Le dialogue social européen doit s`appuyer sur la richesse du

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Allocution de Georges Dassis,
président du Comité économique et social européen,
à la conférence
«Mutations énergétiques et numériques:
impact sur l'emploi
et rôle des acteurs économiques et sociaux en Europe»
«Confrontations Europe»
Bruxelles, le 25 novembre 2015
Merci beaucoup. C'est un peu le monde à l'envers: les Français qui parlent anglais, les Grecs qui
parlent français. Mais c'est l'Europe.
Merci beaucoup de m'avoir invité à prendre la parole dans le cadre de cette conférence.
Je dois vous dire que j'étais un peu inquiet, car, bien sûr, le Comité économique et social européen
étant la maison de la société civile organisée en Europe, il doit être ouvert aux associations et
organisations représentatives de la société civile organisée et soutenir toutes leurs activités, mais
lorsqu'on m'a parlé de trois cents personnes, je n'étais pas rassuré: cette salle ne peut pas accueillir
autant de monde. En raison des événements de ces derniers jours, il y a moins de participants que
prévu, mais je pense que la salle se remplira au cours de la journée.
Je ne suis pas venu seul. Non pas que vous m'effrayiez, mais je suis accompagné de mon excellent
collègue et ami Pierre Jean Coulon – nous devrons toutefois vous quitter avant dix heures. Nous
devons en effet prendre part à une importante réunion du groupe de liaison. J'ai invité Pierre Jean car
il est le président de la section TEN du Comité, qui s'occupe notamment des questions de transport et
d'énergie.
Je suis très heureux d'accueillir cette conférence au Comité, non seulement parce que cela me donne
l'occasion de revoir des amis très chers, mais également parce que les enjeux de la transition
énergétique et des mutations numériques, ainsi que le rôle des partenaires sociaux, sont des
thèmes que nous avons abondamment abordés ici au Comité. Nos travaux seront d'ailleurs présentés
plus tard dans la journée par mes collègues Wolfgang Greif, Antonello Pezzini et Antonio Longo.
Notre engagement se poursuit, bien entendu, car soutenir ces transitions représente une grande
priorité à nos yeux. Mes collèges présents aujourd'hui défendront les positions du Comité et son
engagement sur ces points.
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Les transitions énergétiques et numériques sont inéluctables et elles offrent des perspectives
extrêmement prometteuses pour l'innovation et pour la croissance de l'emploi. Elles soulèvent
également quelques défis, d'où la nécessité d'une réflexion accrue au niveau national et européen sur
le rôle des partenaires sociaux et sur la nécessité d'un cadre réglementaire. Cette conférence, il me
semble, constitue une étape dans ce sens.
Investir dans la transition énergétique permettrait de réduire notre dépendance par rapport au pétrole
et au gaz et d'atteindre nos objectifs de réduction de la production de gaz à effets de serre. Cette
transition est aussi une source d'innovation et de développement économique qui permettrait de créer
des emplois durables et non délocalisables. L'intensité de main-d'œuvre dans le secteur des énergies
renouvelables étant supérieure à celle du secteur du nucléaire ou des énergies fossiles, les emplois
créés seraient bien plus nombreux et mieux répartis que ceux qui seraient perdus. À cela s'ajoute
«l'effet induit sur l'emploi»: si l'on importe moins d'énergie, l'argent économisé pourra être réinjecté
dans l'économie, via le pouvoir d'achat, ce qui générera de l'activité et de l'emploi dans l'ensemble
des secteurs de l'économie.
Pour tirer le meilleur parti de cette évolution – ou, selon l'économiste Rifkin, de cette «révolution»
combinant la transition énergétique et un bouleversement du système de l'information –, il faut gérer
efficacement les défis induits. Il est impératif d'assurer la requalification et l'accompagnement des
travailleurs dans ces nouveaux emplois. Cela exige des investissements considérables dans la
technologie, l'éducation, l'organisation, la formation de nouveaux profils professionnels, des modes de
financement nouveaux et des politiques adéquates.
Il est important de souligner que si l'on demande aujourd'hui aux citoyens européens s'ils sont
favorables à l'exploitation de sources renouvelables pour la production de l'énergie, leur réponse sera
oui, à l'unanimité. Mais le financement de cette transition ne doit pas être supporté par les classes
défavorisées: on ne peut pas imposer cette transition à des milliers de familles qui vivent aujourd'hui
de l'extraction et de l'utilisation du charbon sans préparer, suffisamment tôt, une alternative. On ne
peut pas non plus exiger que la facture des nouvelles sources d'énergie soit répartie de manière
horizontale entre tous les consommateurs: les consommateurs les plus démunis, ceux qui gagnent à
peine de quoi subvenir à leurs besoins, ne peuvent pas être mis à contribution de la même manière que
les consommateurs plus aisés.
Si je parle de cela, c'est parce que de nombreuses associations citoyennes et les syndicats de
travailleurs qui vivent de la production d'énergies non renouvelables me font part, en tant que
président du Comité, de leurs inquiétudes.
Le dialogue social doit également être renforcé dans les nouveaux secteurs, dans les nouveaux
États membres, dans les nouvelles formes d'emploi, là où les acteurs sont peu structurés. Par
exemple, en Allemagne, les nouvelles entreprises actives dans le secteur des énergies renouvelables
ne sont pas couvertes par les accords conclus par les partenaires sociaux, ce qui rend les travailleurs
plus vulnérables. Il n'y a pas de débat sur la qualité des emplois dans ce secteur.
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Nous avons également besoin d'une meilleure définition européenne des compétences et emplois
«verts», notamment en vue d'améliorer les relevés statistiques et les analyses, avec la participation
active des partenaires sociaux et de la société civile.
La numérisation, quant à elle, transforme aussi tous les segments de la société et de l'économie: plus
de 50 % de la main-d'œuvre de l'Union européenne utilise quotidiennement les technologies de
l'information et de la communication dans le cadre de son travail, et dans le monde de la finance, par
exemple, ce chiffre dépasse même les 90 %.
Si la numérisation confère aux travailleurs une autonomie accrue et la possibilité de mieux équilibrer
vie professionnelle et vie privée, elle peut aussi mettre à mal les systèmes de protection sociale et la
qualité de l'emploi en Europe, en sapant les pratiques existantes de négociation collective, en
réduisant les revenus des systèmes de sécurité sociale et des systèmes fiscaux et en vidant de leur
contenu les droits des travailleurs et les mécanismes de participation des travailleurs.
Si l'on veut éviter de tels effets négatifs, il est essentiel d'élaborer une politique stratégique qui
définisse:

d'une part, une révision de l'éducation et de la formation professionnelle, y compris
l'apprentissage tout au long de la vie, de manière à aider les travailleurs à s'adapter aux nouvelles
formes de travail issues de la technologie numérique. Pour ce faire, il faut promouvoir les
investissements publics et privés;

et d'autre part, la gestion des transformations majeures de l'organisation du travail, telles que le
développement du télétravail, de mesures permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie
privée. Mais ces évolutions remettent aussi en cause la perception traditionnelle que l'on a de
l'emploi, du temps et du lieu de travail, ainsi que des entreprises, et elles entraînent un travail
atypique et des risques spécifiques en matière de santé et de sécurité (le burn-out). Il convient
donc de déterminer dans quelle mesure la vie privée des travailleurs salariés nécessite une
protection supplémentaire.
L'emploi dans le cadre de l'économie du partage est une problématique particulièrement délicate.
Dans de nombreux cas, la relation d'emploi et le statut juridique des parties concernées ne sont
pas clairs: le travailleur est-il salarié ou indépendant?
La technologie numérique est de plus en plus en mesure de remplacer le travail et on estime – c'est le
groupe de réflexion Bruegel qui a réalisé cette estimation – que les États membres de l'Union
européenne risquent de perdre entre 40 et 60 % de leurs emplois au cours des vingt prochaines
années à cause de l'automatisation induite par la numérisation.
J'insiste sur la nécessité de placer la question de la répartition du volume du travail disponible au
centre du débat. Il paraît illogique de constater, que tandis que la productivité n'arrête pas d'augmenter
depuis plusieurs années, de même que la richesse globale, le nombre de pauvres et même de
travailleurs pauvres s'est accru. Ce sont des situations paradoxales que nous devons affronter,
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dans le cadre d'une réflexion approfondie associant toutes les parties. Je dis bien toutes les parties: les
représentants des entreprises, les organisations syndicales et toutes les associations de la société civile
concernées par ces questions.
Les avancées de l'Union européenne sont encore trop timides et il faudrait adopter une meilleure
stratégie pour traiter des conséquences des transitions énergétique et numérique. La Commission a
bien lancé en 2013 une grande coalition en faveur de l'emploi dans le secteur du numérique, qui
aborde les questions principales (formation et adaptation des cursus aux emplois dans le secteur
numérique, mobilité, certification, sensibilisation, apprentissage et enseignement innovants) mais il
n'y a pas de dotation budgétaire adéquate.
Étant donné que ces évolutions remettent également en question les pratiques établies en matière de
dialogue social et de négociations collectives, un dialogue constructif entre les partenaires sociaux
est nécessaire pour étudier les ajustements envisageables. L'Union européenne peut et doit jouer un
rôle dans la promotion d'un tel dialogue. Par leur expérience concrète de l'économie et du marché du
travail, les acteurs économiques et sociaux sont les mieux à même d'identifier les solutions les plus
adaptées et les plus équilibrées pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés.
Le dialogue social européen doit s'appuyer sur la richesse du dialogue social national aux différents
niveaux: interprofessionnel, sectoriel, territorial et d'entreprise. Or à ces niveaux, on assiste
actuellement, dans un nombre significatif de pays, à un affaiblissement de la couverture par des
conventions collectives, ce qui précarise la situation des travailleurs et contribue au développement
d'inégalités. Le dialogue social doit être renforcé dans son autonomie et dans l'importance de ses
contributions et les liens qui existent entre dialogue social et dialogue civil doivent être améliorés,
afin d'assurer les synergies et la complémentarité des actions.
Voilà, chers amis, quelques pistes pour lancer cette conférence. Ici, au Comité économique et social
européen, nous ne prétendons pas détenir la vérité: notre ambition est de soutenir et développer la
réflexion et la discussion entre les organisations patronales, les syndicats et les associations de la
société civile organisée. Je suis très heureux de constater que de nombreux membres du Comité sont
présents aujourd'hui afin de prendre part à cette réflexion.
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