson s‘accrût, spécialement, lorsque David Bruce devint le
premier chef de la mission du Plan Marshall à Paris, en 1948. Tous deux en poste à Paris, l‘un
comme chef de la mission du Plan Marshall, l‘autre comme représentant du Trésor américain,
ils étaient chargés de mettre en œuvre le Plan Marshall en France. Ils étaient extrêmement
bien placés pour intervenir en faveur du Plan Monnet à Washington562.
Bruce, Tomlinson, et Monnet travaillèrent en étroite collaboration pour parvenir à
atteindre l‘objectif fixé par chacun de leurs gouvernements respectifs dans la stabilisation de
560
Sherill Brown Wells, « Monnet and ―The Insiders‖ : Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel », in Clifford
P. Hackett(ed.), op.cit., p.204.
561
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de Stanley Cleveland par Leonard Tennyson, (11.11.80)
562
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet pour la construction européenne » in Gérard
Bossuat et Andreas Wilkens, op.cit., p.257.
202
l'économie française. De négociations en négociations, les deux Américains563 apportèrent
une aide considérable à Monnet, qui occupait, à ce moment-là, les fonctions de Commissaire
général du Plan, en parvenant à convaincre le gouvernement des États-Unis d‘affecter
plusieurs centaines de milliards de francs de contre-valeur du Plan Marshall au Plan Monnet,
dans le but d‘un redressement et de la modernisation de la France. Ce puissant « triumviratBruce, Monnet, Tomlinson » fit ce qu'il voulait pour la France. Les trois hommes obtinrent
une victoire importante pour le plan et assurèrent le financement des secteurs de base en 1952,
qui fut un élément essentiel et nécessaire à la revitalisation de l'économie française. Monnet
avoua précisément le rôle de chacun et leurs influences respectives dans ses Mémoires : « En
1948, je n‘eusse pas réussi, sans Bruce et Tomlinson, à persuader le gouvernement américain
de permettre l‘utilisation budgétaire de plusieurs centaines de milliards de francs de contrevaleur, et j‘eusse difficilement réussi à convaincre le gouvernement français de les affecter au
seul budget d‘équipement »564. Selon Irwin M. Wall, leurs missions furent d‘exercer des
pressions sur la politique économique française, en contrôlant la libération des fonds de
valeurs du Plan Marshall565. Ainsi, Monnet, grâce à l‘aide de ses deux amis américains,
réussit à faire pression sur le gouvernement français, par le truchement des États-Unis, et à
amener ce dernier (gouvernement) à prendre les mesures nécessaires pour réduire l‘inflation
en France.
En mai 1949, David Bruce fut nommé Ambassadeur à Paris et s‘adjoignit de nouveau les
services de Tomlinson, qui devint son assistant pour les affaires économiques ainsi que son
conseiller financier et commercial, tout en continuant à représenter le Trésor américain à
Paris. Tomlinson travailla de façon tellement étroite avec Monnet qu‘il devint en quelque
sorte un membre de l‘équipe au Commissariat au Plan situé rue de Martignac.
Tomlinson se fit rapidement une bonne réputation, tant chez les Américains que chez les
Français, celle d‘un esprit brillant et pénétrant, dur négociateur et efficace, capable d‘atteindre
les meilleures performances pour ses collègues et lui-même. Stanley Cleveland, qui travaillait
563
Sur Tomlinson et Bruce voir notamment : Sherill Brown Wells, « Monnet and ―The Insiders‖ : Nathan,
Tomlinson and Schaetzel », in Clifford P. Hackett (éd), Monnet and the Americans, The father of a united
Europe and his U.S. supporters, Council, Washington D.C., 1995, pp.204-211 ; Jean Monnet, Mémoires, Paris,
Fayard, 1976, pp.387-390 ; François Duchêne, Jean Monnet, The First Stateman of Inderdependence, New York,
London, Norton & Co., 1994, pp.172-173. ; Éric Roussel, Jean Monnet, Paris, Fayard 1996, pp.482-484. ;
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet pour la construction européenne », in Gérard
Bossuat et Andreas Wilkens, Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la paix, ibid., pp.253-271.
564
Jean Monnet, Mémoires, p.390.
565
Irwin M. Wall, The United States and the Making of Postwar France, Cambridge, 1991, pp.158-162.
203
pour Tomlinson en tant que jeune agent du service extérieur déclara : «Il a été le seul génie
que je n‘ai jamais connu »566. Tomlinson avait, en particulier, des capacités d'analyses
économiques pointues, bien qu‘il n‘ait pas suivi de formation universitaire dans ce domaine.
Comme l'a dit Hartman, Tomlinson n'utilisait pas les techniques employées par d'autres
économistes : «Il avait une façon instinctive de l'analyse de la situation économique»567.
La seconde période de collaboration : de 1950 à 1954
Suite au premier travail de collaboration sur le Plan Marshall, Monnet se rendit compte
que Tomlinson n‘était pas un simple collaborateur mais quelqu‘un qui avait la confiance de
Bruce et de Mac Cloy, et qui savait comment influencer le gouvernement américain. Peu à
peu, Tomlinson vint à partager la vision de Jean Monnet sur de nombreux problèmes du
monde dont les querelles européennes. Il adopta également l‘idée que l'animosité francoallemande devait surmonter les blessures de deux guerres mondiales et que l'intégration de
l'Europe était le moyen d'y parvenir568. Aussi, lors des négociations difficiles entre les six
pays pour la CECA, concernant l‘acception du point de vue supranational au niveau des
institutions, Tomlinson joua un rôle important, en tant qu‘interlocuteur mais aussi en tant que
soutien indéfectible de Monnet. En intervenant entre Monnet et le gouvernement des ÉtatsUnis, il obtint le soutien des États-Unis sur les aspects supranationaux du plan Schuman :
« We have heard reports and rumors both that the supranational aspect of the proposal has
been under criticism and reconsideration and that, as a result of this reconsideration, may be
watered down: as you know, the U.S. welcomed the initiative of Mr. Schuman but one aspect
of great importance to us has been the supranational character of the Joint High Authority,
both from the standpoint of French-German political relations and in order to make fully
effective the favorable economic provisions of the proposal. It is, of course, important to us,
particularly after the public pronouncements of President Truman and Secretary Acheson, to
know if any basic change is under consideration. I think you will agree that the U.S. should
566
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de Stanley Cleveland par Leonard Tennyson, (11.11.80)
Interview with Arthur Hartman (15.10.90), cité par Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―The Insiders‖ :
Nathan, Tomlinson and Schaetzel », in Clifford P. Hackett (éd), op.cit., p. 205.
568
Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―The Insiders‖ : Nathan, Tomlinson and Schaetzel », in Clifford P.
Hackett (éd), ibid. p.204.
567
204
know of any contemplated change, especially on the French aide so that we could, if
necessary, reassess the public position we have taken on the proposal as a whole »569.
C‘est lors des négociations difficiles du plan Schuman que Tomlinson dirigea un groupe
de travail spécial sur la proposition de Schuman. Il travailla également en étroite collaboration
avec Robert Bowie sur la question de l‘Allemagne. En outre, en participant aux conversations
des délégations européennes, il servit de liaison entre Jean Monnet et les décideurs américains
sur ces négociations570. Lors de la négociation difficile avec Hallstein au Commissariat du
Plan, le 20 novembre 1950, concernant l‘harmonisation du Plan Schuman et des contrôles
exercés sur l‘Allemagne, Tomlinson et Bowie étaient présents, certes à tire personnel, mais
toujours présents. Ce qui fait dire à Gérard Bossuat, que « ce qui était pour le moins ambigu
mais significatif de l‘importance de l‘engagement américain et des méthodes de Monnet, dans
le but de faire savoir, à titre « personnel », que « les États-Unis envisageait favorablement les
initiatives destinées à placer l‘Allemagne dans une position d‘associés jouissant de droits
égaux » 571. L‘opinion publique aux États-Unis soutint le Plan Schuman parce que celui-ci lui
apparaissait comme le moyen de créer une Communauté en Europe.
En ce qui concerne les aspects supranationaux liées aux institutions, Tomlinson avait le
même point de vue que Monnet. Il défendit l‘idée de la supranationalité des institutions
européennes. Il avait pour conviction qu‘il était : « de l‘intérêt des pays européens que soit
institué un organisme supranational disposant de pouvoirs effectifs dans un secteur limité
mais déterminant de la vie économique des pays membres, et capable, en tant qu‘émanation
de la souveraineté nationale, de jeter les assises définitives d‘une vaste communauté d‘intérêts
[…] il est de l‘intérêt des pays européens que l‘exercice de la souveraineté ainsi conférée soit
tel que les anciennes dimensions et agressions nationales s‘avèrent non seulement
inconcevables mais matériellement irréalisables et qu‘ainsi soit instaurée européens »572.
Donc, d‘après lui, la Haute Autorité devait avoir les trois missions principales suivantes :
« Celle de s‘opposer à ce que les gouvernements adhérents ou leurs groupes nationaux
prennent des mesures telles que, tarifs, restrictions quantitatives, subventions, et accords
privés, visant à conférer à leur industrie nationale du charbon de l‘acier des avantages
569
FJME AMG 5/6/1 : Questions asked orally to Jean Monnet by W. Tomlinson, on behalf of Ambassador
Bruce, (19.07.50)
570
John Gillingham, op.cit., pp.235-236.
571
Gérard Bossuat, La France, l’aide américaine et la construction européenne, 1944-1954, op.cit., p.769.
572
FJME AMG 5/6/3 : Principes économiques essentiels président à la mise en œuvre du Plan Schuman : projet
par Tomlinson.(01.08.50), voir documment annexe 8.
205
supérieurs à ceux des autres pays adhérents ; celle de favoriser la politique d‘investissement et
de désinvestissement qu‘entraînera vraisemblablement la réalisation du marché unique ; celle
d‘encourager la production et la productivité maxima ainsi que l‘amélioration continue des
conditions de travail dans ces industries »573. En fait, la supranationalité et le Marché unique
étaient profondément inscrits dans la pensée de William Tomlinson, et ces deux idées
fondamentales articulaient ses conceptions des institutions européennes. Estimant que
« l‘objectif économique assigné au Plan n‘est pas moins important que ses objectifs
politiques»574, il constatait qu‘il était : « de l'intérêt des pays européens que la souveraineté
impartie à l‘organisme supranational tende à la réalisation d‘un marché unique destiné à
favoriser la production d‘acier et de charbon, à en réduire le prix et à en assurer la fourniture à
tous les consommateurs sans exception. Il serait prévu dans le même temps l‘amélioration
progressive des conditions de vie et de travail la main d‘œuvre dans les industries considérées
[…] »575. En rappelant l‘expérience européenne de libre concurrence, qui devait conduire aux
diverses mesures de protection nationale et aux accords secrets privés destinés à limiter la
production et les échanges, au détriment du travailleur et du consommateur, il proposa que
« la seule solution acceptable est la réalisation d‘un marché unique qui, en favorisant la libre
circulation des produits considérés, par le fonctionnement même du mécanisme des prix sera
imposer l‘accroissement de la production et la baisse de ses prix »576.
La Réalisation d‘un marché unique, conformément à ses idées « doit être prévue dans le
traité lui-même, qui exigera l‘abolition complète de toute les barrières interdisant aux
industries de l‘un quelconque des pays participants l‘accès des marchés des autres membres.
Les gouvernements membres utiliseront donc leurs droits et pouvoirs à prescrire toute mesure
qui constituerait une de ces barrières ou aurait un effet analogue. La Haute Autorité ne devra
disposer d‘aucun pouvoir qui irait à l‘encontre de cet objectif. Sa compétence sera limitée à la
fixation des délais nécessaires à la mise en place des diverses procédures administratives. La
Haute Autorité pourra donner aux gouvernements membres des instructions en vue de pallier
toute mesure gouvernementale ou tout accord commercial privé qui constituerait une barrière
573
FJME AMG 5/6/3 : Principes économiques essentiels président à la
par Tomlinson.(01.08.50)
574
FJME AMG 5/6/3 : Principes économiques essentiels président à la
par Tomlinson.(01.08.50)
575
FJME AMG 5/6/3 : Principes économiques essentiels président à la
par Tomlinson.(01.08.50)
576
FJME AMG 5/6/3 : Principes économiques essentiels président à la
par Tomlinson.(01.08.50)
mise en œuvre du Plan Schuman : projet
mise en œuvre du Plan Schuman : projet
mise en œuvre du Plan Schuman : projet
mise en œuvre du Plan Schuman : projet
206
à la libre circulation du charbon et de l‘acier. La Haute Autorité disposera de moyens de
sanction directs, mis à sa disposition par les tribunaux des gouvernements membres »577.
Le travail de Bruce comme ambassadeur auprès de la France prit fin en mars 1952. La
Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) commença ses opérations en août
1952 avec Monnet en service à Luxembourg en tant que Président de la Haute Autorité, alors
que Tomlinson en était le vice-représentant américain pour le charbon et l'acier. Donc, une
fois encore, Tomlinson pouvait travailler étroitement avec Monnet. C‘est à compter de cette
époque que Monnet prit conscience de la nécessité d‘une étroite relation entre la Communauté
et les États-Unis. Il dit : « maintenant qu‘a été engagé l‘accomplissement de ces premières
tâches essentielles, je crois le moment venu d‘entreprendre des conversations entre la Haute
Autorité et le Gouvernement »578. Pour cela, le rôle et la place de Tomlinson entre la
communauté et les États-Unis étaient importants.
En fait, lors des discussions préliminaires avec William H. Draper, l'ambassadeur,
représentant des États-Unis en Europe, Monnet avait tenté de déterminer des formes
d'association entre le Gouvernement des États-Unis et la Communauté. Washington avait bien
accueilli cette idée, en réitérant son soutien ferme à la Communauté du charbon et de l'acier et
son intention de traiter avec la communauté européenne dans le cadre du traité ratifié par les
Parlements des Six Nations. En conséquence, le Gouvernement des États-Unis nomma une
délégation permanente au siège de la Haute Autorité, en vue de faire face sans tarder aux
questions d'intérêt commun579. Dans l'attente de la nomination du chef de la délégation,
Draper désigna William Tomlinson pour représenter les États-Unis à la Communauté
européenne du charbon et de l'acier. Donc, Monnet put avoir comme représentant officiel
auprès de la CECA, le très « europhile » William Tomlinson. Cette étape fut symboliquement
importante lors de l‘arrivée au pouvoir d‘Eisenhower et de son secrétaire d‘État Dulles, dans
la poursuite des étroites relations entre l‘Europe et les États-Unis.
Pour permettre un aperçu global des échanges d‘opinions et d‘informations sur l‘avancée
de la CECA, Monnet proposa la constitution d‘un Joint Committee, un groupe de travail
577
FJME AMG 5/6/3 : Principes économiques essentiels président à la mise en œuvre du Plan Schuman : projet
par Tomlinson.(01.08.50)
578
FJME AMH 46/4/1 : Lettre de Jean Monnet à William M. Tomlinson,(28.10.52)
579
FJME AMH 46/1/9 : Note, dicté par M. Tomlinson on the phone,(25.08.52)
207
restreint qui se réunirait à intervalles réguliers. Au cours de l‘entretien avec l‘Ambassadeur
Draper et Tomlinson, le Joint Committee fut plébiscité580.
Puis, lorsque Bruce fut nommé représentant auprès de la Communauté du charbon et de
l'acier par Eisenhower en Février 1953, Tomlinson, Bruce, et Monnet travaillèrent ensemble
une fois de plus. Du cours de l'année de 1952 à la mi-1954, en dépit de sa santé fragile,
Tomlinson se consacra à convaincre le gouvernement français de soumettre le nouveau traité
de la CED à l'Assemblée nationale française pour la ratification.
En conclusion, la relation entre Jean Monnet et William Tomlinson était le noyau dur
autour duquel se mettait en œuvre, étape par étape, la vision d‘une Europe intégrée de
Monnet. Alors, le rôle et l‘influence de Tomlinson sur Monnet fut indéniable pour faciliter le
processus d‘intégration européenne. Ils travaillèrent ensemble presque tous les jours en tant
que représentants de leurs nations respectives lors des négociations officielles pour les
institutions européennes (de CECA à CED, 1950-1954), mais aussi en tant que collaborateurs
proches et amis, au quotidien pour l‘édification de l‘Europe unie. Jeune fonctionnaire du
Trésor américain, William Tomlinson joua un rôle décisif dans la construction des institutions
européennes aux côtés de Jean Monnet. Âgé de vingt-huit ans et souffrant d‘une affection
cardiaque, sa santé fragile ne fut jamais un handicape dans son travail mais une source
supplémentaire d‘admiration et d‘estime pour Monnet à son égard, car il rayonnait de
charisme et de vitalité.
580
FJME AMH 46/4/1 : Lettre de Jean Monnet à William M. Tomlinson,(28.10.52)
208
Chapitre 7 : La Défense européenne et les États-Unis (19521954)
Dans ce chapitre, nous allons identifier l‘Europe de la défense entre 1950 et 1954, à
travers les discussions tenues par Jean Monnet et l‘élite politique américaine : nous
analyserons alors à travers les relations personnelles et intimes mais aussi à travers les
relations formelles, le processus de formation et d‘opérationnalisation des conceptions et des
initiatives en matière de défense européenne581.Cependant, nous nous attacherons
particulièrement à mettre en évidence les points de convergences et de discordances autour de
la question du réarmement de l‘Allemagne et de son impact sur la défense européenne, de
1950 à 1954.
Dans le contexte de la guerre froide, la question de la défense de l‘Europe apparut dès
1948 : le 22 janvier 1948, Ernest Bevin, secrétaire d‘État au Foreign Office, prit la parole
devant la Chambre des Communes pour dénoncer la menace constituée par l‘attitude de
l‘Union soviétique. Il proposa à la France et aux trois États du Benelux de former avec la
Grande-Bretagne « un important noyau en Europe occidentale auquel d‘autres pays
viendraient ensuite se joindre, dont l‘Italie et plus tard l‘Allemagne quand elle serait
redevenue une démocratie »582. Ce furent les origines du Pacte de Bruxelles signé le 17 mars
1948 entre les cinq partenaires : France, États du Benelux et Royaume-Uni : l‘Union
occidentale constitua le premier pôle européen de défense un an avant la mise en place de
l‘Alliance atlantique. Bevin, Bidault et Spaak qui engageaient leur gouvernement sur ce
581
En ce qui concerne la CED et Jean Monnet, voir, Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED ? », in
René Girault et Gérard Bossuat (éds.), Europe brisée, Europe retrouvée : une nouvelle réflexion sur l’unité de
l’Europe au e siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, pp.197-262. ; Philippe Vial, « De la surenchère
atlantiste à l‘option européenne : Monnet et les problèmes du réarmement occidental durant l‘été 1950. », in
Gérard Bossuat, Andreas Wilkens, (sous la dir.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la Paix, Paris,
Publication de la Sorbonne, pp. 307-342.; Renata Dwan, An Uncommon Community: France and the European
Defence Community, 1950-1954, D.Phil. Thesis, Oxford University, 1996. Et sur le rôle de Monnet pour CED,
voir, Éric Roussel, Jean Monnet, Paris, Fayard, pp.567-589. Cependant pour un cadre plus général, voir aussi,
Georgette Elgey, La République des contradictions 1951-1954, Paris, Fayard, 1968. pp. 193-338.; Raymond
Aron, Daniel Lerner (éds.), La querelle de la CED. Essais d’analyse sociologique, Paris, Colin, 1956.; Armand
Clesse, Le projet de CED du Plan Pleven au « crime » du 30 août, Histoire d’un malentendu européen, BadenBaden 1989. ; Edward Fursdon, The European Defence Community. A History, Londres 1980.; Robert
McGeehan, The German Rearmament Question. American Diplomacy and European Defense after World War
Ⅱ, Urbana, Chicago, Londres 1971.; David Clay Large, Germans to the Front. West German Rearmament in the
Adenauer Era, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1996.
582
Fonds du Public Record Office (désormais PRO), Londres, FP 371 64.670, cité par Elisabeth du Réau,
op.cit.,p.203.
209
programme, n‘étaient pas des idéalistes rêveurs. Le travailliste Ernest Bevin n‘avait pas les
mêmes conceptions en politique intérieure que le démocrate chrétien Georges Bidault. Il se
sentait plus proche du socialiste belge Paul-Henri Spaak. Les trois hommes partageaient
cependant une même conviction de construire une sorte d‘unité occidentale583. Dans cette
perspective, les Cinq s‘efforcèrent de mettre en place des structures de coordination. Mais ils
étaient bien conscients de la modicité de leurs moyens.
Dès l‘été 1948, la perspective d‘une extension du dispositif de défense au champ euroatlantique se dessina. Le 4 avril 1949, le Pacte atlantique fut signé à Washington. Les
événements internationaux de l‘automne 1949 à l‘automne 1950 contribuèrent à faire évoluer
les relations entre les Cinq pays membres du Pacte de Bruxelles et les États-Unis. La nouvelle
de l‘explosion de la bombe atomique soviétique, la prise du pouvoir en Chine de Mao
Zedong, en octobre 1949 et le déclenchement de la guerre de Corée (25 juin 1950) pouvaient
faire penser à la perspective d‘une guerre mondiale ouverte. Une réforme de l‘Alliance
atlantique s‘imposait. Le conseil atlantique, réuni à New York le 15 septembre 1950, décida
d‘instituer une force intégrée comprenant des troupes américaines et britanniques sous un
commandement centralisé, pour prévenir l‘agression et assurer la défense de l‘Europe
occidentale.584
À Bruxelles, le 18 décembre 1950, le conseil de l‘Organisation du Traité de l‘Atlantique
Nord (OTAN) confia le commandement de cette force à un officier américain qui prit le titre
de Commandant en chef suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) : le général
Eisenhower fut le premier Commandant en chef et Montgomery devint son adjoint. Ainsi, au
début des années 1950, le « couplage États-Unis / Europe » était effectif. Mais un problème
surgit, celui du réarmement allemand souhaité par les États-Unis, soucieux d‘associer les
Allemands de l‘Ouest à leur propre défense. Dès 1950, le débat était ouvert.
583
584
Elisabeth du Réau, ibid., pp.203-204.
Elisabeth du Réau, ibid., p.206.
210
La divergence entre Monnet et les États-Unis quant au réarmement
allemand, en écho à la guerre de Corée (de juin à septembre 1950)
La guerre de Corée obligea les États-Unis à adopter la stratégie «d‘endiguement global »
anti-communiste mise en œuvre tout au long des années cinquante. Celle-ci s‘appuyait sur
quatre fondements : une chaîne d‘alliances initiées et dirigées par les États-Unis, établie des
Îles britanniques au Japon, formant un front commun contre l‘expansion communiste aux
abords de l‘Eurasie ; la construction d‘un arsenal nucléaire visant à dissuader toute attaque
soviétique ; le maintien d‘une armée puissante et d‘un armement conventionnel important,
disponible pour n‘importe quelle mission militaire nécessaire sur l‘échiquier mondial ; enfin,
une aide économique accordée aux alliés ainsi qu‘aux États du tiers-monde qui refuseraient le
communisme585.
Les responsables américains étaient très inquiets de la supériorité flagrante de l‘armement
conventionnel soviétique par rapport à l‘Europe occidentale. Selon l‘avis des experts
militaires occidentaux, les soviétiques étaient capables de lancer à tout moment et sans délais,
une attaque massive contre l‘Europe occidentale, qui balaierait les armées européennes
jusqu‘à la côte atlantique. Cette perspective inquiétait d‘autant les Américains que tout
programme de réarmement tactique conventionnel et nucléaire disponible ne pourrait contenir
une attaque conventionnelle des soviétiques contre l‘Europe occidentale586.
Et c‘est dans ce climat que la politique étrangère en Europe des États-Unis s‘orienta dans
deux directions : d‘une part, la transformation de l‘alliance politique « OTAN » vers une
alliance militaire effective ; et d‘autre part, un réarmement de l‘Allemagne de l‘Ouest.
À partir du mois d‘août 1950, le Gouvernement des États-Unis se dépêcha de demander au
Gouvernement français, ainsi qu‘aux autres Gouvernements signataires du Pacte Atlantique,
des informations sur la nature et l‘étendue des efforts en vue de renforcer le système collectif
de sécurité, nécessaire à la défense de la paix en Europe. En particulier, ces renseignements
585
Hungdah Su, op.cit., p.134.
Armand Clesse, Le projet de C.E.D. du Plan Pleven au « crime » du 30 août : Histoire d’un malentendu
européen, Nomos-Maison d‘édition, Baden-Baden, République Fédérale d‘Allemagne, 1989. pp.10-14.
586
211
concernaient l‘accroissement des forces armées et des productions militaires qui pourrait être
réalisé grâce à des aides financières supplémentaires.
D‘autre part, le Gouvernement américain insista avec vigueur pour un réarmement
allemand, devenu indispensable aux yeux des dirigeants américains, pour contenir la menace
soviétique.
En fait, la question du réarmement allemand avait déjà été évoquée durant l‘été 1948, au
cours des débats du Comité militaire de l‘Europe occidentale et déjà les premières
divergences franco-britanniques étaient apparues. Cependant en 1950, la question du
réarmement allemand fut posée en des termes précis par les Américains. Le 25 juillet 1950,
Mac Cloy était tellement préoccupé de l‘urgence qu‘une contribution allemande à la défense
de l‘Europe qu‘il déclara publiquement : « Il faudra bien donner aux Allemands les moyens
de se défendre si une agression a lieu contre eux »587. Puis, en septembre de la même année, le
Secrétaire d‘État, Dean Acheson demanda à ses collègues français et britanniques, à
l‘occasion de la réunion de la conférence de l‘OTAN à New York, d‘accepter le principe de
réarmement de l‘Allemagne588. Leur logiques était la suivante : l‘Allemagne étant le principal
enjeu de la guerre froide, il était évident qu‘elle serait appelée à se défendre. La France était
naturellement contre ces propositions américaines : même sous la pression de Washington le
spectre de la Wehrmacht toute puissante paniquait la France, de manière inconsidérée. Aussi,
pour les Français, il fallait agir très rapidement pour contrer les projets américains d‘un
réarmement de l‘Allemagne : « Il faut bien comprendre, expliquait Hervé Alphand, que
l‘opinion française était à l‘époque très braquée contre l‘Allemagne. L‘idée de voir celle-ci
dotée d‘unités militaires était insupportable pour les Français qui craignaient par-dessus tout,
la reconstitution d‘un état-major allemand. Mais il était, d‘autre part, tout à fait impossible de
maintenir à l‘égard de l‘Allemagne une attitude de méfiance permanente assortie d‘une
politique de contrainte. La nécessité de construire une défense efficace face à la menace
587
En ce qui concerne les discussions entretenues par les trois ministres des Affaires étrangères à la réunion de la
conférence de l‘OTAN à New York sur le réarmement allemand, voir les sources, FJME AMI 4/5/1: télégramme
à l‘arrivée, émanant de New York, signé Schuman, (18.09.50.) ; FJME AMI 4/5/3: Télégramme no 10.289 à 301,
émanant de New York, signé Schuman, (23.09.50.) ; FJME AMI 4/5/4: Télégramme no 10.302 à 312, émanant
de New York, signé Schuman, (25.09.50.) ; FJME AMI 4/5/5: Télégramme no 10. 351 à 360, émanant de New
York, signé Schuman, (23.09.50.)
588
Jean Monnet, Mémoires, p.490.
212
soviétique était devenue impérieuse. Il fallait en tenir compte, tout en prenant garde de ne pas
provoquer la renaissance du militarisme allemand. Tout le problème était là »589.
Schuman se refusait donc à considérer la possibilité d‘un réarmement allemand :
« l‘Allemagne n‘a pas d‘armement et elle n‘en aura pas […] il est impensable qu‘elle puisse
être admise à adhérer au pacte Atlantique comme une nation susceptible de se défendre ou
d‘aider à la défense des autres nations »590. Il s‘inquiétait de la perspective de voir à nouveau
les Allemands en uniforme. Pour Schuman, il était inconcevable de permettre la
reconstruction d‘une armée nationale allemande, qui serait dans quelques années la première
puissance militaire de l‘Europe. Même si Monnet était conscient que les événements de Corée
feraient accepter par tous, l‘indispensable participation de l‘Allemagne à la défense de
l‘Europe de l‘Ouest, il s‘opposa énergiquement au projet américain de réarmement de
l‘Allemagne, arguant que le plan Schuman pour l‘Europe serait suffisant pour ôter au
réarmement allemand son caractère inéluctable. Malheureusement, l‘accélération imprévue de
la Guerre froide, notamment en Corée, relançait le jeu. Monnet cherchait néanmoins une
solution européenne à la menace soviétique591 : « tout ce que je pourrais envisager comme cas
extrême, ce serait un contingent allemand dans le cadre d‘une armée de la fédération
européenne sous commandement européen»592, telle était l‘idée essentielle de Monnet à
propos du réarmement allemand.
En août 1950, l‘avance rapide des communistes en Corée créa une situation d‘urgence. Il
devint clair que tout le camp occidental, y compris la RFA, devait se livrer à un important
effort d‘armement pour répondre à la menace soviétique. Le15 août, afin de convaincre tant
les Américains que les Allemands, Monnet proposa un « pool des armées » : « L‘objet de cet
effort commun doit être clairement précisé aux yeux de l‘opinion publique. Ce n‘est pas la
préparation à la guerre, c‘est l‘organisation d‘une défense suffisante pour préserver la paix.
Mais dans cet effort, les pays participants ne se préoccupent pas seulement d‘une défense
contre une agression militaire éventuelle ; ils se préoccupent également de défendre leurs
conditions de vie intérieure et d‘assurer à leurs populations un développement économique
589
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage d‘Alphand Hervé par Roger Massip, (17.06.81)
Jean Monnet, Mémoires, p.448.
591
Philippe Vial, « De la surenchère atlantiste à l‘option européenne : Monnet et les problèmes du réarmement
occidental durant l‘été 1950. », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, (sous la dir.), op.cit., p.310.
592
Jean Monnet, Mémoires, p.490.
590
213
sans lequel la défense extérieure ne pourrait pas être préparée. Ceci amène nécessairement à la
conclusion que l‘effort commun est d‘ordre militaire, économique, financier et social »593.
Il conseilla au Gouvernement français : « de devoir demander spécifiquement aux
gouvernements américain et anglais de prendre, en ce qui les concernait, les mesures
immédiatement nécessaires, et de devoir indiquer ce que lui-même était prêt à faire pour
contribuer au renforcement de la situation des pays de l‘Ouest»594. En espérant que la France
soit reconnue comme le leader de l‘alliance européenne de défense, tel que le gouvernement
français avait fait une proposition le 9 Mai 1950. Car comme pour le plan Schuman, la
France, selon Monnet, n‘avait d‘autre choix que de se résigner. Une longue lettre envoyée à
René Pleven, le 3 septembre 1950, s‘avère fondamentale: « Et nous, où somme-nous pendant
ce temps-là? À la suite. Mais à la suite de quoi? Personne ne sait. Mais bientôt tout le monde
saura que le monde entier est « à la suite de la guerre ». La psychologie créée, le rythme
établi, les économies ajustées, l‘Allemagne de l‘Ouest intégrée, non pas comme nous
l‘aurions voulu et comme c‘est encore possible, pour la Paix, et sous la conduite de la France
mais intégrée pour l‘armement et rapidement sous la conduite des militaires, les ponts coupés
avec des Asiatiques désespérés que de nos propres mains nous les ayons définitivement mis
entre les mains des Russes-alors l‘inévitable se produira. La France sera détruite. Ce que nous
voulons préserver, la liberté, la diversité, seront détruites dans la réglementation universelle
du vainqueur »595.
Dans cette lettre, Monnet insistait sur l‘approche adoptée par le plan Schuman comme
principe directeur de la politique européenne de la France avant de passer au règlement de la
question du réarmement allemand : « Dans cet ensemble, le Plan Schuman et son
développement jouait un rôle essentiel; on a pu espérer pendant quelques semaines que seul il
parviendrait à transformer les esprits »596. C‘était là, un point de vue essentiel, pour Monnet,
que les idées du plan Schuman soient étendues au domaine de la défense commune. La voie
qu‘il préconisait à cet effet était celle d‘un « plan Schuman développé ». D‘ailleurs, il écrit les
raisons pour laquelle le gouvernement français doit adopter le Plan Schuman face au sujet du
réarmement allemand : « Le monde va vers la guerre-acceptation de l‘inévitable nécessité de
modifier les esprits des hommes par un acte qui « change » et qui les tourne vers « la
593
FJME AMI 4/2/9 : Observations sur le projet de mémorandum du 12 août,(12.08.50)
FJME AMI 4/2/9 : Observations sur le projet de mémorandum du 12 août,(12.08.50)
595
FJME AMI 4/3/6 : Lettre de Jean Monnet à René Pleven,(03.09.50)
596
FJME AMI 4/3/6 : Lettre de Jean Monnet à René Pleven,(03.09.50)
594
214
construction » au lieu de la destruction. L‘Allemagne ne peut pas être laissée dans la situation
actuelle pour laquelle il n‘y a sans Schuman que deux issues : Est ou intégration politique
dans Ouest avec réarmement-augmentation niveau acier (L‘incertitude actuelle de
l‘Allemagne est le plus grand danger de l‘Europe). L‘Europe doit être faite autrement que par
des paroles. Un acte préalable est nécessaire qui élimine l‘antagonisme militaire entre la
France et l‘Allemagne. Les conditions de base de production européenne doivent être mises
au même niveau de départ, et les mauvais producteurs graduellement éliminés, condition
indispensable à l‘augmentation élevée des travailleurs. Des situations de production française
et allemande doivent être mises sur le même niveau. Le seul moyen est de dépasser les formes
anciennes d‘accords basés sur les souverainetés et d‘aborder résolument la question de
l‘abandon de souveraineté afin d‘aboutir à la création de communauté réelle d‘intérêt gérée
par une autorité commune. La nécessité de montrer par un acte nouveau et courageux à
l‘Europe et à l‘Amérique que les pays d‘Europe ont en eux la capacité d‘une pensée forte,
nouvelle, révolutionnaire. […] la détermination de la mettre en pratique et la confiance de
pouvoir apporter non pas seulement à eux mais à la communauté des peuples libres, une
contribution constructive et dynamique»597.
En bref, aux yeux de Monnet, c‘est seulement dans les perspectives du plan Schuman qu‘il
était certain d‘envisager la participation de l‘Allemagne à l‘effort de réarmement. En outre, il
souhaitait que la France occupe la position de tête dans la communauté supranationale.
Cependant, Monnet était conscient des limites du Plan Schuman : le traité de la CECA
n‘était pas encore signé : « L‘impasse, pour lui, en ce mois de septembre 1950, raconte
Philippe Vial, ne réside pas seulement dans l‘antagonisme entre la volonté américaine et le
refus français de réarmer l‘Allemagne, parce qu‘il sait que, tôt ou tard, le gouvernement
français devra céder et qu‘il acceptera alors la constitution de divisions allemandes dans le
cadre de la future armée intégrée de l‘Alliance Atlantique. Là est la véritable impasse,
impasse pour la CECA, impasse pour la France»598.
Les États-Unis, pensait-il, allaient vouloir réarmer l‘Allemagne tout en rétablissant sa
souveraineté. Cette intervention américaine, aux yeux de Monnet, sans doute serait un danger
tant pour le plan Schuman que pour l‘unité de l‘Europe. Ce que confirmait George Ball à
597
FJME AMI 4/3/6 : Lettre de Jean Monnet à René Pleven, (03.09.50)
Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED ? », in René Girault et Gérard Bossuat (éds.), op.cit.,
pp.207.
598
215
Houjarray : « Or, une intervention américaine mettrait non seulement en danger le plan
Schuman, mais elle créerait un climat de panique en Europe, et pousserait les Américains à
insister davantage sur une participation plus importante de l‘Allemagne à la défense de
l‘Occident. Ce dernier point avait une importance toute spéciale »599.
À l‘occasion des entretiens de Washington, le 9 septembre, Monnet fit part de ses
préoccupations dans un mémorandum pour Robert Schuman : « Je crains que les affaires
allemandes soient traitées en faisant abstraction du Plan Schuman et de ses développements,
c‘est-à-dire de la création d‘une Europe fédérale»600. En outre, il confirmait que « nous
renoncerions aux moyens que nous avons d‘y parvenir si nous laissions, dans les discussions
de Washington, séparer de la réalisation du Plan Schuman la participation de l‘Allemagne à la
défense commune et la révision de son statut actuel»601.
Le 14, dans un télégramme, il soulignait encore le danger que: «si l‘on traite le
réarmement allemand sans le réaliser dans le cadre général européen du Plan Schuman, on
risque à la fois d‘aller à l‘échec des négociations sur le plan Schuman et de voir les Allemands
retourner à leurs tentations traditionnelles »602. Pour Monnet, il était essentiel que les
négociations concernant une armée européenne ne puissent pas être entamées avant que les
pourparlers sur la CECA n‘eussent abouti. Observant attentivement le comportement des
acteurs allemands, Monnet fut convaincu dès septembre 1950 que l‘Allemagne essayait de se
désengager de la CECA, et il fit part de son inquiétude à Robert Schuman : « Déjà, l‘opinion
publique Allemande est hésitante et divisée. Certains de nos interlocuteurs, tels que le
Professeur Hallstein, reflétant d‘ailleurs, autant qu‘on en peut juger, le sentiment du
Chancelier Adenauer, restent en faveur du Plan Schuman et de la constitution d‘une Europe
de l‘Ouest dans laquelle l‘Allemagne s‘intégrerait réellement. D‘autres, et leurs voix se font
plus forte chaque jour, témoignent de préoccupations purement nationales »603. C‘était en
effet le point le plus sensible. Monnet était certain qu‘une attitude allemande défavorable
créerait des difficultés au plan Schuman. Il estimait que si les Allemands obtenaient ce qu‘ils
599
Jean Monnet, Mémoires, p.488.
FJME AMI 4/4/1: Projet (de) mémorandum à Schuman à l‘occasion des entretiens de Washington, (09.09.50)
601
FJME AMI 4/4/1: Projet (de) mémorandum à Schuman à l‘occasion des entretiens de Washington, (09.09.50)
602
FJME AMI 4/4/2 : Télégramme à Robert Schuman de Jean Monnet, (14.09.50)
603
FJME AMI 4/4/3 bis : Mémorandum de Jean Monnet à Robert Schuman,(16.09.50)
600
216
attendaient du plan Schuman, ils risqueraient de se détourner de la France604, car se sentant
plus forts depuis la question de leur réarmement.
Monnet avait raison de s‘inquiéter dans la mesure où les Allemands trouvaient de moins
en moins d‘intérêts dans la CECA à mesure que la question du réarmement allemand devenait
pressante. Dans la conversation entretenue par les négociateurs pour la CECA, Hallstein
exposa la thèse de son Gouvernement concernant l‘harmonisation de certains contrôles
exercés par les puissances occupantes avec le Plan Schuman. Tout en marquant que le
Gouvernement allemand ne voyait pas dans le Plan Schuman un moyen de se dégager de ses
obligations, mais un instrument pour réaliser l‘unité de l‘Europe, le Professeur Hallstein
soulignait qu‘il paraissait impossible que la Haute Commission et l‘Autorité de la Ruhr
conservent leurs attributions dans certains domaines, le jour où les organes de la Communauté
exerceraient leurs fonctions dans ces mêmes domaines.605
Par ailleurs, Hallstein proposait les associations de producteurs auprès desquelles seraient
institué un comité consultatif composé de représentants de producteurs, de travailleurs et
d‘utilisateurs. Mais, Monnet s‘y opposa, étant donné l‘impossibilité pratique, de multiplier les
comités consultatifs dans une région déterminée606.
L‘idée principale de Monnet eu égard au réarmement allemand tenait à la participation de
l‘Allemagne dans une défense commune organisée dans le cadre européen supranational du
Plan Schuman élargi. Toute son attention tendait vers la réalisation de cette organisation. En
septembre, dans le mémorandum destiné à R. Schuman, Monnet opposait délibérément la
solution nationale à la solution européenne supranationale : « L‘organisation, sur une base
nationale, de la nécessaire participation de l‘Allemagne à la défense commune, au lieu
d‘intégrer l‘Allemagne à l‘Europe de l‘Ouest, lui permettrait de s‘en séparer. Une telle
décision et la liberté d‘action qui, dans cette perspective, serait en contrepartie rendue à
l‘Allemagne, lui donneraient les moyens et, suivant les circonstances la tentation de balancer
entre l‘Ouest et l‘Est. En fin de compte, le réarmement de l‘Allemagne, sur une base
604
FJME AMI 4/4/1: Projet (de) mémorandum à M. Schuman à l‘occasion des entretiens de Washington,
(09.09.50)
605
FJME AMG 9/5/3 : Compte rendu de la conversation ayant eu lieu au Commissariat au Plan le 20.11.50 au
sujet de l‘harmonisation du Plan Schuman et des contrôles actuellement exercés en Allemagne, par F. Valéry.
606
FJME AMG 9/5/5 : Lettre de Jean Monnet à W. Hallstein,(25.11.50.)
217
nationale, loin de renforcer l‘Europe de l‘Ouest la laisserait plus désunie, c‘est-à-dire plus
faible qu‘aujourd‘hui»607.
Afin de pouvoir discuter de ces positions et de ces propositions diverses pour aboutir si
possible à une attitude commune à l‘égard des problèmes de la défense occidentale, les
ministres des Affaires étrangères des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France se
réunirent à New York en septembre 1950. C‘était la première d‘une série de réunions et de
conférences qui avaient pour but de mettre au point un système efficace pour la défense du
monde libre. La question du réarmement allemand fut évoquée par Dean Acheson. Dans un
télégramme destiné à Monnet, Schuman relate les propos des trois ministres des Affaires
étrangères : « M. Dean Acheson n‘en a pas fait une condition formelle mais la participation
d‘unités allemandes à la force intégrée est assurément de nature à influencer sur la
contribution américaine à la défense de l‘Europe occidentale. […] Enfin, que nous le voulions
ou non, le problème du réarmement allemand se pose de toute façon et l‘initiative de M. Dean
Acheson n‘a fait que hâter (inopportunément) le moment de sa discussion publique»608.
À ce moment-là, Schuman n‘était pas complètement d‘accord avec la proposition de Dean
Acheson. Pour la bonne raison que «la proposition de M. Dean Acheson présente entre autres
deux graves dangers : d‘une part, elle préjuge les conditions dans lesquelles interviendrait le
réarmement allemand en prévoyant dès maintenant la constitution de grandes unités ; d‘autre
part, elle suppose une discussion sur un pied d‘égalité entre l‘Allemagne et les trois
puissances occupantes ce qui, à la fois, permettrait au gouvernement de Bonn de poser ses
conditions et entraînerait une solution dans un cadre national allemand ce qui est précisément
le risque majeur auquel nous voulons échapper »609. En même temps, il songeait que « s‘il
n‘appartient pas maintenant à la France de reprendre elle-même la question en la plaçant sur
son véritable plan puisque aussi bien nous n‘éviterons pas au minimum que cette question
continue à être discutée ». Aussi, Schuman mit l‘accent sur les suggestions suivantes: « La
participation éventuelle de l‘Allemagne à la défense de l‘Europe occidentale est une affaire
qui concerne au premier chef les Européens eux-mêmes et doit être étudiée et réglée dans un
cadre européen. C‘est la raison pour laquelle il appartient à la France de prendre l‘initiative
des discussions, en liaison avec les autres pays européens et, bien entendu, sous réserve
d‘accord final de ses partenaires américains et britanniques. Cette procédure ne préjuge
607
FJME AMI 4/4/3 bis : Mémorandum de Jean Monnet à Robert Schuman,(16.09.50)
FJME AMI 4/5/1 : Télégramme à l‘arrivée, émanant de New York, (18.09.50), [signé Schuman]
609
FJME AMI 4/5/1 : Télégramme à l‘arrivée, émanant de New York, (18.09.50), [signé Schuman]
608
218
nullement de la solution à intervenir sur laquelle il n‘est pas possible de prendre position dès à
présent »610.
Pour Schuman, une telle formule paraissait inévitable dans la ligne de la politique
d‘intégration de l‘Allemagne dans l‘Europe. Donc, il suggérait que c‘était à la France de
reprendre la question du réarmement allemand, ce qui maintiendrait sa position de leader sur
le continent, et lui permettrait de mesurer directement avec l‘Allemagne la valeur des
solutions possibles. Par conséquent, sans l‘accord de la France, l‘Europe ne pourrait se faire,
et les obstacles inattendus au cours de la négociation relative à la mise en commun du charbon
et de l‘acier s‘en trouveraient probablement réduits611. En d‘autres termes, Robert Schuman
était vraisemblablement effrayé par le réarmement allemand mais, en même temps, il sentait
la nécessité d‘une participation allemande à la défense européenne. Il comprit que la solution
était de faire appel à l‘Allemagne. Certes, Monnet n‘approuvait pas non plus l‘attitude et les
propositions américaines et jugeait dangereuse la reconstitution d‘une armée nationale
allemande. Il le montra clairement dans une note daté du 23 septembre 1950 sur le
réarmement de l‘Allemagne : « Acheson et Mac Cloy veulent envoyer des troupes
américaines en Allemagne […] En fait : la valeur pratique dans l‘immédiat de l‘engagement
demandé est l‘envoi de quelques divisions américaines en Europe. : le danger est la recréation
d‘une force allemande nationale. – l‘arrêt de la construction de l‘Europe-la méfiance et la
crainte installées dans les relations européennes. […] Nous ne pouvons accepter le
réarmement allemand proposé par Acheson même si ce refus devait entraîner une crise»612.
Le 23 septembre, Acheson indiqua que « toutes les précautions devraient être prises pour
éviter la renaissance du militarisme allemand. Ces garanties, de l‘avis des États-Unis, devaient
être suffisantes pour que la France accepte le principe d‘une participation, le moment venu,
d‘experts allemands à la force intégrée »613.
Bevin tout comme Schuman se prononça contre la demande de troupes ouest-allemandes.
Il redoutait également les conséquences nationales d‘une attitude trop molle à l‘égard des
demandes américaines. Mais finalement les Britanniques se laissèrent convaincre du bienfondé d‘une contribution ouest-allemande à la défense européenne614. Schuman aussi, lors de
610
FJME AMI 4/5/1 : Télégramme à l‘arrivée, émanant de New York, (18.09.50), [signé Schuman]
FJME AMI 4/5/1 : Télégramme à l‘arrivée, émanant de New York, (18.09.50), [signé Schuman]
612
FJME AMI 4/4/6 : Note de Jean Monnet sur le réarmement de l‘Allemagne,(23.09.50)
613
FJME AMI 4/5/3 : Télégramme no 10. 289 à 301, émanant de New York, (23.09.50), [signé Schuman]
614
Armand Clesse, op.cit., p. 25.
611
219
la troisième conférence, se décida à assouplir sa position. Et puis il expliqua que pour le
gouvernement français une condition essentielle de son acceptation de principe d‘une
participation allemande était que la force intégrée existerait préalablement et qu‘elle sera
assez forte pour qu‘on puisse y verser sans danger des contingents ouest-allemands. Mais
pour commencer, les puissances européennes devront faire un effort de réarmement auquel
l‘Allemagne pourrait participer, non sous forme d‘unités organisées mais dans le domaine de
la production industrielle, de la mise en état des régions stratégiques et des prestations de
main-d‘œuvre civile615. À cet égard, il avait le même point de vue que Monnet. Concernant la
participation allemande à la défense, Monnet songea à une contribution économique et
financière : « Pour pouvoir utiliser toutes les forces de l‘Ouest à la défense occidentale et
atlantique il faut avoir la contribution que les ressources allemandes peuvent fournir en
hommes et matériel. Mais armer l‘Allemagne est un danger»616.
Le communiqué des trois ministres des Affaires étrangères à l‘issue de la conférence porta
essentiellement sur l‘Allemagne et le problème du réarmement allemand. En ce qui concerne
l‘acceptation d‘une armée nationale, les trois ministres n‘étaient pas d‘accord. Mais les
réunions de New York servirent davantage à informer les alliés européens des plans
américains. Car élaborés ensemble, les projets pour l‘avenir de la défense européenne et
particulièrement le problème du réarmement allemand, satisfaisaient pleinement toutes les
parties impliquées.
Pour conclure ce chapitre et faire le lien avec le suivant, nous souhaitons expliquer les
hypothèses de Monnet quand à l‘organisation d‘une armée européenne intégrée (Communauté
Européenne pour la Défense). Selon Hungdah SU, Monnet constatait que la CED était un
sujet extrêmement délicat voire « explosif », et ce, dès les débuts de la construction
européenne. Inspirateur du plan Pleven, Monnet semble s‘être tenu à distance de l‘effort
ultérieur visant à créer l‘armée européenne. Il dit que « la structure de la CED ne serait qu‘une
reproduction de celle de la CECA. […] On y trouvait presque le même scénario et les mêmes
pensées que lors du plan Schuman »617.
Au début de la guerre de Corée, il semble que Monnet ne souhaitait pas que l‘organisation
d‘une défense européenne conduise à radicaliser la guerre froide. Cependant l‘invasion de la
615
Armand Clesse, ibid.
FJME AMI 4/4/8 : Note de Jean Monnet sur la résolution du problème allemand par l‘intégration dans
l‘ouest, (23.09.50)
617
Hungdah Su, op.cit., pp.284-287.
616
220
Corée et le problème du réarmement allemand, ont bousculé ses plans. Il ne put pas rester à
l‘écart des questions de défense. Dans ce climat international dégradé, Monnet n‘eut d‘autre
choix que de se pencher sur la question du réarmement allemand et la participation de
l‘Allemagne à la défense de l‘Europe, car à son avis, « si on isole l‘Allemagne, on empêche la
constitution de l‘Europe»618. Ce qui était certain pour Monnet, c‘est que le réarmement
allemand devait être traité dans l‘esprit du plan Schuman, c‘est-à-dire sur les bases d‘une
organisation supranationale. Cependant, eu égard aux difficultés à constituer une armée
européenne intégrée, il ne voyait pas comment les États pourraient accepter de perdre une
partie de leur souveraineté concernant la défense. Bien que conscient des énormes difficultés
que soulevait la constitution d‘une armée européenne de la défense, il préférait encourir le
risque de négociations homériques plutôt que d‘assister à l‘échec de la CED, dans un climat
international de guerre froide, de plus en plus tendu et oppressant. Aussi, la seule alternative
d‘une armée européenne était le prolongement des idées de supranationalité du plan Schuman.
C‘est pourquoi, Monnet préconisait une plan Schuman étendu : « […] intégrer l‘Allemagne à
l‘Europe par un Plan Schuman élargi, en prenant dans un cadre européen les décisions »619.
L‘objectif prioritaire de Monnet était donc l‘adoption du Plan Schuman, comme première
étape à l‘instauration d‘une structure politique en charge de l‘armée européenne. Et la
structure de la CED ne serait qu‘une reproduction de celle de la CECA. Aussi, les divergences
entre Monnet et les gouvernements furent considérables. C‘est ce que nous allons étudier dans
la section suivante de ce chapitre7.
Vers une convergence pour l’armée européenne (d’octobre 1950 à juillet
1951)
« I remember so well your remark : ―this is not a military
question so much as it is a human question. Divisions one can
make in all sorts of forms, they will change in any case, but to
have French and German and other people of different
618
619
FJME AMI 4/4/3 bis : mémorandum, (16.09.50)
FJME AMI 4/4/3 : Lettre de Jean Monnet à Robert Schuman, (16.09.50)
221
nationalities in the same army is something much deeper; the
whole question is a human question.‖ »620
En réalité, Monnet dut rapidement se rendre à l‘évidence de la nécessité d‘un plan d‘armée
européenne. Les États-Unis manquant d‘enthousiasme pour un tel projet ; celui-ci retarderait
le réarmement allemand. René Pleven témoigne : « Devant les pressions, qu‘exerçaient les
Soviétiques sur Berlin et les régimes d‘Europe centrale, on sentait physiquement le danger et
il n‘était pas possible que nous dispensions l‘Allemagne d‘un effort de défense sur le plan
financier et sur le plan économique. Nous avions une Allemagne dont le potentiel industriel se
reconstituait avec une énergie admirable et on lui aurait dit qu‘elle n‘avait pas d‘effort de
défense à faire! Ce n‘était pas possible. Il s‘agissait de la faire participer en l‘encadrant»621.
C‘est dans ces circonstances urgentes que Pleven fut obligé de présenter l‘armée européenne.
Or, c‘était trop tôt et le projet n‘était pas encore mûr.
Aussi, il ne restait plus à Monnet qu‘à envisager la création d‘une armée européenne non
seulement pour éviter tout réarmement allemand sur une base nationale mais aussi pour
résoudre le problème allemand. Le point de vue que Monnet ne cessait de défendre était
simple : « seule la création d‘une entité européenne large fusionnant les productions et les
marchés, permettrait de donner un essor nouveau à ces pays qui ne pouvaient pas sortir de leur
traditionalisme»622. Monnet demanda à son équipe623 de réfléchir sur le dossier. Une note de
Paul Reuter, le 29 septembre 1950, sur la participation de l‘Allemagne à la communauté
atlantique, fut la première trace concrète de cette initiative. Il discuta, d‘abord, sur le danger
de la création d‘une armée allemande et la renaissance du nationalisme allemand : « La
création d‘une armée allemande peut précipiter l‘évolution de l‘attitude russe et surtout la
fidélité et la combativité d‘une armée allemande suppose que ces vertus soient soutenues par
un objectif précis : la conquête des provinces perdues à l‘est. Seules des promesses liées à la
certitude d‘une guerre peuvent donner à des troupes allemandes une justification nationale de
620
FJME AMK C 23/3/303 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower (07.06.62)
FJME Le fond d‘histoire d‘orale, témoignage de René Pleven par Roger Massip et Antoine Marès,(27.03.80)
622
FJME AMI 4/4/8 : Note de Jean Monnet sur la résolution du problème allemand par l‘intégration dans
l‘Ouest, (23.09.50)
623
Depuis 1946 Monnet rassemblait autour de lui une petite équipe soudée d‘où émergent en 1950 les figures
d‘Étienne Hirsch et Pierre Uri. Cette garde rapprochée se double d‘un réseau de collaborateurs occasionnels, de
relations personnelles nationales et internationales dont l‘engagement commun au service de l‘idéal européen se
cristallise à cette époque.
621
222
leur existence. Des perspectives inéluctables de guerre pleinement acceptées de part et d‘autre
sont liées à la renaissance d‘une armée allemande »624.
Il proposa donc la création d‘une armée européenne tant pour éviter ce danger que pour
concrétiser ses objectifs de paix en Europe. Conformément à ces objectifs, elle serait basée
essentiellement sur les principes suivants: unité d‘équipement, d‘organisation et de
commandement ; les unités tactiques (bataillons) seraient composées d‘éléments de même
nationalité mais les unités supérieures (divisions) grouperaient des unités élémentaires de
nationalités différentes ; les services de commandement et de transmission seraient
complètement unifiés ainsi que le ravitaillement et l‘approvisionnement ; les garnisons, en
temps de paix, comprendraient des unités composites de nationalités différentes ; les charges
financières seraient exprimées dans un budget unique ; les programmes militaires seraient
exécutés ou stoppés par des organismes unifiés»625.
Cette ébauche de plan était le résultat de multiples échanges de vues et de décisions
successives, auxquels avaient pris part, outre Monnet et ses collaborateurs, Schuman et
Pleven626. En définitive, le 24 octobre 1950, René Pleven présenta le plan élaboré par Monnet
et lut le texte de la déclaration devant l‘Assemblée nationale : « L‘Armée Européenne sera
unifiée du point de vue de son commandement, de son organisation, de son
approvisionnement et de son financement. Elle sera placée sous l‘autorité d‘un Haut
Commissaire Européen. Il a pour mission de veiller dans tous les domaines au maintien du
caractère européen des forces communes. […] Le gouvernement français invite dès
maintenant les pays d‘Europe désireux de participer avec lui à cette action à étudier en
commun la mise en œuvre des principes ci-dessus au sein d‘une commission. Cette
commission se réunirait à Paris dès la signature du traité sur le Plan Schuman. La méthode
624
FJME AMI 4/4/10 : Note de P. Reuter sur la participation de l‘Allemagne à la défense de la communauté
atlantique,(28.09.50)
625
FJME AMI 4/4/10 : Note de P. Reuter sur la participation de l‘Allemagne à la défense de la communauté
atlantique,(28.09.50.)
626
En ce qui concerne ces échanges entre Monnet et ses collègues, voir les sources, FJME AMI 4/4/3 : Lettre de
Jean Monnet à Robert Schuman, (16.09.50) ; FJME AMI 4/4/3 bis : Texte préliminaire (du) Mémorandum. À
Monsieur Robert Schuman‖ (de Jean Monnet), (16.9.50), [Copies envoyées à B. Clappier, A. Parodi, R. Pleven
et Schneiter] ; FJME AMI 4/4/3 bis : mémorandum (16.09.50) ; FJME AMI 4/4/5 : Note de Jean Monnet relative
au règlement du problème allemand,(22.9.50) ; FJME AMI 4/4/6 : Note de Jean Monnet sur le réarmement de
l‘Allemagne, (23.09.50) ; FJME AMI 4/4/10 : Note de P. Reuter sur la participation de l‘Allemagne à la défense
de la communauté atlantique, (28.09.50.)
223
suggérée par le Gouvernement français est la seule qui a ses yeux permette la formation
rapide de l‘Armée Européenne, élément essentiel de la force atlantique »627.
Ainsi, à cette époque, deux plans de défense européenne coexistaient : l'un d‘origine
américaine « l'OTAN », acceptée par tous, y compris Adenauer, autorisait la création de
bataillons nationaux (mais pas d‘état major) sous les ordres d‘un commandement américain ;
l'autre était le plan français d'une armée européenne unifiée, sous le commandement
atlantique, mais gérée par un ministre européen ( c‘est-à-dire aucun ministère allemand de la
défense, aucun état-major allemand et aucune division entière). Les alliés étaient
impatients.628
En pratique, le plan français d‘armée européenne se heurta à beaucoup plus d‘obstacles
que Monnet ne l‘avait imaginé car il n‘était pas facile de concilier les points de vue allemand
et américain. Il lui restait donc à convaincre non seulement les Allemands mais aussi les
dirigeants américains.
Du côté allemand, la République fédérale d‘Allemagne était contre le plan Pleven. À ses
yeux, le plan français constituait une discrimination inadmissible à l‘égard de leur pays : leur
logique était ainsi : si les troupes allemandes ne sont pas intégrées en tant que formations
tactiquement autonomes dans l‘armée supranationale, la République fédérale, contrairement
aux pays qui disposent déjà d‘un appareil militaire, aurait peu de chance de pouvoir participer
au commandement supérieur ; les autres États pourraient envoyer aux postes de
commandement suprême des hommes de leurs armées nationales, s‘ils ne disposent pas de
candidats adéquats ; des États qui possèdent déjà une armée pourraient garder des unités
nationales alors qu‘on interdirait à Allemagne d‘acquérir une puissance militaire nationale ; les troupes allemandes seraient dès le premier jour soumises au commandement de l‘armée
européenne alors que les formations européennes des autres pays membres seraient intégrées
progressivement 629.
Du côté américain, le Président Truman, Dean Acheson et George Marshall étaient loin
d‘être d‘accord. Pascaline Winand dit : « La proposition semble d‘autre part être destinée
principalement à retarder indéfiniment tout réarmement allemand, tout en accordant une place
627
FJME AMI 4/7/4 : Note sur l‘armée européenne
François Dûchene, op.cit., p.230.
629
Armand Clesse, op.cit., pp.32-33.
628
224
de seconde classe à l‘Allemagne»630. Acheson en arriva vite à la conclusion qu‘un tel plan
risquait de trop retarder le réarmement allemand. Quand à Mac Cloy, il partageait les mêmes
doutes, bien que tout comme Acheson, il ait imaginé la création d‘une force de défense
européenne. Mais il pensait percevoir trop d‘arrière-pensées françaises dans le plan Pleven.
En bref, aux yeux des Américains, les propositions de la France étaient perçues de façon
confuse et parfois avec des arrière-pensées nationales : ce plan serait conçu pour préserver le
pouvoir de l'armée française contre le réarmement de l'Allemagne et s‘assurer que
l'Allemagne ne formerait pas une armée nationale. Par conséquent, le 27 octobre 1950, le
gouvernement américain fit connaître ses réticences par rapport au plan Pleven.
Dans l‘immédiat, Monnet n‘hésita pas à s‘en ouvrir à ses amis américains qui élaborèrent
rapidement une stratégie. Le 28 octobre 1950, Monnet réunit Pleven, Schuman et Mac Cloy
dans sa maison de Houjarray pour tenter de convaincre le Haut Commissaire américain,
sceptique, du bien-fondé des propositions du gouvernement français. Il fallait le persuader que
le projet n‘était pas destiné à retarder le réarmement allemand mais qu‘il s‘agissait d‘une
proposition constructive, en droite ligne et dans l‘esprit du plan Schuman. Mais cette
rencontre à Houjarray n‘a pas abouti.
Pour Mac Cloy, la formulation française était malheureuse et donnait lieu à des doutes
considérables. La vérité est que Mac Cloy était surtout impressionné par les arguments
développés par le Chancelier Adenauer contre le plan Pleven. Aux yeux du Chancelier
allemand, ce plan visait à donner la sécurité aux Français dans une Europe unifiée et sensée
supranationale. Il était fermement décidé à ancrer l‘ancien Reich à l‘Ouest et à le purger de
ses démons, mais il voulait, en contrepartie, que l‘Allemagne soit traitée sur un pied
d‘égalité631.
Jean Monnet et John Mac Cloy ne partageaient pas toujours le même point de vue mais
selon l‘explication de Monnet : « Mac Cloy était porteur à la fois des inquiétudes
contradictoires d‘Acheson et d‘Adenauer»632. Et en même temps, il rapportait également la
volonté française de voir la participation de l‘Allemagne à la défense de l‘Europe occidentale
se faire sur une base d‘égal à égal et sans discrimination aucune. Par le biais de cette
discussion avec Mac Cloy, Monnet réussit quand même à en faire la position officielle de la
630
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.), op.cit., p.260.
631
Éric Roussel, Jean Monnet p.596.
632
Jean Monnet, Mémoires, p.507.
225
France, en dépit de l‘échec de la rencontre à Houjarray dans le but de convaincre Mac Cloy
puis Adenauer, dans un second temps.
Deux questions fondamentales se posaient autour de la création d‘une armée européenne :
l‘une était l‘égalité des droits entre la France et l‘Allemagne ; l‘autre était la contribution
allemande dans l‘effort financier de l‘ensemble atlantique. Il ne restait plus à Monnet qu‘à
trouver des solutions pour dépasser ces obstacles qui menaçaient le succès de son projet
d‘armée européenne (CED).
Pour la première question, parvenir à une solution commune viable n‘était pas chose aisée,
dans la mesure où les Allemands ne retenaient que les aspects discriminants et les
malentendus ne firent qu‘aggraver l‘ampleur des difficultés. Le dialogue n‘était pas facile
entre les autorités américaines, inquiètes de l‘évolution dramatique en Corée, et décidées pour
cette raison de forcer la mise en œuvre d‘une force européenne. La situation était d‘autant
plus préoccupante que l‘adoption de l‘armée européenne par les États-Unis était loin d‘être
acquise. Donc il ne restait plus, pour Monnet, qu‘à les persuader.
La procédure pour les convaincre fut mise en œuvre au travers de la communication entre
Truman et Pleven à partir de janvier 1951. Dans le communiqué de la rencontre TrumanPleven du 29 au 31 Janvier, le président du Conseil français présenta l‘importance vitale pour
l‘Europe d‘une défense du monde libre dans son intégralité. Et, il exposa les efforts de la
France en vue de réaliser l‘unité européenne, en soulignant, dans ce domaine, que les buts du
gouvernement français étaient de faire disparaître les divisions et les rivalités qui s‘opposaient
à un développement harmonieux de l‘économie européenne et à la constitution d‘une Europe
fortement organisée. Il ajouta aussi que la politique du gouvernement français tendait à
favoriser la création d‘un grand marché européen ouvert à la libre concurrence par l‘abolition
des cartels et des pratiques discriminatoires.633
Au cours de cette discussion, Truman et Pleven furent pleinement d‘accord pour
reconnaître que, dans tous les domaines, une intégration progressive d‘une Allemagne
démocratique à une communauté occidentale européenne vigoureuse servirait la cause de la
paix en Europe et dans le monde. Ainsi ils réaffirmèrent leur conviction qu‘une contribution
de l‘Allemagne à l‘effort commun de défense sous la forme envisagée le mois précédent à
633
FJME AMG 25/2/29 : Communiqué officiel sur les entretiens Truman-Pleven,(31,01.51)
226
Bruxelles renforcerait la sécurité de l‘Europe sans altérer en aucune manière le caractère
purement défensif de l‘organisation du traité de l‘Atlantique nord.634
À partir de ce moment, au fur et à mesure de la prise de conscience de ces considérations,
l‘intérêt américain pour les négociations de Paris du 6 février 1951, en vue de la constitution
d‘une armée européenne rattachée à des institutions politiques européennes et dans le cadre de
l‘organisation du Pacte, était multiplié. À la fin de cette réunion, Truman dit que « les ÉtatsUnis étaient heureux d‘accepter l‘invitation qui leur avait été adressée d‘y envoyer un
observateur et que M. Bruce, ambassadeur des États-Unis, serait désigné à cet effet»635. Dean
Acheson, le 5 février, donna une traduction pratique de ce communiqué dans une lettre qu‘il
adressa à Robert Schuman :« Si votre gouvernement peut, en étroite consultation avec le
gouvernement allemand et les autres gouvernements européens qui souhaitent y participer,
élaborer les principales lignes d‘un plan susceptible de rapprocher les Nations de l‘Europe
encore plus étroitement dans l‘esprit si bien représenté dans le plan Schuman, nous pouvons
raisonnablement espérer des solution à long terme à maints de nos problèmes, qu‘ils soient
politiques, militaires ou économiques»636.
Dans ce nouveau contexte, Monnet avait besoin de trouver un homme ouvert, bénéficiant
d‘un grand crédit auprès des Américains. Eisenhower était la personne parfaite car il était un
rouage important de transmission vers les politiques de l'administration Truman. Il avait deux
casquettes (une double responsabilité) en Europe : l'une était celle du SACEUR (Commandant
suprême des forces alliées), l'autre était celle du commandant des troupes américaines
stationnées en Europe. Par conséquent, Eisenhower fut chargé d'exécuter la politique de
l'Administration Truman en Europe. Mais, en tant que responsable de l'OTAN, il fut
également chargé d'élaborer une stratégie d'alliance qui devait soutenir l‘objectif central de
l'OTAN, garantir les membres de l‘alliance contre la menace soviétique. L‘action
d'Eisenhower prouva qu'il était plus qu‘un simple acteur de la politique américaine en
l'Europe637.
Toutefois, pour Eisenhower, qui venait d‘être désigné comme commandant en chef des
forces atlantiques, le plan français ne pouvait qu‘encourager la division et non l‘unité en
634
FJME AMG 25/2/29 : Communiqué officiel sur les entretiens Truman-Pleven,(31,01.51)
FJME AMG 25/2/29 : Communiqué officiel sur les entretiens Truman-Pleven,(31,01.51)
636
Documents on American Foreign Policy, 1951, p.246.
637
Thomas M. Sisk, « Forging the Weapon : Eisenhower as NATO‘s Supreme Allied Commander, Europe,
1950-1952 », in Günter Bischof & Stephen E. Ambrose, Eisenhower : A centenary Assessment, Louisiana State
University Press : Baton Rouge and London, pp.71.
635
227
Europe. En outre, le plan français était peu consistant d‘un point de vue militaire, ce qui
risquait de rendre impossible le réarmement allemand. Donc il était urgent de le convaincre,
d‘autant que son influence était déterminante pour rallier au projet le Département d‘État et
les militaires américains. Bruce proposa d‘abord une réunion entre Eisenhower et Monnet.
Puis Mac Cloy adressa une proposition à Eisenhower : « Je pense que le temps est venu pour
vous de parler avec certains des hommes qui exercent une grande influence sur la position
française et je vous suggère spécifiquement de voir Jean Monnet […]. Aussi, puisque le temps
est le fond de l‘affaire, je vous adjure de voir Monnet et de le laisser vous exposer les données
de la question. N‘ayez pas peur de commettre une indiscrétion, il est discret, simple et au
centre des choses en dépit des apparences »638. Aidé par John MacCloy, David Bruce et
Robert Bowie, une réunion décisive fut organisée le 21 juin à Paris. Jean Monnet exposa les
mérites de la proposition Pleven. Il mit également l‘accent sur la contribution qu‘un tel plan
pouvait apporter à l‘unification européenne et à la paix même : « En somme, dit-il, ce que
vous proposez, c‘est que les Allemands et les Français aient le même uniforme. C‘est plus un
problème humain qu‘un problème militaire. – Oui, répondais-je, les problèmes se présentent
dans cet ordre en Europe et nous devons d‘abord créer le sentiment d‘une solidarité de
destin »639.
Suite à cette réunion, Eisenhower, visiblement impressionné par les arguments de Monnet,
devint un ardent défenseur de la CED. Pascaline Winand dit : «à la fin, Monnet réussit à
convaincre Eisenhower que la dimension politique du plan devait l‘emporter sur ses aspects
militaires, qu‘il s‘agit en fait du seul moyen pour réarmer l‘Allemagne sans éveiller le
ressentiment français et sans affaiblir l‘Alliance atlantique »640. Il était à l'origine contre le
Plan Pleven parce qu'il semblait inclure «toutes sortes d'obstacle, la difficulté, et la notion de
fantastique que les humains égarés pourrait rassembler dans un seul paquet ». Mac Cloy, le
Haut Commissaire des États-Unis pour l'Allemagne, et Monnet jouèrent donc un rôle décisif
dans le changement d‘attitude du général Eisenhower641.
638
D. D. Eisenhower Papers, Mac Cloy folder, Ppal Files, box 75, lettre de John Mac Cloy à D. Eisenhower.
[non daté]
639
Jean Monnet, Mémoires, p.524,
640
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.), op.cit., p.261.
641
Thomas M. Sisk, « Forging the Weapon : Eisenhower as NATO‘s Supreme Allied Commander, Europe,
1950-1952 », in Günter Bischof & Stephen E. Ambrose, Eisenhower : A centenary Assessment, Louisiana State
University Press : Baton Rouge and London, pp.76
228
Aussi, à partir de juillet, les événements s‘accélérèrent. Le 3 juillet 1951, Eisenhower
rendit publique son soutien à la défense européenne dans un discours à Londres qui eut un
énorme retentissement, car elle signifia le ralliement officiel des États-Unis à l‘armée
européenne. Cette conversion amena un changement d‘attitude de la part du Président Truman
et de son secrétaire d‘État, Dean Acheson. Washington se prononça en faveur de la création
d‘une armée européenne. Le 5 juillet, Mac Cloy déclara au chancelier fédéral qu‘à présent, la
contribution allemande à l‘effort de défense occidentale ne saurait être envisagée que dans un
cadre européen et qu‘il fallait remettre à une date ultérieure l‘adhésion de l‘Allemagne à
l‘OTAN642. Aussi il persuada les Allemands que la France était décidée à aller de l‘avant dans
un esprit d‘égalité.
Au final, après des mois d‘hésitations, le gouvernement américain se décida, au cours de
l‘été 1951, à soutenir la création de la CED. Il posa comme conditions préalables que
l‘Europe entérine la stricte subordination de la CED à l‘OTAN et que la République fédérale
Allemande soit considérée, à l‘intérieur de la CED, comme un membre à part entière avec des
droits égaux643. Publiquement Dean Acheson, loua le plan comme une possibilité
d‘organisation de la défense de l‘Occident. Et le principe de l‘égalité des droits, en vigueur
dans l‘OTAN, fut transposé à la CED644. Monnet n‘était pas le seul à œuvrer avec énergie.
Les États-Unis s‘associèrent à l‘entreprise de manière officielle. Avec le revirement de la
position américaine depuis l‘été 1951, la décision semblait être en faveur du projet français.
Mais l‘unanimité ne régnait pas parfaitement, particulièrement concernant la question de la
contribution allemande à la défense.
À partir de là, les négociations sur la CED marquèrent rapidement le pas, notamment sur
la question de la contribution financière allemande : le SHAPE (the Supremem Headquarters
Allied Powers Europe) prévoyait une contribution allemande pour la défense, entériné le 12
septembre 1951 à Washington lors de la conférence des ministres des Affaires étrangères des
trois puissances occidentales (France, Allemagne, Angleterre) : « En vertu de la déclaration
triparties de Washington que cette contribution s‘effectuerait à l‘intérieur de la Communauté
Européenne de défense»645. L‘Allemagne se faisant prier.
642
Compte-rendu de l‘entretien in FRUS 1951, t. Ⅲ, pp.1487-1489.
Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les États-Unis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique »,
in Gérard Bossuatet Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p.280
644
Cf. Department of State Bulletin du 13 novembre 1950, p. 777, cité par Armand Clesse, op.cit., p. 32.
645
FJME AMI 10/1/7 : Mémorandum, 3e version définitive, (25.9.51)
643
229
Monnet continua, cependant, à œuvrer en faveur du projet de la CED en devenant membre
du Temporary Council Committee (TCC), institué par le Conseil de l‘OTAN à Ottawa en
septembre 1951. Plus précisément, membre du Comité des Sages au sein duquel il participa à
l‘évaluation des charges financières liées à la mise sur pied et au fonctionnement de la CED,
ainsi qu‘à l‘élaboration de modèles de répartition de celles-ci entre les États membres646. Lors
de la conférence à Trois de Washington du 10 au 14 septembre 1951 pour la création du
comité des sages, il était chargé d‘y siéger. Les représentants britanniques et américains, avec
lesquels il devait mener à bien son travail d‘expertise, était deux amis : Edwin Plowden et
Averell Harriman. L‘une des questions majeures était celle de la contribution de chaque pays
à l‘effort de défense. Un porte-parole du conseil déclara que ce comité devrait étudier les
besoins établis par les militaires, évaluer les capacités économiques de chaque pays en tenant
compte des facteurs politiques et sociaux, évaluer exactement la différence entre ces besoins
et ces capacités et proposer les solutions permettant de remédier à cet écart ainsi constaté647.
On confia donc officiellement aux Sages le soin de régler cet épineux problème, et
Monnet s‘attela pour la seconde fois à sortir l‘armée européenne de l‘ornière648. Comme le
souligne Philippe Vial, la question de la contribution allemande était indissociable du dossier
OTAN, dans la mesure où elle constituait désormais la clef de voûte des négociations sur
l‘armée européenne649. Par ce biais, Jean Monnet fut amené de nouveau à intervenir de
manière très directe dans la négociation relative à la CED. Puisque cette question de la
contribution allemande était en définitive confiée aux sages qui, ayant rendu leur rapport sur
le sujet lors de la conférence de Lisbonne de février 1952.
646
Pour le travail de Monnet en tant que le membre du comité des sages, voir les sources, FJME AMI 10/1/1:
Dépêche AFP, La création du Comité des sages décide à Ottawa, (19.9.51) ; FJME AMI 10/1/2 : Dépêche AFP,
l‘objectif du Comité des Sages, (20.09.51) ; FJME AMI 10/1/5 : Mémorandum par Jean Monnet et H. Alphand,
(25.9.51) ; FJME AMI 10/1/7 : Mémorandum, (25.9.51) ; FJME AMI 10/1/11 : Télégramme au départ, destiné à
Washington, à Londres et à Londres suppléants, relative à la communication du mémorandum, (27.9.51) ; FJME
AMI 10/2/4 : Dépêche AFP, Les déclarations du Général Eisenhower à la commission temporaire des Douze,
(10.10.51) ; FJME AMI 10/2/14 : Mémorandum on German contribution to defense efforts, (15.10.51) ; FJME
AMI 10/2/14 bis : Letter from Jean Monnet to W.A. Harriman sending Memorandun et FJME AMI 10/2/14,
(15.10.51) ; FJME AMI 10/2/16 : L‘idée de Monnet sur la contribution allemande de la défense européenne,
(06.11.51) ; FJME AMI 10/5/5-a : Statement by W. Averell Harriman, (18.12.51) ; FJME AMI 10/5/5/b : Text of
General Eisenhower‘s letter, (14.12.51) ; FJME AMI 10/5/5 : Statement and letter issued by NATO information
Service, for release (18.12.51).-Texte français, voir AMI 10/5/6.
647
FJME AMI 10/1/2 : Dépêche AFP, l‘objectif du Comité des Sages, (20.09.51)
648
Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED ? », in René Girault et Gérard Bossuat (éds.), op.cit.,
pp.239.
649
Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED ? », in René Girault et Gérard Bossuat (éds.), ibid.
230
Monnet continua à suivre de très près la négociation sur le CED. Pour la première fois, il
intervint directement de manière officielle dans la négociation sur l‘armée européenne. Il
consacra un mémorandum, le 15 octobre 1951, concernant la contribution allemande à l‘effort
de la défense et l‘envoya à W.A. Harriman, à E. Roll650. Pour Monnet, ce qui était assuré en
ce qui concernait la contribution allemande à l‘effort de la défense, était traité dans le cadre
d‘une espèce d‘organisation de la défense atlantique : « Il ne devait y avoir, au aucun cas, de
budget militaire allemand. Mais l‘objectif fondamental du Gouvernement français est que
l‘effort de défense, dans le cadre de la Communauté Européenne, soit effectif dès la date de
ratification du Traité instituant cette Communauté, et qu‘en particulier des unités européennes
d‘origine allemande puissent commencer à être mises sur pied dès cette date»651.
Deux mois plus tard, quand les trois Sages remirent leur rapport à Lisbonne fin février
1952, un accord à propos de la contribution allemande fut conclu lors du sommet sur la base
de leurs travaux652. Le Sommet d‘Ottawa, qui créa le TCC (The Tempory Council Committee),
reprit les principes qu‘Alphand et Monnet avaient posés dès août 1950 concernant le
réarmement occidental. La création de cet organe sonna donc comme la réponse tardive à la
demande d‘un budget atlantique commandé dans le mémorandum du 17 août 1950653.
En 1952, l‘administration américaine s‘exprima publiquement en faveur d‘une unification
économique, politique et militaire européenne. Le 21 janvier, le général Eisenhower, exprima
le souhait, devant les correspondants de presse accrédités à son quartier général, que
l‘«organisation européenne de caractère fédéral ou confédéral» prévue dans les négociations
de Paris se réunisse dans un délai d‘un an et demi à deux ans, soulignant que la réalisation de
ce souhait serait très importante aux États-Unis654. Dean Acheson salua la signature du traité
CED comme « un des évènements les plus importants » de son temps « le début de la
650
FJME AMI 10/2/14 : Memorandum on German contribution to defense efforts, (15.10.51) et FJME AMI
10/2/14 bis : Letter from Jean Monnet to W.A. Harriman : sending Memorandum FJME AMI 10/2/14,
(15.10.51) et FJME AMI 10/2/14 : Letter from Jean Monnet to E. Roll, sending Memorandum FJME AMI
10/2/14, (15.10.51)
651
FJME AMI 10/2/16 : L‘idée de Monnet sur la contribution allemande de la défense européenne,(06.11.51)
652
Frédéric Maduraud, Les relations franco-germano-américaines et la Communauté Européenne de Défense
vues par Jean Monnet, Mémoire de Maîtrise sous la direction de M. le professeur René Girault, Université de
Paris, 1985, pp. 193-194, cité par Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED? », in René Girault et
Gérard Bossuat (sous la dir.), op.cit., p. 240.
653
Voir les sources, FJME AMI 4/2/8 : Projet de Mémorandum dans Alphand, (12.08.50) ; FJME AMI 4/2/9 :
Observations sur le projet de mémorandum du 12 août, (15.08.50)
654
Georgette. Elgey, Histoire de la Ⅳ e République, 3 tomes, Fayard, Paris, 1965 à 1968, p.256.
231
réalisation d‘un ancien rêve- l‘unité des peuples libres de l‘Europe de l‘Ouest »655. Le 15 Juin
1952, Robert B. Chiperfield, le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat,
relaya l‘avis favorable du Congrès concernant la CED : « The Congress welcomes the recent
progress in political federation, military integration, and economic unification in Europe and
reaffirms its belief in the necessity of further vigorous efforts toward these ends as a means of
building strength, establishing security, and preserving peace in the North Atlantic area »656. Il
déclara également que « we hope that this is a symbol of prompt action on the part of the
European Defense Community and the European Political Community because we believe
that the nations of Europe must pull together to achieve not only military integration but
political federation»657.
Cependant n‘existait-il pas des craintes qu‘une Europe unie dans la CED puisse prendre
une trop grande indépendance à l‘égard de la politique extérieure des États-Unis? Klaus
Schwabe répond à cette question que ces considérations furent jugées moins importantes que
la volonté de faire progresser le processus d‘unification supranationale de l‘Europe et d‘élever
ainsi la République fédérale Allemande au rang de partenaire à l‘égalité, jouissant d‘une totale
autonomie sur le plan de la politique intérieure : «Aussi bien sous Truman que sous
Eisenhower ». Klaus Schwabe explique que cette politique fut toujours nourrie par le souhait
de perpétuer la prédominance des États-Unis en Europe ; y était en même temps attaché
l‘espoir encore plus important que l‘existence d‘une Europe unie, au potentiel militaropolitique accru, ne tarderait pas à amener une plus juste répartition des tâches au sein de
l‘OTAN et donc un relative désengagement militaire des États-Unis658.
En conclusion, concernant l‘armée européenne, Monnet et le gouvernement américain ne
partageaient pas toujours le même point de vue. Cependant malgré des réticences, à compter
de l‘été 1951 les gouvernements Truman et le général Eisenhower n‘eurent de cesse de
soutenir le projet et subordonnèrent toute leur politique européenne à cet objectif. En outre,
l‘idée d‘une communauté politique de l‘Europe ne s‘en trouva que mieux acceptée et
soutenue. Les raisons profondes de ce soutien étaient associées aux objectifs américains :
résister aux Soviétique, donc renforcer l‘Europe occidentale par une assistance économique et
655
Pascaline Winand, « De L‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.), op.cit., p.261.
656
DDE 2, Dwight D. Eisenhower Library, Cross-reference File (Monnet, Jean Box 2137),(11.06.53)
657
DDE 2, Dwight D. Eisenhower Library, Cross-reference File (Monnet, Jean Box 2137),(15.06.53)
658
Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les États-Unis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique »,
in Gérard Bossuat & Andreas Wilkens, op.cit., p.280.
232
militaire et intégrer l‘Allemagne de l‘Ouest à la Communauté occidentale dans l‘objectif
d‘empêcher la renaissance des nationalismes. Il s‘agissait toujours de faire barrage à l‘URSS
en attachant l‘Allemagne occidentale à la communauté des peuples de l‘Ouest. En d‘autres
termes, il s‘agissait d‘un double endiguement. À cette égard, Dean Acheson remarqua
clairement lors de la conversation avec Monnet, le 14 Décembre 1952 : « I pointed out the
amazing distance which the United States had gone in responding to European initiatives,
which were as brilliant as they were novel, -the OEEC, the Marshall Plan, the North Atlantic
Treaty, the development of the unified command with its concomitant of the restoration of
German sovereignty and German participation and the stationing of American troops in
Europe. All of this I said, in my judgment, depended for its continuance upon Europe going
through with the plans and ideas which it had originated, and developing here a community
politically united, strong economically and militarily, which we could and would continue to
support as the central point of our foreign policy. However, if the European effort fell apart,
all basis of American policy would begin to disintegrate »659. Ainsi, le soutien américain était
lié aux intérêts et aux ambitions de politique étrangère des États-Unis.
L’utilisation des Américains par Monnet pour la CED : le chemin pour
l’intégration européenne par l’association atlantique? (1952-1954)
Monnet montra la nécessité d‘établir un lien indissoluble entre le Six et les pays
atlantiques au niveau de l‘organisation d‘une armée européenne. Car il était convaincu que,
sans le concours des États-Unis, le traité de la CECA ne verrait jamais le jour, il en pensait de
même pour l‘armée européenne. Dans un mémorandum daté du 16 Septembre 1950, après
avoir analysé le danger de la solution nationale au réarmement allemand, Il insista pour : «
que la participation de l‘Allemagne à la défense commune soit organisée dans le cadre
européen supranational d‘un Plan Schuman élargi, ce plan étant élaboré à l‘initiative de la
France, et que la Grande-Bretagne et les États-Unis collaborèrent à son élaboration, il devait
être reconnu que la communauté atlantique comprendrait les États-Unis, la Grande-Bretagne
659
HST 4, Harry S Truman Library, D. A. P, Memoranda of conversation 12/52, memo; re meeting of Jean
Monnet and Dean Acheson, (14.12.52), voir document annexe9.
233
et les Dominions, les pays de l‘Ouest du continent, et que les organismes de défense et autres
institutions de cette communauté seraient articulés sur cette base ; qu‘au sein de cette
communauté, les pays de l‘Ouest poursuivent, suivant les principes du plan Schuman, à
l‘initiative de la France, l‘effort qu‘ils ont entrepris pour créer une communauté
continentale »660.
Ainsi, concernant le plan d‘une armée européenne, l‘objectif ultime était moins la
construction d‘une Europe unie que l‘organisation d‘un monde libre, atlantique, sous des
formes diverses, correspondant aux trois entités qui la composeraient : les États-Unis,
l‘Empire Britannique et l‘Europe continentale de l‘Ouest fédérée : « Le moment est donc
venu d‘harmoniser tout cet ensemble car si nous ne le faisons pas, aucun de nos problèmes ne
pourra être réglé réellement. Il s‘agit donc que l‘ensemble atlantique, c‘est-à-dire, les U.S.A,
l‘Angleterre, les Dominions et l‘Europe prenne forme et qu‘au sein de cet ensemble dont
l‘Angleterre et les Dominions font partie, il soit reconnu par les U.S.A. et l‘Angleterre qu‘une
des lignes politiques essentielles de la communauté est la création de la Fédération
Européenne de l‘Ouest sur la base du plan Schuman, et sous la conduite de la France»661.
Dans cette perspective, nous pouvons raisonnablement nous interroger sur les intentions
réelles de Monnet : avait-il un projet européano-centré (d‘Europe Continentale) ou inscrivaitil déjà la CED dans un projet plus large de vision atlantiste du monde ?
À ces interrogations, Monnet, l‘homme pragmatique répond clairement : « Union
atlantique ou Union Européenne ? Je réponds que le dilemme n‘existe pas car l‘une et l‘autre
sont indispensables. Et j‘en trouve la preuve la plus convaincante dans cette même déclaration
tripartite où les gouvernements anglais, américain et français saluaient la naissance d‘une
communauté européenne continentale, elle-même incluse dans une communauté atlantique en
constant développement»662. Il semble que pour Monnet la logique atlantique et la logique
européenne sont loin d‘être contradictoires puisqu‘elles découlent de la même philosophie
politique intégrationniste. Par ailleurs, l‘atlantisme apparaît comme le seul projet à pouvoir
intégrer la spécificité anglaise, un pays européen mais avec des prolongements internationaux,
les Dominions. De plus, seuls les États-Unis ont la puissance matérielle nécessaire à la
reconstruction de l‘Europe.
660
FJME AMI 4/4/3 bis : mémorandum,(16.09.50)
FJME AMI 4/4/5 : Note de Jean Monnet relative au règlement du problème allemande,(22.9.50)
662
FJME AML 23/5, Projet en 1952
661
234
Pour Monnet, l‘objectif prioritaire est un réarmement de l‘Allemagne sous le contrôle
exclusif d‘une organisation fédérale de la défense atlantique663. L‘exigence américaine d‘une
stricte subordination de la CED à l‘Alliance atlantique sur le plan stratégique ne lui posait
aucun problème, bien au contraire. Aussi, la question de la défense européenne s‘inscrivaitelle naturellement dans une vision atlantiste. Était-ce de l‘idéologie ou du pragmatisme de la
part de Monnet ?
Monnet était pleinement conscient des rapports de forces entre l‘Europe et les États-Unis
concernant la défense au sein de l‘OTAN, ainsi que de la dépendance économique et
financière de l‘Europe par rapport aux États-Unis. Aussi, une subordination totale de l‘Europe
à l‘Amérique aurait-elle été le projet de Monnet ? Rien ne semble confirmer cette hypothèse,
bien au contraire. Quel aurait été l‘intérêt d‘une fédération continentale européenne dans le
dessein d‘une communauté atlantique ? Pourquoi rechercher une indépendance énergétique et
économique au risque d‘effrayer les partenaires américains au travers de la CECA ? Quel
intérêt d‘ancrer physiquement l‘Europe et le sentiment européen dans des institutions (CECA,
CED), si l‘objectif est l‘atlantisme ?
La thèse de l‘atlantisme de Monnet par idéologie semble peu consistante voire
improbable. Mais un atlantisme par nécessité pragmatique semble plus cohérent, eu égard à la
personnalité de l‘homme. Car les difficultés soulevées par la CED et la mise en application de
la CECA font présager que la pérennité d‘une Europe continentale fédérale ne peut être
envisagée qu‘avec le soutien actif des États-Unis, au sein d‘une structure atlantique globale.
Bref, un atlantisme par pragmatisme. Une lettre destinée à René Pleven, du 21 Octobre 1952,
fait montre du regard pragmatique de Monnet quand à la position française par rapport aux
différentes puissances : « J‘ai beaucoup réfléchi à notre discussion d‘hier soir et ai lu depuis la
note […] Après de longues réflexions, je suis maintenant convaincu depuis la note russe et
après avoir lu les télégrammes de Washington que dans la position que vous allez prendre
pour la France, vous devez avoir l‘œil fixé non seulement sur les réactions de la France et de
l‘Allemagne, mais aussi sur celle de Moscou, aussi bien que de Washington. Pour répondre à
toutes ces données contradictoires, il est nécessaire que la position française ne soit pas une
réponse à la position américaine, pas plus qu‘une attitude de crainte vis-à-vis de Moscou,
663
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.), op.cit., p.260.
235
mais une position, qui aurait pu être prise quelles que soient les circonstances, sans référence
aux positions américaines ou russes […] »664
La guerre froide, à ses yeux, est un fait. Monnet refusa de situer son projet européen dans
cette optique ; le containment n‘était pas conforme à sa méthode.665 Une Europe forte et
prospère était la meilleure réplique à la menace soviétique. En réconciliant la France et
l‘Allemagne, ce qui était son but fondamental, il avait conscience d‘œuvrer pour le maintien
de la paix dans le monde. En résumé, pour que la paix soit maintenue, à ses yeux, il fallait une
solidarité occidentale autour des États-Unis. Pourtant, cette solidarité ne pourrait pas être
établie sans que les Occidentaux aient réglé la question allemande. Or, par rapport à
l‘Allemagne, les alliés étaient face à un dilemme.
Alors, l‘attitude de Monnet vis-à-vis les États-Unis, n‘est-elle qu‘un paravent face aux
tentatives d‘hégémonie américaine ? Le témoignage de Plowden, atlantiste militant, était sur
ce point aussi clair qu‘indiscutable : « l‘OTAN n‘était pour lui qu‘un expédient à court terme.
Il ne voulait pas la voir prendre une dimension qui aurait détourné les peuples européens de
l‘objectif d‘une fédération. Quand l‘OTAN prenait cette dimension-et je crois que le Comité
des Sages joua un rôle essentiel dans cette perspective- Monnet en éprouvait du
ressentiment »666
Ce qui était clair, pour Monnet, c‘était de poursuivre un mouvement d‘unification de
l‘Europe de l‘Ouest, en liaison étroite avec les États-Unis667. Il ne doutait pas que le rôle de
l‘Europe était indépendant des États-Unis mais il n‘allait pas jusqu‘à imaginer que l‘Europe
unie puisse devenir un jour un médiateur neutre entre les Blocs. Pour Monnet, dans l‘ordre
des priorités, il y avait la paix et une réalisation à l‘échelle mondiale : « Paul Reuter raconte
que lors de la guerre de Corée, il était furieux et agacé. Il se demandait à quoi cela servait, il
trouvait que c‘était absurde; il s‘imaginait qu‘en suivant une certaine politique, on aurait pu
éviter tout cela. Qu‘il ait eu raison ou tort, c‘est une autre question, mais telle était son idée
fondamentale»668
664
FJME AMI 4/7/3 : Lettre de Jean Monnet à René Pleven,(21.10.50)
À cet égard, voir FJME AMI 4/3/6 : Lettre de Jean Monnet à R. Pleven, (03.09.50)
666
Edwin Plowden, An Industrialist in the Treasury, the Post-War Years, André Deutsch/Londres, 1989, p.130,
cite par Philippe Vial, « Jean Monnet, un père pour la CED ? », in René Girault et Gérard Bossuat, op.cit., p.239.
667
HST 3, Harry S Truman Library, Dean Acheson Papers, Memoranda of Conversation 5/52 , (06.05.52)
668
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de Paul Reuter par Antoine Marès, à Aix-en-Provence,(07.09.80)
665
236
Le 30 avril 1952, à Washington, lorsqu‘il prit la parole devant le National Press Club, il
expliqua le point essentiel du projet à savoir que l‘Europe fédérée était indispensable à la
sécurité et à la paix du monde libre. Ainsi, l‘entente étroite avec les États-Unis, l‘Europe et
l‘Angleterre était proclamée avec force : « We are assured, however, that the British will
associate themselves with us in the closest manner. With this support and that of the United
States within the Atlantic Community, we are confident that we can advance together towards
the full realization of our projects»669. Mais Monnet, souhaitait-il aller aussi loin ? Loin au
point de perdre l‘identité même de l‘Europe ? En noyant celle-ci dans une sorte d‘union ou
entité atlantique globale ?
Deux conceptions nous sont révélées dans ses notes. Par rapport aux institutions
européennes, son intention et son effort des années cinquante, s‘expliquent à travers deux
hypothèses : association d‘un côté et intégration de l‘autre. En d‘autres termes, une
association dans un cadre plus large des États-Unis et la Communauté atlantique et une
intégration supranationale plus étroite sous l‘impulsion française des États continentaux
d‘Europe.
Son idée d‘association étroite entre la Communauté et les pays atlantiques se révéla dès
l‘entrée en fonction de Jean Monnet à la Haute Autorité en 1952. Monnet consacra beaucoup
de temps et d‘attention à confirmer avec la Gouvernement britannique, le caractère
d‘association étroite des relations entre la Communauté européenne du charbon et de l‘acier et
la Grande Bretagne. Par conséquent, plusieurs échanges de vue eurent lieu entre la Haute
Autorité et la délégation britannique sur les conditions de réalisation d‘une association 670. Par
la voix d‘Anthony Eden, l‘Angleterre déclara l‘intention d‘établir les fondements d‘une
association intime et durable avec la CECA. Et Sir Cecil Weir, un Écossais de grande
réputation, fut envoyé à Luxembourg. À Londres, cet accord fut surtout interprété par une
motivation politique : renforcer la cohésion occidentale face au danger soviétique. Donc, pour
la première fois, Anglais et Européens travaillèrent de concert671.
Avec les États-Unis, les relations étaient plus étroites. À la suite de la demande de
Monnet, une petite délégation américaine s‘installa à Luxembourg. En principe, auprès de la
Haute Autorité, il n‘y avait jamais de représentation des États membres, en raison de son
669
DDE papers 20 : Address of M. Jean Monnet National Press Club Washington, D.C.,(30.04.52)
FJME AMH 71/2/8 : Lettre de Jean Monnet à un Ambassadeur, (18.10.52)
671
Éric Roussel, Jean Monnet, p.634
670
237
caractère supranational. Cependant les nations extérieures à la CECA étaient autorisées à
avoir une délégation au Luxembourg, ce qui fut le cas pour la Grande-Bretagne et les ÉtatsUnis. Monnet suggéra alors la nomination de Tomlinson, son grand ami, un brillant jeune haut
fonctionnaire qui partageait beaucoup des idées de Monnet. L‘autre raison de sa nomination
était sa capacité à se focaliser sur un seul et unique objectif672. Le Département d‘État accepta
l‘idée, notamment défendue par l‘Ambassadeur Draper, le représentant spécial des États-Unis
en Europe : « [...] je crois le moment venu d‘entreprendre des conversations entre la Haute
Autorité et le Gouvernement américain»673. On peut imaginer que la position de Tomlinson
était symbolique mais hautement importante car il devait être le lien entre la Communauté
européenne du Charbon et de l‘Acier et les États-Unis. Il devint alors pour Monnet non
seulement un interlocuteur compétent mais surtout un allié précieux auprès du gouvernement
américain, d‘autant qu‘un tel accord entre la Grande-Bretagne et les États-Unis n‘existait pas,
particulièrement depuis le changement d‘administration début 1953. Le secrétaire d‘État, John
Foster Dulles, son adjoint le sous-secrétaire d‘État Bedell Smith, et de nombreux conseillers
politiques : Robert Murphy, Douglas Mac Arthur, Jr., en charge des services politiques du
Département d‘État, Robert Bowie, directeur du Policy Planning Staff), etc., tous avaient à un
moment ou à un autre collaboré avec Monnet et Tomlinson.
Tomlinson complétait donc ce cercle d‘influence privilégié, dont le fervent soutien
permettait à Monnet de faire avancer les dossiers de l‘intégration européenne, là où un autre
aurait échoué. Cependant, de tous les artisans américains de l‘intégration européenne, le
secrétaire d‘État, John Foster Dulles, était sans nul doute, le plus important. Il était l‘homme
clé de la diplomatie américaine sous l‘administration d‘Eisenhower, ami de trente ans de
Monnet, connaisseur des questions européennes depuis la conférence pour la paix de 1919,
Dulles était le premier partenaire de Monnet. Et plus d‘une fois, Monnet obtint des résultats
improbables grâce à lui. Monnet fut, par exemple, convié par le gouvernement d‘Eisenhower,
à un moment clé pour la CED : « Dave Bruce suggested, and I agree with him, that from the
standpoint of the European unity movement, it would be an excellent idea to invite Monnet to
Washington for a day or two as an official guest of the government. […] By the setting up and
actual working of this new institution a first important step toward the creation of a United
Europe has materialized. There, in the framework of democratic institutions of a federal
672
673
FJME Fonds d‘histoire orale, témoignage de Stanley Cleveland par Leonard Tennyson,(11.11.80)
FJME AMH 46/4/1 : Lettre de Jean Monnet à William Tomlinson,(28.10.52)
238
character with a Parliamentary Assembly and a Court of Justice, Belgians, Dutchmen,
Frenchmen, Germans, Italians and Luxembourgers are as Europeans, not as citizens of their
respective countries, taking decisions which are directly applicable in the territories of these
six nations. In the field of coal and steel the barriers, which have so long divided Europe, have
been removed, so that those basic materials enjoy a single market of 155 million consumers
like that of the United States »674.
Conséquence directe de ce bon climat en faveur de Monnet, le voyage effectué par lui en
mai-juin 1953, pour la ratification des accords de la CED fut un succès, et ce, malgré le regain
de l‘isolationnisme. L‘accueil fut partout enthousiaste tant dans les milieux de la presse, que
des affaires ou encore auprès de la Maison-Blanche : « The recent visit to Washington by the
members of the High Authority of the European Coal and Steel Community has given me the
opportunity to review with them the work and plans of the community. This Community
seems to me to the most hopeful and constructive development so far toward the economic
and political integration of Europe. As such, this European initiative meets the often
expressed hopes of the Congress of the United States»675. Franz Etzel, l‘un des collaborateurs
accompagnant Monnet, déclara: « les Américains avaient considéré dans une large mesure la
ratification des traités de la CED comme le seul moyen de parvenir à unifier l‘Europe »676
d‘où cette atmosphère chaleureuse aux États-Unis à l‘égard de la délégation de la CECA.
Et Eisenhower, le nouveau président des États-Unis soutenait pleinement l‘intégration
européenne, qu‘il considérait comme la condition au maintien de la sécurité de l‘Europe : sans
unification européenne, il ne peut avoir de prospérité en Europe ; et sans une Europe
économiquement forte, il ne peut avoir de maintien possible d‘une force militaire suffisante. Il
ajouta que « While in Europe, I watched with keen interest the efforts to work out the first
steps toward European federation, un experience there convinced me that the uniting of
Europe is a necessity for the peace and prosperity of European and of the world »677.
Les raisons profondes du soutien d‘Eisenhower pour le projet d‘armée européenne de
Monnet, selon Klaus Schwabe, étaient liées au déploiement d‘un double endiguement de
l‘URSS, d‘une part, un endiguement stratégique à travers le réarmement de l‘Allemagne, et
674
John Foster Dulles paper, memo(John Foster Dulles to DDE), (28.04.53)
DDE 35, Dwight D. Eisenhower Library-Central Files, Official Files Series, Box 919, Press Release: James
Hagerty, letter (from Dwight D. Eisenhower to two Senators), (17.06.53)
676
Éric Roussel, Jean Monnet, p.637.
677
DDE 35, DDE Library-Central Files, Official Files Series, Box 919, Press Release: James Hagerty, letter
(from Dwight D. Eisenhower to two Senators), (17.06.53)
675
239
d‘autre part, un endiguement politique et idéologique, en rattachant l‘Allemagne de l‘Ouest à
la Communauté occidentale678. Pascaline Winand, surenchérit en expliquant l‘intention
d‘Eisenhower de réduire, par la même, le stationnement de troupes américaines sur le
continent européen, afin de limiter les dépenses considérables pour la défense de l‘Occident,
entrainées par la surenchère soviétique679.
Le soutien de la nouvelle administration des États-Unis pour l‘unification européenne était
décisif pour Monnet. Il pensait que Dulles et Eisenhower trouveraient là l'occasion d‘exprimer
leur soutien au mouvement européen, à travers la ratification de la CED. Expliquant pourquoi,
dès les débuts de l‘administration Eisenhower, Monnet déploya beaucoup d‘énergie à faire
pression auprès de ses amis américains, pour qu‘ils envoient des messages explicites en
faveur de la ratification de la CED, comme le remarque Acheson : « I thought that American
attitudes toward Europe would be solidified and that the danger of any change in American
attitudes, by reason of a change in administration next January, would be vastly lessened»680.
Monnet insistait également pour que les États-Unis ne prennent pas uniquement position en
faveur de la CED, mais mettent aussi l‘accent sur les réalisations de la CECA, la seule
communauté européenne fondée sur le principe de supranationalité. D‘autant que Monnet
voulait absolument éviter que les Américains se focalisent sur les débats autour de la réticence
française concernant la ratification de la CED.
Le crédit de Monnet, était la vraie source de son pouvoir. La confiance dont il bénéficiait
tant en Europe qu‘aux États-Unis était au service de son idéal européen d‘intégration. Sous
l‘administration Eisenhower, Monnet disposa d‘un réseau impressionnant de connaissances et
d‘amis. La « Société des Européens » s‘étendait bien au-delà du pouvoir politique, notamment
dans le milieu des affaires et de la presse. Aussi, dans son entreprise, Monnet put non
seulement compter sur Eisenhower, John Foster Dulles et son frère Allen, qui dirigeait la CIA,
Robert Bowie, qui dirigeait le Policy Planning Staff au Département d‘État, sur le sous-
678
Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les États-Unis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique »,
in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, op.cit., p.280
679
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.), ibid., p.262.
680
HST 3, Harry S Truman Library, Dean Acheson Papers, Memorandum of Conversation 5/52, (06.05.52)
240
secrétaire d‘État Walter Bedell aux États-Unis, mais aussi sur Bruce et Tomlinson et Stanley
Cleveland, John Mac Cloy et George Ball en Europe681.
Tous furent utiles à Monnet pour construire la CECA et la CED. Dans cette constellation
d‘hommes influents, une note spéciale est à attribuer à John Mac Cloy, dont le concours fut
décisif dans les négociations du CED, en convainquant Bonn de la nécessité d‘aboutir sur le
sujet, ou encore en organisant une rencontre entre Monnet et Eisenhower quant Monnet
rencontra des divergences d‘opinion avec le gouvernement américain au sujet de l‘armée
européenne de défense.
En particulier, David Bruce et William Tomlinson sont des exemples de ces contacts
transatlantiques qui caractérisent la collaboration de Monnet avec ses collaborateurs pour
l‘Europe. Du plan Marshall à la CED (1947-1954), Tomlinson et Bruce furent ses plus
proches amis américains. C‘est à cette époque que William Tomlinson, fonctionnaire de la
Trésorerie, et David Bruce, chef de la mission ECA à Paris et ambassadeur des États-Unis en
France, se joignirent au cercle d‘amis de Jean Monnet. Tomlinson et Bruce devinrent
rapidement amis.
David Bruce, un ami et un admirateur de Monnet, travailla étroitement avec lui lors de son
ambassade en France, en particulier au moment de la bataille pour la Communauté
européenne de défense. Nommé ambassadeur auprès de la Haute Autorité dès 1953, après
avoir représenté son pays à Paris et rempli les fonctions de secrétaire d‘État adjoint, David
Bruce contribuera beaucoup à cette entente. Il reste que son prestige, sa sympathie à l‘égard
de la France, sa compréhension des problèmes non américains constituèrent des éléments
décisifs. Jean Monnet aurait rarement un interlocuteur plus ouvert, plus amical, plus admiratif.
« c‘est toujours un plaisir de l‘entendre parler, notera-t-il dans son Journal le 21 octobre 1953,
après une rencontre avec Monnet. Sa prodigieuse mémoire, sa capacité d‘expression claire,
son réalisme et un don pour dégager l‘essentiel dans les problèmes compliqués est absolument
remarquable. Je n‘ai jamais rencontré quelqu‘un qui, en tant que planificateur et philosophe
politique, ait un aussi fertile esprit inventif. Si l‘Europe se fait un jour, elle lui devra
beaucoup »682.
681
Renata Dwan, « The European Defense Community and the Role of French-American Elite Relation, 19501954) in Michel Dumoulin (ed.), La Communauté Européenne de Défense, Leçons pour Demain?, P.I.E.-Peter
lang, 2000, pp.64.
682
Virgina Historical Society, Richmond (Virginia), D. Bruce Diary, (21.10.53), cité par Éric Roussel, Jean
Monnet, p.636.
241
En conclusion, la vision principale de Monnet pour de la défense était atlantique ; les
propositions économiques du Gouvernement français concernant les matières premières et le
financement se placèrent dans le même cadre. Monnet ne souhaitait pas de découplage entre
l‘Europe et les États-Unis. Face aux institutions européennes, le soutien du gouvernement
américain était acquis d‘avance. Comme nous l‘avons précisé en suivant les relations entre
Monnet et certaines élites américaines, les gouvernements Truman-Acheson et EisenhowerDulles ne cessèrent de soutenir le projet de Monnet. Ce qui était considérable car ces relations
permirent de continuer la coopération entre une nouvelle Europe et le gouvernement de
Washington et apportèrent le succès escompté par Monnet accordait.
242
Troisième Partie
Identité et conscience européennes pour ou contre la
Communauté Atlantique (1954-1963)
« European unity is only an important step toward the
final goal of Atlantic unity. European unity alone will
not solve Europe‘s economic and political problems ».
(William Clayton, en 1954)683
C‘est durant la période 1954 - 1963, qu‘un nouveau concept de «partenariat atlantique »
selon Jean Monnet surgit de ses réflexions avec les élites américaines, comme en témoigne J.
Robert Schaetzel, ancien Ambassadeur des États-Unis auprès de la CEE : « Au fur et à mesure
que ces institutions prenaient forme, Jean Monnet gardait constamment présentes à l‘esprit les
relations américano-européennes ; relations qui allaient devenir son projet atlantique de
“partnership” »684, Chez Monnet et les élites américaines, l‘idée d‘une identité atlantique
était associée à la prise de conscience de la nécessité de posséder une défense commune après
l‘échec de la CED, ainsi qu‘un système de commerce libre.
683
HST 28, Harry S Truman Library, Will Clayton Papers, Alpha File M 1954-1960, Letter (William Clayton to
Jean Monnet), (12.11.54)
684
J. Robert Schaetzel, « Jean Monnet », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, op.cit., p.483.
243
Les textes officiels ne mentionnaient que rarement le recours à la communauté
atlantique685. On le retrouve trois fois seulement dans les communiqués finaux des conseils de
l‘Atlantique nord, en 1951 (Ottawa), 1952 (Lisbonne) et 1956 (Paris). Par contre, les compterendus d‘entretiens de Jean Monnet et des élites américaines font fréquemment état de cette
communauté atlantique surtout à partir de 1952, tant dans les réflexions qu‘au travers de leurs
échanges.
Quand l‘échec de la CED fut établi, Monnet constata un lien étroit entre la Communauté à
Six (nations), l‘Angleterre et les États-Unis au travers de la CECA. Relation indispensable
d‘après lui, qui voit dans ces associations, un partenariat indispensable à leurs coexistences :
« It is most important for the High Authority to preserve its special supranational character in
the mode in which it deals with foreign governments. Experience with the association
between the United Kingdom and the high Authority has shown even closer diplomatic ties
with the United Kingdom would be desirable and one important feature of the new association
soon to be announced will be the establishment of a mission in London by the High
Authority »686.
Du côté américain, dans une lettre du 11 décembre 1954, William Clayton décela que
l‘unité européenne était un pas nécessaire vers l‘unité atlantisme : « European unity is only an
important step toward the final goal of Atlantic unity. European unity alone will not solve
Europe‘s economic and political problems »687.
Monnet pensait-il de même ? Croyait-il que l‘intégration européenne avait pour objectif
final un rapprochement voir une intégration atlantique ?
Nous nous proposerons d‘examiner les idées, les réflexions et perceptions, à la fois de
Monnet, et des élites américaines, sur la perspective d‘une intégration euro-atlantique. Ainsi,
l‘objet de cette troisième partie de notre recherche consiste à établir les niveaux de dialogues
entre Jean Monnet et l‘élite politique américaine, comme autant de liens ou de divergences
quant à la question d‘une intégration transatlantique.
685
Gérard Bossuat, « Communautés européennes, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed.), European Community, Atlantic Community?, Éditions
Soleb-Paris, 2008, p.217.
686
DDE 47, DDE Library, John Foster Dulles, Series-General Correspondence, Box 3 (File M ―4‖), Letter (Jean
Monnet to John F. Dulles), (19.10.54)
687
HST 28, Harry S Truman Library, Will Clayton Papers, Alpha File M 1954-1960, Letter (William Clayton to
Jean Monnet), (12.11.54)
244
Chapitre 8 : La solution atlantique : les coopérations
atlantiques (1954-1955)
Initié par Monnet, présenté par Pleven en Octobre 1950, puis adoptée et signé par le
gouvernement français en mai 1952, le projet d‘armée européenne fut définitivement rejeté
par l‘Assemblée nationale française le 30 août 1954. Ce fut un sévère camouflet pour Jean
Monnet et tous les partisans de l‘intégration européenne. Le 26 octobre 1954, R. CoudenhoveKalergi écrit à Monnet, en ces termes : « À l‘heure actuelle, l‘Europe est, sans aucun doute, à
un moment grave de son existence»688. Le rejet de la CED fut un choc, tant pour les partisans
de l‘intégration européenne que pour les Américains, même s‘ils l‘avaient un peu anticipé. De
plus, l‘épineux problème du réarmement allemand restait irrésolu. Les États-Unis qui ne
voulaient pas renoncer à l‘idée d‘un réarmement de la République fédérale d‘Allemagne, se
rabattirent sur une solution de rechange proposée par le gouvernement britannique :
l‘Allemagne de l‘Ouest deviendrait un membre à par entière de l‘OTAN. Face à l‘absence de
réelle solidarité entre Européens après le rejet de la CED, il apparaissait évident aux yeux des
Américains que seule, l‘OTAN pouvait répondre à l‘urgence de la menace soviétique. Aussi,
avait germé dans l‘esprit des Américains, l‘idée d‘une solution atlantique face à l‘échec de la
coordination et de l‘union continentale européenne. Peut-on, pour autant, imaginer que
l‘intégration atlantique serait désormais la seule garante de la pérennité et du développement
de l‘intégration européenne après le refus de la CED ? Américains et Français ont-ils le même
point de vue sur la question ? Envisagent-ils une finalité commune : l‘atlantisme comme
solution au défaut d‘Europe ?
688
FJME AMH 71/3/120 : Lettre de E. Westphal à R. Coudenhove-Kalergi,(26.10.54)
245
L’Atlantisme comme alternative à l’échec de la CED.
De nombreux documents anglo-américains attestent depuis août 1954 d‘une alternative à
la CED, imaginée par les dirigeants américains. Ils persistaient à vouloir faire entrer
l‘Allemagne dans l‘OTAN et restaurer la souveraineté allemande malgré l‘échec de la CED,
et cela en dépit de la désapprobation manifeste de la France. L‘hypothèse d‘une Communauté
atlantique intégrée avait été considérée au cas où la CED aurait été rejetée.
La première difficulté du projet atlantique était le problème allemand. Les discussions des
élites américaines s‘inscrivaient dans un contexte difficile compte tenu du veto français d‘une
restauration de la souveraineté allemande : « Appeared before the Planning Group at 3:30 and
talked of what might be done if EDC were not ratified. The immediate problem would be how
to restore sovereignty—at least partially—to Germany in the face of an almost certain French
veto »689. Et les réflexions concernaient particulièrement le réarmement de l‘Allemagne en
accord avec les Britanniques, avec ou sans le concours des Français en cas d‘échec de la
CED690. Le 9 juin 1954, la réunion des ambassadeurs américains691 concernant la CED
soulevait nombre de questions, d‘après la note de David Bruce, ambassadeur américain à
Paris : « What are the chances of action by the French Parliament on EDC before the Summer
recess? What might be done to obtain action before recess? If the recess occurs without a vote
having been taken: what might be done to obtain consideration by the Parliament in the
autumn on EDC? How can Germany and our other allies be kept moderately satisfied in the
face of inevitable discouragement? The same applies to U.S. public, Congressional and
Administration opinion. What, if any, acceptable alternatives to EDC exist? None of those
present could think of a good one »692.
Au cours des conversations concernant la sécurité de l‘Europe et la CED, le sujet le plus
préoccupant était immanquablement « l‘Allemagne » et son intégration. Dans quelle structure
689
Le journal de David Bruce, (21.05.54)
En ce qui concerne les discussions entre les politiques américaines au sein de la CED et de l‘alternative à
CED, voir les journaux de David Bruce à l‘époque de 1954.
691
« The ambassadors‘ meeting started at 10: 30 this morning at the Embassy with Livy Merchant Presiding.
Messrs. Aldrich, Kidd from Washington, Martin, Gordon, Tomlinson, Butterworth, Conant and myself were
present. Dillon arrived an hour later, having come over by plane this morning. We plunged into a consideration
of what might be done about EDC.» Le journal de David Bruce, (09.06.54)
692
Le journal de David Bruce, (10.06.54)
690
246
internationale devait-on l‘intégrer ? David Bruce nota les détails de cette discussion complexe
du 20 mai 1954 avec Mac Arthur et Robert Bowie : « At present, Germany is not a partner
(except in the Council of Europe) in the international bodies where problems of the free world
are brought under joint scrutiny. Since Germany‘s admission to NATO is not a present
practicability, we might consider an informal relationship between the countries above
enumerated. If the EDC should come into being, an arrangement could easily be made
whereby the Foreign Ministers of the six countries, or their Deputies, could periodically meet,
with the addition of their colleagues from the U.S., U.K. and Canada. The same would apply
if an European Political Community were eventually formed. But since the EDC is not an
actuality, I suggest thought be given to having ad hoc meetings between the Foreign Ministers
(or their Deputies) to discuss, under cover of the necessity of examining the status of EDC—
as provided in the Paris Treaty—the problems of European policy. The first such meeting
should be held this summer »693. Ainsi, pour les États-Unis, la CED était perçue comme une
solution du véritable dilemme concernant le problème allemand et son l‘adhésion à part
entière à l‘Europe, au lendemain de la guerre. Cependant, l‘objectif prioritaire des Américains
en Europe était la menace soviétique. Aussi, en dépit des conflits et des tensions au sein de la
communauté des six, renforcer l‘Europe occidentale économiquement et militairement était la
priorité absolue.
Alors, dans le but de sauver l‘Alliance et de faire participer l‘Allemagne à la défense du
continent, les États-Unis devaient préparer un pacte spécifique et alternatif à la CED dans
l‘éventualité de son rejet : « Had a long talk with Foster about the nature of Alliances,
reappraisal of policies, etc. Continued this with Bowie and lunchtime, and afterwards during a
walk along the Potomac. Things are in a terrible tangle—our allies weak and undecided,
ourselves subjected to divers pressures. Listening in as I am doing is instructive and
stimulating; the issues involved are of a magnitude and complexity quite frightened. I shall
attempt to make some notes for Bob Bowie on possible lines of action and organization to
unite the Western nations more effectively »694. Le vote français concernant la CED était
scruté et suivie avec inquiétude par les États-Unis. La CED signifiait l‘intégration de
l‘Allemagne à l‘Europe sur un plan politique, économique et militaire. Aussi, le soutien au
projet français de la CED, de 1950 à 1954, avait-il un intérêt considérable pour les États-Unis.
693
694
Le journal de David Bruce, (20.05.54), voir document annexe10.
Le journal de David Bruce,(18.05.54)
247
David Bruce commente cet intérêt en ces termes : « I believe that we can no longer delay the
full political, economic, and military association of the Federal Republic with the Western
nations without risk of setting in motion developments opposed to the basic security interest
of our two nations»695. Les États-Unis s‘attendaient à un échec avant même les résultats du
vote français concernant la CED.
Ainsi, l‘intégration européenne vue des États-Unis, c‘était une intégration de tout le
continent européen dont l‘adhésion de l‘Allemagne afin de garantir la sécurité du continent.
C‘est pourquoi l‘adoption de la CED était si importante pour les Américains. John Foster
Dulles, l‘un des Américains les plus soucieux de l‘unité européenne, surveilla avec grand
intérêt ce mouvement (CED) et défendit ardemment une communauté politique européenne à
six, tant économiquement que militairement. David Bruce, ami de Monnet, fervent partisan de
l‘intégration européenne, fondait également de grands espoirs dans la CED. Il l‘écrivit dans
son journal du 16 juin 1954: « In April of this year, after consultation with leaders of both
Houses of the United States Congress, I made a statement of the political and military policies
of the United States as a signatory of the North Atlantic Treaty. These assurances afforded at
the request of your Government are conditional upon the coming into effect of the EDC
Treaty. My Government has a particularly interest, therefore, in the intentions of the French
Government, because of it concern regarding its present overall policies with regard to Europe
and the possible necessity of bring about some alteration in those policies »696.
Toutefois, dans l‘éventualité d‘un échec, un groupe anglo-américains se réunit à Londres
afin d‘élaborer une alternative à la CED : l‘adhésion de l‘Allemagne à l‘OTAN. Bien sûr,
Bruce s‘y opposa car les visées développées par l‘OTAN étaient trop éloignées de l‘idéologie
qui avait prévalu à la constitution de la CED : « I stated we were firmly opposed to any new
negotiation and would to insist that new French government bring EDC to vote before
summer. I said we would consider any refusal by French Government to act on EDC until
now negotiations had been held as being practically equivalent of EDC »697.
Dans le journal du 10 juillet 1954, il manifesta son inquiétude quant à ce groupe angloaméricain car la rencontre entre Eisenhower et Churchill risquait d‘être interprétée comme
une opposition à la CED, sachant que la Grande-Bretagne avait fait obstacle à son
695
Le journal de David Bruce, (16.06.54)
Le journal de David Bruce, (16.06.54)
697
Le journal de David Bruce, (17.06.54)
696
248
développement, préférant nettement le renforcement de l‘OTAN : «Tommy and I are worried
over the ratiocination of the Anglo-American working group in London, which is devising a
program to separate the contractual from the EDC. The British manifest a tendency to regard
the alternative the EDC as German membership in NATO with discriminations applied to
Federal Republic »698.
La position du gouvernement Churchill-Eden699 était claire, selon le rapport de David
Bruce : « Prospective meeting of the President with Churchill is being interpreted by EDC
opposition as evidence that U.K. have written off possibility of ratification by France and will
be discussed ‗alternatives‘ to EDC. This is strengthened by generally supposed prefer
Churchill for German rearmament through NATO »700. De son côté, Eisenhower était
persuadé que l‘Europe avait besoin de la contribution allemande pour sa défense. Et les ÉtatsUnis se demandaient, comment ils pourraient réarmer l‘Allemagne face au veto français.
Etait-il possible d‘envisager sérieusement la construction européenne sans la France ? Les
Américains étaient conscients de la méfiance française. Cependant, en dépit de cette réalité,
ils songeaient à la contribution allemande pour sa défense. Le compte rendu de David Bruce à
propos du communiqué de la rencontre entre Eisenhower et Churchill en juin 1954, le
réaffirme : « President Eisenhower and Prime Minister Churchill reviewed the question of a
German military contribution to the defense of the NATO nation against potential aggression
as well as the problem of the relief of the German Federal Republic from occupation
status »701. Selon ce rapport Eisenhower et Churchill étaient en accord sur le fait que : « la
contribution militaire de l‘Allemagne était nécessaire pour protéger la sécurité des peuples
libres et assurer la paix, en outre la République fédérale d'Allemagne devait être admise à la
société des nations occidentales »702. Et l‘adhésion de l‘Allemagne à l‘OTAN semblait avoir
déjà été envisagée avant même le résultat du vote français concernant la CED en 1954. Aussi,
l‘échec de la CED fut pressenti avant sa publication. David Bruce s‘opposa vigoureusement à
ces décisions qu‘il jugeait prématurées et tenta de persuader le gouvernement américain
d‘attendre le vote final de la ratification de la CED avant d‘explorer d‘autres pistes, d‘après
un télégramme de juillet 1954 : « If approached, suggest we reply that we are awaiting French
698
Le journal de David Bruce, (10.07.54)
Victor Gavin, « What kind of Europe within the Atlantic Community? Britain and the European Defense
Community 1950-1954 », in Gérard Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith, (ed.), op.cit., pp.141-149.
700
Le journal de David Bruce,(17.06.54)
701
Le journal de David Bruce,(21.06.54)
702
Le journal de David Bruce, (21.06.54)
699
249
Parliamentary action on EDC, which we support; that if EDC is not ratified we shall have to
reexamine our policies in the light of the new situation; that the London talks dealt only with
one urgent aspect of the problem and in no sense proposed an ‗alternative solution‘ ; and that
we do not wish to enter into any discussions on the subject until we know where France
stands on EDC. This is in line with attitude Benelux and Federal Republic have taken
concerning any discussions of ‗alternatives‘ or changes in EDC Treaty »703.
Par ailleurs, sur l‘échiquier international de l‘époque, l‘incapacité de la France à pouvoir
prendre la place de meneur de cette politique d‘intégration européenne accentua encore la
nécessité d‘une alternative à la CED. Les États-Unis et le Royaume-Uni commençaient à
estimer que la France ne serait pas capable d‘être le leader de la politique européenne à cause
de la faiblesse et de l‘instabilité de sa politique. David Bruce s‘inquiéta du danger venant de
l‘influence croissante du Royaume-Uni sur les décisions politiques des États-Unis : « Dined
tonight at Foster‘s. Vice-President Nixon, Allen Dulles, Livy Merchant, Doug MacArthur,
Bob Bowie, Dick Bissel, Dean Rusk, Bob Murphy, and Bob Cutler were there. We had a long
and interesting review of the current international situation. Some drastic policies were
suggested for dealing with the Indo-China affair. The British came in for considerable
criticism the French for scorn because of their political weakness and instability. […] I feel
worried that our Government is on the verge of momentous decisions »704.
Les Français voulaient éviter d‘être isolés mais perdaient l‘initiative. La France craignait
de voir l‘Allemagne fédérale devenir l‘alliée privilégiée des États-Unis. Donc, il lui fallait une
solution alternative pour ne pas être confrontée à la création d‘une armée nationale allemande
et perdre sa place dans les relations internationales. C‘est dans ce climat tendu en France que,
Mendès-France pensa à un élargissement de l‘Union occidentale et s‘en ouvrit à Anthony
Eden. Mendès-France le rejoignit alors sur l‘alternative proposée par les Britanniques :
l‘adhésion de l‘Allemagne de l‘Ouest à l‘OTAN. Lors de la discussion du 18 juin 1954 entre
Bruce, Tomlinson, De Staercke, Rothschild, Spaak, la position de Mendès-France fut
évoquée : « He said Spaak was very disturbed that US-UK agreement on contractual was
being interpreted as ‗alternative solution to EDC, and feared that EDC opponents and even
Mendès-France himself might see acceptance US-UK proposal as way to avoid choice with
703
704
Le journal de David Bruce, (16.07.54)
Le journal de David Bruce, (16.05.54)
250
which U.S., U.K., Benelux and Germany had finally faced the France---accept EDC in its
present form or incur unknown hence fearful consequences »705.
Anthony Eden pensait que « Comme la France, raconte Pierre Gerbet, n‘était plus mesure
de prendre l‘initiative ; c‘était à l‘Angleterre de jouer »706. Les idées d‘Anthony Eden,
ministre des Affaires étrangères, étaient claires. Comme l‘avait averti Churchill : «Le soidisant plan Pleven affecte des questions fondamentales de souveraineté […]. Il ne permet pas
à des armées nationales d‘exister. Son but, au moins dans l‘esprit des Français et des Italiens,
est d‘ouvrir la voie au fédéralisme»707. Il tenta de jouer le rôle d‘arbitre sur le continent et d‘y
faire prévaloir une politique de coopération présentée comme une formule de rechange à
l‘armée européenne. Mendès-France et Anthony Eden songeaient à utiliser le traité de
Bruxelles afin de fournir aux voisins de l‘Allemagne réarmée, des garanties qui ne fussent pas
discriminatoires à l‘égard de celle-ci. Ce qui permettrait d‘encadrer le réarmement allemand
ainsi que l‘entrée de cette dernière dans l‘OTAN, comme un membre de plein droit à l‘instar
des
autres
alliés708.
C‘est-à-dire,
organisé
sur
le
modèle
de
la
coopération
intergouvernementale. L‘Union étendue à sept membres constituerait un pôle européen de
défense où Londres jouerait un rôle prépondérant sans les contraintes d‘un système intégré,
fédéral. Les Britanniques atteignirent leur objectif d‘une communauté de défense atlantique.
Ainsi, la relation privilégiée avec Washington fut préservé et l‘avenir de l'Allemagne fut enfin
réglé. Par ailleurs, la Grande-Bretagne réussit à garder ses distances par rapport aux projets de
réorganisation de l'Europe menée par le Plan Schuman709. De toutes les manières, comme
l‘explique Pierre Gerbet, il s‘agissait bien d‘une solution atlantique à façade européenne 710
Les trois points essentiels figuraient bien à la conférence de Paris, le 23 octobre 1954.
D‘abord, le rétablissement de la souveraineté de la République fédérale d‘Allemagne. Ensuite,
l‘élargissement du pacte de Bruxelles et la création d‘une Union de l‘Europe occidentale.
Ainsi, le pacte de Bruxelles élargi était transformé en une nouvelle organisation : l‘Union de
l‘Europe occidentale. Enfin, l‘entrée de l‘Allemagne fédérale à l‘OTAN, sur un pied d‘égalité
avec les autres pays était prévue. Ainsi, l‘Allemagne aura une armée nationale, mais celle-ci
705
Le journal de David Bruce, (16.07.54)
Pierre Gerbet, op.cit., p.181.
707
PROFO 800 777. Avon Papers, 1er décembre 1951, Lettre d‘A. Eden à W. Churchill, cité par Éric Roussel,
Jean Monnet, p.652
708
Pierre Gerbet, op.cit., p.184.
709
Victor Gavin, « What kind of Europe within the Atlantic Community? Britain and the European Defence
Community 1950-1954 », in Gérard Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith, (ed.), op.cit., pp.155.
710
Pierre Gerbet, op.cit., p.184.
706
251
ne pourra pas agir de manière autonome ; elle sera intégrée dans le dispositif allié du Pacte
Atlantique711.
Le rejet de la CED était consommé et simultanément un très puissant mouvement antimendésiste américain se développa comme l‘atteste une lettre du 15 août 1954 de David
Bruce destinée à Philippe Graham : « Mendès-France presented yesterday his program for
consideration at Brussels. It is quite terrible. As André de Staercke terms it, ―The French have
massacred European unity and are sending the corpse to firm and see what may transpire. I
am going up to Bonn tomorrow night to see Adenauer; who is, I am certain, discouraged to
the last degree by this chauvinistic document »712.
Il envoya aussi un télégramme à Washington pour déconseiller au gouvernement
américain d‘apporter son appui à Mendès-France : « I believe it would be most unwise for
United States to accept suggestion of Mendès-France that a representative of United States
take part in scheduled conversation with Churchill. »713
John Foster Dulles s‘opposa fermement à l‘idée de Mendès-France. Il conclut d‘ailleurs
son compte-rendu sur la tentative de Mendès-France d‘avoir une Allemagne neutralisée. Or,
cette perspective était inacceptable pour le gouvernement américain : « Implication of
Mendès-France‘s position as outlined to you are equal serious. It would undermine very basis
of Franco-American relations and future NATO alliance. His position seems to me to amount
to this: That France is prepared to abandon EDC if Soviets will agree to unify Germany by
free election. This can only mean that France is prepared to agree to neutralize Germany as
for unification: A neutralized Germany will completely destroy NATO defense »714. Il
considérait que Mendès-France tentait de sacrifier la sécurité occidentale en se servant de
l‘unification allemande proposée par les soviétiques. L'Allemagne unifiée et devenue neutre,
l‘OTAN deviendrait inefficace, fragilisant la sécurité européenne face à la menace soviétique.
Cette politique était inacceptable pour les Américains. Une lettre de Dulles du 13 août 1954
destinée à Dillon, ambassadeur américain à Londres expliquait fermement son opposition :
« You also know our firm conviction that the attempt to neutralize unified Germany will be
illusory and seriously menace stability and security. This thesis has been keystone of Western
711
Pierre Gerbet, ibid., pp.184-185.
Le journal de David Bruce, (15.08.54) [lettre de David Bruce à Phil Graham]
713
Le journal de David Bruce, (21.08.54)
714
Le journal de David Bruce, (13.08.54) [note de John Foster Dulles à Dillon]
712
252
policy. Mendès-France proposal would split basic Western position and solidarity; thereby
providing Soviets with opportunity they have sought for years »715.
David Bruce partageait l‘opinion de John Foster Dulles quant à la tentative de Mendés
France. Il la trouvait très négative et craignait pour la paix en Europe : « If Mendès-France
makes his intended statement about talks with Soviets; it suggests vain and dangerous hope
that ‗peace‘ in Europe will arrive without German rearmament »716.
Ainsi, les Américains en désaccord avec l‘intention de Mendès-France, refusèrent de lui
accorder leur soutien dans son entreprise, quand celui-ci les sollicita, prétextant préférer une
organisation européenne supranationale de la défense (CED) : « Any changes in the EDC
Treaty which seriously impair or indefinitely postpone its supranational and integrative
features strike at the basic concept of European unity; which in my judgment is the best and
last hope of Europe, and should therefore be avoided »717.
Lors de son entretien avec Mendès-France le 21 août 1954, David Bruce réaffirma cette
position des États-Unis, en répondant que le président Eisenhower était pour l‘établissement
d‘institutions fédérales et qu‘il approuvait pleinement la CED : «I spoke of the deep
convictions of President Eisenhower on the desirability of institutions of federal nature on the
Continent, and the processes of reasoning that had induced the President to give wholehearted support to EDC »718.
En conclusion, beaucoup d‘alternatives à la CED furent envisagées bien avant qu‘elle soit
rejetée par l‘Assemblée nationale française, tant dans les pays anglo-saxons qu‘en France. Ils
partageaient tous le même point de vue, à savoir la nécessité d‘intégrer l‘Allemagne à
l‘OTAN : le point de vue de l‘Atlantisme. Cependant les Français et les Américains ne
visaient pas exactement la même chose au niveau de l‘Atlantisme, à savoir une solution de
rechange dans l‘éventualité d‘un l‘échec de la CED. Washington cherchait d‘abord un moyen
de faire intégrer la RFA dans la communauté atlantique alors que Paris tâchait de jouer un
rôle influent dans les relations internationales en réfléchissant à la façon de gérer le
réarmement allemand.
715
Le journal de David Bruce, (13.08.54) [note de John Foster Dulles à Dillon]
Le journal de David Bruce,(26.08.54)
717
Le journal de David Bruce,(21.08.54) [télégramme de John Foster Dulles à David Bruce pour transmettre à
Mendès France]
718
Le journal de David Bruce, (21.08.54)
716
253
L’Atlantisme pour l’intégration européenne, selon Monnet
Pour bien comprendre ce que Monnet avait en tête concernant l‘Atlantisme, il est
nécessaire de comparer ses idées avec celles des autres élites dirigeantes afin de connaître les
points de ressemblance et de divergence :
Lorsque Dean Acheson, le secrétaire d‘État américain, en avril 1950, adressa à Paris une
note invitant le gouvernement français à préciser sa position sur l‘intégration de l‘Allemagne
occidentale à l‘Europe, ce fut l‘occasion d‘introduire l‘Atlantisme. C‘est dans ce contexte que
le souci de l‘Alliance atlantique fut partagé par les autres responsables du Quai d‘Orsay.
D‘après Philippe Vial, en France « […] l‘effervescence atlantiste caractérise à cette époque
les cercles dirigeants français. Pleven était déjà au cœur de ce mouvement, tout comme
Monnet »719.
Un des atlantistes français, George Bidault, président du conseil, chercha une solution
davantage sur le plan atlantique que sur le plan européen. Comme le dit Pierre Gerbet, «il était
plus atlantiste qu‘européen»720. Dans un discours prononcé à Lyon, le 16 avril 1950, il
préconisa la création d‘un Haut Conseil atlantique pour la paix, restreint aux grandes
puissances et chargé de coordonner les efforts des États-Unis et de l‘Europe, sur le plan de la
défense, de l‘économie et, peut-être plus tard, de la politique721. Il s‘agissait d‘une sorte de
directoire capable de définir et mettre en œuvre la politique menée par l‘Alliance atlantique.
Dans cette Alliance atlantique, la France pourrait, au sein de ce directoire, jouer un rôle très
important, ce qui lui aurait donné davantage de poids dans les décisions à prendre à l‘égard de
l‘Europe et à l‘égard de l‘Allemagne722. Selon l‘explication de Gérard Bossuat : « Il paraît
faire le choix de l‘unité organique du monde atlantique et de la création d‘un état-major de la
guerre froide […] Il tentait de projeter la France dans une coopération privilégiée avec les
719
Pierre Guillen, « La France et la question de la défense de l‘Europe occidentale, du Pacte Bruxelles (mars
1948) au Plan Pleven (octobre 1950) », in Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et des conflits
contemporains 144 (1986), pp.89-98, cité par Philippe Vial, « De la surenchère atlantiste à l‘option européenne :
Monnet et les problèmes du réarmement occidental durant l‘été », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la
dir.), op.cit., p.322.
720
Pierre Gerbet, op.cit., p.110
721
Cornelia Constantin, «―Bidault l‘Atlantiste et Schuman l‘Européen‖: éléments d‘explication d‘une
mythologie politique », in Gérard Bossuat, Valérie Aubourg, et Giles Scott-Smith (ed.), op.cit., 2008. P.117.
722
Ibid.
254
États-Unis et la Grande-Bretagne»723. David Bruce, ambassadeur américain à Paris, conclut la
même chose dans son compte-rendu quant à l‘initiative de Bidault : « In short, his trial
balloon was an effort to call the attention of his people to the possibility, provided that it met
with the favor of his country‘s partners, of giving efficacy to the Atlantic Treaty concept »724.
Cependant, les réactions furent très peu favorables. Les partisans de l‘Europe unie
estimaient que ce serait diluer l‘Europe en voie de formation dans un ensemble atlantique trop
vaste. La proposition de George Bidault leur paraissait être une fusion entre l‘OCDE et
l‘OTAN. Le discours de Bidault fut interprété à Washington comme un pas vers une
communauté atlantique. Mais les États-Unis, de leur côté, se montraient très peu disposés à
aliéner leur liberté d‘action au profit d‘une sorte d‘état-major de la guerre froide, doté de
pouvoirs de décision : « Since his speech at Lyon, he has not had an opportunity of judge
what the reaction at home and abroad has been to his proposal. We do not wish it to be in any
way embarrassing to the governments of either Great Britain or the U.S. »725
La proposition de George Bidault tomba finalement à plat. Elle ne fut pas reprise par la
conférence atlantique de Londres de mai 1950 qui se contenta de créer le Conseil des
suppléants, pour donner au Pacte atlantique une continuité de direction, les suppléants devant
siéger dans l‘intervalle des sessions du Conseil atlantique réunissant les ministres. Mais il
n‘était pas question de créer un directoire. L‘initiative de George Bidault pour tenter de
reprendre en main l‘orientation de l‘évolution diplomatique n‘avait donc pas réussi726.
À la même période, Robert Schuman, au Quai d‘Orsay, aboutit à la même conclusion.
Cependant il différait de George Bidault dans le sens où celui-ci ne voulait pas diluer l‘OCDE
dans l‘OTAN pour ne pas faire entrer l‘Allemagne dans l‘OTAN par ce moyen, et ne pas
gêner la neutralité de certains des membres de l‘organisation économique727.
Modeste et discret mais réaliste et tenace, Robert Schuman avait fait au lendemain de la
Libération une carrière gouvernementale rapide. Ministre des Frances en juin 1946, il devint
président du Conseil en novembre 1947 et donna la preuve de sa fermeté de caractère en
faisant face aux grèves insurrectionnelles déclenchées par les communistes contre le plan
723
Gérard Bossuat, « Communautés européennes, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed.), ibid., pp.221-222.
724
Le journal de David Bruce, (22.04.50)
725
Le journal de David Bruce, (22.04.50)
726
Pierre Gerbet, op.cit., p.110.
727
Gérard Bossuat, « Communautés européennes, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed), op.cit., p.222.
255
Marshall. Le 27 juillet 1948, il succéda au Quai d‘Orsay à Georges Bidault, son collègue et
rival du MRP.728Comme un homme de frontière qui voulait en finir une fois pour toutes avec
la rivalité franco-allemande, il pensait à une réconciliation franco-allemande dans le cadre
d‘une Europe unie. Il était persuadé que la contrainte ne pourrait être indéfiniment imposée à
un grand pays, et que la meilleure façon de faire renaître le nationalisme allemand était de
refuser l‘égalité des droits729. Schuman était particulièrement conscient de cette
responsabilité.
Schuman proposa même « une association entre l‘Europe groupée sur le plan économique
au sein de l‘OCDE et les pays d‘Amérique du Nord ». Il voulait donc inclure l‘Angleterre
dans l‘Europe occidentale et articuler les deux rives de l‘Atlantique dans une association
économique. À cet égard, « tout en étant atlantiste, raconte Gérard Bossuat, Schuman pouvait
endosser sans difficulté un plan qui renforçait l‘unité des Européens de l‘Ouest »730. Comme
Raymond Poidevin l‘indique, Schuman était tout aussi atlantiste que Bidault, puisqu‘il
comptait sur l‘aide des États-Unis pour le redressement économique de la France et la
poursuite de la guerre d‘Indochine731.
Jean Monnet n‘était pas resté en retrait de ce mouvement atlantiste français. Comme
beaucoup de ses contemporains, il voyait la guerre froide comme la première étape vers un
vrai conflit. Pour que la paix soit maintenue, il fallait, à ses yeux, une solidarité occidentale
autour des États-Unis. On peut trouver sans difficulté ses explications sur l‘organisation
atlantique dans les projets européens. Les archives, en particulier, liées à l‘armée européenne,
conservées à Lausanne732, indiquent clairement que Monnet tentait de renforcer
considérablement l‘organisation atlantique. Dans une réflexion au printemps en 1950, il
démontre que : «Nous passons graduellement de la phase de l‘organisation de l‘Europe avec
l‘assistance des États-Unis, dont les instruments étaient le Plan Marshall, le Pacte à cinq,
728
Pierre Gerbet, op.cit., p.110.
Pierre Gerbet, ibid.
730
Gérard Bossuat, « Communautés européennes, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed), op.cit., p.222.
731
Cornelia Constantin, « ―Bidault l‘Atlantiste et Schuman l‘Européen‖ : éléments d‘explication d‘une
mythologie politique », in Gérard Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed), ibid., p.117.
732
Sur ses visions atlantiques relatives à l‘armée européenne, voir FJME AMI 4/3/4 : Lettre de Jean Monnet à
René Pleven.(23.08.50) ; FJME AMI 4/3/6 : Lettre de Jean Monnet à René Pleven, (03.09.50).
729
256
Strasbourg, à une organisation dite ―atlantique‖ dont l‘objet est d‘inclure les forces
économiques et militaires des États-Unis dans ce groupement »733.
Il parlait dans cette note d‘un « groupement atlantique »734 comprenant l‘Europe de
l‘Ouest, la Grande Bretagne, les États-Unis et les Dominions britanniques. Monnet soutenait
toujours l‘idée d‘une réunion des trois mondes formulés à la veille du lancement de la
construction communautaire du charbon et de l‘acier. Cette orientation dura toute l‘année
1950. En juillet, il réaffirma que la Fédération européenne risquait d‘entraver le
développement de l‘union atlantique, dans un commentaire au The Times : «The idea is that a
European Federation would obstruct the possible development of an Atlantic Union but why
an Atlantic Union could not embrace the United States, the British Commonwealth and an
European Federation even more easily than the European nations separately is not
explained»735.
Cette volonté de renforcer l‘intégration atlantique se cristallisa au moment où le
déclenchement de la guerre de Corée vint à bouleverser la donne internationale : « Pour ce qui
est de ―contenir le communisme‖, les méthodes ―atlantiques‖ actuelles en Asie, sont les
meilleures pour l‘y impacter définitivement : le mouvement actuel en Asie est asiatique. Il est
contre les étrangers, quels qu‘ils soient, Américains, Européens, ou Russes. Les Russes l‘ont
compris et habilement encouragent toutes les occasions qui opposeront militairement les
Asiatiques et les ―Atlantiques‖. En même temps, seul à aider ce mouvement ―asiatique‖ de
libération, ils en profitent pour lui donner forme et direction communiste. En face d‘une telle
réalité, de l‘expérience de Corée, des ressources humaines inépuisables de l‘Asie, comment
pouvons-nous espérer faire aboutir notre effort militaire en Indochine? »736
Dans la même note il explicita encore plus en résumant à René Pleven son projet
politique : « Je ne vous propose ni un abandon de nous-mêmes dans une neutralité illusoire,
[…] Je vous propose d‘apporter à nos associés la contribution d‘une pensée forte,
constructive, déterminée à créer en même temps notre défense extérieure en Europe, notre
développement social intérieur, la paix en Orient, la constitution organisée de notre monde
733
FJME AMG 5/1/4 : Réflexions à la veille des consultations entre les gouvernements des États-Unis, de la
Grande Bretagne et de la France de Jean Monnet, (03.05.50)
734
FJME AMG 5/1/4 : Réflexions à la veille des consultations entre les gouvernements des États-Unis, de la
Grande Bretagne et de la France de Jean Monnet, (03.05.50)
735
FJME AMG 5/6/2 : Jean Monnet‘s comments on the editorial in the Times of July 14 on Western Union.
(14.07.50)
736
FJME AMI 4/3/6 : Lettre de Jean Monnet à René Pleven, (03.09.50)
257
libre atlantique sous les formes diversifiées qui correspondent aux trois mondes qui la
composent : les États-Unis, l‘Empire Britannique, l‘Europe continentale de l‘Ouest, fédérés
autour d‘un Plan Schuman développé »737.
Ce qui est remarquable ici, c‘est que Monnet définit les Américains comme des
« associés », des partenaires importants. Monnet souhaitait un lien spécial d‘associés entre
l‘Europe et les États-Unis. Toutefois, il ne souhaitait pas que l‘Europe joue un jour un rôle
déterminant dans la tension et conflit entre les blocs. Certes, Monnet espérait une Europe
puissante et indépendante mais pas au point que l‘Europe unie puisse rester neutre entre les
blocs. Il refusait de construire une Europe en tant que troisième force. Il soulignait toujours la
solidarité entre les États-Unis et l‘Europe unie.
Selon Philippe Vial, « Monnet ne voit dans les Américains que des associés, partenaires
indispensables s‘il en est, mais qu‘il faut traiter avec le détachement ordinaire du monde des
affaires […] il entend régler ainsi l‘ensemble des problèmes, qu‘il s‘agisse de la guerre
d‘Indochine ou du réarmement en Europe, dont le coût - leitmotiv chez Monnet - ne doit pas
mettre en danger les équilibres sociaux et économiques, quelles que soient les pressions
américaines en faveur d‘effort de défense accrue »738.
Ainsi, une volonté affirmée de coopération atlantique pour la sécurité européenne est
présente chez Jean Monnet. Mieux, il est intimement convaincu que l‘ensemble des
problèmes liés à la sécurité européenne ne peut être réglé qu‘au travers des États-Unis,
particulièrement la question du réarmement allemand qu‘il souhaiterait traiter dans le cadre
d‘une d‘organisation fédérale de la défense atlantique. Concernant la CED, Monnet voulait
mettre les forces européennes intégrées sous le commandant suprême de l‘OTAN, les deux
entités coopérant étroitement (article 5). En outre, l‘OTAN assumerait toutes les
responsabilités d‘organisation et d‘équipement de la CED tandis que le commandant suprême
atlantique exercerait « les pleins pouvoirs et les responsabilités » en temps de guerre (article
18)739. La défense européenne intégrée n‘a jamais eu pour ambition, aux yeux de Monnet, de
737
FJME AMI 4/3/6 : Lettre de Jean Monnet à René Pleven, (03.09.50)
Philippe Vial, « De la surenchère atlantiste à l‘option européenne : Monnet et les problèmes du réarmement
occidental durant l‘été », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p.324
739
« Traité instituant la Communauté européenne de défense », La vérité sur l’armée européenne, Paris :
Hachette, 1954, 136&140, cité par Hungdah Su, op.cit., p.286.
738
258
remplacer l‘OTAN, voire la présence américaine sur le continent ; bien au contraire, l‘armée
européenne constituant une unité complémentaire au sein de la défense atlantique740.
Mais dès lors que la CED fut rejetée, Monnet afficha deux démarches intellectuelles
différentes : la construction européenne, d‘une part, et l‘Alliance atlantique intégrée, d‘autre
part. Cette démarche réflexive relevait du pragmatisme : il fallait d‘un côté, construire une
entente franco-allemande générale qui garantirait les privilèges français, qui prendrait la
forme d‘une fédération européenne, et de l‘autre, une alliance atlantique traitant toutes les
nations sur un pied d‘égalité, pour la défense européenne, comme le montre cette lettre de
Monnet à l‘attention de la Haute Autorité Européenne dans le cadre de la CECA : « It is most
important for the High Authority to preserve its special supranational character in the mode in
which it deals with foreign governments. Experience with the association between the United
Kingdom and the high Authority has shown even closer diplomatic ties with the United
Kingdom would be desirable and one important feature of the new association soon to be
announced will be the establishment of a mission in London by the High Authority »741.
En somme, l‘idée de Monnet de fin 1954 à début 1955, comportait deux niveaux de
fonctionnement : une communauté européenne fédérale à l‘échelon européen et une
communauté atlantique englobant la communauté européenne et les États-Unis, à l‘échelon
mondial. La raison profonde de cette réflexion est claire, pour Monnet, cette articulation
permet non seulement de créer une coopération privilégiée entre une nouvelle Europe et les
États-Unis, mais aussi de permettre le prolongement de la construction européenne. Dans
cette perspective, l‘exigence américaine d‘une stricte subordination sur le plan stratégique de
la CED à l‘Alliance atlantique, ne lui posait aucun problème. Monnet était atlantiste mais à
condition de devenir européen d‘abord : « La coopération sur un pied d‘égalité des États-Unis
avec l‘Europe divisée et morcelée, notais je dans ma lettre au chancelier, est impossible. Elle
est possible seulement parce que la France et l‘Allemagne unies ont commencé à créer une
vaste entité européenne et la perspective d‘une sorte de seconde Amérique […] l‘Amérique
s‘engagera avec l‘Europe dans la mesure où, l‘union européenne se faisant, la Communauté
740
Hungdah Su, ibid., p. 287.
DDE 47, DDE Library, John Foster Dulles, Series-General Correspondence, Box 3 (File M ―4‖), Letter (Jean
Monnet to John Foster Dulles), (19.10. 54)
741
259
européenne contribuera efficacement à régler les problèmes mondiaux : par exemple, à l‘aide
aux pays sous-développés, à la stabilité monétaire de l‘Ouest »742.
D‘un certain point de vue, l‘Atlantisme de Jean Monnet est assez proche de la conception
d‘ une « association économique » de Robert Schuman. Ainsi, malgré quelques divergences,
les trois hommes se rejoignent sur le point essentiel : la nécessite d‘une aide américaine pour
la sécurité européenne. Tous les hommes en charge du gouvernement seraient donc
atlantistes ; pour Bidault, une intégration atlantique totale pourvu que la France participe au
triumvirat de direction ; alors que Schuman et Monnet préféraient une structure en deux
pôles : un Plan Schuman pour l‘aspect économique et politique et une haute autorité
européenne de défense pour la sécurité. En outre, Monnet prudent et pragmatique, envisageait
sans hésitation un cadre atlantique pour se prémunir de toute limitation nationaliste afin de
donner au collectif toute l‘efficacité nécessaire à la réalisation de ce projet.
Dans une perspective de total partenariat entre l‘Europe et les États-Unis, la conception de
l‘atlantisme de Robert Bowie, directeur du Policy planning staff, est à rapprocher de celle de
Monnet : « L‘UEO et la Communauté des Six pourraient continuer de se transformer en
associations plus étroites dans le cadre général de la communauté Atlantique »743. Cependant,
Bowie mettait davantage l‘accent sur l‘importance de l‘OTAN, en faisant de cette structure le
centre de gravité du monde atlantique, un centre de coopération politique et militaire, non
seulement entre les États-Unis et l‘Europe mais également entre les pays européens, un outil
d‘intégration global. Malgré son enthousiasme, Bowie était pleinement conscient du paradoxe
de cette position par rapport à l‘intégration européenne des six nations, relancée avec les
accords de Messine. Aussi, il recommandait, avant de prétendre à la constitution d‘une
communauté atlantique omnipotente, de renforcer le pilier européen en encourageant le
processus d‘intégration à travers la coopération franco-allemande744. Ainsi, bien qu‘il
demeure une divergence d‘opinion quant à la constitution d‘une structure européenne distincte
au sein de l‘ensemble atlantique pour Monnet et non pour Bowie, tous deux se rejoignaient
sur l‘essentiel : que la Communauté atlantique serait l‘opportunité de développer encore
l‘intégration européenne, c‘est-à-dire plus d‘Europe dans l‘atlantisme.
742
Jean Monnet, Mémoires, p.694.
Gérard Bossuat, « Communautés européennes, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed.),op.cit., pp.225-226.
744
Gérard Bossuat, « Communautés européennes, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed.), ibid., p.222.
743
260
L’Atlantisme peut-il sauver la construction européenne ?
Le 30 août 1954, jour du rejet de la Communauté Européenne de Défense par l‘Assemblée
Nationale française, fut une journée aussi noire pour Monnet que pour les élites américaines
européistes. L‘échec de la CED eut de graves conséquences sur l‘intégration européenne
ultérieure. Surtout, ce fut la fin de la voie supranationale. Le terme « supranational », qui avait
été délibérément souligné dans les traités de la CECA et de la CED, risquait désormais de
susciter moins d‘intérêt et de disparaître au final. En France, on parla de moins en moins
d‘«intégration européenne » expression qui laissait place à celle de « construction
européenne », plus neutre.
Face à cette situation difficile, Monnet était face à trois choix : 1. se retirer de la scène
euro-atlantique; 2. rester président de la Haute Autorité, tout en essayant de consolider la
première Communauté en attendant le moment de relancer la construction européenne; 3.
quitter la Haute Autorité sans abandonner sa carrière européenne. Finalement, il opta pour ce
dernier choix.
Cependant Monnet pensait qu‘il « fallait en quelque sorte profiter de la défaite » pour
relancer l‘intégration européenne car, pour lui, « il n‘y avait pas de catastrophe »745. Dans un
même temps, il chercha à sauver l‘esprit de l‘intégration européenne : « Jean Monnet came to
my house early this afternoon […] He may then resign in order to free himself from his
international personality and have complete liberty to express himself on French policy. He
thinks that European idea is not dead and will revive when it is realized the alternative to it for
German rearmament are neither practicable nor desirable »746.
Pour Dulles et Bruce, le rejet de la CED par la France fut vécu comme un échec personnel,
doublé d‘une profonde et quasi-irrémédiable déception à l‘égard d‘une France, incapable de
tenir son rang à l‘été 1954. David Bruce, représentant américain auprès de la CECA, finit par
démissionner au grand regret de Dulles et de Monnet : « David Bruce has informed me that he
must terminate his role as the United States representative in Europe for matters of European
745
746
FJME AML 313/1/113
Le journal de David Bruce, (31.08.54), voir document annexe12.
261
unity as the end of this year. My colleagues and I regret his decision. We understand the
circumstances giving rise to it, but it is unfortunate that we must lose him at this juncture
when the governments in Europe seem to be, for the moment, turning back to reliance on the
national solutions of the past »747.
Monnet fut profondément peiné de la décision de David Bruce de rentrer aux États-Unis
en janvier 1955. En effet, il avait eu conscience du risque d‘échec avant même les résultats du
vote français concernant la CED, ce qu‘impliquait le remplacement de David Bruce, en tant
que représentant des États-Unis au sein de la CECA. D‘emblée, Monnet désigna un nouveau
candidat américain, Tomlinson. Il le proposa à John Foster Dulles : « Tomlinson‘s
appointment would be most welcome to myself, to Steel and to the High Authority, and I am
sure, it would be appreciated as well by the Europe in Länders interested in the success of the
Community »748. Une représentation américaine au sein de la CECA symbolisait selon
Monnet l‘engagement des États-Unis en faveur d‘une construction supranationale de
l‘Europe. Aussi avait-il besoin d‘assurer le soutien durable et solide de Washington pour
réussir l‘intégration européenne sur une base supranationale : « The establishment of separate
representation by your administration to deal on matters of coal and steel was a most helpful
act in demonstrating that the European people in exercising a part of their sovereignty through
central political institutions would have the support of the people of the United States »749.
Face aux arrangements de nature intergouvernementale du plan Eden qui visait à instaurer
des rapports organiques entre le conseil de l‘Europe et les communautés spécialisées : CECA,
CED, et celles à venir750, le support et l‘appui des Américains, pour Monnet, étaient,
vraisemblablement, indispensables. Il sentit son idée de supranationalité en grand danger,
menacée par l‘initiative anglaise de confédérations, un empilement de nations, exempt de
supranationalité et donc de solidarité profonde. Une telle coopération était pour lui synonyme
747
DDE 47, DDE Library, John Foster Dulles, Series-General Correspondence, Box 3 (File M ―4‖), Letter (Jean
Monnet to John Foster Dulles), (19.10. 54)
748
DDE 47, DDE Library, John Foster Dulles, Series-General Correspondence, Box 3 (File M ―4‖), Letter (Jean
Monnet to John Foster Dulles), (19.10. 54)
749
DDE 47, DDE Library, John Foster Dulles, Series-General Correspondence, Box 3 (File M ―4‖), Letter (Jean
Monnet to John Foster Dulles), (19.10. 54)
750
Pierre Gerbet, op.cit., p.164. Ainsi, le conseil de l‘Europe serait le cadre de toutes les activités européennes,
permettrait la liaison entre les Six et les autres. Le Comité des ministres du Conseil de l‘Europe, l‘Assemblée
consultative et le Secrétariat deviendraient ceux de la CECA et de la CED, ce qui donnerait aux membres du
Conseil de l‘Europe et particulièrement aux Britanniques un contrôle sur les activités des Six. Pierre Gerbet,
ibid., pp.164-165.
262
de solution nationale, laquelle provoquerait le nationalisme et conduirait au conflit. Donc,
Monnet était contre le plan d‘Eden.
Anthony Éden profita de l‘échec du 30 août, pour rendre publique une solution de
rechange évoquée à mot couverts, depuis plusieurs mois à Washington et à Londres : la mise
en place d‘une alliance militaire de type classique susceptible d‘offrir un cadre pour le
réarmement de l‘Allemagne. Le schéma proposé par Éden avait d‘autant plus de chances
d‘aboutir qu‘il n‘existait guère d‘alternative sérieuse. En outre, Washington était satisfait de
voir surgir une proposition qui permettait de résoudre dans l‘immédiat le problème du
réarmement allemand751.
Monnet considérait cet accord inacceptable. Pour lui, il était inconcevable de sacrifier
l‘unité européenne sur l‘autel d‘un plan Éden, construit uniquement pour assurer le
réarmement de l‘Allemagne. Précisément une coopération intergouvernementale sans
engagement réel de ces derniers. Déjà, il évoquait la possibilité de sa démission afin d‘avoir
plus de liberté pour s‘opposer au plan Eden. La décision de Monnet de ne pas solliciter le
renouvellement de son mandat de président de la Haute Autorité Européenne au Luxembourg,
rendue publique le 9 novembre 1954, était essentiellement motivée par la tournure des
événements concernant la coopération européenne après le 30 août 1954 752..
Compte tenu des événements, Dulles était réticent à accéder à la requête de Monnet pour
le remplacement de David Bruce par Tomlinson. Dulles écrivit à Monnet que l‘administration
américaine tentait de fusionner la représentation américaine auprès de la CECA avec celles
d‘autres organisations à caractère intergouvernemental telles que l‘OTAN ou l‘OECE753.
Finalement, après le départ de David Bruce en janvier 1955 son poste ne fut pas pourvu,
sonnant un arrêt temporaire de l‘intérêt des États-Unis pour l'unification européenne.
L‘hésitation de Dulles de conserver une mission américaine séparée de la CED, indiquait
une difficulté de compréhension de l‘approche supranationale par les États-Unis. Washington
oscilla-t-il entre Monnet et Eden, entre une approche fédéraliste et une approche
intergouvernementale de l‘intégration européenne ? Soutenir le plan Schuman mais appliquer
un plan d‘Eden?
751
Éric Roussel, Jean Monnet, p.676.
À ce sujet, voir le journal de David Bruce, (05.10.54) ; (09.11.54) ; (11.11.54)
753
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet » in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.),op.cit., p.265.
752
263
Concrètement, après l‘échec de la CED, Eisenhower et Dulles arrivés au pourvoir en 1952,
avaient tenté de préserver l‘esprit bi-partisan dans leurs politiques étrangères, en maintenant
de nombreux cadres de l‘administration précédente à des postes d‘influence. Toutefois, le
nouveau gouvernement républicain d‘Eisenhower était sensiblement moins favorable à
l‘Europe que le précédent. Par exemple, face aux réticences françaises à ratifier la CED, bâtir
une structure européenne n‘était plus une urgence pour les Américains, si le problème du
réarmement allemand était réglé par l‘intégration de l‘Allemagne à l‘OTAN. En revanche, il
était urgent de trouver une solution à la progression politique soviétique : en l‘absence de
réelle solidarité entre Européens, le danger pour les Américains était, de voir les Français et
les Anglais succomber aux propositions soviétiques754 de neutralisme du continent. Aussi, il
était prioritaire pour l‘Administrative Eisenhower-Dulles, de trouver rapidement une
alternative à l‘échec de la CED, et c‘était le réarmement immédiat de l‘Allemagne de l‘ouest,
afin d‘éloigner le spectre d‘une réunification de l‘Allemagne proposée par l‘URSS. D‘autre
part, accepter une Allemagne neutre représentait une perte d‘influence des États-Unis sur
l‘Europe, d‘autant que la CECA, doterait l‘Europe d‘un puissant outil de concurrence
économique, qui renforcerait encore son indépendance politique et économique, la faisant
apparaître comme une « troisième force » mondiale potentielle, capable d‘interférer voir de
peser sur la politique des blocs et la Guerre froide. L‘échec de la CED fit apparaître aux yeux
des Américains, l‘urgence d‘un règlement du problème allemand. Aussi, l‘alternative d‘une
coopération intergouvernementale, soutenue par les Britanniques tombait à point nommé.
Cependant, cette voie de la confédération européenne était à l‘opposé de la conception de
Monnet, d‘une Europe intégrée. Ainsi, choisir l‘unité continentale c‘était choisir qu‘elle se
fasse en dehors des Anglais, eu égard à leur profonde aversion d‘une quelconque perte de
souveraineté et l‘acceptation d‘obligations 755 accrues par rapport aux pays européens.
John Foster Dulles était hostile à cette vision de l‘Europe. Cependant, il l‘était également à
la perspective d‘une Allemagne réunifiée, indépendante et neutre. Pour les Américains, se
posait un dilemme entre le surarmement dangereux de l‘Europe dans le cadre de la politique
des blocs, qui mènerait vers une escalade des tensions aboutissant à d‘éventuels conflits
754
En ce qui concerne cette préoccupation américaine, voire le journal de David Bruce, (13.08.54) : le journal de
David Bruce, (21.08.54).
755
Nicolas Vaicbourdt, « Les ambitions américaines pour l‘Europe, 1945-1960 »,in Gérard Bossuat et Nicolas
Vaicbourdt, op.cit., p.41. Le soutien de Kennan aux thèses soviétiques de neutralisation du centre de l‘Europe fut
très sérieusement repris par Fuller et discuté au sein du conseil de Sécurité Nationale, à la fin de l‘année 1956.
Ibid.
264
armés, d‘un côté ; et de l‘autre, le souhait d‘un projet à long terme d‘une Europe unie, un
partenariat atlantique stable et prospère, mais dont les membres sont, en réalité, incapables de
coopérer entre eux, tant leurs égoïsmes nationaux sont manifestes. Et l‘exemple cuisant fut le
rejet de la CED : « À cette époque, raconte Pascaline Winand, l‘administration américaine
était aux prises avec la tâche difficile de définir ce qu‘on entend par l‘intégration
européenne »756. Toutefois, les réalités prenant le pas sur l‘idéologie, pour les Américains, le
processus européen devait être davantage un moyen dans le contexte de Guerre froide qu‘une
fin en soi. Aussi, le projet d‘une armée européenne constituait, à leurs yeux, une étape
essentielle vers la réalisation d‘une vraie union européenne. Les États-Unis attendaient
beaucoup de la ratification du traité de la Communauté européenne de Défense, comme
l‘atteste David Bruce : « It is evident that the rejection by the French National Assembly of
the EDC Treaty would constitute the greatest diplomatic triumph ever achieved by the USSR.
In Russia, as well as in the iron curtain countries, and amongst the Communist parties of other
nations, including the Soviet-controlled Communist delegation in the French National
Assembly, the cardinal principle of Soviet policy has been, for some years, to prevent the
coming into being of an European Defense Community which would include armed forces
contributed by the German Federal Republic »757.
Conformément à l‘explication de Gérard Bossuat, « le soutien des États-Unis pour l‘idée
française de la CED est lié à une perception aiguë des intérêts du monde libre, comme on
disait alors. Mais en même temps le Département d‘État exprimait fort bien la conscience que
le plan Marshall avait été un programme préparé par les Européens, tandis que le programme
militaire avait été imposé par les USA qui ne tenaient pas assez compte des capacités
européennes. La CED pouvait dans cette optique être la structure européenne utile pour
élaborer pratiquement le réarmement européen occidental »758.
Malheureusement, la CED était morte. L‘échec de la CED a été particulièrement
douloureux pour l‘Administration Eisenhower car elle fut considérée non seulement comme
l‘échec de la stratégie pour l‘Europe mais aussi, d‘une certaine manière, une victoire pour les
soviétiques, compte tenu de l‘incapacité des alliés à endiguer activement l‘URSS : « This is a
756
Pascaline Winand, « de l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet » in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.), op.cit., p.266.
757
Le journal de David Bruce, (27.08.54), voir document annexe 11.
758
Gérard Bossuat, « Les représentations de l‘unité européenne chez Jean Monnet et ses interlocuteurs
américains de 1948-1969 », in Robert Frank (sous la dir.), op.cit., p. 118.
265
development that marks the greatest post-war triumph for Soviet policy, which made the
destruction of the European Defense Community one of its main objectives in order to wean
Germany from the West and open the road to a further Communist advance in Europe. There
is no doubt that it could have, in Secretary Dulles‘ words, the most ‗serious
consequences‘»759.
Aussi, les États-Unis furent obligés de réexaminer leur politique européenne initiale le
déploiement de l‘OTAN en Europe. Dans le journal de David Bruce, l‘auteur relate cet
événement760 comme une «révision déchirante» de la politique américaine : « But the same
development is also a heavy blow to American policy in Europe. This policy, in keeping with
NATO Council decisions, called not only for a German contribution to Western defense but
also for European unification to eliminate any possibility of future war between France and
Germany as an essential condition of Western defense and the security of our troops in
Europe. The action of the French National Assembly, which destroys the basis of this policy,
now releases the United States and Britain from all pledges regarding the stationing of troops
on the Continent and may, indeed, lead to the ‗agonizing reappraisal‘ of both American policy
and NATO troop dispositions Mr. Dulles has foreshadowed »761.
De son côté, Dulles était également, depuis le début intimement persuadé de l‘importance
du projet CED. La création d‘une armée européenne représentait, d‘après lui, la meilleure
réponse au problème central du continent en permettant de mettre un terme à l‘affrontement
séculaire franco-allemand, qui avait conduit la civilisation européenne au bord du gouffre.
Opinion intimement partagée par Monnet concernant l‘unification européenne762. Dulles avait
défendu farouchement la CED car il pensait que la réintégration de l‘Allemagne dans le cadre
de l‘OTAN n‘apporterait que peu de garanties futures, dans la mesure où l‘OTAN n‘était ellemême qu‘une structure conjoncturelle, dont la viabilité était liée à la perception contraignante
de la menace de l‘Armée rouge. Il opposait l‘impact politique d‘une réconciliation qui
dépassait le cadre étroit et conjoncturel de la menace soviétique763. D‘après lui, pour que la
greffe européenne prenne, il fallait un vaste projet politique, insufflant une âme qu‘aucune
construction économique quelle que soit son ampleur ne parviendrait à générer. Aussi,
759
Le journal de David Bruce, (01.09.54)
Le journal de David Bruce, (01.09.54)
761
Le journal de David Bruce, (01.09.54)
762
John Foster Dulles, op.cit., pp.220-223.
763
Memo Dulles to Eisenhower, (06.11.1953) FRUS, 1952-1954, 2, p.458,
760
266
soulignait-il que tout l‘intérêt de la CED était de créer une Communauté politique
européenne.
Monnet pensait de même : l‘intégration politique devrait précéder l‘intégration militaire.
Dans une lettre destinée à René Mayer, le 10 février 1953, il soulignait que « le projet
d‘Armée européenne n‘avait pas de sens à lui tout seul s‘il n‘était pas considéré comme une
partie de l‘édifice que nous nous efforçons de construire et dont la Communauté politique est
une étape essentielle »764. Mais ici s‘arrêtait les similitudes entre Dulles et Monnet, car pour le
reste, les priorités respectives et fondamentales relatives à l‘intégration européenne n‘étaient
pas les mêmes. Pour Dulles, l‘unité européenne était un moyen privilégié de lutter contre
l‘expansionnisme soviétique ; alors que pour Monnet, elle était le pivot central d‘un système
dont l‘objectif était l‘équilibre du monde. Cette opinion fut confirmée dans une interview au
Monde du 14 juin 1955 : « […] Les États-Unis et l‘Union soviétique se développent à un
rythme plus rapide que le nôtre. Les pays de l‘Europe occidentale sont aujourd‘hui des alliés
protégés et assistés que se disputent les États-Unis et l‘Union soviétique. Si les Américains et
les Russes font des progrès plus rapides, ce n‘est pas parce qu‘ils ont une capacité
d‘invention, de travail ou d‘organisation supérieure à celle des Européens. Les Européens ont
des capacités au moins égales. C‘est parce que le développement des États-Unis et de l‘Union
soviétique, si les régimes sont différents, est à l‘échelle de tout un continent. Au contraire, les
efforts, les ressources, les recherches et les marchés des pays européens restent séparés. Pour
que les Européens puissent contribuer au maintien de la paix et améliorer leur niveau de vie
dans les conditions d‘aujourd‘hui, il faut, pendant qu‘il est temps encore, unir ce qui est
divisé. C‘est pourquoi il est si important que les objectifs que les ministres se sont fixés à
Messine deviennent une réalité »765.
À travers les divergences entre Monnet et Dulles suite à cet échec, nous pouvons voir que
les objectifs que Monnet et Dulles souhaitaient atteindre avec la CED, n‘étaient pas en
résonance. Ici, se pose la question principale de ce chapitre : l‘Atlantisme sauve-t-il du déclin
l‘intégration européenne causé par la mort de la CED ?
En considérant certains points de vue, on peut se rendre compte que cette solution
atlantique, empêchait peut-être, de renoncer à l‘intégration dans le contexte difficile d‘après
l‘échec de la CED, même si elles plaçaient les Européens sous le contrôle des Américains.
764
765
Lettre de Monnet à René Mayer, (10.02.53), cité par Éric Roussel, Jean Monnet, p.656.
FJME AMI 65/2/11 : Interview de Jean Monnet au Monde, (Publication : mercredi 15 juin) (14.06.55)
267
Selon Gérard Bossuat, cette communauté atlantique garantissait les États-Unis contre le risque
de voir naître en Europe une troisième force neutraliste. La solution d‘une communauté
atlantique des peuples libres était donc dans l‘air comme une alternative à l‘échec de l‘union
des Six, et au risque d‘une neutralité inacceptable pour les États-Unis766.
Toutefois, elle était incapable d‘offrir une solution fondamentale pour que l‘Europe se
sorte des difficultés générées par les réticences de la France. Comme Bruce le remarquait, il
était raisonnable d‘avoir une solution dans le cadre européen. Bruce insistait sur le fait que la
solution européenne en terme de réarmement allemand était politiquement applicable : « The
German see no present solution to the issue of their rearmament except the eventual revival of
the EDC Treaty, or something like it. All solutions fall into two general categories. A.
Complete freedom to Federal republic to have a national army and general staff, which would
not be sanctioned by the French Parliament, nor perhaps by the British Parliament, and would
be contrary to the Chancellor‘s own wishes. B. Discriminations against German forces.
Adenauer would agree to certain self-imposed discrimination, but not, he thinks, enough to
satisfy the French. Therefore, a ―European‖ solution is the only politically practicable
one »767.
C‘est dans cette atmosphère déliquescente que Monnet proposa un nouvel état d‘esprit, en
relançant l‘intégration européenne à travers la création d‘un Comité d‘Action pour les ÉtatsUnis d‘Europe. Le moment était venu de sauter le pas selon lui : « L‘heure est décisive. Il
s‘agit de savoir si nous allons vers les États-Unis d‘Europe ou si nous retournons à la Société
des Nations »768.
La relance de Messine, au début de juin 1955, suscita une sorte de vigilance joyeuse.
Messine faisait revivre l‘espoir d‘une intégration européenne avec abandon de souveraineté.
La conférence de Messine fut perçue par les États-Unis comme une opportunité à saisir pour
l‘intégration, bien que sur le moment, les Américains n‘avait pas été convaincus de la chose.
Mais peu après celle-ci, le Comité d‘Action pour les États-Unis d‘Europe reçut un accueil
enthousiaste aux États-Unis, comme le rappelle Henry Kissinger, ancien secrétaire d‘État des
États-Unis, à Éric Roussel : « Vu d‘Amérique, le comité Monnet était très important. Car on
766
Gérard Bossuat, « Communautés européennes, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed.), op.cit., pp.225-226.
767
Le journal de David Bruce, (04.09.54)
768
FJME AMI 65/2/11 : Interview de Jean Monnet au Monde, (Publication : mercredi 15 juin). (14.06.55)
268
savait que ce que disaient Jean Monnet et ses amis étaient pris en considération à
Washington »769.
Eisenhower salua même cette initiative : « Mr. Samuel Waugh brought back to
Washington for me a copy of your book, ―Les États-Unis d‘Europe ont commencé.‖ I am
delighted to have it and more than grateful for your kind inscription »770.
Après la Conférence de Messine, Dulles dit à Adenauer à quel point il regrettait que son
ami Monnet ne soit plus en mesure d‘apporter son concours à la construction européenne. Il
était cependant heureux de reprendre sa collaboration avec le Comité d‘Action771.
Félix Frankfurter encouragea, lui aussi, la décision de Monnet concernant le Comité
d‘Action pour les États-Unis d‘Europe : « I wish I could tell you adequately how much I
rejoice that you have again taken the field in order to make Western Europe adjust itself
effectively to meet the actualities that confront it772 […] You are acting on deep wisdom, if I
may say so, in trying to organize the powerful forces in the various countries with a view to
bringing pressure upon their governments rather than expecting governments, i.e., a few
leaders on top, to have the courage in taking the lead to supplant out-mode habits and feelings
by rational arrangements in harmony with the needs of the times […] »773.
Tous étaient enthousiastes et soutenaient Monnet dans son entreprise. Les opinions étaient
tellement favorables qu‘Eisenhower accéda enfin à la demande de Monnet d‘établir une
mission américaine indépendante de la CECA. Ainsi, dès la fin 1955, l‘administration
Eisenhower aboutit naturellement à la conclusion, ceci en grande partie grâce aux constants
efforts de Monnet et des Européistes américains, que l‘approche supranationale des six pays
de la CECA devrait être préférée aux « arrangements coopératifs », tels que l‘OCDE ou
l‘UEO qui ne demandaient pas de transferts de souveraineté en faveur d‘une autorité
supranationale comme la Haute Autorité de la CECA774.
769
Témoignage du Dr Henry Kissinger à Éric Roussel, New York, 25, octobre 1991.
FJME AMK C/23/3/253 : Lettre de Dwight D. Eisenhower à Jean Monnet, (01.07..55)
771
Pascaline Winand, « De l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet » in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.), op.cit., p.266.
772
FJME AMK C 23/4/27 : lettre de Félix Frankfurter (Supreme Court of the United States) à Jean Monnet,
(19.10.55)
773
FJME AMK C 23/4/27 : lettre de Félix Frankfurter (Supreme Court of the United States) à Jean Monnet,
(19.10.55)
774
FRUS 1955-57, vol. 4, Memorandum prepared in the Office of European Regional Affairs, Washington,
(06.12.55), p. 358, cit., in Pascaline Winand, « de l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet » in Gérard Bossuat
et Andreas Wilkens (sous la dir.), op.cit., p. 266.
770
269
Dans cette entreprise, l‘influence de Monnet et celle du nouveau président de la Haute
Autorité, René Mayer, furent déterminantes pour surmonter les hésitations de Dulles et de son
entourage. Juste avant la Conférence de Messine, le Département d'État et des représentants
des États-Unis pensaient que l‘Europe fédérale semblait être le chemin naturel de l‘unité. Au
mois d‘octobre 1955, Eisenhower prit enfin la décision d‘établir une mission américaine
permanente indépendante de la CECA. En 1956, Walton Butterworth succéda à David Bruce
en tant que représentant de la CECA, avec rang d'ambassadeur.
« À cette époque, raconte Pascaline Winant , la relance européenne est en bonne voie et
Monnet, même s‘il n‘est plus président de la Haute Autorité, a repris son bâton de pèlerin
européen non seulement en inspirant une partie de la relance, mais aussi en créant son Comité
d‘Action pour les États-Unis d‘Europe, dont il annonce fièrement la naissance le 13 octobre
1955 c‘est-à-dire à la même époque où Eisenhower accepte enfin à la demande de Monnet
d‘établir une Mission américaine séparée de la CECA »775.
En conclusion, comme nous l‘avons remarqué dans ce chapitre, à cette époque, l‘intérêt
des États-Unis et celui de l‘Europe occidentale pour le plan Schuman (CECA) n‘était pas
égal. L‘unité de l‘Europe occidentale n‘était plus la priorité des États-Unis. En outre,
« l‘approche supranationale » fit surgir un désaccord profond et manifeste entre Monnet et
Dulles. Divergence qui, du reste était rare entre les deux hommes. Dans ces circonstances de
crise après l‘échec de la CED, il était urgent de trouver une solution concrète. Aussi, si la
communauté atlantique (OTAN) fut perçue, au départ, comme une solution pour enrayer
l‘expansion soviétique en Europe (due à une neutralité potentielle de l‘Europe face à la
politique des blocs), très vite elle apparut limitée. Aussi, la création du Comité d‘Action pour
l‘Europe offrait aux Américains la perspective d‘une intégration européenne à long terme,
fondée sur le principe de supranationalité, garantissant une implication directe et importante
des nations engagées. Enfin, le dernier mérite du Comité d‘action sera de permettre de
rassembler des personnes, à l‘origine, divisés sur CED ; comme l‘écrit J. Van Helmont à
George Ball : « […] people who were divided about the E.D.C. in the past are now uniting for
the future on concrete achievements toward a United States of Europe »776.
775
Pascaline Winand, « de l‘usage de l‘Amérique par Jean Monnet » in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens
(sous la dir.), op.cit., pp.265-266.
776
FJME AMK C 23/1/62 : Lettre de J.Van Helmont à George Ball (15.10.55)
270
Chapitre 9 : L’Atlantisme dans les institutions européennes
(1956-1958)
L‘action du comité Monnet auprès des responsables politiques autant en France qu‘aux
États-Unis portèrent leurs fruits. Aussi les conditions générales de la relance de la
construction européenne devinrent favorables : le gouvernement américain était des plus
enthousiastes concernant la relance de Messine, bien que le milieu des affaires américains
nourrissait de profondes inquiétudes vis-à-vis du Marché commun européen. Mais les
responsables gouvernementaux estimaient que les considérations économiques devaient
passer après l‘intérêt politique d‘une Europe unie. Pour Euratom, les Américains étaient
favorables à une communauté nucléaire européenne parce que celle-ci était prévue à usage
uniquement pacifique777.
Dans ces circonstances, la « relance » s‘effectua avec une rapidité et une ampleur
inattendue, aboutissant en moins de deux ans à la signature par les Six du traité de Rome, en
1957. Ce traité permit d‘instituer une communauté économique européenne (CEE) et une
communauté européenne pour l‘énergie atomique (EURATOM). L‘utilisation en commun de
l‘énergie nucléaire et le Marché commun ont redéfini les liens entre la communauté
européenne et les États-Unis.
777
Pierre Gerbet, op.cit., p.211.
271
La coopération atlantique pour la recherche atomique : collaboration
entre Jean Monnet, Max Isenberg et Robert Schaetzel.
Cette section a pour objectif de nous éclairer sur le rôle de Jean Monnet dans la création
d‘Euratom, cela, à travers ses relations avec ses amis américains impliqués dans le processus
politique et diplomatique de relance européenne : plus précisément, nous chercherons, tout au
long de cette partie, à identifier les origines et les objectifs du plan Monnet pour la
communauté atomique.
Après le rejet d‘une armée européenne et l‘abandon de la Communauté politique, la voie
de l‘Europe militaire était fermée ainsi que celle de d‘une Europe politique. Aussi, fallait-il
rétablir, en premier lieu, l‘esprit d‘une intégration européenne. Pour cela, il fallait revenir à
une méthode plus fonctionnelle que structurelle, en se focalisant sur une intégration
économique, certes moins ambitieuse sur le plan institutionnel, mais opérationnelle et
pragmatique, sans toutefois renoncer définitivement à des objectifs lointains d‘unification
européenne complète. Dans cette perspective pragmatique de l‘intégration européenne, Jean
Monnet, encore une fois, prit l‘initiative, avec ses proches et les dirigeants du Benelux : ce fut
son programme d‘intégration européenne sectorielle.
Avec le concours de P. H. Spaak, il retint plusieurs domaines afin d‘imposer une relance.
Entre la fin de l‘année 1954 et le début de 1955, Jean Monnet envisagea un nouveau moyen
d‘entreprendre la relance de l‘intégration européenne, en recherchant des domaines et des
secteurs d‘activités susceptibles de prolonger les acquis de la CECA, l‘unique institution
existante et fonctionnelle à cette époque. Ainsi, son objectif était d‘élargir les attributions de
la CECA, notamment au transport et à l‘énergie, en évitant de provoquer trop de résistances.
Dans ses Mémoires, il dit : « La Haute autorité était là, solide, elle n‘avait pas fini de servir.
Puisqu‘il nous semblait alors prudent de rester dans le cadre de la C.E.C.A. ; quitte à l‘élargir,
et en tout cas de ne pas nous éloigner trop de ce modèle qui avait fait ses preuves et auquel on
était habitué, les domaines d‘extension se dessinaient d‘eux-mêmes »778. D‘après Pierre
778
Jean Monnet, Mémoires, p.589.
272
Gerbet, cette considération était un point de vue assez largement partagé. Dès le mois de
septembre, les administrations économiques belges et néerlandaises étudiaient un projet
d‘élargissement de la CECA à d‘autres secteurs que l‘intégration charbon-acier779.
Monnet, quant à lui, s‘il était précurseur dans la volonté d‘élargir les compétences de la
CECA, semblait toutefois rétif à l‘idée d‘inclure dans la CECA, l‘énergie nucléaire. Il
semblait qu‘à ses yeux, l‘atome avait son importance propre et qu‘à l‘évidence, la ressource
nucléaire serait incontournable pour l‘avenir de l‘Europe : « Nous en savons déjà assez pour
voir, que ce que les pays européens pourront faire dans l‘avenir, va dépendre de ce qu‘ils font
maintenant pour développer l‘énergie atomique à des fins pacifiques »780
Pour Monnet, le nucléaire cesserait rapidement d‘être le monopole des trois grandes
puissances de l‘époque- les États-Unis, l‘U.R.S.S. et la Grande-Bretagne - pour être à la
portée des nations européennes781. Cependant, le problème à ses yeux, était le retard
considérable des pays européens dans ce domaine. Aussi, lui paraissait-il évident qu‘un effort
européen commun était nécessaire si l‘Europe ne souhaitait pas décliner dans cette
technologie avant même de l‘avoir maîtrisée : « si chacun reste isolé, le retard du continent
risque de s‘aggraver avec des conséquences d‘autant plus graves que les développements
atomiques ne commandent pas seulement les ressources en énergie dont nous disposerons,
mais également l‘évolution de la plupart des techniques industrielles »782.
De son côté, Washington était persuadé que l‘Union soviétique réussirait à combler
rapidement son retard en la matière. Aussi, jugeait-il nécessaire la modification de la loi Mac
Mahon783 (protection des connaissances liées à l‘atome) afin de lever le secret sur l‘utilisation
pacifique de l‘énergie atomique, tant en Amérique qu‘ailleurs. L‘utilisation pacifique de
l‘atome était pour Monnet un projet d‘une portée symbolique et une ambition considérable
pour la construction européenne : « l‘Europe d‘aujourd‘hui », « il y a assez longtemps, Lénine
a dit : ―Le Communisme, c‘est les Soviets plus l‘électrification‖. Aujourd‘hui l‘Europe, c‘est
779
Pierre Gerbet, op.cit., p.192.
FJME AMI 65/2/11 : Interview de Jean Monnet au ―Monde‖ (Publication : mercredi 15 juin, (14.06.55)
781
Le président Eisenhower lança-t-il en décembre 1953 son projet Atoms for Peace au cours d‘un discours
prononcé devant les Nation unies. Cette proposition aboutira en 1957 à la création, sous l‘égide de l‘ONU, de
l‘Agence internationale pour l‘énergie atomique de Vienne, chargée d‘en contrôler l‘utilisation pacifique. Pierre
Gerbet, op.cit., pp.192-193.
782
FJME AMI 65/2/11 : Interview de Jean Monnet au “Monde” (Publication : mercredi 15 juin, (14.06.55)
783
Loi américaine votée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et punissant de mort toute divulgation à
une puissance étrangère, même en temps de paix, des connaissances américaines dans le domaine de l‘énergie
atomique.
780
273
un pouvoir fédéral plus l‘utilisation pacifique de l‘énergie atomique »784. Car l‘énergie
atomique permettait d‘une part, l‘émergence de l‘Europe sur la scène politique internationale,
et d‘autre part, la création d‘une activité nouvelle à fort potentiel économique tout en rendant
possible l‘accès à l‘indépendance énergétique de l‘Europe. Pour toutes ces raisons, Monnet
considérait capital le projet nucléaire civil européen. Aussi, était-il «particulièrement intéressé
à la négociation d‘Euratom, à laquelle il donnait la priorité sur celle du Marché Commun. Les
perspectives de développement de l‘énergie atomique, raconte Émile Noël, le fascinaient »785.
À l‘opposé, le Marché commun général le séduisait beaucoup moins. Monnet était
sceptique à l‘égard d‘une libération complète des échanges commerciaux entre pays membres
de l‘union européenne (comme nous le verrons dans la section suivante). Il lui semblait, en
effet, l‘entreprise trop vaste et trop complexe pour permettre la délégation des pouvoirs des
différents gouvernements à une autorité européenne commune. Mais le nucléaire, chantier
encore vierge, lui semblait être un facteur important de convergence stratégique et
économique pour l‘Europe de demain. C‘est pourquoi Jean Monnet donna priorité au projet
Euratom sur tout autre projet, et notamment sur le Marché Commun.
La Communauté européenne de l‘énergie nucléaire offrait à ses yeux, nombre
d‘avantages, notamment la possibilité de surveiller le développement stratégique de
l‘Allemagne. En effet, une mise en commun de la recherche atomique, permettrait à la France
de prévenir les risques éventuels d‘un développement hors de contrôle de l‘industrie atomique
allemande, eu égard à sa capacité industrielle et technologique. Aussi, l‘idée d‘une utilisation
commune de l‘énergie atomique permettrait d‘écarter cette éventualité786. Euratom était né.
Toutefois, cette structure fut le résultat de l‘étroite collaboration entre Jean Monnet et deux
personnalités de l‘élite américaine : Max Isenberg et John Robert Schaetzel.
EURATOM : la naissance d’une idée, Max Isenberg
Le 13 octobre 1955, Jean Monnet créa le Comité d‘Action pour les États-Unis d‘Europe,
comité presqu‘exclusivement consacré à la création d‘Euratom, à ses débuts. Quelques
conseillers américains de Monnet étaient déterminés à réaliser la Communauté nucléaire
784
FJME AMI 65/2/11 : Interview de Jean Monnet au “Monde” (Publication : mercredi 15 juin, (14.06.55)
Émile Noël, « Jean Monnet et la négociation d‘Euratom (1956/1957) », in Témoignages à la mémoire de Jean
Monnet, op.cit., p.373
786
Pierre Gerbet, op.cit., p.192.
785
274
européenne, parmi lesquels, Max Isenberg, qui fut le premier à partager pleinement cette
idée787. L‘idée même de la création d‘une communauté européenne de l‘énergie atomique
était le fruit de la collaboration entre Monnet et Max Isenberg788, alors conseiller juridique
adjoint de l‘Atomic Energy Commission (AEC) américaine. Ils eurent de longues discussions
sur le sujet de l‘énergie atomique tout au long de l‘année 1954, et décidèrent en janvier 1955,
de créer une communauté européenne de l‘énergie atomique qui aurait pour mission
d‘exploiter cette ressource d‘avenir.
La première rencontre entre Isenberg et Monnet, en novembre 1954, au Luxembourg, fut
organisée par Félix Frankfurter et Philip Graham, des amitiés monnétistes américaines de
première importance : « I met him in Luxembourg, where he was still the head of the Coal
and Steel Community. I think that our first meeting was in November of 1954. The reason for
the meeting was that I was living in Paris, and had come on with letters to Jean Monnet from
two very good friends of his who happened to be very good friends of mine. (...) On the
strength of those letters from Philip Graham and Félix Frankfurter, Monnet invited me to
Luxembourg, and I went there, had dinner with him at his house »789.
À cette époque, les Européens sombraient dans le pessimisme après l‘échec de la
Communauté européenne de Défense. Ils cherchaient un moyen de sortir de ce marasme et de
redémarrer l‘intégration européenne. Isenbergh apparut à ce moment précis, de manière
presque messianique, en prônant les vertus de l‘atome et l‘immense potentiel électrique de
cette ressource énergétique. Monnet en fut fasciné : « I had dinner with Monsieur Monnet in
Luxembourg. I suggested something which was obvious to me but sounded like pure poetry to
him. I suggested that cooperation among the Six in the program for the peaceful development
of atomic energy had a better prospect of bringing about integration than the Common
Army »790.
Dans l‘immédiat, Monnet lui demanda de rester au Luxembourg et eut plusieurs réunions
avec lui. Il tenait vraiment à rassembler des informations supplémentaires sur le
787
Voir les documents FJME AMK 38/1
Pour ce contact entre Monnet et Isenberg, voir FJME Fonds d‘histoire orale, le témoignage de Max Isenberg
par Leonard Tennyson, (20.04.81), voir, aussi, Pierre Uri, Penser pour l‘action, Un fondateur de l’Europe, Paris,
Odile Jacob, 1991, p. 112. Voir également, « Interview de Max Kohnstamm par Roberto Ducci et Mme Maria
Grazia Mechionni le 27 septembre 1984 », in La Genès des traités de Rome : Entretiens inédits avec 18 acteurs
et témoins de la négociation, FJME, 2007. Mais pour les point de vues échangés sur l‘Euratom entre Monnet et
Isenbert , voir les documents FJME AMK 38 :1.
789
FJME Fonds d‘histoire orale, le témoignage de Max Isenberg par Leonard Tennyson, (20.04.81).
790
FJME Fonds d‘histoire orale, le témoignage de Max Isenberg par Leonard Tennyson, (20.04.81)
788
275
développement de l‘énergie atomique. Isenbergh se souvient, en particulier, d‘un entretien, au
moment de la naissance d‘Euratom : « Monnet was so excited that he kept me at his house
until 2:30 in the morning. Then in his imperious way, he insisted that I remain in
Luxembourg, which I did, for the next ten days. It was in those ten days that, I believe, what
was later called Euratom was born »791.
Dans les échanges entre Monnet et Isenbergh, « le concept original de l‘Euratom fut une
organisation pour le développement de l‘utilisation pacifique de l‘énergie atomique, avec
l‘anti-prolifération des armes nucléaires comme principe fondamental. L‘objectif en théorie
était vraiment d'avoir les Six (nations) à s‘inscrire dans ce programme commun. À ses yeux,
cette idée était beaucoup plus facile à réaliser qu‘une armée commune car tous ces pays
avaient déjà leurs propres armées, mais aucun n‘avait de programme de développement
pacifique de l'énergie atomique. Isenbergh le raconte dans un interview : « The original
concept of Euratom was an organization for the peaceful development of atomic energy, with
anti-proliferation as one of its central tenets. .[…] The theory was really to have the Six enter
this program en common, en idea which was much more easily achieved than a common
army, because all these nations, from time immemorial, had had their own armies. But none
of them had an organized program for the peaceful development of atomic energy. So they
could start with a clear slate » 792.
Conformément à Antonio Varsori, par ailleurs, les visions optimistes d‘Isenbergh
concernant le potentiel de l‘énergie nucléaire, furent confortées par un des proches conseillers
de Monnet à la CECA, Franz Etzel. Fin mars 1955, dans un mémorandum pour Monnet, Etzel
insista d‘ailleurs sur les avantages politiques et économiques de la mise en commun des
sources d‘énergies pour l‘intégration européenne793. À cette occasion, il fit part de son fort
intérêt pour l‘énergie atomique dont l‘exploitation apparaissait comme un objectif vital pour
l‘avenir de l‘Europe : «Le développement de l‘utilisation pacifique de l‘énergie atomique
conditionne les possibilités futures de nos pays. Si nos pays ne s‘engagent pas ensemble dans
ce domaine nouveau, ils s‘exposent dans l‘avenir à disposer de possibilités d‘améliorer leur
niveau de vie inférieures à celles des pays anglo-saxons ou de l‘Union Soviétique et à
791
FJME Fonds d‘histoire orale, le témoignage de Max Isenberg par Leonard Tennyson, (20.04.81)
FJME Fonds d‘histoire orale, le témoignage de Max Isenberg par Leonard Tennyson, (20.04.81)
793
Antonio Varsori, « Euratom : une organisation qui échappe à Monnet ? », in Gérard Bossuat-Andreas
Wilkens, Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la Paix, (sous la dir.), Publication de la Sorbonne, 1999, p.
346.
792
276
dépendre de l‘extérieur pour l‘outillage et les procédés atomiques, comme les autres parties
du monde ont dépendu de l‘Europe pour leur équipement jusqu‘à une époque récente »794.
Informée sur les immenses possibilités de l‘énergie atomique par Max Isenbergh et Frantz
Etzel, Jean Monnet décida de lancer d‘intégration atomique européenne. Le projet de Monnet
pour une communauté européenne de l‘atome était une synthèse entre les études d‘Isenbergh
et celles d‘Etzel, auxquelles Monnet insuffla l‘indépendance de cette communauté par rapport
aux États à travers le caractère supranational et des pouvoirs étendus.
L‘autre homme important, concernant l‘Euratom fut J. Robert Schaetzel. Il rencontra
Monnet lors de sa collaboration au Conseil des Sages d‘Euratom et de « l‘US-Euratom Joint
Program ».
EURATOM : les obstacles de l’année 1956, John Robert Schaetzel
John Robert Schaetzel, californien, diplômé de Pomona Collège, devint administrateur au
sein du Bureau du budget, et plus tard au Département d'État, sous l‘Administration Kennedy,
en 1961. Dans ce gouvernement, Schaetzel était l‘assistant spécial de George Ball, il
deviendra sous-secrétaire d'État à l'économie en 1961 et secrétaire d'État de 1962 à 1966. En
même temps, Schaetzel occupa le poste de sous-secrétaire d'État adjoint aux affaires
Atlantiques, pour finir ambassadeur auprès des Communautés européennes de 1966 à 1973.
En 1956, Schaetzel, rencontra Monnet pour la première fois. Il était alors en charge de
l‘utilisation pacifique de l'énergie atomique au département d‘État, service dirigé par Gerard
C. Smith. Schaetzel, jeune fonctionnaire américain acquit des connaissances sur l'utilisation
pacifique de l'énergie atomique après un an de recherche au Collège national de la Guerre de
1954 à 1955 795. Dès les débuts d‘Euratom, il soutint ce projet avec force et vigueur, persuadé
qu‘Euratom renforcerait sur le long terme les relations bilatérales entre les États-Unis et
l‘Europe796
794
FJME AMK 38/1/7 : Mémorandum relatif à la mise en commun de l‘ensemble de l‘énergie, du
développement de l‘énergie atomique et des transports, (26.03.55).
795
Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―the Insiders‖ : Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel », in Clifford
P. Hackett(ed.), op.cit., p.216.
796
J. Robert Schaetzel, « Jean Monnet », in Témoignages à la Mémoire de Jean Monnet, op.cit., p.485.
277
Quant à Monnet, il considérait Schaetzel comme un moyen décisif d‘obtenir le soutien des
États-Unis pour le projet Euratom, sans qui la communauté atomique ne pourrait voir le jour.
Au lendemain de la conférence de Messine, Monnet écrivit : «Future cooperation in the
peaceful application of atomic energy between European countries, the US and the UK will in
part depend on the guarantees that the European countries will be able to give, that the
assistance given them will not be applied to military purposes »797. La stratégie essentielle de
Monnet, comme le dit Émile Noël, était d‘obtenir un soutien solide de la part des États-Unis
pour la coopération dans l‘énergie atomique et Schaetzel en était la clé : « La stratégie de Jean
Monnet visait à obtenir un soutien massif des États-Unis à l‘établissement d‘une industrie
atomique européenne, mais dans des conditions d‘égalité et de non-subordination. La clef se
trouvait dans le contrôle de sécurité destiné à garantir qu‘aucune des matières fissiles qui y
étaient soumises ne puisse être détournée de leur usage pacifique. Il devait être sans faille et
solidement établi dans le Traité lui-même, de sorte qu‘il soit possible d‘obtenir que les ÉtatsUnis en reconnaissent la réalité et qu‘ils renoncent dès lors à exercer leur propre contrôle sur
l‘utilisation des matières fissiles et autres fournitures qu‘ils pourraient mettre à la disposition
de la Communauté, contrairement à la pratique qu‘ils suivaient dans leurs accords
bilatéraux»798.
Tout au long de l‘année 1956, Monnet était extrêmement préoccupé par le rôle des ÉtatsUnis dans l‘effort de réalisation du projet d‘Euratom, particulièrement pour surmonter les
deux obstacles qu‘étaient : l‘opposition anglaise au projet et la surenchère nationalisme en
France, causé par la crise du canal de Suez.
Ainsi, au début de l‘année, Monnet se heurta aux critiques des Anglais qui préféraient
soutenir le plan de développement de l‘énergie atomique de l‘OECE. Aussi dut-il faire appel à
ses amis américains à plusieurs reprises pour faire pression sur les opposants anglais, comme
l‘atteste un courrier de Douglas Dillon daté du 6 février 1956, à destination du secrétaire
d‘État américain : « Over support by US for EURATOM or US pressure for its adoption in
any country would be felt be counter-productive. EURATOM was a purely European concept
and must remain so. He particularly emphasized importance of US staying clear of argument
797
FJME AMK 38/1/12 : Memorandum on the Development of Atomic Energy in Europe par Jean Monnet,
(17.06.55)
798
Émile Noël, « Jean Monnet et la négociation d‘Euratom (1956/1957) », in Témoignages à la mémoire de Jean
Monnet, op.cit., p.374.
278
which was bound to arise in France would in Monnet‘s view cause fatal damage to
EURATOM in France »799.
En juillet de la même année, face à la détérioration des relations franco-américaines suite à
la crise de Suez, et devant la montée du nationalisme en France, l‘idée d‘une coopération
européenne dans l‘utilisation de l‘énergie atomique semblait fortement compromise. Et
Monnet en était conscient, il écrivit début 1957 au syndicaliste français, Robert Bothereau sur
ce sujet : «les événements récents ont créé des difficultés sérieuses dans les relations que
l‘Amérique et l‘Europe ont entretenues jusqu‘à présent. L‘avenir de ces relations est
évidemment un facteur essentiel pour l‘action de notre Comité. Aussi il m‘est apparu
nécessaire d‘aller maintenant une semaine aux États-Unis afin de disposer d‘éléments directs
d‘appréciation sur les perspectives de nos relations avec l‘Amérique »800. Une fois encore,
pour Jean Monnet, l‘unique solution à la détresse tant économique que politique que traversait
Europe, était un ferme soutien américain à la création d‘une communauté atomique. Et dans
cet objectif vital (le soutien américain), Schaetzel avait un rôle déterminant. Il devait
mobiliser le soutien des États-Unis à la création d'Euratom dans les milieux officiels, et
particulièrement au Congrès américain. Il exhorta Dulles à inviter le comité « des trois sages »
aux États-Unis801 et il travailla étroitement avec Monnet aux détails de la visite, au début de
1957802. Visite qui fut très bien accueillie par le gouvernement américain : « This impressive
group came to the United States to discuss the Euratom program with top officials here and to
seek the cooperation of this country in facilitating it. The three men were warmly received by
President Eisenhower and were greatly impressed by his detailed knowledge of the project
and his whole-hearted support of it. In Washington they also had extremely fruitful
discussions with Secretary Dulles, Admiral Lewis L. Strauss, Chairman of the U.S. Atomic
Energy Commission, and numerous high officials of the Commission and of the State
799
Papers de John Tuthill, Telegram (C. Douglas Dillon to Sec. State), (3498) (06.02.56)
FJME AMK C 3 /4/75 : Lettre de Jean Monnet à R.Bothereau, (07.01.57)
801
Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―the Insiders‖ : Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel », in Clifford
P. Hackett(ed.), ibid.
802
En Octobre 1956, une conférence intergouvernementale sur le marché commun et l'Euratom créa un comité
de trois sages dans le but de définir les grands objectifs techniques de l'Euratom, d‘examiner comment elle
pourrait mieux élaborer un programme d'énergie nucléaire, et de stimuler davantage l'intérêt politique. Les
membres étaient Franz Etzel, vice-président de la Haute Autorité de la CECA, Louis Armand, chef des chemins
de fer français, et Francesco Giordani, ancien chef de la commission de l'énergie atomique italien et éminent
savant italien. Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―the Insiders‖ : Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel »,
in, Clifford P. Hackett(ed.), ibid. p.219.
800
279
Department. (…) The United States promised to supply atomic technicians and information
and, later on, nuclear fuels to power the atomic reactors in Western Europe »803.
Cette visite était capitale pour la ratification du traité Euratom, Monnet écrivit à Dulles le
30 janvier 1957 en ces termes : « We are now well on our way to finish the negotiations for
European common Market and for Euratom. I hope and expect that we should see the six
Governments finish these negotiations and sign these treaties by the end of February. It is the
firm determination of Mollet to go right ahead with the ratification of these treaties before
Parliament. In these circumstances the visit of the ―Atomic Wise Men‖ to Washington takes
particular importance »804. Elle fut un succès : Les États-Unis promirent de fournir des
techniciens de l‘atome pour le fonctionnement d‘Euratom, et même du combustible pour
alimenter les réacteurs nucléaires en Europe occidentale : « examination of the committee‘s
program ―indicates that its objective is feasible‖ and that ―the availability of nuclear fuels is
not considered to by a limiting factor »805.
Il semblait, en définitive, que l‘Amérique entière était fascinée par le projet Euratom : le
développement du programme n‘engageait pas seulement les intérêts de la Commission de
l‘énergie atomique, ni uniquement le Congrès sur les questions de l‘utilisation de l‘énergie
nucléaire, mais passionnait aussi le Président Eisenhower et ses hauts conseillers : « Si à ce
moment, témoigne Schaetzel, les relations en pleine évolution qui existaient entre les ÉtatsUnis et la Communauté européenne avaient reposé uniquement sur la Communauté
européenne, nécessairement une affaire exclusivement interne à l‘Europe, il n‘y aurait pas eu
le sentiment d‘effort et de profonds intérêts américano-européens communs qu‘a engendré la
collaboration nouée autour d‘Euratom »806.
Eisenhower soutenait Euratom pour plusieurs raisons : Tout d'abord, parce qu‘il estimait
qu'elle était une réponse à son projet de l‘année 1953 « Atoms for peace », une proposition
d‘encadrement de l‘utilisation de l‘atome à des fins strictement pacifiques. Ensuite, il voyait
dans ce projet, la possibilité de développer la vente de réacteurs nucléaires au profit
d‘entreprises américaines, tout en consolidant les liens atlantiques entre les États-Unis et
l‘Europe : « The U.S. foresees the establishment of two-way cooperation between Euratom
803
FJME AMK C 23/1/73 : ―The Month‘s preoccupation‖, Article de Joan Raushenbush (01.03.57)
FJME AMK C/23/3/177 : Lettre de Jean Monnet à John Foster Dulles (30.01.57)
805
FJME AMK C 23/1/73 : ―The Month‘s preoccupation‖, Article de Joan Raushenbush (01.03.57)
806
J. Robert Schaetzel, « Jean Monnet », in Témoignages à la Mémoire de Jean Monnet, op.cit., p.486.
804
280
and this country as leading to a mutually beneficial exchange of experience and technical
development and as reinforcing solidarity among members of the Atlantic community »807.
Pour Dulles, Euratom était la solution à de nombreux problème d‘intégration européenne
(rencontrés notamment par l‘échec retentissant de la CED) car il était le signe de la reprise
d‘initiatives ambitieuses pour l‘Europe, par les seuls États réellement intéressés par
l‘intégration. Lorsque les trois sages furent arrivés à Washington à la fin de Janvier 1957,
Dulles conseilla à Lewis Strauss, président de la Commission pour l‘énergie atomique, de
faire preuve de collaboration, en lui indiquant qu'il s'agissait-là d'une occasion unique d'aider
les Européens à réaliser un effort concerté pour résoudre un problème majeur de l'économie
européenne dans un cadre qui favorise la solidarité politique en Europe808. Mais d‘autre part,
les potentialités de l‘atome étaient suffisamment évidentes pour qu‘il ne lui échappe pas que
la coopération dans le domaine de l‘atome civil entraînerait nécessairement des réflexions
politiques plus poussées chez « les six » dans une perspective évidemment militaire809.
Dans ces conditions, Eisenhower et Dulles donnèrent toute priorité au projet d‘Euratom.
Dulles fit un long plaidoyer devant l‘amiral Lewis Strauss qui reconnut que « la formation
d‘Euratom ne signifierait pas une socialisation de l‘industrie atomique en Europe »810. Le
secrétaire d‘État expliqua longuement les avantages d‘Euratom. À force d‘effort, la visite du
comité des trois sages se termina par un franc succès, au moins pour surmonter les réticences
de l‘amiral Strauss811. Une lettre de Schaetzel pour Monnet, datée du 29 octobre 1957,
témoigne cette fascination des États-Unis pour l‘Euratom : « As you will see, the atmosphere
in Washington is even more conductive to the acceptance of such a proposal than we had
earlier believed possible. Has did a superb job of orientation and persuasion. It was handled in
such a manner that the Commission was clearly of the opinion that a U.S.- Euratom problem
to be undertaken early in 1958 is clearly their idea. But perhaps of the greatest significance is
the conclusion of Vander Weyden and Cook that the initiative must come from the
Community. They also feel that any proposal should be self contained, presented and
considered apart from their normal authorization and appropriation request for the coming
807
FJME AMK C 23/1/73 : ―The Month‘s preoccupation‖, Article de Joan Raushenbush (01.03.57)
Interview with Robert Schaetzel (30.08.91), cité par Sherrill Brown Wells, « Monnet and ―the Insiders‖ :
Nathan, Tomlinson, Bowie, and Schaetzel », in Clifford P. Hacket (ed.), op.cit., p.220.
809
Nicolas Vaicbourdt, « Les ambitions américaines pour l‘Europe, 1945-1960 », in Gérard Bossuat et Nicolas
Vaicbourdt, op.cit., p.42.
810
FRUS, 1955-1957, vol. IV, Western European Security and Integration, Washington, US Government
Printing Office, 1986, PP.432-433.
811
FJME AMK C 23/1/73 : ―The Month‘s preoccupation‖, Article de Joan Raushenbush, (01.03.57)
808
281
fiscal year. Finally they considered indispensable to have the political support and
sponsorship of the Department of State »812.
Les réticences américaines sur le contenu d‘Euratom levées, les États-Unis se
demandèrent, toutefois, comment les Européens pourraient coopérer pour l‘utilisation
d‘énergie atomique ? Pourrait-on aboutir à une autorité supranationale de l‘atome ?
EURATOM : nécessairement supranational !
Deux plans pour le développement de l‘énergie atomique étaient en compétition : celui de
l‘OECE, conçu sur le mode de la coopération, et la méthode de Monnet pour une organisation
européenne de l‘énergie atomique possédant des caractéristiques supranationales.
Lorsque Monnet eut réglé l‘obstacle majeur concernant l‘opinion des Anglais, aux ÉtatsUnis, il y eut des idées divergentes à cet égard. Certains responsables américains voulaient
une communauté européenne atomique supranationale, d‘autres voulaient traiter avec les
gouvernements nationaux, enfin certains pensaient arriver à des accords avec le secteur
privé813 : «On one such occasion , when the OEEC had started on a program among the 17
members of OEEC to develop peaceful uses of atomic energy, Monsieur Monnet suggested
that the United States use its influence to terminate that activity in the OEEC. Why? A clear
explanation is evident to me. The OEEC was prepared to subject this new agency, the
European Nuclear Energy Agency, to inspection by teams of the International Atomic Energy
Agency in Vienna . I believe that there were people working on Euratom who feared to the
European Nuclear Energy Agency, because of the Nuclear Energy Agency‘s willingness to
support the principle of adverse inspection, that is, inspection by teams from the International
Atomic Energy Agency »814.
Il semblait que les États-Unis hésitaient entre deux plans, la coopération OECE et la
supranationalité. Cependant, Dulles se prononça pour un transfert de souveraineté des États
européens à une institution supranationale dans le domaine de l‘atome pacifique. Il établit
812
FJME AMK C 23/9/10 : Lettre de John Robert Schaetzel à Jean Monnet, (29.10.57)
Gérard Bossuat et Nicolas Vaicbourdt, « Les projets pour l‘unité européenne de l‘Administration américaine
après l‘échec de la CED », in Marie-Thérèse Bitsch, Wilfried Loth, Raymond Poidevin,(sous la dir.), Institutions
européennes et Identités européennes, Bruxelles Établissements Émile Bruylant, 1998, pp.198-199.
814
FJME Fonds d‘histoire orale, le témoignage de Max Isenberg par Leonard Tennyson, (20.04.81)
813
282
clairement sa préférence : « Euratom a, fait-on savoir aux Anglais, le grand avantage de
réconcilier les intérêts français et allemands. De plus, tandis que l‘OECE n‘est qu‘un
groupement assez lâche de pays qui n‘ont pas la capacité d‘agir comme un État unique, il sera
par contre possible de traiter avec Euratom comme s‘il s‘agissait d‘une seule entité. Ce qui
implique que, pour des raisons de sécurité, les États-Unis pourront sans doute transmettre des
renseignements confidentiels à Euratom, et non à l‘OECE »815.
L‘idée prioritaire de Dulles en ce début d‘année 1956 était nette. L‘essentiel était
d‘encourager les Six à s‘unir dans le domaine atomique, sur un mode supranational, en vue de
lier l‘Allemagne à l‘Europe occidentale. Il considérait Euratom comme la forme le plus
contraignante de l‘unité européenne, sur le mode supranational : « l‘Euratom supranational à
Six est vital comme moyen d‘engager l‘Allemagne à l‘Ouest et est peut-être le moyen le plus
efficace pour réaliser un contrôle effectif sur le matériau de type militaire »816dit-il à Eden.
Visiblement les États-Unis cherchaient une solution supranationale à la gestion de
l‘énergie atomique en Europe, plus pour des raisons de sécurité que pour des raisons d‘unité
européenne. Notons au passage, que cette considération manifeste de l‘écart entre les
Américains et Jean Monnet concernant l‘objectif premier de la communauté atomique en
Europe : les réflexions des responsables américains sur l‘Euratom, s‘inscrivent en priorité,
dans la conception sécuritaire des États-Unis au travers d‘un partenariat privilégié entre la
communauté européenne et les États-Unis ; alors que Monnet souhaite établir une
organisation pacifique et l‘unité de l‘Europe à travers l‘utilisation commune de l‘énergie
nucléaire : « I don‘t think Monnet had a specific plan and then modified it. I think Monnet had
his idea -his goal- the integration of the Six. He was indifferent to ways of getting there. He
saw the somehow a program of peaceful development of atomic energy would help and that
much he could embrace»817.
En définitive, les Américains tout comme Jean Monnet, convergèrent vers une solution
supranationale de la communauté européenne pour l‘utilisation de l‘énergie atomique, pour
des raisons différentes mais ils convergèrent tous vers un même objectif : Euratom serait
nécessairement une structure supranationale.
815
FRUS 1955-1957, vol. 4, note 4, p.370.
Office of Atlantic political economic Affairs. Secret, Eden Talks, Washington, January 28-February 1, 1956,
« The general situation in Europe : European Integration and the German problem », cité par Gérard Bossuat et
Nicolas Vaicbourdt, « Les projets pour l‘unité européenne de l‘Administration américaine après l‘échec de la
CED », in Marie-Thérèse Bitsch, Wilfried Loth, Raymond Poidevin,(sous la dir.), op.cit., p.202.
817
FJME Fonds d‘histoire orale, le témoignage de Max Isenberg par Leonard Tennyson, (20.04.81)
816
283
En conclusion de cette section, l‘idée d‘une communauté atomique européenne fut le
résultat d‘une étroite collaboration entre Jean Monnet et l‘élite américaine entre 1954 et 1957,
notamment au travers de Max Isenberg et John Robert Schaetzel. De la conception à
l‘aboutissement d‘Euratom, Monnet a accompagné le projet, à égalité avec ses amis
américains.
Toutefois, notons une divergence entre Jean Monnet et l‘administration EisenhowerDulles quant aux raisons de la nécessité du caractère supranational de la communauté
atomique européenne : pour Monnet, Euratom était l‘opportunité d‘atteindre l‘unité de
l‘Europe par le biais de l‘utilisation de l‘énergie atomique , en coopération avec les ÉtatsUnis, comme l‘indique sa lettre du 13 juillet 1958 adressé à John Foster Dulles : « I think that
from a political point of view it would be a very great pity; indeed if we can keep up the
momentum, the agreement will not only strengthen Euratom very much, but it will give
strength to the whole movement towards European integration and that is why I come once
more to you in the hope that you will use your influence and energy to make sure that the
agreement passes Congress before the holydays »818. Alors que pour les États-Unis, Euratom
était l‘opportunité de rétablir la sécurité européenne face à la montée soviétique en Europe, et
de réconcilier la France et l‘Allemagne après le cuisant échec de la CED. Nous assistons donc
à un décalage manifesté entre Monnet et ses amis américains quant aux objectifs visés à
travers la création d‘Euratom. Pourrait-on assister à une éventuelle scission entre les visions
monnétiste et américaine de l‘intégration européenne ? Une intégration tendanciellement
européiste (Europe continentale) opposée à une intégration préférentiellement atlantique ?
Divergence et convergence entre Monnet et les élites américaines sur
l’intégration économique européenne : le Marché commun.
Tout en faisant le choix d‘une petite Europe atomique intégrée formulée sur un mode
supranational, les États-Unis travaillaient sur d‘autres projets. Ils étaient très attentifs à une
éventuelle relance européenne et à l‘établissement d‘un Marché commun européen vaste.
818
FJME AMK C/23/3/190 : Lettre de Jean Monnet à John Foster Dulles (13.07.58)
284
Cependant, nous pouvons nous interroger quant à la différence de traitement des
Américains entre le Marché commun et la communauté européenne de l‘utilisation de
l‘atome. De plus, si Euratom remportait un large consensus pour son développement entre les
Américains et Jean Monnet, en était-il de même pour le Marché commun? Pour quelle raison
les Américains soutenaient-ils un tel projet ? Les diverses correspondances entre Jean Monnet
et John W. Tuthill, conseiller aux affaires économiques de l‘ambassade américaine en France,
nous éclaireront sur les motivations de chacun (Américains et Monnet).
Le Marché commun intéressait d‘autant plus les Américains que le développement
économique de l‘Europe par ce biais apparaissait comme un système de libre commerce et de
paiements : un début de la mondialisation des échanges et des paiements. La question du
Marché commun, pour eux, correspondait à une ouverture de l‘Europe aux échanges. Donc,
ils eurent une réaction favorable au Marché commun dans la mesure où ce projet pouvait
développer des échanges ouverts et bénéficier des marchés internes et internationaux de
l‘Europe intégrée.
Le fait est que depuis le plan Marshall, les États-Unis étaient très axés sur l‘intégration et
la coopération économique en Europe. Une Europe économique intégrée à l‘ouest serait
profitable à la paix et à la sécurité du continent dans son ensemble. Cette croyance était
fondée sur l‘idée qu‘un développement économique général de l‘Europe grâce à la
multiplicité des échanges intra-européens et internationaux assurerait une stabilité bien
supérieure à tout cartel ou entente entre nations. Dulles croyait fermement en cette thèse. Il
chargea John W. Tuthill de glaner des informations auprès de Robert Marjolin, chef de la
délégation française dans les négociations du Marché commun. En 1956, Tuthill suggéra que
les États-Unis devraient faire tous les efforts nécessaires pour maintenir les gains
économiques réalisés dans le cadre du Plan Marshall et continuer à promouvoir l'intégration
européenne819.
Depuis l‘échec de l‘Europe fédérale des six, et des difficultés internes liées à l‘OTAN aux
États-Unis, en 1956, une nouvelle conceptualisation des rapports atlantiques faisait jour,
conformément à Gérard Bossuat. Aussi, pour les États-Unis, cette nouvelle conception des
rapports atlantiques apportait une garantie supplémentaire contre le risque de voir naître en
819
John Tuthil Papers, Lettre de John W. Tuthill à Ambassador,(11.09.56)
285
Europe une tendance neutraliste820. Car la plus grande préoccupation américaine de l‘époque,
était la montée possible du neutralisme en Europe sous l‘impulsion de la politique extérieure
de «coexistence pacifique» entre les blocs de Khrouchtchev821.
Ainsi, la concurrence économique européenne potentielle générée par la cartellisation du
charbon et de l‘acier et l‘éventualité de l‘émergence d‘une Europe indépendante
politiquement et économiquement des États-Unis, apparaissant comme une possible troisième
puissance mondiale, capable d‘interférer dans la conduite de la Guerre froide, inquiétait le
secrétaire d‘État John Foster Dulles. Aussi, ne pouvait-il accepter une neutralisation de
l‘Europe822.
L‘attitude de Jean Monnet face à l‘anxiété de Dulles-le neutralisme potentiel de l‘Europe –
était ambiguë car il ne souhait pas que la guerre froide soit une composante de la construction
européenne (bien qu‘elle l‘ait été au début). Monnet considérait l‘intégration européenne
comme un gage de la paix mondiale et c‘est dans cet esprit qu‘il souhait développer l‘Europe :
« La communauté européenne est une entreprise de paix pour le reste du monde. Elle écarte
l‘obsession du mystère russe et ses dangers. Elle met fin à des conflits qui ont entraîné le
monde entier dans la guerre. Elle crée en Europe une stabilité et un développement qui sont la
condition de la sécurité et du développement de tous. Elle permet de réunir les Allemands de
l‘Est et de l‘Ouest sans recréer les conditions qui ont provoqué les deux guerres mondiales et
sans faire de cette réunion une cause de crainte ou de défiance pour les Européens et leurs
visions »823.
L‘intégration européenne faciliterait, selon Monnet, l‘organisation de la paix mondiale.
Son argument était simple. Si l‘Europe continuait à être le point de rencontre de l‘hostilité
Est-Ouest, le vieux continent risquait d‘être la poudrière d‘un conflit mondial. Si l‘on pouvait
mettre fin à cette situation, cela contribuerait à l‘organisation de la paix mondiale. À celle-ci,
820
Gérard Bossuat, « Communautés européennes, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed.), op.cit., pp.225-226.
821
Une première allusion à la question de la « coexistence pacifique », en octobre 1952, avait été évoquée par
Staline, lors du XIX e Congrès du Parti communiste de l‘URSS. Il avait déclaré à cette époque devant des
journalistes américains : « La coexistence pacifique du capitalisme et du communisme est tout à fait possible
étant donné le souhait de coopérer, la volonté de respecter […] l‘observation des principes d‘égalité et de non
ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats ». La disparation de Staline en mars 1953 fut suivie par
une période d‘instabilité qui ne devait se dénouer qu‘en 1955 au profit de Khrouchtchev, secrétaire général du
Comité central du PCUS et de Boulganine devenu Premier ministre. Elisabeth du Réau, op.cit., p.233.
822
Nicolas Vaicbourdt, « Les ambitions américaines pour l‘Europe, 1945-1960 », in Gérard Bossuat et Nicolas
Vaicbourdt, op.cit., pp.35-37.
823
FJME AMJ 8/3/4 : L‘Europe unie et la Paix, (24.04.53)
286
l‘intégration européenne était donc directement liée. Par ailleurs, si l‘Europe n‘était plus
l‘enjeu Est-Ouest, elle pourrait jouer un rôle important dans l‘organisation de la paix
mondiale : « La coexistence pacifique entre l‘Est et l‘Ouest, écrit-il en juin 1955 dans la
Frankfurter Allgemeine, une fois unis, si importante pour nous tous, ne sera que facilitée si les
nations européennes, résolues à surmonter ce qui les sépare, progressent vers leur unité qui
leur donnera une détermination et une vigueur que ces nations n‘auraient jamais pu avoir en
restant séparées. Les pays d‘Europe ne seront plus comme à l‘heure actuelle un enjeu entre les
États-Unis et l‘Union soviétique »824.
Il refusait catégoriquement de construire une Europe en tant que troisième force. Il
soulignait toujours la solidarité entre les États-Unis et l‘Europe unie. Tout au long de son
effort dans le processus de l‘intégration européenne, il nous semble que Monnet ne souhaitait
pas de découplage entre l‘Europe et les États-Unis : « Monnet, explique Klaus Schwabe, ne
doutait pas que dans une telle configuration, le rôle de l‘Europe serait celui de conseiller
indépendant des États-Unis, mais il n‘allait pas jusqu‘à imaginer que l‘Europe unie puisse
devenir un jour un médiateur neutre entre les Blocs »825.
En ce qui concerne l‘unification de l‘Allemagne, Monnet était tout à fait opposé à la thèse
de Lippmann sur une zone neutre au centre de l‘Europe. Il estimait que l'Allemagne devait
être orientée et engagée avec l‘Europe occidentale par tous les moyens possibles, comme le
rapporte John Tuthill lors d‘une conversation avec Monnet : « Monnet talked of the articles
concerning Lippmann‘s conversations with Khrushchev. He felt the first article particularly
supported his own thesis and weakened Lippmann‘s. (That is –the Monnet thesis that
Germany must be oriented and engaged with the west in every way possible as opposed to the
Lippmann thesis of a neutral zone through the center of Europe.) He stated he was keeping the
Lippmann articles for the day when he would see Lippmann again and point out to him that
the Khrushchev conversation reveals the weakness of the Lippmann approach. »826
Monnet croyait que l‘intégration européenne renforcerait la dissuasion occidentale par
rapport à l‘URSS et, par conséquent, faciliterait l‘organisation de la paix en Europe. À travers
un mémorandum du 11 septembre 1956, Tuthill proposa une aide américaine pour
824
FJME AML 111 : 3
Klaus Schwabe, « Jean Monnet, les États-Unis et le rôle de l‘Europe au sein de la Communauté atlantique »,
in Gérard Bossuat-Andreas Wilkens, op.cit., p.282.
826
USDOS/JT 7, US Department of State, John Tuthill Papers, Dispatch 867; Mem Con 11/12/58, dispatch (by
Tuthill), (12.11.58), voir document annexe13.
825
287
l‘intégration économique de l‘Europe, dans le but de renforcer la lutte contre les Soviétiques
et de soulager un peu les États-Unis dans leur gestion des problèmes au monde libre, par
exemple, la question du sous-développement827. En outre, Tuthill s‘interrogea sur la
pertinence du maintien d‘une aide militaire en Europe quand la menace soviétique devenait
moins belliqueuse mais autrement plus subtile et dangereuse, à travers la politique de
«coexistence pacifique» : « These are the areas in which the free world must recapture the
initiative—which the Marshall Plan gave us temporarily—from the Russians and in which
U.S. leadership is essential. On the split of Europe, the U.S. should make its plans now, and
on the other problem (or set of problems) the U.S. should initiate action in the near future of a
type which will receive the support of the free world »828.
Concernant les moyens d‘aider l‘Europe, il suggéra plutôt « une politique commerciale »,
soulignant que les années passées, le programme d'aide des États-Unis et leur politique
étrangère elle-même avaient pris un aspect très militaire. À ses yeux, il était nécessaire de
modifier cet aspect trop militaire : « I should like to comment on these problems and also on
the related issue that—at least as far as Europe is concerned—over recent years our aid
program and our foreign policy itself have taken on an excessively military appearance. This
was inevitable when the danger of outright military aggression from the Russians was
generally considered grave, but it appears to me to need some modification when the Russian
threat has become less bellicose but more subtle and dangerous. Before discussing these
issues, however, I would like to mention trade policy, lest its omission might imply a lack of
interest »829.
Aussi, en décembre 1956, la position officielle des États-Unis sur le Marché commun fut
exprimée. C‘était un an après celle sur Euratom. Finalement ils se décidèrent à soutenir le
Marché Commun. L‘essentiel des raisons du soutien américain à l‘intégration économique en
Europe, n‘était pas très différent par rapport à celui d‘Euratom car il visait le renforcement de
la lutte contre les Soviétiques, ce qui signifiait une montée en puissance de l‘Europe et un
statut de troisième pilier des relations atlantiques (Europe, Grande-Bretagne et États-Unis). Le
fond de la pensée de Tuthill était que les États-Unis devaient continuer à préconiser
l‘intégration de l‘Europe occidentale afin d‘améliorer les relations entre l‘Europe occidentale
et l‘Europe orientale : « In many ways the problem for the future is more difficult to solve as
827
John Tuthil Papers, Lettre de John W. Tuthill à Ambassador, (11.09.56)
John Tuthil Papers, Lettre de John W. Tuthill à Ambassador, (11.09.56)
829
John Tuthil Papers, Lettre de John W. Tuthill à Ambassador, (11.09.56)
828
288
it involves long-range planning by a loose alliance of the states in the free world confronted
by an obvious challenge from the Soviet world-and many of the features of this challenge are
as yet unclear. It seems to me that while we should continue to advocate the integration of
Western Europe, we have as an equally important objective some improved relationship
between Eastern and Western Europe, a basic prerequisite of which would be withdrawal of
the Russian military back to a border approaching that of 1 September 1939 »830.
Ce qui est remarquable dans les idées de Tuthill, c‘est qu‘il avançait l‘idée d‘un
programme de participation européenne pour les régions sous-développées. L‘Europe était,
pour lui, une réponse au conflit entre les régions développées et les régions sous –
développées. Il estimait que l‘unité européenne serait en mesure de participer au programme
des États-Unis pour aider les régions sous-développées.
« As for European participation in a program for the underdeveloped areas, I assume what
is needed is a long-term program which at the make time will result in political and
psychological dividends in the Western world will regain the initiatives; demonstrate
effectively the superiority of our contribution in comparison with that of the Soviet worlds
and can give a sense of purpose to much of the work in the field of foreign economic policy.
Under such conditions, we could plan areas of development and our actions would not
represent a series of improvisations in response to specific Soviet moves. In order to achieve
these, we need the active material support by our European allies and enthusiastic acceptance
by the underdeveloped areas. Europe can offer the following contribution to the program for
the underdeveloped areas: able technicians willing to work and remain in ―hardship posts‖ in
a way that few American technicians will accept; enthusiasm, both governmentally and
privately, for a development program; same financial contribution (Germany, Holland,
Belgium, Switzerland, and France (for Africa)); industrial processing ability»831
Pour Tuthill, concernant le programme des régions sous-développées, il existait une
opportunité considérable pour les États-Unis de reprendre l'initiative sur les Soviets, non
seulement en Europe mais dans toutes les régions du globe. Aussi, en combinant tous les
problèmes, Tuthill envisagea de modifier la politique américaine au profit d‘une Alliance
atlantique avec l‘Europe pour l‘avenir des régions sous-développées du globe. Point de vue
pleinement partagé par Robert Schuman, qui pensait que le problème de l‘Afrique du Nord
830
831
John Tuthil Papers, Lettre de John W. Tuthill à Ambassador, (11.09.56)
John Tuthil Papers, Lettre de John W. Tuthill à Ambassador, (11.09.56)
289
serait réglé par l‘unité européenne832 : « I am not familiar with the detail of various plans that
have been set forth in the UN and other forms. I do believe, however, that there is a
considerable opportunity for the United States to regain the initiative over the Soviets, not
only in Europe but in the underdeveloped areas, by combining these problems »833.
À cet égard, Monnet rejoignait Tuthill, en considérant qu‘une vaste et unique entité
européenne serait en mesure de contribuer efficacement à régler les problèmes mondiaux :
«The problem of the under-developed areas is, I think, probably the most explosive and
important of the next twenty years. At present, the tensions between the advanced industrial
countries and the underdeveloped ones are growing rather than diminishing. [...] the advanced
countries must avoid the temptation of a new kind of isolationism. This would only
exacerbate the international « class war » which already exists between rich nations and the
poor, ex-colonial ones that resent « not being accepted ». The rich industrial countries should
come together-all of them, including Russia, if possible-to solve this problem of speeding the
development of backward areas which will ultimately affect them all equally [...] »834
Monnet avait la conviction que les États-Unis se tourneraient vers les problèmes
particuliers que leur posaient l‘Asie, l‘Afrique, l‘Amérique latine. Aussi, il disait que « la
coopération Europe-États-Unis, indispensable à notre sécurité, ne serait possible à la longue
que si la Communauté européenne montre du dynamisme et de la compréhension dans les
problèmes universels qui préoccupaient les Américains »835
En ce qui concernait le problème des régions sous-développées, l‘idée essentielle, pour
Monnet, résidait dans l‘organisation d‘une base d‘entité européenne importante capable de le
régler. En donnant un point de vue sur l‘avenir coopératif entre l‘Europe et les États-Unis, il
affirma la raison pour laquelle il était indispensable de construire l‘intégration européenne.
À propos de la modalité de l‘intégration économique, Tuthill tenta d‘allier l‘intégration
européenne et de faire pression pour des accords multilatéraux qui viseraient à consacrer le
commerce mondial dans le monde libre où les États-Unis prendraient le leadership : « I am
convinced that it is in the American interest to continue to press for multilateral agreements
832
John Tuthil Papers, Lettre de John W. Tuthill à Ambassador, (11.09.56)
John Tuthil Papers, Lettre de John W. Tuthill à Ambassador, (11.09.56)
834
DDE 71, DDE Library, Hague, Gabriel-Special Asst. To the President for Economic Affairs, Records 19531958, Box2 (Materials Relating to 5th International Conference-Congress for cultural Freedom,15-29), report
(―America in the Next Twenty Years‖),(11.12.57)
835
Jean Monnet, Mémoires, pp.694-695.
833
290
designed to expend world trade. I think that the United States should give leadership to this
movement which is so much in our own self-interest »836.
Ainsi Tuthill proposa d‘utiliser l‘OECE, dans une lettre confidentielle à George L West,
responsable au Bureau des Affaires de l'Europe occidentale auprès du Département d'État
américain « To meet the Soviet challenge, we must have a better organized Western world
and an increased contribution from our major allies. We must utilize the OECD, and within it
the drive and initiative of the Europe of the Six, to attain this without delay »837.
De par cette considération, les États-Unis semblaient avoir approuvé le principe du
Marché commun mais il semble qu‘ils souhaitaient la création d‘une grande zone de libreéchange atlantique plutôt que la communauté économique de l‘Europe des Six. Le fait est
qu‘ils exigèrent fermement qu‘il n‘y ait aucun retard dans la libre convertibilité des monnaies
et aucune dérogation aux dispositions du GATT, en particulier, dans le domaine des échanges
agricoles838.
Gérard Bossuat
explique clairement cette
attitude ambigüe
des
Américains :
«contrairement à l‘Euratom, dit-il, que les États-Unis avait accompagné, celui de Jean
Monnet, ils avaient ignoré le Marché commun parce qu‘ils ne voulaient pas admettre
l‘identité économique de l‘Europe des Six, souhaitant surtout la création d‘une grande zone de
libre-échange atlantique»839. Ils préféraient donc une Communauté européenne intégrée pour
les affaires de l‘atome, liée à une plus vaste communauté atlantique pour les questions
politiques et de sécurité. Cependant ils préféraient, concernant la communauté économique,
une grande Europe OECE qui conservait la plus grande zone de libre-échange atlantique
possible, ce que la petite Europe des six ne pouvait leur offrir. Les États-Unis voulaient une
grande Europe libérale et d‘atlantique.
Cependant cette conception atlantique des Américains divergeait considérablement de la
conception de Monnet. En effet, Monnet préférait de loin une « petite Europe » fédérale
économique des six plutôt qu‘une énorme Europe de l‘OECE, de libre-échange atlantique :
836
John Tuthil Papers, Lettre de John W. Tuthill à Ambassador, (11.09.56)
USDOS/JT 4, US Department of State, John Tuthill Papers, Letter(J. Tuthill to George L West (Esquire,
Officer in charge, French-Iberian Affairs, Office of Western European Affairs, Department of State,
Washington), (13.09.56), voir document annexe12.
838
840.00/12-2056, from an embassy to the Department of State, December 20, 1956, subject : « US Policy with
respect to European Economic integration. »
839
Gérard Bossuat, « Communautés européennes, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed.), op.cit., pp.225-228.
837
291
« Monnet voulait une « petite Europe » comprenant les pays démocratiques les plus
importants, dont les structures économiques et politiques étaient suffisamment harmonieuses
pour leur permettre d‘aboutir à une entente fondamentale sur la politique, tant intérieure
qu‘extérieure »840.
En réalité, Monnet sous-estimait l‘importance de l‘unité des marchés économiques,
contrairement aux Allemands. Monnet était séduit par l‘idée d‘Euratom, à tel point qu‘il ne
fut pas très attentif à la constitution d‘un marché commun. Comme il le déclara dans une
troisième session des réunions des 19 et 20 Septembre 1956 pour le Comité d‘Action pour les
États-Unis d‘Europe : « Nous demandons à nos Gouvernements de faire tout ce qui est
possible pour hâter la conclusion du traité sur le Marché commun européen, ainsi que
l‘aboutissement des études entreprises à l‘O.E.C.E. sur l‘inclusion de ce Marché commun
dans une zone de libre échange comprenant le Royaume-Uni et les autres pays membres de
l‘O.E.C.E. Mais le problème le plus grave et le plus urgent qui se pose actuellement pour nos
pays est de faire face à leur déficit croissant en énergie, qui les expose à des menaces
dangereuses pour la paix »841.
Cette méfiance à l‘encontre du Marché commun provoqua une lutte interne entre Monnet
et Marjolin, chef de la délégation française dans les négociations du Marché commun :
comme en témoigne Max Kohnstamm, « pour Monnet, Euratom était le point central. Il
croyait à Euratom, c‘était lié à toute son expérience d‘organisation des deux guerres. Le
Marché commun, il ne le voyait pas. Par contre, Robert Marjolin le voyait, et les Allemands le
voulaient »842. Marjolin n‘était pas d‘accord avec Monnet quant à la priorité d‘Euratom.
Concernant le marché commun, il avoua que « l‘action du comité pour les États-Unis
d‘Europe avait été pratiquement nulle à ce moment-là. Et dans la mesure où il y eu une
certaine action, elle était dans le mauvais sens, dans ce sens que le Comité avait mis l‘accent
sur Euratom […] »843
Robert Marjolin, économiste de formation, avait débuté sa carrière avec le Plan Marshall
en 1947. En 1949, il fut nommé premier secrétaire général de l‘OECE. À partir de 1956, il fut
840
John Wills Tuthill, « Jean Monnet – L‘homme) », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, Lausanne,
Fondation Jean Monnet, 1989, p. 543.
841
DDE Library Alfred Gruenther Papers, 1941-1983, Series: General Corr. Box 36 (File : Jean Monnet
(2)),(19/20.09.56)
842
« Interview de Max Kohnstamm par Roberto Ducci et Mme Maria Grazia Melchionni le 27 septembre 1984 »
in La Genèse des Traités de Rome : Entretiens inédits avec 18 acteurs et témoins de la négociation, FJME, 2007.
843
« Interview de Robert Marjolin par Roberto Ducci et Mme Maria Grazia Melchionni le 24 septembre 1984 »
in ibid.
292
chargé de la partie négociations pour le Marché commun à Bruxelles, et après la conférence
de Venise, il fut nommé vice-président de la délégation français pour le marché commun.
Pour lui, contrairement à Monnet, le Marché commun devait être une priorité absolue : « Je
m‘étais attaché à cette idée dès le temps où j‘étais à l‘OECE. […] quant, pour la partie
institutionnelle, j‘ai pris en charge la négociation sur le Marché commun et un peu Euratom bien que j‘ai beaucoup négligé Euratom qui ne m‘intéressait pas particulièrement […] »844.
Malheureusement, Monnet privilégiait Euratom. Par conséquent, le Marché commun
devint secondaire de l‘automne 1955 à mars-avril 1956 dans le comité Spaak. C‘était la
position de Monnet qui, à l‘époque, importait845. Comme le souligne Gérard Bossuat, Monnet
ne fut pas l‘inspirateur du Marché commun. De plus, il jugea mal les intérêts en jeu, sousestimant les réalités nationales légitimes, méconnaissant l‘importance de l‘unité des marchés
économiques846. Néanmoins, le dessein de Monnet lié à celui-ci était d‘aller vers une
Communauté atlantique. Si Monnet souhaitait un marché commun restreint aux six nations
d‘Europe continentale, à la construction du Marché commun, il avait toutefois un objectif plus
large au final, celui de conduire le Marché commun (des six) vers une coopération atlantique,
à terme : « In twenty years‘ time, we shall not only see problems, as we are beginning to see
them now, in world terms, but we should approach them as an Atlantic community made
possible because the United States of America and a United States of Europe can make more
nearly equal contributions than America and our European nations separately. As an Atlantic
community, we shall be far better armed to co-ordinate, increase and mobilize our joint
resources than we are today, and to bear the necessary burden of helping backward countries
to industrialist »847.
On voit donc que les intérêts de Monnet et des Américains divergeaient quant à
l‘intégration économique de l‘Europe, au départ du Marché commun, l‘un souhait une
communauté économique restreinte pour commencer, pour ensuite aller vers un élargissement
atlantique, tandis que les autres (les Américains) souhaitaient d‘emblée une vaste zone de
844
« Interview de Robert Marjolin par Roberto Ducci et Mme Maria Grazia Melchionni le 24 septembre 1984 »
in ibid.
845
« Interview de Robert Marjolin par Roberto Ducci et Mme Maria Grazia Melchionni le 24 septembre 1984 »
in ibid.
846
Gérard Bossuat, « Jean Monnet, le Département d‘Etat et l‘intégration européenne (1952-1959), in René
Girault et Gérard Bossuat (sous la dir.), op.cit., p.345.
847
DDE 71, DDE Library, Hague, Gabriel-Special Asst. To the President for Economic Affairs, Records 19531958. Box 2(Materials Relating to 5th International Conference-Congress for cultural Freedom # 15-29), report
―America in the Next Twenty Years,‖ (11.12.57)
293
libre-échange afin d‘enrayer immédiatement la menace d‘une Europe neutre, dans la politique
des blocs.
Les Américains voulaient donc à la fois, une grande Europe libérale et ouverte, une petite
Europe politique et fédérale, ainsi qu‘une Europe atomique dépendante des États-Unis. Tandis
que Monnet pensait avant tout aux intérêts à long terme de l‘Europe, en s‘assurant d‘une
éventuelle et nécessaire indépendance énergétique grâce à la fission de l‘atome, puis une
petite Europe économique et politique stable avant de s‘ouvrir sur le monde en intégrant une
zone de libre-échange atlantique.
Toutefois, autant Monnet que les Américains (notamment Dulles) ne concevaient
l‘intégration européenne sans une communauté atlantique. Ce qui sera l‘un des points de
conflit majeurs avec la politique européenne de De Gaulle, arrivant au pouvoir l‘année qui
suivit le Marché commun et Euratom, en 1958.
294
Chapitre 10 : « Un seul lit pour deux rêves »848 : l’Atlantisme
générateur de conflit (1959-1963)
La menace soviétique en Europe, entre 1959 et 1963, n'était pas la seule ombre qui planait
sur l'avenir de l'Europe occidentale. Il y avait également des menaces internes telles que
l'affrontement entre les partisans du Marché commun européen et ceux de la Zone de libre
échange (OECE), les tensions et conflits quant aux conceptions d‘intégration européenne
divergentes de De Gaulle et de Monnet, l‘idéalisme américain face au pragmatisme de
Monnet quant à la Communauté atlantique. Ce chapitre a pour objectif de passer en revue
toutes ces divergences de conception de la construction européenne entre les Américains et les
Européens et entre Monnet et l‘élite américaine. Cela nous permettra de concrétiser les
identités euro-atlantiques émergeant de ce conflit et de cette tension : L‘Europe des
Britanniques et l‘Europe de Monnet au sujet de la communauté économique européenne ;
l‘Europe des Gaullistes vis-à-vis de l‘Europe des Atlantistes au sein de la communauté
politique européenne ; l‘Europe rêvée par les élites américaines et l‘Europe réalisée par
Monnet.
Comme Monnet l‘avouait dans ces Mémoires : «Si l‘Europe a été tirée dans plusieurs
directions opposées par des hommes qui n‘avaient pas la même idée de son destin, j‘y vois
beaucoup de temps et d‘efforts perdus, mais rien qui contredise la nécessité de l‘unir»849. Ces
divergences participent aussi au processus de construction européenne. Donc, nous nous
proposons d‘aller au-delà des antagonismes produits par les malentendus pour tracer et mettre
en parallèle les conceptions et les initiatives de la politique européenne de Jean Monnet et les
actions et les réactions correspondantes faisant apparaître la bonne volonté de fait de part et
d‘autre de l‘Atlantique au travers de ces divergences.
848
849
André Fontaine, Un seul lit pour deux rêve, Paris, Fayard, 1981.
Jean Monnet, Mémoires, p.640.
295
Deux conceptions conflictuelles de la coopération économique : la petite
Europe du Marché commun et la Grande Zone de libre-échange.
La Grande-Bretagne avait pour habitude de refuser de s‘engager dans toute structure ou
institution européenne susceptible de réduire sa souveraineté. Elle ne participa donc à aucune
des étapes de la construction européenne, de la CECA au traité Rome. Aussi, le processus
d‘intégration européenne manifestait une opposition de style marqué, dès lors qu‘il était
question d‘intégrer l‘Angleterre au Marché commun : d‘un côté, il y avait la petite Europe des
Six et de l‘autre, une vaste zone de libre-échange, comprenant la Grande Bretagne. Cette
question cristallisait les passions car elle renvoyait nécessairement à deux conceptions de
l‘Europe difficilement conciliables : une grande coopération européenne sous l‘égide de
l‘OECE opposée à une petite Europe intégrée et supranationale.
Jean Monnet, pour sa part, soutenait et plaidait en faveur d‘une participation de la GrandeBretagne dans le mouvement de l‘unité européenne. En effet, dès le début de sa présidence à
Luxembourg, Monnet avait cherché à établir un lien avec les Britanniques. Pour attirer la
Grande-Bretagne dans la CECA, il avait proposé «une association étroite et durable entre la
Communauté européenne du charbon et de l‘acier et le Royaume-Uni »850, avec des règles et
des responsabilités communes, dépassant le simple accord commercial ou de consultation :
« nous avons également confirmé, avec le Gouvernement britannique, le caractère
d‘association étroite des relations entre la Communauté européenne du charbon et de l‘acier et
la Grande-Bretagne »851. Le gouvernement britannique tarda à répondre à l‘appel de Monnet
mais finit par accepter l‘accord avec la CECA, car celui-ci avait beaucoup perdu de son
caractère fédéral, en raison du recul de la supranationalité. Mais l‘accord d‘association ne
prévoyait que des consultations et des échanges d‘informations. Monnet espérait néanmoins
que cela créerait des habitudes et que ce serait un point de départ. Alors que pour les
Britanniques, il semblait hors de question d‘aller au-delà de coopération concrète et
pratique852.
850
FJME AMH 71/2/8 : Lettre de Jean Monnet à un Ambassadeur, (18.10.52)
FJME AMH 71/2/8 : Lettre de Jean Monnet à un Ambassadeur, (18.10.52)
852
Pierre Gerbet, op.cit., p.233.
851
296
Cependant, malgré ces réticences anglaises par rapport aux institutions européennes,
l‘effort en faveur de l‘intégration se prolongea jusqu‘en 1955. La conférence de Messine
demanda à la Grande-Bretagne de participer aux travaux du comité Spaak. Dès les débuts du
projet Messine, les Anglais furent particulièrement intéressés. Le gouvernement de Londres,
mandata un représentant, le sous-secrétaire d‘État au Commerce, bien que la Grande-Bretagne
ne soit pas directement liée par l‘engagement de Messine. Celui-ci assista aux premières
discussions, puis fut rappelé en novembre 1956 quand les projets d‘Euratom et d‘union
douanière prirent corps et qu‘il apparut que la Grande-Bretagne n‘estimait pas possible d‘y
participer853. À ce moment-là, Robert Bowie s‘inquiéta de cette attitude anglaise : « the
British position is still negative on Euratom, and quite hostile on the Common Market. The
recent events do not appear to have changed their attitude »854. En fin de compte, elle
n‘accepta pas d‘entrer dans le Marché commun en 1957.
Deux raisons expliquent ce refus : l‘entrée dans une union douanière puisqu‘elle était déjà
dans un ensemble douanier avec les pays du Commonwealth, qui était beaucoup plus
avantageux pour elle, puisqu‘elle pouvait bénéficier de prix attractifs sans perdre
d‘indépendance politique855. À ce sujet, Robert Marjolin disait d‘ailleurs : « ce qui les gênait
beaucoup, dans la négociation du traité de Rome, c‘était l‘agriculture. Ils ne voulaient pas de
l‘agriculture, ils ne voulaient pas changer leur système agricole. C‘était fondamental. […] Ils
voulaient également pouvoir continuer à acheter librement dans le monde, en particulier dans
le Commonwealth. Ce qu‘on essayait de mettre dans le traité sur la politique agricole
commune ne leur aurait pas plu »856.
La seconde raison était que les Britanniques ne voyaient pas la nécessité de créer une
organisation nouvelle et de la doter de pouvoirs alors que l‘OECE existait déjà et qu‘elle
pouvait servir de cadre à un libre-échange entre les membres européens, sans pour autant
instaurer d‘union douanière. L‘OECE était un terrain de manœuvre commode pour les
853
Pierre Gerbet, ibid., pp.233-234.
FJME AMK C 23/1/330 : Lettre de Robert Bowie à Jean Monnet, (06.02.56)
855
Le marché britannique était le débauché principal du blé canadien, des moutons australiens, des moutons et
produits laitiers néo-zélandais, du sucre des Antilles, des vins de l‘Afrique du Sud. Ainsi la Grande-Bretagne
pouvait-elle bénéficier de prix alimentaires bas, quitte à subventionner les fermiers britanniques, peu nombreux
et efficaces. Pierre Gerbet, op.cit., p.234.
856
« Interview de Robert Marjolin par Roberto Ducci et Mme Maria Grazia Melchionni le 24 septembre 1984 »
in La Genèse des Traités de Rome : Entretiens inédits avec 18 acteurs et témoins de la négociation, op.cit.,
p.326.
854
297
Anglais qui pouvaient compter sur l‘appui des Scandinaves et des autres petits pays qui
pouvaient exercer une influence prépondérante auprès du Conseil et du secrétariat de l‘OECE.
Ils utilisèrent, d‘ailleurs, l‘inquiétude des pays extérieurs à cette union douanière pour
essayer de contrer le projet du Marché commun, ceci sous l‘habit de l‘OECE, lequel décida
d‘instituer un groupe de travail pour étudier les rapports futurs entre les Six et le reste de
l‘Europe (dont la Grande Bretagne). Harold Macmillan, Premier ministre, alors président du
Conseil de l‘OECE, proposa l‘institution entre les pays de l‘OECE, d‘une zone de libreéchange industriel, dont l‘idée serait pour chaque pays de faire progressivement disparaître
ses barrières douanières au profit des autres pays membres de l‘OECE, tout en conservant une
politique douanière à l‘égard des pays extérieur à l‘OECE.
Au début, les partisans de la construction européenne comme Monnet et Spaak, saluèrent
cette proposition anglaise car voyant dans la zone de libre-échange un complément à l‘union
douanière des Six qu‘il fallait établir d‘abord. Toutefois, le problème concernant l‘intégration
de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne demeurait entier particulièrement
pour la construction du Marché commun. Et, l‘effort de Monnet était récurrent. Le 11
décembre 1957 à la conférence internationale pour la liberté de la culture, il plaida à nouveau
pour la nécessité d‘engager l‘Angleterre dans l‘union des Six : «Britain will necessarily be
more and more closely associated with the union of the Six. So will the smaller countries of
Europe. As that happens, the current will carry the United States also, closer to a Europe able
at last to contribute its full share to the prosperity, the security and vigor of the whole Atlantic
world »857.
En contradiction avec cette perspective et dans l‘attente de la zone de libre-échange, les
Britanniques espéraient imposer leur entrée simultanée au sein des deux organisations (OECE
et Marché commun), de sorte à compromettre le développement du Marché commun (qui eût
été de fait en compétition avec la zone de libre-échange). Comme en témoigne Robert
Marjolin : « Il y a eu des discussions à Londres qui m‘ont été rapportées : « Est-ce que nous
joignons le Marché commun ou pas ? » Et la réponse a été négative : ―Mais il faut faire
quelque chose pour que nos marchandises ne fassent pas l‘objet d‘une discrimination.‖ Ҫa a
857
DDE 71, DDE Library, Hague, Gabriel-Special Asst. To the President for Economic Affairs, Records 19531958. Box 2(Materials Relating to 5th International Conference-Congress for cultural Freedom # 15-29), report
(―America in the Next Twenty Years‖), (11.12.57).
298
été l‘idée de la Grande Zone de libre-échange, le Marché commun entrant dans cette zone de
libre-échange comme une unité avec les Anglais et les autres pays »858
En clair, refusant l‘entrée dans le Marché commun, les tentatives profondes de la GrandeBretagne furent d‘en faire un élément autonome au sein de la grande zone de libre-échange.
Aussi, dans une zone de libre échange élargie, les pays non-communautaires pourraient
bénéficier de la réduction des tarifs douaniers prévue entre les Six du Marché commun, sans
pour autant accepter la rigueur des tarifs douaniers ni les politiques communes. Cela aurait eu
pour effet de vider de son sens le Marché commun pour le transformer en une zone souple de
libre échange et de mettre les Six nations sous la surveillance d‘un groupe plus large maîtrisé
dans la pratique par Londres.
Cette tentative anglaise s‘intensifia lors de la création du Marché commun, comme en
témoigne Robert Marjolin : « C‘est dès 1956 que l‘idée de la Grande Zone de libre-échange
est née. Les Anglais, qui n‘avaient pas voulu qu‘on parle de l‘union douanière au temps du
plan Marshall, qui n‘avaient pas voulu participer à la CECA, qui, après avoir envoyé un
observateur au Comité Spaak, l‘avaient retiré après deux séances, les Anglais ont pris soudain
peur lorsqu‘ils ont vu que l‘idée d‘une union douanière européenne, d‘un marché commun
européen, pouvait se réaliser »859.
Aussi, dans le même temps, pour faire triompher son idée de zone de libre-échange
industriel à l‘OECE, la Grande-Bretagne exerça des pressions diplomatiques pour retarder la
ratification du traité de Rome par les Six, et particulièrement sur l‘Allemagne fédérale pour
l‘amener à renoncer aux négociations. Avec Ludwig Erhard, libre-échangiste, le plus fervent
partisan de la Zone de libre-échange, la Grande-Bretagne espéra trouver un appui de poids
pour son projet. Il y avait donc là un danger certain pour le traité Rome. François Valéry, haut
fonctionnaire du Quai d‘Orsay, jugeait que le temps était venu de poursuivre ou de rompre les
négociations860. Olivier Wormser, directeur d‘Europe au Quai d‘Orsay, accusa les Anglais de
« rendre caduc le traité de Rome en proposant le traité de la Zone de libre-échange ». Et
Maurice Couve de Murville, alors ministre français des Affaires étrangères, estimait qu‘une
858
« Interview de Robert Marjolin par Roberto Ducci et Mme Maria Grazia Melchionni le 24 septembre 1984 »
in La Genèse des Traités de Rome : Entretiens inédits avec 18 acteurs et témoins de la négociation, op.cit.,
p.325.
859
« Interview de Robert Marjolin par Roberto Ducci et Mme Maria Grazia Melchionni le 24 septembre 1984 »
in La Genèse des Traités de Rome : Entretiens inédits avec 18 acteurs et témoins de la négociation, ibid.
860
DE-CE, 1945-1960, 754, DAEF/F.V. 20 octobre 1958, note, cité par Gérard Bossuat, L’Europe des
français1943-1959, op.cit., p.389.
299
position commune des Six était devenue impossible861. Monnet commença, également, à
redouter que Londres puisse entraver le processus communautaire. Conformément à la note de
John Tuthill sur une discussion entretenue avec Monnet au sujet de la déclaration Macmillan,
Monnet finalement conclut que « […] Macmillan played down the tough talk of economic
warfare, dismantling of OEEC and FTU, etc., and indicated instead that efforts would be
continued to achieve from accommodation with the Common Market »862.
Pendant que se déroulaient toutes ces oppositions, le problème de la Grande-Bretagne
continuait de préoccuper Jean Monnet. Il était le premier à reconnaître que les Britanniques
avaient une attitude déconcertante. Ayant refusé de prendre part aux négociations du traité de
Rome mais craignant de voir se constituer un bloc continental uni 863, Monnet critiqua
beaucoup la position prise par Maudling864le négociateur anglais ainsi que d'autres
responsables britanniques : « Monnet felt that the British statements of support for the
Common Market did not ring true. Many of the British assumed that via the Free Trade Area
the significance of the Common Market would be reduced. He felt that the British had failed
to understand the political force of the will for building a new Europe. On the other hand he
felt that the British, being realistic, would ultimately adjust themselves to the new
circumstances which will exist starting January 2, 1959 » 865.
Les tensions provoquées par la compétition entre le Marché commun et la grande zone de
libre-échange augmentèrent après les négociations du traité Rome. Pendant les discussions à
l‘OECE concernant la Grande zone de libre-échange qui se déroulèrent, du printemps 1957 à
décembre 1958, la division entre la France et l‘Angleterre s‘intensifia encore. Dans une note
pour le ministre des Affaires étrangères, le 6 novembre 1958, De Gaulle parla de
« revendications excessives auxquelles le gouvernement français n‘était pas en état de
861
Gérard Bossuat, ibid.
USDOS/JT 7, US Department of State, John Tuthill Papers, Dispatch 867; Mem Con 11/12/58, dispatch (by
Tuthill), (12.11.58)
863
Éric Roussel, Jean Monnet, pp.726-727.
864
Un projet de grande zone de libre-échange, qualifiée d‘Association économique européenne, fut ainsi élaboré,
au sein du comité Maudling. Il ne prévoyait que des mesures automatiques de libération des échanges identiques
à celles du Marché commun, applicables dans les même délais c‘est-à-dire avec une période transitoire de douze
à quinze ans, divisée en trois étapes. Cette libération des échanges ne porterait qu sur les seuls produits
industriels, les produits agricoles étant laissés de côté. Elle n‘était prévue que pour les territoires européens des
pays membres. Pierre Gerbet, op.cit., p.238.
865
USDOS/JT 7, US Department of State, John Tuthill Papers, Dispatch 867; Mem Con 11/12/58, dispatch (by
Tuthill), (12.11.58)
862
300
satisfaire, sinon la France serait submergée »866. Alors qu‘à Londres, Selwyn Lloyd parla avec
grandiloquence d‘un désastre : « On est arrivé au stade le plus critique des relations anglofrançaises depuis juin 1940»867. La France critiquait les Anglais qui voulaient détruire le
Marché commun ou l‘empêcher de fonctionner. Maurice Couve de Murville rejeta la
perspective d‘une zone de libre-échange où il n‘y aurait ni agriculture, ni barrière douanière
extérieure commune avec les mêmes taux, ni d‘union économique en germe. Alors que les
Anglais estimaient que la France cherchait à préserver sa politique traditionnaliste en se
servant du Marché commun. Les Britanniques multipliaient les manœuvres de division auprès
des Six et comptaient sur l‘Allemagne pour faire pression sur une France affaiblie par les
difficultés économiques et financières.
Le 13 novembre 1958, Jacques Soustelle, ministre français de l‘information, déclara : « Il
n‘est pas possible pour la France de créer une zone de libre-échange entre les six pays du
Marché commun et les onze de l‘OECE, et cela faute d‘un tarif douanier unique aux frontières
des dix-sept pays et faute de mesures d‘harmonisation dans les domaines économique et
social »868. L‘intransigeance de la France par rapport aux propositions anglaises s‘expliquait
partiellement par son attachement à la politique agricole commune du Marché commun, car le
projet de la Grande-Bretagne ne portait que sur les produits industriels, les produits agricoles
étant laissés de côté. Quoi qu‘il en soit, le retour au pouvoir du général De Gaulle modifia
radicalement les données politiques sur la scène européenne, qui mit un terme à l‘offensive
britannique. Sans parler de l‘intérêt économique, l‘ancien chef de la France libre ne pouvait
accepter une organisation européenne où la Grande-Bretagne aurait exercé son leadership. Le
15 novembre 1958, le gouvernement français fit savoir qu‘il ne pourrait accepter la création
d‘une zone de libre-échange qui ne comporterait ni tarif extérieur commun, ni règles
communes concernant l‘agriculture. Pour prouver aux Cinq la sincérité de son attachement au
traité de Rome, le général De Gaulle décida de respecter scrupuleusement les obligations du
Marché commun au 1er janvier 1959. Pour priver la Grande-Bretagne d‘un prétexte de rupture
et de tension à l‘OECE, il offrit à tous les pays membres du GATT l‘abaissement des tarifs
866
DE-CE, 1945-1960, 754, Présidence du conseil, Paris le 6 novembre 1958, note pour le ministre des Affaires
étrangères, Cabinet, cité par Gérard Bossuat, L’Europe des français1943-1959, op.cit., p. 390.
867
Ministère des Affaires étrangères Cabinet du ministre, M. Couve de Murville, et d‘entretiens, 1958, vol 282,
conversation Selwyn Lloyd, Couve de Murville, Maudling, Londres, 6 novembre 1958, cité par Gérard Bossuat,
L’Europe des français1943-1959, ibid.
868
771 471, art 59-70, SGCI 1196, Assemblée Parlementaire européenne, la ZLE et les commentaires de la
presse, APE 1153, cité par Gérard Bossuat, ibid, p.391.
301
douaniers de 10% et l‘extension de 20% des contingents d‘importations869. Un mois plus tard,
le projet anglais échouait alors que, le 1er janvier 1959, le traité de Rome entrait en
vigueur870.
N‘y avait il aucune compatibilité possible entre les visions de l‘Europe de Monnet et celle
des Britanniques ? Or, la question britannique devint plus importante encore après l‘échec des
négociations sur l‘instauration d‘une zone de libre échange en novembre 1958. De nombreux
journaux économiques montraient ce phénomène conflictuel. Business Week, journal
économique américain constata : « Western Europe is split today into two economic camps.
On the one side is the six-nation Common Market (European Economic Community), which
is all set to start functioning Jan. 1. On the other side is a second group of six nations that
have just failed in an attempt to attach the proposed Free Trade Area to the Common Market.
This economic clash has been building up for months, with France and Britain constantly
quarreling as the respective champions of the Common Market and the Free Trade Area.
Their differences came to a head two weeks ago when Paris gave a flat no to the FTA scheme.
London followed by breaking off negotiations and dropping hints of retaliation. The only
hope came from a few signs of compromise visible this week »871.
Du côté des États-Unis, le jugement des Américains à l‘égard de ce conflit entre deux
champs économiques européens était très préoccupant. Face à cet affrontement, les États-Unis
souffraient d'une certaine schizophrénie. Du fait que d'une part, l'unité économique et
politique de l'Europe occidentale était un objectif majeur de l'après-guerre et que d'autre part,
Washington était préoccupé par les caractéristiques protectionnistes du Marché commun,
aussi, en conséquence, ils souhaitaient les voir diluées dans la Zone de libre-échange872.
C‘était-là toute l‘ambiguïté des Américains devant ce conflit entre l‘Europe des Six et
l‘Europe de l‘OECE. À cet égard, Shepard Stone, responsable du programme international de
la Fondation Ford, affirma : « The Continental situation vis-à-vis England is undoubtedly
extremely important. Although Monnet is not worried about it, he knows that this needs a
great deal of attention»873. Une lettre de Bruce à Monnet explique : «A further danger may
869
Gérard Bossuat, L’Europe des français1943-1959, ibid.
Hungdah Su, op.cit., pp.147-148.
871
FJME AMK C 23/9/24 :« Trade Unity Splits West Europe; Time for a Push Toward Unity », Article
(Business Week), (06.12.58)
872
FJME AMK C 23/9/24 :« Trade Unity Splits West Europe; Time for a Push Toward Unity », Article
(Business Week), (06.12.58)
873
DC/SS 19, Dartmouth college library, Shepard Stone papers, Letter : (SS to Nielsen and Gordon), (14.04.59)
870
302
arise from the need to settle the problem of the relationship of the Six with the other members
of the OEEC […] It is a dangerous situation for the British to feel isolated from and shunned
by the Six »874. Pour les États-Unis, la rupture entre les Six et les autres membres de l‘OECE
leur semblait être un problème très grave, car ils souhaitaient continuer à donner leur appui à
la CEE, mais aussi au développement économique de la grande Europe de l‘OECE. En outre,
l‘OECE leur semblait donner plus de garanties d‘ouverture quant aux échanges qu‘une petite
Europe des six : « Let us not forget that the OEEC serves the most important function of
providing for closer economic and, therefore, political ties with the ―neutral‖ countries of
Western Europe. There are also the growing relations with Yugoslavia and Spain. Finally,
Greece and Turkey fit well into an OEEC framework »875.
Les États-Unis se demandaient comment concilier le Marché commun avec la GrandeBretagne ainsi qu‘avec les membres de l‘OECE extérieurs au Marché commun. Il était
impérativement de trouver une solution entre les Six et les Onze, mais dans le cadre de
l'OECE876. David Bruce parla de son inquiétude à travers une lettre du 8 juin 1959 à Monnet:
«the U.S. position should be for (a) consolidation and strengthening of the economic
communities of the Six, (b) the active promotion of the FTA within an OEEC framework, (c)
the acceptance of some further temporary period of discrimination in the application of
quantitative restrictions against the U.S. if such discrimination is firmly embedded on a
multilateral basis in a time-phased genuine FTA. There is more than ample Congressional
sanction for such a position—e.g., a preamble to successive mutual security acts
recommending the economic unification of Western Europe »877.
Le 27 juillet 1959, en remarquant qu‘il y avait une grande différence entre la méthode et
les principes de la zone de libre-échange, Monnet plaida que le projet du Marché commun et
celui des Britanniques ne pourraient être compatibles, en raison de divergences trop grandes :
« Si ces négociations ont échoué, c‘est, essentiellement, parce que le Marché commun et la
zone de Libre échange reposent sur des conceptions fondamentalement différentes. Le
Marché commun n‘est pas uniquement un dispositif tendant à l‘abolition des tarifs douaniers.
Le Marché commun prévoit plus qu‘une mise en commun des ressources ; il prévoit la mise
en commun des politiques des Six nations qui agiront comme une seule unité, et il établit les
874
FJME AMK C 23/2/40 : Lettre de David Bruce à Jean Monnet, (08.06.59), voir document annexe14.
FJME AMK C 23/2/40 : Lettre de David Bruce à Jean Monnet, (08.06.59)
876
FJME AMK C 23/2/40 : Lettre de David Bruce à Jean Monnet, (08.06.59)
877
FJME AMK C 23/2/40 : Lettre de David Bruce à Jean Monnet, (08.06.59)
875
303
institutions qui permettront la mise au point et l‘application de ces politiques. En revanche, le
projet de Zone de Libre échange envisage un dispositif purement commercial. En dehors de
l‘abolition des tarifs intérieurs, les pays membres ne seraient tenus à aucune discipline, à
aucune procédure, à aucune politique commune. Le Marché commun peut remplir ses
obligations de région hautement industrialisée et relativement riche en contribuant à résoudre
les problèmes qui se posent au monde. Alors que La Zone de Libre échange ne pourrait pas
apporter de contribution analogue. Privée d‘une discipline commune et d‘institutions
communes comme celles du Marché commun, elle n‘aurait aucun moyen d‘aboutir à une
unité d‘action »878. Ainsi, il conclut que l‘établissement de cette zone risquerait de compliquer
plutôt que de résoudre le problème de la coopération économique européenne. L‘Europe
devait être intégrée. Aussi, elle serait uniquement continentale si les Anglais n‘étaient pas près
accepter les obligations inhérentes à cette intégration.
À l‘issu de l‘intervention de Monnet, les Américains décidèrent de soutenir le Marché
commun d‘une façon catégorique et de s‘opposer à la création de la zone de libre-échange.
Douglas Dillon, le sous-secrétaire d‘État américain, acta donc en faveur de la CEE. Le
journaliste du Combat, Jean Picard-Brunsvick rapportÀ cette décision : « Douglas Dillon
semble avoir déçu les Britanniques, lors de la brève visite qu‘il vient de leur rendre. Il a, au
contraire conquis, les « petits Européens » de Bruxelles, qu‘il s‘agisse du Français Marjolin,
du Belge Jean Rey ou de l‘Allemand Hallstein ; mais il est juste de dire que le sous-secrétaire
d‘État américain a été séduit par les idées à lui exposées par les trois protagonistes de la
Commission de la Communauté économique européenne »879.
Pourquoi cette prise de position des Américains en faveur de la CEE ? Deux raisons
directement liées aux intérêts nationaux américains peuvent expliquer ce soutien :
En premier lieu, les États-Unis souhaitaient bénéficier du développement de l‘économie
européenne. C‘est vrai qu‘ils s'inquiétaient de la politique protectionniste du Marché
commun. Mais ils tenaient encore plus à développer leurs exportations en Europe car leur
balance des paiements était déficitaire depuis 1958. Dès novembre 1958, Douglas Dillon,
sous-secrétaire d‘État, se rendit en Europe et proposa l‘ouverture de négociations
multilatérales en vue d‘abaisser les droits de douane de 20% entre les pays participants,
proposition qui fut acceptée par le Conseil des ministres de la CEE en mai 1959, et pesa
878
879
FJME AMK 103/1/16 : une note de Monnet, « Une ère nouvelle dans les relations atlantiques », (27.07.59)
FJME AMK 103/3/8 : « Le réalisme de M. Douglas Dillon », de Jean Picard-Brunsvick. Combat, (11.12.59)
304
lourdement dans la balance pour le soutien à la CEE. Picard-Brunsvick titra d‘ailleurs son
article « les buts de la mission Dillon » : « […] En particulier au moment où l‘économie
américaine devra, peut-être, effectuer une reconversion tout au moins partielle, du fait de
l‘abandon de la guerre froide, ce serait une catastrophe si certains marchés européens se
fermaient aussi brutalement qu‘inexorablement aux marchandises yankee. De plus, comme à
la guerre froide va succéder la coexistence pacifique avec l‘Est, c‘est-à-dire la guerre
économique, il importe que tous les peuples du monde libre organisent leur coopération. Sur
quel terrain se livrera la bataille? Sur l‘aide à porter aux pays insuffisamment développés,
dont les populations déshéritées constituent pour l‘idéologie communiste une proie de choix.
Dillon est donc venu s‘entendre avec l‘Europe »880.
En deuxième lieu, comme en témoigne Robert Marjolin, les États-Unis voyaient dans le
Marché commun l‘embryon d‘une Europe politique, en dépit de la discrimination
commerciale que l‘union douanière apportait. Aussi, les perspectives de Monnet quant à la
politique commune du Marché commun semblaient être bien partagées par les Américains.
L‘Europe politique les intéressait car l'unité économique et politique de l'Europe occidentale
était un objectif prioritaire. George Ball dit : « Ҫa vaut la peine d‘accepter quelques
désavantages commerciaux si nous obtenons satisfaction sur la grande idée politique » 881. Ils
désiraient que la Communauté européenne devienne un des pôles du monde atlantique
pouvant servir de marchepied à une communauté totalement atlantique. Douglas Dillon, le 14
janvier 1960, envoyé spécial du président Eisenhower, manifesta une visible préférence pour
la Communauté des Six en raison des buts d‘unification politique qui étaient les siens882.
La non-intégration de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne était un thème
récurrent lors des discussions entre les élites politiques américaines et Jean Monnet. Les deux
partis, dès les débuts de la construction européenne, regrettèrent l‘absence des Britanniques
dans ce processus. Pourtant, ils maintinrent leurs efforts constants jusqu‘aux négociations sur
le traité Rome. Après l‘échec de la zone de libre-échange en 1958, la divergence de position
entre les Britanniques et les Français s‘intensifia, si bien que Monnet ne put plus soutenir les
anglais. Il eut plusieurs raisons à cela :
880
FJME AMK 103/3/8 : « Le réalisme de M. Douglas Dillon », de Jean Picard-Brunsvick. Combat, (11.12.59)
« Interview de Robert Marjolin par Roberto Ducci et Mme Maria Grazia Melchionni le 24 septembre 1984 »
in La Genèse des Traités de Rome : Entretiens inédits avec 18 acteurs et témoins de la négociation, op.cit.,
p.327.
882
FJME AMK 103/3/37 : « De la Muette au Majesté. M. Dillon veut rapprocher les Européenne pour soulager
les U.S.A », de André Lefèvre. Démocratie, (14.01.60)
881
305
Premièrement, le Marché commun devint réalité. De Gaulle et les États-Unis travaillèrent
chacun de leur côté à renforcer la CEE pour leurs bénéfices propres, et ce en dépit, de points
de vues fortement divergents voire opposés – De Gaulle dans l‘intérêt de l‘économie française
et les États-Unis, pour leurs exportations et pour leur projet atlantique – ainsi chacun des deux
partis étaient convaincus de la nécessité d‘organiser l‘Europe.
Deuxièmement, le projet anglais de libre-échange ayant échoué, et Londres s‘apercevant
que la création de l‘AELE était peu avantageuse pour la Grande-Bretagne, les Anglais
demandèrent leur intégration à la CEE, dès 1961. Or, De Gaulle s‘opposa à leur entrée par
deux fois, au risque de générer de profondes tensions entre la France et les cinq autres nations
du Marché commun, prétextant une incompatibilité des systèmes économiques entre les pays
communautaires et la Grande Bretagne. La violence de l‘opposition de De Gaulle à
l‘intégration de l‘Angleterre dégradait encore un peu une relation Franco-anglaise déjà fragile.
L‘intransigeance voire l‘entêtement de De Gaulle devint un sujet de préoccupation pour
Monnet et ses amis américains, tant et si bien que la notion même d‘intégration européenne
fut ébranlée, avec d‘un côté, des européistes « continentaux » et de l‘autre côté, des
européistes « atlantistes ». La confrontation « Monnet – De Gaulle » était donc inévitable.
Une identité européenne conflictuelle : « l’Europe continentale » des
Gaullistes face à « l’Europe atlantique » de Monnet.
Les années 1960 et 1961 sont marquées par le conflit et les tensions entre l‘Europe des
Gaullistes et l‘Europe de Monnet. Leurs conceptions et leurs actions étaient le plus souvent
opposées par rapports aux relations internationales durant cette période883. Depuis les
événements du 13 mai 1958, le coup d‘État de l‘armée à Alger et la prise de pouvoir par De
883
En ce qui concerne un parallèle entre les deux personnages, voir Jean–Baptiste Duroselle « Deux types de
grands hommes : le général De Gaulle et Jean Monnet », in Jean-Baptiste Duroselle, Itinéraires, idées, hommes
et nations d’Occident ( I e-XXe siècles), Paris, Publication de la Sorbonne, 1991, pp.243-260 ; Wilfried Loth,
Jean Monnet, Charles De Gaulle et le projet d‘Union politique (1958-1963), in Gérard Bossuat-Andreas
Wilkens, Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la Paix, (sous la dir.), Publication de la Sorbonne, 1999,
pp.357-367, voir aussi Pierre Gerbet, « Jean Monnet-Charles De Gaulle. Deux conceptions de la construction
européenne », in ibid., pp.411-433. ; voir la thèse de Hungdah Su, Aussi Michel Albert, « Souvenir de Jean
Monnet », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, Lausanne, Fondation Jean Monnet, 1989, pp. 25-27.
306
Gaulle en France, la tension n‘avait cessée de monter. Cette prise de pouvoir s‘accompagna
d‘une nouvelle constitution et bouleversa le jeu politique de la France. De Gaulle souhaitait
mettre fin à la toute-puissance du pouvoir législatif, renforça l‘exécutif, instaura un système
équilibré et stable, et imposa le référendum. À ces changements, Monnet, en réalité, ne
désirait pas autre chose
884.
Il n‘était d‘ailleurs pas opposé au retour de De Gaulle : « Bien
mieux, il apparut qu‘on s‘était exagéré les difficultés que provoquerait l‘ouverture du Marché
commun. […] L‘heure de la construction politique également en serait avancée. Ces deux
objectifs allaient devenir les thèmes majeurs du Comité et l‘essentiel de mon action»885.
N‘était-il pas trop optimiste ? Il écrivit également dans ces Mémoires que : «L‘Europe
politique sera créée par les hommes ; le moment venu, à partir des réalités, Comment avonsnous pu croire à plusieurs reprises que ce moment était venu et que les réalités étaient
mûres, c‘est une histoire pleine de malentendus, mais aussi de bonne volonté, Si l‘Europe a
été tirée dans plusieurs directions opposées par des hommes qui n‘avaient pas la même idée
de son destin, j‘y vois beaucoup de temps et d‘efforts perdus, mais rien qui contredise la
nécessité de l‘unir. Simplement, les philosophies et les méthodes étaient différentes, et comme
toujours ce sont les réalités qui auront le dernier mot»886.
Selon Gérard Bossuat, Monnet évalua l‘attitude de De Gaulle avec trop d‘optimisme car le
gouvernement français avait accepté de suite les avantages de l‘Europe des Six sans pour
autant aller à l‘intégration politique de l‘Europe, ni marcher vers une libération générale des
échanges. Tuthill, l‘ambassade américaine de Paris, remarqua : «I mentioned to M. Monnet
Wormers‘ statement to me that French acceptance of the Common Market should not lead
anyone to believe that France was prepared to abandon protectionism and via the Free Trade
Area or the GATT to proceed down the path of liberalizing trade in general »887.
L‘instabilité de De Gaulle envers les Communautés troublait les observateurs américains
ainsi que Monnet. Sous la IVème République, De Gaulle était dans l‘opposition et critiquait
vivement une politique européenne largement inspirée par un seul homme : Monnet. Mais une
fois au pouvoir, sous la Vème République, il imposa sa vision de l‘Europe. Cette politique
884
Éric Roussel, Jean Monnet, p.721.
Jean Monnet, Mémoires, pp.636-637.
886
Jean Monnet, Mémoires, p.640.
887
USDOS/JT 7, US Department of State, John Tuthill Papers, Dispatch 867; Mem Con 11/12/58, dispatch (by
Tuthill), (12.11.58)
885
307
bouleversa Monnet. Par exemple, devant la désapprobation de Butterworth à Luxembourg888,
De Gaulle chercha à rassurer les Américains quant à un accord pour Euratom. Parfois il
semblait marcher sur les traces de ses prédécesseurs, parfois non. Même Monnet paraissait
admettre que De Gaulle s‘était converti à l‘intégration européenne telle qu‘il en avait été le
promoteur. Il cherchait à rassurer les Américains mais ne les convainquit pas.
Il y avait de profondes divergences entre ces deux hommes en matière de construction
européenne. Dès son retour au pouvoir, de 1958 jusqu‘à l‘été 1959, les vues de De Gaulle et
de Monnet semblaient assez proches concernant la nécessité de faire l‘Europe. Tous deux
estimaient que l‘organisation de l‘Europe était indispensable au maintien de la paix, à
l‘intégration de l‘Allemagne et au progrès économique qu‘elle permettrait aux Européens afin
d‘exister entre les deux superpuissances américaine et soviétique. Mais ils divergeaient
profondément sur la méthode à employer, sur les institutions à bâtir et sur les rapports à
établir avec les États-Unis889. Ces divergences furent souvent source de conflit entre ces deux
hommes entre 1960 et 1961, et particulièrement sur les liens ente l‘Europe et les États-Unis.
Selon René Girault, les conflits entre les deux hommes ne portaient pas seulement sur
l‘opposition entre l‘Europe des patries, chère à De Gaulle et la croyance de Monnet dans les
vertus de la supranationalité. Le plus profond désaccord était la nature des relations entre
l‘Europe occidentale et les États-Unis, et la nature de l‘Atlantisme : « En fait, pour les deux
hommes, dit René Girault, la question fondamentale de la nature future de l‘Union politique
européenne ne procédait-elle pas seulement de schémas théoriques, mais bien davantage de la
forme prise par les relations entre l‘Europe occidentale et les États-Unis ; et là, la séparation
était totale »890.
Cette explication de René Girault nous entraîne à confronter l‘Europe des Gaullistes et
l‘Europe des Atlantistes. D‘autant plus qu‘il n‘est pas exagéré de dire que cette confrontation
fut fondamentale à cette époque, et qu‘il est donc utile de montrer leurs vues opposées sur
l‘Atlantisme.
888
840.1901/1-2459, Butterworth, Luxembourg, to S. of State, Colux 147, January 27, 2 pm, cite par Gérard
Bossuat, « Jean Monnet, le Département d‘État et l‘intégration européenne 1952-1959 », in René Girault, Gérard
Bossuat (ed.), op.cit., p.343.
889
Pierre Gerbet, « Jean Monnet-Charles De Gaulle. Deux conceptions de la construction européenne», in
Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, op.cit., p.411.
890
René Girault, « Interrogations, réflexions d‘un historien sur Jean Monnet, l‘Europe et les chemins de la
Paix », in Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, ibid., p.19.
308
« L’Europe continentale » et « l’Europe atlantique » : construction européenne entre 1960 et
1962.
L‘arrivée au pouvoir du général De Gaulle fut un facteur important surtout pour l‘avenir
des relations euro-atlantiques. Son retour au gouvernement français inquiétait autant les
Européistes que les Atlantistes car pour beaucoup d‘observateurs, De Gaulle voulait une
Europe uniquement au service de la France.
Au moment où le général De Gaulle revint aux affaires en 1958, l‘Europe était très
différente de celle de 1946, lorsqu‘il avait démissionné de la présidence du gouvernement
provisoire. L‘Alliance atlantique avait été créée, et particulièrement intégrée. La première
intégration européenne proprement dite avait été permise par l‘instauration de la CECA et
stabilisée par le traité de Rome. En outre, De Gaulle dut se rendre compte que la coopération
internationale
était
nécessaire
en
raison
du
progrès
des
communications
(ou
télécommunications), de l‘intensification des échanges, de la formation de grands ensembles
géographiques, ainsi que de l‘interdépendance économique.
Au bout du compte, avec une « certaine idée de l‘Europe », l‘homme du 18 juin 1958
allait adopter une série de politiques qui viseraient à orienter le développement de la
communauté européenne et de l‘alliance atlantique, mais dans la direction qu‘il souhaitait :
une coopération entre États souverains !
Toutefois, De Gaulle, bien que totalement opposé à la CECA, à la CED ou à toute autre
intégration supranationale, n‘était pas entièrement hostile à l‘Europe communautaire. Il se
félicitait même de l‘issue du traité de Rome car la construction européenne était essentielle et
faisait partie intégrante de son grand dessein pour l‘Europe. Il ne voulait pas mettre fin à cette
construction, qu‘il souhait orienter dans sa direction à lui. Au fond, il était favorable à une
construction européenne à condition qu‘elle puisse renforcer la France et qu‘elle soit, en
même temps, contrôlée par Paris. Par conséquent, la France gaulliste insista sur la
consolidation du Marché commun si les développements restaient limités. Dans le même
temps, Paris devint champion du refus des tentations anglo-saxonnes et du courant
supranational891. Aussi, préférait-il privilégier la relation franco-allemande. L‘entente franco-
891
Hungdah Su, op.cit., p.139. En ce qui concerne le conflit dans les négociations entre De Gaulle et les
Anglaises, voir Gérard Bossuat, L’Europe des français 1943-1959, op.cit., pp.379-399.
309
allemande que De Gaulle avait développée en 1950, était sa politique principale. Aussi, allaitil se convertir au fédéralisme européen, tel que Monnet l‘avait rêvé ? La réponse semble
négative ! Pourquoi De Gaulle souhait-il tant un rapprochement franco-allemand ?
Deux raisons peuvent expliquer cette politique :
En premier lieu, De Gaulle souhaitait assurer la sécurité de la France et donc exigeait une
garantie de la part de l‘Allemagne. Son dessein était dans la réflexion géopolitique francoallemande. D‘abord, il lui fallait mettre fin définitivement au Reich, qui serait remplacé par
une confédération. Puis le moteur de la guerre, c‘est-à-dire la Ruhr, devait être sous le
contrôle d‘une autorité internationale comprenant la France. Puis, l‘armée française
s‘installerait sur la rive gauche du Rhin. Enfin, il fallait que la Sarre soit liée, sinon annexée, à
la France, du moins, économiquement.
En second lieu, pour la France, le partenariat avec l‘Allemagne était indispensable à la
poursuite de la construction européenne, mais De Gaulle voulait rester en tête de l‘Europe
communautaire, faire restructurer le cadre nord-atlantique ou demeurer au premier rang à côté
des États-Unis, de l‘URSS et de la Grande-Bretagne892. Pour cela, il avait besoin des
ressources de l‘Allemagne.
En somme, chacun des deux partis, d‘un côté la France et de l‘autre, l‘Allemagne, avait
besoin de l‘autre pour continuer à peser sur l‘échiquier mondial. Aussi, une certaine solidarité
entre les deux pays était nécessaire ; pour autant, De Gaulle ne voulait pas l‘Europe fédérale
que Monnet essayait de concrétiser. Il voulait une Europe pour la grandeur de la France et
aussi pour une hégémonie occidentale. Un sentiment qui fut conforté par le fait que
l‘Allemagne fédérale ne pouvait plus être une menace pour la France : « La République
fédérale allemande ne constitue pas une menace, écrit-il à Khroutchev en septembre 1959, et
la France ne découvre rien qui, du fait de la République fédérale, puisse réellement
l‘inquiéter »893.
892
Hungdah Su, ibid., p.36.
De Gaulle, Lettres, notes et carnets, p.256, cité par Hungdah Su, ibid., p.37. Cette disparition du danger
germanique s‘explique dans l‘évolution des relations internationales. En première lieu, la menace soviétique, en
remplaçant le péril germanique, pesait lourdement sur l‘Occident dont les Allemands se trouvaient à l‘avantgarde. En second lieu, la RFA restait encore sous l‘occupation des alliés, y compris de l‘armée française. En
troisième lieu, le cadre de l‘OTAN et de l‘Union de l‘Europe occidentale bien orientèrent le réarmement
allemand. Hungdah Su, ibid.
893
310
La tempérance de Monnet face à l'intransigeance de De Gaulle.
Aussi, les propositions du général De Gaulle embarrassaient beaucoup les Atlantistes.
Alors, comme toujours, les Américains écoutèrent Monnet. Il conseilla aux États-Unis de ne
pas être avares ou difficiles dans leurs négociations avec le gouvernement de De Gaulle. Au
contraire, les États-Unis devaient se montrer disposés à discuter systématiquement avec lui
concernant les affaires économiques et financières894 Dans cette discussion avec J. Tuthill au
sujet de la négociation avec De Gaulle, Monnet informait que certaines aides économiques
américaines seraient souhaitables pour la réussite des négociations. En fait, Monnet pensait
qu‘au-delà de l‘aide économique pour la France, celle-ci pourrait servir à une intégration
européenne. Tuthill remarqua : «Assuming that De Gaulle made some reasonable progress on
these various issues, Monnet stated that ―Possibly some economic aid would be desirable‖. He
raised the question as to whether it might not be possible to provide aid to France, relating it
to the EEC and further moves toward integration of Europe. While Monnet had clearly not
thought this out, it was evident that he was intrigued with this possibility »895.
Puis, Monnet écrivit à Eisenhower en lui recommandant de chercher une solution au
conflit entre De Gaulle et le gouvernement américain et de traiter ce trouble à travers une
approche européenne, dans l‘intérêt de l‘Europe, tout en expliquant l‘importance de l‘Europe
pour l‘avenir de l‘Allemagne et de la France : « I remember that you often said to me while
you were in Paris that if Europe gets united there will be no war, but that if Europe does not,
then the future is uncertain. European unity is particularly important as regards the future of
Germany and France whose association must form the basis of any possible United Europe.
With France the solution of the questions that are pending between yourself and General De
Gaulle can be facilitated by the European approach which provides an opportunity for new
solution »896.
Il nous paraît donc que Monnet n‘avait pas de position complètement opposée à celle de
De Gaulle, concernant l‘entente privilégiée entre la France et l‘Allemagne, car il estimait là
que c‘était faire un grand pas en avant pour l‘intégration européenne que de rapprocher les
894
USDOS/JT 3, US Department of State, Papier de John Tuthill, memo (by Tuthill), (16.06.58)
USDOS/JT 3, US Department of State, Papier de John Tuthill, memo (by Tuthill), (16.06.58)
896
DDE 23, DDE Library, President‘s personal Files-Series box 61 (File 1-F-38-France), personal letter (Jean
Monnet to D.D. Eisenhower), (14.08.59), voir document annexe16.
895
311
deux nations qui formaient le socle de l'Europe. Il écrivit à Eisenhower, le 18 décembre 1958,
que : « the meeting between General De Gaulle and Mr. Adenauer is, I think, another very
great step forward in bringing together the two nations that form the basis of Continental
Europe »897. Monnet convainquit ses amis américains que De Gaulle pourrait prendre une
décision concernant le renforcement de l‘intégration européenne. Dans la conversation que
Monnet eut avec Tuthill le 12 novembre 1958, il dit : « […] that the General was in the
process of realizing that the future of Europe lay not in the individual sovereign states but in
being on integrated whole »898. À cette considération de Monnet, son interlocuteur américain,
J. Tuthill juge qu‘ elle était ingénue : « personally, however, I feel in the context in which
Monnet commented on these possibilities that he genuinely believes that De Gaulle is getting
away from concept emphasizing primarily or solely national grandeur and may in fact
sometime in the future create a new drive toward the Monnet drown of a federated
Europe »899.
Mais les tensions entre les deux hommes firent vraiment jour et s‘intensifièrent entre 1960
et 1962, concernant l‘élargissement possible de la CEE et surtout l‘entrée de la GrandeBretagne dans le Marché commun : « L‘Europe avait été pendant ses années d‘opposition un
des thèmes les plus constants des conférences de presse par lesquelles il se manifestait au
public. Chaque fois, il évoquait le projet grandiose d‘une Europe faite d‘une juxtaposition
d‘États souverains, de l‘Atlantique à l‘Oural, auprès de laquelle la Communauté des Six avait
petite apparence […] »900.
Concomitant à la crise anglaise, Monnet, dans une lettre adressée au président
Eisenhower, mentionna pour la première fois le concept de partenariat « partnership »
atlantique entre les États-Unis et l‘union d‘Europe, ce qui n‘arrangea rien aux relations déjà
difficiles entre lui et De Gaulle : « A partnership between the United States and a United
Europe. These objectives would be the basis on which it would be possible to build up a long
term understanding between Russia and the West that might one day become an association.
897
FJME AMK C/23/3/264 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower (18.12.58)
USDOS/JT 7, US Department of State, John Tuthill Papers, Dispatch 867; Mem Con 11/12/58, dispatch (by
Tuthill), (12.11.58)
899
USDOS/JT 7, US Department of State, John Tuthill Papers, Dispatch 867; Mem Con 11/12/58, dispatch (by
Tuthill), (12.11.58)
900
Jean Monnet, Mémoires, p.643.
898
312
As for Britain, since she does not wish for the moment to join a United Europe ought to deal
with both America and her on the same footing of close cooperation »901.
Et, il proposa concrètement une association économique atlantique dont les membres
s‘étendaient aux États-Unis, au Canada et aux membres de l‘union européenne. Il discuta les
termes de ce sujet avec Douglas Dillon, secrétaire d‘État adjoint aux Affaires économiques, le
18 juillet 1959 : « The main one is that I think a commercial content should be given to any
economic association. That would mean certainly the elimination of quotas on industrial
imports both in Europe and North America. It would also require an intensification of the
drive towards tariff reductions, begun by the proposals you made in GATT last year. I also
believe that all reactions to the little free trade area should be positive and not negative. For
this, it is necessary and sufficient to place the problems raised by the little free trade area in
their real context, which is that of the necessity of links, an association of which the
Americans and Canadians are full members along with the Europeans »902.
Cinq jours plus tard, Douglas Dillon répondit positivement à cette idée : « In view of the
recent developments and the assurances we have received regarding the Outer Seven, we have
also taken a more positive attitude toward this and will continue to do so as long as it remains
a true free trade area rather than a none for special discrimination »903.
Enfin, dès le 27 juillet 1959, en voulant faire de l‘Europe communautaire une seconde
Amérique, Monnet proposa de faire de la Communauté européenne un ensemble économique
riche et développé, participant à une association économique atlantique : « le moment était
venu de réexaminer l‘ensemble des mécanismes que les grandes puissances industrielles des
deux côtés de l‘Atlantique mirent en place en vue de leur coopération économique904. […] la
création du Marché commun signifie l‘apparition d‘une ―deuxième Amérique‖ dans la
communauté occidentale »905.
Monnet voulait développer la coopération transatlantique, à travers le projet d‘une
association économique atlantique. En imaginant un monde atlantique associé dans lequel les
questions commerciales euro-américaines seraient traitées comme un tout, selon lui :
901
DDE 23, DDE Library, President‘s personal Files-Series box 61 (File 1-F-38-France), personal letter (Jean
Monnet to D.D. Eisenhower), (14.08 59)
902
FJME AMK 103/1/14: Lettre de Jean Monnet à Douglas Dillon, (18.07.59)
903
FJME AMK 103/1/15 : Lettre de Douglas Dillon à Jean Monnet, (23.07.59)
904
FJME AMK 103/1/16 : « Une ère nouvelle dans les relations atlantiques », (27.07.59)
905
FJME AMK 103/1/16 : « Une ère nouvelle dans les relations atlantiques », (27.07.59)
313
« l‘Europe ayant recouvré sa santé économique, le moment est venu de prendre une nouvelle
initiative atlantique, fondée sur l‘acceptation sincère du fait que les problèmes commerciaux
de l‘Europe et de l‘Amérique du Nord sont des problèmes communs et doivent être traités
comme tels »906 C‘est-à-dire, une relation transatlantique fondée sur la convergences des
intérêts commerciaux américains et européens. Il estima qu‘il était temps d‘ouvrir une ère
nouvelle dans les relations atlantiques : l‘Europe occidentale exsangue au sortir de la guerre,
devenait, selon Monnet, un partenaire solide, que les États-Unis devaient traiter sur un pied
d‘égalité : «Ces mécanismes ont été institués dans les premières années qui suivirent la guerre
avant tout pour contribuer à la reconstruction et au redressement de l‘Europe occidentale. Or
les problèmes spécifiquement européens auxquels ils étaient destinés ont été résolus. Les pays
d‘Europe occidentale ont entièrement réalisé leur reconstruction économique. Ils n‘ont plus
besoin de l‘assistance des États-Unis. Ayant cessé d‘être dépendants, ils sont prêts à assumer
toutes les responsabilités d‘une association à part entière. La santé de son économie et son
expansion, l‘efficacité de sa production, la réalité de sa concurrence sur le marché mondial et
sa consommation de plus en plus considérable de produits en provenance d‘autres pays sont
autant d‘indices incontestables de leur redressement et de leur efficacité économique »907.
Aussi, pour atteindre cet objectif d‘indépendance de l‘Europe, elle devait renforcer sa
politique commune et refuser que le Marché commun ne soit qu‘un dispositif économique
tendant à l‘abolition de barrières douanières : « les membres du Marché commun se sont
engagés à élaborer et à appliquer des politiques communes dans une vaste gamme de
domaines qui relèvent de l‘autorité gouvernementale à une politique fiscale commune, une
politique monétaire commune, une politique agricole commune, une politique commune à
l‘égard des cartels et des monopoles, en matière d‘avantages sociaux et de normes
salariales…Ils sont convenus d‘élaborer une politique commune quant aux restrictions
quantitatives et, enfin, d‘adopter et de maintenir un tarif extérieur commun »908. L‘Europe ne
pourrait pas non plus ignorer la nécessité d‘une politique agricole commune au risque de
d‘écorner l‘harmonie atlantique tant recherchée.
L’OTAN : la pomme de la discorde
906
FJME AMK 103/1/16 : « Une ère nouvelle dans les relations atlantiques », (27.07.59)
FJME AMK 103/1/16 : « Une ère nouvelle dans les relations atlantiques », (27.07.59)
908
FJME AMK 103/1/16 : « Une ère nouvelle dans les relations atlantiques », (27.07.59)
907
314
Toutes ces démarches de partenariat atlantique de Monnet gênaient évidemment De
Gaulle, pour qui la vision d‘une « Europe atlantique » était le plus sûr moyen de perpétuer le
leadership des États-Unis. De Gaulle refusait tout projet allant dans ce sens comme l‘OTAN
contre lequel, il n‘avait de cesse de s‘opposer : Le « commandement suprême de l‘éventuelle
bataille d‘Occident, avertit-il en 1952, risque d‘évoluer, d‘empiétement en empiétement, vers
une sorte de direction de la politique, de l‘économie, de l‘information française »909 Il
n‘acceptait pas le statu quo, avec l‘OTAN comme centre de gravité, sur l‘échiquier euroatlantique. La raison était simple : ce n‘était pas le rang auquel la France pouvait prétendre.
Au fond, De Gaulle ne voulait pas complètement ignorer l‘Alliance atlantique. Il savait
qu‘elle était indispensable pour faire contrepoids à la puissance soviétique mais il souhaitait la
rééquilibrer au profit de la France. C‘est pourquoi il avait demandé, dès septembre 1958, la
création d‘un directoire à trois de l‘OTAN (États-Unis, Grande-Bretagne, France)910. Selon
l‘explication de Hungdah Su, le général De Gaulle ne s‘opposait pas à l‘Alliance atlantique. Il
suffisait seulement, selon lui, de rendre concret ce cadre de défense commune911.
Or, deux événements portèrent un coup décisif et lui firent durcir son attitude vis-à-vis de
la construction européenne et de l‘Alliance atlantique. Le premier fut le projet d‘une armée
européenne et de Communauté politique européenne. L‘Alliance atlantique, à partir de la fin
1950, évoluait vers une organisation intégrée sous le commandement américain. Lorsque
l‘organisation du traité de l‘Atlantique-Nord (OTAN) devint structurée, De Gaulle sembla se
rendre compte du lien existant entre la construction européenne et l‘Alliance atlantique
intégrée. En fait, les deux démarches étaient en conflit avec ses idées sur l‘Europe : d‘une
part, une entente générale franco-allemande garantissant les privilèges français, et une
coopération intergouvernementale sous forme de Confédération européenne et, d‘autre part,
une alliance traditionnelle euro-américaine basée sur l‘égalité. Désormais, De Gaulle prônait
vigoureusement cette antithèse européenne au cœur de sa bataille contre l‘intégration euroatlantique.
909
De Gaulle, Discours prononcés à Paris le 23 février 1952 , Discours et messages : 180, cité par Hungdah Su,
op.cit., p.155.
910
Pierre Gerbet, « Jean Monnet-Charles De Gaulle. Deux conceptions de la construction européenne », in
Gérard Bossuat et Andreas Wilkens, op.cit., p.419.
911
Hungdah Su, op.cit., p.58.
315
Cette intransigeance contre l‘Alliance atlantique demeura inchangée après son retour. Ses
réactions contre l‘OTAN s‘affirmèrent rudement. Le 7 mars 1959, il retira la flotte française
de Méditerranée du commandement de l‘OTAN. Au mois de juin suivant, Paris refusa
d‘entreposer des charges nucléaires américaines sur le territoire français, ce qui provoqua, en
décembres 1959, le transfert en Grande-Bretagne et en RFA de 200 bombardiers américains à
capacité nucléaire. En 1960, le refus français de participer pleinement au Nato Integrated Air
Defense (la défense aérienne intégrée de l‘OTAN) vint amplifier les décisions de l‘année
précédente912.
De Gaulle voulait constituer une « Europe continentale » moins liée aux États-Unis. Il
pensait pouvoir imposer une réforme de l‘OTAN. Dans cette Europe continentale, la base
solide de l‘entente franco-allemande était importante. Et bien sûr, la France pourrait en
prendre la tête. Il lui fallait donc s‘assurer d‘abord de l‘appui du chancelier Adenauer. Lors
des entretiens avec Adenauer, à Colombey-les-deux-Eglises le 14 septembre 1958, De Gaulle
précisa ses vues, comme en témoigne Maurice Couve de Murville : « Une Europe unie serait
une union des États, des nations, sous la forme d‘une coopération organisée susceptible de se
transformer par la suite en une vaste confédération. Les Communautés existantes y seraient
incluses, normalement subordonnées au pouvoir politique, car elles-mêmes n‘en
représenteraient pas un. La défense serait un des sujets de la coopération, et par conséquent
l‘OTAN devait être réformée à l‘initiative même des Européens pour mettre un terme à une
intégration qui leur déniait toute responsabilité en la matière »913.
Pour mettre en route cette nouvelle construction européenne, la France devait d‘abord
obtenir le soutien de l‘Allemagne fédérale. Durant le premier entretien entre De Gaulle et
Adenauer, les deux hommes parlèrent beaucoup de l‘Europe ainsi que des relations
bilatérales. Le 15 janvier de l‘année suivante, Michel Debré annonça au Palais Bourbon
qu‘une « consultation régulière et constante des chefs de gouvernement » entre la France et la
RFA serait établie. Celle-ci, ajoutait-il, serait le chemin qui mènerait vers la vraie solidarité914.
Il s‘agissait pourtant seulement d‘un accord bilatéral entre Paris et Bonn. Il fallut attendre juin
1959, lors de sa visite officielle en Italie, pour que le premier président de la V ème République
912
Jean-Sylvestre Mongrenier, La France, l’Europe, l’OTAN : Une approche géopolitique de l’atlantisme
français, Editions Unicomm, 2006, p. 33.
913
Une politique étrangère 1958-1969, p.244.
914
J.O.R.F., Débats, Assemblée nationale, 16 janvier 1959 (séance du 15 janvier 1959) :29, cité par Hungdah Su,
op.cit., p.174
316
propose des réunions des ministres des Affaires étrangères périodiques entre la France,
l‘Allemagne et l‘Italie. Ces rencontres seraient assistées d‘un secrétariat très modeste pour les
préparer.
La première rencontre des Ministres des Affaires étrangères des Six eut lieu à Strasbourg
en novembre 1960. Les Six donnèrent leur accord pour des réunions trimestrielles des six
chefs de la diplomatie. Durant l‘année 1960, trois rencontres de ce genre eurent lieu, sans que
des décisions d‘importance fussent prises. À partir du milieu de cette année-là, De Gaulle
trancha dans les affaires. Dans son allocution adressée au peuple français au lendemain de
l‘échec du sommet Est-Ouest du 16 mai 1960, De Gaulle mit l‘accent sur l‘organisation d‘un
groupement politique, économique, culturel et humain de l‘Europe occidentale. Le 30 juillet
suivant, à Rambouillet, De Gaulle obtint le soutien de principe d‘Adenauer pour la
construction d‘une Union politique européenne : réunions régulières des chefs d‘État ou de
gouvernement et des Ministres compétents, et Assemblée composée de délégations de
Parlements nationaux.
Pendant ce temps et simultanément, Monnet persuada Adenauer que « l‘entrée en scène
des États-Unis permettrait de dépasser les problèmes qui se posaient avec l‘Angleterre et qui
étaient arrivés à une impasse […]. Et cela ferait aussi un contrepoids majeur aux difficultés
qui se sont posés dans l‘OTAN et permettrait de renforcer les liens entre les pays
occidentaux »915. Il estimait que les pays européens reconstruits devaient développer leurs
relations avec l‘Amérique du Nord et les organiser sur un pied d‘égalité : « Pour la première
fois les États-Unis s‘engagent dans une collaboration avec l‘Europe sur un pied d‘égalité et
deviennent ainsi non plus une source d‘aide, mais un partenaire dans une entreprise
commune »916.
En contradiction avec les motivations de De Gaulle, l‘opinion de Monnet resta constante
et inchangée : la Communauté européenne devait développer ses relations avec les États-Unis.
Il avait déjà travaillé pour une association économique atlantique en 1959, et, en 1960,
proposa la transformation de l‘OECE en Organisation de Coopération et de Développement
Economique dont les États-Unis et le Canada seraient membres avec les dix-huit pays
d‘Europe occidentale. Le 11 janvier 1961, il affirma à W. Harriman que : « If, in the near
future, we begin to really organize the West, heading in the direction that NATO already
915
916
FJME AMK 103/1/47: « Projet de lettre », de Jean Monnet à K. Adenauer, (16.01.60)
FJME AMK 103/1/47: « Projet de lettre », de Jean Monnet à K. Adenauer, (16.01.60)
317
represents, then, we will have made progress—already the European Communities, the
growing integration of the Six represent the major factor of ―change‖. […] In my opinion,
there is no choice; the question has to be dealt with by America and Europe together»917.
Dans le même temps, Monnet s‘inquiétait de la notion de l‘ « Europe continentale » de De
Gaulle qui risquait de l‘éloigner des États-Unis. Il estimait inutile d‘aborder le problème de la
défense de l‘Europe en dehors de l‘OTAN, et qu‘il fallait au contraire le renforcer. Il
s‘attachait à la notion d«‘Europe atlantique » associée militairement et économiquement à
l‘Amérique. Les Atlantistes aussi se préoccupaient de la notion d‘ « Europe continentale » de
De Gaulle. Ils en étaient conscients du problème, surtout qu‘en matière de sécurité, les
Atlantistes soutenaient l‘Alliance avec les Américains et une intégration militaire dans le
cadre de l‘OTAN. Pour cette raison, ils s‘intéressèrent au projet de « force multilatérale »
proposé par Washington car celle-ci leur donnait l‘illusion d‘avoir accès aux armes
nucléaires918 et d‘un engagement américain sur le front le plus avancé en Europe.
L’union politique européenne : des divergences marquées mais surmontables.
Concernant l‘union politique européenne, les vues du général De Gaulle étaient bien
différentes de celles de Monnet, particulièrement par rapport au concept de supranationalité.
Avec le Plan Fouchet, De Gaulle chercha à organiser une Union d‘États européens ayant une
politique extérieure et une défense commune. Celui-ci fut l‘effort le plus remarquable du
gouvernement français au sein de l‘union politique. En fait, celui-ci représentait la mise en
œuvre de toutes les idées et toutes les ambitions européennes de De Gaulle. Depuis le début, il
était résolu à créer un cadre politique qui couvrirait tous les efforts européens. À ses yeux, il
fallait sortir la construction européenne « du domaine de l‘idéologie et de la technocratie pour
la faire entrer dans celui de la réalité, c‘est-à-dire de la politique. » Pourquoi insistait-il sur la
construction politique de l‘Europe ? « Sûrement, explique Hungdah Su, que cela faisait partie
intégrante de son grand dessein européen dont les arrière-pensées visaient à maîtriser les trois
917
918
FJME AMK C 23/4/177 : Lettre de Jean Monnet à W. Harriman (11. 01.61)
G. Soutou, L’Alliance incertaine, Paris, Fayard, 1996, p.278.
318
Communautés européennes et à constituer une puissance solidaire autour de la France sur
l‘échiquier atlantique »919.
Donc, l‘union politique européenne rêvée par le général De Gaulle était d‘organiser
l‘Europe entre États souverains. Dans ses vœux adressés aux Français à la fin de l‘année
1960, De Gaulle promettait d‘aider « à construire l‘Europe, qui, en confédérant ses nations,
peut et doit être, pour le bien des hommes, la plus grande puissance politique, économique,
militaire et culturelle qui n‘ait jamais existé »920. Une coopération la plus développée pourrait
aboutir à « la forme d‘une Confédération » dans laquelle «chaque État garderait sa
souveraineté, sauf dans les domaines que les nations attribueraient à la communauté pour que
soit réalisée l‘unification »921.
Quant à Monnet, depuis le début, il avait renoncé à une solution intergouvernementale car
selon lui, une simple coopération intergouvernementale n‘aurait jamais été suffisante. Par
ailleurs, il craignait qu‘une telle coopération ne renforce la souveraineté nationale et la notion
de frontière étatique, les deux sources du nationalisme dans l‘Histoire. Mais lors de
l‘allocution présidentielle, Jean Monnet essayait de voir l‘aspect positif de l‘initiative de De
Gaulle malgré les différences d‘opinion concernant la supranationalité. Il pensait que, malgré
tout, ce discours était une relance de la construction européenne qui permettrait de gagner du
temps car l‘intégration communautaire était un processus long et lent, surtout. Il estimait que
c‘était « un pas en avant important »922. Enfin, il admettait qu‘une structure de coopération
politique
de
nature
confédérale
pouvait
coexister
avec
les
structures
intégrées
communautaires déjà existantes mais à condition que celles-ci fussent sauvegardées et que la
voie restât ouverte à une évolution de type fédéraliste923 : « Temporairement, dans la situation
actuelle, et pour ces questions politiques nouvelles, je pense que la coopération est une étape
nécessaire. Elle représentera un progrès, surtout si l‘ensemble européen, communautés
intégrées et organisations de coopération-quoique différentes-étaient inclues dans un même
ensemble, une confédération européenne »924.
919
Hungdah Su, op.cit., p.173.
Hungdah Su, ibid., pp.58-59
921
« Communiqué du Conseil de Direction du R.P.F. du 7 août 1949 ». De Gaulle, Discour et message » : 305,
cité par Hungdah Su, ibid., p.30.
922
Jean Monnet, Mémoires, p.642.
923
Pierre Gerbet, op.cit., p.278.
924
Jean Monnet, Mémoires, p.648.
920
319
L’Angleterre et la CEE : des positions inconciliables
Le problème de la participation britannique à la CEE était le conflit qui cristallisait les
tensions entre les deux hommes. L‘engagement de l‘Angleterre au Marché commun était
souhaité par Monnet mais catégoriquement rejeté par De Gaulle. À cet égard, Monnet, malgré
tous ses efforts pour concilier leurs différences, s‘éloigna définitivement de De Gaulle qui ne
pouvait partager son optimisme. Monnet s‘en ouvrit à Allen Dulle : « I am certain you were as
delighted as I was that the British are now ready to join the European common Market. The
unity of Europe and its association with the United States seem to me the only policy to
follow »925. De Gaulle voyait au contraire dans la Grande-Bretagne, très liée aux États-Unis,
un obstacle à la construction d‘une « Europe européenne » sous une direction française. Ce fut
l‘objet d‘un grand malentendu entre le gouvernement de Kennedy et celui de De Gaulle. On
pouvait imaginer au début des années soixante, l‘ampleur du conflit entre les deux
conceptions « l‘Europe continentale » et « l‘Europe atlantique ». C‘était un conflit sur
l‘essence même de l‘Europe à construire. De Gaulle voulait à tout prix une Europe
continentale avec une entente franco-allemande et une petite Europe confédérale reposant sur
les souverainetés nationales. Et Monnet voulait une Europe atlantique, qui devait comprendre
à terme la Grande-Bretagne, de sorte à pouvoir rester sur un pied d‘égalité avec les ÉtatsUnis, mais en coopération avec ces derniers pour faire face aux problèmes du Monde.
De Gaulle voulait une Europe uniquement au service de la grandeur de la France. Aussi,
proposait-il un plan européen très ambitieux mais beaucoup trop centré sur la France pour être
acceptable pour ses partenaires européens.
Les deux conceptions de la construction européenne étaient trop éloignées pour être
conciliables. Les Gaullistes accusaient Monnet de puiser ses idées chez ses amis américains.
Monnet pensait que la politique gaulliste était trop autocentrée. De Gaulle s‘opposait à l‘idée
d‘un partenariat atlantique défendu par Monnet, même si, dans un premier temps, il resta
fidèle aux engagements en faveur du Marché commun. Monnet reprocha à ce dernier de s‘en
tenir à une Europe des États. Leurs démarches respectives dans les années soixante
s‘expliquent par une opposition entre deux conceptions radicalement différentes de la
construction européenne, définitivement inconciliables.
925
FJME AMK C/23/3/162 : Lettre de Jean Monnet à Allen Dulles, (01.09.61)
320
Kennedy et Monnet contre De Gaulle : conflit autour de l’entrée de la
Grande-Bretagne à la CEE.
De nombreux documents dans les archives de la fondation Jean Monnet pour l‘Europe et
des archives américaines rapportent que l‘engagement anglais dans la construction de
l‘Europe était vu comme une étape importante vers la communauté atlantique. Cette idée était
complètement partagée entre Monnet et les élites américaines. Aussi, le « grand dessein »
préconisé par John Fitzgerald Kennedy à propos du « partnership » entre les États-Unis et
l‘Europe, pourrait avoir été influencé par Monnet, eu égard à la proximité des réflexions entre
le cercle des élites politiques américaines et Jean Monnet. Aussi, allons-nous examiner dans
cette section, l‘influence potentielle de Monnet sur ce « grand dessein » Kennedien,
notamment sous l‘angle de la confrontation entre De Gaulle et Monnet autour de
l‘engagement de la Grande-Bretagne à la CEE.
À partir de 1960, la Grande-Bretagne qui avait refusé de se joindre au Marché commun,
trouva un intérêt à y participer. Deux raisons, économique et politique, peuvent expliquer ce
changement anglais. D‘abord l‘aspect économique : à partir de l‘année 1960, la Communauté
européenne se renforçait avec la décision d‘accélérer la réalisation du Marché commun. Il
n‘était plus question pour les Sept de freiner sa réalisation (les six nations continentales plus
l‘Angleterre), comme le constate un journal du premier janvier 1960 : « La mission
d‘information confiée le mois dernier à M. Douglas Dillon avait déjà montré que, dans le
domaine du commerce extérieur, des changements profonds étaient en cours, et que le vieux
conflit entre les Six et les Sept était peut-être déjà dépassé»926. De plus, le commerce anglais
avec le Commonwealth était stagnant de sorte que la croissance économique britannique était
faible. Cette évidence handicapait considérablement l‘économie britannique. Aussi, avait-elle
intérêt à accéder au marché continental, d‘autant que l‘expansion économique de la CEE était
rapide.
926
FJME AMK 103/3/37 : « De la Muette au Majesté. M. Dillon veut rapprocher les Européens pour soulager les
U.S.A», de André Lefèvre. Démocrati,. (14.01.60)
321
Ensuite, l‘aspect politique : Les motifs politiques étaient probablement encore plus
importants, même si les raisons économiques étaient nombreuses. La Grande-Bretagne voulait
à tout prix éviter de laisser se former un bloc continental, avec un rapprochement francoallemand qui serait la première étape à l‘ambition De Gaulle. Il ne fallait pas laisser se
constituer l‘Europe sans elle. Par ailleurs, la Grande-Bretagne souffrait de l‘affaiblissement de
ses relations internationales non seulement avec le Commonwealth qui se tournait de plus en
plus vers les États-Unis, pour ses échanges extérieurs et sa défense, mais aussi avec les ÉtatsUnis qui soutenaient fortement l‘intégration européenne et les pays communautaires. Ainsi, «
Londres, dit Pierre Gerbet, n‘avait pas eu l‘appui de Washington dans sa confrontation avec
les Six, ni dans la formation du groupement des Sept »927. Dans ces conditions, la GrandeBretagne devait changer sa politique européenne.
Pourtant, Macmillan était toujours intransigeant, malgré le risque de se retrouver isolé. Le
31 mars, il dit : « it was Britain‘s historic role to crush Napoleonic ambitions to integrate
Europe »928. On peut imaginer que c‘est un sous-entendu maladroit, typiquement britannique
à l‘encontre contre De Gaulle qui voulait une coopération politique entre gouvernements
européens à la base solide de l‘entente franco-allemande. Il ajouta également : «Should
France and Germany go on the road toward a unified western Europe, ‗Britain, in the long
run, had no other choice but to lead another peripheral alliance against them. He added that in
the time of Napoleon, Britain allied itself with Russia to break the French Emperor‘s
ambitions »929.
Dans ce climat international où les rapports spéciaux de la Grande-Bretagne avec
l‘Amérique avaient de moins en moins de signification pour les États-Unis, il n‘était plus
possible pour l‘Angleterre de jouer un rôle d‘intermédiaire entre l‘Ouest et l‘Est à la faveur de
la détente. Macmillan, qui avait tenté le coup en allant à Moscou, en constatait l‘impossibilité
après le cuisant échec du sommet de Paris de 16 mai1960.
Dans ces conditions, la Grande-Bretagne était contrainte d‘adhérer à la Communauté
européenne. Entrer dans la communauté lui permettrait d‘en prendre la tête et de renforcer
ainsi sa position à l‘internationale, comme le général De Gaulle cherchait à le faire au profit
de la France. L‘idée de la position britannique à l‘égard de l‘Europe s‘est répandue dans la
927
Pierre Gerbet, op.cit., p.292
FJME AMK 103/3/78 : « U.S. assurances to Mr. Macmillan », The Times, (31.03.60)
929
FJME AMK 103/3/78 : « U.S. assurances to Mr. Macmillan », The Times, (31.03.60)
928
322
presse américaine. Le Sunday Times posait d‘ailleurs cette question : « In Europe the
Common Market group is becoming too strong for Britain to influence it effectively, the
Anglo-American alliance is not the strong card it used to be, and for the Commonwealth
Britain is perhaps too small a mooring place. The old axiom that Britain must choose between
the Commonwealth and Europe is also much less compelling now. […] American policymakers would welcome Britain‘s joining the Common Market, because they believe it would
give Western Europe the kind of stability that the Franco-German alliance alone cannot
provide; but at the same time nobody here really thinks that in current terms of practical
British politics this is likely »930.
Monnet n‘était pas extérieur à l‘affaire. Le sujet de la place britannique dans la
Communauté européenne était un thème récurent dans les discussions entre les élites
américaines et Jean Monnet, comme en témoignent ses échanges avec Robert Schaetzel et
Shephard Stone : « It seems to me equally important that this arrangement be clearly open
ended and contain arrangements for including Canada, Britain and the OEEC countries »931.
Shephard Stone conseilla à Monnet de songer à cette possibilité : « I think it would be
extremely useful at this time for you to talk about the European Community, Britain, etc. in
the intimate surroundings of the Council. If you did so, you may be sure that all your old
friends and many of your younger admirers would be on hand »932. À force de discussions,
Monnet rejoignait cette position933. Le fruit des discussions de Monnet avec les élites
américaines fut la «Resolution IV : Membership by Great Britain and the other European
countries of all the European Communities as a whole », du 11 juillet 1960, de la réunion du
Comité d‘Action pour les États-Unis d‘Europe. À ce propos, Robert Bowie dit à Monnet :
«this seems to me to counter the alibi that the Community did not welcome Britain as a
member »934.
Monnet comprit bien les tentatives et les motifs américains d‘intégrer la Grande-Bretagne
à une organisation continentale européenne, et de développer cette entité complétée par
930
FJME AMK 103/3/95 : ―U.S. tales a New Look at Britain‖, de Henry Brandon, The Sunday Times, (12.06.60)
FJME AMK C 23/9/27 : Lettre de J. Schaetzel à Max Kohnstamm (09.02.59)
932
DC/SS 15, Dartmouth college library, Shepard Stone papers, Letter : (Shepard Stone to Jean Monnet),
(17.02.59)
933
Dans une conversation entretenue de Shepard Stone avec Monnet en présence d‘ Etienne Hirsch et Max
Kohnstam, le 14 avril 1959, Stone constata que « M. Monnet himself believes that in the end England itself is
going to have to join for the good of everybody the European Community ». DC/SS 19, Dartmouth college
library, Shepard Stone papers, Letter : (Shepard Stone to Nielsen and Gordon), (14.04.59)
934
FJME AMK C 23/1/380 : Lettre de Robert Bowie à Jean Monnet, (21.07.60)
931
323
l‘Angleterre dans le cadre atlantique. Pour aboutir à la Communauté atlantique, il était
véritablement nécessaire d‘inclure l‘anglais aux Communauté européenne. Aux yeux des
Américains, cela ne pouvait que renforcer l‘Europe occidentale et la maintenir au côté des
États-Unis. Par ailleurs, cela permettait d‘aller plus en avant vers une forme de Communauté
atlantique. En somme, ce que Monnet partageait avec les élites américaines, c‘était que
l‘adhésion britannique était une étape incontournable pour l‘intégration d‘une Communauté
atlantique.
Le Premier effort réel de l‘adhésion anglaise se matérialisa dans la transformation de
l‘OECE en OCDE. Les États-Unis recommandaient la transformation de l‘OECE en
Organisation pour la coopération économique atlantique. Pour cela, Monnet suggéra à Dillon
une réorganisation de l‘OECE, dont les États-Unis et le Canada deviendraient membres à part
entière et qui serait un lieu de consultations et de discussions entre les principaux pays
industriels. Monnet voulait réaliser l‘idée d‘une coopération économique atlantique par la
réforme de l‘OECE. John Tuthill témoigne que Monnet soutenait les objectifs généraux de
l‘OCDE basés sur l‘espoir qu‘à l‘intérieur de cette organisation des Six, plus tard s‘agripperait
la Grande-Bretagne, et qu‘ils agiraient tous de concert dans cette union des sept935.
En janvier 1960, une conférence fut tenue à Paris, groupant les membres de l‘OECE, les
États-Unis et le Canada. Les Britanniques furent obligés d‘accepter la transformation de
l‘institution. Elle fut rebaptisée en Organisation de Coopération et de Développement
Economique (OCDE). Mais elle se caractérisait plutôt par un groupement atlantique en raison
de la dimension géographique nouvelle de l‘OCDE : à présent, elle comprenait les dix-huit
pays européens occidentaux ainsi que les États-Unis et le Canada.
Monnet souhaitait-il vraiment aboutir à une plus grande organisation atlantique à travers
l’OCDE quitte à perdre une partie de l’identité européenne ?
John Tuthill raconte qu‘à ce moment-là, l‘intérêt de Monnet par rapport à l‘OCDE ne
visait qu‘à empêcher le projet anglais de la Zone de libre-échange, en proposant à la GrandeBretagne de participer à une organisation économique atlantique. John Tuthill, devint le
935
John Wills Tuthill, « Jean Monnet – L‘homme) », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, op.cit.,
p.544.
324
premier ambassadeur américain auprès de l‘OCDE. Il dit qu‘en réalité Monnet était opposé à
cette organisation mais tout comme lui, Monnet considérait que l‘OCDE était des plus utiles
pour enrayer le projet anglais de zone européenne de libre-échange : « Really, his interest was
basically negative, […] Monnet‘s interest (he had certain relatively simple objectives) during
that time was to break the momentum of the European Free Trade Area. […] What really
brought Monnet and me together was that we both were opposed to the European-side Free
Trade area and this (the OECD) was a very useful instrument to stop that momentum»936.
Monnet estimait qu‘il serait utile de conserver un lieu de rencontre où pourraient être
confrontés les points de vue, d‘autant que la présence des Américains neutraliserait les
tentatives des Sept.
Monnet, au fond, préférait « une petite Europe » comprenant les pays européens les plus
importants, et dont les structures économiques et politiques étaient suffisamment
harmonieuses pour leur permettre d‘aboutir à une entente fondamentale sur la politique, tant
intérieure qu‘extérieure937. John Tuthill se souvenait d‘une discussion avec Monnet : « Au
début des années 1960, je lui ai signalé que, si la Grande-Bretagne entrait, la Norvège et le
Danemark devraient également être invités. Il était effaré à cette idée» 938. Aussi, si Monnet
était partisan d‘une alliance atlantique basée sur l‘Amérique du Nord et une Europe unie, il
était en revanche sceptique sur l‘entrée des Scandinaves dans la Communauté européenne et
le rôle des petits pays au sein de l‘OCDE. Monnet souhaitait un monde atlantique basé sur
trois pôles : les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Marché commun. Donc, pour Monnet
l‘OCDE n‘était qu‘un moyen de faire participer la Grande-Bretagne à la coopération
européenne au niveau atlantique.
L‘OCDE ne pouvait pas être une organisation communautaire, mais seulement une
coopération économique internationale. Aussi, pour développer l‘idée d‘une organisation
communautaire au niveau atlantique, le concept de partnership entre les États-Unis et
l‘Europe devait être posé. À partir de 1961, cette idée fut discutée fréquemment entre Monnet
et les hauts fonctionnaires américains. Monnet écrivit à W. Averell Harriman à ce sujet : « In
my opinion, there is no choice; the question has to be dealt with by America and Europe
936
FJME Fonds d‘histoire orale, le témoignage de John Tuthill par Leonard Tennyson, (15.04.81)
John Wills Tuthill, « Jean Monnet – L‘homme) », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, op.cit., p.
543.
938
John Wills Tuthill, « Jean Monnet – L‘homme) », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, op.cit., pp.
543-544.
937
325
together »939. Dans l‘immédiat, Harriman approuva cette considération et encouragea
Monnet : « […] I agree with you about the need for the fullest cooperation in NATO and the
North Atlantic Community. No one has worked harder for that as you have and I congratulate
you on what you have achieved »940.
Monnet connaissait bien les principaux collaborateurs du nouveau président, Kennedy, en
particulier George Ball, sous-secrétaire d‘État aux affaires économiques, et George Mac
Bundy, assistant spécial du président pour les questions de sécurité. En contact étroit avec les
collaborateurs de Kennedy, il pouvait faire connaître ses conceptions et s‘informer auprès
d‘eux. L‘échange d‘informations entre Monnet et les élites américaines fut précieux lors du
changement de gouvernement aux États-Unis.
En janvier 1961 la nouvelle administration Kennedy fut installée. En mars, Monnet fit un
voyage aux États-Unis pour s‘informer auprès de ses nombreux amis, ceux désormais qui
comptaient dans la nouvelle administration. Il eut une longue discussion avec Acheson, Ball,
McGeorge Bundy, Schlesinger ainsi qu‘avec Kennedy. Il mit l‘accent sur les certitudes
qu‘«une chance exceptionnelle s‘ouvrait à l‘Europe d‘établir enfin des rapports d‘égal à égal
avec l‘Amérique »941. En juin de la même année, il déclara à Harvard: « Britain is gradually
coming to the conclusion that it should join the general movement towards European unity
and the Common Market. As for your country, the prospect of a strong, united Europe
emerging in Europe from the traditional divisions of the Continent, has convinced it that a
partnership between Europe and the United States is necessary and possible. […] The creation
of a united Europe brings this nearer by making it possible for America and Europe to act as
partners on an equal footing »942.
Il pensait que deux entités distinctes, l‘Europe et les États-Unis pourraient résoudre les
problèmes du monde. Dans cette déclaration, il affirma aussi : « […] today, all our problems
go beyond national frontiers. The issues raised by nuclear weapons, the under-developed
areas, the monetary stability of our countries and even their trade policies, all require joint
action by the West. What is necessary is to move towards a true Atlantic Community in which
common institutions will be increasingly developed to meet common problems. […] It is
939
FJME AMK C 23/4/177: Lettre de Jean Monnet à W. Averell Harriman, (61.01.11)
FJME AMK C 23/4/178 : Lettre de W. Averell Harriman à Jean Monnet, (61.01. 24)
941
Jean Monnet, Memoires, p.651.
942
LC/FF 33, US Library of Congress, Felix Frankfurter Papers, Monnet, Jean (1959-1964), speech : Harvard
University Graduation, June, 1961.
940
326
evident that we must soon go a good deal further toward an Atlantic Community»943. L‘idée
capitale de Monnet sur le partnership atlantique, c‘était que la construction de l‘Europe devait
se faire en relation avec les États-Unis, dans le but de renforcer l‘Occident. Dans ce but, il eut
la conviction qu‘il fallait aller plus en avant vers une communauté atlantique. Et cette idée
intéressait beaucoup Kennedy, comme on peut le constater à travers une lettre de Mac George
Bundy : « I have noticed in particular the resolutions to which you direct attention. I can
assure you that the President will be much interested in these resolutions and grateful to you
for sending them forward »944.
Quand Macmillan se rendit à Washington à la même époque pour rencontrer Kennedy, le
nouveau président se montra aussi enthousiaste que ses prédécesseurs pour l‘intégration
européenne et pour les pays de la Communauté. Il approuva l‘intention de Macmillan d‘y
faire participer l‘Angleterre. Lors de sa conversation avec Macmillian, Kennedy insista sur le
fait que « les États-Unis considéraient l‘adhésion anglaise comme une avancée majeure vers
l'unité occidentale »945. Le Premier ministre anglais fut convaincu que l‘adhésion britannique
permettrait de resserrer les liens et d‘établir un véritable partnership atlantique. Pour les
Britanniques « cette considération, dit Pierre Gerbet, a sans doute été décisive dans leur
détermination»946. Au bout du compte, le Premier ministre annonça le 31 juillet, à la Chambre
des Communes, la décision du gouvernement britannique d‘ouvrir des négociations avec les
Six en vue de l‘adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE947. En somme, l‘adhésion à la
communauté européenne vient de l‘intérêt des nations pour l‘Atlantisme.
Lors de la déclaration anglaise, De Gaulle sembla moins réticent à son entrée dans la CEE
qu‘à l‘habitude, même si les milieux économiques français étaient peu favorables à
l‘élargissement du Marché commun en raison des accords sur l‘agriculture. Mais la situation
générale s‘était modifiée avec le soutien du président Kennedy pour un « grand dessein »
atlantique, politique, de l‘ensemble des États-Unis à l‘égard de l‘Europe occidentale.
Jean Monnet joua un rôle dans ce mouvement, comme le rappelle Félix Frankfurter, juge à
la Cour suprême des États-Unis : « Long before this I should have told what pride and
943
LC/FF 33, US Library of Congress, Felix Frankfurter Papers, Monnet, Jean (1959-1964), speech : Harvard
University Graduation, June, 1961.
944
JFK 2. John F. Kennedy Library, White House Central Main File, Monnet, Box 1918, Letter (McGeorge
Bundy to Jean Monnet), Resolutions of the Action Committee, (26, 07, 61)
945
FJME AMK 107/2/28 : The New York Times, (12.04.61)
946
Pierre Gerbet, op.cit., p.293.
947
La demande officielle d‘adhésion à la CEE fut formulée le 9 août ; la Grande-Bretagne attendra le 28 février
1962 pour demander son adhésion à la CECA et à Euratom.
327
satisfaction I have felt in your accomplishment as reflected in Heath‘s speech in setting forth
Gt. Britain‘s application for admission into the common Market, and President Kennedy
important speech, on Dec. 6, launching his far reaching, new tariff policy »948.
Le projet de Kennedy coïncidait bien avec celui de «Partnship between Europe and
America » de Monnet : « Two years ago, the O.E.C.D. was set up as the first step towards an
Atlantic association in response to the emergence of a prosperous, growing and united Europe
in the Common Market. Today, the prospect of Britain‘s entry into the European economic
and political Community provides the occasion for a great leap forward in the partnership of
Europe and America. Partnership can only be effective and close between equals, who can
bring the some breadth of vision based on comparable power to mobilize resources to meet
any challenge. A united Europe of which Britain is part will be a second America in the
West »949. Le projet était basé sur l‘hypothèse de l‘adhésion britannique au Marché commun
et le partnership en égalité entre l‘Europe et les États-Unis. Ce qui est remarquable dans ce
document, c‘est la notion qu‘une Europe unie, dont la Grande-Bretagne serait une deuxième
Amérique à l‘intérieur en Europe.
Au cours de cette même année, dans le discours prononcé à Philadelphie le 4 juillet 1962,
pour commémorer la Déclaration de l‘Indépendance, Kennedy affirmait que : « Nous ne
regardons pas une Europe forte et unie comme un rival mais comme un partenaire. Aider à
son progrès a été un objectif fondamental de notre politique étrangère depuis 17 années. Nous
croyons qu‘une Europe unie sera capable de jouer un plus grand rôle dans la défense
commune, de répondre plus généreusement aux besoins des nations plus pauvres, de
s‘associer avec les États-Unis et d‘autres pays dans l‘abaissement des barrières douanières, de
résoudre les problèmes de la monnaie et des produits de base, de développer des politiques
coordonnées dans tous les autres domaines économique, diplomatiques et politiques. Nous
voyons dans une telle Europe un partenaire avec lequel nous pourrons traiter sur une base de
pleine égalité dans toutes les grandes et lourdes tâches que comportent l‘édification et la
défense d‘une communauté des nations libre» 950
Ces propos semblaient beaucoup déranger De Gaulle car il voyait dans ce projet le moyen
d‘empêcher la constitution d‘une Union européenne indépendante. C‘est cette attitude de De
948
FJME AMK C/23/4/38 : Lettre de Félix Frankfurter à Jean Monnet (06.01.62).
FJME AMK 103/4/22 : Partnership between Europe and America, (30.11.61)
950
FJME AMK 106/1/5 : L‘Amérique et l‘Europe partenaires égaux. Un programme économique, de l‘institut
Atlantique, mars en 1963.
949
328
Gaulle que le journal américain rapporte : « President Kennedy, when in Paris, hopes to
reassert U.S. leadership of the West. But here he will be up against a proud general,
determined, even to the extent of going it alone, to restore ―the greatness of France.‖ As of
now it looks like a deadlock in Paris »951.
Quant au Trade Expansion Act952, les industriels français estimaient qu‘ils ne pourraient
pas soutenir la concurrence américaine, les agriculteurs craignaient une politique agricole
commune dominée par les Américains qui voulaient écouler leurs excédents et lier la
libération des produits agricoles à celle des produits industriels. L‘attitude de De Gaulle
suscitait de réelles inquiétudes. De Gaulle tenait ce « grand dessein » pour une ambition
américaine qui avait pour objectif de maintenir leur hégémonie sur l‘Europe et le monde. Il se
demanda si l‘égalité entre l‘Europe et les États-Unis serait possible. Il jugeait aussi qu‘une
concertation politique régulière des deux côtés de l‘Atlantique ne pouvait que renforcer
l‘influence américaine sur les affaires atlantiques et européennes. En outre, concernant le
projet d‘association commerciale avec la CEE, il craignait la domination économique
américaine au sein de l‘Europe et l‘impérialisme du dollar.
À ses yeux, tout ceci reposait sur la question de l‘intégration de la Grande-Bretagne. Si
elle entrait dans la Communauté, elle introduirait avec elle l‘influence américaine en Europe
et le « grand dessein » américain était une adhésion britannique pour en faciliter l‘accès.
Aussi, décida-t-il que la Grande-Bretagne ne devait pas entrer dans la Communauté. Il
annonça sa décision dans une conférence de presse. Ainsi, le souhait des dirigeants américains
concernant l‘adhésion de l‘Angleterre se heurta au refus gaullien. Cela produisit un énorme
choc dans l‘opinion publique ainsi que dans le gouvernement de Kennedy. Ce dernier fut très
déçu d‘autant plus que le refus français de l‘adhésion britannique fut interprété comme un
refus du « grand dessein » atlantique de Kennedy. L‘attitude hostile de De Gaulle envers les
États-Unis était ressentie de manière tragique et douloureuse pour les Américains car ils ne le
comprenaient pas. William Clayton écrivit à Monnet : « I am worried about Britain‘s getting
into the Common Market. It would be tragic if she should fail in this attempt. I am afraid in
951
FJME AMK 107/3/10 : ―Why De Gaulle is a Growing problem for U.S.‖ U.S. News & World
Report,(24.04.61)
952
Dès le 25 janvier 1962, Kennedy utilisa le terme de partnership dans son message sur le Trade Expansion
Act, en proposant l‘«association commerciale » avec la CEE.
329
this case it would mean a trade war and that, of course, is not to be dismissed lightly in the
present very disturbed world condition »953.
De fait, De Gaulle venait d‘exclure les Britanniques de la Communauté européenne. Ce
fut un sujet de discorde houleux voire violent entre la France et les cinq autres États membres.
Ce refus extrêmement brutal fut justifié par le gouvernement français sous le prétexte d‘une
« incompatibilité des systèmes économiques » entre les pays communautaires et l‘Angleterre.
Au fond, (De Gaulle) l‘auteur de Mémoires d’espoir craignait que dans une communauté
élargie à l‘Angleterre et aux pays scandinaves, la France risquait d‘être mise en minorité et
que la Grande-Bretagne puisse faire triompher facilement ses intérêts économiques et
politiques. Pire, eu égard aux relations spéciales anglo-américaines, la Communauté
européenne, sous la direction britannique pourrait évoluer vers une « Europe des ÉtatsUnis »954.
Mais l‘élément le plus déterminant dans la décision de De Gaulle fut le problème
nucléaire. À ses yeux, les Britanniques préféraient une dépendance nucléaire aux Américains
plutôt que de développer une force de frappe propre à l‘Europe. Alors, la France de De Gaulle
créa sa propre force nucléaire, hors du contrôle de l‘OTAN, et adopta une stratégie
d‘«escalade nucléaire immédiate ». De plus, la France se retira de l‘OTAN tout en restant
dans l‘alliance atlantique. Ce fut un coup dur mais non fatal porté à l‘OTAN. Au défi français,
les Américains répondirent par la création d‘un « Groupe des plans nucléaires » (GPN) au
sein de l‘OTAN, afin de permettre aux alliés européens de participer à la stratégie nucléaire
atlantique. Enfin, après le refus de la France de coopérer avec l‘OTAN, l‘Allemagne
occidentale, de par son poids économique et sa géographie, devint le partenaire privilégiés des
Américains sur le continent955.
L‘idée essentielle que Monnet partageait avec le gouvernement Kennedy était que
l‘adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE, devait être l‘étape indispensable pour achever
l‘unification européenne et ouvrir la voie vers une communauté atlantique équilibrée. Cette
idée devait se concrétiser avec le « partnership » entre l‘Europe et les États-Unis à travers le
« grand dessein » Kennedien. Or, le projet se heurta au refus de De Gaulle.
953
HST 37, Harry S Truman Library, Will Clayton Papers, Alpha File M, 1961-1966, Letter (Will Clayton to
JM), (18.12.62)
954
Hungdah Su, op.cit., pp.148-149.
955
Hungdah Su, ibid.
330
Toutefois, Monnet ne souhaitait pas un élargissement européen qui entraînerait une perte
de son identité ou une dilution des institutions communautaires mais permettre à l‘Europe, par
l‘intégration de l‘Angleterre, d‘atteindre une taille critique rendant possible des relations
équilibrées avec les États-Unis, dans une perspective lointaine de créer une communauté
atlantique équilibrée et stable. Mais la fin de non recevoir de De Gaulle à l‘entrée de la
Grande-Bretagne dans la communauté européenne mit un terme à ce projet.
Les conceptions de Monnet et des élites américaines vis-à-vis de la
Communauté atlantique.
« L‘Amérique avait besoin, et a toujours besoin, d‘alliés démocratiques plus forts et unis.
Alors que cette position a été généralement partagée par la plupart des gouvernements des
États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale, la vision de Monnet et son pouvoir de
persuasion ont énormément contribué à obtenir le soutien actif de nombreux fonctionnaires
clés américains, tels que George Ball, David Bruce et Douglas Dillon »956, comme en
témoigne Tuthill, il y avait une harmonie presque parfaite entre Monnet et les Atlantistes
américains l‘unité indispensable et forts des démocraties alliées de la deuxième guerre
mondiale. Leurs relations politiques furent souvent marquées par des convergences
importantes et une même volonté d‘unification de l‘Europe occidentale et de la Communauté
atlantique. Le pragmatisme de la politique européenne de Monnet évolua dans le cadre cette
coopération atlantique. Vers la fin des années cinquante, le succès économique du Marché
commun et la prospérité croissante des pays européens marquaient un important changement.
Pour Monnet, cette situation était l‘opportunité rêvée pour faire progresser autant le
partenariat atlantique que l‘intégration européenne. Aussi, chercha-t-il à lier l‘intégration
européenne et le renforcement de l‘atlantisme à partir de 1959. Il concrétisa ce projet à travers
l‘action pour «une Association économique atlantique», dans laquelle l‘Europe serait plus
indépendante par rapport aux États-Unis et aurait, ainsi une plus grande capacité à régler les
problèmes internationaux à leurs côtés.
956
John Wills Tuthill, « Jean Monnet – L‘homme) », in Témoignages à la mémoire de Jean Monnet, op.cit.,
p.538.
331
Son action fut déterminante dans le processus atlantique, d‘une part, à travers la
transformation de l‘OECE en OCDE, et d‘autre part, à travers l‘effort accompli pour
permettre aux Anglais d‘adhérer à la CEE, entre 1959 et 1961. Dans une lettre du 14 août
1959, à Eisenhower, il faisait déjà référence à la nécessité de construire un partenariat solide
entre une Europe unie et les États-Unis pour la paix : « Partnership between a United Europe
and America is all the more important because we are at a turning point in world conditions.
The recovery of Europe and its new strength mean that America and Europe are no longer
different worlds as in the days of Europe‘s weakness, but face common problems: a
fundamental one is to maintain rates of expansion in the whole free world and to surmount the
balance of payments problems that restrict them. Further, the growing urgency of tackling the
problems of the underdeveloped areas requires a combined effort of the developed countries;
nothing less can master them. The ways in which these challenges can be met by our countries
together will have to be worked out gradually and in response to the practical problems. But
here and now the principle of partnership on a new footing between a uniting Europe and the
United States should be clearly affirmed as an essential factor for peace»957.
De même, un an après, dès l‘installation de l‘administration Kennedy, il insista sur
l‘importance de la coopération atlantique pour le bien du monde : « The new administration
may have a great opportunity. It can establish a new common approach of the West to world
problems. […] In my opinion, there is no choice; the question has to be dealt with America
and Europe together»958. Et cette idée de partenariat entre l‘Europe et les États-Unis sur un
pied d‘égalité influença fortement la jeune administration Kennedy. Le discours de Kennedy
du 4 juillet 1961, était une réponse à cette demande de partenariat euro-atlantique. Raymond
Aron qui observait ce phénomène, l‘expliqua en ces termes : «en 1948, le plan Marshall était
de la responsabilité exclusive des États-Unis, en 1961 le plan Kennedy doit être la
responsabilité de l‘ensemble du monde libre »959.
Côté américain, les deux présidents successifs, Eisenhower puis Kennedy étaient
vraisemblablement très favorables à la CEE et à l‘idée d‘un partenariat atlantique fort. Et à
travers la problématique de l‘adhésion britannique à la CEE en 1961, George Ball et Dean
957
DDE 23, DDE Library (President‘s personal Files-Series box 61 (File 1-F-38-France)), letter (Jean Monnet to
D.D. Eisenhower), (14. 08.59)
958
FJME AMK C/23/3/161 : Lettre de Jean Monnet à Alain Dulles, (19.12.60)
959
FJME AMK 103/7/17 : « Du plan Marshall au plan Kennedy. D‘un extrême à l‘autre », de Raymond Aron, Le
Figaro, (07.04. 61)
332
Acheson, tous deux de vieux amis de Jean Monnet, développèrent ensemble le projet d‘un
partenariat atlantique : « le grand dessein» de Kennedy960. Cette idée était d‘autant plus
appréciée, qu‘en raison d‘un développement économique considérable, le Marché commun et
la perspective de son élargissement commencèrent à éveiller l‘inquiétude de voir émerger un
concurrent potentiellement dangereux pour les exportations américaines, comme le remarqua
Eurgen V.Rostow : « The rapid and successful growth of the European Economic
Community, built around three supra-national European institutions, has been one of the
triumphs of modern energy and imagination, greatly strengthening the West. But unless
correspondingly successful Atlantic and Pan Atlantic solutions are promptly found for the
problems of gold, tariffs, and other restrictions on trade, disparate economic trends in Europe
and the rest of the free World could well become a division factor »961.
De nombreux documents dont les correspondances échangées entre Monnet et les élites
américaines, consacrent une place importante à la solidarité atlantique, en évoquant des
formulations telles que « la responsabilité conjointe », le« partnership entre l‘Europe et les
États-Unis» ou encore « la communauté atlantique ». Or, Monnet et ses amis américains
partageaient-ils la signification de l‘entité atlantique ? Dans certaines archives, nous pouvons
voir fréquemment des discordances entre Monnet et les élites américaines sur le concept
même de partenariat atlantique. Y-eut-il de réels consensus quant à la nature du problème ou
de ce qui pourrait ou devrait être fait à ce sujet, même s‗ils avaient un sentiment commun
d‘une nécessité d‘un partenariat atlantique, comme J. Robert Schaetzel l‘avoua à George
Ball : « There is also no real consensus as to the nature of the problem or what could or
should be done about it, even if we did have the necessary sense of common purpose. About
all we have is a babble of confused voices »962.
Cette section a pour objectif de révéler les différences de point de vue entre les élites
politiques américaines et Jean Monnet, quant au concept de partenariat atlantique, ceci dans le
but de comparer les différentes conceptions.
D‘abord notons que Jean Monnet et les élites américaines étaient fondamentalement
d‘accord sur la nécessité d‘établir une coopération euro-atlantique et de se diriger vers une
communauté atlantique à part entière. Schaetzel écrit à Monnet en évoquant le terme de « nos
960
FJME AMK C 23/9/81 Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, (18.06.62)
FJME AMK 106/1/1 : ―The Pan-Atlantic Community, Fission or Fusion? ―, de Eugene V. Rostow, (20.01.61)
962
FJME AMK C/23/162 : Lettre de J.Robert Schaetzel à George Ball, (13.07.62)
961
333
affaires de l'Atlantique » : « it will unquestionably come at a time when sensible words must
be said on our Atlantic affairs ; you and George can work out a scenario to your mutual
satisfaction »963. Des deux côtés, ils estimaient que le partenariat atlantique était indispensable
au maintien de la paix, à la stabilité monétaire, au progrès économique, à l‘endiguement de le
menace soviétique et au règlement des problèmes du tiers-monde964.
Cependant, ils divergeaient quant à la méthode à employer ainsi que des institutions à
bâtir. Ces différences apparaissaient fréquemment lors de discussions entre 1961 et 1963965,
particulièrement par rapport à la méthode à employer. Aussi, malgré des opinions communes
des divergences profondes quant à l‘avenir de la communauté atlantique demeuraient. Les
données d‘archives, nous permettent d‘identifier les trois principaux points de divergences : il
y a premièrement, le pragmatisme de Monnet opposé à l‘idéalisme des élites américaines ;
deuxièmement, nous avons le concept d‘Association ou de parternship ; enfin il y a la notion
d‘égalité entre l‘Europe et les États-Unis ; tous trois concernant la méthode pour bâtir la
communauté atlantique.
Le réalisme de Monnet vis-à-vis du rêve des élites américaines en faveur de la Communauté
Atlantique.
Walter Lippmann remarqua le réalisme de Monnet par rapport à l‘utopie des Américains
et leur manière d‘envisager la communauté atlantique. Les Américains supposaient possible
963
FJME AMK C 23/9/81 Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, (18.06.62)
Pour les échanges entre Monnet et les élites américaines à ce sujet, voir les lettres, d‘abord, de Jean Monnet
avec D. Eisenhower, DDE 23, DDE Library (President‘s personal Files-Series box 61 (File 1-F-38-France)),
letter (Jean Monnet to D.D. Eisenhower), (14. 08.59); FJME AMK C 23/3/314 : lettre de Jean Monnet à D.
Eisenhower, (02.07.63) ; FJME AMK C 23/3/316 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower,(20.07.63) ; FJME
AMK C 23/3/317 : Lettre de D. Eisenhower à Jean Monnet, (23.07.63), voire aussi les autres lettres de Monnet
avec les élites américaines, FJME AMK C 23/4/85 : Lettre de Jean Monnet à J. Fulbright (60.12.03) ; FJME
AMK C/23/3/161 : Lettre de Jean Monnet à Alain Dulles (19.12.60) ; FJME AMK C 23/7/76 : Lettre de J.
Schaetzel à J.M. (62.05.31) ; FJME AMK C 23/9/81 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, (18.06.62) ; HST 36,
Harry S Truman Library, Will Clayton Papers, Alpha File M, 1961-1966, Letter (Will Clayton to Jean Monnet),
(03.07.62). Ces correspondances entre Monnet et les élites américaines notamment se consacrent au sujet de la
nécessité du partenariat atlantique.
965
En ce qui concerne ces divergences, voire FJME AMK103/4/11 : Lettre de Jean Monnet à George Ball,
(18.11.61) ; FJME AMK 103/4/34 : Lettre de Jean Monnet à Eugene Rostow, (16.01.62) ; FJME AMK
C/23/9/65 Mémorandum de J. Schaetzel et George Ball (62. 01.26) ; FJME AMK C 23/9/64 : Lettre de J.
Schaetzel à Jean Monnet (62.01.27) ; FJME AMK C 23/9/67 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet (62.03.02) ;
FJME AMK C/23/162 : Lettre de J.Robert Schaetzel à George Ball (62.07.13) ; AMK C 23/9/89 : Lettre de J.
Schaetzel à F. Duchêne, (62.10. 31)
964
334
un partenariat atlantique sur le modèle de leur union fédérale constitutionnelle. Cela signifiait
faire appel à une convention (comme à Philadelphie en 1787) pour rédiger une constitution de
l‘Union Atlantique. Alors que Monnet et ses collaborateurs du Comité d‘Action, estimaient la
«Déclaration commune du 26 Juin » comme suffisante pour permettre au partenariat
atlantique de résoudre un minimum de problèmes concrets, tels que les tarifs douaniers, le
taux de change des devises ou encore la constitution de réserves d'or. Le grand avantage de la
conception de Monnet, selon Lippmann, était de permettre le fonctionnement concret de la
structure atlantique sans se perdre dans des conjectures idéologiques, politiques et juridiques
insolubles966.
Ayant acquis son expérience dans la construction européenne dans les années 1950,
Monnet aboutit à la conviction que le danger d‘une nouvelle guerre ou la nécessité réelle
requérait une action de l‘ensemble des pays de l‘ouest. Il était également persuadé que cette
entité atlantique pourrait se réaliser et se développer en réglant les problèmes communs
confrontés au monde. Il tenta de faire des pays membres de la communauté des « partenaires
pour une entreprise commune » ancrés dans le réel et non dans d‘hypothétiques considérations
idéologiques. Dans une lettre du18 novembre 1961, adressé à George Ball, sous-secrétaire
d‘État pour les affaires économiques, Monnet se confia sur le sujet : «Drawing from my own
experience, I think that one of the reasons for the success of European Unity and Common
market is that we have always dealt with the problems of the day with an eye on the future,
but never allowed ourselves to make propositions on purely hypothetical situations »967.
Monnet rejetait également toute tentative de création de zone de libre-échange atlantique,
arguant qu‘il s‘agissait-là aussi d‘une structure non consistante fondée sur une union
hypothétique968 : « I do not believe that it is possible or wise to envisage at this time the
objective of complete free trade between the United States and Western Europe on industrial
products of special interest to them »969. Aussi, essaya-t-il de convaincre George Ball de
construire une vraie communauté atlantique, dans laquelle des institutions communes seraient
développées pour résoudre les problèmes communs : « What are the real problems of to-day?
First, there is the need to complete the negotiation between the Six and Britain in a way that
966
FJME AMK 106/1/34 : « Atlantic Partnership », de Walter Lippmann. The New York Herald Tribune, (10.
07. 62.)
967
FJME AMK103/4/11 : Lettre de Jean Monnet à George Ball, (18.11.61), voir document annexe16.
968
FJME AMK103/4/11 : Lettre de Jean Monnet à George Ball, (18.11.61)
969
FJME AMK103/4/11 : Lettre de Jean Monnet à George Ball, (18.11.61)
335
will safeguard the interests of the United States and other countries. Second, there is the need
for working out between America and Europe an agreed approach for reducing their common
external tariff which can be worked out after the negotiations between the Six and Britain
have been completed »970.
Pour bien comprendre ce que Monnet voulait réaliser, il est possible de comparer les
schémas d‘organisation du monde atlantique selon Monnet et selon Eugen Rostow, secrétaire
d‘État adjoint des États-Unis. Cette comparaison fera observer la distance effective entre le
projet de Monnet et celui des élites américaines.
Rostow voulait une forte coopération politique atlantique971. Le 10 novembre 1961, au
dîner de l‘association du Yale Law School, il mit l‘accent sur cette perspective : « If we move
promptly, sympathetically, and vigorously, we can hope to achieve from these developments
the formation of a real Atlantic Community, a force in world politics, backed by appropriate
military power, which could command a détente, and cooperatively assist the nonindustrialized countries to gain command of the secrete of modern wealth, and of political
freedom »972.
Cette conviction de la nécessité du politique est une allusion directe au conflit engendré
par la politique de De Gaulle (plan Fouchet). Aussi, proposa-t-il une sorte de Conseil de
sécurité de l'Atlantique, à comité restreint, habilité à prendre des décisions au nom de
l‘Alliance Atlantique. Il pensait sincèrement que la politique d‘unification européenne ne
pouvait être réalisée indépendamment des États-Unis, à moins de s‘orienter vers la voie du
neutralisme en Europe, ce qui était inconcevable pour les États-Unis. Rostow estimait que
l'unité économique de l‘Europe pourrait être gérée avec les États-Unis, mais politiquement, la
structure devait dépendre d‘une institution Atlantique, piloté par les États-Unis, écrit Rostow :
« From the American point of view, therefore, the essential next step is to establish
arrangements or institutions for continuous consultation in making decisions on basic foreign
and defense policies which would effectively link us and the New Europe into a single
970
FJME AMK103/4/11 : Lettre de Jean Monnet à George Ball, (18.11.61)
À cette égard, voir les sources, FJME AMK 107/3/19 : Remarks of E.V. Rostow at dinner of Washington
Yale Law School Association (10.11.61), voir aussi, FJME AMK 106/1/1 : ―The Pan-Atlantic Community,
Fission or Fusion? ―, de Eugene V. Rostow. (20.01.61)
972
FJME AMK 107/3/19 : Remarks of E.V. Rostow at dinner of Washington Yale Law School Association
(10.11.61)
971
336
operative influence in world politics. At the least, such links should prevent pathological
episodes like that of Suez, fraught with danger to the United States »973.
Rostow voulait établir un conseil de sécurité atlantique, une institution unitaire sans
délégation de pouvoirs qui uniformiserait totalement les deux rives de l‘Atlantique et ferait
disparaître le Marché commun et donc interdirait à l‘Europe unie d‘agir de manière
autonome974. Cependant comme la note Schaetzel, sa proposition préservait uniquement les
intérêts américains. Schaetzel jugea que celle-ci empêcherait le développement de la
communauté politique européenne. Il écrivit à George Ball : «They are fearful of the
European Community assuming a political function and see this rather than as a source of
strength as creating a political entity which may well move in directions at odds to our own
interests. Gene, therefore, proposes that we must move quickly to propose an Atlantic
Political Directorate which would prevent the development of a purely European political
community»975.
Monnet n‘était pas d‘accord non plus avec la proposition de Rostow. Il lui répondit en ces
termes : « Now, as you know, I disagree profoundly with this point of view and feel that your
approach would in fact undermine the change of the Atlantic union we all want to
promote »976. Monnet refusait d‘être considéré comme un utopiste en matière de partenariat
ou d‘union atlantique. Il imaginait une union atlantique dans laquelle les deux côtés
travailleraient ensemble en vue d‘arriver à une solution commune. Les organisations
atlantiques existantes comme l‘OTAN et l‘OCDE fonctionnaient déjà dans cet esprit,
communautaire et supranational977. En mettant l‘accent sur ce point, il persuada Rostow que
la création de l‘Europe était le résultat de progrès concrets, réalisés conjointement, pas à pas
par l‘ensemble des pays européens. Aussi, la nouvelle relation de partenariat atlantique serait
le résultat d‘efforts concrets et patients portant sur des problèmes communs. Et il lui
recommanda de commencer à discuter sur des problèmes que ni l‘Europe ni les États-Unis ne
pouvaient régler seuls : « If today it has ceased to be considered utopian to speak of Atlantic
partnership or even Atlantic union, this is due to the development of European unity. If the
United States is ready to envisage discussing its monetary politics for the first time with other
973
FJME AMK 106/1/1 : ―The Pan-Atlantic Community, Fission or Fusion? ―, de Eugene V. Rostow. (20.01.61)
Gérard Bossuat, « Communauté européenne, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed.), op.cit., p.235.
975
FJME AMK 107/3/23 : Lettre de J. Robert Schaetzel à George Ball [La date n‘est pas identifiée]
976
FJME AMK 103/4/34: Lettre de Jean Monnet à Eugene Rostow, (16.01.62), voir document annexe17.
977
FJME AMK 103/4/34: Lettre de Jean Monnet à Eugene Rostow, (16.01.62)
974
337
countries, if we are to move towards a more effective Atlantic community of action, in all
spheres, political, military and economic, this will require of Europe and America changes of
attitude that European unity alone can bring about »978.
Monnet restait convaincu que l‘Europe de l‘Ouest et les États-Unis avaient besoin l‘un de
l‘autre. Pour la poursuite de son intégration, évidemment, l‘Europe avait besoin de l‘appui de
Washington mais pour les États-Unis, la présence de l‘Europe était nécessaire au règlement
des problèmes internationaux. Monnet voyait donc l‘unité européenne et l‘unité atlantique
comme l‘unique solution des problèmes urgents du monde, dans un esprit collaboration
concrète non comme une théorie en soi : « The way to get this partnership is for Europe first
to get unified and for this, England should be part of it; then Europe and the United States
should deal jointly with problems that neither of them can solve by themselves, such as
monetary stability, aid to under-developed countries or agricultural surpluses. As the interests
will be more and more unified, the political view will become more and more common. This
may be cynical view, but I think that if we want to unite, we must unite their interests first and
for his it is necessary that they accept to act according to the same rules administered by
common institutions. I know that this may appear to be a long process, but a change in the
attitude of men is necessarily a slow process. I think this is what we are doing and in fact this
is what is happening »979.
Le concept « d’association » ou de partnership
Que souhaitait Monnet comme organisation atlantique ? Pour Monnet, le partenariat
atlantique signifiait une association de partenaires égaux. Il avait déjà songé à deux
démarches divergentes, l‘une était une fédération avec les Six et une association avec les pays
anglo-saxons, l‘autre était une association comme dans le cas d‘Euratom, où les Américains
sont des partenaires privilégiés, indispensables à la bonne l‘exécution d‘un programme
commun de recherches, de la construction de réacteurs atomiques ou l‘enrichissement de
combustible fissible (uranium 238).
978
FJME AMK 103/4/34: Lettre de Jean Monnet à Eugene Rostow, (16.01.62)
Y/DA 3, Yale University Library, Dean Acheson Papers (Mic.), Letter (Jean Monnet to Dean Acheson),
(23.11.62)
979
338
Dès 1959, Monnet développa cette idée d‘association en proposant une association
économique atlantique. Il pensait que l‘association des pays américains et européens sur le
plan économique les amènerait à prendre conscience, ensemble, de leurs responsabilités
mondiales et des politiques nécessaires pour les assumer980. Il croyait que l‘association
économique se muerait progressivement en une association politique. Cette réflexion
représentait le concept du partenariat atlantique du début des années soixante. Monnet insista
auprès de Fulbright sur la nécessité d‘une association étroite entre l‘Europe et l‘Amérique,
dans le dessein de régler les problèmes auxquels ils étaient confrontés : « […] all, I think,
point to the need for closer association between America and Europe»981. D‘après Monnet,
cette association à égalité et l‘unification de l‘Europe devait être menées afin de traiter
rapidement des problèmes concrets, comme l‘unification monétaire, la création d‘un marché
européen des capitaux, un contrôle des concentrations d‘entreprises.
En fait, cette idée rejoignait celle d‘Hallstein, président de la Commission européenne qui
avait le projet d‘une association transatlantique avec l‘adhésion anglaise au Marché commun.
Au cours d‘un voyage aux États-Unis, en mars 1962, à la Maison-Blanche avec le président
Kennedy, en présence du sous-secrétaire d‘État George Ball, Hallstein prit «position en faveur
d‘une association atlantique sur un pied d‘égalité entre l‘Amérique et une Europe unie qui
comprendra ―un jour‖ la Grande-Bretagne»982. Dans cette discussion, il montra son intention
de rejeter catégoriquement l‘idée d‘une Europe considérée comme constituant une « troisième
force » entre l‘Est et l‘Ouest, et rejeta aussi catégoriquement les propositions en faveur d‘une
«communauté atlantique » au sein de laquelle, une Europe unie risquerait un jour de « se
dissoudre »983.
Ce qui rapprochait Monnet et Hallstein dans leur conception d‘association ou de
partenariat atlantique, c‘était que les relations atlantiques ne pouvaient être bâties que sur
deux puissants piliers égaux, l‘Amérique et l‘Europe intégrée. Hallstein constata dans son
discours à l‘Economic Club de New York, le 24 avril 1962 qu‘ : « un constant échange
980
FJME AMK 103/1/47: « Projet de lettre », de Jean Monnet à K. Adenauer, (16.01. 60)
FJME AMK C 23/4/85 : Lettre de Jean Monnet à J. Fulbright, (03.12.60)
982
FJME AMK/107/2/69 : M. Walter Hallstein : Pas d‘« Europe troisième force » ni de « Communauté
atlantique», mais une association sur un pied d‘égalité, (08.03.61)
983
FJME AMK/107/2/69 : M. Walter Hallstein : Pas d‘« Europe troisième force » ni de « Communauté
atlantique», mais une association sur un pied d‘égalité, (08.03.61)
981
339
d‘idées entre elles, une coopération incessante, une coordination de leur action sont
l‘assurance de ce nouvel ordre de choses »984.
Or, les élites américaines ne considéraient pas l‘ «association » avec la CEE comme la
seule solution possible à leurs problèmes. Ils pensaient que celle-ci était une solution
souhaitable mais non nécessaire, notamment quand ils observaient les problèmes rencontrés
par le Marché commun, par les trois pays neutres concernés par la CEE, ils pensaient que
cela: (a) aurait tendance à nuire à l'efficacité de la CEE comme une étape vers l'unité
européenne; (b) créerait un précédent rendant difficile de résister à établir des arrangements
similaires d'exclusivité avec d'autres pays; (c) isolerait la Finlande985.
Ils refusèrent de penser que l‘« association » avec l‘Europe était l‘unique solution. Ils
misèrent que cela empêchait un examen sérieux des autres solutions possibles. À leurs avis, le
problème de la neutralité dans leurs relations avec la CEE était avant tout celui d'assurer une
libre circulation du commerce et devait être considéré dans ce contexte. Ils croyaient que le
projet de loi commerciale des États-Unis pourrait contribuer notablement à une solution
adéquate986.
Quant à Monnet, il voulait organiser une association atlantique en s‘appuyant sur la
Communauté européenne. Il ne voulait pas intégrer l‘Europe dans un ensemble plus vaste où
elle perdrait, et sa personnalité et son unité. Aussi, jugeait-il l‘association ou le partenariat
entre l‘Europe et les États-Unis comme le meilleur moyen d‘assurer une action commune
dans le règlement des problèmes mondiaux, sur un pied d‘égalité. Monnet souhaitait une
communauté atlantique où le développement de l‘Europe unie et l‘union atlantique seraient
complémentaires mais surtout non contradictoires.
La notion d’égalité entre l’Europe et les États-Unis.
Le principal désaccord entre Monnet et ses amis américains concernait la stricte égalité
entre l‘Europe et les États-Unis. Pour Monnet, l‘égalité était la condition sine qua non pour
mobiliser l‘énergie et la volonté des Européens pour un développement du monde libre aux
984
FJME AMK 106/1/5 : « L‘Amérique et L‘Europe partenaires égaux. Un programme économique », de
L‘institut Atlantique, 03.63.
985
FJME AMK C/23/9/65 : Mémorandum de J. Schaetzel et George Ball, (26. 01.62), voir document annexe18.
986
FJME AMK C/23/9/65 : Mémorandum de J. Schaetzel et George Ball, (26. 01.62)
340
côtés des États-Unis. Cette question d‘égalité était tellement importante pour Monnet, qu‘il
insista régulièrement : « La tâche qui est devant nous clairement, est de compléter l‘union de
l‘Europe, y compris la Grande-Bretagne, et de développer progressivement une association
vigoureuse de partenaires égaux entre l‘Europe et les États-Unis. »987
Cependant, la seule certitude pour Monnet, c‘était que ce partenariat atlantique ne pourrait
être réalisé qu‘une fois l‘unification de l‘Europe achevée. Donc, une communauté européenne
plus forte et plus solide était un élément indispensable et conditionnel à la réalisation d‘une
relation équilibrée et égale au sein du partenariat Atlantique. Car seule cette égalité
permettrait l‘interdépendance entre entités autonomes au sein de l‘atlantisme : «In our modern
interdependent world, the European countries will only develop a full understanding of their
global responsibilities when they become aware of their collective powers»988.
Monnet partageait cette conviction avec Schaetzel, comme le remarque Schaetzel dans une
lettre en1962 : « The essence of our argument was that a wholesome relationship with Europe,
and indeed a strong and coherent Atlantic Community, was dependent upon unity in Europe
and unity in Europe was dependent on constant progress in both political and economic
integration. In short, a strong and a confident European community is an indispensable
component of an effective Atlantic relationship»989.
Malheureusement, l‘opinion de Kennedy divergeait avec celles de ses conseillers en
politique européenne, et surtout avec l‘opinion de Monnet. Ce qui était dommageable pour la
politique européenne, contrairement à son discours de Philadelphie du 4 juillet 1962 : « Nous
voyons dans l‘Europe un partenaire avec lequel nous pourrons traiter sur une base de pleine
égalité dans toutes les grandes et lourdes tâches que comportent l‘édification et la défense
d‘une communauté des nations libres »990. Si les États-Unis soutenaient le partenariat
atlantique avec enthousiasme, ils n‘étaient pas pour autant disposés à partager leur leadership
politique et militaire sur le monde, même s‘ils entendaient accorder à l‘Europe un rôle de plus
en plus important.
Cette attitude contradictoire de Kennedy concernait particulièrement la politique de l‘arme
nucléaire. Kennedy avait confirmé le 17 mai 1961 l‘offre des États-Unis de constituer une
987
Jean Monnet, Europe-Amérique : Relations de partenaires nécessaires à la Paix, op.cit., p.6
FJME AMK 103/4/34: Lettre de Jean Monnet à Eugene Rostow,(16.01.62)
989
FJME AMK 107/3/23 : Lettre de J. Robert Schaetzel à George Ball, en 1962.
990
FJME AMK 106/1/5 : « L‘Amérique et L‘Europe partenaires égaux. Un programme économique », de
L‘institut Atlantique. 03.63.
988
341
force multilatérale de sous-marins de différentes nationalités dotés d‘armes nucléaires, dans le
cadre de l‘OTAN, afin de faire participer les Européens à l‘emploi de ces armes, mais
toujours sous contrôle américain. Pourtant, lors de la conférence de Nassau, du 18 au 21
décembre 1962, Kennedy donnait la préférence à un accord bilatéral d‘armement nucléaire
avec la Grande-Bretagne, désavouant ainsi le projet de force nucléaire européenne envisagée
par De Gaulle et Macmillan. À Nassau, Kennedy montrait qu‘il voulait conserver le
leadership sur le monde atlantique991.
Cette décision provoqua immanquablement l‘opposition De Gaulle à l‘administration
Kennedy. Le Président français qualifiait le partnership atlantique d‘outil au service de
l‘impérialisme américain en Europe comme dans le reste du monde. Aussi, De Gaulle
répondit en refusant spectaculairement la candidature britannique au Marché commun. Il le fit
de façon spectaculaire dans sa conférence de presse du 14 janvier 1963. Pour Monnet, cette
violente opposition compromettait à la fois le développement de l‘unification européenne et la
réussit d‘un partenariat atlantique.
Au-delà de la crispation théâtrale de De Gaulle, sur les faits, il eut raison de s‘interroger
sur la viabilité d‘un partenariat atlantique pérenne en excluant une politique nucléaire
conjointe et à égalité entre l‘Europe et l‘Amérique ? Tel fut la remarque de Walter Lippmann
: «The most exciting of these insoluble theoretical problem is how to create an equal nuclear
partnership between Europe and America»992.
Monnet écrivit à Eisenhower, à ce sujet en juillet 1963: « As you have so often pointed
out, unity among European peoples and a partnership between united Europe and the United
States is necessary for peace as well as for prosperity. But the attitude of United Kingdom in
nuclear affairs-like that of General De Gaulle-makes these objectives of unity and partnership
more difficult to achieve »993. D‘après Gérard Bossuat, Jean Monnet était en accord sur ce
point avec De Gaulle994 : le partenariat atlantique sur un pied d‘égalité signifiait, non
seulement la reconnaissance des intérêts économiques mais aussi la sécurité de l‘Europe unie,
à travers l‘arme nucléaire.
991
Pierre Gerbet, op.cit., pp.303-310.
FJME AMK 106/1/34 : « Atlantic Partnership », de Walter Lippmann. The New York Herald Tribune.
(10.07.62)
993
FJME AMK C 23/3/316 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower, (20.07.63)
994
Gérard Bossuat, « Communauté européenne, Communauté atlantique, un lien paradoxal? », in Gérard
Bossuat, Valérie Aubourg et Giles Scott-Smith (ed.), op.cit., p.239.
992
342
Au final, le veto opposé par De Gaulle à l‘entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché
commun entraîna l‘échec, non seulement de l‘achèvement de l‘intégration européenne mais
aussi il fut une occasion perdue pour aller plus loin vers la communauté atlantique. Le
partenariat atlantique était rendu caduc après l‘opposition de De Gaulle. Monnet l‘avoua en
privé à Bundy: « I don‘t know whether I have now a better view of things. But I certainly
have a more calm view. I do not mean to say that I know just what to do. No. I think we are
going through a period of difficulties during which we must have patience and keep our belief
in the policy which we have so far followed. I am inclined to think that we could make no
greater error than seeking a new approach to the problems we have to solve. For one good
reason and that is that I do not think that there is any new approach possible »995.
La conclusion des échanges entre Monnet et les élites américaines était le projet de
partenariat atlantique dans lequel l‘Europe intégrée (et fédérée) serait solidement arrimée aux
États-Unis, pour un maintien de la paix mondiale et un développement d‘un monde
démocratique libre. Si les intentions de Monnet ne coïncidaient pas toujours avec les vues de
ses amis américains, particulièrement autour de la définition et du fonctionnement du
partenariat atlantique, ils avaient cependant nombre d‘échanges, d‘influence mutuelle et de
points de vue convergents. Les divergences se centraient essentiellement sur la nature de la
communauté atlantique (fédération idéalisée américaine ou association pragmatique de
Monnet) et sur la place de l‘Europe au sein de ce partenariat ( à égalité avec les États-Unis ou
minoritaire). Et ces oppositions se manifestèrent à travers l‘idéalisme américain face au
réalisme de Jean Monnet car l‘idée essentielle et concrète, pour Monnet, était d‘arriver à un
partenariat atlantique ou une union atlantique telle qu‘il le concevait. Pour cela, il lui semblait
important d‘unir en priorité les intérêts communs réels, qui à leur tour, transformés en
bénéfices tangibles, entraineraient le partenariat atlantique vers davantage d‘intégration, pour
éventuellement, à terme, aboutir à l‘union politique atlantique d‘entités autonomes (ÉtatsUnis et Europe) sur un pied d‘égalité.
Cependant, l‘impossibilité d‘aboutir à un consensus sur le statut d‘égalité entre les deux
partis impliqués (particulièrement pour les États-Unis) nous montre que des intérêts communs
ne sont pas toujours suffisants pour développer un esprit communautaire.
995
FJME AMK C/23/2/190 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, (17.04.63)
343
CONCLUSION GÉNÉRALE
Indéniablement Monnet fut une figure importante de la construction européenne, non
seulement de la politique française et européenne, mais également de la politique extérieure
des États-Unis de 1938 à 1963. Eu égard aux liens profonds et constants entre Monnet et les
élites politiques américaines de 1938 à 1963, nombre d‘étapes de l‘intégration européenne
furent construites, à travers l‘influence réciproque Europe-États-Unis. En réalité, les élites
américaines et Jean Monnet débutèrent leurs liens d‘amitié dans les années 1920-1930.
Cependant, c‘est durant la période 1938 à 1963, que ces liens jouèrent pleinement leurs rôles
dans la construction de l‘Europe, et particulièrement, de par la capacité de Jean Monnet à
mobiliser et persuader les administrations successives de la Maison-Blanche.
Si on s‘en tient à l‘image d‘une relation asymétrique entre Jean Monnet et les élites
politiques américaines sans vagues, avec un Monnet en parfaite harmonie, en consensus lisse
par rapport à l‘unification européenne, c‘est ignorer une partie de l‘histoire, notamment la
partie concernant son influence et son action sur la politique étrangère des États-Unis pour
l‘Europe. Dans l‘histoire de la relation entre Monnet et les élites américaines politiques, il y a
deux aspects importants : les convergences nombreuses et divergences rares mais marquées à
propos de la construction européenne.
En premier lieu, ils partageaient ce même point de vue que : « sans l‘assistance
américaine, il était impossible de construire une Europe forte et unie après la guerre »996. Mais
pour cela, les États-Unis devaient changer deux cents ans de politique étrangère, pour passer
de l‘isolationnisme traditionnel à l‘interventionnisme international. Aussi, Monnet se
confronta au premier obstacle à la construction européenne.
La première rencontre entre Monnet et l‘administration Roosevelt eut lieu dans le cadre de
la mission d‘achat d‘avions de combat américains pour le compte de la France. À travers
cette mission délicate, il rencontra le président Roosevelt dont il gagna la confiance pour
devenir par la suite l‘un des conseillers les plus écoutés pendant toute la durée de la guerre.
996
AME 33/2/12, Alger le 23 Octobre 1943.
344
Cette mission confidentielle permit un premier échange de point de vue entre Monnet et
Roosevelt ainsi qu‘entre d‘importants responsables américains, qui s‘avéreront indispensables
aux réalisations futures pour l‘Europe. L‘ouverture internationale de la politique américaine
de l‘Administration Roosevelt débuta réellement avec la question de l‘arbitrage par rapport
aux commandes d‘avions passées par Jean Monnet. Accepter de vendre les avions à la France,
c‘était s‘engager de plein pied dans le conflit européen. Aussi, tout l‘art de Monnet fut
d‘interpeler suffisamment l‘Administration Roosevelt sur les dangers d‘un second conflit,
pour l‘obliger à méditer sur l‘avenir de l‘Europe et des États-Unis. Roosevelt accepta la
proposition de Monnet de reconsidérer la place des États-Unis dans le monde, et de sortir de
leur isolationnisme traditionnel pour se rapprocher de l‘Europe. En outre, Monnet introduisit
pour la première fois son rêve de libre-échange, sur le modèle des États-Unis, rendu possible
par une intégration des nations d‘Europe, censée éliminer les divisions.
En deuxième lieu, Monnet et les élites américaines partageaient l‘avis que « sans une
Europe forte et unie, il n‘y aurait pas de paix en Europe »997. Il n‘y avait aucune
incompatibilité entre l‘évaluation de Monnet et les objectifs de la politique européenne des
États-Unis. C‘est dans cette perspective que les Américains proposèrent aux Européens le
plan Marshall. Le plan Marshall sans doute offrait des perspectives nouvelles dans son
ensemble aux Européens, en posant la question de l‘unité européenne. Désormais, l‘Union
européenne soutenue, forcée et concrétisée par les Américains ne se bornait qu‘à l‘Europe
occidentale, car alliée des États-Unis pour contre les soviétiques. Pour les hauts fonctionnaires
américains l‘unité européenne avait pour objectif principal, la défense idéologique des valeurs
et du mode de vie américaine et par l‘extension de l‘identité occidentale. C‘est-à-dire que
l‘essentiel du soutien américain n‘était pas la construction de l‘unité européenne mais
l‘unification européenne était un moyen utilisé par les États-Unis pour augmenter leur
influence dans les affaires européennes et internationales face à menace soviétique.
Pour Monnet, ce qui était certain, c‘était que sans l‘aide financière américaine, il n‘y aurait
qu‘hésitation, confusions et chaos en Europe. Il fallait avant tout, à ses yeux comme à ceux
des Américains, un redressement de l‘économie européenne. Aussi, les crédits Marshall
étaient une nécessité, et particulièrement pour moderniser et rétablir l‘économie française.
Aussi, Monnet, pensait-il que le plan Marshall pourrait donner lieu à l‘inauguration d‘un
997
FJME AME 33/1/3 : Note de Jean Monnet, (05.08.43)
345
grand Marché commun en Europe, premier pas de la transformation de l‘Europe en une
« véritable Fédération » de l‘Europe occidentale.
Le troisième point de convergence entre Monnet et les Américains, était le traitement de la
question allemande : « il est impossible de construire une Europe forte et unie sans une
utilisation de la puissance économique de l‘Allemagne »998. Monnet avait déjà mentionné le
traitement à l‘égalité entre Allemands et Européens pour réussir l‘unification européenne, et
ceci, déjà pendant la guerre dans ses réflexions d‘Alger, en 1943. Dans l‘esprit de Monnet,
toute coopération européenne fructueuse passait obligatoirement par une solution satisfaisante
du problème allemand. Il partageait avec Washington l‘idée selon laquelle, d‘une part, la
reconstruction de l‘Europe était impossible sans les Allemands ; et d‘autre part, que l‘Europe
unie éviterait que l‘Allemagne redevienne une puissance capable de dominer l‘Europe, si elle
était intégrée au sein de la communauté européenne. Et c‘est l‘accord entre Monnet et les
élites politiques américaines d‘intégrer l‘Allemagne qui permettra d‘enlever l‘adhésion et le
soutien du gouvernement américain pour la création d‘institutions européennes fortes et
efficaces car supranationales.
Le quatrième point commun entre Jean Monnet et ses amis politiques américains,
découlait du précédent, à savoir l‘intégration de l‘Allemagne à l‘Europe occidentale, à travers
la constitution d‘une fédération européenne des nations : « pas d‘effort européen véritable
sans fédération de l‘Ouest, mais en même temps pas de fédération qui ne prenne appui sur un
tel effort »999. En effet, pour Monnet, une coopération intergouvernementale n‘était pas
suffisante pour le maintien de la paix en Europe. Seule la structure fédérale pourrait, à ses
yeux maintenir la cohésion nécessaire à l‘intégration de l‘Europe, en créant des contraintes
d‘interdépendance élevées entre États communautaires. Sur ce point, Monnet partageait
totalement les perspectives des élites politiques américaines, et particulièrement, celles du
cercle d‘avocats d‘Harvard et des journalistes américains de renom : le réseau américain
influent associé à Monnet joua un rôle décisif dans la réflexion sur l‘unification européenne,
surtout à l‘époque de la création du Plan Schuman. Monnet partageait avec eux dans ses
grandes lignes l‘idée de la manière de traiter la nouvelle Allemagne. Tous deux avaient
l‘intime conviction que la question de l‘Allemagne serait le point crucial : pour eux,
998
FJME AMF 23 /4/177 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, (11.05.48) : FJME AMG 55/1/5 : Note de
réflexion de Jean Monnet, (03.05.50)
999
FJME AME 33/1/3 : Une note au C.F.L.N. par Jean Monnet, (05.08.43) ; FJME AMF 22/1/5 : Lettre de Jean
Monnet à Robert Schuman, (18.04.48)
346
l‘Allemagne était le véritable «enjeu» du Plan Schuman. Aussi, elle devait être le lien
fédérateur des différents pays européens. C‘est avec les idées convergentes de Monnet et du
réseau américain que le plan Schuman naquit.
En revanche, la première divergence de taille entre Jean Monnet et les élites américaines
concerna le réarmement de l‘Allemagne face à la monté en puissance de la menace soviétique,
notamment à la suite de la guerre de Corée. Le consensus avait vécu. Une grande divergence
apparut entre les parties. Pour Monnet, le réarmement allemand devait être traité dans le cadre
d‘une espèce d‘organisation fédérale de la défense atlantique (CED) : « sans le concours des
États-Unis, le traité CECA ne verrait pas jamais le jour, il pensait de même pour l‘armée
européenne»1000. Grâce à l‘aide d‘amis américains, Monnet réussit à convaincre Eisenhower.
Suite à cette réunion Monnet gagna son soutien ainsi que celui du gouvernement américain.
En ce qui concerne l‘armée européenne, Monnet et le gouvernement américain ne
partageaient pas toujours le même point de vue, au final, après des mois d‘hésitation, le
gouvernement américain se décida, au cours de l‘été 1951, à soutenir la création de la CED.
Les raisons profondes de ce soutien étaient associées aux objectifs américains : résister aux
soviétiques donc renforcer l‘Europe occidentale par une assistance économique et militaire et
intégrer l‘Allemagne de l‘Ouest à la Communauté occidentale, cela dans l‘objectif
d‘empêcher la renaissance des nationalismes en Europe. Mais il s‘agissait avant tout, pour les
États-Unis de faire barrage à l‘URSS en attachant l‘Allemagne à la communauté des peuples
de l‘Ouest.
Enfin, le dernier point d‘accord entre Monnet et les élites américaines était le
développement de la Communauté Atlantique. Pour les deux parties, l‘atlantisme était une
opportunité réelle de développer encore davantage l‘intégration européenne. En effet, après
l‘échec du Projet de la communauté européenne de défense (CED), la communauté atlantique
apparaissait comme la seule solution de substitution à cet échec. Et la pierre angulaire du
passage de l‘intégration d‘une Europe exclusivement continentale à une communauté
atlantique pérenne était l‘intégration de l‘Angleterre au sein de la communauté européenne.
Le principe était que l‘Angleterre serve de tampon entre l‘Europe des six et les États-Unis
pour réussir l‘intégration atlantique. Ainsi, l‘adhésion anglaise à la CEE devait être, à la fois
l‘achèvement de l‘unification européenne et la première étape menant à l‘atlantisme. C‘est
pourquoi, Monnet et l‘administration Kennedy se comprenait si bien.
1000
FJME AML 23/5 : Projet en 1952.
347
Malheureusement, De Gaulle ne l‘entendait de cette manière, car il voyait dans le
partenariat atlantique une réduction de l‘influence de la France et un outil puissant de
domination des États-Unis sur le monde. Aussi, avec le refus de la France à l‘entrée de
l‘Angleterre dans le Marché commun et simultanément sa sortie de l‘OTAN et le lancement
de son programme nucléaire indépendant, les rêves de Monnet et des Américains d‘une
communauté atlantique disparurent définitivement, au profit d‘une coopération renforcée
entre l‘Angleterre et les États-Unis.
Cependant, il reste à éclaircir un dernier point : le degré d‘atlantisme partagé entre Monnet
et les Américains. Etaient-ce le même atlantisme souhaité et attendu entre Jean Monnet et
l‘élite politique américaine ?
Or, il semble qu‘il y ait eu méprise sur le terme de partenariat atlantique entre Monnet et
les Américains. En effet, et cela est la seconde grande divergence entre eux, Monnet voulait
organiser une « association atlantique » en s‘appuyant sur les Communauté européenne et
américaine car il ne souhaitait surtout pas assister à une dissolution ou une absorption de
l‘Europe dans un ensemble anglo-atlantique. Il ne souhaitait pas créer une entité atlantique qui
supprimerait la personnalité et l‘unité européennes mais une entité qui respecterait l‘équilibre
des forces entre Europe et États-Unis. Aussi, peut-on considérer que l‘atlantisme de Monnet
était un atlantisme conditionnel : être atlantique à condition de devenir européen d‘abord. Car
pour Monnet, si l‘Europe voulait d‘établir une relation responsable et équilibrée avec les
États-Unis, sur un pied d‘égalité, elle devait alors obligatoirement devenir forte et unie.
À cet égard, Monnet considérait la communauté atlantique comme une véritable chance
offerte à l‘Europe d‘achever son intégration : une motivation par nécessité comme ce fut
souvent le cas pour la construction européenne (de la guerre froide, en passant par la peur de
l‘Allemagne et le rétablissement économique de l‘Europe). Aussi, peut-on imaginer que la
grande chance de l‘intégration européenne fut peut-être le pragmatisme de Monnet.
Toutefois, au-delà de 1963, compte tenu de la politique de De Gaulle, du rapprochement
anglo-américain, du changement d‘administration et des objectifs des États-Unis (notamment
l‘intensification de la guerre au Viêtnam), les rares divergences finirent par peser plus lourds
que les innombrables convergences entre les visions de Jean Monnet et des États-Unis, dans la
balance de l‘intégration européenne et de la communauté atlantique.
348
CHRONOLOGIE
Cette chronologie fait place largement tant aux événements de politique extérieure américaine
liée à la construction européenne, étroitement qu‘aux ceux de l‘action de Jean Monnet avec
les élites américaines politique pendant la période de 1938 à 1963.
1938
1939
1940
1941
19 octobre
Grâce à l‘intervention de Bullitt, Jean Monnet rencontre le
Président Roosevelt, qui le reçoit chez lui, à Hyde Park, près de
New York.
9 décembre
Jean Monnet est chargé d‘engager des négociations avec des
constructeurs américains.
18 avril
Monnet revisite encore une fois Roosevelt dans le but d‘obtenir
la garantie de livraison des avions en dépit des lois de neutralité
et de surmonter l‘obstacle du non-paiement des dettes françaises
de la première guerre.
3 septembre
La Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à
l‘Allemagne.
20 mai
Jean Monnet adresse à Raul Reynaud et à Churchill une note
importante « Les États-Unis peuvent devenir la source principale
de ravitaillement des armée mais la France et la Grande-Bretagne
doivent surmonter ensemble l‘attique allemande, […] »
A. Spineli rédige le Manifeste de Ventotene et L. Blum A
l’échelle humaine.
349
1943
5 août
Monnet rédige une note de réflexion à Tipaza, concernant la
réconciliation et l‘unité de l‘Europe sur l‘Europe
1945
4-11 février
Conférence de Yalta.
28 février
L‘accord du prêt-bail entre la France et les États-Unis est signé.
17 juillet-2 août
Conférence de Potsdam.
1946
19 septembre
Discours de W. Churchill à Zurich.
1947
1 mars
Le sénateur Fulbright fait adopter par le Congrès une résolution
dans laquelle celui-ci se déclare « favorable à la création des
États-Unis d‘Europe dans le cadre des Nations Unies ».
4 mars
Le traité franco-britannique de Dunkerque (une assistance
militaire en cas d‘agression ou de menace d‘agression de la part
de l‘Allemagne)
12 mars
Le président Truman décide d‘accorder une aide économique et
militaire à la Grèce et à la Turquie.
19 mars
John Foster Dulles, expert de politique étrangère du parti
républicain et porte-parole de la politique extérieure bipartisane,
déclare que l‘unification de l‘Europe est nécessaire pour
l‘Amérique elle-même.
5 juin
Le général Marshall, secrétaire d‘État américain, conseillé par les
sous-secrétaires Dean Acheson et William Clayton, décide de
proposer un plan d‘aide économique à l‘Europe.
2 juillet
Le refus soviétique du plan Marshall devient définitif. : Avec
l‘acceptation de l‘aide Marshall par l‘Europe de l‘Ouest et le
refus l‘Europe de l‘Est, la division s‘accentue.
22 janvier
Ernest Bevin prend la parole devant la Chambre des Communes
pour dénoncer la menace constituée par l‘attitude de l‘Union
soviétique. Et, il porpose à la France et aux trois États du
Benelux de former avec la Grande-Bretagne un important noyau
en Europe occidentale auquel d‘autres pays viendraient ensuite
1948
350
se joindre, dont l‘Italie et plus tard l‘Allemagne quand elle serait
redevenue une démocratie.
1949
1950
25 février
Coup de Prague : prise du pouvoir par les communistes.
17 mars
Le traité de Bruxelles est signé. (un système d‘assistance
mutuelle automatique en cas d‘agression armée en Europe)
16 avril
Les Européens aboutissent à la convention de l‘Organisation
européenne de coopération économique, OECE.
19 avril
Coudenhove-Kalergi crée ―un Comité américain pour une
Europe libre et unie‖.
18 octobre
L‘accord de fusion des trois zone est signé.
10 novembre
La « loi 75 » est édictée.
4 avril
L‘Alliance atlantique est signée à Washington. Elle comprend les
Cinq du pacte de Bruxelles, les États-Unis et le Canada, ainsi que
la Norvège, le Danemark, l‘Islande, le Portugal, L‘Italie.
28 avril
La Création de l‘Autorité internationale de la Ruhr.
5 mai
Le Conseil de l‘Europe est créé.
12 mai
Le blocus de Berlin est levé.
16 avril
Georges Bidault (Président du Conseil) préconise la création
d‘un Haut Conseil atlantique pour la paix, à Lyon.
9 mai
Déclaration Schuman proposant la création d‘un pool charbonacier.
20 juin
La conférence du plan Schuman s‘ouvre au Quai d‘Orsay.
15 août
Monnet propose un « pool des armées », afin de convaincre tant
les Américains que les Allemands.
15 septembre
Le conseil atlantique, réuni à New York, décide d‘instituer une
force intégrée comprenant des troupes américaines et
britanniques sous un commandement centralisé, pour prévenir
l‘agression et assurer la défense de l‘Europe occidentale.
24 octobre
Présentation du Plan Pleven, devant l‘Assemblée nationale.
351
1951
18 avril
Le traité de la CECA est signé
1952
27 mai
Signature à Paris du traité CED.
1954
30 août
Rejet du traité de CED par l‘Assemblée nationale françaises.
23 octobre
Accord de Paris : création de l‘UEO, souveraineté de l‘Allemagne
fédérale, admise dans l‘Alliance atlantique.
10 novembre
Démission de Jean Monnet de la présidence de la Haute Autorité de
la CECA
23 octobre
Accords de Paris prévoyant l‘entrée de l‘Allemagne fédérale dans
l‘Union occidentale, devenue Union de l‘Europe occidentale (UEO)
21 décembre
Accord d‘Association CECA-Grande-Bretagne.
2 avril
Initiative de Paul-Henri Spaak pour la relance européenne.
4 avril
Mémorandum Beyen sur un Marché commun.
mi-avril
Monnet envoie à Spaak son plan de relance.
1-2 juin
Conférence des Six à Messine les ministres des Affaires étrangères
des Six décident à Messine d‘une relance de la construction
communautaire et chargent un comité intergouvernemental de faire
des propositions sur une union économique dans un Marché commun
et sur un plan d‘organisation de l‘énergie nucléaire.
10 juin
Création à l‘OECE d‘un comité sur l‘énergie nucléaire.
13 octobre
Création du Comité d‘Action pour les États-Unis d‘Europe de Jean
Monnet
29 mai
À partir du rapport Spaak qu‘ils approuvent, les ministres des
Affaires étrangères des Six réunis à Venise décident d‘entamer des
négociations ayant pour objectif la création d‘un Marché commun et
une organisation de l‘énergie atomique.
26 juillet
Nationalisation du canal du Suez par Nasser.
1955
1956
352
13 février
Ouverture à l‘OECE des négociations sur la zone de libre-échange.
25 mars
Signature à Rome des traités de Marché commun et d‘Euratom.
1er janvier
Entrée en vigueur des traités de Rome.
14 septembre
Rencontre de Gaulle-Adenauer à Colombey-les-deux-Eglises.
15novembre
Le gouvernement français se déclare hostile à la zone de libreéchange.
21 décembre
Le général de Gaulle est élu président de la République française.
1959
1er janvier
Première réduction tarifaire entre les Six..
1960
12 mai
Les Six décident d‘accélérer la réalisation du Marché commun et
d‘abaisser le tarif extérieur.
5 septembre
Conférence de presse de De Gaulle sur l‘Europe des États.
14 décembre
Signature à Paris du traité instituant l‘Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE)
19-20 décembre
Les Six adoptent les principes de la politique agricole commune.
10-11 février
Réunie à Paris, la conférence des chefs d‘État ou de gouvernement
approuve l‘idée d‘une union politique des Six.
18 juillet
Réunie à Bonn, la conférence des chefs d‘État ou de gouvernement
adopte une déclaration sur la coopération politique dans laquelle les
Six évoquent l‘organisation de réunions de concertation régulières et
confie à une commission d‘études présidée par Christian Fouchet le
soin de faire des propositions.
9-10 août
Le Royaume-Uni et le Danemark se déclarent candidats.
18 janvier
Le gouvernement français présente une version améliorée du projet
d‘union politique, le plan Fouchet II.
1er février
Les Cinq autres membres de la Communauté proposent à la France
un nouveau projet d‘union politique en réponse aux améliorations
1957
1958
1961
1962
353
apportées au plan Fouchet par le général de Gaulle.
1963
17 avril
Echec des négociation sur l‘union politique lors d‘une réunion des
ministres des Affaires étrangères. (plan Fouchet)
4 juillet
Discours de Philadelphie de Kennedy en terme de « partnership ».
14 janvier
Le général de Gaulle s‘oppose à l‘adhésion du Royaume-Uni à la
Communauté.
22 janvier
Signature du traité de l‘Élysée entre la France et la RFA.
29 janvier
Suspension des négociations pour l‘adhésion du Royaume-Uni à la
Communauté sur la demande du gouvernement français. Cette
suspension entraîne celle des négociations pour l »adhésion des autre
pays candidats.
354
BIBLIOGRAPHIE
Cette Bibliographie ne concerne pas seulement l‘histoire de la relation entretenue par Jean
Monnet avec les élites politiques américaines pendant de 1939 à 1963. Elle est constituée
d‘ouvrages universitaires, de Mémoires, d‘articles de revues, d‘Actes de colloques, associée à
la Construction européenne.
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Cette thèse est fondée largement et essentiellement sur la consultation d‘archives américaines,
les correspondances entretenues par Jean Monnet avec les élites politiques américaines, ainsi
que les interviews à la Fondation Jean Monnet pour l‘Europe, (FJME).
LES ARCHIVES ÉCRITES
Le Fond des archives américaines :
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Dwight W. Morrow Papers, Amherst College; Library.
AC/JJEAN
MONNET
John J. Mac Cloy Papers, Amherst College Library.
DC/SS
Shepard Stone Papers, Dartmouth College Library.
DDE
Dwight D. Eisenhower Papers, Eisenhower Library.
FDR
Franklin Roosevelt Papers, Roosevelt Library.
FJME/ RRN
Robert R. Nathan Papers, Fondation Jean Monnet pour l‘Europe.
HST
Harry S. Truman Papers, Truman Library.
JFK
John F. Kennedy Papers, Kennedy Library.
LBJ
Lyndon B. Johnson Papers, Johnson Library.
LC/AH
Averell Harriman Papers, Library of Congress.
LC/FF
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Harriman), ECSC, 1971.
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Papers, BOX COR 4, Folder 58, Letter(JEAN MONNET to John Mac Cloy), US
troops in Europe, 3 mars 1972.
266.
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Enclosure Letter with a speech transcript, 25 septembre 1972.
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*AC/JJEAN MONNET 25, Amherst College Library Archives, John J. Mac Cloy
Papers, BOX COR 4, Folder 58, Interview (―The Father of Europe‖), Transcript of
interview, 31 décembre 1972.
1973
268.
HST 74, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview (H. Freeman
Matthews), Matthews, 7 juin 1973,
269.
HST 66, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview (Emilio
Collado), Acheson’s association with Monnet, 11 juillet 1974.
1974
390
270.
AC/JJEAN MONNET 1, Amherst College Library Archives, John J. Mac Cloy
Papers, BOX COR 4, Folder 57, Draft (JEAN MONNET‖s Memoirs), ―The Victory
Program 1940-1943‖, This is a draft(in French) of Monnet‘s memoirs. This is chapter
seven, 1940-1943, entitled ―Washington ": Le Victory Program‖. Perhaps this was
sent to Mac Cloy for his comments. This chapter may have been sent in 1974 (See
ACLA 29)
271.
HST 71, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview (Geoffrey W.
Lewis), An integrated Europe, 15 juillet 1974.
1975
272.
HST 67, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview (Lincoln
Gordon), The ECA, 17 juillet 1975.
1976
273.
AC/J.J.M 36.,Amherst College Library Archives, John J. Mac Cloy Papers, BOX
COR 4, Folder 58, Letter(John Mac Cloy to JEAN MONNET and attachment),
Recollections of the Transamerica matter, 28 mai 1976.
1981
274.
AC/JJEAN MONNET 60, Amherst College Library Archives, John J. Mac Cloy
Papers, BOX A 1, Folder 63, Notes (Robert Schaetael to Mac Cloy), Monnet Prize
speech suggestions, 15 mai 1981.
275.
AC/JJEAN MONNET 63, Amherst College Library Archives, John J. Mac Cloy
Papers, BOX A 1, Folder 64, Notes for Mac Cloy, 4 août 1981.
1988
276.
USDOS/JT 55, US Secretary of State, John Tuthill Papers, Speech: George Ball,
“Jean Monnet and the Peristroika of Western Europe”, 13 septmebre 1988.
Undated
277.
AC/JJEAN MONNET 2, Amherst College Library Archives, John J. Mac Cloy
Papers, BOX COR 4, Folder 57, Interview (re Monnet), Interview discussing
Monnet : this is a six page interview transcript with ―the Prime Minister‖(Edward
Heath?) discussing Monnet‘s influence on Politicians.
278.
AC/JJEAN MONNET 5 Amherst College Library Archives, John J. Mac Cloy Papers,
BOX COR 4, Folder 57, Interview (Willy Brandt re JEAN MONNET), Interview
about Monnet, this is a six page interview with Chancellor Willy Brandt, undated. He
is asked his opinion of Jean Monnet‘s role in postwar European integration.
279.
AC/JJEAN MONNET 2, Amherst College Library Archives, John J. Mac Cloy
Papers, Box cor 4, Folder 57, interview : re Monnet, interview discussing Monnet :
discussing Monnet‘s influence on politicians. (undated)
391
280.
Y/WL 12, Yale University Press, Walter Lippmann Papers, Letter (JEAN MONNET
to Walter Lippmann), Western Unity : Monnet thanks Lippmann for his book on
Western Unity, Which is dedicated to Monnet. He encloses a copy of a letter (in
French) he sent to the Action Committee.
Les correspondances :
La liste des Correspondances de Jean Monnet avec les Américains politiques.
Avant 1955
1. Louis Joxe
AME 26/5/4 : Lettre de Louis Joxe à Colonel de Linares, 3 février 1943.
2. Félix Frankfurter
AME 40/1/35 : Lettre de Félix Frankfurter à Jean Monnet.
AME 40/1/35 : Lettre de Jean Monnet à Félix Frankfurter.
3. W. Lippmann
AMF 23/3/205 : Lettre de Jean Monnet à W. Lippmann, 27 janvier 1950.
4. Robert Nathan
AMF 23/3/434 : Lettre de Jean Monnet à Robert Nathan, 23 septembre1946.
AMF 23/3/435 : Lettre de Jean Monnet à Robert Nathan, 26 décembre 1946.
AMF 23/3/437 : Lettre de Jean Monnet à Robert Nathan, 18 décembre 1947.
6. E.V. Rostow
AMF 23/4/175 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, 5 août 1947.
392
AMF 23/4/177 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, 11 mai 1948.
AMF 23/4/178 : Lettre de Jean Monnet à E.V. Rostow, 25 mai 1948.
AMF 23/4/179 : Lettre de Jean Monnet à E.V. Rostow, 26 juillet 1949.
AMF 23/4/180 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, 27 juillet 1949.
AMF 23/4/181 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, 2 août 1949.
AMF 23/4/182 : Lettre de Jean Monnet à E.V. Rostow, 26 août 1949.
AMF 23/4/183 : Lettre de Jean Monnet à E.V. Rostow, 1 septembre 1949.
AMF 23/4/184 : Télégramme de E.V. Rostow, 8 novembre 1949.
AMF 23/4/185 : Télégramme de E.V. Rostow, 9 novembre 1949.
AMF 23/4/186 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, 9 novembre 1949.
AMF 23/4/188 : Lettre de Jean Monnet à E.V. Rostow, 20 décembre
AMF 23/4/190 : Lettre de E.V. Rowtow à Jean Monnet
AMF 23/4/192 : Lettre de E.V. Rowtow à Jean Monnet
AMF 23/4/194 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, 21 février 1950.
AMF 23/4/195 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, 22 mars 1950.
AMF 23/4/196 : Lettre de E.V. Rostow à Jean Monnet, 29 mars 1950.
AMF 23/4/197 : Lettre de Jean Monnet à E.V. Rostow, 4 avril 1950.
6. Walter W. Rostow
AMF 23/4/199 Lettre de W.W. Rostow (Commission économique pour l‘Europe, Nations Unies ) à
Jean Monnet, 2 octobre 1947.
AMF 23/4/200 : Lettre de W.W. Rostow à Jean Monnet, 30 juillet 1948.
7. E. Westphal
AMH 71/3/12 : Lettre de E. Westphal au Président de L‘American Club(Paris).
AMH 71/3/17 : Lettre de E. Westphal à F. Ansprenger, 19 octobre 1954.
AMH 71/3/120 : Lettre de E. Westphal à R. Coudenhove-Kalergi, 26 octobre 1954.
8. Franz Ansprenger
AMH 71/3/16 : Lettre de Franz Ansprenger (Redaktion Dokumente) à Jean Monnet, 12 octobre 1954.
393
9.Walter Bauer
AMH 71/3/25 : Lettre de Walter Bauer à Jean Monnet, 4 février 1955.
10. Huntington Gilchrist
AMH 71/3/210 : Lettre de Huntington Gilchrist (American Cyanamid Company) à Jean Monnet, 25
avril 1955.
11. William Tomlinson
AMH 71/2/438 : Lettre de Jean Monnet à Tomlinson, octobre 1952.
12. J. Wenter
AMH 71/2/471 : Lettre de Jean Monnet à J. Wenter (Directeur de l‘Institut national de l‘Industrie
charbonnière, Belgique), 27 avril 1953.
1955-1963
13. Acheson Dean
AMK C 23/1/1 : Lettre de Jean Monnet à Dean Acheson, 15 mars 1961.
AMK C 23/1/6 : Lettre de Jean Monnet à Dean Acheson, 10 octobre 1961.
AMK C 23/1/8 : Lettre de Jean Monnet à Dean Acheson, 15 octobre 1962.
AMK C 23/1/9 : Lettre de Jean Monnet à Dean Acheson, 23 novembre 1962.
AMK C 23/1/10 : « The political and economic strands in our Atlantic Alliance». Discours de D.
Acheson à l‘United States Military Academy, 5 décembre 1962.(62.12.05)
AMK C 23/1/12 : « Europe: Kaleidoscope or clouded crystal ». Discours de D. Acheson à l‘Université
de Galifornie, 13 mars 1963. (63.03.13)
AMK C 23/1/13 : « Acheson address on U.S. interest in European unity». Article, 18 septembre 1963.
(E.U.F.),
AMK C 23/1/14 : « Germany in the new Europe ». Discours de D. Acheson au German American
Club, 18 octobre 1963. (Le Monde)
394
AMK C 23/1/15 : « Le vieux spectre de l‘hégémonie d‘une puissance européenne a fait sa
réappartition, declare M. Acheson à Bonn ». Article, 20 octobre 1963. (Le Monde)
14. George Ball.
AMK C 23/1/59 : Lettre de George Ball à Jean Monnet, 12 août 1955.
AMK C 23/1/62 : Lettre de J. Van Helmont à George Ball, 15 octobre 1955.
AMK C 23/1/63 : Lettre de J. Van Helmont à George Ball, 28 janvier 1956.
AMK C 23/1/66 : Lettre de Jacques Van Helmont à George Ball, 6 mars 1956.
AMK C 23/1/67 : Lettre de Jacques Van Helmont à George Ball, 12 mai 1956.
AMK C 23/1/68 : Lettre de Jacques Van Helmont à George Ball, 26 juin 1956.
AMK C 23/1/69 : Lettre du Secrétaire de Dean Rusk à George Ball, 9 janvier 1957.
AMK C 23/1/70 : Billet de Jean Monnet à B. Hunt, 15 janvier 1957.
AMK C 23/1/72 : Lettre de Jean Monnet à George Ball, 26 mars 1957.
AMK C 23/1/73 : « The Month‘s preoccupations ». Article de Joan Raushenbush, 1 mars 1957.
(Comité Amérique Actuelle). Transmis par G. Ball.
AMK C 23/1/75 : Lettre de G. Ball à Jean Monnet, 3 janvier 1958. Signées. 2 lettres à la Même date.
AMK C 23/1/79 : Lettre de G. Gall à Jean Monnet, 18 mars 1958. Signée. Avec un tableau de
statistiques.
AMK C 23/1/80 : Lettre de François Duchêne à George Ball, 6 juin 1958.
AMK C 23/1/81 : Lettre de G. Ball à Max Kohnstamm, 18 juillet 1958. Copie.
AMK C 23/1/82 : Lettre de Jean Monnet à George Ball, 11 septembre 1958.
AMK C 23/1/84 : Lettre de G. Ball à Jean Monnet, 4 décembre 1958.
AMK C 23/1/85 : Lettre de F. Duchêne à George Ball, 5 décembre 1958.
AMK C 23/1/86 : Lettre de George Ball à Jean Monnet, 11 décembre 1958. Signée. Annotation
manuscrite de F. Duchêne.
AMK C 23/1/87 : Lettre de Jean Monnet à George Ball, 16 décembre 1958.
AMK C 23/1/90 :Télégramme de Jean Monnet à George Ball, 18 mars 1959.
AMK C 23/1/91 : Lettre de George Ball à Jean Monnet, 19 mars 1959. Signée. Annotation manuscrite
de J.M. Avec un prospectus pour Eurofund.
AMK C 23/1/100 : Lettre de Jean Monnet à George Ball, 6 février 1960.
AMK C 23/1/110 : « The Atlantic Community ». Programme de la Democratic Platform, 12 juillet
1960. Annexe de AMK C 23/1/108.
AMK C 23/1/111 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 27 juillet 1960.
AMK C 23/1/112 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 2 août 1960.
395
AMK C 23/1/113 : Lettre de Florence Roth (Secrétaire de G. Ball) à J.M, 11 août 1960.
AMK C 23/1/117 : Lettre de G. Ball à Jean Monnet, 1 septembre 1960. Signée.
AMK C 23/1/119 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 15 septembre 1960.
AMK C 23/1/121 : Lettre de M. Kohnstamm à G. Ball et R. Schaetzel, 26 octobre 1960.
AMK C 23/1/122 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 19 décembre 1960.
AMK C 23/1/124 : Lettre de G. Ball à Jean Monnet, 1 janvier 1961.
AMK C 23/1/125 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 12 janvier 1961.
AMK C 23/1/127 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 13 janvier 1961.
AMK C 23/1/128 : Lettre de G. Ball (sous-Secrétaire d‘État pour les Affaires économiques) à J. M, 6
mai 1961.
AMK C 23/1/131 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 11 juillet 1961.
AMK C 23/1/133 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 29 septembre 1961.
AMK C 23/1/134 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 2 octobre 1961.
AMK C 23/1/135 : Lettre de G. Ball à Jean Monnet, 6 octobre 1961.
AMK C 23/1/136 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 10 octobre 1961. Brouillon.
AMK C 23/1/138 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 12 octobre 1961.
AMK C 23/1/139 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 12 octobre 1961. Signée. Correction manuscrite
de J. M. Avec un mémorandu.
AMK C 23/1/140 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 13 octobre 1961.
AMK C 23/1/141 : Lettre de Jean Monnet. à G. Ball, 27 octobre 1961. Brouillon, Avec une note de
conversation.
AMK C 23/1/143 : «Threshold of a New Trading World ». Discours de G. Ball, 1 novembre 1961.
AMK C 23/1/144 : Lettre de Jean Monnet à G.Ball, 17 novembre 1961. Corrections manuscrites.
AMK C 23/1/145 : Lettre de J Jean Monnet à G. Ball, 18 novembre 1961. Brouillon.
AMK C 23/1/151 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 5 décembre 1961.
AMK C 23/1/152 : Lettre de Jean Monnet à George, 21 décembre 1961. [Lettre impcomplète]
AMK C 23/1/153 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 27 décembre 1961.
AMK C 23/1/154 : « Freer trade between America and Europe ». Mémorandum de Jean Monnet, 27
décembre 1961.
AMK C 23/1/155 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 22 janvier 1962.
AMK C 23/1/156 : « Toward an Atlantic Partnership », Discourse de G. Ball, 6 février 1962.
AMK C 23/1/157 : Discours de G. Ball à New York, 6 mars 1962.
AMK C 23/1/158 : « The Developing Atlantic Partnership ». Discours de G. Ball à Bonn, 2 avril 1962.
AMK C 23/1/159 : Idem. Autre presentation.
396
AMK C 23/1/160 : Lettre de Jean Monnet à G. Ball, 23 juin 1962.
AMK C 23/1/162 : Lettre de J. Robert Schaetzel à G. Ball, 13 juillet 1962.
AMK C 23/1/164 : « Ball remarks at OECE meeting », 28 novembre 1962.
AMK C 23/1/165 : Discours de G. Ball au Joint Economic Committee (Washington), 13 décembre
1962.
AMK C 23/1/166 : Lettre de E.V.R. à G. Ball, 29 janvier 1963.
AMK C 23/1/167 : « Les États-Unis et le Marché commun : La realization d‘une unite économique et
politique européenne nous paraît être d‘une importance vitale ». Interview de G. Ball, 2 novembre
1963.
15. Robert R. Bowie. (Secrétaire d‘État)
AMK C 23/1/326 : Lettre de Robert R. Bowie (Secrétaire d‘État) à Jean Monnet, 9 juin 1955. Signée.
AMK C 23/1/327 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 18 juin 1955.
AMK C 23/1/330 : Lettre de R. Bowie à Jean Monnet, 6 février 1956.
AMK C 23/1/331 : Lettre de R. Bowie à Jean Monnet, 2 avril 1956.
AMK C 23/1/332 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 12 avril 1956.
AMK C 23/1/333 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 29 septembre 1956.
AMK C 23/1/334 : Lettre de R. Bowie à Jean Monnet, 18 octobre 1956.
AMK C 23/1/337 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 7 décembre 1956.
AMK C 23/1/338 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 30 janvier 1957.
AMK C 23/1/341 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 6 mai 1957.
AMK C 23/1/342 : Lettre de R. Bowie à Jean Monnet, 8 janvier 1958.
AMK C 23/1/344 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 6 mars 1958.
AMK C 23/1/345 : Lettre de R. Bowie à Jean Monnet, 19 mars 1958.
AMK C 23/1/347 : Lettre de F. Duchêne à R. Bowie, 24 mai 1958.
AMK C 23/1/348 : « Provisional Program for the Centre of Documentation of the Action Committee
for the United States of Europe », 24 mai 1958.
AMK C 23/1/351 : Lettre de R. Bowie à F. Duchêne, 24 octobre 1958.
AMK C 23/1/359 : Lettre de F. Duchêne à R. Bowie, 19 mars 1959.
AMK C 23/1/368 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 19 mai 1959.
AMK C 23/1/370 : Lettre F. Duchêne à R. Bowie, 13 juin 1959.
AMK C 23/1/372 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 27 octobr 1959.
AMK C 23/1/375 : Lettre de F. Duchêne à R. Bowie, 16 février 1960.
397
AMK C 23/1/378 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 15 juillet 1960.
AMK C 23/1/380 : Lettre de R. Bowie à J.M, 21 jullet 1960. Signée
AMK C 23/1/393 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 7 avril 1961.
AMK C 23/1/395 : Lettre de F. Duchêne à R. Bowie, 16 mai 1961.
AMK C 23/1/396 : Lettre de R. Bowie à Jean Monnet, 18 mai 1961.
AMK C 23/1/421 : Lettre de R. Bowie à Max Kohnstamm, 29 mars 1963.
AMK C 23/1/422 : Lettre de J. Vanneste (Secrétaire de M. Kohnstamm) à J. Van Belmont, 9 avril
1963.
AMK C 23/1/423 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 19 avril 1963.
AMK C 23/1/424 : Lettre de R. Bowie à Jean Monnet, 26 avril 1963.
AMK C 23/1/425 : Télégramme de Jean Monnet à R. Bowie, 30 avril 1963.
AMK C 23/1/428 : Lettre de J. Van Helmont à R. Bowie, 11 mai 1963.
AMK C 23/1/440 : Lettre de Jean Monnet à R. Bowie, 22 novembre 1963.
AMK C 23/1/441 : «Le partage des responsbilités nucléaires au sein de l‘Alliance atlantique ».
Discours de R. Bowie à l‘Assemblée de L‘U.E.O, 23 décembre 1963.
AMK C 23/1/443 : Lettre de J. Van Helmont à R. Bowie, 20 décembre 1963.
16. Clarence E. Birgfeld (United States Mission to the European Communities)
AMK C 23/1/288 : Lettre de Clarence E. Birgfeld (United States Mission to the European
Communities) à J. M, 9 juin 1960.
AMK C 23/1/289 : « Just in case of another accident ». Caricature, 31 mai 1960. (The Guardian).
Annexe de AMK C 23/1/288.
17. David Bruce.
AMK C 23/2/6 : Lettre de David Bruce à Jean Monnet, 4 juillet 1955.
AMK C 23/2/7 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 21 juillet 1955.
AMK C 23/2/8 : Lettre de Jean Monnet À D. Bruce, 14 décembre 1955.
AMK C 23/2/9 : Lettre de D. Bruce à Jean Monnet, 4 janvier 1956.
AMK C 23/2/10 : Lettre de J.M. à bruce, 27 janvier 1956.
AMK C 23/2/12 : Lettre de D. Bruce à Jean Monnet, 11 mars 1957.
AMK C 23/2/14 : Lettre de D. Bruce à Jean Monnet, 20 novembre 1957.
AMK C 23/2/16 : Lettre de D. Bruce à Jean Monnet, 6 janvier 1958.
398
AMK C 23/2/17 : Lettre de Hans A. Schmitt (University of Oklahoma) à D. Bruce, 9 décembre 1957.
AMK C 23/2/19 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 11 janvier 1958.
AMK C 23/2/22 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 22 avril 1958.
AMK C 23/2/26 : Lettre de D. Bruce à J.M 19 septembre 1958.
AMK C 23/2/35 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 16 février 1959.
AMK C 23/2/40 : Lettre de D. Bruce à Jean Monnet, 8 juin 1959.
AMK C 23/2/43 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 9 septembre 1959.
AMK C 23/2/45 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 29 septembre 1959.
AMK C 23/2/49 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 27 novembre 1959.
AMK C 23/2/54 : Lettre de D. Bruce à Jean Monnet, 15 juillet 1960.
AMK C 23/2/55 : Lettre de D. Bruce à J.M, 20 septembre 1960.
AMK C 23/2/57 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 30 octibre 1960.
AMK C 23/2/58 : Lettre de D. Bruce à J.M, 18 décembre 1960.
AMK C 23/2/59 : Lettre de Jean Monnet à Bruce, 19 décembre 1960.
AMK C 23/2/63 : Lttre de Jean Monnet à D. Bruce, 10 janvier 1961. [Non envoyée]
AMK C 23/2/64 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 3 février 1961.
AMK C 23/2/70 : Discours de D. Bruce au Court of St. Jame‘s, 2 mai 1961.
AMK C 23/2/73 : Lettre de Burce à Jean Monnet, 23 août 1961.
AMK C 23/2/79 : Lettre de Jean Monnet à D. Bruce, 12 septembre 1961.
AMK C 23/2/81 : Lettre de F. Duchêne à D. Bruce, 10 août 1962.
AMK C 23/2/82 : Lettre de Jean Monnet À D. Bruce, 10 août 1962.
AKM C 23/2/120 : Lettre de D. Bruce `a Jean Monnet, 13 avril 1970. Manuscrite.
18. McGeorge Bundy (White House)
AMK C 23/2/175 : Lettre de M. Bundy(White House) à Jean Monnet, 26 juillet 1961.
AMK C 23/2/177 : Lettre de M. Bundy à Jean Monnet, 26 juin 1962. Signée.
AMK C 23/2/178 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, 11 julllet 1962.
AMK C 23/2/179 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, Août 1962.
AMK C 23/2/181 : Discours de M. Bundy (President Kennedy‘s special Assistant for National
Security Affairs) à la General Assembly of the Atlantic Treaty Association, 27 septembre 1962.
AMK C 23/2/183 : Lettre de M. Bundy à Jean Monnet, 6 octobre 1962.
AMK C 23/2/184 : « Friends and allies ». Article de M. Bundy, Octobre 1962. (Foreign Affairs)
399
AMK C 23/2/185 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, 15 décembre 1962.
AMK C 23/2/187 : Lettre de M. Bundy à Jean Monnet, 27 décembre 1962.
AMK C/23/2/188 : « Bundy urges full discussion on nuclear policy among Atlantic allies ». Discours
de M. Bundy, 18 février 1963.
AMK C 23/2/189 : « McG. Bundy décrit…», Note manuscrite de Jean Monnet, Février 1963.
AMK C 23/2/190 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, 17 avril 1963.
AMK C 23/2/193 : Lettre de M. Bundy à Jean Monnet, 23 avril 1963.
AMK C 23/2/194 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, 12 juin 1963.
AMK C 23/2/195 : Lettre de Jean Monnet à John F. Dennedy (Président des États-Unis), 12 juin 1963.
AMK C 23/2/198 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, 12 jullet 1963.
AMK C 23/2/199 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, 19 juillet 1963.
AMK C 23/2/204 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, 14 février 1964.
AMK C 23/2/226 : Lettre de Jean Monnet à M. Bundy, 12 jullet 1965.
19. Paul H. Douglas (The Committee of one Million)
AMK C 23/3/149 : Lettre de P. Douglas à Jean Monnet, 9 novembre 1961.
20. Allen W. Dulles
AMK C 23/3/161 : Lettre de Jean Monnet à A. Dulles, 19 décembre 1960.
AMK C 23/3/162 : Lettre de Jean Monnet à A. Dulles, 1 septembre 1961.
21. John foster Dulles
AMK C 23/3/173 : Lettre de J. Dulles à Jean Monnet, 1 février 1956.
AMK C 23/3/177 : Lettre de J Jean Monnet à J. Dulles, 30 janvier 1957.
AMK C 23/3/179 : Lettre de J. Dulles à Jean Monnet, 4 février 1957.
AMK C 23/3/187 : Lettre de Jean Monnet à J. Dulles, 26 avril 1958.
AMK C 23/3/188 : Lettre de J. Dulles à Jean Monnet, 19 juin 1958.
AMK C 23/3/190 : Lettre de Jean Monnet à J. Dulles, 13 juillet 1958.
AMK C 23/3/183 : « Extrait de la conference de presse de Mr John Foster Dulles du 11 janvier 1958
», Télex, 13 janvier 1958.
400
22. Dwight D. Eisenhower.
AMK C 23/3/253 : Lettre de Dwight D. Eisenhower (Président des États-Unis) à Jean Monnet, 1 jullet
1955. Signée.
AMK C 23/3/256 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower, 6 décembre 1956.
AMK C 23/3/257 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower, 20 janvier 1956.
AMK C 23/3/258 : Lettre de D. Eisenhower à Jean Monnet, 24 janvier 1957.
AMK C 23/3/259 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower, 14 décembre 1957.
AMK C 23/3/264 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower, 18 décembre 1958.
AMK C 23/3/278 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower, 14 août 1959.
AMK C 23/3/279 : Lettre de D. Eisenhower à Jean Monnet, 18 août 1959.
AMK C 23/3/285 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower, 24 décembre 1959.
AMK C 23/3/287 : Lettre de D. Eisenhower à Jean Monnet, 30 décembre 1959.
AMK C 23/3/294 : Télégramme de Jean Monnet à D. Eisenhower, 17 janvier 1961.
AMK C 23/3/302 : Lettre de D. Eisenhower à Jean Monnet, 23 février 1962.
AMK C 23/3/303 : Lettre de Jean Monnet. à D. Eisenhower, 7 juin 1962.
AMK C 23/3/305 : Lettre de D. Eisenhower à Jean Monnet, 2 juillet 1962.
AMK C 23/3/311 : Lettre de D. Eisenhower à Jean Monnet, 29 mai 1963.
AMK C 23/3/316 : Lettre de Jean Monnet à D. Eisenhower, 20 juillet 1963.
AMK C 23/3/317 : Lettre de D. Eisenhower à Jean Monnet, 23 juillet 1963.
23. John Floberg (Atomic Energy Commission)
AMK C 23/4/23 : Lettre de John Floberg (Atomic Energy Commission ) à Jean Monnet, 17 avril 1959.
AMK C 23/4/24 : « The Euratom-U.S.A. Treaty: The Obstacles ». Discourse de Gibrat à Cleveland,
Avril 1959.
24. Gerald Rudolph Ford
AMK C 23/4/25 : Lettre de Gerald Rudolph Ford (Président des États-Unis) à Jean Monnet, 13 mai
1975.
AMK C 23/4/26 : Lettre de Jean Monnet à G. Ford, 16 juin 1975.
401
25. Félix Frankfurter (Supreme Court of the United States)
AMK C 23/4/27 : Lettre de Félix Frankfurter (Supreme Court of the United States) à J.M, 19 octobre
1955.
AMK C 23/4/36 : Lettre de Jean Monnet à F. Frankfurter, 27 novembre 1959.
AMK C 23/4/37 : Lettre de Jean Monnet à F. Frankfurter, 15 juillet 1960.
AMK C 23/4/38 : Lettre de F. Frankfurter à Jean Monnet, 6 janvier 1962.
AMK C 23/4/42 : Lettre de F. Frankfurter à Silvia Monnet, 6 juin 1963.
AMK C 23/4/45 : Lettre de F. Frankfurter à l‘Ambassadeur de Grande-Bretagne (Washington), 6
février 1946.
AMK C 23/4/46 : Lettre d l‘Ambassadeur de Grande-Bretagne à F. Frankfurter, 8 février 1946.
AMK C 23/4/47 : Lettre de F. Frankfurter à J. M, 25 juin 1963.
26. Orville L. Freeman (Secrétaire d‘Éat à l‘Agriculture)
AMK C 23/4/65 : Lettre de Jean Monnet à Orville L. Freeman, 12 octobre 1961.
AMK C 23/4/67 : Lettre de O. Freeman à Jean Monnet, 24 novembre 1961.
AMK C 23/4/72 : Lettre de O.Freeman à Jean Monnet, 21 décembre 1962.
AMK C 23/4/74 : Lettre de Jean Monnet à O. Freeman, 28 février 1964.
AMK C 23/4/75 : Lettre de O. Freeman à J Jean Monnet, 11 mars 1964.
AMK C 23/4/76 : Lettre de Jean Monnet à O. Freeman, 6 juin 1964.
AMK C 23/4/66 : « Memorandum ». Note de conversation de Jean Monnet, 12 octobre 1961.
27. J. William Fulbright (Sénateur)
AMK C 23/4/78 : Lettre de Jean Monnet à J. William Fulbright (Sénateur), 10 juin 1959.
AMK C 23/4/79 : Lettre de J. Fulbright à Jean Monnet, 23 juin 1959.
AMK C 23/4/81 : Lettre de J Jean Monnet à J. Fulbright, 27 novembre 1959.
AMK C 23/4/82 : Lettre de J. Fubbright à Jean Monnet, 15 décembre 1959.
AMK C 23/4/83 : Lettre de Jean Monnet à J. Fulbright, 15 juillet 1960.
AMK C 23/4/85 : Lettre de Jean Monnet à J. Fulbright, 3 décembre 1960.
AMK C 23/4/86 : Lettre de J. Fulbright à Jean Monnet, 4 janvier 1961.
AMK C 23/4/87 : Lettre de Jean Monnet à J. Fulbright, 27 janvier 1961.
402
AMK C 23/4/88 : Lettre de J. Fulbright à Jean Monnet, 9 février 1961.
AMK C 23/4/93 : Lettre de J. Fulbright à Jean Monnet, 20 avril 1964.
AMK C 23/4/96 : Lettre de J. Fulbright à Jean Monnet, 15 juillet 1964.
28. James M. Gavin (Ambassadeur des États-Unis à Paris)
AMK C 23/4/100 : Lettre de J. Gavin à Jean Monnet, 18 juillet 1961.
29. Leon Goldenberg (Attaché à l‘Amaassade des Etsts-Unis à Bonn)
AMK C 23/4/112 : Lettre de L. Goldenberg à Jacques Van Helmont, 23 novembre 1955.
AMK C 23/4/114 : Lettre de L. Goldenberg à Jean Monnet, 27 février 1956.
AMK C 23/4/116 : Lettre de L. Goldenberg à Jean Monnet, 4 janvier 1957.
30. W. Averell Harriman
AMK C 23/4/177 : Lettre de Jean Monnet. à W. Garriamn, 11 janvier 1961.
AMK C 23/4/178 : Lettre de W. Harriman à Jean Monnet, 24 janvier 1961.
AMK C 23/4/180 : Lettre de W. Harriman à Jean Monnet, 9 septembre 1963.
AMK C 23/4/181 : Lettre de Jean Monnet à W. Harriman, 21 septembre 1963.
AMK C 23/4/186 : Lettre de W. Harriman à Jean Monnet, 10 juin 1964.
31. John Robert Schaetzel (Special Assistant to the Secretary of State)
AMK C 23/9/6 : Lettre de John Robert Schaetzel à Jean Monnet, 30 novembre 1956.
AMK C 23/6/11 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 6 novembre 1957.
AMK C 23/9/13 : Lettre de recommendation de Jean Monnet au Committee on Selection (Rockefeller
Public Service Awards), 11 septembre 1958. Pour J. Schaetzel. 1ère version.
AMK C 23/9/17 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 20 novembre 1958.
AMK C 23/9/20 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 20 décembre 1958.
AMK C 23/9/22 : Lettre de J. Schaetzel à F. Duchêne, 15 décembre 1958.
AMK C 23/9/25 : Lettre de F. Duchêne à J. Schaetzel, 28 décembre 1958.
AMK C 23/9/27 : Lettre de J. Schaetzel à Max Kohnstamm, 9 février 1959.
403
AMK C 23/9/28 : Lettre de J. Schaetzel à F. Duchêne, 16 septembre 1959.
AMK C 23/9/29 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 24 septembre 1959. Avec « Excerpts
Summarizing Natured of Rockefeller Public Service Awards », « Project Statement Rokefeller Public
Service Awards ».
AMK C 23/9/30 : Lettre de Jean Monnet à J. Schaetzel, 25 septembre 1959.
AMK C 23/9/34 : Lettre de J. Schaetzel à F. Duchêne, 19 janvier 1960.
AMK C 23/9/36 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 13 février 1960.
AMK C 23/9/37 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 19 février 1960.
AMK C 23/9/40 : Lettre de J. Schaetzel à F. Duchêne, 19 avril 1960.
AMK C 23/9/41 : Lettre de F. Duchêne à J. Schaetzel, 21 avril 1960.
AMK C 23/9/43 : Lettre de Lettre de F. Duchêne à J. Schaetzel, 17 mai 1960.
AMK C 23/9/44 : Lettre de F. Duchêne à J. Schaetzel, 8 juin 1960.
AMK C 23/9/50 : Lettre de Jean Monnet à J. Schaetzel, 11 juillet 1961.
AMK C 23/9/51 : Lettre de Jean Monnet à J. Schaetzel, 12 octobre 1961.
AMK C 23/9/52 : Lettre de J.Schaetzel à F. Duchêne, 24 octobre 1961.
AMK C 23/9/53 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 30 octobre 1961.
AMK C 23/9/55 : Lettre de Jean Monnet à J. Schaetzel, 2 novembre 1961.
AMK C 23/9/64 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 27 janvier 1962.
AMK C 23/9/65 : Mémorandum de J. Schaetzel et George Ball, 26 janvier 1962.
AMK C 23/9/66 : Lettre de J. Schaetzel à F. Duchêne, 28 février 1962.
AMK C 23/9/67 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 2 mars 1962.
AMK C 23/9/69 : Lettre de M. Kohnstamm à J. Schaetzel, 6 mars 1962.
AMK C 23/9/70 : Lettre de J. Schaetzel à Richard Salant (President of CBS News ), 23 mars 1962.
AMK C 23/9/73 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 10 avril 1962.
AMK C 23/7/76 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 31 mai 1962.
AMK C 23/9/80 : Lettre de J. Schaetzel à F. Duchêne, 13 juin 1962. [Avec une note de Ray Vernon et
un billet en partie du Secrétariat de Jean Monnet].
AMK C 23/9/81 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 18 juin 1962.
AMK C 23/9/83 : Lettre de F. Duchêne à J. Schaetzel, 23 juin 1962.
AMK C 23/9/84 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 8 août 1962.
AMK C 23/9/87 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 25 septembre 1962.
AMK C 23/9/88 : Lettre de Jean Monnet à J. Schaetzel18 octobre 1962.
AMK C 23/9/89 : Lettre de J. Schaetzel à F. Duchêne, 31 octobre 1962.
AMK C 23/9/92 : Lettre de J. Schaetzel à Jean Monnet, 22 mars 1963.
404
AMK C 23/9/24 : « Trade Unity Splits West Europe; Time for a Push Toward Unity ». Article, 6
décembre 1958. (Business Week).
AMK C 23/9/68 : « Economy of Neutrals : Dangers Pointed out in Excluding them from common
Market ». Lettre de F.A. Hayek au Times, 25 février 1962.
AMK C 23/9/74 : « The labour Party and the Common Market ». Mémorandum de Richard E.
Neustadt à J. Schaetzel, 12 mars 1962.
AMK C 23/9/85 : «The North Atlantic Partnership and the Less Developed Areas ». Article de J.
Schaetzel, 9 juillet 1962. (The Department of State Bulletin)
AMK C 23/9/91 : «Tide of Change », Discours de J. Schaetzel au Pomona College, 12 février 1963.
(Department of State for the Press)
AMK C 23/9/93 : «The Atlantic Community: An American View », Memorandum de (J. Schaetzel),
25 avril 1963.
AMK C 23/9/96 : Lettre de J. Schaetzel à J. Van Helmont, 1963.
LES ARCHIVES ORALES
Les interviews
Ⅰ. Liste des entretiens réalisés pour la Fondation Jean Monnet de Lausanne par des
journalistes :
1. Robert Nathan, Lausanne, 8 décembre 1981, par Leonard Tennyson.
2. John J. Mac Cloy, États-Unis, 15 juillet 1981, par Leonard Tennyson.
3. Robert R. Bowie, États-Unis, 16 juin 1981, par Antoine Marès
4. Stanley Cleveland, États-Unis, 11 novembre 1980, par Leonard Tennyson
5. George W. Ball, États-Unis, 15 juillet 1981, par Leonard Tennyson.
6. Katherine Graham, États-Unis, 28 juillet 1981, par Leonard Tennyson.
7. John Tuthill, États-Unis, 15 avril 1981, par Leonard Tennyson.
8. Robert Schaetzel, États-Unis, 24 mars 1982, par Leonard Tennyson
9. Milton Katz, États-Unis, 28 janvier 1988, Par Leonard Tennyson
10. Shepard Stone, États-Unis, 23 juillet 1982, par Leonard Tennyson
11. Max Isenberg, États-Unis, 20 avril 1981, par Leonard Tennyson.
12. Eugene Rostow, États-Unis, 12 novembre 1987, par Leonard Tennyson
13. Henry Owen, États-Unis, 30 juin 1981, par Leonard Tennyson.
14. Eugene Rostwo, États-Unis, 12 novembre 1987, par Leonard Tennyson,
15. Jean Fourastié, Paris, 6 mai 1981, par Antoine Marès.
16. René Rleven, paris,27 mars 1980, par Roger Massip et Antoine Marès
17. Rober Marjolin, Paris, 24 novembre 1981, par Antoine Marès.
18. Etienne Hirsch, 2 juillet 1980, par Antoine Marès.
19. François Fontaine, Paris, avril 1982, par Antoine Marès.
405
20. Alphand Hervé, Paris, 17 juin 1981, par Roger Massip.
Ⅱ. Liste des entretiens dans les archives américaines.
1. P-SML 81, Princeton-SM Library, JFD Oral history project Rene Mayer, oct. 6. 1964.,
Interview with Rene Mayer mentioning JM, Interview, Rene Mayer on JM, october 6,
1964.
2. P-SML 81, Princeton-SM Library, JFD oral history project Clarence Randall may 19,
1966, Interview mentioning JM, Interview: Clarence Randall on JM, May, 19, 1966.
3. P-SML 81, Princeton-SM Library, JFD oral history project C. Douglas Dillon June 24,
1965, Interview mentioning JM, Interview, C. Douglas Dillon on JM, June 24, 1965.
4. Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview (w. Averell Harriman)
ECSC, 1971
5. Oral History Interviews with Etienne Hirsch, ECSC, Paris, France, June 30, 1970, by
Theodore A. Wilson(University of Kansas)
6. HST 75, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, (Jules Moch) by Richard
D. McKinzie and Theodore A. Wilson, ECSC, April 29, 1970.
7. HST 76, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview (Edwin Neal
Plowden and Douglas Allen), June 15, 1964.
8. Oral History Interviews, Interview : Gustav Adolph Sonnenhol, Postwar conditions,
may, 14, 1964. by philip c. brooks, director harry S. Truman Library.
9. JFD oral history project George Murnane, june 19, 1964, interview mentioning JM,
Interview : George Murnane on JM, May 19, 1964.
10. Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview (sir Roger Makins),
European Economic unity. June 15, 1964.
11. HST 70, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview, (Paul G.
Hoffman), European Recovery Program, Hoffman speaks of Monnet as the father of
the concept of the US of Europe. Oct. 25. 1964.
12. HST 74, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview(H. Freeman
Matthews), Matthews, of the state Department, speaks of Monnet‘s ideas and the
Common Market. June 7, 1973.
13. Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview (David K. E. Bruce) by
Jerry N. Hess, The revival of France. Bruce speaks of meeting Monnet after the War
and how he helped France. March, 1, 1972.
14. HST 73, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview(Robert
Marjolin), European recovery programs : Marjolin speaks of Monnet‘s ideas and the
Marshall Plan, May 30, 1964.
15. HST 69, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview : (Etienne
Hirsch), ECSC: Etienne Hirsch participated in setting up the ECSC in throughout and
includes and index. June 30, 1970.
16. HST 66, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview(Emilio Collado),
Acheson‘s association with Monnet : cooado of the State Department speaks of
Monnet and his friendship with Acheson. July 11, 1974
17. HST 71, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview ( Geoffrey W.
Lewis), an integrated Europe : Lewis, of the US State Department, speaks of Monnet
and the current unity of Europe(in 1974), July 15, 1974.
406
18. HST 67, Harry S Truman Library, Oral History Interviews, Interview (Lincoln
Gordon), the ECA : Lincoln Gordon, who held many government positions, speaks of
the ECA and the ―Atomic Wise Men.‖ July 17, 1975
407
SIGLES
AIR
Autorité Internationale de la Ruhr
APE
Autorité politique européenne
CEA
Council on Economic Advisers
CECA
Communauté européenne du charbon et de l‘acier
CED
Communauté européenne de défense
CEE
Communauté économique européenne
CFLN
Comité Français de Libération nationale
CFR
Council on foreign relations
CGP
commissariat général du Plan
ECA
Economic Cooperation Administration
FOA
Foreign operations administration
FRUS
Foreign relations of the United States
GATT
General Agreement on Tariffs and Trade
ICA
International Cooperation Administration
OCDE
Organisation de coopération et de développement économique
OECE
Organisation européenne de coopération économique
OTAN
Organisation du Traité de l‘Atlantique Nord
PPC
Policy Planning Council
PPS
Policy Planning Staff
408
ANNEXES
Document annexe 1
LC/FF 3, US Library of congress, Félix Frankfurter Papers, Monnet, Jean 1940-1958, Letter (FF to Lord
Halifax), Views of Jean Monnet, summary of Monnet’s diplomatic and defense activities and
achievements. Apparently Lord Halifax requested this information from Frankfurter. Although he speaks
from a personal friendship, (14.11.41)
My dear Halifax:
―You have asked me to put on paper the view taken here of Jean Monnet and his services. Because of the very
high regard in which I know him to be held, I am truly glad of the opportunity to do so. The only difficulty is
that to state fairly what Monnet has been able to accomplish requires conscious understatement.
I am, of course, wholly outside the administration of our defense activities. But in the inevitable talk one has
these days about war matters, I have heard no higher praise of any official entrusted with British interests than
what has been accorded Monnet by men charged with ultimate responsibility. I have heard Harry Hopkins,
Secretary Stimson, the two Assistant Secretaries of War, Mac Cloy and Lovett, leading men in the Army, in the
Lend lease Administration, and in OPM, speak of Monnet in terms of the highest esteem and admiration. He has
been a creative and energizing force in the development of our defense program. As one important official put it
to me, ―Monnet has really been a teacher to our defense administration‖. Another top official, with whom I
recently engaged in conversation about Monnet, subsequently wrote me as follows to supplement what he
thought was an inadequate expression of his estimate of Monnet
―On reflection I think he has been responsible more than anyone connected with the British mission for the
orientation of the men with whom he comes in contact in the War Department to the primary task which the
United States must perform if it is to act effectively in the war.
―For one reason of another-perhaps because of diffidence, perhaps because so many are compelled to respond
so continuously to the motivation of the last cable from London-the result is that Monnet is the only one from
their shop who talks and presses to the point almost of irritation the broad picture of the United States obligation.
He spares himself no indignity or rebuff but before long he has the Army officers repeating his arguments. He
thinks on the basis of a wide experience and wide contacts with the men of influence in three different
governments, all of whom struggled with the problems of supply in war, not only in this war but in the last, and
the quality and plane of his thinking shows it.
―Monnet has the advantage of knowing both the British and the Americans well, but he contributes his own
method of thinking and working which neither the British nor the Americans seem to be able to duplicate for its
effect.
―You know the regard in which he is held among those in high place. I see his influence on the hewers of wood
and I repeat, in my judgment no one in the British mission, capable as so many of them are, is near the equal of
Monnet, Measured in terms of influence on the War Department‘s approach to British supply needs.‖
There is no mystery about the sources of Monnet‘s achievement. He possesses an extraordinary clarity of mind, a
power of concentration that is almost consecration, pertinacity, experience with technical defense problems, as
well as large experience in the delicate task of carrying on successful collaboration between our two
409
governments, How rare that gift is, even in the case of governments bent on a common purpose, I need not labor.
But I would like to say, of my own knowledge, that on several occasions Monnet‘s decisive personnel
interventions were of the utmost importance. In addition, he brings the great advantage of enjoying the
friendship and confidence of Americans who happen to be in key places. Finally, he possesses that rarest of
talents-the power of self-abnegation. British victory and all that makes for it are the complete absorption of his
life.
I might add that everyone to whom I have spoken who has worked on close and intimate terms with Monnet has
absolute confidence in him and in his trustworthiness, discretion and single-minded devotion to the cause he is
serving. May I add also a purely personal or for I have seen much of him, and have long known him intimately, I
know no one on when I should rely more securely that he would never be deflected from his loyalty and his duty
by any personal consideration.
Document annexe 2
AME 57/1/179 : “Notes of a conversation between Mr. Monnet and Mr. Clayton, sept. 24/45”
Ruhr Coal
I gave M. Clayton my letter and memorandum, emphasizing that coal was vital for Western Europe and that to
France it would production was not increased and that the effects would be great, them and the burden would be
much greater on the United States if Ruhr coal production was not increased.
Mr. Clayton said that Clayton has written a letter to Mr. Mac Cloy saying that appointing a coal czar would not
help production because to put a czar over the British would not help things. I said he knew by experience how
heavy administrative machinery is and that if you leave things to them they will produce results, but too late. We
had gone carefully into the plans suggested in order to observe and respect the structural responsibility in the
various zones, but we thought it necessary to introduce a new factor into the situation, which would at the same
time have an overall view which is essential in view of the tendencies in the different zones to remain sovereign
and closed to one another, and also would know what steps are effectively taken in each zone to help production
of coal and on the basis of that knowledge recommend steps which otherwise administratively would never get
done.
Mr. Clayton said he would like to see something done in that line and he would talk to Mac Cloy and see what
was possible.
Document annexe 3
AME 57/1/184 : Télégramme de Jean Monnet à C. de Gaulle (copie à Pleven, Bidault, Lacoste) (45.09.27)
Avant mon départ j‘ai entretenu à nouveau Clayton de la nécessite pour les trois Gouvernements Allies de
prendre des mesures qui permettent d‘exporter d‘Allemagne les quantités de charbon prévues dans la directive
du Président Truman. J‘ai remis a Clayton une lettre accompagnée d‘une proposition rédigée comme suit :
Début de citation. Proposition destinée à Assurer l‘a coordination de la production de Charbon Allemand.
En juillet 1945, des directives avaient été envoyées aux Commandants des zones d‘occupation américaine,
britannique et française, fixant les buts a atteindre pour la production de charbon en Allemagne occidentale. Ces
directives prévoyaient que toutes les mesures nécessaires devaient être prises pour assurer la disponibilité en vue
410
de l‘exportation de 10 millions de tonnes de charbon en 1945 et d‘une nouvelle tranche de 15 millions pendant
les 4 premières mois de 1946
Il apparait évident, désormais, que les programmes établis par ces directives ne seront pas exécutes, a moins que
de nouvelles mesures soient immédiatement prises afin d‘assurer la mobilisation la plus efficace des ressources
globales des trois zones d‘occupation. La meilleure façon d‘y parvenir est de confier à une seule autorité. La
responsabilité de mettre sur pied un plan coordonné pour accroitre la production de charbon allemand et pour
s‘assurer que les mesures nécessaires à l‘exécution de ce plan seront bien effectivement prises dans les trois
zones.
À cet effet, les dispositions suivantes devraient être mises à exécution. :
1. Formation d‘un comité composé d‘un Président et de trois membres. Le Président devrait être nomme
conjointement par le Président des États-Unis, le Premier ministre de Grande-Bretagne, et le Chef du
Gouvernement provisoire de la République française. Chaque membre devrait représenter une des trois zones
d‘occupation et devrait être nomme par le Commandant de la zone correspondante.
2. Ce comité devrait aussitôt établir un plan pour l‘utilisation efficace des ressources des trois zones
d‘occupation, ceci de façon à accomplir les objectifs et atteindre les chiffres de production établis par les
directives formulées en Juillet 1945, et par toutes autres directives qui pourraient intervenir ultérieurement.
3. Le Président du Comité devrait avoir pouvoir d‘obliger le Comité de chacune des trois zones d‘occupation à
édicter toutes directives ou a prendre toutes mesures qui, dans l‘opinion dudit Président, seraient jugées par lui
nécessaires pour mener a bien le plan établi par le Comite. Le Président devrait avoir le droit d‘en appeler
directement aux Chefs des trois gouvernements, dans l‘hypothèse ou le commandement de l‘une quelconque des
trois zones ne donnerait pas suite à la requête formulée par le Président du Comité.
4. Chaque membre du Comité devrait être responsable de la surveillance et de la direction de la production de
charbon dans sa propre zone. Il devrait également être habilité à prendre, le cas échéant, toutes mesures jugées
nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective des directives formulées par le Président.
Je vous remettrai à Paris la copie de la lettre à Clayton, qui accompagnait cette proposition.
Document annexe 4
LC/FF 18, Felix Frankfurther Papers, Monnet, Jean 1940-1958, Letter (Jean Monnet to Félix
Frankfurter), Europe and the US, letter on US-European relations, (48/02/13)
I now feel that too long a time has elapsed ; and during that time many things have happened in the world and in
America, and also in the minds of the Americans.
So much of the developments in Europe depends on the United States - its material help as well as its views of
problems and of the future of the world –that I find it difficult to go along much further without understanding
by myself what is happening in your country and what forecast one can make of the developments, both material
and psychological, likely to take place in the near future, and possibly in the next few years.
I do not know whether you realize the extent to which, willingly or not, the life of Europe and the minds of the
people is now being influenced by American view and action. They may be good in some way but it certain
should not be a one-way traffic, otherwise it will be damaging both to the ―propellant‖ and the propelled.
(...)
During these last tow years I have been busy here, in fact very busy. I had not, during all my life, as I did for the
last two years. I have been mixed intimately with the working of the Government, Administration, and generally
with the country.
I have formed now of the futrue of this part of the world, as well as of the character and temperament of my own
countrymen, a judgment and opinion which certainly differ from those I had in the past. I now want to check
411
from the outside the views that I have now formed during these last two years here, and I am anxious to go
across the Atlantic and see you all.
Shoul I delay my visit, which I hope very much will not be the case, I wish you could do something for me : Bob
Sherwood is writing the Harry Hopkins Memoirs. When He took over this great task he and I had a talk in New
York, in the middle of 1946, about what he intended to say about me, and what little part I may have played in
connection which North Africa and the Armament program of the British and the United States in 1941-1942.
He himself suggested that he would show me what he intended to say about me in these memoirs, especially
what would related to my part in North Africa and President Roosevelt and General de Gaulle.
Document annexe 5
FJME AMG 5/1/3 : Note de réflexion de Jean Monnet (28.04.50)
La paix mondiale ne saurait être sauvegardés sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent.
La contribution qu‘une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien
des relations pacifiques. Pour cela, l‘Europe doit être organisée sur une base fédérale.
Afin de rendre possible le rassemblement des nations européennes, l‘opposition séculaire de la France et de
l‘Allemagne doit être éliminée. En envisageant sous ce jour nouveau les relations franco-allemandes, le
Gouvernement français entend avant tout servir la paix. Dans cet esprit, le Gouvernement français estime que
l‘unité allemande pacifiquement réalisée est nécessaire, et il s‘efforcera de la promouvoir dans les entretiens
internationaux. Dès maintenant, au Conseil de l‘Europe et à l‘O.E.C.E., l‘Allemagne doit collaborer sur une base
d‘égalité avec les autres nations européennes.
Les obstacles accumulés empêchent la réalisation immédiate de cette association étroite des peuples d‘Europe
que le Gouvernement français s‘assigne pour objectif. La voie pour les surmonter est de porter immédiatement
l‘action sur un point limité, mais décisif; la mise en commun des productions de charbon et d‘acier assurerait
immédiatement l‘établissement de bases communes de développement économique, première étape de la
Fédération européenne, et changerait le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de
guerre, dont elles ont été les plus constantes victimes.
Le gouvernement français propose de placer l‘ensemble de la production franco-allemande de charbon et d‘acier
sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d‘Europe.
La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l‘Allemagne
devient non seulement impensable, mais matériellement impossible.
L‘établissement de cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer,
aboutissant à fournir à tous les pays qu‘elle rassembler les éléments fondamentaux de la production industrielles
aux même conditions jettera les fondements réels de leur unification économique.
Cette production accrue sera offerte à l‘ensemble du monde sans distinction ne exclusion, pour participer au
relèvement du niveau de vie et au développement des oeuvres de paix.
Ainsi peut être réalisée simplement et rapidement la fusion d‘intérêts indispensable à l‘établissement d‘une
communauté économique, et introduit le ferment d‘une communauté plus large et plus profonde entre des pays
longtemps opposés par des divisions sanglantes.
La mission impartie à la Haute Autorité commune sera d‘assurer dans les délais les plus rapides: la
modernisation de la production et l‘amélioration de sa qualité; la fourniture à des conditions identiques du
charbon et de l‘acier sur le marché français et sur le marché allemand, ainsi que sur ceux des pays adhérents; le
développement de l‘exportation commune vers les autres pays; l‘égalisation dans le progrès des conditions de vie
de la main-d‘œuvre de ces industries.
Pour atteindre ces objectifs à partir des conditions très disparates dans lesquelles sont placées actuellement les
productions des pays adhérents, certaines dispositions transitoires devront être mises en oeuvre, comportant
412
l‘application d‘un plan de production et d‘investissements, l‘institution de mécanismes de péréquation des prix,
la création d‘un fond de reconversion facilitant la rationalisation de la production.
(…)
À l‘opposé d‘un cartel international tendant à la répartition et à l‘exploitation des marchés nationaux par des
pratiques restrictives et le maintien de profits élevés, l‘organisation projetée assurera la fusion des marchés et
l‘expansion de la production.
Les principes et les engagements essentiels ci-dessus définis feront l‘objet d‘un traité signé entre les États. Les
négociations indispensables pour préciser les mesures d‘application seront poursuivies avec l‘assistance d‘un
arbitre désigné d‘un commun accord; celui-ci aura charge de veiller à ce que les accords soient conformes aux
principes et, en cas d‘opposition irréductible, fixera la solution qui sera adoptée. La Haute Autorité commune
chargé du fonctionnement de tout le régime sera composée d‘une représentation paritaire présidée par une
personnalité agréée par les parties; ses décisions seront exécutoires en France, en Allemagne et dans les autres
pays adhérents; elles ne seront révisables que par appel devant la Cour permanente de Justice Internationale. Un
représentant des Nations Unies auprès de cette Autorité sera chargé de faire deux fois par an un rapport public à
l‘O.N.U. rendant compte du fonctionnement de l‘organise nouveau, notamment en ce qui concerne la sauvegarde
de ses fins pacifiques.
Cette proposition est conforme à l‘esprit des conventions internationales concernant les produits de base et e
développement des relations internationales, notamment de celles de la Charte de La Havane. Elle a, en outre,
une portée politique essentielle: Par la mise en commun de productions de base et l‘institution d‘une Haute
Autorité nouvelle, dont les décisions seront acceptées par la France, l‘Allemagne et les pays qui y adhéreront,
elle réalise les premières assises concrètes d‘une fédération européenne indispensable à la préservation de la
paix.
Document annexe 6
FJME AMG 5/1/5 : Note de réflexion de Jean Monnet, (03.05.50) [note confidentielle]
De quelque côté qu‘on se tourne, dans le situation du monde actuel, on ne rencontre que des impasses, qu‘il
s‘agisse de l‘acceptation grandissante d‘une guerre jugée inévitable, du problème de l‘Allemagne, de la
continuation du relèvement français, de l‘organisation de l‘Europe, de la place même de la France dans l‘Europe
et dans le Monde.
D‘une pareille situation, il n‘est qu‘un moyen de sortir : une action concrète et résolue, portant sur un point
limité mais décisif, qui entraîne sur ce point un changement fondamental et, de proche en proche, modifie les
termes mêmes de l‘ensemble des problèmes.
C‘est dans cet esprit qu‘a été formulée la proposition présentée en annexe. Les réflexions ci-dessous résument les
constatations qui y ont conduit.
Les esprits se cristallisent sur un objectif simplet et dangereux : la guerre froide.
Toute les propositions, toutes les actions sont interprétées par l‘opinion publique comme une contributions à la
guerre froide.
La guerre froide, dont l‘objectif essentiel est de faire céder l‘adversaire, est la première phase de la guerre
véritable.
Cette perspective créé chez les dirigeants une rigidité de pensée caractéristique de la poursuite d‘un objecte
unique. La recherche des solutions des problèmes disparaît. Cette rigidité de pensée, d‘objectif de part et d‘autre
amène inévitablement un choc qui est dans la logique inéluctable de cette perspective. De ce choc naîtra la
guerre.
En fait, déjà nous sommes en guerre.
Il faut changer le cours des événements ; pour cela, il faut changer l‘esprit des hommes. Une paroles n‘y
suffisent pas. Seule une action immédiate portant sur un point essentiel peut changer l‘était statique actuel. Il faut
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une action profonde, réelle, immédiate et dramatique qui change les choses et fasse entrer dans la réalité les
espoirs auxquels les peuples sont sur le point de ne plus croire. Et ainsi donner aux peuples des pays ―libres‖ de
l‘espoir dans les objectifs plus lointains qui leur seront assignés, et créera chez eux la détermination active de les
poursuivre.
La situation allemande devient rapidement un cancer dangereux pour la paix, dans un avenir prochain, et pour la
France immédiatement, si son développement n‘est pas dirigé pour les Allemands vers l‘espoir et la
collaboration avec les peuples libres.
Cette situation ne peut pas être réglée par l‘unification de l‘Allemagne, car il faudrait un accord USA-URSS,
impossible à concevoir pour le moment.
Elle ne peut pas être réglée par l‘intégration de l‘Ouest allemand avec l‘Occident,
-car les Allemands de l‘Ouest se mettraient de ce fait, vis-à-vis de l‘Est, en situation d‘avoir accepté la
séparation, tandis que l‘Unité doit nécessairement être leur objectif constant;
-car l‘intégration pose la question de l‘armement de l‘Allemagne et entraînera le guerre, provocation vis-à-vis
des Russes;
-pour des questions politiques insolubles.
Et cependant les Américains vont insister pour que l‘intégration de l‘Ouest se fasse,
-parce qu‘ils veulent que quelque chose se fasse et qu‘ils n‘ont pas d‘autre idée prochaine;
-parce qu‘ils doutent de la solidité et du dynamisme français.
Certains pensent qu‘il faut commencer l‘établissement d‘un remplaçant pour la France.
Il ne faut pas chercher à régler le problème allemand qui ne peut être réglé avec les données actuelles. Il faut en
changer les données en les transformant.
Il faut entreprendre une action dynamique qui transforme la situation allemande et oriente l‘esprit des
Allemands, et ne pas rechercher un règlement statique sur les données actuelles.
La continuation du relèvement de la France sera arrêtés si la question de la production industrielle allemande et
de sa capacité de concurrence n‘est pas réglée rapidement.
La base de la supériorité que les industriels français reconnaissent traditionnellement à l‘Allemagne est sa
production d‘acier à un prix que ne peut concurrencer la France. D‘où ils concluent que toute la production
française en est handicapée.
Déjà l‘Allemagne demande d‘augmenter sa production de 11 à 14 millions de tonnes. Nous refuserons, mais les
Américains insisteront. Finalement, nous ferons des réserves, mais nous céderons. En même temps la production
française plafonne ou même baisse.
Il suffit d‘énoncer ces faits pour n‘avoir pas besoin d‘en décrire en grand détails les conséquences: Allemagne en
expansion, dumping allemand à l‘exportation- demande de protection pour les industries françaises-arrêt ou
camouflage de la libération des échanges-recréation des cartels d‘avant guerre-orientation éventuelle de
l‘expansion allemande vers l‘Est, prélude aux accords Politiques- France retombée dan l‘ornière d‘une
production limitée protégée.
(…)
Or, les U.S.A. ne souhaitent pas que les choses se développent ainsi. Ils accepteront une autre solution si elle est
dynamique et constructive, surtout si elle est proposée par la france.
Avec la solution proposée disparaît la question de la domination de l‘industrie allemande, dont l‘existence
créerait en Europe une crainte, cause de troubles constants, finalement empêcherait l‘Union de l‘Europe et
causerait à nouveau la perte de l‘Allemagne elle-même. Cette solution créé au contraire pour l‘industrie tant
allemande que française et européenne des conditions d‘expansion commune dans la concurrence mais sans
domination.
Au point de vue français, une telle solution met l‘industrie française sur la même base de départ que l‘industrie
allemande, élimine le dumping à l‘exportation qu‘autrement poursuivrait l‘industrie allemande de l‘acier, fait
participer l‘industrie d‘acier française à l‘expansion européenne, sans crainte de dumping, sans la tentation du
cartel. La crainte chez les industriels, qui entraînerait le malthusianisme, l‘arrêt des ―libéralisation‖, et finalement
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le retour aux ornières du passé, sera éliminée. Le plus grand obstacle à la continuation du progrès industriel
français aura été écarté.
Nous avons été jusqu‘à ce jour engagés dans un effort d‘organisation de l‘Ouest à la fois économique, militaire
et politique : O.E.C.E., Pacte de Bruxelles, Strasbourg.
L‘expérience de deux années, les discussion de l‘O.E.C.E. sur les accords de paiement, la libération des
échanges, etc.…le programme d‘armement soumis à la dernière réunion de Bruxelles, les discussions de
Strasbourg, les efforts, qui restent sans résultats concrets, pour aboutir à une union douanière franco-italienne,
montrent que nous ne faisons aucun progrès réel vers le but que nous nous sommes assignés et qui est
l‘organisation de l‘Europe, son déf3loppement économique, et sa sécurité collective.
L‘Angleterre, toute désireuse qu‘elle soit de collaborer avec l‘Europe ne consentira rien qui puisse avoir pour
conséquence de détendre ses liens avec les Dominions, ou de l‘engager avec l‘Europe au-delà des engagements
pris par l‘Amérique elle-même.
L‘Allemagne, élément essentiel de l‘Europe, ne peut être engagée dans l‘organisation européenne dans l‘état
actuel des choses, pour les raisons exposées ci-dessus.
Il est certain que la continuation de l‘action entreprise dans les voies dans lesquelles nous nous sommes engagés
conduit à une impasse, et, en outre, risque de laisser passer le temps pendant lequel cette organisation de
l‘Europe serait été possible. En effet, les peuples d‘Europe n‘entendent que des paroles. Ils ne croiront bientôt
plus à l‘idéal que les gouvernements persistent à leur offrir, mais qui n‘en reste qu‘à de vains discours et à des
réunions futiles.
L‘opinion publique américaine ne soutiendra pas l‘action commune et la participation américaine si l‘Europe ne
se montre pas dynamique.
Pour la paix future, la création d‘une Europe dynamique est indispensable. Une association des peuples ―libres‖
à laquelle participera l‘U.S.A. n‘exclut pas la création d‘une Europe; au contraire, parce que cette association
sera fondée sur la liberté, donc sur la diversité, l‘Europe, si elle est adaptée aux nouvelles conditions du monde,
développera ses facultés créatrices, et ainsi graduellement apparaîtra une force d‘équilibre.
Il faut donc abandonner les formes passées et entrer dans une voie de transformation, à la fois par la création de
conditions économiques de base communes, et par l‘instauration d‘autorités nouvelles acceptées par les
souverainetés nationales.
L‘Europe n‘a jamais existé. Ce n‘est pas l‘addition de souverainetés réunies dans des conseils qui crée une entité.
Il faut véritablement créer l‘Europe, qu‘elle se manifeste à elle-même et à l‘opinion américaine, et qu‘elle ait
confiance en son propre avenir. Cette création, au moment où se pose la question d‘une association avec une
Amérique si forte, est indispensable, pour marquer que les pays d‘Europe ne s‘abandonnent pas à la facilité,
qu‘ils ne cèdent pas à la crainte, qu‘ils croient en eux-mêmes, et qu‘ils créent sans délai le premier instrument de
la réalisation d‘une Europe, au sein de la communauté nouvelle des peuples libres et pacifiques à laquelle elle
apportera l‘équilibre et la continuation de sa pensée créatrice.
Dans le moment présent, l‘Europe ne peut naître que de la France. Seule la France peut parler et agir.
Mais si la France ne parle pas et n‘agit pas maintenant, que se passera-t-il?
Un rassemblement s‘opérera autour des États-Unis, mais pour mener avec plus de force la guerre froide. La
raison évidente en est que les pays d‘Europe ont peur et cherchent de l‘aide.
L‘Angleterre se rapprochera de plus en plus des États-Unis; l‘Allemagne se développera rapidement, nous ne
pourront pas éviter son armement. La France sera reprise par son malthusianisme d‘autan, et cette évolution
aboutira inévitablement à son effacement.
Depuis la Libération, les Français, loin d‘être abattus pas les épreuves, ont fait preuve de vitalité et de foi dans
l‘avenir ….
Or, au cours de ces années, les Français ont oublié l‘Allemagne et sa concurrence. Ils croyaient à la Paix. Ils
retrouvent soudain l‘Allemagne et la guerre. L‘augmentation de la production de l‘Allemagne, l‘organisation de
la guerre froide, ressusciteraient chez eux les sentiments de crainte du passé et fait renaître les réflexes
malthusiens. Ils retombent dans leur psychologie craintive, au moment même où l‘audace leur permettrait
d‘éliminer ses deux dangers et ferait faire à, l‘esprit français les progrès pour lesquels il est prêt.
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Si elle prend l‘initiative qui éliminera la crainte, fera renaître l‘espoir dans l‘avenir, rendra possible la création
d‘une force de paix, elle aura libéré l‘Europe. Et dans une Europe libérée, l‘esprit des hommes nés sur le sol de
France, vivant dans la liberté, dans des conditions matérielles et sociales constamment en progrès, continuera à
apporter sa contribution essentielle.
Document annexe 7
Le journal de David Bruce, (03.06.50)
Cable to Washington, June 3, 1950
Now that the French and five other continental nations have decided after fruitless negotiations with the British
to go ahead and implement the Schuman plan I hope that our Governemnt will sympathetically and vigorously
encourage this initiative. It is regrettable that the United Kingdom did not see its way clear to endorse the
scheme at this time by accepting the chief principle involved, namely the creation of a supranational authority to
direct a coal and steel pooling arrangement.
This surrender of a portion of national sovereignty having proved unacceptable to the British Government, there
is naturally a great concern amongst the participating countries to be reassured that we are still favorable to the
proposed integration. Indeed, it would be highly inconsistent if we did not reaffirm our position in the matter. On
many occasions we have exhorted the Western European nations to unity of action in the economic and military
and even in the political field. Since because of the British refusal to join in such an endeavor we cannot
presently hope to see a complete structure erected we should not be chary of admiration for architectural plans
which are more modest in scale.
One of the great objectives of our foreign policy has been to bring non-Communized Germany into the closest
possible communion with its Western neighbors. The obstacles to such an achievement for a long period seemed
almost insuperable. Various combinations and even expedients were discussed and found impracticable of
realization. Then the French proposal, audacious in nature, comprehensive in conception, opened up a new
possibility of European integration and at least offered a prospect of moderating the century old antagonism
between French and Germany. It, moreover, had profound psychological implications. France, the natural leader
of Continental civilization had emerged from her lethargy and spirit of defeatism and had once again erected a
standard to which her neighbors could rally.
One cannot predict how the policy of the British Government may now unfold in this particular. Various reasons
have been adduced for its decision. It is said that its Commonwealth obligation make it impossible to adhere as a
full partner just as it had been unwilling to join unreservedly in the operations of the OEEC for the same reason.
It has also been stated that it planned economy could not readily be adjusted to such a novel change in its social,
industrial and commercial relationships. Moreover, it would of course be indisposed to turn over an iota of its
sovereignty to the guardianship of a committee of individuals whose authority is undefined and whose intentions
are unknown even though others were willing to make this venturesome leap into the dark.
There are other explanations of the U.K. attitude all of which probably had some bearing on its action. Perhaps
the most important point if one speculates upon motivation, is the traditional foreign policy of the U.K., still
tenaciously if somewhat covertly cherished despite debilitating wars and diminution of empire, that assesses
European politics in terms of balance of power. There is, however, nothing constructive to be gained by being
over-critial of Great Britain in this connection, although I think it might be observed with justice that the manner
in which it has lately attempted to sabotage the Schuman proposal displayed a vacuum of comprehension and an
ineptness of diplomatic intercourse which is quite unusual. Whitehall has not often, after its secret pr
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