Sauve qui peut ! n°08 (1996) Le pois variabilité, objectifs de sélection par Roger Cousin INRA, station de Génétique et d'Amélioration des plantes 78026 Versailles cedex Théophraste, trois siècles avant notre ère, dans son livre intitulé Recherches sur les plantes, a décrit plusieurs espèces de la famille actuelle des Légumineuses et, notamment, le pois. Il était utilisé pour la consommation humaine ou pour la nourriture des animaux. Les centres primaires d'origine du pois se situent vraisemblablement en Abyssinie et Afghanistan et les régions avoisinantes, la région méditerranéenne constituant un centre secondaire. A partir de ces centres, le pois se serait dispersé dans le reste de l'Europe et de l'Asie. De nombreux botanistes ont décrit différentes formes sauvages qui ne diffèrent que par quelques caractères morphologiques. Parfois, ces types ont constitué des espèces différentes, dont la dénomination rappelle fréquemment le lieu d'origine mais, le plus souvent, ils sont considérés comme appartenant à des sous-espèces de l'espèce Pisum sativum : Pisum sativum arvense (Linné), elatius (Bieb Stev), abyssinicum (Braun), jomardi (Schrank), asiaticum, fulvum, humile, transcaucasicum, aethiopicum, umbellatum. Tous ces groupes peuvent être croisés entre eux. Il est donc logique de les considérer comme faisant partie de la même espèce. Par contre, les croisements avec les genres voisins : Lathyrus (Gesse), Vicia et Lens n'ont jamais pu être obtenus. Ces pois sauvages présentent souvent des tiges hautes, mesurant plus de 2 m, grêles, très ramifiées, des fleurs colorées en pourpre violet ou rose, des gousses petites produisant peu de grains à tégument coloré. P. sativum elatius et P. sativum abyssinicum possèdent des folioles et des stipules très dentés, P. sativum elatius des grains roux avec des veinules marron et P. sativum abyssinicum des grains violet foncé. P. sativum fulvum peut présenter deux types de fructification, l'une normale dans la partie supérieure de la plante et l'autre, très particulière sur quelques ramifications basales très courtes, rampantes, qui enfoncent légèrement les gousses dans le sol. La fleur de pois est typique des Papillionacées. La corolle comprend cinq pétales : l'étendard, deux ailes et la carène formée de deux pièces soudées qui entourent les étamines et le style. Ainsi le pois est cléistogame et doit être considéré comme une espèce strictement autogame. Parfois quelques insectes Hyménoptères, xylocopes, abeilles charpentières et mégachiles, visitent les fleurs de pois. Ils sont responsables de quelques hybridations naturelles. Aussi, sans intervention du sélectionneur, le brassage génétique reste faible. Les populations naturelles et les variétés sont constituées de plantes fixées. La variabilité génétique interpopulation est beaucoup plus large que celle intrapopulation. Pour tous les caractères morphologiques et physiologiques il existe néanmoins une large variabilité génétique qui se traduit par une grande diversité des types sauvages et des anciennes variétés. De tout temps, l'homme a sélectionné des variétés adaptées à ses besoins. 1. Différents groupes variétaux 1.1. Pois fourrager Les variétés se rapprochent de Pisum sativum arvense. Les tiges sont très hautes, peuvent atteindre deux mètres et présentent de nombreuses ramifications. Les fleurs sont en général colorées en violet rose, les gousses petites ne renferment que quelques grains. Ces variétés produisent une quantité élevée de matière verte à l'hectare mais très peu de graines. Elles sont cultivées seules ou en association avec une céréale pour une production importante de fourrage vert destiné à l'alimentation animale après ensilage. 1.2. Pois maraîcher Les variétés anciennes de pois maraîcher sont également très hautes et tardives mais présentent des feuilles beaucoup plus larges que les pois fourragers. Elles sont cultivées à faible peuplement le long de rames. Ainsi, au cours de leur croissance, elles reçoivent un fort ensoleillement sur toute la hauteur de la plante. Les gousses sont relativement longues et les grains assez gros. Les variétés ont été sélectionnées pour une cueillette manuelle. Les graines sont en général ridées et donnent des grains frais plus sucrés (Rois des Halles, Téléphone à rames, Sénateur, etc.). Puis des variétés plus courtes et plus précoces ont été sélectionnées pour les maraîchers : Lincoln, Merveille de Kelvedon, à graines ridées, Plein le panier, Gloire de Quimper, Douce Provence, etc. à graines lisses, plus rustiques, plus résistantes au froid, mais donnant des pois moins sucrés et plus farineux). La culture du pois potager est attestée aux époques préhistoriques en Europe. Des pois datant de l'Age de pierre ont été découverts dans les souterrains d'Aggetelek en Hongrie ou dans les restes des cités lacustres en Suisse. En France, les pois exhumés par M. Perrin des palafittes du lac du Bourget sont de l'Age du bronze, 1 000 à 2 000 ans avant notre ère et pourraient avoir été cultivés par les peuples aryens. Au Moyen Age, le pois était plus fréquemment consommé à l'état sec. Les pois, fèves et lentilles constituaient les principales ressources contre les fréquentes famines. Manger des petits pois primeurs frais était au contraire une mode très prisée à la cour de Louis XIV. De nombreuses cultures de pois maraîchers se sont développées aux environs de Paris, pour l'approvisionnement des marchés : Meudon, Triel, Marcoussis, Nanterre et des dénominations variétales, comme Marly ou Clamart, rappellent sans doute leurs lieux d'origine. 1.3. Pois mangetout Ce type est voisin des pois maraîchers, mais présente des gousses sans parchemin, caractère déterminé par deux gènes récessifs. On distingue un type haut à très larges gousses (Géant à fleur violette, Carouby, Corne de Bélier) et des cultivars plus courts (Bambino, Friand). Les gousses sont cueillies lorsqu'elles ont atteint une dimension maximale et que le grain commence à grossir. Il serait souhaitable d'associer aux gènes " sans parchemin "les gènes " sans fil " pour améliorer la qualité de ce légume déjà succulent. 1.4. Pois mangetout charnu Quelques sélectionneurs aux Etats-Unis ont récemment introduit, dans les pois mangetout, une mutation qui épaissit la paroi de la gousse jusqu'à 2 ou 3 mm. La gousse devient presque aussi charnue que celle du haricot mangetout. C'est un nouveau légume très savoureux (Sugar snap), ou peut-être le retour d'un légume disparu. Car dans Les plantes potagères, Henry et Philippe de Vilmorin décrivent le Pois crochu Roi des gourmands qui présente des fleurs blanches et des gousses de 10 à 12 cm sans parchemin à parois épaisses de 3 à 5 mm. Figure 1. Morphologie générale du pois a : normal b : semis leafless ou "afila" le gène "af" transforme les foliotes en vrilles c : pois sans feuille, combinaison des gènes 'af' et "si". Le gène "st"réduit les stipules en petites bractées d : accacia. le gène "'tl"transforme les vrilles en folioles e : combinaison des gènes "al" et "tl"f : oreille de lièvre, le gène rogue réduit la largeur des feuilles et leur donne un port pressé. Figure 2. Types morphologiques Polaires du pois 1.5. Pois de conserve Ces variétés cultivées en plein champ, à forte densité, sans tuteur, récoltées mécaniquement, doivent produire des petits pois frais de bonne qualité. Les variétés à graines lisses sont en général appertisées, tandis que les variétés à graines ridées sont traitées en surgélation et donnent un produit plus sucré et moins farineux. Mais, de plus en plus, des variétés à graines ridées petites sont transformées par appertisation. 1.6. Pois de casserie Ces variétés, destinées à produire les pois cassés, sont cultivées en plein champ à forte densité et sans tuteur. Après un battage énergique, les cotylédons des grains lisses se séparent et donnent le pois cassé, consommé par l'Homme en légume sec (Rondo, Victoria, Marrow, Amino). 1.7. Pois protéagineux Ce sont des variétés dérivées des pois de casserie, sélectionnées pour une production élevée de pois secs relativement riches en protéines, pour l'alimentation animale. 2. Variabilité génétique La morphologie générale du Pois est décrite dans la figure 1. La croissance de la tige est plus ou moins indéterminée. L'apex différencie des yeux alternés. Les premiers formés sont végétatifs puis, à partir d'un niveau qui détermine la précocité, les yeux deviennent reproducteurs. Ils donnent naissance à un pédoncule qui porte des fleurs puis des gousses. Un grand nombre de gènes déterminent le niveau du premier noeud florifère. La feuille est composée de stipules et plusieurs foliotes. Plusieurs mutations modifient profondément l'allure du feuillage (fig. 2). Le gène " af " transforme les foliotes en vrilles (pois afila ; il entraîne une réduction de 40% de la surface foliaire ce qui assure une meilleure pénétration de la lumière au travers du feuillage. Par ailleurs, l'augmentation du nombre de vrilles améliore la résistance à la verse ce qui facilite la récolte mécanique. Le gène " st " réduit les stipules en petites bractées. La combinaison des deux gènes " af " " st " donne des pois sansfeuille ou leafless. Le gène " il " tendrilless transforme les vrilles en folioles supplémentaires. Le gène " rogue " réduit la largeur des folioles et des stipules, les dresse comme des oreilles de lièvre. La gousse présente une très grande diversité suivant les groupes de pois (fig. 3). Elle est parfois sans parchemin, ce qui caractérise le pois mangetout. Pour les autres types de pois, la gousse possède un parchemin et n'est donc pas comestible. Elle est longue, large, renfermant des gros grains chez le pois maraîcher. La gousse est moyenne ou courte et étroite avec des petits grains pour les pois de conserverie. Elle est courte et large avec quelques gros grains pour les pois protéagineux. Le grain présente également une grande variabilité génétique pour sa couleur, sa forme, sa grosseur et sa composition en substances de réserve. La forme et la couleur des grains, premiers caractères étudiés par G. Mendel, lui permirent d'établir les premières lois de la génétique. La grosseur du grain Figure 3. Types de gousses peut varier dans le rapport de 1 à 10. Enfin la composition en substances de réserve est très différente d'un groupe à l'autre. Deux gènes R-r, Rb-rb déterminent quatre génotypes : RR,RbRb (lisse), rr,RbRb (ridé) RR,rbrb (super ridé) rr,rbrb (sweet). Chaque groupe présente une teneur différente en amidon et une composition en amylose et amylopectine particulière. Les variétés à graines ridées sont plus pauvres en amidon que les lisses, mais la teneur en amylose est plus élevée : 60%. Les variétés " super ridé " sont encore plus pauvres en amidon, leur amidon est le moins riche en amylose : 15%. Le pois peut donc offrir aux diverses industries des produits riches en amidon présentant des qualités différentes. Ainsi, l'industrie automobile en Allemagne envisage d'utiliser des pois riches en amylose pour la fabrication de matières plastiques biodégradables. Il existe également une grande variation pour les teneurs en protéines : 21 à 33%. a - pois sauvage b -pois maraicher c - pois de conserve d - pois mangetout e - pois mangetout charnu f - pois de caisserie et pois protéagineux Figure 3. Types de gousses Les différents groupes de pois sauvages constituent une réserve de variabilité génétique importante pour les caractères physiologiques. Les principales sources de résistance au froid ont été trouvées dans des pois fourragers d'hiver ou des pois sauvages récoltés en Champagne, en Haute-Loire ou en Autriche. La résistance à l'Oïdium est issue d'une population de pois originaire du Mexique. La résistance à la race 6 du Pseudomonas (agent de la Graisse) a été décelée dans des P. sativum abyssinicum. De même, une tolérance à Mycosphaerella, un des agents de l'Anthracnose, a été trouvée dans des P. sativum elatius. La variabilité génétique des pois est étudiée depuis longtemps. Une carte de liaison génétique a été établie. Elle comprend 7 chromosomes. Actuellement plusieurs laboratoires constituent des cartes de marqueurs moléculaires. En particulier, à l'INRA de Versailles, 60 marqueurs moléculaires ont été trouvés et sont répartis en douze groupes de liaisons. Plusieurs de ces marqueurs s'avèrent liés à des gènes de résistance aux principales maladies (fig. 4). Figure 4. Gènes de résistance aux principales maladies de Pisum sativum Les 4 segments verticaux représentent des fragments de chromosomes. Sbm1, Sbm2, Sbm3, Sbm4 : gènes de résistance au virus du Pea Seed Borne Mosaïc Fw : gène de résistance au Fusarium race 1 er : gène de résistance à l'oïdium mo : gène de résistance au virus de la Mosaïque commune QTL : concernant la résistance à Ascochyta pisi. Les distances en cM (centimorgans) sont indiquées à gauche. Références bibliographiques Cousin, R., 1992. Le Pois. Amélioration des espèces végétales cultivées. INRA Editions, Paris, 173-189. Cousin, R., 19741. Le pois. Etude génétique des caractères, classification, caractéristiques variétales portant sur les variétés inscrites au Catalogue officiel français. Annales de l'Amélioration des Plantes. Numéro hors série 1974 ? 2 fascicules, l l I pp., 140 Pl. Fourmont, R., 1956. Les variétés de pois cultivées en France. INRA, Paris, 251 pp., 70 pl. Gibault G., 1912. Légumineuses, Pois. Histoire des Légumes. 314-322. Vilmorin-Andrieux 1925. Pois. Les Plantes Potagères. 4e édition 1925. 533-576