Traitement de l`hypertension artérielle et résistance au

Forum Med Suisse 2009;9(49):889 889
curriculum
Tr aitement de l’hypertension arrielle
et sistance au traitement1
Paul Ernea,Peter Gremingerb
aKardiologie, Luzerner Kantonsspital, Luzern, bAllgemeine Innere Medizin, Kantonsspital, St. Gallen
Introduction
Dans la pratique quotidienne, nous sommes régulière-
ment confrontés à des patients qui ont des valeurs ten-
sionnelles encore trop élevées malgré leur traitement
médicamenteux. Si unevaleur cible prédéfinie n’est pas
atteinte àplusieurs reprises malgré une triple association
devant impérativement comporter un diurétique, nous
parlons de résistance thérapeutique (tab. 1 p). Il y a
plusieurs raisons àune telle résistance [1, 2]. Nous allons
les discuterci-dessous àl’aide des situations présentées
au tableau 2 pet proposer les éventuelles options de
solution pour la pratique journalière. Il faut ici porter
une attention particulière à un traitement médicamen-
teux combiné adéquat, car il est un facteur capital d’une
baisse tensionnelle insuffisante s’il est déficient.
Mesure de la tension arrielle
Avant le diagnostic de «résistance thérapeutique», il faut
confirmer des valeurs tensionnelles trop élevées au
cabinet par une mesure de la tension artérielle ambula-
toire sur 24 heures ou par le patient. Selon la méthode,
jusqu’à 30% de ces patients «réfractaires au traitement»
ont des valeurs tensionnelles normales avec d’autres
méthodes [3], auquel cas nous parlons d’une hyperten-
sion de la blouse blanche.
Des valeurs faussement élevées de tension artérielle
suite à une rigidité artériosclérotique des artères sont
appelées pseudohypertension. Ce phénomène (globale-
ment rare) peut se présenter chez des patients très âgés
et doit être pris en considération si, malgré des valeurs
tensionnelles très élevées, il n’y a aucune lésion d’or-
ganes cibles et/ou si le patient sous médicaments anti-
hypertenseurs développe des symptômes d’hypotension
(d’hypoperfusion cérébrale surtout).
Formes d’hypertension secondaire
Les patients réfractaires àleur traitement ont nettement
plus souvent des formes d’hypertension secondaire. La
plupart sont facilement reconnaissables au cabinet mé-
dical par l’anamnèse (par ex. symptômes se manifestant
typiquement en crises dans le phéochromocytome),
l’examen clinique (par ex. pouls pédieux faibles ou ab-
sents dans la sténose isthmique de l’aorte) ou de simples
examens de laboratoire (par ex. créatininémie aug-
mentée et/ou examen urinaire pathologique dans les
pathologies du parenchyme rénal). D’autres formes d’hy-
pertension secondaire demandent un diagnostic un peu
plus compliqué, pou-
vant souvent se faire au
cabinet d’ailleurs (par
ex. test de suppression
à la dexaméthasone en
cas de suspicion de syn-
drome de Cushing ou
échographie dans les formes d’hypertension rénales ou
cardiaques). La sténose de l’artère rénale [1, 4] et l’hy-
peraldostéronisme primitif [1, 5] passentleplus souvent
inaperçus aux examens initiaux.
En cas de suspicion d’hypertension rénovasculaire, les
examens sont fonction de l’équipement et de l’expérience
(échographie duplex, angiographie par CT hélicoïdal,
par IRM, néphrographie isotopique ou angiographie
rénale). Même les examens après confirmation d’une
sténose d’une artère rénale doivent être individuelle-
ment planifiés et dépendent de l’âge du patient, de la
durée de son hypertension, de sa fonction rénale et de
la morphologie de la sténose.
En présence d’une éventuelle hypertension due aux
minéralocorticoïdes comme étiologie de la résistance
au traitement, l’interprétation du diagnostic biochimique
(dosage de la rénine et de l’aldostérone plasmatiques)
est souvent compliquée par les traitements combinés.
Ce sont les antagonistes du calcium qui ont le moins
d’influence surces deux paramètres. Les bêtabloquants
suppriment l’activité de la rénine, les inhibiteurs de
Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article
à la page 887 ou sur Internet sous www.smf-cme.ch.
Paul Erne
Les auteurs
certifient
qu’aucun conflit
d’intérêt n’est lié
à cet article.
Quintessence
PL’ hypertension réfractaire au traitement, définie comme l’impossibilité
d’atteindre la valeur cible malgré une triple association incluant un diuré-
tique, est un problème fréquent en pratique.
PLes étapes diagnostiques en face d’une hypertension réfractaire
comprennent la mesure correcte de la tension artérielle, la recherche de
formes d’hypertension secondaire et le traitement des comorbidités
susceptibles d’avoir une influence négative sur le contrôle de la tension
artérielle.
PL’ attention doit surtout être portée sur un traitement médicamenteux
optimisé en matière de dose et de possibilités d’associations.
1 Cet article a été rédigé dans le cadre de la Blutdruck-Offensive de
la Fondation Suisse de Cardiologie en collaboration avec la Société
suisse d’hypertension artérielle.
Lesbêtabloquants suppriment
l’activité de la rénine,
les inhibiteursdel’ECA,
les antagonistes de l’AII et
les diurétiques la stimulent
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l’ECA, les antagonistes de l’AII et les diurétiques la
stimulent. Il faut absolument tenir compte de cette
influence dans l’interprétation des paramètres biochi-
miques. En règle générale, dans une telle situation, il
est recommandé de faire appel à un centre spécialisé
qui pourra effectuer correctementledia-
gnostic biochimique et par imagerie
(scanner,IRM, scintigraphies, dosage
séparé de la rénine et de l’aldostérone).
Il faut également rechercher les médi-
caments et toxiques (tab. 3 p) suscep-
tibles de faire monter la tension arté-
rielle [6, 7].
En plus de ces formes «classiques» d’hy-
pertension secondaire, il y a différents tableaux cli-
niques ayant eux aussi une influence sur la tension ar-
térielle. Comme le mécanisme physiopathologique de
l’ascension de la tension artérielle est plus complexe
dans ces pathologies, et surtout comme leur traitement
n’en améliore que rarement le contrôle, elles seront trai-
tées sous «comorbidités» ci-après.
Comorbidités
Il y a toute une série de pathologies concomitantes pou-
vant avoir une influence négative sur un bon contrôle
de la tension artérielle, notamment l’obésité, le syn-
drome des apnées obstructives du sommeil (SAOS) et un
volume extracellulaire augmenté [8], pouvant résulter
d’une rétention de sodium sous traitement par un vaso-
dilatateur ou d’une importante consommation de sel.
Cette dernière aune grande importance en pratique car
le contrôle de la tension artérielle peut souvent être
amélioré par modification de l’emploi des diurétiques
(voir «traitement médicamenteux»).
Il est actuellement incontesté que le SAOS, surtout sa
forme grave, s’accompagne d’une hypertension souvent
difficile à contrôler [9]. Une anamnèse fouillée (de pré-
férence en utilisant la «Epworth Sleepiness Scale») per-
met de suspecter ce diagnostic qui devra ensuite être
confirmé par polysomnographie. Il faut cependant bien
préciser que, dans les grandes études d’intervention, la
baisse tensionnelle des hypertendus ayant un SAOS
confirmé et traité par CPAP n’est que de quelques mm
Hg. Mais il faut prêter une plus grande attention à l’as-
sociation hypertension et SAOS.
Enfin, rappelons ici qu’une consommation d’alcool
supérieure à la moyenne et régulière, une mauvaise
compliance au traitement et une prescription insuffi-
sante de médicaments sont des causes possibles d’une
résistance au traitement.
Tr aitement médicamenteux (tab. 4 p)
La première étape d’une adaptation médicamenteuse
est une anamnèse de tous les antihypertenseurs déjà
pris auparavant, pour leurs effets autant individuels
qu’indésirables, ce qui comprend l’inventaire de tous
les traitements actuels, ycompris homéopathie et phyto-
thérapie, de manière à documenter ou exclure toute
interaction. Il est parfois nécessaire de contrôler la
compliance, en comptant les médicaments ou en en do-
sant la concentration, même si une autre substance doit
être ajoutée quelque temps.
Il est important que le traitement médicamenteux soit
contrôlé par automesure et mesure de la
tension artérielle sur 24 heures.Ces me-
sures doivent contribuer à définir les dif-
férentes cinétiques d’effetetdonc la
prise des médicaments, à savoir lesquels
doivent être pris le matin et lesquels le
soir. Il peut parfois s’avérer nécessaire
de donner des doses supérieures les
jours de travail que les jours de congé.
Ceci permet en outre d’éviter des surdosages.
Il est parfois indiqué de diminuer nettement les médi-
caments pour en améliorer la compliance. Il nous semble
important de connaître l’efficacité et la réponse indivi-
duelle aux classes de substances de première intention
(inhibiteurs de l’ECA, sartans, inhibiteurs de la rénine,
antagonistes du calcium, bêtabloquants et diurétiques).
Tous les 1 à 2 mois de traitement, il est possible de
changer de classe pour avoir la base d’un futur traite-
ment combiné. L’ association des inhibiteurs de l’ECA à
des sartans et/ou inhibiteurs de la rénine devrait être
tout à fait exceptionnelle. Il semble que la tension sys-
tolique exprime mieux comment une hypertension est
réfractaireautraitement et quelle peut être la puissance
d’un antagonisteducalcium ou d’un diurétique. Mais il
faut bien préciser aussi qu’il faut mesurer la tension
artérielle en position assise et debout, pour prévenir
une hypotension orthostatique faisant souvent que le
Ta bleau 1. Critères d’une sistance au traitement.
Valeur cible prédéfinie non atteinte (en général <140/90 mm Hg;
évt plus basse chez patients à risque)
Confirmation de valeurs trop élees à au moins deux moments
difrents
Mesures techniquement correctes
Traitement par triple association y compris un diurétique
Ta bleau 2. Formes de sistance au traitement.
La résistance au traitement peut être en relation avec:
– la mesure de la tension artérielle: hypertension de la blouse blanche
pseudohypertension
– l’étiologie de l’hypertension: forme d’hypertension secondaire non diagnosti-
quée au départ
prise de substances hypertensives
– la présence de comorbidités
telles que:
syndrome des apnées obstructives du sommeil
volume extracellulaire augmenté
obésité
– le traitement médicamenteux: non-compliance
intolérance des médicaments
schéma thérapeutique insuffisant
L’ obésité, le syndrome
des apnées obstructives du
sommeil (SAOS) et un volume
extracellulaire augmenté
peuvent avoir une influence
négative sur un bon contrôle
de la tension artérielle
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patient diminue de son propre chef les médicaments en
raison de leurs effets indésirables.
Comme la proportion de patients ayant un hyperaldos-
téronisme (surtout une hyperplasie) peut être de 2 à
15% en fonction de la gravité de l’hypertension, il vaut
la peine d’essayer une association à un antagoniste de
l’aldostérone.
Si l’association de médicaments de première intention
ne permet pas d’atteindre la valeur tensionnelle cible,
une nouvelle mesure de la tension artérielle sur 24
heures peut faciliter la décision d’augmenter la dose et/
ou de changer l’heure de la prise ou de mieux répartir
les médicaments. Avec
les diurétiques surtout,
il faut s’assurer que leur
dose soit suffisanteet
que leur efficacité soit
contrôlée par les exa-
mens de laboratoire ad
hoc.
En cas de réponse insuf-
fisante, il faut une nou-
velle fois tenter de ré-
duire la consommation d’alcool et de corriger le poids
corporel. Ensuite seulement viendra s’ajouter un anti-
hypertenseur de seconde intention. Il ne faut pas ou-
blier qu’une baisse tensionnelle peut ne se produire
qu’après 6à8semaines sous la même dose, raison pour
laquelle un changement de médicament ne doit pas se
faire trop vite. Entrent enfin en considération les vaso-
dilatateurs classiques, les alphabloquants ou les subs-
tances à effet central telles que la moxonidine ou la clo-
nidine. Pour cette dernière, il faut bien savoir qu’un
sevrage brusque est associé àuneffet de rebond, raison
pour laquelle elle doit être diminuée lentement.
En plus de la recherche souvent difficiled’un traitement
combiné, une association de médicaments à un traite-
ment interventionnel est souhaitable. De très petites
études ont déjà testé la stimulation à haute fréquence
du barorécepteur [10] et l’ablation par radiofréquence
à basse énergie des terminaisons nerveuses sympa-
thiques des artères rénales [11]. Ces options thérapeu-
tiques n’ont jusqu’ici été appliquées que dans des
études et doivent encore faire la preuve de leur intérêt
clinique dans de plus grandes études.
Correspondance:
Prof.Paul Erne
Luzerner Kantonsspital
Departement Medizin
Kardiologische Abteilung
CH-6000 Luzern 16
Références recommandées
–Moser M, Setaro JF. Resistant or difficult-to-control hypertension.
N Engl J Med. 2006;355:385–92.
–Carter BL, Lund BC, Hayase N, Chrischilles E. A longitudinal analysis
of antihypertensive drug interactions in a Medicaid population. Am
J Hypertension. 2004;17:421–7.
–Logan AG, Perlikowski SM, Mente A. High prevalence of unrecognized
sleep apnoea in drug-resistant hypertension. J Hypertens. 2001;19:
2271–7.
Vous trouverez la liste complète et numérotée des références dans la
version en ligne de cet article sous www.medicalforum.ch.
Ta bleau 3. Substances hypertensives.
Médicaments Anti-inflammatoires non stéroïdiens
Sympathicomimétiques
Contraceptifs
Erythropoïétine
Ciclosporine
Tacrolimus
Toxiques Stéroïdes anabolisants
Alcool
Cocaïne
Autres substances glisse
Ma Huang («herbal ecstasy»)
Ta bleau 4. Principes du traitement médicamenteux.
Traitement contrôlé
(mesure de la tension artérielle
par le patient/sur 24 heures)
Pour connaître la cinétique individuelle de l’effet
et les lacunes
Pour définir la distribution de la prise des
médicaments
Anamnèse des médicaments Pour identifier les substances hypertensives
Pour identifier les interactions
Pour préciser la réactivité individuelle
Médicaments Posologie optimale
Association d’antihypertenseurs de première
intention
Antagonisme de l’aldostérone à titre probatoire
Association à antihypertenseurs de seconde
intention (par ex. alphabloquants, moxonidine,
clonidine, etc.)
Comme la proportion de
patients ayant un hyper-
aldostéronisme (surtout une
hyperplasie) peut être de
15%enfonction de la gravité
de l’hypertension, il vaut la
peine d’essayer une associa-
tion àunantagoniste de
l’aldostérone
Blutdruckbehandlung und Therapieresistenz /
Traitement de l’hypertension artérielle et résistance au traitement
Weiterführende Literatur (Online-Version) / Références complémentaires (online version)
1 Yakovlevitch M, Black HR. Resistant hypertension in a tertiary care clinic. Arch Intern Med. 1991;151:1786–92.
2 Moser M, Setaro JF. Resistant or difficult-to-control hypertension. N Engl J Med. 2006;355:385–92.
3 Brown MA, Buddle ML, Martin A. Is resistant hypertension really resistant? Am J Hypertens. 2001;14:1263–9.
4 Safian RD, Textor SC. Renal-artery stenosis. N Engl J Med. 2001;344:431–42.
5 Calhoun DA, Nishizaka MK, Zaman MA Thakkar RB, Weissmann P. Hyperaldosteronism among black and white
subjects with resistant hypertension. Hypertension. 2002;40:892–6.
6 Morgan T, Anderson A. The effect of nonsteroidal anti-inflammatory drugs on blood pressure in patients treated with
different antihypertensive drugs. J Clin Hypertens. 2003;5:53–7.
7 Carter BL, Lund BC, Hayase N, Chrischilles E. A longitudinal analysis of antihypertensive drug interactions in a
Medicaid population. Am J Hypertension. 2004;17:421–7.
8 Taler SJ, Textor SC, Augustine JE. Resistant hypertension: comparing hemodynamic management to specialist care.
Hypertension. 2002;39:982–8.
9 Logan AG, Perlikowski SM, Mente A. High prevalence of unrecognized sleep apnoea in drug-resistant hypertension. J
Hypertens. 2001;19:2271–7.
10 Doumas M, Guo D, Papademetriou V. Carotid baroreceptor stimulation as a therapeutic target in hypertension and
other cardiovascular conditions. Expert Opin Ther Targets. 2009;(4):413–25.
11 Krum H, Schlaich M, Whitbourn R, Sobotka PA, Sadowski J, Bartus K, et al. Catheter-based renal sympathetic
denervation for resistant hypertension: a multicentre safety and proof-of-principle cohort study. Lancet.
2009;373:1275–81.
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