Traitement de l`hypertension artérielle et résistance au

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Traitement de l’hypertension artérielle
et résistance au traitement1
Paul Ernea, Peter Gremingerb
a
Kardiologie, Luzerner Kantonsspital, Luzern, b Allgemeine Innere Medizin, Kantonsspital, St. Gallen
Quintessence
P L’hypertension réfractaire au traitement, définie comme l’impossibilité
d’atteindre la valeur cible malgré une triple association incluant un diurétique, est un problème fréquent en pratique.
P Les étapes diagnostiques en face d’une hypertension réfractaire
comprennent la mesure correcte de la tension artérielle, la recherche de
formes d’hypertension secondaire et le traitement des comorbidités
susceptibles d’avoir une influence négative sur le contrôle de la tension
artérielle.
P L’attention doit surtout être portée sur un traitement médicamenteux
optimisé en matière de dose et de possibilités d’associations.
Introduction
Dans la pratique quotidienne, nous sommes régulièrement confrontés à des patients qui ont des valeurs tensionnelles encore trop élevées malgré leur traitement
médicamenteux. Si une valeur cible prédéfinie n’est pas
atteinte à plusieurs reprises malgré une triple association
devant impérativement comporter un diurétique, nous
parlons de résistance thérapeutique (tab. 1 p). Il y a
plusieurs raisons à une telle résistance [1, 2]. Nous allons
les discuter ci-dessous à l’aide des situations présentées
au tableau 2 p et proposer les éventuelles options de
solution pour la pratique journalière. Il faut ici porter
une attention particulière à un traitement médicamenteux combiné adéquat, car il est un facteur capital d’une
baisse tensionnelle insuffisante s’il est déficient.
Mesure de la tension artérielle
Paul Erne
Les auteurs
certifient
qu’aucun conflit
d’intérêt n’est lié
à cet article.
Avant le diagnostic de «résistance thérapeutique», il faut
confirmer des valeurs tensionnelles trop élevées au
cabinet par une mesure de la tension artérielle ambulatoire sur 24 heures ou par le patient. Selon la méthode,
jusqu’à 30% de ces patients «réfractaires au traitement»
ont des valeurs tensionnelles normales avec d’autres
méthodes [3], auquel cas nous parlons d’une hypertension de la blouse blanche.
Des valeurs faussement élevées de tension artérielle
suite à une rigidité artériosclérotique des artères sont
appelées pseudohypertension. Ce phénomène (globalement rare) peut se présenter chez des patients très âgés
et doit être pris en considération si, malgré des valeurs
tensionnelles très élevées, il n’y a aucune lésion d’orVous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article
à la page 887 ou sur Internet sous www.smf-cme.ch.
ganes cibles et/ou si le patient sous médicaments antihypertenseurs développe des symptômes d’hypotension
(d’hypoperfusion cérébrale surtout).
Formes d’hypertension secondaire
Les patients réfractaires à leur traitement ont nettement
plus souvent des formes d’hypertension secondaire. La
plupart sont facilement reconnaissables au cabinet médical par l’anamnèse (par ex. symptômes se manifestant
typiquement en crises dans le phéochromocytome),
l’examen clinique (par ex. pouls pédieux faibles ou absents dans la sténose isthmique de l’aorte) ou de simples
examens de laboratoire (par ex. créatininémie augmentée et/ou examen urinaire pathologique dans les
pathologies du parenchyme rénal). D’autres formes d’hypertension secondaire demandent un diagnostic un peu
plus compliqué, pouvant souvent se faire au Les bêtabloquants suppriment
cabinet d’ailleurs (par l’activité de la rénine,
ex. test de suppression les inhibiteurs de l’ECA,
à la dexaméthasone en les antagonistes de l’AII et
cas de suspicion de syn- les diurétiques la stimulent
drome de Cushing ou
échographie dans les formes d’hypertension rénales ou
cardiaques). La sténose de l’artère rénale [1, 4] et l’hyperaldostéronisme primitif [1, 5] passent le plus souvent
inaperçus aux examens initiaux.
En cas de suspicion d’hypertension rénovasculaire, les
examens sont fonction de l’équipement et de l’expérience
(échographie duplex, angiographie par CT hélicoïdal,
par IRM, néphrographie isotopique ou angiographie
rénale). Même les examens après confirmation d’une
sténose d’une artère rénale doivent être individuellement planifiés et dépendent de l’âge du patient, de la
durée de son hypertension, de sa fonction rénale et de
la morphologie de la sténose.
En présence d’une éventuelle hypertension due aux
minéralocorticoïdes comme étiologie de la résistance
au traitement, l’interprétation du diagnostic biochimique
(dosage de la rénine et de l’aldostérone plasmatiques)
est souvent compliquée par les traitements combinés.
Ce sont les antagonistes du calcium qui ont le moins
d’influence sur ces deux paramètres. Les bêtabloquants
suppriment l’activité de la rénine, les inhibiteurs de
1 Cet article a été rédigé dans le cadre de la Blutdruck-Offensive de
la Fondation Suisse de Cardiologie en collaboration avec la Société
suisse d’hypertension artérielle.
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Tableau 1. Critères d’une résistance au traitement.
Valeur cible prédéfinie non atteinte (en général <140/90 mm Hg;
évt plus basse chez patients à risque)
Confirmation de valeurs trop élevées à au moins deux moments
différents
Mesures techniquement correctes
Traitement par triple association y compris un diurétique
Tableau 2. Formes de résistance au traitement.
La résistance au traitement peut être en relation avec:
– la mesure de la tension artérielle:
hypertension de la blouse blanche
pseudohypertension
– l’étiologie de l’hypertension:
forme d’hypertension secondaire non diagnostiquée au départ
prise de substances hypertensives
– la présence de comorbidités
telles que:
syndrome des apnées obstructives du sommeil
volume extracellulaire augmenté
obésité
– le traitement médicamenteux:
Cette dernière a une grande importance en pratique car
le contrôle de la tension artérielle peut souvent être
amélioré par modification de l’emploi des diurétiques
(voir «traitement médicamenteux»).
Il est actuellement incontesté que le SAOS, surtout sa
forme grave, s’accompagne d’une hypertension souvent
difficile à contrôler [9]. Une anamnèse fouillée (de préférence en utilisant la «Epworth Sleepiness Scale») permet de suspecter ce diagnostic qui devra ensuite être
confirmé par polysomnographie. Il faut cependant bien
préciser que, dans les grandes études d’intervention, la
baisse tensionnelle des hypertendus ayant un SAOS
confirmé et traité par CPAP n’est que de quelques mm
Hg. Mais il faut prêter une plus grande attention à l’association hypertension et SAOS.
Enfin, rappelons ici qu’une consommation d’alcool
supérieure à la moyenne et régulière, une mauvaise
compliance au traitement et une prescription insuffisante de médicaments sont des causes possibles d’une
résistance au traitement.
Traitement médicamenteux (tab. 4 p)
non-compliance
La première étape d’une adaptation médicamenteuse
est une anamnèse de tous les antihypertenseurs déjà
pris
auparavant, pour leurs effets autant individuels
schéma thérapeutique insuffisant
qu’indésirables, ce qui comprend l’inventaire de tous
les traitements actuels, y compris homéopathie et phytothérapie, de manière à documenter ou exclure toute
interaction. Il est parfois nécessaire de contrôler la
l’ECA, les antagonistes de l’AII et les diurétiques la
compliance, en comptant les médicaments ou en en dostimulent. Il faut absolument tenir compte de cette
sant la concentration, même si une autre substance doit
influence dans l’interprétation des paramètres biochiêtre ajoutée quelque temps.
miques. En règle générale, dans une telle situation, il
Il est important que le traitement médicamenteux soit
est recommandé de faire appel à un centre spécialisé
contrôlé par automesure et mesure de la
qui pourra effectuer correctement le diatension artérielle sur 24 heures. Ces megnostic biochimique et par imagerie L’obésité, le syndrome
sures doivent contribuer à définir les dif(scanner, IRM, scintigraphies, dosage des apnées obstructives du
séparé de la rénine et de l’aldostérone). sommeil (SAOS) et un volume férentes cinétiques d’effet et donc la
prise des médicaments, à savoir lesquels
Il faut également rechercher les médi- extracellulaire augmenté
caments et toxiques (tab. 3 p) suscep- peuvent avoir une influence doivent être pris le matin et lesquels le
tibles de faire monter la tension arté- négative sur un bon contrôle soir. Il peut parfois s’avérer nécessaire
de donner des doses supérieures les
rielle [6, 7].
de la tension artérielle
jours de travail que les jours de congé.
En plus de ces formes «classiques» d’hyCeci permet en outre d’éviter des surdosages.
pertension secondaire, il y a différents tableaux cliIl est parfois indiqué de diminuer nettement les médiniques ayant eux aussi une influence sur la tension arcaments pour en améliorer la compliance. Il nous semble
térielle. Comme le mécanisme physiopathologique de
important de connaître l’efficacité et la réponse indivil’ascension de la tension artérielle est plus complexe
duelle aux classes de substances de première intention
dans ces pathologies, et surtout comme leur traitement
(inhibiteurs de l’ECA, sartans, inhibiteurs de la rénine,
n’en améliore que rarement le contrôle, elles seront traiantagonistes du calcium, bêtabloquants et diurétiques).
tées sous «comorbidités» ci-après.
Tous les 1 à 2 mois de traitement, il est possible de
changer de classe pour avoir la base d’un futur traitement combiné. L’association des inhibiteurs de l’ECA à
Comorbidités
des sartans et/ou inhibiteurs de la rénine devrait être
tout à fait exceptionnelle. Il semble que la tension sysIl y a toute une série de pathologies concomitantes poutolique exprime mieux comment une hypertension est
vant avoir une influence négative sur un bon contrôle
réfractaire au traitement et quelle peut être la puissance
de la tension artérielle, notamment l’obésité, le synd’un antagoniste du calcium ou d’un diurétique. Mais il
drome des apnées obstructives du sommeil (SAOS) et un
faut bien préciser aussi qu’il faut mesurer la tension
volume extracellulaire augmenté [8], pouvant résulter
artérielle en position assise et debout, pour prévenir
d’une rétention de sodium sous traitement par un vasoune hypotension orthostatique faisant souvent que le
dilatateur ou d’une importante consommation de sel.
intolérance des médicaments
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Tableau 3. Substances hypertensives.
Médicaments
Anti-inflammatoires non stéroïdiens
Sympathicomimétiques
Contraceptifs
Erythropoïétine
Ciclosporine
Tacrolimus
Toxiques
Stéroïdes anabolisants
Alcool
Cocaïne
Autres substances
Réglisse
Ma Huang («herbal ecstasy»)
Tableau 4. Principes du traitement médicamenteux.
Traitement contrôlé
(mesure de la tension artérielle
par le patient/sur 24 heures)
Pour connaître la cinétique individuelle de l’effet
et les lacunes
Anamnèse des médicaments
Pour identifier les substances hypertensives
Pour définir la distribution de la prise des
médicaments
Pour identifier les interactions
Pour préciser la réactivité individuelle
Médicaments
Posologie optimale
Association d’antihypertenseurs de première
intention
Antagonisme de l’aldostérone à titre probatoire
Association à antihypertenseurs de seconde
intention (par ex. alphabloquants, moxonidine,
clonidine, etc.)
patient diminue de son propre chef les médicaments en
raison de leurs effets indésirables.
Comme la proportion de patients ayant un hyperaldostéronisme (surtout une hyperplasie) peut être de 2 à
15% en fonction de la gravité de l’hypertension, il vaut
la peine d’essayer une association à un antagoniste de
l’aldostérone.
Si l’association de médicaments de première intention
ne permet pas d’atteindre la valeur tensionnelle cible,
une nouvelle mesure de la tension artérielle sur 24
heures peut faciliter la décision d’augmenter la dose et/
ou de changer l’heure de la prise ou de mieux répartir
les médicaments. Avec
les diurétiques surtout, Comme la proportion de
il faut s’assurer que leur patients ayant un hyperdose soit suffisante et aldostéronisme (surtout une
que leur efficacité soit hyperplasie) peut être de 2 à
contrôlée par les exa- 15% en fonction de la gravité
mens de laboratoire ad de l’hypertension, il vaut la
peine d’essayer une associahoc.
En cas de réponse insuf- tion à un antagoniste de
fisante, il faut une nou- l’aldostérone
velle fois tenter de réduire la consommation d’alcool et de corriger le poids
corporel. Ensuite seulement viendra s’ajouter un antihypertenseur de seconde intention. Il ne faut pas oublier qu’une baisse tensionnelle peut ne se produire
qu’après 6 à 8 semaines sous la même dose, raison pour
laquelle un changement de médicament ne doit pas se
faire trop vite. Entrent enfin en considération les vasodilatateurs classiques, les alphabloquants ou les substances à effet central telles que la moxonidine ou la clonidine. Pour cette dernière, il faut bien savoir qu’un
sevrage brusque est associé à un effet de rebond, raison
pour laquelle elle doit être diminuée lentement.
En plus de la recherche souvent difficile d’un traitement
combiné, une association de médicaments à un traitement interventionnel est souhaitable. De très petites
études ont déjà testé la stimulation à haute fréquence
du barorécepteur [10] et l’ablation par radiofréquence
à basse énergie des terminaisons nerveuses sympathiques des artères rénales [11]. Ces options thérapeutiques n’ont jusqu’ici été appliquées que dans des
études et doivent encore faire la preuve de leur intérêt
clinique dans de plus grandes études.
Correspondance:
Prof. Paul Erne
Luzerner Kantonsspital
Departement Medizin
Kardiologische Abteilung
CH-6000 Luzern 16
[email protected]
Références recommandées
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sleep apnoea in drug-resistant hypertension. J Hypertens. 2001;19:
2271–7.
Vous trouverez la liste complète et numérotée des références dans la
version en ligne de cet article sous www.medicalforum.ch.
Forum Med Suisse 2009;9(49):891
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Blutdruckbehandlung und Therapieresistenz /
Traitement de l’hypertension artérielle et résistance au traitement
Weiterführende Literatur (Online-Version) / Références complémentaires (online version)
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