Structuration, développement local, démarches intégrées…

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Introduction : Structuration, développement local, démarches intégrées… :
mode ou opportunité pour l’espace rural ?
L’heure des démarches globales, de la structuration, du développement par le bas…
Il existe actuellement, et environ depuis les années 1980, un engouement autour des
phénomènes d’organisation, en particulier d’organisation « souple », et locale, associée à une
stigmatisation de la « crise du fordisme et de la consommation de masse », ou de celle de
l’« Etat jacobin », au profit de l’initiative locale. Ce phénomène caractérise d’ailleurs
plusieurs politiques récentes, surtout celles qui visent le monde rural :
- Les initiatives communautaires LEADER (acronyme pour Liaisons entre actions de
développement de l’économie rurale) misent depuis 1991 sur l’organisation à la fois
économique, politique et sociale de territoires ruraux pour mettre en œuvre un projet de
développement basé sur les ressources locales. Le programme actuel, Leader +, insiste
encore plus fortement que les précédents sur le caractère innovant des projets et
l’association de porteurs de projets publics et privés.
- La politique de pays, initiée (après quelques timides et sporadiques précédents plus
anciens) par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de
1995, a été reprise comme un axe central de la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire de 1999 (LOADDT).
- Les contrats territoriaux d’exploitation, issus de la loi d’orientation agricole de 1999, sont
censés promouvoir des démarches de développement agricole inscrites dans un cadre
territorial (même si cet objectif est encore peu développé en pratique, au profit de projets
de filière plus classiques).
De fait, la thématique du développement intégré basé sur une organisation efficace des
« forces vives » locales, est bien adaptée au rural, où l’on ressent qu’une « bonne
gouvernance » (sous-entendu : avec du partenariat, de la concertation, une cohésion et un
attachement au territoire, l’imbrication socio-culturo-éco…) est une condition nécessaire au
développement. L’organisation du territoire est souvent un argument invoqué pour expliquer
le maintien d’un niveau d’activité appréciable dans des zones a priori désavantagées.
Inversement, on le présente également comme une solution miracle au déclin, un moyen de
révéler des opportunités spécifiques au territoire.
L’origine de cette mode protéiforme est complexe, et son analyse sort du cadre de ce travail.
Il est toutefois utile de rappeler les quelques éléments suivants, susceptibles d’éclairer le
contexte de ce mémoire :
- Il y a tout d’abord sans aucun doute la résurgence régulière d’aspirations nostalgiques à un
retour à un mode de vie communautaire, dans un contexte de complexification des
techniques et de « dépersonnalisation » croissante des relations humaines. Cet aspect, très
connoté « contre-culture », n’a quasiment rien à voir avec l’économie. Il convient de noter
au passage que les défenseurs de ces aspirations méconnaissent en général largement les
conditions de vie réelles dans les communautés auxquelles ils se réfèrent.
- L’échec de certaines politiques centralisées visant à équilibrer l’activité sur le territoire a
conduit le législateur à laisser davantage d’initiative à des échelons plus proches du terrain
(ou a contrario a conduit des collectivités locales à prendre des libertés avec les
compétences accordées par la loi aux échelons locaux). En particulier, les lois de
décentralisation de 1982 ont doté les régions de compétences en aménagement du
territoire, tandis que la loi sur l’intercommunalité de 1999 précise les compétences des
établissements publics de coopération intercommunale en matière économique.
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Introduction
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Suite à la réussite de plusieurs « territoires modèles » (dont certains seront présentés plus
en détail dans la suite), des tentatives de transposition dans des zones peu dynamiques
sont inévitables. Certains auteurs particulièrement critiques par rapport au modèle fordiste
y ont vu l’amorce d’un mouvement de fond (Piore et Sabel (1984) se sont ainsi faits les
hérauts de la « spécialisation flexible »).
De façon générale, la recherche d’alternative au mode de production dominant se
cristallise souvent autour de ce type de vision du développement.
Ces démarches de développement initiées à un échelon territorial fin, misant sur la
coopération, et la mise en valeur des ressources locales sont regroupées sur le vocable
aujourd’hui populaire de « développement local ». Mais avant de définir cette approche du
développement, précisons d’abord ce que l’on peut entendre par développement en zone
rurale dans un pays industrialisé.
Qu’est ce que le développement rural ?
Un des buts principaux de ce mémoire est d’éclairer l’efficacité des démarches de
développement local à l’aide de la théorie économique, et il convient donc de préciser au
préalable ce que le terme développement recouvre. En effet, cette notion, empreinte d’une
forte connotation normative, peut être définie de façon différente selon le contexte considéré.
Derrière l’idée de développement, il y a à la fois l’idée d’accroissement de richesse, combinée
à celle de reproductibilité à long terme du système économique, mais aussi des structures
sociales qui permettent cette évolution. Même cette définition générale témoigne d’ailleurs
d’un parti-pris : après tout, une fois atteint un certain confort matériel, pourquoi d’autres
critères que la croissance ne devraient pas être prioritaires ?
Dans le cas des pays à faible revenu, il y a peu d’ambiguïté : la production par habitant est si
faible que la croissance du PIB est une condition majeure du développement et doit donc être
fixée comme objectif prioritaire, accompagné d’objectifs sanitaires, sociaux, etc… En
revanche, dans les pays industrialisés, la situation est beaucoup moins simple. Laissons de
côté, pour simplifier la discussion, le fait que le PIB pourrait se révéler un indicateur de
richesse de moins en moins pertinent à mesure que l’économie se « dématérialise » et se
« qualitativise ». Le problème fondamental envisagé ici est celui de l’inégalité géographique
au sein d’une société en moyenne riche. Inégalité géographique qui peut se traduire par une
inégalité sociale au moins temporaire. Or, comme le rappele Polèse (1994), ces inégalités
sont, au moins initialement, une condition nécessaire à la croissance. On retrouve donc le
traditionnel dilemme entre efficacité et équité, mais aussi entre équité présente ou équité
future : vaut-il mieux occasionner des migrations douloureuses socialement mais assurant un
gain de bien-être pour tous par la suite, ou bien ne pas exploiter tous les gains de productivité
possibles pour éviter ces coûts sociaux immédiats. Dans certaines conceptions du
développement, la question de l’équité ne porte pas seulement sur les individus, mais aussi sur
les territoires : un territoire vidé de ses habitants (donc pesant très peu dans le bien-être global
de la société) est perçu comme victime de l’iniquité des mécanismes économiques.
Ces questions et les jugements de valeur divers qui en découlent débouchent en pratique sur
des conceptions contrastées du développement rural (cf. par ex. Perrier-Cornet 2002) :
- Une conception dominée par l’efficacité : le développement est basé sur les ressources
caractérisant le rural, essentiellement l’agriculture et la forêt. Cette conception suppose
que l’agriculture et les autres activités liées à ces ressources spécifiques fournissent un
revenu satisfaisant, mais ne se préoccupe pas de savoir si l’espace se vide ou s’il
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Introduction
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s’uniformise sur le plan économique et du cadre de vie (sauf si les aménités rurales font
partie de la stratégie de recherche de valeur ajoutée).
Une conception mêlant efficacité et équité : elle refuse de freiner les mécanismes de
polarisation, source de gains de productivité, mais en s’assurant que ce processus
s’effectue « à taille humaine », par exemple à l’échelle des régions administratives. Ainsi,
même s’il existe dans chaque région une périphérie plus ou moins exsangue, les habitants
bénéficient en moyenne de façon équilibrée des avantages de l’urbain et de l’attrait du
rural.
Une conception centrée sur l’équité : elle prône la présence dans le rural d’activités
diversifiées assurant un cadre de vie satisfaisant aux habitants des zones rurales
périphériques : emploi, vie sociale, services.
A ces conceptions, volontairement stylisées, s’ajoute à présent celle de développement
durable. Elle peut se traduire pour le rural par des préconisations allant dans le sens d’une
réduction de la présence humaine : îlots et corridors de biodiversité, gestion durable des
ressources du sol, prévention des risques naturels (inondations, glissements de terrain…),
désagréments causés par les activités humaines (bruit des aéroports, lagunage…).
La question de savoir s’il faut limiter les inégalités entre zones géographiques, et de quelle
façon, est d’abord politique : la théorie économique n’a pas vocation à fournir des
prescriptions normatives. Toutefois, elle peut largement éclairer le débat d’idées en précisant
les trajectoires possibles et leur coût pour la société (Jayet, Puig & Thisse 1996), et
notamment si la trajectoire spontanée (en l’absence d’intervention publique) coïncide avec un
optimum social (certains modèles montrent en effet que l’agglomération, résultat des forces
du marché, peut être socialement inefficace1). Deux questions importantes se posent à la
puissance publique : une redistribution de l’activité économique au sein d’un pays risque-telle de pénaliser la croissance de ce pays ? Va-t-elle imposer aux urbains une perte de bienêtre supérieure au gain des ruraux ? Certains économistes dénoncent clairement l’inefficacité
sociale des politiques volontaristes de distribution équilibrée de l’activité sur le territoire
(Gérard-Varret & Mougeot, 2001).
Les questions d’efficacité sociale et d’intervention publique ne seront pas traitées au cours de
ce mémoire, qui se concentre sur l’étude de la coexistence de mécanismes économiques
différents. Il est néanmoins important de garder à l’esprit les implications potentielles des
résultats de cette étude sur la façon de penser l’action publique en matière de développement
rural.
Notons que le terme de développement est en partie impropre dans la troisième conception
citée plus haut : l’objectif y est souvent statique et vise un état final bien défini. C’est pourtant
la conception qui est le plus souvent implicite dans les démarches initiées dans les territoires
ruraux, et en particulier par les artisans du développement local. Même s’il peut s’agir d’un
objectif tout à fait recevable sur le plan politique, il faut garder à l’esprit le fait que le rural ne
peut en aucune façon se considérer comme isolé du reste de l’économie. Toute démarche de
création d’activités implique des relations avec l’extérieur, et la vision statique idéalisée du
« pays où il fait bon vivre » doit être confrontée à la réalité des évolutions de l’économie.
1
Cf. par exemple Charlot & Gaigné (2001)
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Introduction
Le « paradigme » du développement local
Nous pouvons maintenant présenter les principes du développement local, conception et
ensemble de méthodes de développement, qui prône la recherche de nouvelles ressources
spécifiques locales, et qui ajoute à cet aspect économique des aspects sociaux et culturels. Par
son objectif de recherche d’avantages comparatifs, il relève de la première conception du
développement citée plus haut. Mais son originalité réside dans le fait qu’il affirme avec force
que le développement inclut des aspects non économiques, et qu’en outre, ces aspects sont
essentiels pour découvrir et mettre en valeur ces nouvelles ressources. Enfin, comme l’adjectif
« local » l’indique, la source du développement est avant tout à chercher à l’intérieur du
territoire, et non par l’intervention d’un échelon de planification plus élevé.
Le développement local correspond donc davantage à un état d’esprit et à un ensemble de
méthodes ad hoc qu’à un véritable courant de recherche structuré, puisque par hypothèse
chaque situation particulière est susceptible de devoir mobiliser des pistes de développement
différentes (Polèse 1994). Considéré comme un nouveau paradigme de développement par les
tenants de l’approche « bottom-up » ou ascendante, inscrit en filigrane dans la LOADDT, il ne
possède pas de fondement théorique clair et unifié. Par exemple, les théories de la croissance
endogène ou du développement régional ne fournissent pas d’outils adaptés aux multiples
facettes de la démarche, dont les principes sont les suivants :
- Un territoire en déclin, notamment rural (en effet, la faible densité freine les échanges
d’idées) possède toujours (ou presque) des ressources latentes, qu’il convient de découvrir
et de mettre en valeur. Il est entendu qu’il ne s’agit aucunement de recréer une petite
économie autarcique et régressive, mais bien de découvrir de nouvelles possibilités de
création de richesses valorisables à l’extérieur, en d’autres termes d’élargir la base
économique locale (Greffe 1996).
- Les conditions requises pour que ce processus d’innovation prenne corps sont la volonté,
l’imagination, le partenariat, la capacité à s’informer (sur les débouchés possibles, les
agents économiques potentiellement concernés, les coûts…). En zone rurale, ces qualités
devront compenser les désavantages liés à l’éloignement des centres de décision et à la
faible densité (qui rend moins fréquentes les interactions avantageuses).
- Le développement doit intégrer les dimensions économique, sociale, et culturelle. En
particulier, le territoire doit disposer d’une bonne cohésion sociale, et une volonté de
coopération générale doit régner pour que la démarche porte ses fruits.
- L’intervention publique, conçue et gérée à l’échelon local, est parfois nécessaire pour
permettre aux projets de décoller : formation, information, animation, aide à
l’investissement initial.
Toutes ces caractéristiques sont reliées à la mise en place d’une organisation des acteurs
locaux – entreprises, travailleurs, consommateurs, institutions publiques… – permettant de
réaliser la « structuration du territoire », selon l’expression consacrée par les volets
territoriaux des contrats de plan Etat-région de la période 2000-2006. L’organisation est la
condition préliminaire du développement local.
Il convient d’insister sur la diversité que revêtent les démarches de développement local,
diversité d’ailleurs revendiquée2. Comme le dit Benko (1999) : « Chaque réussite régionale
est une sorte de miracle, une trouvaille difficilement transposable (…) les imitateurs ont
2
On trouvera de nombreux cas de démarches exemplaires sur les sites du réseau Leader Européen
(http://www.rural-europe.aeidl.be/rural-fr/action/), français (http://www.reseauleader.com/leader/htdocs/resdoc),
et de l’association Entreprises, territoires et développement (http://www.etd.asso.fr).
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Introduction
échoué systématiquement ». De ce fait, leur analyse est particulièrement délicate, d’autant
plus qu’elle requiert en principe une approche pluridisciplinaire, intégrant des considérations
sociologiques et parfois politiques. D’autre part, le développement local doit être pensé de
manière dynamique et en tenant le plus grand compte de l’évolution des marchés extérieurs :
l’efficacité d’une stratégie dépend très largement des opportunités de débouchés en dehors du
territoire, et ces opportunités sont fluctuantes. Enfin, même indépendamment des aléas
extérieurs, la réussite n’est jamais définitivement gagnée : la coopération entre acteurs est
fragile, les hommes passent et n’ont pas tous les mêmes qualités.
Objectif général du mémoire
La question générale qui sous-tend ce travail est de comprendre dans quelle mesure
l’organisation des acteurs locaux peut effectivement contribuer au développement de l’activité
économique des zones rurales en déclin. Elle se situe donc plutôt dans la conception
« efficacité » du développement rural, mais élargie à d’autres ressources territoriales que le
sol (ou la main d’œuvre captive peu qualifiée), selon les principes du développement local.
Il est manifeste que certains systèmes productifs très spécifiques (et très rares) se caractérisent
par un système de relations marchandes et/ou non marchandes entre agents économiques,
particulièrement efficace. Il est aussi assez évident qu’un climat social favorable est
davantage propice à un développement économique qu’une ambiance tendue ou déprimée.
Mais en dehors de ces truismes, qu’est-il possible de dire sur le rôle de l’organisation des
agents économiques d’un territoire sur le développement de celui-ci ? Apporter un éclairage à
cette question, dans le cadre de l’espace rural, est l’objectif principal de ce mémoire. Cet
objectif est rendu difficile par plusieurs écueils :
- Le caractère flou de nombreuses notions utilisées, à commencer par celles d’organisation
et de territoire.
- L’impossibilité, martelée par les tenants du développement local, d’isoler les phénomènes
économiques des phénomènes sociaux et culturels, qu’il est pourtant nécessaire de
distinguer pour comprendre leur articulation, ainsi que l’originalité profonde de chaque
cas concret.
- Le fait que les défenseurs de ces approches s’opposent parfois vivement à l’économie
mainstream jugée non « politiquement correcte », scientiste, réductrice. Une vision
holiste, personnifiant les territoires, est souvent implicite dans leurs travaux.
Ici, au contraire, il est postulé que le formalisme de la microéconomie est susceptible de
prendre en compte, au moins en partie, les phénomènes évoqués dans cette introduction. Ce
mémoire est structuré en quatre chapitres. Le premier chapitre présente les principaux
programmes de recherche en économie qui s’intéressent à l’organisation des agents
économiques et identifie les mécanismes organisationnels potentiellement à l’œuvre au sein
des systèmes productifs. Le deuxième chapitre brosse un panorama des modèles développés
par la nouvelle économie géographique, et suggère des possibilités d’extensions prenant en
compte des effets organisationnels. Constituant le cœur du mémoire, le troisième chapitre
développe trois variantes de modèles d’économie géographique, en vue de représenter
quelques aspects de l’organisation en économie. Enfin, le dernier chapitre, conclusif, discute
la pertinence des travaux menés dans ce mémoire, et propose des développements ultérieurs,
en particulier empiriques.
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Chapitre 1. Repères sur l’analyse économique des phénomènes d’organisation
Ce premier chapitre a pour ambition de brosser un tableau synthétique des façons d’aborder
les phénomènes d’organisation au sein de différents programmes de recherche en économie,
ainsi que des mécanismes microéconomiques auxquels se réfèrent ces travaux. Il se clôt par
l’exposé de la problématique théorique de ce mémoire.
1.1. Généralités sur l’analyse de l’organisation en économie
Cette section examine plusieurs types d’approches en économie et s’efforce de montrer
l’intérêt de prendre en compte l’organisation des agents économiques dans l’analyse,
notamment en économie rurale. Etant donné que ce mémoire utilise les outils de la
microéconomie, on commence par rappeler brièvement les principales caractéristiques de
l’économie mainstream. Puis, l’intérêt de la prise en compte des phénomènes d’organisation
dans l’analyse économique est justifié, en se penchant en particulier sur le cas des espaces
ruraux (ces éléments seront repris et détaillés dans la partie sur l’économie géographique).
Enfin, les principaux programmes de recherche qui traitent de l’organisation des agents
économiques en dehors de la coordination par les prix sont passés en revue.
1.1.1. Pourquoi prendre en compte l’organisation des agents économiques ?
1.1.1.1.La démarche dominante en économie : restriction à la coordination par les prix
Dès son origine, l’économie se distingue des autres sciences sociales (notamment de la
philosophie politique) par le fait que les phénomènes qu’elle étudie découlent essentiellement
de comportements individuels non coordonnés, formant ce qu’Hayek appellera plus tard
l’ordre spontané. Pour Mandeville (Fable des abeilles, 1714), Steuart (Recherches sur les
principes de l’économie politique, 1767), comme pour Smith (Richesse des nations, 1776),
l’intérêt commun est mieux servi par des individus préoccupés uniquement de leur propre
intérêt, que s’ils recherchaient dans leurs actions le bien de la collectivité. En se préoccupant
d’établir des relations de coopération avec d’autres, on se heurte à un problème d’information
et de confiance qui est bien plus grand que lorsqu’on se soucie uniquement et au cas par cas
de son propre intérêt, pour peu qu’il existe une force garantissant l’intégrité des biens et des
personnes. Ainsi, chacun étant mieux placé que quiconque pour agir selon son intérêt, et
chacun cherchant peu ou prou à accroître sa richesse, le libre commerce permet à chacun de
contribuer au mieux de ses capacités à accroître le produit global, cet accroissement
bénéficiant, sur le long terme et dans des proportions variables, à tous.
Il n’en demeure pas moins qu’au delà des fonctions régaliennes, une coordination non
marchande reste nécessaire pour réaliser la division du travail et l’accumulation du capital
nécessaires à la croissance : entre entrepreneurs et travailleurs, entre investisseurs et banquiers
etc… En effet, face à la diversité des choix et des comportements possibles, le principe de
rationalité individuelle est insuffisant : des présupposés doivent exister sur le comportement
possible des différents agents. L’existence d’une culture commune, de conventions, et d’une
force publique assurant la sécurité des transactions est nécessaire.
La maximisation de l’intérêt individuel doit en outre être précisée selon deux aspects : la
durée de temps qu’on accepte d’attendre pour bénéficier d’un avantage (préférence pour le
présent), et l’importance des facteurs non économiques (non liés à des biens et services
achetés) dans l’utilité (qualité de vie, culture…).
L’analyse économique répond habituellement à la nécessité de coordinations non marchandes
en supposant fixés les choix possibles (conventions, techniques disponibles) de façon
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Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
exogène, et en posant comme assurée la sécurité des transactions. Concernant le problème du
temps, elle raisonne le plus souvent de manière statique, et lorsque l’introduction du temps est
indispensable, pose un taux d’actualisation exogène. Concernant les aspects non économiques
de la fonction d’utilité, ceux-ci sont pris en compte dans certains modèles (prix hédoniques).
Plus précisément, la microéconomie, dont le travail théorique de ce mémoire utilise les outils,
se caractérise par un certain nombre de postulats et de techniques de calcul, à la fois simples
et robustes, mais très simplificateurs :
- L’utilisation d’agents stylisés, souvent tous identiques, caractérisés par une fonction de
gain ou de coût.
- L’usage de la rationalité substantielle, avec éventuellement des amendements sur
l’information disponible (anticipations, évènements incertains).
- L’équilibre sur tous les marchés avec éventuellement des conditions de bouclage lorsqu’il
y a libre-entrée (profit nul, utilité fixée). Les évolutions temporelles sont le plus souvent
analysées par statique comparative.
- Hormis dans les modèles de concurrence imparfaite, l’absence d’interactions stratégiques.
Les agents sont en situation d’isolement stratégique : les prix sont les seuls signaux
utilisés pour prendre les décisions économiques et les agents sont preneurs de prix.
Bien que ces hypothèses semblent simplistes, la microéconomie se révèle être en mesure
d’intégrer un grand nombre de relâchements aux hypothèses de base de l’équilibre
concurrentiel (Cahuc 1998) : concurrence imparfaite, prise en compte de l’information
incomplète, prise en compte du temps… Malgré tout, des éléments de nature diverse incitent
les tenants d’autres programmes de recherche, à s’écarter de cette approche, notamment :
- Démentis aux prédictions standard : on n’observe pas la convergence des rémunérations
des facteurs prédite (même en tenant compte d’aspects non monétaires), inversion
modérée de tendance démographique dans l’espace à dominante rurale, périurbanisation et
polycentrisme urbain difficilement explicables par l’économie urbaine standard, réussite
inattendue de certaines petites régions rurales…
- Caractère très incomplet des mécanismes pris en compte et existence de présupposés
discutables (hypothèses de comportement, d’information…). Impossibilité de séparer les
phénomènes économiques des phénomènes sociaux, etc…
- Impasse théorique de la recherche de fondements microéconomiques aux phénomènes
macroéconomiques, fondée sur l’usage d’agents représentatifs.
Pour autant, ces arguments ne sont pas suffisants pour remettre en cause l’intérêt de la
méthode. Même si, dans certains cas isolés, il est besoin de recourir à d’autres mécanismes
que ceux pris en compte par le formalisme microéconomique, le caractère imprédictible et
fugace de leur apparition les confine au seul champ des études appliquées. De fait, le
formalisme de la microéconomie permet de représenter, moyennant d’autres simplifications
et/ou extensions adaptées à chaque problème, un grand nombre de situations, et de décrire
qualitativement la plupart des mécanismes économiques observés dans les économies de
marché. Le constat que des mécanismes similaires expliquent une grande variété de
phénomènes est également un argument fort en faveur de la fécondité de la théorie.
Le fait que les hypothèses de la microéconomie soient simplificatrices ne remet donc pas en
cause l’intérêt de la démarche. En effet, la compréhension des mécanismes de marché impose
de les isoler de façon nette des autres phénomènes sociaux. C’est au niveau des applications
pratiques qu’il convient d’apprécier, au cas par cas, le poids des mécanismes décrits par la
microéconomie par rapport aux autres phénomènes sociaux en présence. En revanche, une
7
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
remise en cause de l’analyse microéconomique serait à envisager plus sérieusement s’il était
possible de mettre en évidence des situations répétées où les seuls mécanismes
microéconomiques ne sont pas en mesure d’expliquer de manière satisfaisante le
comportement des agents dans leurs décisions économiques, ainsi que leurs conséquences sur
le fonctionnement d’ensemble de l’économie. Pour montrer qu’une approche alternative a un
réel intérêt théorique, il faut mettre en évidence des effets systématiques (donc sans
hypothèse ad hoc) et significatifs (par exemple des prédictions qualitatives généralisables)
que ne peut prendre en compte la théorie microéconomique de base.
1.1.2.2.Les limites de l’approche par le seul marché : l’importance de l’organisation
Malgré les nombreux raffinements possibles du formalisme microéconomique, certains
éléments constituent véritablement son « noyau dur » :
- Les agents sont « indivisibles », et leur fonction objectif fixée de manière exogène. Cela
peut poser des difficultés dans le cas des firmes.
- Le caractère statique de l’analyse : sauf quand il n’y a qu’un seul bien dans l’économie, le
formalisme microéconomique se prête très mal à l’étude de la convergence vers
l’équilibre des marchés (et d’ailleurs, dans le cas de la concurrence parfaite, la seule
stabilité des équilibres n’est assurée que sous des hypothèses fortes (Guerrien 1999)). En
conséquence, tous les marchés sont en général supposés à l’équilibre : il y a adéquation
structurelle entre l’offre et la demande de tous les biens. Les évolutions temporelles ne
sont étudiées que par statique comparative.
- Le comportement des agents guidé uniquement par les prix, et éventuellement les
caractéristiques des autres agents. Les différents agents sont anonymes, il n’y a pas de
relation préférentielle entre eux.
Certains programmes de recherche se sont spécialisés dans l’étude des phénomènes remettant
en cause ce noyau dur : par exemple le néo-institutionnalime pour la description des firmes de
l’intérieur, ou l’évolutionnisme pour les aspects dynamiques. L’étude des mécanismes
économiques non restreints au pur marché fait l’objet d’une littérature croissante, comme
indiqué en introduction. Ces différents programmes de recherche seront présentés dans la
sous-section suivante. Avant de les passer en revue, attachons nous à préciser quelques
arguments selon lesquels le formalisme microéconomique fournit malgré tout une description
correcte des phénomènes économiques :
- La « sélection naturelle » élimine les firmes qui se comporteraient de façon non optimale,
de même qu’au niveau des individus, une générosité et une mansuétude inconsidérées
n’est pas un comportement évolutivement stable.
- Les simulations de marchés réalisées en économie expérimentale montrent dans de
nombreux cas une convergence vers l’équilibre rapide, et une diminution des
comportements irrationnels avec l’importance de l’enjeu. Mais elles montrent aussi que la
façon dont est organisé le marché (règles de transaction) est cruciale pour obtenir une
convergence.
- Même si les problèmes de non équilibre ou d’instabilité des fonctions objectifs et de la
rationalité des agents ont quelque importance, la microéconomie fournit des descriptions
valables en moyenne et en tendance, ce qui est de toute façon le mieux qu’on puisse faire
en économie. Les autres effets doivent être appréciés au cas par cas et relèvent donc des
études appliquées.
De fait, les économistes néoclassiques n’ont jamais prétendu que les fluctuations
économiques du monde réel étaient négligeables. Cependant, ils considèrent que les variations
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Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
significatives sont en général dues à des causes exogènes (changements politiques ou
technologiques essentiellement) ou ne remettent pas en cause l’équilibre des marchés, sauf à
court terme3.
Ces arguments sont sans aucun doute parfaitement valables dans un grand nombre de
situations. Pourtant, certaines évolutions récentes de l’économie tendent à redonner du poids à
la remise en cause du noyau dur de la microéconomie. Nous citerons deux éléments majeurs :
l’évolution de la nature de la production, et la multiplication des effets externes.
Au cours du développement des pays industrialisés, les gains de productivité se sont d’abord
effectués dans l’agriculture, condition sine qua non de l’apparition d’autres activités, puis
dans les biens manufacturés. La capacité de consommation en biens matériels d’un individu
moyen étant limitée, les gains de productivité se sont alors dirigés vers les aspects qualitatifs
des biens matériels, et sur les biens immatériels ou services. Or, l’échange de ces biens est
plus complexe que celui de biens matériels standardisés. Se posent en particulier de
redoutables problèmes d’information et de relations personnalisées (confiance, réputation). En
outre, de nombreux services ne peuvent pas être aisément exportés, à moins de déplacer les
individus effectuant les prestations (problème d’échange d’informations tacites)4. Par ailleurs,
la complexification croissante des systèmes de production est avérée : l’internationalisation
des échanges, et la poursuite du processus de division du travail, indispensable pour
poursuivre les gains de productivité, rendent illusoire pour la plupart des firmes la possibilité
d’avoir une vision claire de l’état et de l’évolution de leur secteur. De plus, les systèmes de
production sont très divers (intégration verticale, firmes interdépendantes localisées ou non au
même endroit, etc…) et leur diversité n’est pas expliquée par l’approche microéconomique.
D’autre part, l’accroissement de la taille et de la densité des systèmes économiques est la
source de nombreuses externalités non pécuniaires : négatives (problèmes de gestion de
ressources naturelles, congestion, pollution …), mais aussi positives (en particulier échanges
d’informations), qui seront détaillées dans la suite. A partir du moment où l’existence
d’externalités devient la règle et non plus l’exception, une remise en cause du cadre purement
marchand peut être envisagée.
Ces exemples sont tous liés à la même idée : l’idée que la coordination par les prix est
insuffisante pour comprendre l’ensemble des phénomènes économiques, et en corrolaire que
d’autres types de coordination que le marché peuvent conférer des avantages décisifs. La
notion de phénomène d’organisation peut recouvrir l’essentiel de cette idée de coordination
hors marché.
Dans la suite, nous dirons qu’il y a un phénomène d’organisation lorsque plusieurs agents
économiques prennent leurs décisions de manière coordonnée, créant par là une
interdépendance, alors que la non-coordination peut être plus avantageuse à court terme. Il
s’agit d’une forme de coordination qui n’est pas basée sur le signal des prix, qui est
pérennisée par des règles communes et qui porte sur une partie bien précise des processus
économiques. Ainsi, dans le cas des districts industriels, la concurrence peut être féroce en
dehors du district, mais la coopération domine au sein du système local. Notons que
3
L’approche ressemble à celle de la thermodynamique. Ainsi, une tasse de café est considérée comme étant à
l’équilibre, car les grandeurs macroscopiques qui caractérisent son état fluctuent très peu. Pourtant, elle se
refroidit bien au bout de quelques minutes, et encore à une autre échelle de temps, peut s’évaporer en quelques
jours…
4
Les NTIC ne peuvent pour l’heure résoudre totalement ce problème, même s’il est tout à fait possible
d’envisager une révolution du commerce et des services électroniques.
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Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
l’existence d’une structure formelle (firme, syndicat, etc…) n’est pas nécessaire pour qu’un
phénomène d’organisation existe. La coordination des agents ne se fait donc plus par
l’intermédiaire des prix, mais de conventions communes ou de contrats.
Cette définition des phénomènes d’organisation manque de toute évidence de précision, mais
nous verrons que la diversité de ces phénomènes empêche, au moins en l’état actuel des
travaux sur le sujet, une définition plus précise. Nous nous en tiendrons donc à cette notion
intuitive comme fil conducteur de ce travail.
Insistons sur le fait que, si séduisante que puisse être l’idée de prendre en compte les
coordinations par autre chose que les prix dans l’analyse économique, cette démarche ne
débouche pas sur des théories totalement satisfaisantes, et ce pour plusieurs raisons :
- Ces coordinations sont difficiles à formaliser, alors qu’une théorie utilisant les techniques
microéconomiques peut toujours être formalisée, au besoin en exprimant le non
économique en équivalent monétaire. En effet, elle ne manipule pratiquement que des
quantités monétaires ou physiques (seule exception notable, l'utilité, mais on peut se
passer d'une utilité cardinale). Or, la formalisation évite de nombreux pièges de
raisonnement : on ne peut pas passer à côté d’effets indirects, pour peu que les
mécanismes correspondants figurent dans le modèle.
- Il est difficile en particulier pas de distinguer clairement les mécanismes économiques des
autres (sociologiques notamment).
- Les travaux théoriques sont très difficiles à évaluer empiriquement. Une grande part de la
littérature est constituée d’une addition d’études de cas dont il est difficile de tirer quelque
régularité extrapolable (cependant, ce n’est pas général : ainsi, la théorie néoinstitutionnelle fournit des prédictions réfutables sur le type d’organisation adapté à
différentes situations dans lesquelles peut se trouver la firme).
- Les théories sont donc moins élégantes, et surtout moins générales que la théorie
néoclassique : leur champ d’application est souvent plus limité. Il est difficile d’en tirer
des régularités nettes. La démarche est d’ailleurs souvent inductive au lieu d’être
hypothético-déductive. De ce fait, des « dérives » holistes sont possibles, en particulier la
personnalisation des systèmes étudiés.
- Il est, à cause de tout cela, quasiment impossible de comparer leurs performances
relativement à la théorie néoclassique, même si dans certaines études de cas, il paraît
certain que les effets non marchands invoqués jouent un rôle essentiel.
1.1.2.3.Le cas de l’espace rural
Avant d’examiner comment différents programmes de recherches tiennent compte des
phénomènes d’organisation, précisons pourquoi leur étude est particulièrement pertinente
dans le cas de l’économie rurale.
Globalement, le rural a fait jusqu’à présent l’objet de peu d’attention de la part des
économistes non agricoles, d’une part parce que l’essentiel de la recherche a longtemps été
surtout aspatiale, d’autre part parce que les recherches prenant en compte l’espace se sont
surtout intéressées aux zones de concentration d’activités, donc plutôt aux zones urbaines.
Ainsi, le rural n’est classiquement pas considéré comme une zone de croissance économique.
Hormis l’étude des questions agricoles, qui ne nécessite d’ailleurs pas forcément de
s’intéresser aux zones rurales en tant que telles, ce type d’espace a donc été plutôt délaissé,
tout au moins jusqu’à une époque récente.
10
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
Brossé à grands traits, le processus de développement résulte de la combinaison des éléments
suivants (Gillis et al. 1998) :
- Constitution de lieux d’échange
- Gains de productivité dans l’agriculture (permettant un développement de la production
industrielle) puis dans l’industrie
- Baisse des coûts de transport d’où extension d’aires de marché et concurrence accrue.
- Gain de productivité dans les autres secteurs grâce à l’accumulation du capital et au
progrès technique (division du travail et économies d’échelle)
- Tertiarisation pour gérer la multiplicité des biens et services échangés et poursuivre les
gains de productivité.
- Simultanément, évolution des structures de consommation.
Tous ces phénomènes vont globalement dans le sens d’une concentration géographique et
laissent de moins en moins de poids au milieu rural dans l’économie. Le rural se définit donc
en général de façon résiduelle (« hinterland », comme dans le modèle de Von Thünen, ou de
la nouvelle économie urbaine), découlant d’une dotation en facteurs particulière : les
avantages comparatifs naturels (enclavement géographique) ou construits (évolution
historique des villes avec effet de verrouillage) sont incompatibles avec un regroupement
significatif d’activités. La théorie de la localisation industrielle, quant à elle, mentionne le
rural uniquement en tant que siège des activités ressource-oriented.
Dans une telle optique, un développement économique en milieu rural, autre que limité à
l’exploitation des facteurs fixes ne peut être qu’artificiel, transitoire ou négligeable. Quelles
sont les stratégies de croissance économique que l’on peut envisager en milieu rural ? La
première réponse peut se faire selon une grille de lecture simple :
- Point de vue de l’offre : valoriser les avantages comparatifs (terre, main-d’œuvre
spécifique, paysage), en créer de nouveaux s’il y a lieu (investissement en infrastructures
et en matériel de production).
- Point de vue de la demande : développer les stratégies exportatrices, accroître la
propension à dépenser localement, injection de crédits publics (implantation d’une
administration, grands travaux…).
Tout le débat repose sur la nature des avantages comparatifs qu’il est possible de mobiliser
dans le rural. La notion d’avantage comparatif n’est pas assez précise pour tous les
phénomènes où l’efficacité n’est pas seulement déterminée par les facteurs matériels et la
disponibilité quantitative de main-d’œuvre, mais où les aspects qualitatifs jouent un grand
rôle.
Si l’on tient vraiment à faire du développement rural autre qu’agricole ou forestier, ou basé
sur une main-d’œuvre non qualifiée, et si l’on exclut l’hypothèse d’investissements matériels
de grande envergure destinés à attirer à tout prix des activités, il ne reste guère que la mise en
valeur d’atouts basés sur les ressources humaines. Or, a priori, dans ce domaine également, le
rural n’est guère avantagé : selon Jayet (1996), il est caractérisé par une forte inertie des
comportements, une difficulté à produire des appariements efficaces, et une faible diversité
organisationnelle. Toutefois, certaines formes de coopération liées par exemple à
l’interconnaissance, et aux fortes barrières à l’entrée et à la sortie, pourraient expliquer la
présence de configurations organisationnelles efficaces.
Ainsi, la prise en compte des phénomènes d’organisation semble pertinente pour comprendre
les stratégies innovantes de développement rural. En particulier, comme on l’a vu en
introduction, la plupart des « success stories » ont été analysées comme découlant d’éléments
11
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
ignorés par l’approche microéconomique, au premier rang desquels l’organisation des acteurs,
l’imbrication du social et de l’économique, l’identité territoriale, l’image du territoire…
L’organisation serait donc une ressource potentielle dans certaines zones rurales, pouvant
donner un avantage comparatif décisif dans certaines activités.
Il reste à expliciter comment l’analyse économique peut préciser cette intuition encore assez
floue. Au préalable, un bilan de l’apport des différentes approches existantes en économie, qui
peuvent éclairer la réflexion sur le sujet, doit être tiré. Aussi, dans la sous-section suivante,
nous allons présenter les principaux programmes de recherche qui insistent sur l’organisation
des agents économiques.
1.1.2. Contribution de différents programmes de recherche à l’étude de l’organisation
Cette sous-section s’efforce de présenter brièvement plusieurs programmes de recherche
parmi les plus développés dans le monde académique, en se focalisant sur leurs apports
potentiels au regard de notre réflexion. Cette présentation s’éloigne quelque peu de la
question générale du mémoire, mais elle est nécessaire pour établir un bilan des outils
mobilisables dans notre travail. Un tableau synthétique des principaux courants est donné en
annexe 1. Nous commençons par rappeler la contribution de Marshall à l’analyse des
externalités positives entre firmes d’une même branche.
1.1.2.1.Economie mainstream
Nous avons rappelé en §1.1.1.1. qu’un des apports de l’analyse économique est de montrer
que des comportements économiques non coordonnés, sans interactions stratégiques,
pouvaient, sous certaines conditions, donner une description satisfaisante des phénomènes
économiques (et de plus correspondre à une utilisation efficace des possibilités de
production). Pour autant, les économistes du courant dominant n’ont pas toujours dédaigné de
s’intéresser aux phénomènes non marchands.
Auteur de la première grande synthèse de la théorie de la formation des prix, Marshall
considérait l’organisation comme un facteur de production, au même titre que le sol, le travail
et le capital. Le prix de ce facteur (distingué de l’intérêt, qui rémunère le capital) correspond à
la rémunération des fonctions de direction. Il comprend deux composantes : « la capacité et
l’énergie dans les affaires » et « l’organisation, qui coordonne et réunit le talent d’affaires
approprié et le capital nécessaire ». Il s’agit donc d’une définition assez différente de celle
utilisée ici, puisqu’elle concerne davantage la capacité à structurer une firme en interne.
Par ailleurs, Marshall a apporté une contribution majeure à l’économie industrielle en
observant que le mouvement de concentration et d’accroissement de la taille des firmes n’était
pas général : il existe des économies externes qui expliquent que de nombreuses petites
entreprises géographiquement proches (que l’on appellera plus tard districts marshalliens)
puissent être aussi performantes, voire davantage, que de grands établissements, dont les coûts
de bureaucratie limitent la croissance (cf. Principles of economics, livre IV, chap. X).
Les économies d’échelle externes, qui restent cantonnées à une branche industrielle, découlent
de trois effets principaux. Un effet purement marchand, lié aux complémentarités fortes au
sein du système input-output local, et aussi à la présence au même endroit de consommateurstravailleurs et de firmes. Un effet d’adéquation fine d’une main-d’œuvre spécialisée avec les
besoins des employeurs, cette adéquation s’auto-renforçant avec le temps. Un effet
d’atmosphère industrielle, qui découle de la culture commune au sein du district, de la
circulation de l’information, et de la main-d’œuvre, etc… autant de phénomènes propices à
l’innovation, la flexibilité et la coopération au sein du district.
12
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
Ces idées ont en fait été peu approfondies au sein de l’économie mainstream, probablement
en partie du fait de l’importance donnée aux mécanismes non marchands, et la difficulté
subséquente à formaliser. D’ailleurs, beaucoup des districts étudiés par Marshall ont ensuite
connu une concentration en de grands établissements en concurrence. Elles ont été reprises au
cours du XXème siècle par plusieurs auteurs plus ou moins hétérodoxes (cf. infra, l’analyse
des districts italiens).
Dès qu'on sort du monde de la microéconomie, on risque de pénétrer dans le royaume des
explications ad hoc, des mécanismes vagues et intuitifs etc... Toute la difficulté des
recherches sur les coordinations hors marché est qu’elles reposent sur l’intuition forte que les
phénomènes d’organisation sont essentiels pour comprendre les phénomènes économiques,
mais sans disposer d’une représentation unifiée et claire. L'imbrication individu-organisation
et la difficulté à intégrer les mécanismes dans un formalisme économique rendent d'autant
plus difficiles ces travaux. Trois courants vont être plus particulièrement examinés à présent :
la théorie néo-institutionnaliste, l’évolutionnisme et la théorie de la régulation.
1.1.2.2.Néo-institutionnalisme
Inspirées notamment des travaux de Coase et Simon, les principales idées de ce courant ont
été exprimées par Williamson (1985), son principal représentant. L’idée de base est que le
formalisme microéconomique est incapable, en raison de la nature stylisée des agents
(entreprises et ménages) d’expliquer la coexistence de différents modes de transaction,
notamment hors marché. En effet, la théorie néoclassique ajoute au voile des prix le voile de
l’entreprise, résumée à une fonction de production. Or, plusieurs modèles d’organisation de
l’entreprise existent, ainsi que plusieurs niveaux d’intégration des activités, des matières
premières aux produits finis. En fait, les relations entre les différents ateliers de l’entreprise
(voire entre individus) correspondent à des échanges qui pourraient très bien être traités par
un marché.
La réponse habituelle de l’économie mainstream au phénomène d’intégration horizontale et
verticale, est qu’il s’agit d’un accroissement du pouvoir de monopole (contre lequel il faut
donc lutter pour que soient préservées les conditions de concurrence, donc l’efficience des
marchés). Le néo-institutionnalisme a une réponse très différente. Le choix des différents
modes de transaction (par le marché, par une intégration dans une organisation hiérarchisée,
ou par une structure mixte, comprenant des contrats plus ou moins élaborés et différents outils
de contrôle et d’incitation) se fait sur la base d’une recherche d’efficacité, avec au centre un
arbitrage entre coûts de bureaucratie (procédures administratives, contrôles…) et coûts de
transaction.
En effet, à la fois en conséquence de l’information imparfaite et de la possibilité
d’opportunisme de la part des agents, l’échange comporte des coûts non pris en compte dans
le prix des marchandises, et en général ignorés dans l’approche néoclassique. Ces coûts de
transaction consistent en des coûts de recherche d’information, d’interaction avec divers
agents (négociations), d’établissement de contrats (clauses de contrôle et d’incitation). On les
a comparé aux frottements en mécanique, selon la métaphore chère à beaucoup d’économistes
comparant l’équilibre général à un système mécanique. Plus les marchandises échangées sont
spécifiques (nécessitent un processus particulier de production, sont longues à produire,
etc…), plus l’incertitude sur la qualité de la marchandise et le comportement des autres agents
est grande, plus ces coûts sont potentiellement déterminants. Aussi, pour reprendre le
vocabulaire de Williamson, plus les actifs échangés sont spécifiques, plus une intégration peut
13
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
s’avérer efficace étant donnés les problèmes d’incertitude, de recherche de partenaire, et le
risque d’opportunisme.
Par ailleurs, les travaux néo-institutionnalistes préfèrent à l’hypothèse de rationalité
substantielle celle de rationalité limitée. En effet, l’application de la rationalité substantielle se
révèle trop loin de la réalité, même quand elle tient compte de l’incertitude, notamment à
cause de la quantité d’informations qu’il faut traiter et rechercher. Il est supposé notamment, à
la suite des travaux de H. Simon, que les décisions des firmes sont mieux décrites en termes
de satisfaction minimale, qu’en termes d’optimisation du profit.
Ce courant permet d’expliquer l’existence de structures de gouvernance variées, en donnant
des critères pour la définition des frontières de l’entreprise. Il insiste sur le fait que ce sont les
divergences d’intérêts entre agents qui justifient le non-recours au marché, et plaide pour une
certaine intégration du droit et de l’économie (Williamson 2000), puisqu’une institution régie
par le droit et le marché constituent deux cas polaires d’organisation. Il donne lieu à certains
travaux formalisés qui tentent d’intégrer technologie (fonction de production) et coûts de
transaction dans un formalisme microéconomique (citons, par exemple, Riordan et
Williamson (1985) pour un exemple de formalisation des coûts de transaction). Cependant, il
donne peu d’éléments pour expliquer l’évolution de ces structures, même s’il insiste en
principe sur l’importance des facteurs historiques et évolutifs (Brousseau 1999). En présence
d’une organisation donnée, il est possible d’identifier les facteurs qui concourent à sa stabilité.
Inversement, la théorie décrit les arbitrages auxquels est confrontée une organisation pour
définir sa forme. Mais il lui est difficile de prédire quelle sera l’organisation adéquate dans
une situation donnée, ni comment y parvenir. Enfin, ce courant reste encore pour l’essentiel
cantonné à la firme, et analyse peu les relations entre agents économiques (Ménard 1997),
notamment le rôle de la demande.
1.1.2.3.Evolutionnisme
Ce courant adopte une vision schumpeterétienne de l’économie, en se focalisant sur le fait que
le système de production capitaliste est caractérisé par une évolution et une compétition
permanentes au profit des éléments les plus innovants (Nelson & Winter 1982), d’où découle
la croissance. Il insiste sur l’importance de l’organisation tant au sein de la firme (une
nouvelle forme d’organisation constitue une innovation en elle-même) qu’au travers des
coordinations entre agents. Outre l’aspect organisationnel, ce courant ne fait pas sienne
l’hypothèse d’équilibre permanent des marchés. L’apparition et la disparition permanentes
d’opportunités de profit constituent justement le moteur fondamental du capitalisme, au
travers de la « destruction créatrice ». De plus, il insiste sur l’hétérogénéité des agents, qu’il
considère comme un élément essentiel dans la formation des dynamiques économiques.
Les contributions formalisées sont fortement inspirées des modèles de théorie des jeux utilisés
en génétique évolutive, et revisitent la notion fondamentale de fitness (ou adaptation) pour
décrire l’évolution des structures économiques. Au lieu de considérer le gène comme unité de
base de la sélection, il étudie l’évolution de modes de coordination entre agents. Alors que la
théorie néoclassique s’inspire volontiers de la mécanique, l’évolutionnisme reprend à son
compte, parfois de manière exagérée, les phénomènes de sélection, de dérive génétique,
d’effet de fondation, etc… Cette métaphore est exagérée car le comportement des
« réplicateurs » et les conditions de transmission de l’« hérédité » sont profondément
différents de ce que l’on rencontre en écologie (Gayon 1999).
14
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
L’aspect dynamique est essentiel, puisque les jeux utilisés ont en général plusieurs équilibres
possibles : on s’intéresse notamment à la diffusion de modes de coordination apparaissant par
« mutation » et à leur possibilité d’envahir toute une population ou au contraire de s’éteindre,
ou encore de coexister avec d’autres modes (par exemple Aoki 1998 s’intéresse aux gains
découlant de la diversité des conventions dans le mode de production). Les situations étudiées
sont en général coopératives (cf. par exemple Vincente 1999), et l’essentiel du problème est
alors de déterminer vers quel équilibre on s’achemine. Mais il existe aussi des modèles basés
sur des situations où l’équilibre n’est pas un optimum (cf. par ex. Dupuy 1995 ou Dupuy &
Torre 2001) avec le dilemme du prisonnier, et la comparaison de stratégies variées). Ces
recherches font partie de l’« économie des conventions » (cf. infra).
Les modèles utilisés sont souvent heuristiques, donc très abstraits et difficiles à appliquer à
des situations concrètes, ou inversement ce sont des modèles cherchant à incorporer un
maximum de réalisme. Ils pêchent parfois par un excès de complexité ce qui rend très difficile
la compréhension des mécanismes qu’ils sont censés représenter (Duménil & Lévy 1999).
Contrairement au courant précédent, les intérêts individuels sont ici peu pris en compte
(Brousseau 1999).
1.1.2.4.Théorie de la régulation
La théorie de la régulation est un programme de recherche essentiellement français, moins
développé que les précédents, mais qui entretient des liens étroits avec le courant
institutionnaliste américain du début du XXème siècle (en particulier les analyses de
Commons sur les droits de propriété et la relation salariale ou le rôle des institutions dans
l’étude des types de transaction)5. Elle mérite d’être citée ici car de nombreux travaux portent
sur les modes d’accumulation alternatifs au fordisme.
La théorie de la régulation, initiée au milieu des années 70, entre autres par M. Aglietta et R.
Boyer (Boyer 1995a) a une approche essentiellement macroéconomique et structuraliste. Son
objet est de comprendre les relations entre les phénomènes économiques (production et
échanges), et les institutions de l’économie. Elle part de l’hypothèse que les mécanismes
économiques sont largement conditionnés par les relations établies entre les différents types
d’agents économiques. Une interrogation centrale est la compréhension de l’articulation entre
la permanence des institutions et leur évolution permanente. Elle est donc à la fois proche de
l’institutionnalisme américain, et elle assume ses origines marxiennes, mais avec réalisme : il
ne s’agit plus d’établir de grandes lois tendancielles ni de prédire la chute du capitalisme,
mais d’analyser les différents rapports de production au sein du capitalisme et leur évolution.
La méthode repose pour beaucoup sur la recherche de régularités historiques en longue
période. Elle est donc marquée par un certain inductivisme, mais pose néanmoins un cadre
théorique structuré. Trois niveaux de régulation d’abstraction décroissante sont distingués : le
mode de production (en l’occurrence le capitalisme, caractérisé par l’accumulation du
capital), le régime d’accumulation (actuellement, essentiellement le fordisme), et la forme
institutionnelle (définie comme un ensemble de régularités dans les relations entre agents
économiques pour un certain type d’échange). La théorie définit cinq types de formes
institutionnelles (Boyer 1995b) :
- La monnaie : métallique ou dématérialisée, outil de domination d'une logique privée ou
publique, elle interagit fortement avec les cycles réels.
5
Certains auteurs suggèrent d’élargir le champ théorique de la théorie de la régulation pour bâtir un programme
institutionnaliste plus global tirant également profit des acquis de la théorie des conventions (Théret 2000,
Eymard-Duvernay 2002), voire du néo-institutionnalisme.
15
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
-
-
La configuration du rapport salarial : relations mutuelles entre différents types
d'organisation du travail, mode de vie et de reproduction du travail salarié.
La concurrence : la façon dont se fait la coordination des décisions entre firmes, où peut
dominer une logique de confrontation ex post des travaux privés, ou de coordination ex
ante entre producteurs et clients.
Les formes de l'Etat, ensemble de compromis institutionnalisés.
Les modalités d'adhésion au régime international.
Plusieurs travaux récents (Benko & Lipietz 1995, Gilly & Pecqueur 2001) se sont intéressés à
l’analyse des systèmes productifs locaux comme régimes d’accumulation alternatifs au
fordisme. Toutefois, ils ne se prononcent pas sur leur évolution future comme le font Piore &
Sabel (1984), ou Storper & Harrison (1992) qui penchent pour l’émergence d’un nouveau
mode d’accumulation « flexible » appelé à remplacer le fordisme. Par exemple, l’un des
arguments invoqués pour expliquer une désintégration verticale est de réduire les risques dans
un contexte global incertain (une perte de rentabilité sur une partie du système n’entraînera
pas l’ensemble dans sa chute). La notion de gouvernance locale est utilisée pour introduire un
niveau intermédiaire (« méso ») entre le niveau macroéconomique et le niveau individuel. La
gouvernance locale se définit comme l’ensemble des procédures de coordination entre agents
utilisées lors des relations économiques. La notion de dispositif régulatoire territorial,
proposée par Gilly & Pecqueur (2001), permet d’expliciter l’articulation entre le système
macroéconomique et la structure de gouvernance locale.
1.1.2.5.Autres programmes de recherche
Les programmes de recherche présentés dans les paragraphes qui précèdent sont
particulièrement intéressants par l’ampleur de leurs productions et leur fécondité, au moins
dans le domaine qu’ils entendent explorer. Pour être plus complet, il convient d’évoquer
brièvement d’autres programmes de recherche, qui ont souvent des points communs et
recouvrements avec les courants discutés plus haut. Citons notamment :
- L’économie du travail, notamment la théorie de la segmentation, qui prolonge l’approche
néo-institutionnaliste, et analyse le rapport salarial comme résultant de l’interaction entre
un marché du travail interne à la firme et un marché externe. Il s’agit moins d’un
programme de recherche autonome que d’un ensemble d’applications de méthodes
relevant de l’analyse microéconomique et du néo-institutionnalisme.
- L’école néo-autrichienne (en particulier les travaux de Hayek), qui considère la société
comme un ordre spontané, résultant de l’action non intentionnelle des agents
économiques, mais estime que l’analyse de son fonctionnement (par la microéconomie ou
d’autres outils) en vue d’établir des relations causales est essentiellement vaine.
- La théorie des contrats, qui fait partie de la « nouvelle microéconomie » (Cahuc 1999), et
qui approfondit les relations stratégiques entre contractants en information incomplète, et
permet de développer certaines idées du courant néo-institutionnaliste.
- L’économie des conventions, courant essentiellement français qui reprend certaines
analyses du néo-institutionnalisme et de l’évolutionnisme, en s’attachant à étudier le rôle
des conventions, règles de comportements non formalisées et relevant à la fois de la
contrainte et de l’accord collectif, dans l’activité économique (Ramaux 1996).
- Les travaux autour du thème de la proximité, qui rejoignent souvent les préoccupations
relatives à l’organisation locale dans l’analyse de la structure industrielle (cf. par exemple
Zimmermann 1995 et surtout l’ouvrage de Rallet & Torre 2001).
16
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
-
Des travaux plus en marge de l’économie (souvent proposés par des chercheurs provenant
d’autres disciplines) qui tentent de simuler les réseaux de relations entre agents
économiques et leur évolution (Kirman 1999 passe en revue les principales approches).
Conclusion de la section
De la présentation, qui reste volontairement superficielle, de ces quelques programmes de
recherche, on retiendra plusieurs points communs, outre l’accent mis (de manière à chaque
fois différente) sur l’organisation : rationalité limitée, dépendance de la trajectoire historique
(donc importance de l’aspect dynamique), richesse des comportements possibles (et
potentiellement efficients). Néo-institutionnalisme et évolutionnisme tendent de plus en plus à
se rapprocher du courant dominant, ce qui leur vaut une bonne reconnaissance au sein du
monde académique.
Les différents travaux cités ci-dessus portent souvent sur des aspects bien précis de
l’économie, et les différents courants sont donc largement impossibles à comparer entre eux
sur le plan de leur intérêt scientifique. Chacun apporte un éclairage sur les phénomènes
d’organisation, ainsi :
- La microéconomie fournit des outils très généraux et rigoureux pour représenter les
mécanismes de pur marché, qui sont toujours présents, quelle que soit l’importance des
phénomènes d’organisation. En revanche, elle a du mal à intégrer les rapports
personnalisés et non marchands.
- Le néo-institutionnalisme explique de manière simple la coexistence de nombreuses
formes d’organisation industrielle. Cependant, l’explication des formes intermédiaires
entre marché et intégration au sein d’une hiérarchie reste à développer.
- L’évolutionnisme et la théorie des conventions expliquent notamment comment des
comportements coopératifs non optimaux à très court terme peuvent se maintenir voire
s’étendre. Elle n’accorde parfois pas une place suffisante aux comportements individuels
non coopératifs et certains modèles sont si abstraits qu’on n’y distingue plus l’activité
économique.
- La théorie de la régulation s’efforce de montrer l’importance de l’articulation entre les
différentes formes institutionnelles pour comprendre le fonctionnement des systèmes
économiques. Elle peut pécher par un excès de holisme et de téléologie, comme beaucoup
de démarches systémiques.
Ce constat d’hétérogénéité reflète la diversité des situations pour lesquelles on peut invoquer
un phénomène d’organisation : efficience des relations entre entreprises, apparition et
propagation de normes ou conventions nouvelles, effets de verrouillage dans l’évolution
économique, catalyseur d’innovations, alternatives de développement économique au niveau
de petits territoires… Une synthèse de ces différents travaux est donc à l’heure actuelle
illusoire. La démarche la plus sûre est de faire progresser chaque courant dans le sens d’un
élargissement de la classe de phénomènes qu’il peut expliquer. C’est la démarche choisie dans
ce mémoire à partir de la microéconomie.
Après avoir passé en revue ces différentes approches, nous pouvons à présent préciser les
différents mécanismes par lesquels l’organisation peut influer sur l’efficacité économique, et
examiner dans quelle mesure il est possible de classifier les systèmes productifs selon le type
d’organisation qui y prédomine.
17
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
1.2. Effets organisationnels et systèmes productifs localisés
Ayant présenté dans la section précédente les principaux courants concernés, nous allons ici
tenter de cerner les effets d’organisation, c’est-à-dire les mécanismes par lesquels les
phénomènes d’organisation économique influent sur l’efficience économique. Il ne s’agit pas
de tenter une synthèse des programmes de recherche précédemment évoqués, mais plutôt
d’expliciter plus clairement les mécanismes possibles au niveau des agents économiques. Une
revue rapide de quelques études de cas permettra d’illustrer ces effets d’organisation. Nous
considérerons alors la possibilité d’établir des typologies des modes d’organisation, adaptées
aux espaces ruraux, pour ensuite sélectionner plusieurs effets, parmi les plus significatifs, à
étudier dans le cadre de ce mémoire.
Il convient auparavant de donner quelques précisions sur la délimitation de ce travail. Le
présent mémoire se limite à l’étude de phénomènes d’organisation situés dans une zone
géographique restreinte, que l’on nommera territoire. La proximité géographique est
d’ailleurs supposée jouer un rôle dans ces phénomènes d’organisation. La notion de territoire
mériterait une définition plus précise, mais comme la suite du mémoire raisonne
essentiellement sur des entités géographiques abstraites, on se contentera de définir le
territoire comme une zone géographique contiguë appropriée par les agents économiques, et
dans laquelle ils exercent une certaine influence.
Nous nous intéresserons donc ici aux systèmes productifs localisés (SPL). Un SPL sera défini
comme un ensemble d’unités de production situées dans un même territoire et entretenant
entre elles des relations de nature diverse, plus ou moins intenses. Ce vocable est délicat à
employer car il recouvre des réalités et des théories sous-jacentes très différentes (Courlet
2001 fournit une analyse détaillée de la notion et des travaux empiriques et théoriques
l’utilisant). Un système productif localisé peut donc être constitué d’activités plus ou moins
hétérogènes, plus ou moins interdépendantes, avec plus ou moins de cohérence et de
coopération, ayant des liens avec l’extérieur de types variés. Toutefois, à cette étape de la
réflexion sur les phénomènes d’organisation, le caractère imprécis de la notion de SPL est
aussi un avantage pour se permettre d’étudier des mécanismes variés.
1.2.1. Les effets d’organisation
La question qui nous préoccupe ici est de savoir par quels mécanismes l’organisation peut
influencer la compétitivité du système productif. La réalité de cette influence est manifeste :
ainsi, les réussites et les échecs de la politique de création de métropoles d’équilibre en France
ou dans les PVD montrent bien que le processus d’industrie industrialisante dans les pôles de
croissance, découlant des effets d’entraînements marchands directs et indirects (Perroux 1955)
n’est en rien automatique, quand bien même le capital injecté est important (cf. par exemple
Lipietz 2001). Mais cette constatation est trop générale pour être exploitable directement. Il
convient de s’interroger sur ce qui fonde cette plus grande efficacité productive.
Pour accroître la rentabilité d’une activité, nous allons distinguer :
- la baisse des coûts de production, grâce à une technologie (au sens large, incluant le
facteur travail) plus efficace et une diminution du coût des intrants (y compris coûts de
transaction).
- l’accès moins coûteux à un marché plus vaste, grâce à la baisse des coûts de transport (ou
plus généralement de la distance) et de distribution (y compris coûts de transaction)
- la stimulation de la demande grâce à l’attribution de caractéristiques qualitatives
recherchées par les consommateurs (principe de différenciation).
18
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
Ces trois types de « sources de rentabilité » constituent une première clé de lecture des effets
d’organisation.
D’autre part, la discussion sur la nécessité de prendre en compte les mécanismes non
marchands et la revue des différents programmes de recherche de la section précédente,
permettent de dégager deux grands types de mécanismes au niveau des agents économiques,
sur lesquels l’organisation peut avoir un impact décisif :
- Les effets externes, dans le prolongement des travaux de Marshall, qui se retrouvent dans
le courant évolutionniste, mais peuvent aussi être intégrées dans un formalisme
microéconomique (cf. par ex. Fujita & Ogawa 1982, ou Soubeyran & Thisse 1999). Dans
ces travaux, la fonction de gain des agents économiques dépend de leur interaction avec
leurs voisins.
- L’importance des coûts de transaction dans certaines situations, qui concerne donc surtout
l’approche néo-institutionnaliste. Cette fois, l’organisation est étudiée non seulement entre
les agents, mais aussi « à l’intérieur des agents » que sont les entreprises, dont les
frontières peuvent être floues.
Ces deux types de mécanismes peuvent en toute généralité transiter ou non par le marché,
mais ont en commun d’être fortement influencés par la nature des relations personnelles entre
agents économiques. Leur étude nécessite de rompre le « voile des prix » et l’anonymat des
agents. Nous pouvons à présent croiser les sources de rentabilité et les types de mécanismes
pour proposer une classification des effets d’organisation territoriale possibles :
Effets externes positifs
Baisse
- Complémentarités verticales :
des coûts de cohérence du système input-output
production
- Qualités de la main-d’œuvre : docilité,
effort, motivation…
- Autorenforcement des compétences :
expérience, turnover important,
formation sur le tas
- Circulation de l’information sur les
évolutions techniques.
- Coopérations ponctuelles de type
donnant-donnant
Baisse de
- Biens utilisés en commun :
coût d’accès infrastructures, réseaux…
aux marchés - Fidélité locale aux produits locaux
- Barrières à l’entrée pour créer une
situation de collusion pour des produits
très spécifiques.
Adéquation - Circulation de l’information sur les
à la demande marchés extérieurs.
- Atmosphère propice à l’innovation
grâce à un dosage équilibré de
concurrence et de coopération.
- Complémentarités horizontales :
production de biens associés
- Réactivité aux chocs extérieurs : grâce
à la diversité et aux complémentarités
du tissu productif local
19
Economies de coûts de transaction
- Accès préférentiel à des ressources
naturelles locales
- Accès plus aisé au crédit (mobilisation
de l’épargne locale, réputation…)
- Main-d’œuvre spécialisée et adaptée
aux besoins, disponible sur place, et
« captive », d’où appariement efficace
- Fidélité aux fournisseurs locaux sans
que ceux-ci abusent d’une situation de
monopole.
- Mobilisation efficace de distributeurs
adaptés au produit.
- Tarifs préférentiels pour des livraisons
communes (négociations communes,
économies de coût fixe).
- Confiance sur la qualité des produits :
économie de recherche d’information de
la part des consommateurs et des
distributeurs.
- Autres effets de réputation, par exemple
économie de frais de publicité,…
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
On note à nouveau que la notion d’organisation a ici une acception très vaste : le climat
social, et l’identité locale sont inclus dans l’analyse, dans la mesure où ces aspects se
traduisent par une cohésion au niveau des relations interpersonnelles. De même, la notion
d’effet externe inclut effets pécuniaires et non pécuniaires.
La distinction entre effets externes et coûts de transaction est parfois litigieuse (d’ailleurs
certains auteurs comme Coase considèrent que les deux mécanismes sont intrinsèquement
liés). Ainsi, l’accès préférentiel à des ressources naturelles locales pourrait aussi être
considéré comme une externalité positive. Les coopérations ponctuelles ne sont pas vraiment
des effets externes au sens strict, mais en sont proches : la firme qui prête une machine exerce
bien un effet sur la fonction objectif d’une autre firme sans répercussion dans les prix. D’autre
part, certains effets sont à double face. Par exemple, l’autorenforcement des compétences
constitue une externalité positive du point de vue de la production pour les firmes (en
l’absence d’organisation, elles n’auraient pas intérêt à donner à leurs employés des
compétences pouvant profiter aux autres firmes). Il permet une économie de coût de
transaction du point de vue du recrutement, à la fois pour les travailleurs et les firmes.
Rappelons que cette classification n’a pas pour ambition de transcender les différentes
recherches sur les phénomènes d’organisation économique, mais d’approfondir l’analyse de la
diversité des relations possibles entre organisation et efficacité économique.
Il faut aussi souligner que les phénomènes d’emploi en milieu rural (comme ailleurs) sont
bien plus complexes que ce que le tableau ci-dessus le suggère. De plus, l’argument de bon
appariement des travailleurs aux employeurs en milieu rural est à double tranchant : il peut
aussi indiquer une certaine difficulté à innover et à évoluer. De fait, l’urbanisation facilite
aussi un bon appariement, par des réseaux autres que l’interconnaissance, à cause de la
diversité des emplois et des travailleurs, mais dans ce cas avec (au contraire du milieu rural)
une grande faculté d’adaptation.
Certains travaux tentent une description plus fine des mécanismes élémentaires à l’œuvre
dans les systèmes localisés de production. Par exemple, Perrat (2001) propose une clé de
lecture détaillée des différents types d’externalités, croisant une approche « fonctionnelle »
avec une approche « substantielle ». Nous nous en tiendrons à cette classification simple, qui
va nous servir à examiner les développements possibles en matière de formalisation des effets
d’organisation. En vue de l’exploiter dans la suite du document, nous allons présenter
différemment les mécanismes identifiés de la manière suivante, qui regroupe les effets
d’organisation par élément du processus de production concerné :
a) Accès et prix des facteurs : accès préférentiel à des ressources naturelles locales, accès
préférentiel au crédit, main-d’œuvre spécialisée, captive, acceptant des salaires inférieurs.
b) Efficacité interne aux firmes : qualités de la main-d’œuvre, autorenforcement des
compétences.
c) Relations entre firmes : complémentarités verticales et coopérations ponctuelles
circulation de l’information technique, circulation de l’information sur les marchés, fidélité
aux fournisseurs locaux, biens utilisés en commun.
d) Relations avec les marchés : tarifs préférentiels, mobilisation efficace des distributeurs,
fidélité aux produits locaux, barrières à l’entrée.
20
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
e) Nature de la demande : atmosphère propice à l’innovation, confiance sur la qualité des
produits, complémentarités horizontales, baisse des coûts de publicité, réactivité aux chocs
exogènes.
Voyons à présent quelques exemples concrets de situations en zone rurale dans lesquelles des
effets d’organisation parmi ceux que nous venons d’énumérer interviennent.
1.2.2. Quelques études de cas en zone rurale
Il existe de nombreuses monographies sur des territoires ruraux qui ont, parfois contre toute
attente, connu une dynamique de développement économique, en général attribuée pour partie
à leur capacité d’organisation. Ces territoires se situent souvent dans des régions tenues à
l’écart de la révolution industrielle, et qui ont longtemps gardé une base productive fortement
agricole (Pecqueur 2000). Afin de donner une idée de la diversité de ces contributions, nous
présentons ici brièvement quelques cas qui ont fait l’objet d’une analyse théorique. Les
concepts théoriques mobilisés dans ces travaux sont fort divers et illustrent bien la diversité
des approches possibles : aucune de ces études de cas ne se réfère entièrement à l’un des
programmes de recherche cités plus haut.
L’ordre adopté dans cette liste correspond d’abord aux cas les plus exemplaires en matière
d’industrialisation rurale, pour donner de plus en plus de poids aux exemples de
développement basé sur l’agriculture.
1.2.2.1. Districts italiens (Beccatini 1988)
Il s’agit de la référence incontournable en matière de systèmes productifs localisés. Les
travaux de Beccatini ont remis à l’honneur les districts industriels étudiés par Marshall. Parmi
la centaine de districts de la « Troisième Italie » recensés dans les années 70 et 80 (le nombre
est variable selon les auteurs), certains comme celui de Prato sont exemplaires. On y retrouve
tous les attributs de la philosophie du développement local : forte imbrication petites
entreprises – travailleurs – territoire, fidélité de la clientèle extérieure (grâce à l’image du
territoire), division très poussée du travail, grande flexibilité, grande mobilité interne du
travail, pléthore d’innovations, économies d’échelle externes, autonomie, et parfois, soutien
actif du secteur public…
C’est le modèle des districts italiens qui a en partie déclenché certains travaux enthousiastes
sur l’émergence du modèle dit d’accumulation flexible (Piore & Sabel 1982), proposé comme
paradigme émergent du « post-fordisme ». Mais il faut reconnaître que le cas semble plutôt
isolé, dû à la conjonction fortuite de facteurs particulièrement favorables. Une analyse
approfondie montre que les autres exemples de systèmes assimilés à ces districts (Amin &
Robins 1989) ne partagent en réalité avec eux que peu de caractéristiques. Ainsi, on a voulu
voir dans l’Orange County et la Silicon Valley aux Etats-Unis de bons modèles non italiens
(Markusen, 2000), mais la comparaison s’avère en fait peu satisfaisante.
Il faut donc retenir que l’exemple des districts industriels italiens n’est pas nécessairement le
plus éclairant pour comprendre les voies possibles du développement rural.
1.2.2.2. Oyonnax (Dupuy, Gilly, Perrat 2001)
Jusque dans les années 80, la « plastic vallée » avait connu une évolution quasiment
exemplaire, sur le modèle d’un district marshallien, à partir d’une activité artisanale
traditionnelle autour des métiers du bois. Elle conjuguait concurrence et coopération, avec des
incitations fortes aux travailleurs (promotions internes et externes). Puis, face à la pression des
donneurs d’ordres, le district a connu un éclatement : forte hiérarchisation, délocalisations,
21
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
difficultés avec le système de formation, rupture des relations d’emploi. Actuellement, ce
système productif local est encore à la recherche d’un nouveau mode de gouvernance. Ce cas
illustre à quel point la réussite à long terme d’un territoire dépend de sa capacité d’adaptation.
1.2.2.3. Vallée de l’Eyrieux, Diois, et Maurienne (Guérin, Aubert, Perrier-Cornet, Sylvestre
1998, Guérin & Perrier-Cornet 2000)
Ces études de cas ont pour but de comparer trois territoires contrastés, à l’aide d’une grille de
lecture basée sur le type de structure de gouvernance, et le type de stratégie prévalant pour
maintenir ou développer l’activité économique. Dans la vallée de l’Eyrieux, la gouvernance
est de type privé (industrie), et on observe la permanence d’un mode de production ancien
(industrie rurale) mais avec réalisme (délocalisation partielle dans les PVD). Les synergies
entre firmes sont rares, mais la relation d’emploi est de type paternaliste, avec d’assez hauts
salaires. De ce fait, un fort sentiment d’appartenance existe au sein de la main d’œuvre, avec
de fortes barrières à l’entrée aux personnes extérieures (facilitées d’ailleurs par une situation
géographique enclavée). Dans le Diois, la gouvernance est de type publique (district rural de
développement), et cherche à faciliter le développement de coordinations non marchandes. La
stratégie se base sur la valorisation des aménités (tourisme, produits de qualité), mais il existe
peu de prospection d’entreprises extérieures (il n’existe pas d’entreprise motrice). Un
sentiment d’appartenance est en construction, et les animateurs du territoire affichent une
forte volonté d’accueil, grâce à une situation géographique ouverte (autoroute). Dans la
Maurienne enfin, une gouvernance publique est en construction, rendue nécessaire par la
reconversion industrielle en cours dans la vallée, qui s’oppose à une montagne touristique
(sports d’hiver). La dépendance externe est forte (beaucoup d’entreprises locales sont des
filiales), et la situation géographique assez enclavée, ce qui rend difficile le processus de
développement.
1.2.2.4. PNR du Haut Languedoc et du Lubéron (Bertrand, Guérin, Moquay, Vollet 2000)
Cette étude de cas compare deux types de trajectoires en matière de dynamique des
entreprises dans deux zones à fortes aménités rurales qui ont le statut de parc naturel régional.
Dans le Lubéron, on assiste à un développement du tertiaire, facilité par l’attrait du cadre de
vie pour les créateurs et cadres mais handicapé parfois par la difficulté à trouver un personnel
adapté à l’activité économique. Le Haut Languedoc, plus précisément la région du Sidobre,
reste caractérisée par la domination de l’industrie d’extraction du granit, avec quelques
coordinations existantes entre industries. En revanche, on note une sous-utilisation des
structures publiques destinées à dynamiser l’activité économique.
1.2.2.5.Aubrac et Cézallier (Diry, Guérin, Vollet 2000)
Cet article compare également deux territoires ruraux de caractéristiques initiales analogues,
mais connaissant des évolutions opposées.Dans l’Aubrac, une gouvernance mixte
publique/privée est identifiée. Bien que l’agriculture reste dominante, et l’industrie peu
présente, il existe une dynamique depuis le début des années 90, avec l’essai de
développement d’un tourisme vert relativement peu créateur d’emplois, malgré des indices de
la présence d’une rente de qualité territoriale associant produits agricoles (AOC), artisanaux
(coutellerie) et touristiques (cette étude peut être rapprochée de celle de Lacroix, Mollard &
Pecqueur (2000) sur la rente de qualité territoriale dans la région de Nyons). En revanche,
dans le Cézallier, l’action publique semble globalement peu dynamique (malgré une
communauté de communes), il n’existe pas d’initiative de coordination de l’activité
économique. De plus, l’agriculture, qui reste largement dominante, subit une « colonisation de
terres par des extérieurs » (notamment Aveyronnais).
22
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
1.2.2.6. Les SPL de Castilla y Leon (Juste Carillon 1997)
Cette étude met en évidence le faible nombre de SPL en Castilla y Leon (en comparaison du
reste de la péninsule ibérique), et leur fragilité due à leur spécialisation (IAA et bois),
l’atomisation des unités, la faible capacité d’investissement et leur faible intégration
internationale alors que la concurrence est de plus en plus vive. Elle suggère comme
opportunités de tirer parti de la flexibilité d’adaptation, de mettre en valeur la qualité et la
spécificité des produits, la coordination et la coopération entre entreprise (avec un certain
niveau de concentration, inévitable et déjà en cours).
1.2.2.7. Les différentes filières AOC (Perrier-Cornet & Sylvander 2000)
Bien qu’un modèle d’intégration territoriale (gestion collective, forte coordination de
moyens…) semble devoir être la règle, des types de gouvernance purement sectoriels (basés
sur la concurrence et l’individualisme) existent aussi. Quatre types de systèmes peuvent être
distingués : gouvernance sectorielle pure, gouvernance sectorielle AOC, gouvernance
territoriale faible, gouvernance territoriale forte. La comparaison la plus flagrante est celle
entre l’AOC Comté (où une rente importante est captée par les producteurs), et les AOC du
Massif central (où le prix du lait valorisé en AOC ne connaît pas de majoration).
1.2.2.8. Rhöngold (Knickel & Renting 2000)
Cette étude concerne la mise en place d’une stratégie de développement intégré (agriculture,
tourisme, services) basée sur la mise en valeur d’une réserve biologique UNESCO, et une
laiterie biologique. Elle analyse des interactions entre composants et met en évidence des
effets directs et indirects, et les synergies possibles. Elle considère l’environnement comme
un avantage comparatif majeur, source de nombreux effets d’entraînements, à condition que
l’organisation locale permette de garantir la préservation de sa qualité.
1.2.2.9. Synthèse
Reprenons les études de cas citées ici, à la lumière de la classification proposée en § 1.2.1., et
tentons de citer pour chaque cas les effets principaux invoqués, ainsi que l’activité
économique sur lequel ils portent :
Districts italiens
Oyonnax
Vallée de l’Eyrieux
Diois
Maurienne
Lubéron
Haut Languedoc
Aubrac
Cézallier
Castilla y Leon
Filières AOC
Rhöngold
Activité motrice
principale
Industrie spécialisée
Effets organisationnels principaux
Plasturgie
Industries diverses
Tourisme et produits de
qualité
Tourisme, à définir pour
la vallée.
Tertiaire
Industrie du granit
Tourisme vert, produits
de qualité.
Agriculture
IAA et bois
Produits de qualité
Tourisme et produits de
qualité.
23
Complémentarités verticales, qualité de la
main-d’œuvre, effets de réputation
Main-d’œuvre captive, synergies à retrouver
Main-d’œuvre spécialisée et docile.
Complémentarités horizontales, effets de
réputation
Circulation de l’information favorisée par
l’intervention publique ?
Circulation de l’information ?
Accès préférentiel à des ressources locales.
Complémentarités horizontales, effets de
réputation
Fidélité aux produits locaux ?
A mettre en place
Barrières à l’entrée, effets de réputation
Complémentarités horizontales, effets de
réputation
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
Ce tableau synthétique n’épuise pas, bien entendu, toutes les observations qu’il est possible de
faire sur les mécanismes à l’œuvre dans ces territoires, puisqu’il ne fait que reprendre, avec le
vocabulaire de la sous-section précédente, les effets qui sont le plus mis en avant dans les
études de cas citées plus haut. Il illustre surtout la diversité des territoires du point de vue de
ces mécanismes. Certains semblent associés à certaines activités, comme les
complémentarités horizontales avec la valorisation des aménités rurales. Pour aller plus loin,
nous allons à présent nous situer non plus au niveau des mécanismes entre agents
économiques, mais aborder la caractérisation des territoires dans leur ensemble, et leur
dynamisme économique global.
1.2.3. Quels éléments discriminants pour caractériser les territoires ?
Dans cette sous-section, nous examinons dans quelle mesure il est possible de caractériser
globalement l’organisation économique d’un territoire, et tentons d’établir un lien avec
certains mécanismes présentés dans la sous-section 1.2.1. Cette discussion permettra de
circonscrire davantage la problématique du mémoire, qui est l’objet de la section suivante.
1.2.3.1. Quelques typologies de l’organisation des territoires existantes dans la littérature
Les études de cas citées dans la sous-section précédente adoptent des méthodologies variées.
Plusieurs classifications et typologies des modes d’organisation des territoires ont été
proposés au sein ou en marge de ces travaux. En voici quelques exemples, volontairement
hétérogènes :
- Aubert, Guérin & Perrier-Cornet (2001) investissent la notion de capital organisationnel
dans les territoires. A l’image du capital matériel ou humain, le capital organisationnel
pourrait faire l’objet d’une accumulation, d’un amortissement, et pourrait être considéré
comme un facteur de production.
- Storper & Harisson (1992) croisent l’intensité hiérarchique du système (système « tout
halo » sans hiérarchie, « halo-noyau » avec coordination par une firme dominante sans
rapports hiérarchiques forts, « halo-noyau » avec forte hiérarchie) avec la distribution de
taille des entreprises et leur concentration spatiale.
- Guérin (1999) distingue coordinations marchandes (sous-traitance, par exemple) et non
marchandes (partage d’informations, formations…), et croise cette distinction avec
l’intensité relative de l’intervention privée et publique dans la coordination.
- Pecqueur (2000) et Colletis et al. (1999), et Dupuy, Gilly & Perrat (2001) ciblent leur
analyse sur la gouvernance, qui peut être privée, privée collective, publique ou mixte. Ils
définissent trois types de trajectoires territoriales : agglomération, spécialisation,
spécification. En outre, ils distinguent le fonctionnement des systèmes productifs localisés
à industrialisation diffuse et incubateurs (associant étroitement recherche, formation et
production).
- Perrier-Cornet & Sylvander (2000) distinguent quatre modes de gouvernance (cf. supra
§1.2.2.7.) pour les systèmes AOC, empruntés à Barjolles, Chappuis & Sylvander (1998).
- Markusen (2000) distingue quatre types de systèmes productifs industriels (« lieux
aimants » : district marshallien, district « moyeu-rayon », district « satellite », et districts
d’Etat (dont l’activité dépend d’un établissement public important).
- Jayet (1996) oppose deux cas extrêmes d’organisation des groupes d’agents. Dans le
premier, archétype du rural, l’interconnaissance, les barrières à l’entrée et à la sortie sont
fortes et les acquis organisationnels très spécifiques. Dans l’autre, la mobilité et la liberté
personnelles sont plus grandes, au prix d’une plus grande insécurité économique et
sociale.
24
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
Ces analyses se focalisent sur des aspects très divers qu’il est difficile (et sans doute inutile à
ce stade) d’essayer d’unifier. Les typologies obtenues sont nécessairement stylisées, et les
mécanismes élémentaires difficiles à discerner. On peut remarquer que beaucoup insistent
particulièrement sur le mode de gouvernance qui prévaut dans les territoires. Cet aspect ne
sera pas traité dans la suite, car ses relations avec les phénomènes économiques sont encore
mal définies et il est trop complexe pour être replacé au niveau microéconomique qui sera le
notre dans la suite du mémoire. Nous laisserons en particulier de côté la distinction
public/privé. Cependant, la conclusion du mémoire reviendra sur l’intérêt de ce concept de
gouvernance.
En revanche, il est possible de relever dans ces typologies deux critères possibles de
classification au niveau des territoires, qui semblent particulièrement importants et peuvent
être reliés directement à des mécanismes microéconomiques. Ces critères sont communs, sous
des formes variables, à plusieurs typologies, et figurent tous deux en bonne place dans le
« paradigme du développement local ».
1.2.3.2. Deux critères de différenciation particulièrement mis en avant dans les typologies
Ces deux critères sont les suivants :
a)
En premier lieu, le degré d’interaction et de complémentarité entre éléments
locaux de la vie économique. Il traduit au niveau du territoire les effets élémentaires liés
aux relations entre firmes locales, l’efficacité d’appariement de la main-d’œuvre, et
parfois aussi des complémentarités horizontales.
Ce critère oppose par exemple district marshallien et district satellite dans Markusen
(2000), système « tout halo » et « halo-noyau hiérarchisé » dans Storper & Harisson
(1991). Il oppose aussi les systèmes productifs intégrés et les systèmes basés sur des
filières indépendantes (gouvernance territoriale contre gouvernance sectorielle chez
Perrier-Cornet & Sylvander (2000)). On retrouve aussi la même idée dans Saxenian
(1994), qui oppose le dynamisme (dû à l’efficacité des réseaux locaux et ouverts sur
l’extérieur) de la Silicon Valley, au déclin de la route 128… Ces complémentarités ne
sont pas restreintes aux relations input-output entre firmes : elles incluent les liens avec la
main d’œuvre et les ressources naturelles. La relation d’emploi joue un rôle important, en
particulier en zone rurale : d’une part par le biais de la structuration du marché du travail
(théorie de la segmentation), d’autre part parce que les aspects sociologiques expliquent
en partie la stabilité de la main d’œuvre rurale, et ses relations avec le patronat.
Ce premier critère est directement lié à l’organisation économique à l’échelle de ces
territoires, et il est souvent mis en avant dans les discours sur le « développement intégré
des territoires » (LOADDT par exemple). En prenant une métaphore écologique, il est
souvent affirmé que plus les interdépendances sont nombreuses au sein d’un écosystème,
plus celui-ci est robuste face à une modification exogène (cf. par exemple Passet 1996).
Ce critère est directement lié aux effets de baisse des coûts de production, plus
particulièrement de complémentarité verticale, de qualité de la main d’œuvre, de main
d’œuvre spécialisée, et d’accès préférentiel à des ressources naturelles locales.
b)
Deuxièmement, la nature de l’avantage comparatif recherché ou le type de
stratégie de compétitivité, en opposant stratégies basée sur la baisse de coûts et sur la
différenciation et l’innovation. Cette dichotomie est classique et on la retrouve par
exemple en toile de fond dans la littérature sur les systèmes AOC, ainsi que celle sur la
spécialisation flexible. Une stratégie axée sur la différenciation correspond à l’activation
des effets d’organisation suivants : atmosphère propice à l’innovation, mise en confiance
sur la qualité des produits, ainsi que réactivité aux chocs exogènes et parfois
complémentarités horizontales et barrière à l’entrée.
25
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
Ce second aspect ne concerne pas directement l’organisation, puisqu’il est relatif au type
de stratégie de compétitivité. Néanmoins, dans le paradigme du développement local, on
considère usuellement :
- d’une part que les espaces ruraux n’ont pas avantage à jouer sur la concurrence par les
prix (hormis pour les ressources naturelles),
- d’autre part que les stratégies de différenciation, nécessairement innovantes, sont
facilitées par l’efficacité de l’organisation territoriale en place.
Il faut bien sûr que l’avantage comparatif, basé sur des ressources spécifiques, existe, ce
qui n’est pas nécessairement le cas. Il peut aussi exister des ressources spécifiques qui ne
débouchent pas sur un produit recherché par les consommateurs !
Nous allons donc à partir de maintenant nous concentrer sur ces deux critères, que l’on
retrouve à la fois dans la littérature académique et dans les démarches de développement
local. Ils ne vont pas nécessairement de pair, et surtout il faut souligner que rien n’assure qu’il
est possible d’attribuer une « note » à chaque territoire, même de petite taille, selon ces
critères, qui sont assez réducteurs. Un territoire donné peut avoir diverses activités motrices,
qui n’ont pas nécessairement des caractéristiques homogènes. Ainsi, une stratégie dynamique
de différenciation pourra prévaloir dans une certaine activité, tandis qu’une autre cherchera à
abaisser ses coûts au maximum pour être compétitive.
Dans les monographies, où l’on cherche des territoires intéressants à décrire, on peut
s’attendre à trouver des situations « stylisées ». Les monographies éclairent les processus en
jeu, mais il faut bien être conscient des écueils dans les tentatives de généralisation de leurs
résultats.
1.2.3.3. Application aux études de cas précédentes
Il est maintenant possible de classer les territoires cités dans la sous-section 1.2.2. à l’aide de
ces deux critères. Rappelons à nouveau que ces territoires ont été nécessairement choisis en
raison de leur typicité au regard de leur réussite économique et de la qualité de leur
organisation locale.
Districts italiens
Oyonnax
Vallée de l’Eyrieux
Diois
Maurienne
Lubéron
Haut Languedoc
Aubrac
Cézallier
Castilla y Leon
Filières AOC
Rhöngold
Interaction et complémentarité
entre agents
Forte
Forte, en reconstruction
Globalement faible, mais forte
entre main-d’œuvre et firmes
Faible mais croissante
Faible
Faible
Moyenne
Forte
Faible
Faible
Variable
Forte
Type de stratégie de compétitivité
Différenciation et baisse des coûts
Baisse des coûts
Baisse des coûts
Différenciation
Réorientation vers différenciation
Différenciation
Baisse des coûts
Différenciation
Inexistante (activités en déclin)
Baisse des coûts
Différenciation, mais produit unique
Différenciation
On voit qu’avec cette grille simple, il existe déjà une grande diversité de situations, et que
l’état à un instant donné n’est pas nécessairement analogue à la dynamique en cours. Il
convient donc de prendre en compte l’évolution temporelle pour juger de l’efficience du
système. Comme nous l’avons dit en introduction au sujet du développement local, les
26
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
trajectoires des territoires peuvent connaître de multiples retournements en fonction des
évolutions internes et externes.
Le degré d’interaction et de complémentarité locale semble être un élément déterminant dans
les territoires considérés comme dynamiques dans les études de cas. En revanche, la
différenciation des produits n’est pas nécessairement la stratégie adoptée par les territoires
dont le système de production est performant. Ainsi, une des forces des districts italiens est de
parvenir à diminuer les coûts de production et de s’adapter rapidement aux marchés, l’image
du produit ne servant que d’appoint. De plus, le cas de la vallée de l’Eyrieux montre qu’une
complémentarité faible et une stratégie de baisse des coûts ne sont pas nécessairement
synonyme de régression économique, du moins à moyen terme : ce système de production
réussit à se maintenir grâce à une forte intégration de la main-d’œuvre, et une politique
réaliste de diminution des coûts (délocalisation partielle).
Conclusion de la section
Dans cette section, nous avons examiné l’importance de l’organisation dans les phénomènes
économiques, avec deux points de vue très différents :
- La description de mécanismes élémentaires liés à l’organisation
- La définition de types de systèmes productifs différant par leur mode d’organisation
Comme il fallait s’y attendre, on constate que ces deux niveaux sont difficiles à relier. D’un
côté, on liste des mécanismes précis, mais qui ne sont jamais isolés et interagissent fortement
entre eux. De l’autre, on utilise des termes vagues tels que « halo et noyau », « coordinations
non marchandes », « complémentarités »,… qui recouvrent un ensemble de phénomènes
difficiles à observer et à mesurer, et qui découlent pourtant bien des mécanismes élémentaires.
Les caractérisations des territoires, provenant de jugements synthétiques, ont un caractère
intuitif, flou, insaisissable, comme d’ailleurs le concept général d’organisation. Elles ne
donnent de résultats flagrants que dans certains cas exemplaires.
Nous rencontrons ici, sous une forme particulière, l’opposition habituelle entre individualisme
et holisme, qui contribue pour une grande part à la difficulté des sciences sociales, en
particulier la macroéconomie et la sociologie. En l’occurrence, il s’agit de l’émergence de
caractéristiques organisationnelles, qui de surcroît interagissent avec l’efficacité économique.
De plus, comme on l’a vu, rien ne garantit qu’il soit possible, pour un territoire donné,
d’identifier de telles caractéristiques organisationnelles globales. Une questions sous-jacente à
ce travail est d’ailleurs de savoir s’il est possible de justifier l’attribution de telles
caractéristiques à un territoire en dehors des cas exemplaires de la littérature (toutefois, l’état
encore fruste du travail théorique ne permettra que d’y apporter un début de réponse).
Autre difficulté, beaucoup de travaux relatifs à l’organisation sont de nature taxonomique ou
inductive : ils donnent des clés de lecture pour appréhender les phénomènes non marchands,
et tentent d’établir des typologies en rassemblant des cas particuliers. Or, pour être complète,
une démarche scientifique doit comprendre l’explicitation de mécanismes économiques, dans
le but d’obtenir des énoncés de nature inférentielle, auxquels il sera possible de faire subir des
tests empiriques. Comme on l’a vu dans cette revue, certes succincte, d’études de cas et de
typologies, il n’est pas aisé de déceler des régularités à l’échelle des territoires, qui pourraient
se prêter à une démarche hypothético-déductive. Dans ce but, le parti-pris de ce travail est de
se situer au niveau microéconomique.
27
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
1.3. Problématique du travail théorique de ce mémoire
Cette section expose les points sur lesquels ce mémoire se propose d’apporter un
approfondissement, ainsi que les méthodes utilisées. Elle présente d’abord les objectifs
généraux : il s’agit, d’une part, d’appréhender la façon dont les effets organisationnels
peuvent être incorporés dans des modèles formalisés de type microéconomique, et d’autre
part, de tirer quelques implications de tels modèles. Elle expose ensuite le déroulement
général du travail. Enfin, une dernière sous-section précise les questions qui n’ont pu être
traitées dans le cadre du DEA.
1.3.1. Objectifs, démarche générale adoptés et leur justification
Dans le but de contribuer à la compréhension de l’impact de phénomènes d’organisation sur
l’activité économique en zone rurale, l’idée de base du mémoire est d’incorporer des effets
organisationnels dans un formalisme microéconomique. Les caractéristiques de l’espace rural
(caractère par définition économiquement « peu dense », opportunités de développement
innovant reposant surtout sur l’organisation), en font un espace bien adapté à ce genre
d’analyse. Il semble plus facile d’y isoler un effet propre dû à l’organisation.
Pourquoi se situer dans le formalisme microéconomique ? Quelles que puissent être ses
insuffisances pour décrire l’ensemble des phénomènes économiques actuels, la théorie
néoclassique représente de manière convaincante les mécanismes économiques les plus
importants, et constitue un point de départ incontournable. A l’inverse, on a vu que les
approches alternatives se concentraient sur certains aspects particuliers, certes essentiels dans
certaines situations et à certaines échelles, mais restaient encore insuffisantes pour
appréhender de manière générale le fonctionnement d’ensemble d’un système productif
localisé. Ainsi, le formalisme utilisé en théorie néo-institutionnaliste résume les aspects
productifs de façon encore plus simplifiée que la théorie néo-classique, dans la mesure où il
est conçu pour comparer des mécanismes de nature très différente (échanges marchands,
hiérarchie). Il en est de même de celui utilisé dans les travaux évolutionnistes. Tous deux
peuvent très difficilement incorporer explicitement les relations marchandes entre travailleurs
/ ménages et firmes.
En outre, la microéconomie dispose d’une grande maturité dans l’explicitation et la
formalisation de ses concepts. Il semble donc plus prometteur d’incorporer certains effets
organisationnels dans un formalisme néoclassique que de tenter une fusion d’approches
reposant sur des raisonnements radicalement différents.
Cependant, partir du formalisme microéconomique n’est pas non plus évident. Une première
difficulté est qu’en matière d’effets d’organisation, on a du mal à trouver des grandeurs
dénombrables (comme un nombre d’entreprises), mesurables (comme un profit), ou
comparables (comme une satisfaction personnelle qui permet de poser une fonction d’utilité),
qui permettraient une extension naturelle du cadre formel. Les phénomènes d’organisation
découlent de liens de nature diverse entre des individus précis. La superposition d’un réseau
de relations avec des fonctions objectif est possible, mais difficile à mettre en œuvre.
De ces difficultés découle la question du niveau de représentation de l’organisation. En
microéconomie, nous raisonnons au niveau d’agents individuels. Mais plusieurs possibilités
existent pour incorporer des phénomènes d’organisation :
- On peut supposer que certains agents bénéficient des caractéristiques organisationnelles
du système productif auquel ils appartiennent, par exemple par une baisse des coûts totaux
ou des besoins en intrants extérieurs. Dans ce cas, on adopte un point de vue holiste : les
28
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
-
-
effets de l’organisation sont exogènes, il est impossible de préciser les mécanismes à
l’origine de ces avantages. La forme fonctionnelle de l’impact de l’organisation sur les
fonctions objectif des agents ne peut être qu’arbitraire ou découler de commodités de
calcul.
On peut tenter de décrire plusieurs possibilités de réseaux de relations entre agents, et
doter ces derniers de fonctions objectifs et de règles de comportement. Dans ce cas, les
conséquences de l’organisation sur l’ensemble du système productif sont totalement
endogènes. Etant données les difficultés auxquelles est confrontée la théorie des
conventions dans un cadre encore plus simple, cette démarche semble encore hors de
portée6. Toutefois, elle est réalisable dans des cas très simples comme la collusion parfaite
au sein d’un cartel.
On peut proposer une démarche intermédiaire : différencier les relations entre agents
économiques (par exemple ceux du SPL et les autres), au travers d’une modification des
fonctions objectifs, qui reste arbitraire ou de convenance. Par exemple, supposer que
l’embauche de travailleurs locaux occasionne moins de coûts que celle de travailleurs
extérieurs.
Le choix du premier type de démarche risque d’aboutir à des résultats particulièrement
tautologiques, du genre : il existe des économies d’organisation, donc le système est plus
efficace. Ce genre d’approche ne donne néanmoins pas nécessairement que des banalités.
D’une part, il peut déboucher sur des mesures empiriques de l’importance d’effets
d’organisation au travers des résultats économiques. D’autre part, il peut éclairer les
mécanismes de transmission de cette efficacité organisationnelle sur les autres phénomènes
économiques, et en particulier la façon dont un territoire peut se différencier des autres, ainsi
que les conséquences en matière de bien-être collectif des effets organisationnels.
Le troisième type de démarche semble à première vue réaliser un bon compromis entre les
inconvénients d’une diminution arbitraire des coûts et la difficulté de l’agrégation des effets
d’organisation au niveau du système productif. Elle sera donc privilégiée dans la suite.
Concernant à présent le choix des interactions à prendre en compte dans les modèles que nous
allons étudier, le système productif localisé sera représenté de manière complète, c’est–à-dire,
inclura les relations entre firmes, et entre firmes et ménages. D’autre part, la prise en compte
de l’extérieur est indispensable. Dans un contexte où l’internationalisation des capitaux, et la
concentration des entreprises au niveau mondial se poursuit, l’étude des systèmes productifs
localisés ne peut se dispenser de la prise en compte du marché extérieur. La réussite d’un SPL
en dépend en grande partie (Amin et Robbins 1990, Storper & Harisson 1991, Greffe
1996…). En particulier, la fragilité du système face à des changements exogènes doit être
appréhendée.
Les modèles d’économie géographique, qui considèrent deux régions, dont l’une est souvent
concentrée ou « dominante » sont un bon candidat pour réaliser cette tâche. La région
« dominante » peut à la fois représenter l’élément déterminant de la demande de produits de la
petite région, et imposer des contraintes en matière de prix et de salaires. Ces modèles
présentent en outre l’avantage d’incorporer des rendements croissants (en grande partie
responsables de l’hétérogénéité spatiale) et de représenter l’industrie par une concurrence
6
Il existe toutefois une littérature croissante, parfois rattachée au courant évolutionniste, autour de la
modélisation des systèmes multi-agents sur des questions économiques. Ces travaux procèdent quasiment
uniquement à l’aide de simulations numériques. Citons par exemple un article fondateur de Sugden (1989), ou
les publications su Journal of Artificial Societies and Social Simulation (JASSS).
29
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
monopolistique (on a vu l’importance de la différenciation dans les stratégies de
développement).
Se pose enfin la question de savoir si les relations SPL-extérieur sont représentées en
équilibre général, ou si l’extérieur est une sorte de « thermostat » sur lequel le SPL n’influe
pas, mais qui impose certaines caractéristiques permettant le bouclage du modère, par
exemple un niveau d’utilité ou de salaire exogène. Le cadre adopté ici est un cadre d’équilibre
général, mais dans lequel l’activité dans la (ou les) région(s) rurale(s) seront considérées
comme très petites devant celle de la région urbaine.
1.3.2. Déroulement du travail
Dans la deuxième section de ce chapitre, nous avons sélectionné deux caractéristiques des
systèmes productifs localisés, qui renvoient à leur capacité à utiliser des mécanismes
d’organisation. Il s’agit, d’une part, du degré de complémentarité entre les différents éléments
du territoire (firmes, travailleurs, ressources naturelles), et, d’autre part, de la capacité à
proposer des productions différenciées et recherchées par les consommateurs. Ces
caractéristiques englobent, comme on l’a vu, une grande diversité de situations possibles,
même si elles permettent une lecture séduisante de la diversité des systèmes productifs
localisés. Elles sont encore trop générales, et dans le cadre de ce mémoire, seuls quelques
mécanismes précis seront abordés.
La suite du travail consiste en premier lieu à reprendre les principaux modèles d’économie
géographique, et à établir un bilan des éléments qu’ils prennent en compte et des différents
phénomènes qu’ils expliquent. A l’issue de cette revue de la littérature dans ce programme de
recherche, les résultats du travail sur de nouvelles variantes seront présentés.
Les situations étudiées seront les suivantes :
a) Dans l’optique d’une analyse des conséquences d’une baisse des coûts totaux grâce à des
effets organisationnels, un modèle à trois régions sera étudié. Il comportera une région
urbaine (où se concentre l’essentiel de l’activité économique), et deux régions rurales.
L’intérêt de proposer deux régions rurales est d’étudier les conséquences de la
différenciation de l’une d’entre elles grâce aux effets d’organisation.
b) Pour étudier l’augmentation des complémentarités verticales entre firmes, un modèle avec
biens intermédiaires et bien finaux est proposé. L’effet de ces complémentarités se traduit
par une modification de la fonction de production lorsque les inputs sont d’origine locale.
c) Pour étudier la production d’un bien différencié dont la qualité est recherchée par les
consommateurs, un modèle associe, d’une part la production, de façon monopolistique,
d’un bien agricole de qualité, et d’autre part une modification de la fonction d’utilité.
Ces trois situations correspondent respectivement à la représentation exogène et arbitraire des
conséquences de l’organisation (le premier type de démarche proposé dans la sous-section
précédente), à un exemple de complémentarités (ici entre firmes), et à un exemple de
production différenciée. Les deux dernières situations correspondent à des cas particuliers des
deux critères de différenciation organisationnelle indiqués au § 1.2.3.2.. Ces choix seront
davantage justifiés dans le chapitre 2. L’objectif, encore modeste, de ces analyses, est avant
tout d’illustrer la possibilité d’utiliser la microéconomie pour aborder ces questions
d’organisation, en particulier leur importance par rapport aux mécanismes purement
marchands. Nous verrons qu’elles permettent également de donner quelques prédictions sur
les liens entre paramètres « marchands » du modèle et efficacité des effets organisationnels
pour induire une activité en zone rurale. Le cadre limité de ce mémoire ne permet pas
30
Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie
d’aborder la validation des quelques prédictions obtenues. Toutefois, le chapitre conclusif
fournit des éléments de méthode pour un prolongement des analyses théoriques par une
confrontation aux données empiriques.
1.3.3. Quelques questions éludées dans le cadre du mémoire
Ce mémoire se concentre sur quelques effets organisationnels possibles parmi les nombreux
mécanismes potentiels. On a vu que les modèles utilisés faisaient l’impasse sur la délicate
question de l’agrégation des mécanismes organisationnels élémentaires, ainsi que sur leur
apparition (qui peut dans certains cas relever davantage de la psychologie et de la sociologie
que de l’économie). La dimension politique est également exclue du champ de ce travail. En
outre, il ne tient pas compte de plusieurs aspects, dont il faut avoir conscience. Il s’agit en
particulier des aspects dynamiques des systèmes productifs localisés, et des aspects non
marchands du développement.
La microéconomie, on l’a rappelé, ne considère généralement les évolutions temporelles que
par statique comparative. Les marchés sont tous à l’équilibre, ou alors, on se contente de
considérer le sens de variation des prix ou des quantités, sans spécifier la forme de la
dynamique. Or, les systèmes productifs locaux sont considérés comme étroitement
dépendants de leur état initial et de leur chemin d’évolution. Par ailleurs, le fonctionnement
même des SPL les plus exemplaires se rapproche davantage d’une vision schumpetérienne
que d’une vision walrasienne : l’innovation doit être permanente, l’environnement sans cesse
changeant, etc… Les raisonnements en statique comparative ne sont pas nécessairement
inadaptés pour représenter ces systèmes. Ainsi, on peut très bien représenter une évolution
temporelle dépendant des conditions initiales de cette façon, de même qu’un système
hautement dynamique peut être caractérisé par des valeurs moyennes. Toutefois, la possibilité
d’autres modes de raisonnement pourrait être abordée.
D’autre part, comme on l’a vu en introduction, si le développement initial d’une nation se
mesure avant tout par l’accroissement de la richesse produite par habitant, d’autres aspects
sont à prendre en compte aux étapes de développement avancé. Comme l’organisation, la
qualité de vie est un élément difficile à cerner par l’analyse économique, mais auquel une
place de plus en plus grande est accordée dans les stratégies de développement rural. Elle
entretient avec les phénomènes marchands et les phénomènes d’organisation des relations de
plus en plus étroites et complexes. La plus connue est la valorisation des aménités paysagères
à travers le tourisme rural (activité marchande), qui nécessite une organisation locale (du fait
du caractère de bien public du paysage). Le cadre de vie peut entrer directement dans la
fonction d’utilité des ménages, ou dans l’efficacité productive des travailleurs. Il peut surtout
constituer un objectif de développement distinct de la croissance des activités économiques,
mais cela nous fait retomber dans des discussions normatives en dehors du champ de
l’analyse économique.
Enfin, le travail théorique mené dans la suite étudie uniquement des activités primaires et
secondaires. Le tourisme est, par exemple, assimilé à une activité primaire, car lié au sol. Des
extensions en vue de prendre en compte les spécificités des services pourraient s’avérer utiles,
car il s’agit d’un enjeu du développement rural : les services sont souvent sensibles aux
interactions directes, et complémentaires avec d’autres activités.
Ces questions seront donc sciemment laissées de côté dans la suite de ce travail, pour être
brièvement reprises dans la conclusion. Nous allons nous attacher maintenant à présenter en
détail les outils qui seront mobilisés dans la suite du mémoire.
31
Chapitre 2. L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle
économie géographique
Ce chapitre présente le formalisme qui est utilisé dans la suite de ce mémoire, à savoir celui
du courant appelé, dans la littérature en français, nouvelle économie géographique ou plus
simplement économie géographique (en anglais economic geography). Les contributions de
ce courant ont pour point commun de chercher à expliquer la non homogénéité de la
répartition des activités dans l’espace à partir de fondements microéconomiques. En outre,
l’espace est le plus souvent supposé homogène du point de vue des conditions de production
(absence d’avantages comparatifs naturels), sans quoi une hétérogénéité des régions est
évidente car exogène. En conséquence du théorème d’impossibilité spatiale de Starett (1978),
une différenciation spatiale est incompatible avec les hypothèses de la concurrence parfaite :
une économie en concurrence parfaite où existent des coûts de transport dégénère en
« backyard capitalism ». Comme nous allons le voir, dans les modèles d’économie
géographique, c’est l’existence de rendements croissants, dans un cadre de concurrence
monopolistique, qui permet de faire apparaître une différenciation spatiale.
Dans une première section, nous allons décrire l’esprit et les hypothèses générales des
modèles utilisés en économie géographique. Puis, les principaux modèles et leurs résultats
seront brièvement présentés. Ensuite, la possibilité d’analyse économique du rural en utilisant
ce formalisme sera examinée plus en détail. Enfin, la dernière section expose la façon dont on
entend incorporer des effets d’organisation dans ce type de modèle.
2.1. Modèles et principes de base en économie géographique
2.1.1. Principes de base du programme de recherche
Cette première section présente les principes de base qui sous-tendent les travaux en
économie géographique. Les modèles d’économie géographique s’inscrivent dans des cadres
divers (régions ponctuelles ou espace continu, biens intermédiaires ou non, etc…), mais
comportent un certain nombre de principes communs, dont certains constituent des avancées
notables dans les travaux formalisés d’économie spatiale.
2.1.1.1.Endogénéiser la structuration de l’espace : équilibre général
A moins de supposer l’espace initialement hétérogène (ce qu’on refuse de faire ici pour se
concentrer précisément sur des effets ne dépendant pas de l’hétérogénéité spatiale), il est
difficile de représenter dans un modèle formalisé comment une situation homogène devient
progressivement hétérogène. De fait, les premiers modèles d’économie spatiale introduisaient
une hétérogénéité a priori. Ainsi, le modèle de Von Thünen donnait une ville marché au
centre de son espace, celui de Weber positionnait au préalable les matières premières et le
marché. Un autre grand modèle fondateur, celui des places centrales, est dû aux travaux de
géographie de Christaller (1933) et à l’interprétation économique par les aires de marché de
Lösch (1940). L’analyse de Lösch, basée sur la concurrence en aires de marché dans
différents types d’activité (associant économies d’échelle et coûts de transport), a un caractère
normatif (structure optimale de la hiérarchie urbaine), suppose les consommateurs fixés dans
l’espace de façon exogène, et ne décrit pas le détail du mécanismes d’agglomération.
Le mécanisme de différenciation spatiale est pourtant intuitivement aisé à concevoir. Il suffit
par exemple qu’un aléa initial fasse qu’un point de l’espace comporte une densité de
population plus élevée qu’ailleurs. Cette hétérogénéité, même petite, va causer l’installation
d’entreprises cherchant de la main-d’œuvre ou des clients, laquelle va à son tour causer une
agglomération d’autres ménages, etc… La difficulté pour modéliser ce processus, en
32
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
apparence si simple, est qu’il s’agit d’un processus circulaire : il faut simultanément tenir
compte du comportement des ménages et de celui des firmes.
Ainsi, les modèles d’économie géographique ont pour point commun d’être des modèles
d’équilibre général. Toutefois, comme ils entendent expliquer les dynamiques de
différenciation spatiale, l’équilibre n’est pas supposé instantané sur tous les marchés : des
rigidités sont introduites sur le marché du travail (migrations de travailleurs ou changement de
spécialité), et le taux de salaire n’est donc pas toujours uniforme. En revanche, l’entrée des
entreprises sur le marché est supposée très rapide.
Notons de plus que ces modèles sont généralement déterministes, même si certaines variantes
comportent des variables aléatoires. Cela présente certains inconvénients par rapport à des
modèles probabilistes, en particulier dans l’analyse des points de bifurcation (par exemple
lorsque la dispersion devient instable, l’agglomération peut se produire d’un côté ou de
l’autre). Mais ces problèmes peuvent facilement être traités (en examinant la stabilité des
points d’équilibre), et l’avantage d’un modèle déterministe en termes de simplicité d’analyse
est immense.
2.1.1.2.Forces d’agglomération et de dispersion : priorité aux mécanismes de marché
Certains modèles d’agglomération posent l’existence de forces d’agglomération, dont la
nature économique est peu explicitée. De fait, ces forces constituent des effets externes, qui
sont toujours difficiles à spécifier et à mesurer, bien que leur existence soit unanimement
admise. La distinction entre externalités technologiques (échanges informels d’information,
notamment d’informations tacites, atmosphère industrielle) et externalités pécuniaires (qui
transitent par le marché : adéquation de l’offre et de la demande de travail pour des biens
spécialisés, liens verticaux entre entreprises, taille du marché) clarifie les formes concrètes
d’externalités positives associées à la localisation. Elle a pour origine les travaux de Marshall
à l’époque très novateurs. La discussion qu’il consacre aux externalités qui expliquent la
constitution de districts de petites entreprises de la même branche, reste malgré tout peu
explicite quant aux mécanismes économiques élémentaires. Elle l’est encore moins quant à la
possibilité de formalisation, et ce même pour les externalités pécuniaires, ce qui peut
expliquer que peu d’auteurs ont approfondi ces travaux au sein de l’économie mainstream,
jusqu’à leur « redécouverte » à l’occasion de l’analyse des districts italiens.
En économie urbaine, Alonso (1964) introduit dans l’utilité du consommateur une préférence
pour la centralité. Henderson (1974) modélise l’évolution du système de villes de façon
encore moins détaillée, en stipulant l’existence de forces d’agglomération et de dispersion.
Arthur (1990) quant à lui, propose un modèle probabiliste d’agglomération basé sur
l’existence d’externalités spatiales positives (« rendements croissants d’adoption ») entre les
entreprises.
Fujita & Ogawa (1982), dans un modèle d’économie urbaine, postulent également l’existence
d’économies externes, qui décroissent avec la distance. Ce modèle est très proche dans son
esprit des modèles d’économie géographique, et préfigure plusieurs de leurs résultats.
L’ambition des modèles d’économie géographique est de ne pas se donner des forces
d’agglomération ou de dispersion de type « boîte noire », mais de les faire émerger au moins
en partie des mécanismes de marché. Les auteurs ne nient pas l’existence d’externalités
technologiques mais entendent montrer que les phénomènes transitant par le marché suffisent
à expliquer les principaux phénomènes de répartition spatiale des activités. Il s’agit d’un
grand progrès par rapport à la plupart des modèles antérieurs. Concrètement, les forces
33
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
d’agglomération proviennent d’une part de l’existence d’indivisibilités (sources de
rendements croissants internes), d’autre part d’une préférence pour la variété des
consommateurs (source de rendements croissants externes). La libre entrée des entreprises et
la mobilité partielle des travailleurs/consommateurs permettent aux processus circulaires et
cumulatifs d’attraction réciproque ménages-firmes d’avoir lieu. Les forces de dispersion
proviennent, comme dans les modèles d’économie urbaine classique, de la rente foncière pour
les modèles urbains, mais aussi de l’existence d’un secteur lié à un facteur fixe (dénommé
« agriculture ») ou de populations entières supposées peu mobiles (permettant le maintien
d’une demande locale). La concurrence entre firmes intervient parfois de manière indirecte
comme force de dispersion, lorsque les biens sont très substituables ou par le biais de la
concurrence sur les salaires. Les coûts de transport (ou coûts de l’échange7 entre régions)
jouent aussi un rôle capital, mais souvent ambivalent.
2.1.1.3.Concurrence imparfaite : modèles de concurrence monopolistique
Comme nous l’avons vu, l’existence de disparités spatiales dans la structure de production, en
l’absence d’avantages comparatifs naturels, ne peut se comprendre que si l’on prend en
compte les indivisibilités dans la technologie, ou des interactions stratégiques.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à des processus dans lesquels les entreprises et
les biens produits sont en nombre élevé. La prise en compte d’interactions stratégiques n’est
donc pas retenue. De plus, la modélisation d’interactions stratégiques est souvent très délicate
dès que le nombre d’entreprises est supérieur à 2. En outre, les modèles concernés sont des
modèles d’équilibre partiel, sans bouclage sur le marché du travail, comme en économie
géographique. Un point remarquable est que les modèles d’économie géographique donnent
des résultats analogues à certains développements de modèles à la Hotelling.
Les modèles d’économie géographique étudient les conséquences des indivisibilités, qui se
traduisent par la présence de rendements croissants. L’analyse du comportement du
producteur nécessite de prendre en compte la décroissance de la courbe de la demande, sans
quoi la maximisation du profit aboutirait à une production infinie. En outre, l’hypothèse que
tous les biens sont identiques impliquerait qu’une seule entreprise emporte tout le marché et
interdise l’entrée de tout autre concurrent. Il faut donc supposer que les biens produits par les
différentes firmes sont différenciés, mais substituables.
Ainsi, le cadre d’analyse de la structure industrielle dans les modèles d’économie
géographique est celui de la concurrence monopolistique, qui présente l’avantage de supposer
des rendements croissants, et l’existence d’un pouvoir de monopole limité du fait de la
différenciation des biens. Ces caractéristiques sont d’ailleurs bien celles de nombreux biens de
consommation finale autres que ceux de première nécessité.
La notion de concurrence monopolistique a été initialement proposée et analysée par
Chamberlain (1933), mais c’est avec le modèle de Dixit & Stiglitz (1977) que les économistes
ont disposé d’un formalisme commode pour modéliser ce type de structure industrielle. Il faut
souligner que ce n’est pas le seul type de modèle possible, mais il bénéficie d’un « effet de
fondation » : l’essentiel des travaux d’économie géographique l’ont pris pour base à la suite
des travaux fondateurs (qui n’exclut cependant pas des calculs souvent fastidieux).
7
Dans toute la suite, nous parlerons de coûts de transport au sens large, incluant tous les coûts relatifs à
l’échange de biens entre zones géographiques différentes.
34
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
2.1.2. Technique d’analyse du modèle de Dixit & Stiglitz (1977)
Il convient de détailler ce modèle, qui constitue le cadre de base des variantes étudiées au
chapitre 3. Le but est en particulier de mettre l’accent sur certaines hypothèses de base, peu
explicites dans les articles fondateurs, et de présenter clairement les parties du raisonnement
où intervient la séparation des régions. L’article de base de Dixit & Stiglitz est plus général,
mais la version présentée ici correspond à celle qu’utilise Krugman (1991). Les notations sont
celles de Fujita, Krugman et Venables (1999).8
Considérons donc deux secteurs de production :
- Un secteur lié au sol, appelé « agriculture » : il produit un bien homogène en concurrence
parfaite et à rendements constants.
- Un secteur « footlose » appelé « industrie » : il produit des biens différenciés en
concurrence monopolistique. La fonction de production est identique pour toutes les
entreprises et comprend un seul facteur, le travail : l = F+c.q, où l le travail nécessaire
pour produire la quantité q, F est un besoin fixe en facteur, c le besoin marginal en
facteur. Chaque firme possède un seul établissement et produit une variété différente de
toutes les autres variétés produites. Chaque firme maximise son profit en supposant
l’indice des prix fixé.
La fonction d’utilité d’un consommateur représentatif s’écrit : U=MµA1-µ où A est la quantité
de bien agricole consommée, et M est une sous-fonction d’utilité : M=[Σmiρ]1/ρ, où les mi sont
les consommations de biens industriels. µ un paramètre sans dimension compris entre 0 et 1,
représentant la part de biens industriels dans le budget du consommateur. Le paramètre ρ,
compris entre 0 et 1, mesure la préférence pour la variété : plus il est faible, plus les
consommateurs préfèrent des paniers de biens diversifiés ; on utilise aussi l’élasticité de
substitution σ=1/(1-ρ)).
2.1.2.1. Problème du consommateur
n
L’utilité d’un consommateur s’écrit : U = A1− µ (∑ miρ ) µ / ρ où ρ=(σ−1)/σ, soit σ=1/(1−ρ)
i =1
La forme Cobb-Douglas, associée à la forme CES de la sous-fonction relative aux produits
manufacturés, assure que produits agricole et manufacturés sont demandés dans des
proportions (1-µ,µ)9. La forme de la sous-fonction relative aux produits manufacturés permet
en outre de jouer sur la préférence pour la variété.
La maximisation de l’utilité se fait sous la contrainte budgétaire : Y = pA A + Σ pi mi où Y est
le revenu, exogène dans ce calcul. Les prix sont ici les prix payés par le consommateur et non
les prix perçus par les firmes (ils en diffèrent par les coûts de transport). On trouve :
- pA A=(1-µ)Y : la part des dépenses agricoles dans le revenu est égale à 1-µ.
pi−σ
−σ
- Σ pi mi = µY, et mi est proportionnel à pi . D’où on tire mi = µY
∑ p1j−σ
j
8
Dans cette section, on n’introduit pas encore d’hypothèses de normalisation (prix agricole pris comme
numéraire, nombre de travailleurs égal à un, etc...).
9
En fait, l’article original de Dixit-Stiglitz traite un cas plus général, qui ne sera pas exposé ici.
35
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
Dans l’étude du comportement spatial des travailleurs, il sera nécessaire d’utiliser un indice
de prix pour comparer les salaires réels des différentes régions. L’indice proposé par Dixit et
Stiglitz peut être dérivé de la formule de l’utilité indirecte, qui est :
(1 − µ )1− µ µ µ
d’où on tire l’indice : G= pA1−µ (Σ pi1−σ)µ/(1−σ)
v ( p, Y ) = Y
µ /(1−σ )
qui assure : v=cte.Y/G
1− µ 
1−σ 
p A  ∑ pi 
 i

2.1.2.2.Comportement des firmes
Concernant le secteur agricole, on fait l’hypothèse que la production se fait à rendements
constants et en concurrence parfaite. Le prix agricole est fixé de manière à assurer un taux de
salaire agricole fixe (pouvant être supposé égal au salaire de subsistance) : les seuls intrants
sont les ressources naturelles – gratuites. En outre, le revenu agricole est indépendant de la
demande de produits agricoles : les agriculteurs se partagent la demande de manière égale, et
perçoivent le même salaire, quelle que soit la demande. Cela semble introduire une
contradiction : si le revenu industriel s’élève, la demande de bien agricole devrait augmenter,
alors que le revenu agricole est inchangé. En fait, cette difficulté est levée par l’hypothèse de
normalisation du prix et du revenu agricoles : les unités sont choisies de façon que le revenu
agricole soit égal au nombre d’agriculteurs, et la demande de bien agricole égale à (1-µ)Y.
Retenons, en vue de la section 3, que les produits agricoles ont quatre caractéristiques : ils
sont non différenciés, produits à rendements constants, en concurrence parfaite, et liés au sol
(les travailleurs sont immobiles).
Les firmes, au contraire des exploitations agricoles, produisent avec des rendements
croissants, du fait de coûts fixes (et d’un coût marginal constant). Elles sont supposées
n’utiliser ici qu’un seul facteur, le travail. La fonction de production, identique pour toutes les
entreprises, est la plus simple satisfaisant ces contraintes : l = F+c.q
Le profit de la ième entreprise s’écrit donc : πi = pi qi – w (F+c.qi)
Ici, il faudrait faire intervenir la différenciation entre les régions, afin de tenir compte des
(Tr (i ) s pi ) −σ
coûts de transport. En effet, la demande qi s’écrit : qi = µ ∑ Ys
où Ys désigne
s
∑ (Tr ( j ) s p j )1−σ
j
ième
le revenu agrégé de la s
région, et r(i) le numéro de la région à laquelle appartient
l’entreprise produisant le bien i, et Tr(i)s le coût de transport entre les régions r(i) et s.
En fait, on suppose que la firme maximise son profit en considérant fixés non pas les autres
prix que le sien, mais l’indice des prix de chaque région, G= pA1−µ[Σ (Tr(i)s pi)1−σ)]µ/(1−σ) et le
salaire, ce qui simplifie considérablement les calculs. Dans ce cas, la demande est simplement
σ −1
p (1)
proportionnelle à pi−σ, et la maximisation du profit donne w =
σ .c
2.1.2.3.Conditions de bouclage
Deux hypothèses supplémentaires permettent déterminer le niveau d’activité dans une région :
σ −1
F (2)
- L’hypothèse d’annulation du profit, qui donne : qi =
c
- L’hypothèse de plein emploi, qui suppose que le nombre de firmes lorsque le profit est
nul, permet d’employer exactement la quantité de main-d’œuvre présente. Elle donne
le nombre de firmes de la région r : nr = LMr σF (3)
Les équations (1), (2), et (3) serviront fréquemment dans la suite.
36
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
2.1.2.4. Place des effets spatiaux dans l’analyse
Jusqu’à présent, nous n’avons pas utilisé le fait qu’il y avait plusieurs régions, avec des coûts
de transport. Les résultats énumérés précédemment ne sont cependant pas suffisants pour
déterminer totalement l’équilibre. En effet, ces équations ne déterminent pas totalement les
prix (les prix et salaires industriels sont proportionnels, mais nous ne savons pas comment ils
se situent par rapport au prix agricole). Pour cela, il faut exprimer les demandes de chaque
type de consommateurs dans chaque région et les égaliser à la production totale donnée par
(2). C’est à ce niveau seulement qu’intervient la différenciation régionale, grâce à l’hypothèse
faite sur la maximisation du profit, qui simplifie considérablement la relation entre prix et
salaire.
Conclusion de la section
En conclusion, les principaux points communs des modèles d’économie géographique sont :
espace homogène, formalisme microéconomique, approche déterministe, restriction aux seuls
mécanismes de marché, modèles d’équilibre général avec rendements croissants et
concurrence monopolistique. Certaines variantes dérogent bien entendu à l’une ou l’autre de
ces caractéristiques générales, en restant dans le même esprit.
Ces caractéristiques, assez nouvelles en économie spatiale, permettent une intégration au sein
de l’économie mainstream. Notons deux points remarquables :
- L’utilisation des outils de la microéconomie aboutit, moyennant des hypothèses sur la
mobilité du facteur travail, à des résultats opposés aux prédictions classiques. En
particulier, la convergence des revenus n’est plus assurée automatiquement par les
mécanismes économiques.
- Malgré son caractère réducteur, le formalisme microéconomique est en mesure de rendre
compte d’une grande richesse de phénomènes à l’aide d’hypothèses relativement simples.
Ces deux points apparaîtront clairement dans la section suivante, consacrée aux principaux
modèles. Les travaux en économie géographique visent d’abord à répondre à deux questions :
- Dans quelles conditions une différenciation spatiale, donc une agglomération d’activités
économiques, apparaît-elle ?
- Quels mécanismes peuvent changer totalement ou partiellement une configuration spatiale
donnée (par exemple, passer d’une concentration totale de l’industrie en un lieu à une
dispersion partielle ou l’inverse) ?
En corollaire à ces questions, qui relèvent de l’économie positive, se pose la question de la
différenciation éventuelle du niveau de bien-être dans différents lieux.
L’analyse du modèle de Dixit-Stiglit (dans la version utilisée par Krugman (1991)), donne les
trois expressions de base (1), (2), et (3), ainsi que la formule de l’indice des prix, qui serviront
dans toute la suite. Elle met aussi l’accent sur certaines hypothèses du modèle, qui permettent
de simplifier considérablement son analyse. Ces hypothèses peuvent se résumer
essentiellement en un ajustement rapide de la structure de production (contrairement aux
travailleurs) et une « myopie » limitée dans les calculs des firmes.
A première vue, le modèle de Dixit-Stiglitz est très réducteur. Il utilise une fonction d’utilité
parfaitement irréaliste (mais dotée de bonnes propriétés analytiques), et une fonction de
production plus réaliste pour le travail, mais ignorant les autres facteurs de production. Tous
les biens industriels sont également substituables entre eux, il n’y a aucune échelle de
préférence. De plus, il ne considère qu’un seul type d’industrie (avec des variantes possibles
incluant, par exemple, des biens intermédiaires). En comparaison des résultats très généraux
37
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
qu’on peut dériver dans le cadre de l’équilibre général walrassien, ce modèle ne traite qu’un
cas très particulier. Et pourtant, tout son intérêt est de permettre de se concentrer sur la
principale caractéristique originale, la présence de rendements croissants internes et externes,
qui permettent l’apparition de mécanismes cumulatifs d’agglomération.
2.2. Les modèles fondateurs et leurs principales variantes
Dans cette section, nous présentons brièvement les modèles de base en économie
géographique, en mettant en évidence leurs résultats principaux.
2.2.1. Le modèle de Krugman (1991) et ses variantes
Le modèle de Krugman (1991) constitue le modèle fondateur des modèles centre-périphérie
en économie géographique. Il a été conçu pour expliquer la divergence entre régions, entités
considérées comme ouvertes à la mobilité de tous les facteurs.
2.2.1.1. Présentation du modèle
Le modèle considère deux régions ponctuelles, aux caractéristiques initiales identiques. Les
travailleurs agricoles sont fixes, également répartis entre les deux régions. En revanche, les
travailleurs industriels, dont seul le nombre total est fixe, sont mobiles entre les deux régions
(il y a donc à l’équilibre égalisation du taux de salaire industriel entre les deux régions, ou
bien concentration de tous les ouvriers dans une seule région). Les firmes s’installent dans
l’une ou l’autre région, jusqu’à annulation du profit.
Par ailleurs, il existe un coût de transport (ou d’échange) unique entre les deux régions pour le
bien industriel, T, qui prend la forme « iceberg » de Samuelson : si la quantité qT est livrée,
seule la quantité q arrive à destination. En pratique, tout se passe comme si le prix des biens
importés était multiplié par T, et comme si chaque firme, lorsque le consommateur souhaite
consommer q, devait livrer qT. Le bien agricole est supposé être transporté sans coût.
Ces hypothèses permettent d’appliquer les résultats du modèle de Dixit-Stiglitz avec un
minimum de modifications, les principales consistant à dédoubler les variables (une par
région) et à multiplier certains prix et certaines quantités par T.
Ce modèle peut comporter un ou plusieurs équilibres, qui peuvent être stables ou instables. La
démarche d’analyse consiste à déterminer le différentiel de salaires industriels réels entre les
deux régions, en fonction de la fraction de travailleurs industriels dans la région 1. Lorsque les
salaires réels sont égaux, il y a équilibre, dont il convient d’analyser la stabilité. Sinon, il n’y a
pas équilibre, à moins que tous les ouvriers se trouvent être concentrés dans la région où les
salaires sont les plus élevés (auquel cas on a nécessairement un équilibre stable).
La dynamique de migration est simulée à l’aide d’une équation différentielle simple (certains
modèles proposent une dynamique plus complexe supposant une hétérogénéité des
travailleurs par rapport à la migration).
2.2.1.2.Principaux résultats
Il existe seulement trois équilibres stables possibles : équirépartition des ouvriers entre les
deux régions (c’est toujours un équilibre), concentration dans la région 1, et évidemment la
situation symétrique, concentration dans la région 2. Leur existence et stabilité dépend des
valeurs des paramètres (on ne précise pas ici les formules donnant les seuils) :
- Coût de transport :
o A coût de transport faible, l’équirépartition est instable, et la concentration est un
équilibre stable. En effet, une entreprise qui se délocaliserait supporterait une baisse de
38
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
-
-
demande de la région industrielle et un ouvrier subirait une baisse de salaire réel due à
la hausse d’indice des prix.
o A condition que µ<σ/(σ −1) (« no-black-hole condition »), il existe un seuil de coût de
transport au-dessus duquel seule l’équirépartition est un équilibre, et cet équilibre est
stable. La concentration dans une seule région est « répulsive » pour les ouvriers car
leur salaire est alors inférieur à celui qu’il serait dans la région sans industrie. En effet,
dans ce cas, les deux effets cités précédemment sont plus que compensés par la hausse
de salaire permise par l’accès à la demande de la région rurale sans coût de transport.
o A coût de transport intermédiaire, les trois équilibres possibles existent et sont stables.
Elasticité de substitution : plus les biens sont substituables (préférence pour la variété
faible), plus la dispersion est favorisée : on retrouve bien l’effet classique de
l’éloignement pour se protéger de la concurrence (l’augmentation de la substituabilité des
biens revient à augmenter la concurrence).
Part de produits industriels dans la consommation : plus elle est forte, plus la
concentration est favorisée (puisque les biens industriels sont plus demandés, les effets
cumulatifs de concentration industrielle jouent davantage). Cet effet devrait d’ailleurs être
renforcé dans le monde réel par le fait que l’augmentation du revenu entraîne une
diminution de la part consacrée aux dépenses agricoles (loi d’Engel).
2.2.1.3.Apports du modèle
Un des apports importants des travaux de Krugman a été de fournir un modèle formalisé des
mécanismes circulaires et cumulatifs d’agglomération évoqués dans la sous-section
précédentes, fondé sur une approche uniquement microéconomique. Cela permet de
représenter en partie les externalités pécuniaires, celles existant entre ménages et firmes (effet
de taille de marché), mais pas celles existant entre les firmes (qui nécessitent d’introduire des
biens intermédiaires, ce que font le modèle de Krugman & Venables et ses variantes).
En outre, le modèle met en évidence le rôle fondamental des coûts de transport dans
l’agglomération, et permet de comprendre pourquoi une baisse de coûts de transport ne
conduit pas à une indifférence à l’espace, mais plutôt à une baisse de l’effet protecteur de
l’espace. L’agglomération est renforcée par la baisse des coûts de transport, laquelle renforce
l’avantage à se situer à proximité du plus grand marché. De plus, la préférence pour la variété
des consommateurs est une source de rendements externes croissants, et cet effet est lui aussi
renforcé avec la baisse des coûts de transport.
Il permet aussi de comprendre le rôle des facteurs contingents dans la différenciation spatiale :
un petit écart à un équilibre d’équirépartition peut conduire à une concentration totale dans
une région, grâce aux mécanismes cumulatifs. Il permet donc de mettre en relation de manière
simple, et en faisant jouer exclusivement les mécanismes marchands, la baisse tendancielle
des coûts de transport, et la concentration croissante des activités.
Ce modèle est suffisamment maniable pour faire l’objet de multiples variantes, et comme on
peut le voir dans la suite, les variantes proposées dans la littérature sont en effet nombreuses.
Il faut néanmoins retenir que, contrairement aux résultats sur l’équilibre général en
concurrence parfaite, ou au théorème d’impossibilité spatiale de Starett qui ont une portée
générale, ce modèle ne représente qu’un exemple possible de système économique basé sur
des rendements croissants et la concurrence monopolistique. Ses résultats sont assortis d’un
postulat de robustesse, qui doit être corroboré, notamment par les variantes du modèle de
base, ainsi que par des modèles basés sur des formes fonctionnelles différentes.
39
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
Notons aussi que le modèle de Krugman peut être remis en cause sur plusieurs points (outre
les critiques coutumières adressées aux modèles microéconomiques : caractère très particulier
du modèle de base choisi, limitation à deux régions, forme des coûts de transport,…) :
- Existence de travaux antérieurs, comme ceux sur les pôles de croissance de Perroux
(1955), les mécanismes circulaires et cumulatifs de Myrdal (1957) ou les effets de
diffusion et de freinage de Hirschmann (1958) engendrant un développement inégal. Ils
comportent la description de mécanismes analogues, mais non formalisés.
- Absence de coûts de transport en agriculture, alors que de façon générale, les matières
premières comporte une part importante de déchets potentiels par rapport aux produits
finis. Des estimations empiriques suggèrent que les coûts de transport des biens
homogènes sont au moins du même ordre de grandeur que ceux des biens différenciés
(Rauch 1996). Cette difficulté est de toute façon levée par certaines variantes du modèle
de base. Il faut également garder à l’esprit que le coût de transport utilisé ici est entendu
dans le sens plus large de coût de l’échange. Il incorpore en particulier les coûts de
transaction, qui sont vraisemblablement plus élevés pour des produits industriels
différenciés.
- Une critique plus profonde est l’impossibilité de ce modèle à exhiber des configurations
d’équilibre autres que l’équirépartition et la concentration totale (il existe parfois des
configurations d’équilibre intermédiaires, mais elles sont toujours instables).
Certaines de ces critiques trouvent une réponse dans les modèles suivants.
2.2.1.4 Quelques variantes du modèle de base
Une première variante consiste à augmenter le nombre des régions. Fujita, Krugman et
Venables (1999) proposent deux variantes particulières :
- Trois régions avec des coûts de transports identiques (on peut les imaginer aux sommets
d’un triangle équilatéral) : les résultats sont identiques, à savoir deux types d’équilibres
stables possibles (concentration dans une région et équirépartition), et les effets qualitatifs
des paramètres sont identiques.
- Nombreuses régions également réparties sur un cercle (cela permet d’éviter les effets de
bords et de donner une place particulière à certains points) avec croissance géométrique
des coûts de transports avec la distance : dans ce cas, on a concentration de l’industrie
dans plusieurs régions régulièrement espacées et pas d’industrie ailleurs. Le nombre de
régions industrielles dépend des paramètres de la même façon que précédemment.
Une autre possibilité, étudiée par Calmette et Le Potier (1995), est de prendre en compte les
coûts de transport dans l’agriculture, en introduisant un nouveau paramètre, TA, intervenant
également sous forme iceberg. Dans ce cas, si on suppose les biens agricoles homogènes entre
les deux régions, l’équirépartition des activités industrielles est toujours stable, même lorsque
les coûts de transports agricoles sont très bas. La concentration dans une des régions, quant à
elle, est un équilibre stable si TA est suffisamment faible. Si on suppose maintenant les biens
différenciés entre les régions (l’argument A de la fonction d’utilité est maintenant une sousfonction CES comme pour les produits industriels), la baisse de TA a le même effet que celle
de T dans le modèle initial. En revanche, un effet nouveau apparaît concernant le rôle de T.
Lorsque T est suffisamment faible, la dispersion redevient un équilibre stable, et même le seul
équilibre stable. Comme nous allons le voir, cet effet se retrouve dans bien d’autres modèles
d’économie géographique. Toutefois, si les deux coûts de transport baissent simultanément, la
concentration reste en général le seul équilibre stable. Plusieurs autres variantes se focalisent
sur l’activité agricole, notamment afin d’expliquer la spécialisation des régions en matière
agricole. Ainsi, Lanaspa & Sanz (1999) supposent une répartition asymétrique de l’agriculture
40
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
entre les deux régions et montrent l’existence d’équilibres asymétriques non totalement
concentrés.
Un autre type de variante consiste à ajouter une préférence des travailleurs pour une certaine
région, provenant par exemple de l’existence d’aménités. On aboutit alors à une concentration
partielle des travailleurs. L’inconvénient de cette variante, à l’instar des exemples cités au
§2.1.1.2. est le caractère non économique du facteur de dispersion introduit : l’explication
peut rapidement devenir ad hoc étant donné qu’on ne sait pas comparer l’effet des aménités
aux phénomènes de marché. De même, Brackman et al. (1996) introduisent des coûts de
congestion qui empêchent la concentration totale.
Le modèle de Englmann & Waltz (1995) ajoute un troisième secteur, la recherche, où les
travailleurs sont mobiles, alors que ceux de l’industrie sont fixes. La production de
connaissance est supposée non diffusée géographiquement, et elle augmente l’efficacité de la
production. On aboutit ainsi à l’instabilité de l’équirépartition et l’irréversibilité de la
configuration centre-périphérie.
Citons enfin le modèle d’Ottaviano et al. (2002), qui, en utilisant un cadre différent de DixitStiglitz, aboutit à des résultats analogues à Krugman (1991), ce qui tend à corroborer la
robustesse de ses résultats.
2.2.2. Le modèle de Krugman et Venables (1995) et ses variantes
Ce modèle, contrairement à celui de Krugman (1991) qui visait les problèmes de disparités
régionales, a été développé pour traiter les questions d’économie internationale, où l’on
suppose que si le capital est aujourd’hui très mobile, le travail l’est beaucoup moins. Le
phénomène de concentration prend un sens différent ici : il s’agit en fait d’une spécialisation
dans l’activité industrielle ou agricole, les travailleurs étant géographiquement fixes mais
mobiles entre secteurs. Des consommations intermédiaires sont en outre introduites dans la
fonction de production.
2.2.2.1.Présentation du modèle (voir détail de l’analyse en annexe 3.)
Le modèle considère deux régions ponctuelles, aux caractéristiques initiales identiques. Ici,
les travailleurs d’une région sont immobiles géographiquement mais peuvent changer de
spécialisation (agricole ou industrielle). Les entreprises s’installent librement entre les deux
régions comme précédemment. En outre, les biens industriels servent à la fois de biens de
consommation finale et de biens intermédiaires. Désormais, la fonction de production
comporte deux facteurs, le travail et des consommations intermédiaires, qui ne sont autres que
l’ensemble des produits manufacturés, associés dans une fonction de production CES, avec la
même élasticité de substitution que pour l’utilité du consommateur. L’association du travail et
des autres inputs se fait selon une fonction Cobb-Douglas, de sorte que la fonction de
production est à présent : F+c.q = α-α(1-α)α-1.l1-α.[Σxiρ]α/ρ. Dans cette fonction, le paramètre
α est la part de biens intermédiaires, l est la quantité de travail, et les xi les quantités de biens
intermédiaires. Les autres notations sont inchangées.
La demande de chaque bien industriel comporte donc maintenant deux composantes : la
demande des consommateurs et celle des autres firmes. L’existence d’interdépendances entre
entreprises constitue une force d’agglomération : l’arrivée de nouvelles entreprises entraîne
une baisse de l’indice des prix donc des coûts de production, et en même temps l’apparition
de nouveaux clients. Cet effet est tempéré par le fait que la baisse d’indice de prix impose
aussi une baisse des prix de vente. De plus, le fait que tous les travailleurs soient immobiles
est favorable à la dispersion des activités : plus le nombre d’industries s’accroît, plus les
41
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
salaires tendront à s’élever, ce qui pourra rendre progressivement plus avantageux
l’implantation dans l’autre région.
Il y a cette fois à l’équilibre égalisation du taux de salaire au sein d’une même région, lorsque
les deux catégories de travailleurs (agricoles et industriels) sont effectivement représentées (le
salaire est alors égal au salaire agricole). Dans certains cas, tous les travailleurs d’une région
sont industriels et l’agriculture y disparaît.
Comme dans Krugman 1991, les firmes s’installent dans l’une ou l’autre région, jusqu’à
annulation du profit. Il existe un coût de transport unique entre les deux régions pour les biens
industriels, T, qui prend la forme « iceberg ».
La méthode d’analyse est analogue à Krugman 1991, à savoir donner les parts de travailleurs
industriels dans la population de chaque région, soient λ1 et λ2, puis examiner les équilibres et
leur stabilité. La forme de la fonction de production complique néanmoins considérablement
l’analyse. Le détail de la méthode est donné en annexe 2.
2.2.2.2.Principaux résultats
Nous distinguons à présent trois types d’équilibres stables possibles :
- La concentration de toute l’industrie dans une seule région, dans laquelle il reste
néanmoins une part de travailleurs agricoles (λ1<1, λ2=0 ou l’inverse)
- La disparition totale de l’agriculture d’une région, tandis que l’autre région comporte les
deux activités, avec l’agriculture majoritaire ((λ1<1, λ2<1/2 ou l’inverse).
- La dispersion de l’industrie dans les deux régions (avec des parts respectives qui se
trouvent être λ1=λ2=µ), ce dernier étant toujours un équilibre, stable ou instable.
Les résultats qualitatifs dépendent en fait de la part de consommation industrielle µ :
- Si µ<1/2, on obtient des résultats analogues au modèle de Krugman concernant l’effet des
coûts de transport. Lorsque T est élevé, seule la dispersion est un équilibre stable.
Lorsqu’il est intermédiaire, dispersion et concentration (λ1=2µ, λ2=0 ou l’inverse)
constituent trois équilibres stables. Lorsqu’il est bas, seuls les équilibres de concentration
sont des équilibres stables.
- Si µ>1/2, on a également dispersion pour T élevé. Pour T intermédiaire, il y a trois
équilibres stables : la dispersion, et les configurations λ1=1, λ2<1/2 et inversement. Pour T
faible, seules ces dernières configurations sont des équilibres stables. En outre, lorsque T
tend vers 1 (pas de coûts de transport), la part d’emploi industriel dans la région « rurale »
croît (celle de la région industrielle reste égale à 1), et les salaires réels des deux régions
convergent. C’est l’effet « courbe de U inversé » que l’on rencontrera à nouveau plusieurs
fois dans la suite.
Il y a dans ce modèle deux faits nouveaux. D’une part, l’augmentation de la part de
consommation industrielle µ joue en faveur de la dispersion, contrairement au modèle de
Krugman 1991. D’autre part, lorsque les coûts de transport sont très bas, une tendance à la
dispersion de l’industrie apparaît. Ces effets sont dus à l’immobilité de la population dans les
deux régions. Cela produit une incitation à la délocalisation si les salaires industriels
augmentent du fait d’une forte production industrielle, et cela maintient aussi un effet taille de
marché important dans la région périphérique. L’impact de l’élasticité de substitution est
identique aux modèles précédents, il joue en faveur de la dispersion de l’industrie.
42
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
2.2.2.3.Variantes
Comme pour le modèle de Krugman 1991, de nombreuses extensions ont été proposées,
reposant toutes ici sur l’hypothèse d’immobilité géographique de la main-d’œuvre.
Fujita, Krugman, et Venables (1999) considèrent le cas où l’agriculture est soumise à des
rendements décroissants. Dans ce cas, on a un équilibre stable symétrique à fort coûts de
transport. Lorsque les coûts de transport baissent, on atteint un point de bifurcation où la part
de l’industrie dans les deux régions diverge (il n’y a pas coexistence de trois équilibres stables
comme précédemment). Puis, lorsque les coûts de transport diminuent encore, on observe une
convergence de la part des travailleurs industriels dans chaque région pour retrouver un seul
équilibre symétrique en deçà d’un coût de transport très bas.
Une classe importante de variantes concerne les modèles qui distinguent plusieurs secteurs, et
permettent de modéliser la spécialisation industrielle des régions. Krugman & Venables
(1996) considèrent non plus un mais deux secteurs industriels, tous deux en concurrence
monopolistique. Chaque firme utilise en consommations intermédiaires les biens produits par
son secteur, et ceux produits par l’autre, mais en proportion moindre (ces proportions se
traduisent dans les coefficients d’une fonction Cobb-Douglas). Du fait de cette séparation
entre secteurs, on observe sous certaines conditions la spécialisation de chaque région dans un
secteur. Gaigné (2001) propose deux variantes : une qui distingue un secteur biens finaux et
un secteur biens intermédiaires avec coûts de transport différents (reprise de Puga & Venables
1996), et une qui distingue travailleurs qualifiés et non qualifiés. On obtient à nouveau une
spécialisation de chaque région.
Daniel (2001) construit un modèle destiné à analyser la spécialisation des régions en
agriculture, qui va bien au-delà de la simple variante. En effet, ce modèle suppose l’existence
de nombreux produits agricoles et de rendements marginaux décroissants en agriculture (coûts
de collecte), avec en outre un coût de transport et une concurrence pour l’occupation du sol.
Le secteur non agricole est cette fois un secteur de services à rendements constants. Ce
modèle fait apparaître des phénomènes d’augmentation de la productivité dans les régions
peuplées et de déprise dans les régions périphériques. Il est cité ici car il comporte malgré tout
des points communs avec les modèles précédents (en particulier, il vise à expliquer la
répartition spatiale d’activités par un modèle d’équilibre général à deux secteurs).
Une autre variante, plus élaborée (proposée dans Fujita, Krugman & Venables 1999), intègre
un progrès technique exogène (sous la forme de l’augmentation de la productivité du travail)
et une variation de la demande en biens industriels avec le revenu (conformément à la loi
d’Engel). L’effet du coût de transport ressemble au modèle de base : lorsqu’il est élevé, il y a
dispersion, lorsqu’il diminue il y a d’abord divergence partielle des niveaux
d’industrialisation, puis concentration totale dans une région, puis résorption progressive de la
divergence et à nouveau répartition égale pour T très bas. En outre, l’augmentation du progrès
technique est favorable à la convergence. En modifiant ce modèle avec plusieurs régions et
plusieurs secteurs industriels, de multiples configurations de spécialisation industrielle
apparaissent.
D’autres travaux introduisent une accumulation de capital physique et humain, associant ainsi
économie géographique et théories de la croissance endogène (Martin & Ottaviano 1999).
43
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
2.2.3. Les modèles avec espace continu
Cette partie sera plus brève, car elle concerne des modèles qui traitent de l’organisation des
systèmes urbains (formation de centres ou de nouvelles villes, hiérarchie urbaine, répartition
des activités et des habitants). Ces travaux ne sont pas inintéressants pour l’économie rurale,
bien au contraire, puisqu’ils sont utilisés pour rendre compte du phénomène de
périurbanisation qui est un des faits stylisés les plus remarquables de l’évolution récente.
Toutefois, ce mémoire se restreint à l’étude d’espaces ruraux indépendants de l’influence
urbaine directe, et adopte le cadre spatial des modèles à espace discret décrits dans les soussections 2.2.2 et 2.2.3. Aussi, les modèles suivants ne seront cités que pour mémoire.
Ces modèles comportent un élément supplémentaire par rapport à ceux étudiés
précédemment, à savoir l’introduction d’une concurrence pour l’occupation du sol par le biais
de la rente foncière (également présente sous forme non spatialisée dans certaines des
variantes des modèles précédents). Celle-ci constitue une force de dispersion supplémentaire.
Notons qu’ici, contrairement aux modèles centre-périphérie, une baisse des coûts de transport
est en général favorable à la dispersion des habitants (cela n’est en rien incohérent avec les
résultats des modèles sur les régions, car ici il s’agit de migrations domicile-travail).
On se contente ici de mentionner quelques travaux parmi les plus connus, qui appliquent avec
succès les principes des modèles d’économie géographique à un espace continu.
- Le modèle fondateur est celui de Fujita (1988). Il comprend deux types d’agents
(consommateurs et firmes) et une concurrence pour l’occupation du sol. Il donne des
configurations monocentriques, avec, selon les paramètres, soit dispersion en périphérie
des entreprises soit dispersion des ménages. Ici, l’émergence du centre n’est pas vraiment
endogène puisqu’il se situe précisément au centre géographique de l’espace.
- Nous avons déjà évoqué les travaux de Fujita et Ogawa (1982) qui introduisent des
externalités non explicités par des mécanismes de marché. D’autres modèles ultérieurs
(comme par exemple, Fujita, Thisse, et Zénou 1997) associent externalités émergeant des
processus de marché et externalités technologiques.
- La variante de Fujita & Mori (1997) introduit plusieurs industries aux paramètres (ρ, T)
différents. Elle aboutit à une hiérarchie de villes analogue à celle prédite par la théorie des
places centrales, mais dans une géographie à une dimension (tous ces modèles sont
d’ailleurs à une dimension : droite, segment ou cercle).
- La variante de Gofette-Nagot (2000) distingue firmes distributrices de biens finaux et
firmes productrices. Elle permet d’obtenir une périurbanisation des firmes distributrices se
renforçant mutuellement avec celle de la population.
Conclusion de la section
Cette section illustre la fécondité de l’approche utilisée en économie géographique : elle
permet de modéliser de nombreuses situations, tout en restant basée sur des fondements
microéconomiques.
Résumons les principaux résultats fournis par les modèles à espace discret :
- Les modèles du type Krugman 1991 (mobilité géographique des travailleurs) donnent
surtout des configurations tranchées : répartition symétrique des entreprises ou
concentration totale. La baisse du coût de transport mène en général à une plus grande
tendance à la concentration.
- Les modèles du type Krugman & Venables 1995 (immobilité géographique des travailleurs
et biens intermédiaires) donnent une plus grande variété de types d’organisation spatiale.
44
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
En particulier, l’effet du coût de transport sur l’agglomération a souvent une forme « en U
inversé ». A plus de deux régions, on observe des dynamiques encore plus riches.
Ces deux types de modèles se différencient en outre par l’effet de la part de consommation
industrielle.
Ces différents modèles ont en commun un rôle prépondérant des coûts de transport (ou
d’échange) dans la discrimination des différentes configurations d’équilibre possibles.
De nombreuses variantes déjà présentes dans certains modèles peuvent encore être
approfondies. Par exemple : évolution démographique, accumulation et diffusion de
connaissances, ajout d’un secteur tertiaire,… ainsi que toutes les combinaisons envisageables.
En particulier la distinction de plusieurs secteurs avec possibilité de complémentarités variées
est encore peu courante. Elle permettrait notamment de distinguer économmies
d’agglomération et d’urbanisation.
D’autres développements importants en termes d’applications potentielles concernent la
modélisation et la comparaison de l’impact de différentes politiques régionales (Martin &
Rogers 1995, Trionfetti 1997, Charlot 2000) et les analyses de bien-être correspondantes
(Charlot & Gaigné 2001).
Dans la section suivante, nous nous intéressons plus particulièrement à la place du rural dans
les modèles d’économie géographique, notamment aux conditions sous lesquelles un certain
niveau d’activité économique industrielle peut s’y maintenir.
2.3. Economie géographique et analyse de l’espace rural
Cette section commence par rappeler ce que les modèles d’économie géographique prédisent
au sujet de la région la moins industrialisée. Puis, elle compare ces prédictions aux faits
stylisés concernant le rural, et enfin propose des pistes d’approfondissement.
2.3.1 Rappel des résultats des modèles d’économie géographique sur la « région rurale »
A partir de ce point, nous ne parlerons plus des modèles à espaces continu, utilisés pour
l’analyse de la périurbanisation, et considérerons donc l’espace rural comme un espace situé
en dehors de l’influence immédiate des métropoles (en particulier, il n’existe pas de
migrations domicile-travail). Dans les modèles d’économie géographique du type centrepériphérie (à régions ponctuelles), le rural se définit par opposition aux régions qui
connaissent une concentration industrielle, lesquelles sont qualifiées d’urbaines. Il faut bien
avoir conscience que ces modèles ont été élaborés à l’origine dans un but bien précis, qui est
de montrer que la polarisation peut émerger sans supposer l’existence d’avantages
comparatifs exogènes, et de mécanismes non marchands. En conséquence, il ne faut pas
s’attendre à ce qu’ils donnent une description fine de l’évolution de l’espace rural.
Dans les modèles théoriques, la ou les région(s) rurale(s) peu(ven)t connaître trois grands
types de trajectoires (cf. Gaigné 2001) :
- Une fuite inéluctable et totale des activités non agricoles, ou au sens large, non liées au sol
(les activités fixes peuvent aussi être des activités valorisant les aménités rurales, ou
l’espace pour les résidences). Ce type d’évolution se rencontre dans les modèles à la
Krugman (1991) et est dû essentiellement à la mobilité des travailleurs industriels. Cette
fuite est d’autant plus marquée que le secteur concerné est moins concurrentiel (produit
des biens différenciés, pour lesquels le consommateur a une préférence pour la variété).
Elle est aussi amplifiée, dans le cas où la main d’œuvre est mobile géographiquement,
lorsque la part de biens commercialisables dans la consommation est élevée.
45
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
-
-
Une fuite partielle des activités industrielles, suivie d’une convergence (elle aussi
partielle) des salaires réels et d’un retour partiel d’une industrie plus ou moins diversifiée,
à mesure que les coûts de transport baissent. Cet effet est dû à la faible mobilité
géographique des travailleurs, et à la concurrence sur le marché du travail (modèles de
type Krugman & Venables 1995). L’existence de facteurs psychologiques faisant préférer
la région rurale par les travailleurs renforce cet effet en faveur d’une industrialisation
rurale.
Une spécialisation dans des secteurs industriels particuliers, liés à des ressources peu
mobiles et pour des biens peu différenciés (notamment les activités utilisant une maind’œuvre peu qualifiée, docile et peu mobile), ainsi que les activités distributrices induites
par la présence de consommateurs (actifs ou retraités).
Dans les deux derniers cas, le rural ne se « vide » pas complètement de ses éléments non
agricoles, mais en revanche, un différentiel de salaire réel apparaît entre les régions, et le rural
reste caractérisé par une très faible diversité du tissu productif. L’inégalité de salaire réel peut
d’ailleurs persister, même si une convergence à long terme est en général prédite par les
modèles.
2.3.2. Les évolutions du rural français
Les observations sur l’espace à dominante rurale10 sont dans les grandes lignes compatibles
avec les prédictions des modèles (voir l’annexe 2 pour quelques données de cadrage sur
l’emploi et la population rurales) :
- La baisse des coûts de transport et l’augmentation de la diversité des biens produits
coïncide avec une forte concentration urbaine. Les zones éloignées de l’influence des plus
grandes villes ont été l’objet d’une importante émigration.
- L’industrie rurale se spécialise surtout dans les activités à main d’œuvre peu mobile et peu
qualifiée, ainsi que sur l’agroalimentaire.
- Il existe un différentiel significatif de salaire moyen (nominal et réel) entre zones rurales
et urbaines.
- Beaucoup d’activités non agricoles en zone rurale sont liées au sol (matières premières,
aménités) ou à la population présente (services aux personnes).
Notons que la mobilité de la population entre espaces ruraux et urbains est faible (11% de la
population rurale a migré vers l’espace à dominante urbaine sur 1982-90), ce qui inclinerait à
choisir des modèles à immobilité géographique.
Les tests économétriques réalisés sur les évolutions récentes du rural (par exemple, Schmitt
2000) corroborent pour l’essentiel les prédictions des modèles. Ainsi, l’évolution de
l’industrie est positivement reliée à celle de la population, et négativement à la présence de
main-d’œuvre ouvrière qualifiée en zone rurale (ce qui semble indiquer que l’industrie rurale
valorise plutôt la main-d’œuvre peu qualifiée). Les services (qui peuvent être assimilés à des
activités liées au sol dans le cas des services aux personnes) expliquent l’essentiel de
l’évolution de l’emploi rural, et sont liés positivement à l’évolution de la population et aux
aménités touristiques. Toutefois, ces études mettent en évidence des situations contrastées
entre les différents bassins d’emploi ruraux.
Par ailleurs, nous avons cité plusieurs modèles qui se focalisent sur l’étude de la localisation
des activités agricoles, et qui parviennent à saisir certains traits de l’agriculture
10
Dans tout ce document, ce vocable est employé au sens du zonage en aires urbaines de l’INSEE
46
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
contemporaine : déprise dans les régions périphériques, agriculture compétitive dans les
régions industrielles, diminution de l’intensité en travail avec les gains de productivité…
2.3.3. Eléments à approfondir
Ces concordances générales entre la théorie et les faits ne sont somme toute guère
surprenantes, puisque les différents modèles auxquels elles font référence ont souvent été
bâtis de façon à rendre compte de faits stylisés spécifiques. Néanmoins, il reste plusieurs
points sur lesquels la modélisation en économie géographique apporte peu ou pas de réponse :
- L’industrie rurale, particulièrement développée en France (à l’inverse d’autres pays
industrialisés) jusqu’au milieu du XXème siècle, a en grande partie périclité, sauf dans les
secteurs liés aux matières premières. Pourtant, les derniers recensements montrent que
l’industrie rurale résiste mieux qu’en zone urbaine : ainsi en 1990, le secteur secondaire
représente 34% de l’emploi total de l’espace à dominante rurale, contre 30% pour la
France entière (cf. annexe 2). On peut répondre à nouveau qu’il s’agit surtout d’industries
liée aux ressources fixes (industries agroalimentaires, ou utilisant une main-d’œuvre peu
qualifiée et docile) ou bénéficiant de conditions particulières avantageuses (proximité
d’une voie de communication, soutien public répété), mais il convient d’analyser le
phénomène dans le détail. En particulier, on note que les industries agroalimentaires ne
représentent en fait que 1/7ème de l’industrie rurale.
- Le solde migratoire de l’espace à dominante rurale est positif depuis 1975, et l’emploi
total est stable. Il est vrai que ce solde positif est dû essentiellement à l’espace sous faible
influence urbaine, mais il est aussi positif en rural isolé sur 1990-99. Or, la plupart des
modèles autorisant un déplacement de population prévoient une évolution systématique
vers la concentration. On peut invoquer le développement de nouvelles fonctions de
l’espace rural (fonctions récréatives et résidentielles), tandis que l’agriculture continue à
régresser dans tous les types d’espace, mais là encore des investigations approfondies
restent à mener. Par exemple, il semble que l’impact des migrations de retraités sur
l’emploi ne soit pas aussi important qu’on pourrait le croire (Schmitt 2000).
- Toujours dans l’étude de Schmitt (2000), on constate que l’emploi non agricole rural est
positivement relié à la qualification globale de la main-d’œuvre. Ceci semble
contradictoire avec la liaison négative entre emploi non agricole et qualification ouvrière.
Un développement d’emploi qualifié non ouvrier pourrait expliquer cette observation. De
plus, le fait que l’évolution de l’emploi non agricole en zone rurale soit négativement
corrélée à la densité d’emploi industriel suggère une certaine redistribution géographique
de l’emploi, et non une polarisation croissante de l’industrie.
- Les cas, certes ponctuels, mais bien réels, de districts industriels dynamiques en zone
rurale ne peuvent être pris en compte dans les modèles d’économie géographique, dans
lesquels les seuls effets externes sont les relations autorenforçantes entre offre et demande
de biens intermédiaires et finaux.
C’est en particulier le dernier point qui nous intéresse particulièrement ici. Il convient en effet
de s’intéresser dans un premier temps aux cas les plus spectaculaires du maintien d’une
activité forte en zone rurale. Plusieurs faits méritent discussion :
- La désintégration verticale observée dans les districts : cet aspect, qui est une des
questions de base de l’économie néo-institutionnaliste, ne sera pas étudié ici.
- La persistance de la localisation en zone rurale : elle implique l’existence d’avantages
naturels ou construits qui permettent de dégager un surplus compensant les effets
favorables à la concentration.
47
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
-
Le fait que la rente soit captée localement, malgré une taille souvent petite des unités (par
opposition à la situation de l’agriculture traditionnelle vis-à-vis des industries
agroalimentaires).
Conclusion de la section
Le formalisme de l’économie géographique constitue un cadre pertinent pour analyser les
évolutions de la répartition spatiale des activités, y compris pour représenter les grands traits
de l’évolution des régions rurales. Il convient cependant d’approfondir de façon tant théorique
qu’empirique certains faits dont il ne rend encore qu’imparfaitement compte. Dans la suite de
ce travail, on se concentre sur les effets liés à l’amélioration endogène de l’efficacité, due à
l’organisation des agents économiques.
2.4. Pourquoi et comment introduire des effets organisationnels dans un modèle
d’économie géographique ?
Comme on l’a vu dans la première section, un des buts des modèles d’économie géographique
est de montrer qu’il est possible d’expliquer de nombreux phénomènes de différenciation
spatiale sans recourir à des avantages comparatifs exogènes ou à des externalités plus ou
moins arbitraires. L’existence d’externalités positives non pécuniaires est indiscutable, et
d’ailleurs certains modèles d’économie géographique en introduisent. Ottaviano & Thisse
(2002) indiquent que les externalités technologiques (en particulier de communication) ont
surtout des chances d’être significatives à des échelles restreintes, qui sont celles qui nous
intéressent. Cette section est consacrée à l’examen de la façon d’introduire des effets
d’organisation dans des modèles d’économie géographique.
2.4.1. L’économie géographique fournit-elle des outils adaptés ?
Rallet (2001), souligne la fécondité de la représentation de l’économie géographique pour
analyser les mécanismes marchands conduisant à la polarisation. Mais il estime que cette
approche ne permet pas de démêler les différents types d’externalités (autres que pécuniaires)
pouvant intervenir dans ces processus, et ne fournit pas de mécanisme endogène de limitation
de la polarisation (avec des coûts de transport bas, la seule force de dispersion est la présence
d’une activité liée au sol, à moins d’introduire des coûts de congestion). En conséquence, les
modèles fournissent les résultats tranchés que l’on connaît sauf modification ad hoc :
agglomération complète, éventuellement tempérée par la présence d’une population fixe. Or,
toujours selon Rallet (2001), ces résultats ne sont pas satisfaisants pour rendre compte de deux
faits stylisés contemporains : la « localisation globale » (tendance combinée à
l’internationalisation et à la valorisation des ressources locales) et l’« économie d’archipels »
(fonctionnement en réseau de multiples pôles économiques, la périphérie de chacun des pôles
étant « économiquement morte »).
Ces réflexions recoupent en partie les préoccupations de ce mémoire. Des avantages, non en
termes de capital physique ou humain, mais d’organisation, peuvent expliquer pourquoi une
zone non agglomérée peut devenir attractive économiquement, même dans un contexte de
baisse de coûts de transport. Dans l’optique d’une « économie d’archipels », la question serait
de savoir comment une région rurale pourrait prendre une part, certes modeste mais non nulle,
au réseau global. Cette optique peut ensuite être mise en perspective avec les conceptions du
développement rural évoquées en introduction du mémoire : préservation d’une vie
économique et sociale minimale, valorisation énergique de nouveaux avantages comparatifs,
tentative de modérer la concentration globale.
48
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
Bien que les modèles d’économie géographique soient essentiellement conçus pour l’étude de
la polarisation, ils constituent un matériel intéressant pour commencer à examiner les
conséquences de la coexistence de forces d’agglomération marchandes et de ressources
locales organisationnelles à valoriser. Cela permet de tirer profit des travaux déjà accomplis
en matière d’effets d’agglomération, tout en y ajoutant de nouveaux éléments.
Naturellement, cela pose le problème de la possibilité d’analyse de la conjonction de
mécanismes très différents. Des résultats contre-intuitifs ou peu robustes peuvent émerger. Par
exemple, Ricci (1999) ajoute des avantages comparatifs exogènes à un modèle d’économie
géographique. Il obtient ainsi que dans certains cas, la baisse des coûts de transport
n’augmente pas l’agglomération (il est vrai qu’il introduit une externalité de congestion), et
qu’une augmentation d’avantage comparatif n’augmente pas nécessairement la
spécialisation…
Comme le rappellent Ottaviano & Thisse (2002), les complémentarités sont difficiles à traiter
par la théorie économique. Une démarche de modélisation repose sur la simplification de la
réalité pour comprendre les mécanismes essentiels. Aussi, les ajouts d’éléments nouveaux se
feront avec parcimonie, au besoin en simplifiant d’autres aspects, en évitant de recourir à la
simulation, de façon à garder une compréhension des mécanismes en jeu.
2.4.2. Reprise des principaux effets d’organisation
Rappelons que Marshall considérait trois types d’effets externes dans les districts industriels :
les relations antorenforçantes d’offre et de demande (déjà prises en compte dans les modèles
d’économie géographique), la spécialisation des compétences à la demande de travail des
entreprises (partiellement prise en compte dans certains modèles) et les externalités
technologiques (liées essentiellement aux échanges d’information), non pécuniaires. Dans la
sous-section 1.2.1. du chapitre précédent, nous avons détaillé ces idées en établissant une liste
plus précise d’effets d’organisation possibles.
Nous allons donc reprendre un à un ces effets organisationnels et examiner dans quelle
mesure une incorporation dans un formalisme d’économie géographique est envisageable (à
« peu de frais » techniques). Les effets sont ici ordonnés conformément à la fin de la soussection 1.2.1., et regroupés pour éviter les redites. Voici quelques possibilités envisageables :
a) Accès et prix des facteurs
- Accès préférentiel à des ressources naturelles locales : cet effet peut être représenté par
une baisse exogène de la valeur du coût marginal c (économie de coûts de transaction
proportionnelle à la quantité produite).
- Accès préférentiel au crédit : peut être représenté par une baisse du besoin fixe F.
- Main-d’œuvre spécialisée, captive, acceptant des salaires inférieurs : cet effet est pris en
compte dans les modèles distinguant main-d’œuvre qualifiée mobile et main-d’œuvre non
qualifiée fixe (cf. par exemple Gaigné 2001).
b) Efficacité interne aux firmes
- Qualités de la main-d’œuvre : peut être rendu par une baisse des coûts fixe et marginal.
- Autorenforcement des compétences : peut être pris en compte par une baisse du coût
marginal du travail, d’autant plus grande que le nombre de firmes est élevé. La prise en
compte de cet effet pourrait aussi mobiliser une représentation plus détaillée du marché du
travail (marché interne et externe, changements d’entreprise).
c) Relations entre firmes
- Complémentarités verticales et coopérations ponctuelles (nécessite de prendre en compte
les biens intermédiaires) : cet effet est déjà intégré à certains modèles à espace continu
49
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
sous la forme d’externalités associées à la proximité d’entreprises. Il peut aussi être rendu
dans un espace discret par une baisse de l’élasticité de substitution entre inputs locaux.
- Circulation de l’information technique (nécessite de prendre en compte des biens
intermédiaires) : l’évolution technique peut être rendue par une augmentation de
l’intensité capitalistique, ou simplement une baisse des coûts fixe et marginal.
- Circulation de l’information sur les marchés, et biens utilisés en commun : peuvent être
rendus par une baisse des coûts de transport dans le sens SPL=>extérieur.
d) Relation avec les marchés
- Fidélité aux fournisseurs locaux : nécessite de prendre en compte les biens intermédiaires,
peut être rendu par une baisse du coût marginal d’utilisation des biens
intermédiaires.d)relations avec les marchés
- Tarifs préférentiels, mobilisation efficace des distributeurs : équivaut également à une
baisse des coûts de transport dans le sens SPL=>extérieur.
- Fidélité aux produits locaux : peut être rendu soit par une modification de l’utilité, soit par
l’ajout d’une « taxe psychologique » pour les produits venant de l’extérieur. Etant donné
qu’on s’intéresse aux régions rurales, il est peu probable que la demande locale ait un
impact significatif, sauf pour des biens de consommation finale ou des services
occasionnant peu d’économies d’échelle, donc pouvant être produits par des petites unités.
- Barrières à l’entrée : il s’agit ici d’augmenter les profits en créant un pouvoir de
monopole. Ce genre de pratique permet certes un développement économique, mais
réservé uniquement à un petit nombre11, Pourtant, il peut exercer des effets induits (par
exemple, en termes d’image pour une AOC). Les barrières à l’entrée n’ont d’intérêt que si
les produits sont très spécifiques et recherchés par les consommateurs (voir points
suivants).
e) Nature de la demande
- Atmosphère propice à l’innovation : difficile à rendre dans un cadre statique, peut se
traduire par une baisse des coûts, ou une modification de la fonction d’utilité du
consommateur, qui rechercheraient alors davantage les biens produits dans le SPL.
- Confiance sur la qualité des produits, image positive de qualité : peut également être rendu
par une modification de la fonction d’utilité représentative, pour les produits du SPL (par
exemple à l’aide de la méthode des prix hédoniques).
- Complémentarités horizontales : on peut traduire cet effet par une diminution de
l’élasticité de substitution dans la fonction d’utilité représentative, mais il est difficile
d’aller au-delà dans un cadre de concurrence monopolistique. Cela nécessite de considérer
plusieurs types de produits.
- Baisse des coûts de publicité : peut être rendu par une baisse des coûts de transport dans le
sens SPL=>extérieur.
- Réactivité aux chocs exogènes : ne peut être pris en compte ici, puisque les biens sont tous
symétriques pour que l’analyse sans l’aide de simulations numériques soit possible.
Ces propositions constituent une liste assez hétéroclite, à l’image de la diversité des effets
d’organisation possibles (d’où d’ailleurs la diversité des modèles de développement proposés
dans le monde réel).
11
Cette question renvoie à nouveau à la définition du développement rural. Le terme de développement peut
prendre des acceptions très variables et n’avoir que peu de rapport avec la croissance économique. Par exemple,
parmi les projets de pays actuellement en cours d’élaboration, on trouve des stratégies basées sur le rejet des
nouveaux arrivants et la consolidation des avantages des résidents actuels.
50
Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique
2.4.3. Quels effets d’organisation choisir ?
Tout d’abord, on peut noter que beaucoup d’effets énumérés ci-dessus peuvent grossièrement
être modélisés par une modification arbitraire de certains paramètres correspondant à la
région qui se différencie par ses effets d’organisation : l’organisation garde alors entièrement
un caractère de « boîte noire ». Bien entendu, cette démarche n’a que peu d’intérêt car elle ne
peut conduire qu’à des propositions tautologiques, du genre : « si on modélise la préférence
pour les produits locaux par une augmentation du coût de transport des produits importés,
l’industrie locale est favorisée ». Comme on l’a signalé au § 1.3.2., elles peuvent tout de
même être utiles pour étudier les effets induits par l’accroissement de compétitivité obtenus
grâce à l’organisation. Cette démarche sera la première menée dans le chapitre suivant.
Pour aller plus loin, ainsi qu’il a été indiqué dans le § 1.3.2., les effets suivants seront étudiés :
- Complémentarités verticales entre firmes, ce qui nécessite d’introduire des biens
intermédiaires. Le degré de complémentarité sera représenté par l’élasticité de substitution
des biens intermédiaires dans la fonction de production.
- Innovation sur un produit agricole et image positive chez les consommateurs, avec une
barrière à l’entrée pour préserver une situation de monopole. Le caractère « de qualité » de
ce produit sera représenté par une modification de la fonction d’utilité, qui confère une
plus grande utilité au bien de qualité par rapport au bien générique, mais conserve la
substituabilité des deux types de biens agricole.
Ils semblent en effet se prêter facilement à une incorporation dans un modèle d’économie
géographique, tout en imposant des modifications non triviales, et nous verrons qu’ils ont des
implications intéressantes. Ce type de démarche correspond au compromis entre une prise en
compte de l’organisation par des modifications ad hoc des paramètres, et l’explicitation des
effets élémentaires d’organisation.
Conclusion de la section
A l’issue de ce chapitre, nous avons exposé plus concrètement la façon dont un modèle
d’économie géographique pourrait inclure certains effets organisationnels. Plusieurs pistes ont
délibérément été mises de côté et pourront faire l’objet d’investigations ultérieures. L’étape
suivante, objet du chapitre 3, va consister en la formulation explicite de variantes de modèles
de type Krugman (1991) et Krugman & Venables (1995).
51
Chapitre 3. Variantes analysant des effets organisationnels
Ce chapitre propose des variantes des modèles de Krugman (1991) et de Krugman &
Venables (1995). Il reste donc dans le cadre du modèle de Dixit-Stiglitz, afin de pouvoir
capitaliser les nombreux travaux qui ont découlé des deux modèles fondateurs. Il n’est pas
possible de choisir a priori entre un modèle avec mobilité géographique sans mobilité
intersectorielle (type Krugman 1991), et l’inverse (type Krugman & Venables 1995) lequel
serait le plus adapté à l’espace rural.
Les modèles à mobilité géographique peuvent être choisis en supposant que l’échelle de
temps est trop courte pour permettre des changements de compétences (transferts entre
population agricole et ouvrière), alors que zones rurales et urbaines sont parfaitement ouvertes
aux migrations. Mais comme on l’a vu, ils présentent l’inconvénient de donner des équilibres
très tranchés, et obligent à partir systématiquement de situations en coin plutôt que de
situations d’industrialisation rurale partielle. Cet inconvénient sera contourné en s’intéressant
uniquement aux conditions qualitatives favorables à la délocalisation d’une partie des activités
en zone rurale, sans s’intéresser à des équilibres de délocalisation partielle.
Inversement, les modèles à mobilité sectorielle rendent bien compte de la faible mobilité des
populations rurales, et de la fréquence (relative) de la double activité agriculture-industrie
observée en zone rurale. Leur étude analytique est parfois plus délicate, surtout en présence de
biens intermédiaires dans l’industrie.
Dans ce travail, on se borne à une étude analytique, qui ne rend compte que d’une partie de la
richesse des modèles, mais permet de démontrer des résultats généraux. Le principe sera
toujours le même. On partira d’une situation de concentration totale de l’industrie dans une
région (qui est donc la région urbaine), et on explicitera la condition de délocalisation de
l’industrie en zone rurale. L’effet des différents paramètres sera alors étudié. Cette méthode
suppose que les conditions obtenues sont suffisamment robustes pour être généralisables à des
situations intermédiaires.
Comme indiqué en §1.3.2., trois types de modèles seront étudiés : un modèle avec
amélioration exogène de l’efficacité de l’industrie dans une région rurale, un modèle avec
davantage de complémentarités verticales entre firmes dans la région rurale, et un modèle
avec différenciation d’un produit agricole ou lié au sol. Le premier et le troisième types de
modèle comprendront trois régions (une région urbaine et deux régions rurales), le second en
comprendra deux.
3.1. Les conséquences d’une amélioration de l’efficacité de l’industrie rurale dans
un modèle à trois régions
Cette section présente l’analyse de modèles qui visent à approcher la question de la
différenciation des zones rurales par le biais d’un changement arbitraire dans l’efficacité du
système productif industriel. A ce stade, on garde les hypothèses les plus simples sur la
structure industrielle : un seul type de firmes, toutes identiques, en concurrence
monopolistique, n’utilisant que le facteur travail. Le mécanisme précis de différenciation des
entreprises est pour le moment éludé, et il est en fait résumé dans la variation des paramètres
des fonctions de production. Dans la suite, on cherchera à préciser la façon dont l’organisation
locale agit sur les fonctions de production.
Dans toute cette section, les modèles comprennent trois régions ponctuelles : une région
urbaine, une région rurale dite « différenciée », dont les paramètres de fonction de production
52
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
sont appelés à varier, et une région rurale dite « indifférenciée », dont la fonction de
production est identique à celle de la région urbaine. Deux types de conditions sont alors
dérivées analytiquement :
- La condition de délocalisation d’une partie de l’industrie urbaine vers la région rurale ;
- La condition sous laquelle la région rurale différenciée est plus attractive pour l’industrie
que la région rurale indifférenciée.
Il faut noter que l’utilisation d’un modèle à trois régions a déjà été proposée dans plusieurs
travaux antérieurs :
- Fujita, Krugman & Venables (1999) généralisent le modèle de Krugman (1991) à trois
régions, mais il s’agit de régions identiques par leur distribution d’agriculteurs et leurs
paramètres. Les résultats sont qualitativement identiques au modèle de Krugman (1991).
- Puga & Venables (1997) étudient un modèle proche de Krugman & Venables (1995), et
s’intéressent aux conditions de rupture de l’équilibre d’équipartition de l’industrie, dans
un contexte d’intégration partielle de l’économie (représentée par une diminution des
coûts de transport), ou de configuration « rayon-moyeu » (cf. Annexe 3 point 2.), ainsi
qu’aux conséquences en termes de bien-être collectif. Les régions qui intègrent leurs
économies dans le premier cas, et la région centrale dans le second, sont bénéficiaires en
termes d’activité industrielle et de bien-être.
- Crozet & Koenig-Soubeyran (2002) étudient l’évolution d’un pays composé de deux
régions lorsqu’il s’ouvre au commerce extérieur (l’extérieur étant représenté par une
troisième région). Ils montrent que l’ouverture favorise la polarisation au sein du pays
(contrairement aux travaux de Krugman & Livas 1996), surtout si la région extérieure est
grande. Si les coûts de transport sont différenciés, l’agglomération se produit
préférentiellement dans la région la plus proche du marché extérieur.
Le présent travail a la particularité par rapport aux articles cités ci-dessus de partir d’une
configuration polarisée, et surtout d’ajouter une différenciation de la fonction de production
entre les différentes régions, assimilable à un avantage comparatif susceptible de tempérer les
effets des mécanismes cumulatifs de polarisation.
Bien qu’il s’agisse d’un modèle d’équilibre général, dans l’analyse présentée ici, la région
urbaine a surtout pour rôle de fixer un niveau de salaire réel (ou de manière équivalente,
d’utilité) de référence pour évaluer la possibilité de délocalisation. En effet, on part ici d’une
situation initiale d’agglomération totale de l’industrie dans la région urbaine, et on cherche
uniquement à déterminer des conditions de délocalisation partielle (infinitésimale dans les
calculs) de l’industrie. Il ne s’agit pas de rechercher explicitement les équilibres stables autres
que l’agglomération initiale. Comme dans tous les modèles de ce type, on s’attend à ne
trouver que des équilibres d’agglomération totale ou de répartition symétrique.
La démarche entreprise ici se fonde donc sur un postulat de robustesse des résultats qualitatifs
obtenus sur les conditions de délocalisation, sachant que le modèle dans son ensemble (types
d’équilibre obtenus) est peu approprié pour décrire l’évolution possible de l’espace rural. De
plus, elle suppose acquis qu’il est possible de faire varier l’efficacité productive, dans le sens
d’une amélioration, dans la zone rurale. Cette variation est censée représenter l’effet d’une
meilleure coordination entre firmes, mais son origine sera à approfondir.
Nous étudions successivement un modèle avec mobilité géographique et immobilité
sectorielle (type « Krugman 1991 »), et un modèle avec immobilité géographique et mobilité
sectorielle (type « Krugman & Venables 1995 »), considéré comme cas polaire à l’autre
extrême du précédent.
53
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
3.1.1. Une version avec mobilité géographique et immobilité sectorielle
Cette sous-section a pour objectif de comparer l’aptitude à attirer une activité industrielle de
régions rurales ayant des caractéristiques différentes du point de vue de l’efficacité
productive, dans un cadre de type Krugman (1991). Elle comprend trois parties. Dans un
premier temps, les hypothèses générales et notations sont présentées. Dans la seconde partie,
la condition de délocalisation en zone rurale est établie. La troisième partie compare
l’attractivité de la région rurale différenciée par rapport à l’autre.
3.1.1.1. Hypothèses et notations
On considère une économie à trois régions dans un équilibre de polarisation : deux régions
rurales ne comprenant que de l’agriculture, et une région industrielle (ou urbaine) concentrant
la totalité des emplois industriels. La région urbaine ne comporte donc initialement aucun
agriculteur, tandis que les régions rurales ne comportent aucun ouvrier, mais se partagent les
travailleurs agricoles dans une proportion variable notée θ (exogène). En effet, la part du
monde rural qui bénéficie de l’amélioration de l’efficacité productive que l’on cherche à
représenter est bien entendu variable.
Puis, une différenciation des paramètres est réalisée entre les deux régions rurales. Les
conditions de délocalisation de la main-d’œuvre industrielle sont alors étudiées (on rappelle
que d’après les hypothèses du modèle, la migration de main-d’œuvre engendre de facto une
création d’établissements industriels). La main-d’œuvre industrielle migre dans la région
rurale à condition qu’elle soit susceptible d’y percevoir un salaire réel supérieur.
Le tableau suivant donne les notations du modèle :
Main-d’œuvre agricole
Région urbaine U
0
Rural différencié D
LAD = θLA
Rural indifférencié I
LAI = (1 − θ ) LA
Main-d’œuvre industrielle
LMD = 0
LMI = 0
LUM = LM
l = F+c.q
l = F’+c’.q
l = F+c.q
Fonction de production
Paramètres des ménages
σ, µ
σ, µ
σ, µ
M
A
Revenu régional
wU LU
LD
LAI
Le prix agricole est posé comme numéraire, égal à 1. Le coût de transport, noté T12, concerne
seulement l’industrie. Rappelons que dans ce modèle, la main-d’œuvre agricole est répartie de
façon exogène, tandis que la main-d’œuvre industrielle est le résultat d’un équilibre.
Dans son article, Krugman donne une condition de normalisation qui est LA LM = (1 − µ ) µ .
Cette condition est censée traduire le fait que, dans le long terme, la part de travailleurs
industriels et la part de biens industriels dans la consommation s’ajustent, ceci découlant de la
tendance à l’égalisation des salaires industriel et agricole. Cela peut sembler surprenant,
puisque le salaire industriel varie en fait indépendamment du salaire agricole dans son
modèle. Cette contradiction apparente découle de l’hypothèse selon laquelle le revenu
agricole est indépendant de la demande de biens agricoles. D’autre part, notons que cette
hypothèse d’égalité des salaires agricoles et industriels implique (comme le pensait d’ailleurs
Ricardo et les classiques, mais que les faits aujourd’hui ne confirment pas), que le salaire
industriel tende vers le salaire de subsistance. Ici, nous ne faisons pas une telle hypothèse de
12
On rappelle que, contrairement à l’article de Krugman (1991), le paramètre du coût de transport T représente
l’inverse de la part de produit industriel arrivant à destination (que Krugman note τ). On a donc T=1/τ >1 et ce
paramètre est croissant avec le coût de transport.
54
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
normalisation (les conditions trouvées ne font de toute façon pas apparaître le rapport des
populations agricole et industrielle).
Comme dans Krugman (1991), nous allons envisager un déplacement infinitésimal de
travailleurs manufacturiers de la région U vers la région D, et examiner si ce déplacement est
soutenable, en comparant les salaires réels dans les deux régions. Ici, on ne considèrera que
les délocalisations vers la région D, puisque c’est elle qui subit une amélioration de
l’efficacité productive.
3.1.1.2. Conditions de délocalisation dans une région rurale
Nous allons établir la condition sous laquelle la région urbaine retient tous les emplois
industriels, ou de manière équivalente, la condition sous laquelle une délocalisation a lieu
dans une région rurale. Pour commencer, nous considérons deux régions rurales aux
caractéristiques productives identiques : la région D ne se différencie pas, et les deux régions
se distinguent uniquement par leur taille, donc par le seul effet de taille de marché.
Le calcul du salaire nominal se fait à partir de la demande adressée à chaque firme, combinée
avec les équations (1), (2) et (3) du § 2.1.2. Supposons que quelques firmes s’implantent dans
la région D, en nombre nD. La demande adressée à chaque firme de la région U s’exprime
comme la somme des demandes dans les trois régions :
−σ
−σ


wU LUM pU−σ
LAIT 1−σ pU
( LAD + wD LMD )T 1−σ pU
qU = µ 
+
+
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ 
nU (TpU ) + n D p D
nU (TpU ) + n D (Tp D ) 
 nU pU + nD (Tp D )
La demande adressée à une firme qui s’implanterait dans la région D est de même :
−σ
 wU LUM T 1−σ p D −σ

LAIT 1−σ p D
( LAD + wD LMD ) p D−σ
qD = µ 
+
+
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ 
nU (TpU ) + n D p D
nU (TpU ) + n D (Tp D ) 
 nU pU + n D (Tp D )
Et on obtient une formule analogue par permutation des indices pour la région I.
En fait, comme on suppose que le déplacement de travailleurs de la région U est infinitésimal,
on suppose que LMD et n D sont très petits devant LAD et nU respectivement. Nous allons donc
développer ces expressions à l’ordre 0. Nous trouvons donc, en élargissant le raisonnement à
la région I :
 wU LM pU−σ LAD T 1−σ pU −σ LAIT 1−σ pU −σ 
µ
qU = µ 
+
+
=
1−σ
1−σ
1−σ 
nU (TpU )
nU (TpU )  nU pU
 nU pU
−σ
 wU LM T 1−σ p D −σ
LAD p D−σ
LAIT 1−σ p D 
µ  pU

µ
+
+
=
qD = 

1−σ
1−σ
1−σ
n
p
n
p
n
Tp
n
Tp
(
)
(
)
U U  pD
U U
U
U
U
U


[w
U
LM + LAD + LAI
]
σ

 
LA
  wU LUM T 1−σ + 1−Dσ + LAI 
T
 

σ
−σ
 wU LM T 1−σ p I −σ LA T 1−σ p −σ

LAI 
LAI p I
µ  pI  
M 1−σ
A
D
I


qI = µ 
w
L
T
L
+
+
=
+
+

D
 U U

T 1−σ 
nU pU1−σ
nU (TpU )1−σ nU (TpU )1−σ  nU pU  p D  

Ces expressions peuvent s’interpréter comme la quantité effectivement vendue par une firme
de la région U, et les quantités que vendraient des firmes qui s’implanteraient respectivement
en région D et I. A présent, les expressions (1), (2) et (3) énoncées en sous-section 2.1.2.
permettent d’éliminer les prix, nombres d’entreprises et quantités vendues. L’équation
donnant qU permet d’extraire la valeur de wU, puis celle donnant qD relie wD à wU et celle
donnant qI relie wI à wU. Rappelons que l’usage de ces équations repose sur l’hypothèse
(forte) que même en cas de déplacement infinitésimal de firmes dans une région rurale, il y a
55
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
plein emploi et annulation du profit. On peut affaiblir cette hypothèse en considérant qu’il
suffit que le profit soit positif en région rurale et remplacer l’équation (2) par :
qi ≥ (σ − 1) F / c . Dans ce cas, les conditions de délocalisation trouvées ne sont plus des
conditions nécessaires et suffisantes, mais seulement des conditions suffisantes.
Calcul de wU :
qU =
A
F (σ − 1) µF (σ − 1)  M L 
L
=
+


c
wU 
LM c 
d’où on tire : wU =
µ LA
(4)
1 − µ LM
Ce salaire peut être supérieur ou inférieur à 1, puisque ouvriers et agriculteurs sont des
populations indépendantes.
Calcul de wD/wU (absence de différenciation de la fonction de production de D) :
F (σ − 1) µF (σ − 1)  wU

qD =
=
c
LM c  wD
w
Soit :  D
 wU
σ

  M 1−σ 1 − µ LM LAD
  L T +
( 1−σ + LAI )
A
µ L T
 

σ

LA
LA
 = µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1 DA + (1 − µ ) AI
L
L

Il convient cependant de comparer les salaires réels et non les salaires nominaux. Etant
données les approximations faites et la normalisation du prix agricole, la relation entre les
deux est simple. En effet :
ω U = wU /(nU1 /(1−σ ) pU ) µ et ω D = wU /(nU1 /(1−σ )TpU ) µ d’où (ω D / ω U ) = ( wU / wD )T − µ
Pour calculer les salaires nominal et réel dans la région I, on raisonne de manière analogue et
finalement, en introduisant le paramètre θ de répartition de la population agricole entre les
deux régions rurales, on obtient :
wU =
ωD

 ωU
 ωI

 ωU
µ LA
1 − µ LM

1/ σ
 = µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ ) T − µ


1/ σ
 = µT 1−σ + (1 − µ )θ + (1 − µ )(1 − θ )T σ −1 T − µ

[
]
[
]
La condition de dispersion de la main-d’œuvre urbaine est : ω D ≥ ω U ou ω I ≥ ωU .
1/ σ
1 + µ 1−σ 1 − µ σ −1 
T +
T  T − µ ≥ 1 , où les
La condition obtenue par Krugman (1991) est : 
2
 2

deux termes de la somme entre crochets correspondent respectivement à la contribution de la
région urbaine et à celle de la région rurale. Elle est différente des conditions trouvées ici
puisque, outre le fait que la région rurale est scindée en deux (d’où le troisième terme de la
somme entre crochets, correspondant au rural indifférencié), la répartition initiale des
travailleurs est différente : dans son article, la population agricole était uniformément répartie
entre régions rurale et urbaine.
56
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Effet des paramètres
Les formules précédentes permettent de connaître facilement l’influence de certains
paramètres sur la possibilité de dispersion :
- L’augmentation de la part θ de population agricole dans la région D est favorable à la
délocalisation dans la région D (et inversement pour la région I) : il s’agit d’un simple
effet de taille de marché qui implique que la présence de consommateurs en plus grand
nombre est favorable à une industrialisation.
- L’augmentation de la part de produits industriels dans la consommation, µ, a un effet
défavorable à la dispersion, comme dans le modèle de Krugman.
- On note enfin que le rapport LA LM n’intervient pas dans la condition de dispersion : le
rapport des populations urbaine et rurale ne joue pas, ce qui est surprenant, on se serait
attendu à ce qu’une population urbaine très élevée par rapport à la population rurale rende
plus difficile l’industrialisation rurale.
Pour le coût de transport, l’étude est plus complexe que dans le modèle de base. Les calculs
sont donnés en annexe 4. On trouve que quatre cas sont possibles :
- Si σ<1/(1-µ) (c’est la « black-hole condition » de Krugman), la délocalisation n’est jamais
possible, quel que soit T. En d’autres termes, l’effet taille de marché en région rurale ne
parvient jamais à compenser les rendements d’échelle externes croissants dans la région
urbaine lorsque la substituabilité des biens industriels est trop faible.
- Si σ>1/(1-µ) et µ > (σ - 1)/(3σ - 2) , la délocalisation est instable pour T faible, elle devient
stable à partir d’un certain seuil du coût de transport. Même lorsque la taille de la région D
est importante, il y a toujours concentration lorsque le coût de transport est suffisamment
faible du fait de la diminution de l’avantage lié à la proximité géographique des industries
en zone rurale.
- Si µ < (σ - 1)/(3σ - 2) (cette condition étant équivalente à σ > (1 − 2 µ ) /(1 − 3µ ) ) et
θ < µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , le résultat est identique.
- Si µ < (σ - 1)/(3σ - 2) mais θ > µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , alors la délocalisation est
toujours stable. Dans ce cas, la demande en biens industriels est suffisamment faible (ou la
préférence pour la variété suffisamment faible) pour favoriser systématiquement une
localisation industrielle à proximité de la clientèle rurale.
Dans la suite, nous exclurons les deux cas, inintéressants, où µ < (σ - 1)/(3σ - 2) et
θ > µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , et où σ<1/(1-µ).
Les résultats ci-dessus interprètent la condition de délocalisation de façon rigoureusement
dichotomique : délocalisation/concentration. Cependant, si l’on considère uniquement les
variations de la fonction V = µT 1−σ (1+ µ ) + (1 − µ )θT σ (1− µ )−1 + (1 − µ )(1 − θ )T −σµ , qui mesure en
quelque sorte la tendance à la délocalisation (cf. annexe 4.), on constate que dans tous les cas
où il existe un seuil de délocalisation, la baisse des coûts de transport conduit à une
augmentation de V pour T suffisamment faible, et est de fait qualitativement favorable à la
délocalisation.
Concernant l’effet de l’élasticité de substitution, ce dernier est étroitement relié à l’effet du
coût de transport. Si les valeurs des paramètres sont telles qu’une hausse du coût de transport
favorise la dispersion, une hausse de l’élasticité de substitution favorisera encore plus la
dispersion, et inversement. Dans toutes les situations où la baisse du coût de transport est
57
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
défavorable à la délocalisation industrielle, moins les biens sont différenciés (σ élevé), plus la
dispersion est favorisée, ce qui est le même résultat que dans le modèle de Krugman.
De façon générale, tous ces effets sont qualitativement identiques au modèle de Krugman. Il
faut à présent à examiner la principale modification du modèle, qui est la différenciation
d’une région.
Cas où la région D se différencie du point de vue de la fonction de production
Considérons à présent le cas où la fonction de production est différenciée dans la région D. La
seule équation à modifier concerne est donnant le salaire potentiel de la région D. Tous
calculs faits, le rapport des salaires réels devient :
ωD

 ωU

F
 =  
  F'
1/ σ
c
 
 c' 
(σ −1) / σ
[µT
1−σ
+ (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ )
]
1/ σ
T −µ
La formule ci-dessus d’ailleurs analogue à celle obtenue par Gaigné (2001) dans un modèle à
deux régions et un cadre du type Krugman & Venables (1995). Ainsi, on constate qu’avec ces
hypothèses simples, les nouveaux paramètres introduits modifient de manière très simple la
condition précédente et ont un effet évident et conforme à l’intuition sur la condition de
dispersion :
- La baisse du besoin marginal en facteur est favorable à la dispersion vers la région D, et
l’effet est d’autant plus marqué que les biens sont substituables.
- La baisse du besoin fixe en facteur est favorable à la dispersion vers la région D, et ce, à
l’inverse, de façon d’autant plus sensible que les biens sont peu substituables.
L’élasticité de substitution joue donc à présent un rôle plus ambigu. Si la différenciation se
fait essentiellement via le besoin fixe (F/F’>>c/c’), alors une hausse de σ devient moins
favorable à la délocalisation dans la région D, contrairement aux résultats habituels.
Inversement, si la différenciation se fait essentiellement via le besoin marginal (F/F’<<c/c’),
alors la différenciation renforce l’impact positif de σ sur la délocalisation. On note en outre
que dans ces formules, le besoin fixe en travail joue un rôle, ce qui n’est en général pas le cas
dans les conditions trouvées dans les modèles de ce type.
La figure suivante donne la relation entre coût de transport et rapport des salaires réels,
illustrant la relation « en U inversée », classique dans les modèles d’économie géographique :
Avantage relatif de la région D en termes de salaire réel
avec ou sans différenciation
ω D / ωU
F’<F ou c’<c
F’=F, c’=c
1
T
58
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Réécriture de la condition en introduisant un paramètre d’efficacité relative de la
différenciation
Il est possible de réécrire la condition de délocalisation dans la région D sous la forme d’un
seuil d’efficacité relative de la production industrielle dans cette région :
ξ>
µT 1−σ
T µσ
F
= ξ , où l’on a posé ξ =  
σ −1
+ (1 − µ ) T θ + (1 − θ )
 F'
[
]
c
 
 c' 
(σ −1)
>1
Ce paramètre peut en effet être simplement interprété comme l’efficacité relative de la région
D par rapport aux autres régions « indifférenciées » sur le plan de l’organisation.
Donnons les variations de cette expression en fonction du coût de transport (cf. annexe 4) : si
l’on exclut les cas inintéressants mentionnés précédemment dans l’étude de l’effet du coût de
transport, le seuil ξ est inférieur à 1 quand le coût de transport est élevé (il y a donc toujours
délocalisation), puis lorsque le coût de transport décroît, il croît vers un maximum, et tend
ensuite vers 1 quand le coût de transport tend vers 1. En d’autres termes, si l’on considère une
« baisse tendancielle de coût de transport », l’efficacité relative qu’il est nécessaire d’avoir en
région D pour que l’industrie s’y délocalise commence par s’élever, puis s’abaisse pour
progressivement tendre vers 1. Lorsque le coût de transport est très faible, même une faible
efficacité relative permet la délocalisation.
D’autre part, ξ diminue quand la part de population agricole θ de la région D augmente, et
augmente quand la part de consommation industrielle augmente. Tous ces effets sont
cohérents à l’étude faite plus haut sur la condition de délocalisation en l’absence de
différenciation.
Réécriture de la condition du point de vue de la taille de la région
Une autre formulation concerne cette fois le seuil en fonction de la taille de la région rurale D
nécessaire pour attirer la main d’œuvre industrielle :
θ>
T µσ − ξ ( µT 1−σ + 1 − µ )
=θ
ξ (1 − µ )(T σ −1 − 1)
L’effet qualitatif des paramètres sur ce seuil θ est identique à la discussion précédente, et ne
sera pas repris ici.
Ces deux formulations, en termes de conditions sur ξ ou θ, seront utilisées dans le point
suivant.
3.1.1.3. Attractivité relative des deux régions rurales
Pour approfondir l’analyse, il conviendrait d’étudier les transferts possibles entre les deux
régions rurales. Cependant, dans ce travail, il n’est pas fait usage de simulations numériques,
qui seraient indispensables pour étudier des configurations autres que la situation en coin sur
laquelle on travaille ici. Afin d’évaluer l’attractivité relative des deux régions rurales, nous
nous contenterons de comparer les salaires réels entre les deux régions rurales.
En l’absence de différenciation de la région D, on a ω D > ω I si et seulement si θ >1/2, ce qui
est normal puisque les deux régions ont les mêmes caractéristiques. La délocalisation se
produira d’abord à destination de la région où la population est la plus nombreuse, puisque le
marché y est plus vaste.
59
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Plus intéressante est la condition en présence de différenciation. A présent, en réutilisant le
paramètre ξ défini plus haut, on peut écrire la condition selon deux points de vue, celui de ξ et
celui de θ. On a ω D > ω I si et seulement si :
ξ>
[
[
]
]
µT 1−σ + (1 − µ ) θ + (1 − θ )T σ −1
µ (1 − ξ )T 1−σ + (1 − µ )(T σ −1 − ξ )
*
ξ
θ
=
,
équivalent
à
>
=θ *
µT 1−σ + (1 − µ ) θT σ −1 + (1 − θ )
(1 − µ )(1 + ξ )(T σ −1 − 1)
Ainsi, la délocalisation a lieu dans la région D à condition que ξ > max(ξ , ξ * ) ,ou que, de
manière équivalente, θ > max(θ ,θ * ) . La comparaison des deux types de seuils (de salaire réel
supérieur à la zone urbaine, et de meilleure attractivité que la région I) ne donne lieu à aucune
propriété remarquable. En conséquence, l’attractivité relative des deux régions rurales fera
l’objet d’une étude totalement séparée.
Point de vue de l’efficacité relative de la différenciation, ξ
L’effet des paramètres sur le seuil ξ * est démontré en annexe 4, et on donnera uniquement ici
les résultats qualitatifs, qui sont valables à condition de supposer que θ <½ (en effet, le
phénomène d’organisation étudié a des chances de ne concerner qu’une faible part de l’espace
rural). L’efficacité nécessaire pour rendre la région D plus attractive est d’autant plus faible
que :
-
-
la taille de la région D est importante : on retrouve un effet taille de marché.
la part de biens industriels dans la consommation est grande : cet effet est inverse à celui
trouvé pour la condition de délocalisation, puisque le seuil ξ croît avec µ.
le coût de transport est faible : cet effet est différent de ce que l’on observe pour le seuil de
délocalisation ξ , ce seuil étant décroissant avec le coût de transport au delà d’un certain
seuil. Toutefois, dans une zone de coût de transport faible, l’effet est qualitativement
identique : la baisse de coût de transport fait diminuer les deux seuils.
l’élasticité de substitution est faible : même remarque que pour le coût de transport.
Point de vue de la taille relative de la région D, θ
On voit clairement que plus ξ est grand, plus le seuil est faible et devient même négatif dès
que : ξ > ( µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1 ) ( µT 1−σ + (1 − µ )) > 1 (dans ce cas, la région D est
systématiquement privilégiée, quelle que soit sa population).
Examinons maintenant le point de vue du coût de transport. On peut montrer que le seuil θ *
s’élève lorsque le coût de transport augmente. D’autre part, θ * est négatif en dessous d’un
certain coût de transport, et il tend vers 1/(1+ξ)<½ lorsque le coût de transport tend vers
l’infini. Ainsi :
- En dessous d’un certain seuil de coût de transport (qui dépend de ξ, tout en restant
supérieur à 1), la région D est systématiquement privilégiée pour une délocalisation.
- Au-dessus de ce seuil de coût de transport, il existe une part minimale de population
θ * que doit comporter la région rurale différenciée pour attirer les entreprises. Cette part
minimale est d’autant plus faible que la différenciation est importante (ξ est grand), et elle
est toujours inférieure à ½.
Concernant l’effet de l’élasticité de substitution, en raisonnant de même que pour ξ * , on
déduit qu’une augmentation de l’élasticité de substitution élève le seuil à partir duquel la
60
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
délocalisation se produit dans la région D. Enfin, on peut montrer que θ * diminue lorsque µ
augmente.
Ainsi, on constate que les résultats qualitatifs sur θ * sont équivalents à ceux sur ξ * (à
condition que θ<½). En particulier, les facteurs favorables à la délocalisation (T élevé, σ
élevé, µ bas) ont aussi dans certain cas un effet inverse sur le seuil de délocalisation (élèvent
le seuil de population nécessaire à la région D pour attirer les firmes et la main d’œuvre de la
région urbaine). Seule l’augmentation du paramètre ξ d’efficacité relative de la région D, joue
en faveur à la fois d’une délocalisation et d’une diminution du seuil θ * d’attractivité relative.
Synthèse de ce premier cas
Ces calculs illustrent le type d’analyse qu’il est possible de réaliser sans aide de simulations.
La comparaison des points de vue « efficacité relative » et « taille du marché » permet de
confirmer que les paramètres influencent les deux seuils ξ et θ étudiés de la même manière.
En revanche, les paramètres ont parfois un effet opposé sur les seuils de délocalisation et sur
les seuils d’attractivité. Résumons donc les effets trouvés :
- L’augmentation de la taille de la région D est toujours favorable à la fois à la
délocalisation industrielle dans cette région et à la plus grande attractivité de cette région
par rapport à l’autre région rurale. Il s’agit d’un simple effet de taille de marché.
- De même, l’augmentation de l’efficacité relative de la production dans la région D a les
mêmes effets.
- La baisse du coût de transport est d’abord défavorable à la délocalisation, puis devient
favorable lorsqu’il est très bas. En revanche, elle est dans tous les cas favorable à
l’amélioration de l’attractivité de la région rurale différenciée par rapport au rural
indifférencié.
- La baisse de l’élasticité de substitution a le même effet que la baisse du coût de transport.
- L’augmentation de la part de consommation industrielle est défavorable à la
délocalisation, alors qu’elle est favorable à l’augmentation de l’attractivité de la région D.
Une digression discutant les effets de la différenciation des coûts de transport entre régions est
donnée en annexe 3.
3.1.2. Une version avec immobilité géographique et mobilité sectorielle
L’hypothèse de mobilité géographique sans mobilité professionnelle est souvent adoptée pour
étudier la différenciation régionale, partant de l’hypothèse que le travail est très mobile entre
régions (à l’inverse des travaux en économie internationale). Cependant, cette hypothèse est
peu adaptée au monde rural où la main-d’œuvre industrielle est généralement peu mobile
géographiquement, et où les cas de double activité agriculture/industrie sont relativement
courants. En conséquence, nous allons reprendre le modèle précédent en supposant cette fois
la population totale fixe dans chaque région, mais la mobilité professionnelle parfaite.
Les résultats obtenus peuvent néanmoins être plus délicats à interpréter, car les modèles de
type Krugman-Venables (1995) donnent généralement, dès que la part de consommation
industrielle est suffisante, une certaine concentration industrielle en région rurale. Or, toujours
dans le but d’obtenir des expressions analytiques, nous continuons à considérer des situations
en coin. La robustesse de l’analyse de la condition de délocalisation et d’attractivité relative
est donc plus discutable.
61
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
3.1.2.1. Hypothèses, notations et modifications de la méthode d’analyse
Nous reprenons le cadre géographique à trois régions comme dans la sous-section précédente,
mais cette fois, la population totale de chaque région est donnée a priori. La définition de la
région urbaine U par rapport aux régions rurales D et I ne découle plus d’un équilibre, mais
uniquement d’une répartition de population totale fixée de manière exogène. Nous partons
d’une situation où il n’y a pas d’industrie dans les régions rurales, et examinons si cette
situation est stable.
Il existe à présent un salaire unique dans chaque région, et deux cas possibles pour la
détermination de ce salaire. Soit des agriculteurs coexistent avec la main-d’œuvre industrielle,
auquel cas le salaire régional est égal au salaire agricole. Soit il n’y a que des ouvriers, et le
salaire est supérieur ou égal à un. Selon le cas, l’inconnue recherchée sera la part d’ouvriers
dans la population régionale λ, ou bien le salaire régional. Le salaire agricole joue donc le rôle
d’un salaire de réservation.
Il convient de modifier les notations :
Main-d’œuvre totale, exogène
Part d’ouvriers (endogène)
Fonction de production
Paramètres des ménages
Revenu régional
Région urbaine U
LU
Rural différencié D Rural indifférencié I
LD = θLR
LI = (1 − θ ) LR
λU
l = F+c.q
σ, µ
wU LU
λD
l = F’+c’.q
σ, µ
wD L D
λI
l = F+c.q
σ, µ
wI L I
Le salaire agricole est à nouveau posé égal à 1. Posons en outre LR = LD + LI , et L = LU + LR .
Il faut noter que le paramètre θ a maintenant un sens différent de la première section : ce n’est
plus la part de population agricole (liée au sol) dans la région D, c’est la part de population
rurale totale dans cette région D. En pratique, comme on s’intéresse dans ce travail à une
situation initiale en coin où λD=λI=0, il n’y a pas de différence.
Contrairement à Krugman & Venables (1995), la fonction de production a pour seul facteur le
travail, ce qui permet de conserver les équations de Dixit-Stiglitz (1977) :
σ −1
σ −1
p, q=
F et n = λ L σF dans chacune des régions. Il ne reste plus, comme
c
σ .c
précédemment, qu’à écrire les quantités vendues du point de vue de la demande :
w=


wU LU pU−σ
wD LDT1−σ pU−σ
wI LI T1−σ pU−σ
qU = µ 1−σ
+
+
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ 
nU (TpU ) + nD pD + nI (TpI )
nU (TpU ) + nD (TpD ) + nI pI 
nU pU + nD (TpD ) + nI (TpI )
ainsi que pour les deux autres régions, par permutation circulaire.
La démarche de résolution complète consiste à résoudre les équations donnant les qr pour tous
les cas possibles (soit 8 cas, puisqu’il y a deux possibilités par région : w=1 ou λ=1),
d’éliminer les solutions impossibles (donnant λ>1 ou w<1), puis d’étudier la stabilité des
équilibres ainsi identifiés par une étude à leur voisinage.
Ici, on cherche uniquement à savoir dans quel cas une délocalisation d’industrie en zone
rurale est envisageable. On a bien entendu wD = wI = 1 et on raisonne par l’absurde : on
62
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
suppose qu’on a également λ D = λ I = 0 , et on examine si cette configuration est un équilibre
stable. On peut donc écrire :
qU =
 w L p −σ w L T 1−σ pU−σ wI LI T 1−σ pU−σ
σ −1
F = µ  U U 1−σU + D D
+
c
nU (TpU )1−σ
nU (TpU )1−σ
 nU pU
qui donne : wU =

µ
wU LU + LD + LI
=
 nU pU
[
]
µ LD + LI
.
λU − µ LU
Deux cas sont possibles :
- si ( LD + LI ) / LU > (1 − µ ) / µ , alors λU=1 et on retrouve une expression analogue à la sousµ L D + LI
>1, équivalent à l’équation (4).
section3.1.1., soit wU =
1 − µ LU
L + L D + LI
- si ( LD + LI ) / LU < (1 − µ ) / µ on a wU =1 et λU = µ U
<1.
LU
3.1.2.2. Condition de délocalisation dans une région rurale
Pour étudier la stabilité de cette situation, dans le cas où les régions rurales ont des paramètres
(autres que la population) identiques, on considère la quantité que vendrait une firme qui
s’implanterait dans une région rurale. Par exemple, pour la région D :


wU LU T 1−σ pD−σ
wD LD pD−σ
wI LI T 1−σ pD−σ
qD = µ 1−σ
+
+
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ 
nU (TpU ) + nD pD + nI (TpI )
nU (TpU ) + nD (TpD ) + nI pI 
nU pU + nD (TpD ) + nI (TpI )
avec des simplifications identiques aux calculs précédents :
µpD−σ
µF(σ −1)
qD =
wU LU T 1−σ + LDT σ −1 + LI =
wU LU T 1−σ + LDT σ −1 + LI
1−σ
1−σ
nU pU
λU LU cwU
Il y a instabilité de la concentration en région U au profit de la région D, s’il y a une
opportunité de profit :
[
]
[
]
µ
wU LU T 1−σ + (θT σ −1 + (1 − θ )) LR > 1
1−σ
λU LU wU
De manière analogue, la condition de délocalisation dans la région I est :
µ
wU LU T 1−σ + (θ + (1 − θ )T σ −1 ) LR > 1
1−σ
λU LU wU
En considérant les deux cas possibles (selon que λU =1 ou wU =1), on peut écrire précisément
cette condition en fonction des seuls paramètres (notons au passage que dans la condition
trouvée, on ne retrouve pas de facteur du type T-µ, car il n’y a plus de migration possible des
travailleurs entre les régions donc plus l’indices de prix à comparer). Contentons-nous de
donner les principaux résultats sur l’effet des paramètres pour la condition de délocalisation
industrielle dans la région D :
- L’augmentation de la part de population dans la région D est bien entendu favorable à
l’industrialisation de cette région, et ce d’autant plus que le coût de transport est élevé.
- Contrairement à la sous-section précédente, les populations relatives rurale et urbaine
interviennent. On peut montrer que l’augmentation de la part de population rurale dans la
population totale est favorable à la délocalisation. C’est à nouveau l’effet taille de marché.
- Lorsqu’on a wU=1, ce qui est le cas le plus simple, le paramètre µ n’a pas d’influence sur
la condition trouvée. Lorsque λU =1, on peut montrer que l’augmentation de µ est
q D > F (σ − 1) / c soit
[
[
]
]
63
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
-
favorable à la délocalisation (cf. annexe 4). Cela découle de la concurrence pour les
salaires dans la région U.
L’effet du coût de transport n’est pas monotone : si T > ( wU LU / LD )1 / 2(σ −1) alors une
baisse de coût de transport est défavorable à la localisation ; en dessous de cette valeur
(supérieure à 1 car il est raisonnable de supposer que LD < wU LU ), une diminution du
-
coût de transport est favorable à l’industrialisation. On retrouve l’effet de « courbe en U
inversé ». Ce résultat est cohérent par rapport à celui du modèle de Krugman & Venables
(1995). Ce dernier trouve d’ailleurs dans pratiquement tous les cas une industrialisation
rurale faible (rappelons qu’on se demande ici uniquement s’il y a délocalisation ou non, et
pas si elle est importante).
L’effet de l’élasticité de substitution est analogue à celui du coût de transport dans le cas
où wU=1. Dans le cas où wU>1, le terme en wUσ −1 contribue à renforcer la tendance à la
délocalisation en cas de hausse de σ, et ce d’autant plus que wU est élevé. Cette propriété
est facile à interpréter : lorsque wU>1, il y a concurrence forte entre entreprises sur le
marché du travail, qui est exacerbée par la concurrence sur le marché des biens lorsque les
produits industriels sont très substituables.
Il faut maintenant étudier le cas où la production industrielle de la région D devient plus
efficace. Pour étudier la stabilité de cette situation, on considère la quantité que vendrait une
firme qui s’implanterait dans une région rurale différenciée D :
qD =
µpD−σ
µF(σ −1)
1−σ
σ −1
w
L
T
L
T
L
+
+
=
U
U
D
I
nU pU1−σ
λU LU cwU1−σ
[
]
σ
[
c
1−σ
σ −1
  wU LU T + LDT + LI
 c' 
]
Il y a instabilité de la concentration en région U, s’il y a une opportunité de profit :
q D > F ' (σ − 1) / c' soit
µ
 F  c 
 
1−σ 
λU LU wU  F '  c' 
σ −1
[w
U
]
LU T 1−σ + (θT σ −1 + (1 − θ )) LR > 1
Cette modification de la condition de délocalisation est analogue dans sa forme à celle trouvée
à la sous-section 3.1.1. L’effet de la baisse du besoin marginal en travail est renforcé lorsque
les biens industriels sont très substituables. En revanche, l’effet de la baisse du besoin fixe en
travail ne l’est pas.
Réécrivons maintenant ces conditions sous forme de seuils d’efficacité relative et de taille de
marché local, en réintroduisant le paramètre ξ d’efficacité relative en région D.
Point de vue de l’efficacité relative
La condition s’écrit : ξ >
λU LU wU1−σ
=ξ
µ wU LU T 1−σ + (θT σ −1 + (1 − θ )) LR
[
]
L’effet des paramètres sur ce seuil est analogue à l’étude supra. Deux points sont intéressants
à noter avec cette formulation. D’une part, lorsque le coût de transport est très faible, et que le
salaire urbain est unitaire, ce seuil tend vers 1 (lorsque le salaire est supérieur à 1, ξ est
inférieur à 1 ce qui veut dire qu’il n’est pas besoin de différenciation pour qu’il y ait
industrialisation rurale). Ainsi, à coût de transport très bas, même une faible amélioration de
l’efficacité relative rend une délocalisation industrielle rentable. D’autre part, lorsque la
région D est très petite, la baisse du coût de transport est systématiquement favorable à la
baisse de ξ . Ainsi, la diminution du coût de transport favorise la diminution de l’efficacité
relative nécessaire pour rendre l’industrialisation rentable.
64
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Point de vue de la taille de marché
λU LU wU1−σ − µξ ( wU LU T 1−σ + LR )
=θ
La condition s’écrit à présent : θ >
µξ (T σ −1 − 1) LR
On peut vérifier que les effets qualitatifs des paramètres sont identiques à la discussion
précédente.
3.1.2.3. Attractivité relative des deux régions rurales
Comme dans la sous-section 3.1.1., nous nous contenterons de comparer les incitations à la
délocalisation dans les deux régions rurales, autrement dit d’étudier dans quels cas on a un
profit supérieur dans la région D.
Remarquons que le profit s’écrit : pq − w( F + cq) = cq /(σ − 1) − F ou c' q /(σ − 1) − F ' car
w=1 dans les régions rurales.
Le profit potentiel dans la région D est donc :
σ −1
µF
c
1−σ
σ −1
 wU LU T + LDT + LI − F '
1−σ 
λU LU wU  c' 
Et dans la région I :
µF
wU LU T 1−σ + LD + LI T σ −1 − F
1−σ
λU LU wU
La région D est préférée à la région I si et seulement si :
 c σ −1

µF
1−σ
1−σ
σ −1
σ −1
w
L
T
L
T
L
w
L
T
L
L
T
(
+
+
)
−
(
+
+
)



 > F '− F
U U
D
I
U U
D
I
λU LU wU1−σ  c' 

[
[
]
]
Comme précédemment, nous pouvons étudier le seuil de population θ * que doit comprendre
la région D pour être préférée à la région I. Pour simplifier, on se situera dans le cas où la
région urbaine comprend de l’agriculture, ce qui permet de poser wD=1. On peut alors écrire
la condition ainsi :
θ>
L( F '− F ) / F − ((c / c' )σ −1 − 1) LU T 1−σ − ((c / c' )σ −1 − T σ −1 ) LR
=θ *
(T σ −1 − 1)((c / c' )σ −1 + 1) LR
Cette fois-ci, on ne peut plus exprimer de condition en fonction du seul paramètre ξ.
L’expression ci-dessus, comme dans la sous-section 3.1.2., décroît lorsque c’ et F’
décroissent. D’autre part, on peut montrer que θ* est croissante avec le coût de transport (cf.
annexe 4.). De plus, pour un coût de transport suffisamment bas (qui dépend de c’ et F’), la
région D est préférée à la région I quelle que soit sa taille. Ces résultats sont analogues à ceux
de la sous-section 3.1.2., à la différence qu’ici le paramètre µ est absent (mais il interviendrait
si on avait supposé λU =1, et on pourrait montrer que l’augmentation de µ a un effet
indéterminé, dépendant des autres paramètres, sur θ*).
D’autre part, le rapport des populations rurale et urbaine a un effet inverse à la condition de
délocalisation : ici, l’augmentation de la part de population rurale a pour effet d’augmenter le
seuil d’attractivité de la région D.
65
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Synthèse du second cas
Reprenons les principaux résultats, comme dans la sous-section précédente :
- L’augmentation de la taille de la région D est toujours favorable à la fois à la
délocalisation industrielle dans cette région et à la plus grande attractivité de cette région
par rapport à l’autre région rurale. Il s’agit d’un simple effet de taille de marché.
- L’augmentation de la part de population urbaine dans la population totale est défavorable
à la délocalisation industrielle en zone rurale, mais favorable à une meilleure attractivité
du rural différencié par rapport au rural indifférencié.
- La baisse de F’ ou de c’ (ou l’augmentation de l’efficacité relative de la production ξ)
dans la région D est à la fois favorable à la délocalisation dans la région D et à sa
meilleure attractivité par rapport au rural indifférencié.
- La baisse du coût de transport est d’abord défavorable à la délocalisation, puis devient
favorable lorsqu’il est très bas. En revanche, elle est dans tous les cas favorable à
l’amélioration de l’attractivité de la région rurale différenciée par rapport au rural
indifférencié.
- Lorsque la région urbaine possède des agriculteurs, la baisse de l’élasticité de substitution
a le même effet que la baisse du coût de transport. En revanche, dans le cas où la
population urbaine est uniquement industrielle, une élasticité de substitution plus faible est
défavorable à la délocalisation.
- L’augmentation de la part de consommation industrielle est neutre sur la délocalisation
lorsque la région urbaine comprend de l’agriculture, favorable à la délocalisation sinon du
fait de la concurrence sur les salaires. Elle est neutre sur l’augmentation de l’attractivité de
la région D dans le cas où la région urbaine comprend de l’agriculture.
3.1.3. Interprétation et élargissements possibles
Cette sous-section comprend trois temps. Tout d’abord elle fait la synthèse des résultats
obtenus, dans les deux cas polaires étudiés. Ensuite, elle s’interroge sur l’apport des
investigations menées en matière d’étude de l’interaction entre mécanismes marchands et
organisation non marchande et les approfondissements envisageables. Enfin, elle propose
quelques pistes en vue de soumettre ces résultats à une réfutation empirique.
3.1.3.1. Synthèse des deux cas polaires étudiés
Les investigations menées dans cette section constituent une première tentative pour étudier
l’impact d’une différenciation des fonctions de production dans une région rurale. Les
modifications apportées aux modèles de base de Krugman (1991) et Krugman & Venable
(1995) sont simples, et non justifiées sur le plan des mécanismes élémentaires expliquant cette
différenciation. Elles permettent néanmoins de clarifier la façon dont une telle modification de
l’efficacité productive se répercute sur l’activité économique dans les différentes régions. Il
convient de comparer les résultats obtenus, lesquels diffèrent selon la variante utilisée.
Les principaux résultats qualitatifs obtenus sont proches des modèles d’origine. La principale
originalité est la comparaison de l’attractivité de deux régions rurales, à partir de conditions
portant sur des seuils de population ou d’efficacité relative. Les points les plus remarquables
sont les suivants :
- L’effet du coût de transport est qualitativement identique dans les deux types de modèles.
La baisse du coût de transport est d’abord défavorable à la délocalisation, puis devient
favorable lorsqu’il est très bas. Il n’est pas possible de savoir a priori si la baisse du coût
de transport favorise ou non la délocalisation en zone rurale. Par contre, on sait que si
66
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
-
-
-
-
cette baisse se poursuit, elle deviendra à un certain moment favorable à la délocalisation.
De plus, elle est dans tous les cas favorable à l’amélioration de l’attractivité de la région
rurale différenciée par rapport au rural indifférencié.
L’effet de la part de consommation industrielle dépend de la mobilité de la main-d’œuvre
industrielle. De façon générale, plus la main d’œuvre est immobile géographiquement,
plus une hausse de consommation industrielle est favorable à l’industrialisation rurale.
Dans le cas d’une main-d’œuvre immobile sectoriellement, le rapport des populations
urbaine et rurale ne joue aucun rôle. Dans le cas d’une main-d’œuvre immobile
géographiquement, une forte population urbaine est défavorable à l’industrialisation
rurale, mais rend relativement plus attractive la région qui se différencie.
Dans les deux cas polaires étudiés (main-d’œuvre mobile soit géographiquement soit
sectoriellement), la différenciation de la fonction de production dans une région rurale
aboutit à des modifications de même forme dans les conditions de délocalisation. Les
deux paramètres F et c n’ont pas le même comportement dans les conditions trouvées,
notamment au regard de l’élasticité de substitution : une hausse de σ amplifie l’effet
(favorable à la région différenciée) d’une baisse de c’, mais est neutre sur une baisse de F’
ou atténue au contraire son effet.
De façon plus triviale, l’éloignement des zones rurales entre elles est un facteur pénalisant
l’industrialisation rurale, mais renforce l’attractivité relative d’une zone rurale qui se
différencie (cf. annexe 3 point 2).
3.1.3.2. Apport de la démarche et développements envisageables
Les calculs des deux sous-sections qui précèdent donnent un certain nombre de propriétés
concernant la possibilité d’une industrialisation rurale. Un des apports les plus appréciables
est qu’ils permettent d’évaluer l’effort nécessaire en termes d’amélioration de l’efficacité
relative pour provoquer cette industrialisation, en fonction des autres paramètres. Cet effort
est d’autant plus important que la région est petite (θ petit), que le coût de transport est élevé
(même si dans certains cas, pour un coût de transport élevé on observe un effet inverse), et en
général (si le coût de transport est suffisamment bas), que l’élasticité de substitution est faible
(forte préférence pour la variété).
Rappelons que la baisse de F peut être imputable à divers mécanismes : accès préférentiel au
crédit, qualité professionnelle de la main d’œuvre, circulation de l’information technique,… .
Quant à la baisse de c, elle peut traduire également la qualité professionnelle de la main
d’œuvre, mais aussi l’accès préférentiel aux ressources locales, l’autorenforcement des
compétences,…
Ce travail mérite donc d’être poursuivi et précisé. Pour l’instant, nous avons travaillé
uniquement sur des configurations en coin. Il n’y a pas eu d’étude des différents équilibres, ni
de l’effet d’une industrialisation de la région différenciée sur la région indifférenciée. Ces
questions nécessitent l’utilisation d’outils de simulation.
La question du type de modèle à utiliser (immobilité géographique ou sectorielle) ne peut
aisément être tranchée : chaque cas polaire a des caractéristiques intéressantes, et fournit
parfois des résultats opposés (mas dont le test est délicat). L’hypothèse de mobilité
géographique des travailleurs donne lieu à des formules et une étude plus simples, tout en
conservant l’essentiel des résultats qualitatifs dans la comparaison de l’attractivité relative des
deux régions rurales, du moins pour le problème considéré. Néanmoins, l’hypothèse de
mobilité sectorielle peut être mieux adaptée au rural, et donne lieu à des équilibres moins
tranchés : ainsi, un équilibre d’industrialisation rurale partielle est souvent possible.
67
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Un autre type de prolongements possibles concerne l’analyse du bien-être. Quel est l’effet
d’une variation de F et c sur l’utilité totale ? Cette analyse nécessite un cadre à immobilité
géographique et mobilité sectorielle pour permettre d’étudier des petites variations du taux
d’industrialisation rurale. La baisse de F ou c est assurément bénéfique à la région rurale
différenciée, mais l’effet sur les autres régions est moins clair. En particulier,
l’industrialisation d’une région rurale peut causer une baisse de salaire en zone urbaine. La
baisse de F est susceptible d’augmenter le nombre de variétés totales produites. L’apparition
de nouvelles variétés en zone rurale augmente l’indice des prix en zone urbaine, mais
inversement tous bénéficient de l’arrivée de nouvelles variétés…
3.1.3.3. Propositions réfutables à tester
Concernant les prédictions éventuellement à tester découlant de ces résultats, deux problèmes
pratiques particulièrement délicats se posent. D’abord, l’estimation des paramètres, en
particulier de F et c. Ils peuvent éventuellement être approchés par l’importance des coûts
fixes (taille des firmes) et l’intensité en travail des activités étudiées. Mais dans ce cas, on
risque précisément de mal saisir les améliorations de l’efficacité liées à l’organisation !
Ensuite, quel critère à utiliser pour mesurer l’attractivité d’une région rurale : nombre
d’entreprises ou d’emplois, flux net de créations… ? Ces questions seront développées dans le
chapitre conclusif.
Plusieurs tests empiriques peuvent être proposés, en particulier sur les points suivants :
- Les modèles prédisent que F et c jouent un rôle différent dans les conditions de
délocalisation : dans le cas de F, une plus forte élasticité de substitution joue un rôle
défavorable à la délocalisation, ou nul ; dans le cas de c, une forte élasticité de
substitution apporte au contraire une plus grande efficacité relative. Selon que la
différenciation s’effectue sur F ou c, la substituabilité des biens produits jouera donc un
rôle différent sur la possibilité de développement industriel en zone rurale.
- Le coût de transport joue un rôle sur l’efficacité relative et sur la taille critique
nécessaires pour que l’industrialisation soit soutenable. Toutefois, il existe des seuils où le
sens de l’effet du coût de transport s’inverse, ce qui rend les prédictions délicates, même si
le modèle fournit aussi des formules pour les seuils.
- A efficacité relative donnée, une élasticité de substitution plus élevée entraîne
généralement une augmentation de la taille critique nécessaire.
Une fois de plus, ces questions seront reprises dans le dernier chapitre du mémoire. Cette
section s’est éloignée de la question initiale qui était de représenter l’impact de différences
organisationnelles sur l’efficacité productive, et en particulier sur l’industrialisation rurale (et
la hausse de revenu réel associé). Il s’agissait essentiellement ici de s’intéresser aux
conséquences de cette meilleure efficacité plutôt qu’à décrire son mécanisme. Dans les deux
sections suivantes, l’étude de deux cas particuliers d’effets organisationnels est proposée.
3.2. De meilleures complémentarités verticales entre firmes
Dans la première section, nous avons supposé qu’une région rurale était en mesure de fournir
des avantages comparatifs aux entreprises s’y installant, se traduisant par une baisse des coûts
dans la fonction de production. Cette baisse de coûts était introduite sans justification
particulière dans une fonction de production ne comprenant que le travail comme facteur. Elle
peut néanmoins représenter de manière simple certains effets organisationnels listés au §2.4.2.
Cette section porte sur un effet organisationnel particulier, l’existence de complémentarités au
sein de la structure input-output. Son objectif est d’analyser l’impact d’une réduction des
68
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
coûts de transactions entre firmes, modélisé par une utilisation préférentielle de biens
intermédiaires fabriqués localement, et par une meilleure complémentarité (une plus faible
élasticité de substitution) entre ces biens intermédiaires. Peu de travaux en économie
géographique considèrent des élasticités de substitution différentes dans un même modèle (on
peut néanmoins citer Amiti (1998) qui considère deux secteurs industriels différents mais pas
une différenciation au sein du même secteur). De fait, considérer des élasticités de substitution
différentes dans un même secteur nous prive de précieuses simplifications, et nous oblige à
simplifier le modèle par ailleurs. Nous allons dans la suite illustrer ces difficultés et proposer
un premier « défrichage » de la manière de construire un tel modèle.
3.2.1. Représentation des complémentarités entre firmes
3.2.1.1. Problème posé
Dans les exemples concrets de systèmes productifs localisés, la qualité et l’adéquation de la
main-d’œuvre est souvent mise en avant, mais l’efficacité des relations entre entreprises est
aussi un élément déterminant dans l’efficacité du système. Cette efficacité se traduit de deux
manières :
- D’une part, par une bonne adéquation de la structure input-output. Autrement dit, chaque
entreprise trouve sur place des fournisseurs et des clients adaptés à sa production. De plus,
la structure est en mesure d’adapter rapidement sa production aux changements extérieurs
de la demande ou de l’offre.
- D’autre part, par l’existence de relations marchandes privilégiées qui économisent des
coûts de transaction. Les entreprises du système productif local commercent entre elles
sans que l’une d’elles ne profite d’un pouvoir de monopole qui grèverait à terme la
compétitivité des produits et l’efficacité du système.
Par ailleurs, la coopération s’arrête aux portes du système productif local : la concurrence
reprend pleinement ces droits dès qu’il est question de commerce avec l’extérieur.
Il existe très peu de travaux basés sur un formalisme microéconomique portant sur les SPL.
Soubeyran & Thisse (1999) modélisent les externalités non pécuniaires au sein des SPL par
un accroissement de l’expérience des travailleurs à mesure que le SPL produit. Ici, nous nous
situons dans un modèle uniquement statique, où le mécanisme que l’on cherche à représenter
concerne les complémentarités au sein du système input-output. Cela nécessite bien entendu
que les fonctions de production des firmes comprennent des biens intermédiaires.
3.2.1.2. Première possibilité : secteur de production unique
La première question est le choix du type de représentation de la structure productive. Il est
nécessaire de représenter des liens marchands entre firmes. Une première idée, à la fois pour
des raisons de facilité d’analyse et pour rendre symétriques les relations entre firmes, serait
d’adopter une spécification des fonctions de production faisant jouer un rôle identique à toutes
les firmes. Plus précisément, il s’agirait d’utiliser la fonction de coût de Krugman & Venables
(1995) :
C (qi ) = w1−α (∑ x (jγ −1) / γ )αγ /(γ −1) ( F + cqi )
j
Dans ce cas, il n’y a qu’un secteur industriel, et chaque bien produit est à la fois bien
intermédiaire et bien de consommation finale. Il est vrai qu’une telle représentation peut
paraître surprenante puisqu’on s’intéresse ici en grande partie aux relations input-output. De
plus, l’hypothèse que les biens produits sont à la fois biens intermédiaires et biens de
consommation finale peut sembler trop simplificatrice (cependant, pour répondre à cette
69
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
difficulté, on peut aussi présenter la demande de chaque bien comme relative uniquement à la
contribution de l’entreprise à la valeur ajoutée au produit final : ainsi, tout se passe comme si
le consommateur qui achète une automobile achetait séparément l’acier, la fabrication des
pièces détachées, l’assemblage, etc…).
La fonction de coût écrite ci-dessus, outre qu’elle rend les relations entre firmes symétriques
permet de représenter simplement les phénomènes évoqués en introduction. Ainsi, il est
possible de supposer que :
- Les firmes de la région urbaine utilisent tous les produits industriels de façon équivalente.
- Les firmes de la région rurale qui se différencie utilisent uniquement les produits
industriels de la région rurale, et de plus, la fonction de production en zone rurale a une
élasticité de substitution γ’ inférieure à celle de la région urbaine.
-
De la sorte, on peut rendre compte des faits suivants :
les relations locales privilégiées.
la plus grande complémentarité entre les firmes.
les mêmes règles qu’en milieu urbain en dehors du système productif local.
Du côté du consommateur, on considère que rien n’est changé : la demande de chaque bien
pi−σ
s’écrit : mi = µY
∑ p1j−σ
j
Une approche détaillant davantage les rapports entre secteurs différents pourrait s’inspirer de
Krugman & Venables (1996). Ce modèle considère deux secteurs de biens industriels, chaque
firme utilisant les biens produits par son secteur et par les firmes de l’autre secteur, dans des
proportions différentes. Un tel modèle est cependant encore plus complexe que celui de
Krugman & Venables (1995), dont on va voir qu’il se prête déjà mal à la modification
substantielle apportée par la différenciation des élasticités de substitution que l’on propose.
Le modèle de Krugman & Venables (1995) est en effet plus complexe à analyser que celui de
Krugman (1991). L’analyse de la méthode de l’article original figure en annexe 3, point 1. Le
modèle comporte pourtant une simplification notable, qui est que l’élasticité de substitution
est la même dans l’utilité du consommateur et la fonction de production. Cela permet de
supposer la demande de chaque bien industriel proportionnelle à pi-σ. Cela permet aussi
d’exprimer simplement les quantités vendues par firme, à l’aide de quantités auxiliaires (voir
annexe). D’autre part, si l’on travaille sur la variante dans laquelle il n’y a plus mobilité
sectorielle, mais géographique, on ne peut plus supposer l’unicité du taux de salaire entre les
régions, et la méthode d’analyse appliquée, basée sur l’expression de la consommation de
biens industriels dans une région n’est plus valable (l’analyse est rendue beaucoup plus
complexe lorsqu’il existe deux taux de salaire dans une région).
Le point le plus pénalisant est que de toute façon on ne peut plus dériver d’expression
analytique reliant le salaire et le prix si on suppose des élasticités de substitution différentes.
En effet, dans ce cas, la condition du premier ordre relative à la maximisation du profit n’est
pas résoluble analytiquement (l’équation à résoudre comprend une somme de puissances non
entières). Nous allons donc examiner un modèle plus simple, présentant une structure inputoutput incomplète, mais qui permet de considérer des élasticités de substitution différentes
entre régions et de donner des résultats analytiques.
70
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
3.2.1.3. Cadre choisi : système input-output simplifié
Pour réduire les difficultés analytiques, notamment liées à la conjonction d’inputs matériels et
de travail dans la fonction de production, il est possible de considérer un système input-output
simplifié, avec uniquement un secteur de biens intermédiaires et un secteur de biens finaux.
Un tel modèle peut prendre en compte l’avantage qu’ont les firmes de biens finaux qui
disposent d’inputs adaptés sur place. Remarquons toutefois que cette fois l’avantage des
firmes de biens intermédiaires à trouver des débouchés adaptés sur place est moins apparent,
même s’il est indirect.
Cette représentation est celle utilisée par Gaigné (2001), inspirée de Puga & Venables (1996),
qui considère un secteur de biens intermédiaires utilisant pour seul facteur le travail, et un
secteurs de biens finaux utilisant pour seuls facteurs les biens intermédiaires. L’analyse de ce
modèle figure en annexe 3, point 3.
3.2.2. Introduction d’une différenciation de l’élasticité de substitution
Nous allons donc proposer une variante du modèle précédent, conservant un cadre à deux
régions, et avec une différenciation dans la fonction de production des biens finaux.
3.2.2.1. Hypothèses et notations
Le principe de la différenciation est le suivant :
- Les firmes de biens finaux de la région urbaine utilisent, comme dans le modèle initial,
tous les biens intermédiaires produits, quelle que soit la région.
- Les firmes de la région rurale n’utilisent que les biens intermédiaires produits dans la
région rurale, et les associent avec une élasticité de substitution inférieure (donc davantage de
complémentarités). Il ne peut donc y avoir de firmes de biens finaux dans la région rurale que
s’il y a des firmes de biens intermédiaires.
Région urbaine
Région rurale
Main d’œuvre industrielle
Main d’œuvre industrielle
Biens intermédiaires
Biens intermédiaires
Biens finaux
Biens finaux
Consommateurs
Consommateurs
Donnons tout d’abord les notations et la situation initiale :
Région urbaine U
Main d’œuvre totale (exogène)
LU
Part d’ouvriers (endogène)
λU
l = G+d.q
Fonction de production - biens intermédiaires
Fonction de production - biens finaux
F+cq = [Σxiδ]1/δ
où δ= (γ-1)/γ
Revenu régional
wU LU
Salaire et prix agricoles sont comme précédemment normalisés à 1.
71
Région rurale R
LR
λR <1
L = G+d.q
F+cq = [Σxiδ’]1/δ’
où δ’= (γ’-1)/γ’<δ
wR L R = L R
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Remarquons que, comme dans les autres modèles de type Krugman & Venables 1995, l’effet
de l’industrialisation (en biens intermédiaires) de la zone rurale n’a pas d’emblée un impact
sur le salaire nominal qui reste égal à 1 (qu’il y ait ou non développement de l’industrie des
biens intermédiaires), mais joue sur le salaire réel en rendant accessible aux consommateurs
des biens manufacturés à plus bas prix. En effet, ce n’est que lorsque l’ensemble des
travailleurs d’une région s’est reconverti à l’industrie que le salaire nominal peut s’élever.
Sur le plan formel, la diminution de l’élasticité de substitution est à double tranchant pour la
région rurale : il est vrai qu’elle renforce les complémentarités entre biens intermédiaires,
mais d’un autre côté, elle renforce l’intérêt à avoir de nombreuses firmes de biens
intermédiaires. Or, la régions rurale a précisément peu de firmes.
Le fait d’avoir supposé des fonctions de production à un facteur en séparant deux secteurs ne
résout pas totalement la mise en équation du modèle. En effet, dans le calcul du problème de
maximisation relatif aux firmes du secteur des biens intermédiaires dans la région R, la
demande doit être séparée en deux composantes : l’une provenant de la région U (élasticité de
substitution γ) et une de la région R (élasticité de substitution γ’). L’équation reliant le prix au
salaire ne peut toujours pas être résolue analytiquement, bien que le problème soit plus simple
du fait qu’on n’examine qu’un seul facteur de production à la fois. Pour pouvoir avancer dans
les calculs, deux hypothèses extrêmes peuvent être faites : soit que la demande relative à la
région R est négligeable (parce qu’on s’intéresse au cas où cette région commence à
s’industrialiser), soit que la demande relative à la région U est nulle (donc que l’industrie de la
région R est autarcique). Nous allons commencer par examiner le premier cas.
3.2.3.2. Cas d’une industrie de biens finaux négligeable dans la région R ( n RF ≈ 0 )
Ce cas correspond à la situation où il existe une industrie de biens intermédiaires, reposant sur
une main-d’œuvre fixe (et probablement peu qualifiée). La question posée est la possibilité de
développement d’une industrie rurale de biens finaux, qui tire profit éventuel des spécificités
de la main-d’œuvre et des biens intermédiaires produits en zone rurale. Les inconnues sont les
quatre prix industriels (2 régions * 2 secteurs), les quatre quantités produites par firme, les
quatre nombres de firmes, et les deux salaires ou proportions de travailleurs industriels selon
les cas. Quatorze équations sont donc nécessaires, que nous pouvons présenter ainsi :
Région urbaine U
Production de
biens
intermédiaires
Production de
biens finaux
Marché du
travail
q =
I
U
Région rurale R
I −γ
U
nUF pUF qUF p
1−γ
1−γ
nUI pUI + n RI T 1−γ p RI
γ −1
qUI =
G
d
nUI = λU LU γG
1−γ
σc
pUF =
(nUI pUI + n RI (Tp RI )1−γ )1 /(1−γ )
σ −1
σ
−1
qUF =
F
c
−σ
−σ


wU LU pUF
wRLRT1−σ pUF
F
qU = µ
+
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ 
nUFT1−σ pUF +nRF pRF 
nUF pUF +nRFT1−σ pRF
wU =
γ −1 I
pU
γ .d
q =
I
R
1−γ
−γ
1−γ
nUI pUI + n RI T 1−γ p RI
γ −1
q RI =
G
d
nRI = λ R LR γG
σc I 1 /(1−γ ') I
p RF =
nR
pR
σ −1
σ −1
q RF =
F
c
−σ
 wU LUT1−σ pRF −σ

wRLR pRF
F
qR = µ
+
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ 
nUFT1−σ pUF + nRF pRF 
nUF pUF + nRFT1−σ pRF
wR =
72
nUF pUF qUF T 1−γ p RI
γ −1 I
pR
γ .d
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
On constate que le paramètre γ’ n’intervient que dans une seule équation, celle reliant le prix
des biens intermédiaires aux prix des biens finaux.
Nous allons supposer que toute l’industrie des biens finaux est concentrée dans la région U, et
examiner dans quels cas une délocalisation partielle est possible. Nous faisons l’hypothèse
que l’industrie de biens intermédiaires est présente dans les deux régions (i.e. que λR>0), cette
hypothèse étant par la suite vérifiée par la cohérence des résultats obtenus (elle n’est pas
valide si l’on trouve n RI < 1 ). Avant d’examiner la condition de délocalisation, nous allons
donner quelques relations sur l’industrie en l’absence de firmes de biens finaux dans la région
R et exposer la façon de résoudre le système.
Expressions relatives à la région urbaine
De qUI = q RI , on tire la relation pUI = p RI T (γ −1) / γ , puis sachant qu’on fait l’hypothèse que
wR=1, on obtient p RI = γd /(γ − 1) , pUI = γdT (γ −1) / γ /(γ − 1) et enfin wU = T (γ −1) / γ , ce qui
implique aussi que λU=1.
Par ailleurs, la quantité vendue de bien final pour une firme de la région U se simplifie en :
w L
w L 
T (γ −1) / γ LU + L R
µc
qUF = µ  FU UF + FR RF  = µ
(T (γ −1) / γ LU + LR )
, d’où nUF pUF =
F
F
σ
n
p
n
p
n
p
F
−
(
1
)
U
U 
U
U
 U U
I
En combinant les équations donnant qU et pUF , on peut alors extraire pUF :
[
σc F F F I −γ I
p =
nU pU qU pU / qU
σ −1
F
U
Soit : pUF = µ 1 /(1−γ )
]
1 /(1−γ )
σ c  µc
(σ − 1) Fd γd −γ 1−γ 
=
(
) T 
(T (γ −1) / γ LU + LR )

σ − 1  (σ − 1) F
(γ − 1)Gc γ − 1

1 /(1−γ )
dγ γ /(γ −1)
σc
(T (γ −1) / γ LU + LR )1 /(1−γ ) T
1 /(1−γ )
σ − 1 (γ − 1)G
La connaissance de pUF donne aussi celle de nUF , puisqu’on connaît leur produit.
Expressions relatives à la région rurale
σc I 1 /(1−γ ') I
nR
p R , nUI = LU γG et de l’équation
σ −1
en fonction des nombres de firmes. C’est à ce stade que l’on vérifie si
Il reste à calculer p RF , à l’aide de p RF =
donnant qUI
l’hypothèse d’une industrialisation rurale est valide, au moment où on extrait n RI . Notons que
la valeur de n RI ne dépend pas de γ’, donc de la différenciation du système de production
rural.
La condition de fondation d’une industrie de biens finaux en zone rurale est alors établie en
comparant ce que vaudrait q RF à la valeur (σ − 1) F / c qui correspond à un profit nul. Il y a
délocalisation si et seulement si : µ
pRF
F
U
−σ
F1−σ
U
n p
[w L T
U U
1−σ
]
+ wR LRT σ −1 >
(σ − 1) F
c
Comme on le voit, cette condition peut s’exprimer de façon analytique mais possède une
expression complexe, ne permettant pas de déterminer aisément l’impact des différents
paramètres. On peut cependant facilement déterminer le rôle de γ’, qui n’intervient que dans
une seule équation. L’équation p RF = n RI
1 /(1−γ ')
p RI σc /(σ − 1) montre que si γ’ est suffisamment
proche de 1, on peut rendre le prix p RF aussi faible qu’on veut : ainsi, la condition de
73
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
délocalisation peut toujours être vérifiée pour γ’ suffisamment faible et proche de 1.
Rappelons que la limite γ’=1 correspond à une fonction de production Cobb-Douglas.
Le calcul analytique pourrait être poursuivi, moyennant l’approximation LR<<LU qui allège un
peu les formules, mais l’effet qualitatif de chaque paramètre dépend fortement des autres
paramètres, et aucune relation qualitative générale ne peut être identifiée comme dans la
section précédente. Le principal résultat reste donc l’effet du paramètre γ’, dont la baisse
permet de diminuer le prix du bien final dans la région rurale.
3.2.3.3. Cas de deux régions autarciques sur le plan de la production industrielle
Ce second cas peut s’interpréter comme la situation où un système input-output complet se
construit progressivement en zone rurale, et où chaque nouvelle firme s’intègre de manière à
augmenter les complémentarités existantes dans le système. L’idée sous-jacente est que dans
ce monde de coopération qu’est notre petite région rurale, le système input-output se construit
de manière à optimiser l’appariement entre ses divers composants. Inversement, en zone
urbaine, malgré la variété des biens produits, les appariements sont moins efficaces du fait des
problèmes d’information incomplète, de concurrence exacerbée etc…
Dans cet autre cas polaire, les ventes du secteur de biens intermédiaires de la région R aux
firmes de biens finaux de la région U sont supposées négligeables. Cela donne les équations
suivantes :
Région urbaine U
Production de
biens
intermédiaires
Production de
biens finaux
Marché du
travail
F
U
F
U
Région rurale R
F
U
n p q
nUI pUI
γ −1
qUI =
G
d
nUI = λU LU γG
F
R
F
R
F
R
n p q
n RI p RI
γ '−1
q RI =
G
d
n RI = λ R LR γ ' G
σc I 1 /(1−γ ) I
σc I 1 /(1−γ ') I
pUF =
nU
pU
p RF =
nR
pR
σ −1
σ −1
σ −1
σ −1
qUF =
F
q RF =
F
c
c
−σ
−σ
−σ

 F  wU LUT1−σ pRF −σ

wU LU pUF
wRLRT1−σ pUF
wRLR pRF
F
qU = µ
q
µ
+
=
+


R
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ 
F F1−σ
F 1−σ F1−σ
F F1−σ
F 1−σ F1−σ
nUFT1−σ pUF +nRF pRF 
nUFT1−σ pUF + nRF pRF 
nU pU +nRT pR
nU pU + nR T pR
qUI =
q RI =
γ −1 I
γ '−1 I
pU
wR =
pR
γ .d
γ '.d
La production industrielle est totalement isolée géographiquement, le lien entre les deux
régions ne se faisant qu’au niveau de la consommation. Ce cas est donc assez proche du
modèle initial de Krugman (1991) dans lequel la fonction de production est à un seul facteur :
la différence est qu’ici le système de production est plus détaillé. Le système d’équations est
maintenant symétrique dans les deux régions. De plus, on ne peut plus supposer comme
précédemment que l’industrie de biens intermédiaires est présente initialement dans les deux
régions, mais que l’industrie de biens finaux n’est présente que dans la région urbaine. Il faut
supposer que seule la région urbaine est industrialisée, et considérer une « industrialisation
infinitésimale » de la région rurale, associant simultanément industrie de biens finaux et de
biens intermédiaires.
wU =
74
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Expressions relatives à la région urbaine
Les équations relatives à la production dans la région urbaine, et l’hypothèse d’absence
d’industrialisation rurale permettent d’éliminer les variables relatives aux quantités produites :
nF p F σ −1 σ −1
µd ( wU LU + LR )
γ −1
µ
F,
F = F F ( wU LU + LR ) qui implique nUI pUI =
G = UI UI
c
d
nU pU
nU pU c
(γ − 1)G
nF
γ −1
σc I 1 /(1−γ ) I
nU
pU , on a en outre
G = γ U/(γ −1) σF
Sachant que pUF =
d
σ −1
nUI
Pour aller plus loin, il faut faire une hypothèse sur la population ouvrière et le salaire.
Supposons d’abord que le salaire est égal à 1 (donc que λU ≤ 1 ) : on a pUI = γd /(γ − 1) , d’où
1
µ(L + L )
(γ −1)G1/(1−γ )
[µ(LU + LR ) / γ ]γ /(γ −1) et pUF = σ cγd  µ ( LU + L R )  1−γ
n = U R , puis nUF =
dσF
γG
γG
(σ − 1)(γ − 1) 

I
U
L’hypothèse sur le salaire est valide si : λU =
µ ( LU + LR )
≤1
LU
Dans le cas contraire, on a nUI = LU / γG , et pUI s’obtient à l’aide de la relation donnant le
salaire : pUI = d
µ
γ LR
µ LR
. On a alors wU =
>1
1 − µ γ − 1 LU
1 − µ LU
µ cdσG 1 /(γ −1) LR γ γ /(γ −1)
(γ − 1)G 1 /(1−γ ) LU γ /(γ −1)
( )
et pUF =
( )
dσ F
γ
(1 − µ ) (σ − 1)(γ − 1) LU
Condition d’industrialisation de la région rurale
Pour finir, nUF =
Pour passer à l’étude de la condition de délocalisation, il faut calculer ce que seraient les
quantités précédentes dans la zone rurale. Comme wR=1, on a p RI = γ ' d /(γ '−1) . La difficulté
est que nous avons cette fois deux quantités infiniment petites, n RI et n RF . Dans les modèles
précédents, nous supposions le nombre d’entreprises rurales négligeable pour établir la
condition de délocalisation, ce n’est maintenant plus possible car il faut connaître le rapport
n RF / n RI pour connaître le prix du bien final p RF . Deux possibilités existent alors. Soit on
résout le système d’équations rigoureusement, ce qui nécessite une simulation numérique.
Soit on conserve l’approximation n RF ≈ 0 et on se contente d’une étude partielle.
Nous allons nous placer dans le cas où les formules sont les plus simples, qui est celui où
wU=1. Avec l’approximation n RF ≈ 0 , la condition de délocalisation est :
µp RF
F
U
−σ
F 1−σ
U
( LU T 1−σ + LRT σ −1 ) > F
σ −1
c
n p
Un paramètre facile à analyser est le coût de transport, puisqu’il n’intervient pas dans la
détermination des paramètres endogènes ( p RF , p RF et nUF ) dans l’équation précédente (avec les
approximations faites). On retrouve ici l’effet de courbe en U inversé déjà obtenu dans la
section précédente : lorsque T diminue, on a d’abord tendance à la concentration de
l’industrie, puis en deçà d’un certain seuil, une tendance inverse de délocalisation.
Il est plus important ici d’analyser le rôle du paramètre γ’, qui intervient dans cette formule
−σ
σc I 1 /(1−γ ') I
nR
pR .
uniquement à travers le facteur p RF , qui est fourni par l’équation p RF =
σ −1
75
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Fixons donc arbitrairement n RI , à « quelques entreprises ». Dans ce cas, l’expression
σc I 1 /(1−γ ') I
p RF =
nR
p R permet d’analyser le rôle de γ’. On peut montrer que cette expression,
σ −1
1 /(1−γ ')
proportionnelle à n IR
γ ' /(γ '−1) , est croissante en γ’ dès que n RI > exp[(γ '−1) / γ ' ] . Si c’est
le cas (il suffit en pratique que le nombre d’entreprises soit supérieur ou égal à 4), une
diminution de γ’ (une plus grande complémentarité entre firmes de biens intermédiaires) est
favorable à la baisse du prix, donc à la compétitivité de la production dans la région rurale.
Nous ne prolongerons pas plus avant ces calculs, sachant que nous avons donné l’ensemble
des équations nécessaires à un calcul rigoureux des conditions d’industrialisation rurale.
Comme dans la première variante, une diminution de γ’ permet d’améliorer la compétitivité
de l’industrie rurale en diminuer le prix du bien final. Il y a un effet supplémentaire par
rapport au cas précédent : une diminution de γ’ entraîne une augmentation du prix des biens
intermédiaires (ruraux), mais cet effet n’est pas suffisant pour contrer la diminution du prix
des biens finaux.
Conclusion de la section
L’impression qui se dégage de cet exercice peut au premier abord paraître décevante :
considérer des élasticités de substitution différentes au sein d’un même secteur rend
rapidement l’analyse inextricable. En particulier, le paramètre γ’, qui représente la
différenciation, intervient dans les expressions de façon plus complexe que les paramètres F’
et c’ de la section 1. Néanmoins, nous avons pu constater que ce modèle pouvait donner lieu à
des expressions analytiques (bien que difficilement manipulables), et nous avons vérifié
qu’une baisse de l’élasticité de substitution de la région rurale conduisait bien à une plus
grande efficacité du système de production. Cette observation est intéressante, car elle n’était
pas évidente dans la formulation littéraire du modèle. Elle montre en particulier que, même
lorsque les entreprises se comportent de façon concurrentielle, comme c’est le cas ici, la seule
existence de complémentarités améliore l’efficacité globale du système.
Pour prolonger cette réflexion, il est envisageable d’approfondir l’idée d’une telle
représentation des complémentarités au sein d’un système input-output local, en utilisant un
cadre plus simple (équilibre partiel et/ou absence d’effet géographique), afin de chercher à
retrouver comment une telle différenciation influerait sur la fonction de production globale du
système (telle que considérée dans la section 1). Ce travail pourrait éventuellement se faire en
utilisant des simulations, si le travail analytique s’avère malgré tout impossible. Ne pas
prendre en compte l’existence de l’extérieur a cependant l’inconvénient d’être peu pertinent
pour l’industrie rurale, qui est obligée d’exporter l’essentiel de sa production industrielle.
La question de la validation empirique est encore plus délicate que dans la section précédente
car elle reposerait sur la mesure des complémentarités existantes entre entreprises. Or, ces
complémentarités incluent non seulement des aspects marchands (adéquation de la structure
input-output), mais aussi non marchands (spécialisation de la main d’œuvre, économies de
coûts de transaction grâce à la confiance et la coopération partielle, atmosphère
industrielle…). A l’inverse, si le travail de modélisation permettait de fournir une prédiction
empirique simple dans laquelle cette élasticité de substitution pourrait être estimée comme
paramètre, une étude de ses principaux déterminants pourrait être envisagée. Ceci conforte
l’intérêt d’une poursuite de ce travail théorique dans un cadre plus simple.
76
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Enfin, il faut noter que ce travail méconnaît l’importance des complémentarités pouvant
exister entre la main d’œuvre et les firmes. Or, à part dans les cas très particuliers de districts
marshalliens en zone rurale, ce type de complémentarités a plus de chances d’être présent que
les complémentarités entre firmes au sein du système input-output. Néanmoins, ce modèle
peut aussi rendre compte de ces complémentarités entre main d’œuvre et firmes, moyennant
un changement de vocabulaire. Supposons que les firmes de biens intermédiaires soient
considérées non plus comme des productrices de biens, mais productrices de compétences.
Ainsi, chaque firme de biens intermédiaires produit un type de travailleur particulier, et ces
travailleurs sont « associés » au sein des entreprises de biens finaux. De ce point de vue, nous
avons représenté la complémentarité entre les différentes compétences produites.
Naturellement, cela suppose de se situer plutôt dans le cas d’une industrie autarcique
(deuxième cas ici), car on voit mal comment les « biens intermédiaires » que sont les
travailleurs qualifiés pourraient s’échanger entre régions sans faire varier la population (et la
consommation) au sein de chacune d’elles.
3.3. Une différenciation des produits ruraux liés au sol
L’objectif de cette section est d’étudier l’effet d’une amélioration de l’image de certains
produits ruraux aux yeux des consommateurs, susceptible de les rendre plus attractifs que les
produits urbains à prix égal. Cette modification par rapport au modèle de base peut intervenir
soit pour le produit agricole, soit pour le produit industriel. Il existe en effet des cas où un
produit industriel bénéficie d’une forte image positive (c’est le cas par exemple dans le
district du Prato, cf. Becattini 1988). Cependant, dans la plupart des cas, les produits
concernés par une rente liée à l’image du territoire sont essentiellement des produits agricoles
ou touristiques. Il s’agit donc de produits liés au sol.
D’autre part, une modification de la sous-fonction d’utilité relative aux produits industriels
introduirait une complication pratique importante dans l’étude du modèle. En effet, dans sa
forme initiale, elle est homogène de degré 1, ce qui permet une étude séparée des produits
industriels et l’agrégation de leur demande (Varian 1995). Cette simplification est précieuse
car la fonction de production industrielle est plus complexe que celle du secteur lié au sol.
Aussi, dans cette section, une variante se situant du côté de la production agricole est
proposée. Contrairement à la section précédente où le système productif industriel devenait
plus performant, on suppose ici que la région rurale trouve un moyen de rendre ses produits
agricoles plus attractifs. Cela revient donc cette fois en premier lieu à modifier la fonction
d’utilité des consommateurs.
3.3.1. Choix d’une fonction d’utilité et problème du consommateur
Il est nécessaire de modifier la sous-fonction d’utilité relative au secteur agricole par l’ajout
d’un deuxième produit, spécifique à la région rurale. Ce produit pourra être dans les faits un
produit agricole ou touristique. Dans ce dernier cas, on pourrait suggérer que la prise en
compte d’un coût de transport est essentielle, puisque les urbains doivent en général se
déplacer individuellement pour le consommer. Cependant, en observant que l’espace rural est
en général plus vaste et moins bien doté en infrastructures que les zones urbaines (à part pour
les liaisons centripètes), il n’y a aucune raison a priori pour que les coûts de déplacements
rural-rural soient inférieurs aux coûts urbain-rural. Ainsi, on considèrera toujours que les
produits du secteur agricole, différenciés ou non, sont transportés sans coût.
77
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Dans cette sous-section, nous commençons par explorer plusieurs pistes possibles pour le
choix d’une nouvelle fonction d’utilité, avant de choisir une forme fonctionnelle adaptée à
notre démarche et qui permet des calculs analytiques.
3.3.1.1. Un modèle antérieur séparant production générique et spécifique
Daniel & Kilkenny (2002) proposent un modèle de différenciation des produits agricoles. Ce
modèle distingue cinq secteurs de production : un secteur de production agricole générique
(qui peut aussi représenter tout secteur lié au sol comme l’extraction de ressources minières),
un secteur de production agricole spécifique, un secteur agroalimentaire (ou industriel)
générique utilisant le bien agricole générique, un secteur agroalimentaire spécifique (dit
« AOC ») utilisant le bien agricole spécifique, et enfin un secteur de services non exportables.
Les secteurs agricoles utilisent les facteurs terre et travail, les secteurs industriels utilisent les
inputs du secteur agricole correspondant et le facteur travail, enfin le secteur des services
utilise le facteur travail uniquement. Les fonctions de production sont de type Leontieff (les
facteurs sont parfaitement complémentaires) avec un coût fixe pour le facteur travail dans le
secteur AOC. Il n’y a qu’une firme par région dans le secteur agro-industriel générique et
dans les services (les rendements d’échelle sont constants). Il y a mobilité parfaite du travail
entre secteurs et entre régions. Les ménages consomment quatre types de biens : agroindustriel générique, AOC local, AOC importé, services. La fonction d’utilité est de type
Cobb-Douglas pour chaque type de bien, avec des sous-fonctions de forme CES pour les
produits AOC. Les résultats sont obtenus par simulation numérique à partir de paramètres
arbitraires inspirés des données concernant l’Union européenne. L’objectif est d’étudier la
répartition spatiale des activités, en fonction des régimes d’aide publique à l’agriculture.
Un inconvénient majeur de la méthode de modélisation adoptée dans cet article est que le
modèle est trop complexe pour donner lieu à des résultats généraux : les résultats sont obtenus
par simulation à partir d’un jeu de paramètres en partie arbitraire, en partie basé sur des
données statistiques. En ce qui concerne notre travail, un autre inconvénient est que la
proportion de revenu consommée en bien AOC est fixée. Or, il est plus raisonnable de
supposer que les consommateurs consacrent une certaine part de leur budget à l’ensemble des
denrées agricoles, en ayant une préférence pour des produits de qualité lorsque leur revenu le
leur permet. De plus, comme les différents types de biens sont associés selon une fonction
Cobb-Douglas, une consommation nulle de bien AOC aboutit à une utilité nulle. Cette
caractéristique n’est gênante que dans la limite où la consommation de bien AOC tend vers
zéro, mais peut être problématique si l’on entend modéliser une différenciation progressive de
la production agricole.
Nous allons chercher à proposer une fonction d’utilité rendant compte d’une différenciation
des produits agricoles dans une région rurale, mais évitant l’écueil cité au paragraphe
précédent13. Cette différenciation est supposée générer un supplément de revenu susceptible
d’être suffisant pour rendre intéressante une délocalisation industrielle en zone rurale.
3.3.1.2. Une forme « dissymétrique »
Rappelons que l’utilité d’un consommateur représentatif s’écrit U=A1-µMµ et que l’on cherche
une forme fonctionnelle pour la sous-fonction A(a1,a2), dont les arguments représentent
13
Il sera malheureusement impossible de comparer les résultats de ce modèle à ceux de Daniel & Kilkenny
(2002) puisque leur article ne comprend pas d’étude de l’effet qualitatif des paramètres, ni d’étude des effets
induits sur d’autres secteurs que l’agriculture.
78
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
respectivement la production de bien générique, et la production de bien de qualité ou
différencié. On peut supposer qu’elle satisfait aux conditions suivantes :
- A(a1,0)= a1 : l’absence de produit différencié ramène à la situation initiale. Cela exclut
déjà les fonctions de type Cobb-Douglas.
- Le supplément de bien-être procuré par une consommation de produit différencié n’a pas
de raison particulière de dépendre de la consommation de produit standard. Aussi, on
pourra supposer A(a1,a2) de la forme : a1+f(a2).
- Pour de faibles valeurs de a2, une hausse de a2 doit être préférée à une hausse de a1. En
revanche, cet avantage pour la production différenciée s’estompe à mesure que la quantité
consommée croît. La fonction f(a2) doit donc être concave.
Plusieurs formes sont possibles pour la sous-fonction A, une fonction linéaire étant exclue car
elle donne des solutions en coin. Parmi elles, la fonction suivante a l’avantage de rendre les
α n−δ a2δ + a2n
,
deux produits parfaitement substituables à l’infini : A(a1 , a 2 ) = a1 +
α + a 2n −1
où δ est le paramètre, compris entre 0 et 1, mesurant l’inverse de l’intensité de la
différenciation (plus il est faible, plus le deuxième produit est différencié). Le paramètre
n ≥ 1 donne la vitesse de convergence vers la fonction a1+a2 quand a2 tend vers l’infini. La
fonction f(a2) a donc pour asymptote une droite : le produit de qualité devient indifférencié
lorsqu’il est consommé en trop grande quantité. Le paramètre α représente l’ordre de
grandeur de la quantité consommée à partir de laquelle le produit différencié perd sa valeur
distinctive. Il peut être pris égal à un sans perte de généralité. L’analyse de ce type de fonction
d’utilité, ainsi que des conséquences sur la production, est donnée en annexe 3 point 4. On
constate que l’introduction d’une sous-fonction d’utilité non homothétique complique
sensiblement l’analyse, notamment sur les liens entre produits agricoles et industriels, qui ne
peuvent plus être agrégés séparément.
Une possibilité pour alléger l’analyse serait de séparer malgré tout l’étude du secteur agricole
et du secteur industriel, c’est-à-dire de traiter, d’une part, l’augmentation de revenu due à la
différenciation, et, d’autre part, l’effet induit sur la rentabilité de la délocalisation industrielle.
Nous allons nous tourner vers un autre type plus simple de sous-fonction d’utilité, où la
différenciation n’est plus représentée par une différence de concavité des fonctions relatives à
chaque type de biens.
3.3.1.3. Une forme CES avec pondérations
Nous avons constaté la difficulté technique, ainsi que les contradictions engendrées par la
forme de sous-fonction d’utilité précédente. Ces difficultés provenaient de la combinaison
d’une utilité marginale infinie lorsque la consommation de bien différencié tendait vers zéro,
avec une utilité quasi-linéaire (qui rendait la consommation indépendante du revenu).
Pour éviter ces difficultés, nous allons à présent proposer une sous-fonction de la forme
(a1δ + k (a 2 ).a 2δ )1 / δ . L’idéal serait de considérer une fonction k telle que k>1, décroissante et
tendant vers 1 quand a2 tend vers l’infini. Cependant, afin de pouvoir dégager des résultats
analytiques aisément manipulables, on supposera qu’on se situe dans une zone où k est
constant. Il s’agit donc d’une fonction CES, mais dans laquelle les deux produits n’ont pas un
rôle symétrique. On a donc :
n
U = (a1δ + k .a 2δ ) (1− µ ) / δ (∑ miρ ) µ / ρ avec 0<δ<1.
i =1
79
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
On peut alors montrer que, comme dans le modèle initial, les produits agricoles et industriels
sont consommés de façon à représenter des fractions respectives du revenu (1-µ) et µ. Plus
précisément, en posant δ= (γ-1)/γ, on trouve, si q1 et q2 sont les prix des biens agricoles :
a1 = (1 − µ )Y
q11−γ
q1−γ
k γ q 2−γ
Y
a
µ
,
=
(
1
−
)
(et toujours mi = µY
2
q11−γ + k γ q12−γ
+ k γ q12−γ
pi−σ
).
∑ p1j−σ
j
Nous allons suivre une démarche en deux temps. Dans un premier temps, les conséquences de
la fonction d’utilité choisie sur la production du bien agricole différencié seront explicitées.
Elles concernent le nombre de producteurs produisant ce bien, le volume produit, et leur
revenu individuel. Pour pouvoir mener à bien cette étude de façon analytique, des hypothèses
doivent être faites sur la structure de production du bien agricole différencié. Dans un
deuxième temps, les conséquences sur l’industrie seront étudiées. En effet, la hausse de
revenu rural et la production d’un bien agricole « plus élaboré » ont des impacts potentiels sur
l’intérêt pour des firmes de s’implanter en région rurale.
3.3.2. Les effets directs sur la production et le revenu agricoles
Nous allons d’abord préciser les hypothèses faites sur la production de bien agricole
différencié, puis examiner les résultats obtenus sur les quantités produites, le nombre de
producteurs, et enfin sur leur revenu.
3.3.2.1. Modélisation de la production agricole différenciée
Il est nécessaire de définir comment le bien agricole différencié est produit (fonction de
production) et comment son prix est fixé (type de concurrence et hypothèses de maximisation
du profit). Il n’y a aucune relation a priori entre les prix des deux produits agricoles (les
quantités a1 et a2 ne s’expriment d’ailleurs pas nécessairement dans les mêmes unités).
Rappelons brièvement les hypothèses faites jusqu’à présent sur le marché agricole. Les
agriculteurs n’ont pas de contrainte de sol, et sont supposés être toujours en mesure de
produire la quantité demandée. Ils utilisent leur propre force de travail comme unique facteur.
Comme ils sont en concurrence parfaite et que les rendements sont constants, le prix agricole
est fixé de manière à ce que le salaire perçu par agriculteur soit égal au salaire en dessous
duquel les agriculteurs refusent de produire. Prix et salaire agricoles sont tous deux
normalisés à un.
Concernant le bien agricole différencié, nous allons supposer que les agriculteurs concernés
s’organisent de façon à se comporter comme en monopole. Cependant, il importe de
considérer une limitation aux possibilités de production, et ne plus se contenter de l’hypothèse
que les agriculteurs n’utilisent que leur force de travail, sans quoi tous les agriculteurs se
convertiront au bien différencié. Deux hypothèses sont faites sur la technologie de
production :
- Le fait que les agriculteurs encourent des coûts de production, par exemple qu’ils achètent
des biens manufacturés au secteur industriel.
- Le fait que chaque agriculteur peut produire une quantité maximale fixe de bien
différencié (cette hypothèse est d’ailleurs semblable à celle de Daniel & Kilkenny 2002,
mais sans facteur terre et sans coût fixe).
A l’image du modèle de Krugman & Venables (1995), nous allons en outre faire l’hypothèse
(forte) que les agriculteurs utilisent tous les biens industriels comme inputs, selon la fonction
80
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
de production suivante, sans besoin fixe en facteur : a 2 = (∑ xi(σ −1) / σ )
σ /(σ −1)
/ d . Le paramètre
j
d sert à moduler l’importance du besoin en biens intermédiaires pour fabriquer le produit
agricole. Cette fonction a la même élasticité de substitution que la sous-utilité relative à ces
mêmes biens industriels. Puis, on supposera que le nombre de producteurs qui produisent le
bien différencié est proportionnel à la production optimale de bien agricole différencié.
La forme de la fonction de production implique que la demande de chaque bien industriel
s’écrit : xi = a2 dpi−σ /(∑ j p1j−σ )σ /(σ −1) (les producteurs étant supposés preneurs de prix). La
dépense totale est
∑p x
i
i
=a 2 dP M , où PM est l’indice de prix de Dixit-Stiglitz des biens
i
manufacturés : P
M
= (∑ p1i −σ )1 /(1−σ )
i
3.3.2.2. Quantité produite et nombre de producteurs
Le profit des agriculteurs produisant le bien différencié est : π = κq 2−γ q 2 − dP M κq 2−γ , où le
facteur κ dépend de l’indice de prix des biens agricoles, mais est supposé constant dans le
problème de maximisation, comme pour les industries. Rappelons que le paramètre d mesure
l’efficacité d’utilisation de biens intermédiaires dans la production, et q2 le prix. On suppose
que l’institution coordonnant la production agricole a comme objectif la maximisation de ce
profit total. Cette hypothèse, plutôt que la maximisation du profit par agriculteur, peut se
justifier si l’on suppose que cette « interprofession » perçoit une certaine proportion (fixe) du
profit dégagé par chaque exploitant. Ainsi, les agriculteurs se contentent de produire une
quantité fixe, qu’ils vendent au prix fixé par l’interprofession.
On obtient donc immédiatement q 2 = P M dγ /(γ − 1) , quantité qui est telle que le profit est
positif, puisque supérieure à dPM. On note que le prix est d’autant plus faible que les produits
agricoles sont substituables : ainsi, la quantité produite (et donc le nombre de producteurs) est
d’autant plus forte que les biens sont substituables. D’autre part, la quantité produite est
d’autant plus forte que d est élevé, donc que l’efficacité d’utilisation des inputs industriels est
faible.
3.3.2.3. Revenu des agriculteurs différenciés
Examinons à présent le revenu des agriculteurs. Le profit dégagé est réparti entre producteurs,
et constitue leur revenu. Supposons que la quantité produite par L producteurs est égale à
a2=α.L. Le revenu individuel des producteurs de bien agricole différencié, égal à π/L, vaut
donc α dPM/(γ -1). Il est rentable de produire ce bien à condition que ce revenu soit supérieur
à 1 (revenu des producteurs agricoles de bien générique), autrement dit si α dPM>(γ -1).
Ainsi, plus la productivité individuelle α est élevée, plus le revenu l’est (le contraire eût été
préoccupant). Plus intéressant, on voit que moins les biens agricoles sont substituables (plus γ
est élevé), plus le revenu des producteurs du bien différencié est élevé, et ce, quelle que soit la
valeur de k (qui, cependant a été éliminé du calcul de façon assez artificielle, puisqu’on a
supposé l’indice des prix agricoles constant). Enfin, et de façon surprenante, si l’efficacité
d’utilisation des intrants industriels diminue (d augmente) ou si l’indice des prix industriels
augmente, ce revenu augmente : cet effet est dû à l’existence du pouvoir de monopole qui
permet de répercuter les coûts de façon plus que proportionnelle sur le consommateur.
Le résultat le plus important de cette étude est qu’un bien agricole peu substituable avec le
bien générique aboutira à un revenu individuel élevé, mais un prix fort et une production
81
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
faible, ainsi qu’un faible nombre d’agriculteurs produisant ce bien. Ce résultat est tout à fait
cohérent avec l’hypothèse de monopole.
Le modèle proposé ici comporte un grand nombre de simplifications, qui permettent de
séparer les différents problèmes (nombre de producteurs, revenu, puis effet sur l’industrie), et
d’aboutir à des résultats analytiques facilement manipulables. En particulier, il est décevant
que le paramètre de différenciation k ne joue aucun rôle sur la condition de rentabilité de la
production de bien différencié. Avec la simplification adoptée sur la maximisation du profit, k
ne joue en fait un rôle que dans le calcul (non explicité ici) de la quantité produite (donc du
nombre de producteurs). C’est surtout l’élasticité de substitution γ entre produits agricoles qui
joue un rôle important dans l’effet de différenciation. Cette situation n’est pas sans rappeler
celle du besoin fixe en travail F dans l’industrie. Ce paramètre est censé représenter l’intensité
des économies d’échelle internes, mais n’est presque jamais présent dans les conditions
obtenues dans l’étude des équilibres : il ne se retrouve que dans l’équation donnant la quantité
produite, et celle donnant le nombre de firmes. Un cadre plus élaboré, avec moins
d’hypothèses simplificatrices, pourrait être adopté si ce travail se poursuit par des simulations
numériques, en gardant cependant à l’esprit que le gain en termes de complexité peut se
traduire par une perte de robustesse et de compréhension des mécanismes économiques.
3.3.3 Les effets indirects et induits sur l’industrie
Intéressons nous à présent aux effets d’une telle différenciation du produit agricole sur
l’activité industrielle et sa répartition géographique. La différenciation du bien agricole a deux
effets directs :
- Une hausse de revenu des producteurs agricoles
- Une hausse de demande adressée aux firmes industrielles
Ces deux effets directs peuvent entraîner deux autres effets, tous deux favorables à la
délocalisation de l’industrie. D’une part, la hausse de revenu dans la région rurale produisant
le bien différencié entraîne à son tour une hausse de la demande de biens industriels finaux
qui peut renforcer l’incitation à une délocalisation de firmes en zone rurale (« effet induit »).
Il s’agit donc d’une variante de l’effet taille de marché (« home market effect »), qui porte non
sur la population (comme dans la section précédente, à travers le paramètre θ), mais sur la
hausse de revenu et la demande de biens intermédiaires. D’autre part, la demande de biens
industriels comme inputs de la production agricole différenciée renforce l’avantage lié à la
baisse de coût de transport des firmes rurales (« effet indirect »).
3.3.3.1. Cadre du modèle d’économie géographique
Jusqu’à présent, nous ne nous sommes intéressés qu’à la production agricole de biens
différenciés, en ignorant tout cadre spatial. Nous allons tenter d’examiner de plus près les
effets sur le secteur industriel et les autres régions dans un modèle simple à trois régions. Pour
cela, nous supposons que les producteurs agricoles de biens différenciés se situent dans une
zone géographique contiguë, sans coûts de transport internes, mais que les autres producteurs
(produisant le bien agricole générique) sont localisés dans une zone plus éloignée. Ceci
permet de se ramener à un cadre géographique avec des régions ponctuelles. Pour ne pas
ajouter de complication supplémentaire, le coût de transport est supposé identique entre les
régions, et ne concerner que le bien industriel. Comme dans le modèle des sous-sections 1.1.
et 1.2., on suppose qu’il y a immobilité sectorielle (sans quoi il y aurait un arbitrage à ajouter
avec le salaire industriel), mais mobilité géographique des travailleurs industriels. Le cadre
géographique est donc identique à celui de la sous-section 3.1.1. (hormis le dernier
82
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
paragraphe). La situation initiale est celle d’une concentration totale de l’industrie dans la
région urbaine, et les notations sont les suivantes :
Urbain U
0
Main-d’œuvre agricole
Main-d’œuvre industrielle
LUM = LM
Fonction de production (industrie) l = F+c.q
Paramètres des ménages
σ, µ
Revenu régional
wU LUM
Rural différencié D
LAD = θLA
Rural indifférencié I
LAI = (1 − θ ) LA
LMD = 0
l = F+c.q
σ, µ
αLAD d /(γ − 1)
LMI = 0
l = F+c.q
σ, µ
LAI
Avec la normalisation habituelle du prix agricole générique. Les autres paramètres sont la
production de bien agricole différencié par travailleur α, l’intensité d’utilisation de biens
intermédiaires dans la production de bien agricole différencié d, l’élasticité de substitution
entre produits agricoles γ et le paramètre de qualité k. Rappelons que la définition des régions
D et I a un sens très différent des sections précédentes : elles sont ici délimitées de manière
endogène, par la part de population agricole se spécialisant dans le bien différencié.
3.3.3.2. Evaluation des effets induits et condition de délocalisation
Nous pouvons maintenant comparer les salaires réels offerts aux travailleurs industriels dans
les trois régions. Pour écrire la demande adressée à chaque firme, notons au préalable que la
demande totale en chaque bien industriel de adressée à la région urbaine par la région rurale,
vaut :
αLAD dP M T 1−σ pU−σ (γ + µ − 1)
(γ − 1) P M
-
1−σ
, c’est-à-dire la somme de :
la demande de biens finaux (soit µαdP M LADT 1−σ pU−σ / P M
1−σ
(γ − 1) puisque le revenu de la
région D vaut αdP M LDA /(γ − 1) ).
-
la demande de biens intermédiaires (soit αLAD dT 1−σ pU−σ d / P M
−σ
, puisque la quantité de
bien différencié produite est αL ).
A
D
On raisonne de même pour la demande à une firme de la région D ou de la région I, et on fait
les mêmes approximations que précédemment (on néglige le nombre d’entreprises éventuel en
zone rurale, ainsi que la population rurale ouvrière éventuelle.
 wU LM pU−σ (αLAD d (γ + µ − 1) / µ (γ − 1)) P M T 1−σ pU −σ LAIT 1−σ pU −σ 
+
+
qU = µ 

1−σ
nU (TpU )1−σ
nU (TpU )1−σ 
 nU pU
 wU LM T 1−σ p D −σ (αLA d (γ + µ − 1) / µ (γ − 1)) P M p −σ LAT 1−σ p −σ 
D
D
D
+
+ I
qD = µ 
1−σ
1−σ
1−σ 
n
p
n
Tp
n
Tp
(
)
(
)


U U
U
U
U
U
−σ
 wU LM T 1−σ p I −σ (αLA d (γ + µ − 1) / µ (γ − 1)) P M T 1−σ p −σ
LAI p I
D
I
+
+
qI = µ 
nU pU1−σ
nU (TpU )1−σ
nU (TpU )1−σ

83



Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Ces trois équations deviennent, après les substitutions habituelles des équations (1), (2) et (3)
et en introduisant θ :
LA
µ
M
wU =
(αθdP γ /(γ −1) + (1 −θ )) M
L
1− µ
σ
 wD 
αθdPM (γ + µ −1) / µ(γ −1)
(1 −θ )
  = µT 1−σ + (1 − µ)
T σ −1 + (1 − µ)
M
M
αθdP (γ + µ −1) / µ(γ −1) + (1 −θ )
αθdP (γ + µ −1) / µ(γ −1) + (1 −θ )
 wU 
 wI

 wU
σ

αθdPM (γ + µ −1) / µ(γ −1)
(1 −θ )
 = µT 1−σ + (1 − µ)
+ (1 − µ)
T σ −1
M
M
αθ
γ
+
µ
−
µ
γ
−
+
−
θ
αθ
γ
+
µ
−
µ
γ
−
+
−
θ
dP
dP
(
1
)
/
(
1
)
(
1
)
(
1
)
/
(
1
)
(
1
)

La condition de délocalisation dans la région D est comme dans la sous-section 3.1.1. que le
rapport des salaires réels ω D / ω U soit supérieur à 1. Rappelons que la part θ de population
rurale produisant le bien agricole différencié est endogène, elle dépend des paramètres d, α, γ,
et k, mais aussi de µ et du revenu global (pas du coût de transport puisqu’on suppose que les
biens agricoles sont transportés sans coût). De plus, P M est aussi endogène
( P M = nU1 /(1−σ )TpU ). Posons λ = αdP M (γ + µ − 1) / µ (γ − 1) , pour alléger les formules (le cas
initial de la sous-section 3.1.1. revient à poser λ=1). Ce paramètre sans dimension mesure
l’intensité de besoin en biens industriels pour les agriculteurs de la région D. On a λ>1, car
γ>1 et on a supposé que α d P M >(γ -1) pour qu’il soit rentable de produire le bien agricole
différencié. Réécrivons les équations :
wU =
LA
µ
(λθ + (1 − θ )) M
1− µ
L
σ
 wD

 wU

λ
1
 = µT 1−σ + (1 − µ )
θT σ −1 + (1 − µ )
(1 − θ )
λθ + (1 − θ )
λθ + (1 − θ )

 wI

 wU

λ
1
 = µT 1−σ + (1 − µ )
θ + (1 − µ )
(1 − θ )T σ −1
λθ
+
(
1
−
θ
)
λθ
+
(
1
−
θ
)

σ
Ces trois équations permettent de retrouver les différents effets induits par la différenciation
du produit agricole :
- L’équation donnant le salaire urbain montre que la hausse de salaire de la région rurale
différenciée entraîne (via la hausse de λ) une hausse de salaire dans la région urbaine du
fait de l’augmentation de la demande de biens finaux et intermédiaires. Cet effet tempère
l’avantage conféré en termes d’attractivité à la région D par sa hausse de salaire agricole.
- Concernant le coût de transport, la zone où la baisse de coût de transport est défavorable à
la délocalisation de l’industrie est plus grande pour la région D (cf. figure ci- dessous) et
plus petite pour la région I, par rapport à la situation sans différenciation (celle de la soussection 3.1.2.)14.
- L’augmentation de λ, intensité de besoin en biens industriels des agriculteurs produisant le
bien différencié, est favorable à l’industrialisation de la région rurale différenciée, et
défavorable à l’autre région rurale. Cet effet est d’autant plus marqué qu’en outre, une
augmentation de λ coïncide avec une hausse de la quantité produite dans la région D, donc
de θ, sauf si l’augmentation de λ est due à la baisse de µ.
En effet, le fait que λ>1 implique que λ (λθ + (1 − θ )) > 1 et que 1
T a plus de poids pour la région D, et moins de poids pour la région I.
14
σ-1
84
(λθ + (1 − θ )) < 1 . Donc le terme en
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
Avantage relatif de la région D en termes de salaire réel
avec ou sans différenciation
ω D / ωU
λ=1
λ>1
1
T
Toutefois, ces remarques ont été faites en supposant implicitement la taille de la région D (le
paramètre θ) fixée. Cette approximation peut être faite sur le court terme (par exemple parce
que la conversion à la production agricole différenciée nécessite des investissements). En fait,
nous allons voir que la baisse du coût de transport est favorable à la hausse de θ.
3.3.3.3. Comparaison des régions rurales
Examinons à présent l’attractivité relative des deux régions rurales. On a wD > wI si est
seulement si : θ > 1 /(λ + 1) . On retrouve bien la condition élémentaire θ > 1 / 2 lorsque λ = 1 .
Revenons donc aux déterminants de θ = min(a 2 / αLA ,1) . C’est le calcul de a2 qui est délicat :
a2 = (1 − µ )( wU LM + ( wDθ + (1 − θ )) LA )
k γ q2−γ
, q 2 = γdP M /(γ − 1) et wD = αdP M /(γ − 1)
γ 1−γ
1 + k q2
On constate que l’interdépendance entre les paramètres endogènes est importante : la
poursuite du calcul ne mène à aucune simplification qui pourrait donner une condition facile à
étudier analytiquement. Contentons-nous de donner une expression de θ en substituant
seulement l’expression du salaire urbain :
k γ q 2−γ
θ=
α (1 + k γ q12−γ ) + (1 − µ )k γ q2−γ (1 − wD ) + k γ q2−γ µ (1 − λ )
[
]
Enfin, en substituant λ = αdP /(γ − 1) + αdP / µ , q2 et wD nous pouvons écrire :
M
θ=
kγ
α (dP M γ /(γ − 1)) γ + k γ
[
M
]
Des simulations numériques seraient nécessaires pour étudier précisément l’effet de chaque
paramètre. Néanmoins, on peut faire deux remarques :
- Comme PM croît avec le coût de transport, la valeur de θ augmente si le coût de transport
diminue, tandis que 1/(1+λ) augmente. Si θ varie plus lentement que 1/(1+λ), une
diminution du coût de transport industriel est défavorable à la l’attractivité industrielle de
la région D par rapport à la région I. En revanche, θ si s’ajuste selon l’expression cidessus, l’effet est indéterminé, mais on peut montrer que si k est suffisamment grand, la
85
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
-
croissance de θ quand PM diminue est supérieure à la croissance de 1/(1+λ). Dans ce cas,
la baisse du coût de transport est favorable à l’attractivité de la région D.
Sur le rôle de k : ce paramètre n’intervient que dans l’expression de θ et pas de λ.
k
Lorsque
tend
vers
1,
on
montre
que
la
condition
s’écrit
M
M
M
γ
dP /(γ − 1) + dP / µ > (γdP /(γ − 1)) . A l’inverse, si k tend vers l’infini, θ tend vers 1
(tandis que 1/(1+λ) reste inférieur à ½) : la région D est systématiquement favorisée à
partir d’un certain seuil, et « envahit » progressivement tout le monde rural.
Ainsi, si le paramètre de qualité k est suffisamment élevé, la région D sera systématiquement
plus attractive pour l’industrie que la région I. A l’inverse, en supposant l’effet de d, α et γ sur
PM faible (cette supposition peut se fonder sur le fait que la population rurale est beaucoup
plus petite que la population urbaine et de ce fait influe peu sur PM), on voit que, lorsque k est
faible, une forte élasticité de substitution pénalise la région D. L’augmentation d’intensité
d’utilisation de biens intermédiaires augmente l’attractivité de la région D quand elle est
faible, puis la diminue. La productivité par travailleur ne joue aucun rôle. De manière
surprenante, une forte consommation de biens industriels par les ménages peut être
défavorable à la délocalisation dans la région D. Cet effet est dû au fait que lorsque µ est
élevé, l’induction d’activité industrielle par l’achat de biens intermédiaires de la région D est
relativement moins élevée.
Conclusion de la section
Le modèle proposé ici, qui comporte de nombreuses simplifications et plusieurs hypothèses
ad hoc destinées à rendre son étude abordable, donne des résultats en accord avec l’intuition,
mais aussi quelques prédictions plus inattendues, et parfois ambiguës comme la condition
d’attractivité de la région rurale différenciée. On trouve le même problème d’estimation des
paramètres (avec des paramètres supplémentaires) que dans les sous-sections précédentes.
Quelques tests empiriques peuvent néanmoins être envisagés, et en particulier :
- la condition de rentabilité de la production de bien agricole différencié : le modèle prédit
une relation négative entre élasticité de substitution des biens agricoles et productivité du
bien différencié, à savoir α dPM>(γ -1).
- la relation entre taille de la région D et induction d’activités industrielles : du fait de la
condition θ > 1 /(λ + 1) , la taille minimale des zones de différenciation agricole pouvant
attirer l’industrie doit diminuer à mesure que le besoin en bien industriels (y compris pour
la consommation personnelle) croît.
- le rôle négatif de la baisse du coût de transport industriel sur la possibilité
d’industrialisation rurale.
Un point intéressant mis en évidence dans l’étude des effets induits sur l’industrie est qu’il
existe un effet indirect positif de la hausse de revenu agricole sur l’industrie urbaine. Cet effet,
s’il est suffisant (par exemple, si la part de consommation industrielle dans le budget des
ménages est suffisante), peut contrebalancer l’effet taille de marché dans la région rurale. Cela
justifie l’utilisation d’un cadre d’équilibre général, sans lequel l’effet ne pourrait pas
apparaître.
L’étude menée dans cette section illustre bien la complexité analytique engendrée par des
modifications mêmes simples du modèle de base. Des simulations numériques pourraient
cependant être menées avec des hypothèses moins arbitraires, afin de tester la robustesse des
propositions obtenues ici, en particulier de celles qui sont contre-intuitives. Les hypothèses
faites sur le coût de transport (coût unique entre les régions pour les biens industriels, pas de
86
Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels
coûts pour les biens agricoles) sont fortes, et méritent d’être relâchées, notamment pour le
bien agricole différencié. On s’attend à ce que l’introduction d’un coût de transport pour le
bien agricole différencié ait un effet ambigu : d’un côté, elle atténue la demande de ce bien
dans les régions U et I (donc la hausse de revenu de la région D). Mais, d’un autre côté, elle
rend plus avantageuse la localisation de travailleurs industriels dans la région D, qui
bénéficieront d’une demande accrue de biens intermédiaires et d’une baisse du prix réel (sans
coût de transport) du bien agricole différencié.
87
Chapitre 4. Conclusion
La conclusion de ce mémoire se fera en trois temps. Dans une première section, une synthèse
des résultats les plus marquants obtenus dans l’étape de modélisation est proposée. Elle est
remise en perspective par rapport aux questions initiales, et le statut du travail réalisé est
discuté. La deuxième section examine les prolongements à envisager en termes de validation
empirique des résultats théoriques. Elle met en évidence différents problèmes théoriques et
pratiques, et propose quelques premières pistes pour préparer un travail économétrique. Enfin,
la troisième section passe en revue des questions non abordées dans le cadre de ce mémoire,
mais qui mériteraient une prise en compte dans le prolongement du travail théorique.
4.1. Synthèse des résultats et statut méthodologique du travail réalisé
Cette section fait la synthèse des résultats obtenus dans les différents modèles analysés dans le
chapitre 3. Elle commence par rappeler l’ambition de ces modèles par rapport à la
problématique des effets d’organisation. Puis elle reprend les résultats obtenus les plus
remarquables. Enfin, elle s’interroge sur la valeur à leur accorder sur le plan scientifique.
4.1.1. Les effets d’organisation abordés et leur mode d’introduction
Les trois types de variantes examinées dans le chapitre 3 abordent l’introduction d’effets
d’organisation dans un modèle d’économie géographique de manière assez différente.
Dans la première section, il est supposé que la production industrielle est plus efficace dans
une région rurale « différenciée » qu’ailleurs. Cette augmentation de productivité peut
s’interpréter soit comme le résultat d’un processus interne aux individus (par exemple, plus
grande ardeur au travail), soit comme le résumé de mécanismes élémentaires complexes
(baisse de coûts de transaction et de formation, etc…). Dans le premier cas, on ne peut guère
aller plus loin en termes de description économique, et il faut passer la main aux
psychologues ou sociologues pour explorer les mécanismes incitatifs possibles à l’origine des
phénomènes d’organisation, et leur efficacité. Dans le second, la question reste ouverte de la
possibilité d’intégrer explicitement ces mécanismes dans un modèle économique, tout en
gardant la capacité à accéder à la compréhension du fonctionnement d’un tel modèle.
Le modèle de complémentarités verticales se focalise sur un type d’effet d’organisation
particulier, les complémentarités au sein du système input-output (même si on a vu qu’il
pouvait aussi s’interpréter en termes de complémentarités travailleurs-firmes). Plutôt que de
chercher à modéliser explicitement des coûts de recherche de partenaires et autres coûts de
transaction, il utilise un paramètre courant en microéconomie, l’élasticité de substitution, pour
faire varier ces complémentarités. A première vue, cela peut paraître un jeu de langage que
d’utiliser le caractère de « complémentarité » des inputs au niveau de la fonction de
production (une élasticité de substitution faible), pour représenter des complémentarités entre
firmes. Il s’avère en fait qu’une élasticité de substitution faible rend bien compte de l’idée de
complémentarité entre biens intermédiaires et biens finaux : chaque bien intermédiaire
apporte une contribution spécifique à la production finale, et les calculs montrent qu’une plus
faible élasticité de substitution est favorable à une baisse des prix des biens finaux.
Dans le modèle avec bien agricole différencié, l’approche est différente des deux modèles
précédents, puisque l’effet d’organisation se place au niveau de la production liée au sol, et
qu’il passe en premier lieu par une modification de l’utilité du consommateur. L’effet
d’organisation est ici composite : il comprend un pouvoir de monopole et une barrière à
l’entrée, associée à la capacité à conférer au produit une image positive aux yeux du
88
Chapitre 4 : Conclusion
consommateur. La modification de l’utilité est arbitraire, et se justifie en partie par des raisons
de commodité analytique. Contrairement aux coûts de transaction (au sens large, tel qu’utilisé
par Williamson), qui peuvent faire l’objet d’une modélisation plus fine, il n’est d’ailleurs
guère possible d’aller plus loin dans le cadre de la théorie microéconomique.
Nous avons donc dans ce travail tenté d’illustrer des possibilités assez contrastées de
modification des modèles de base. Comme on le verra plus bas, il laisse encore la possibilité à
de multiples perfectionnements.
4.1.2. Bilan de la démarche entreprise
Si l’on compare à présent les différents résultats obtenus, une observation générale semble
s’imposer : selon le type d’effet d’organisation et de situation que l’on étudie, l’effet qualitatif
des autres paramètres, en particulier des paramètres relatifs aux phénomènes marchands, n’est
pas systématiquement le même. En particulier :
- L’élasticité de substitution ne joue pas le même rôle selon qu’on a une baisse du besoin
fixe en facteur travail ou du besoin variable.
- Les paramètres qui favorisent la délocalisation jouent parfois un rôle inverse en matière
d’attractivité relative des régions rurales. Aussi, selon que la situation est favorable ou non
à une délocalisation de l’industrie, les paramètres stratégiques peuvent être très différents.
- Dans les modèles plus élaborés des sections 2 et 3 du chapitre 3, certains paramètres ont
un effet qualitatif qui dépend des autres paramètres.
Seul le coût de transport semble avoir un effet qualitatif plus univoque, avec la « courbe en U
inversé » que l’on retrouve presque partout (quoique dans la variante avec différenciation des
produits ruraux, l’effet est plus ambigu). Dans la plupart des cas, lorsqu’on est dans une zone
de « bas coûts de transport » (avec un seuil supérieur éventuel dépendant des paramètres), une
baisse des coûts de transport est favorable à la délocalisation dans la région différenciée.
En conséquence, l’idée d’élaborer une mesure de la qualité de l’organisation locale par un
seul indicateur semble illusoire. Cette observation corrobore l’idée qu’une stratégie de
développement basée sur l’organisation est très difficile à reproduire dans des situations
différentes.
La comparaison entre effets d’organisation et « effets marchands » n’a d’ailleurs vraiment été
traitée que dans le premier type de modélisation, à travers les conditions portant sur le
paramètre d’efficacité relative de la production industrielle. Dans les deux autres variantes, les
expressions obtenues sont trop complexes pour étudier explicitement les relations entre un
paramètre de différenciation organisationnelle et les paramètres relatifs aux effets marchands.
Ainsi, l’apport de ces modélisations par rapport aux questions initiales est triple :
- Elles montrent qu’il est effectivement possible d’utiliser le formalisme microéconomique
pour faire cohabiter des mécanismes marchands et des effets d’organisation, même si la
représentation de ces derniers reste assez fruste.
- Elles confirment la difficulté qu’il y a à tenter d’agréger des effets d’organisation divers
pour en déduire un « degré d’organisation ».
- Elles fournissent quelques relations susceptibles de faire l’objet de tests empiriques.
Il convient cependant de rappeler les limites des résultats obtenus.
89
Chapitre 4 : Conclusion
4.1.3. Questions méthodologiques sous-jacentes à la démarche et aux résultats
Au-delà de l’accent mis sur le formalisme microéconomique dans ce document, un des
objectifs de ce travail était d’appliquer une démarche hypothético-déductive aux questions
d’organisation. Un grand nombre de travaux sur le sujet consiste en des monographies, ou en
des synthèses de monographies aboutissant à des discussions sur la définition de nouveaux
concepts, l’existence de régularités empiriques, des typologies globales, etc… Une telle
démarche, de type inductif, est tout à fait honorable, surtout sur un sujet aussi ardu et au
confluent de plusieurs disciplines (sociologie, science politique). Il s’agissait ici d’examiner la
possibilité d’aller plus loin et d’obtenir des propositions réfutables au sujet des conséquences
sur le résultat des forces de marchés de la prise en compte de l’organisation. Pour cela, nous
avons d’abord procédé de façon analytique, en énumérant l’ensemble des mécanismes
potentiellement en jeu. Nous avons ensuite essayé de construire des modèles basés sur un
niveau d’analyse le plus bas possible, même si pour des raisons de simplicité d’analyse, un
certain caractère de « boîte noire », assez inévitable avec le formalisme utilisé, demeure dans
la représentation des effets d’organisation.
Peut-on dire que l’objectif a été atteint ? La démarche n’a en fait été menée à bien qu’à
moitié. Des relations entre paramètres, en principe testables, ont été formulées, mais du fait du
maintien de certaines « boîtes noires », le travail reste incomplet. Un approfondissement
théorique devrait se pencher sur le lien entre les modifications de fonction de production
utilisées et les paramètres observables dans le monde réel.
A présent, sur le plan de la compréhension des mécanismes à l’œuvre lorsque des effets
d’organisation se mêlent aux phénomènes marchands, ce travail a permis d’illustrer la
richesse des interactions possibles, tout en confirmant la difficulté qu’il y a à vouloir dégager
des régularités générales. De ce fait, l’arbitrage toujours nécessaire entre la simplicité du
modèle (pour le comprendre et obtenir des résultats robustes) et sa richesse n’a pas été trop
déséquilibré. Des questions restent néanmoins en suspens sur la validité des simplifications
posées : hypothèse de robustesse des résultats obtenus sur les configurations en coin,
hypothèses sur les fonctions de production et les programmes de maximisation… Il serait utile
de comparer les résultats obtenus ici à ceux d’autres approches que l’économie géographique.
Quoi qu’il en soit, la démarche menée ici, qui reste très abstraite, appelle naturellement un
retour au réel, à la fois pour tester certaines propositions obtenues, mais aussi plus
généralement pour évaluer sa pertinence d’ensemble.
4.2. Le travail de validation empirique envisageable
Cette partie n’entend pas définir un protocole précis de validation du travail théorique mené
ici. Elle se contente de pointer les difficultés relatives à cette validation, et à proposer des
premières pistes, selon trois aspects : le choix des systèmes étudiés, le contenu du travail
économétrique, et les questions théoriques à examiner au préalable.
4.2.1. Le choix des territoires d’étude
L’objectif du travail empirique est d’évaluer des relations prédites par les modèles. Il devra
donc s’agir d’un travail économétrique portant sur un grand nombre de territoires. C’est
d’ailleurs une des raisons pour laquelle l’usage d’une théorie formalisée est intéressant.
Toutefois, il pourra être utile de réaliser au préalable une ou quelques études de terrain plus
détaillées afin de mieux appréhender les mécanismes étudiés. Ceci pourrait s’avérer d’autant
plus nécessaire que la définition des variables quantifiant les effets d’organisation sera ardue
et entachée de pièges méthodologiques. Cependant, il est nécessaire de bien calibrer un tel
90
Chapitre 4 : Conclusion
travail, qui peut vite devenir extrêmement lourd et peu extrapolable, par exemple si l’on tente
de prendre en compte les phénomènes sociologiques, historiques etc… et essayer de les relier
à des caractéristiques économiques.
Une étude statistique sur l’espace rural est potentiellement entachée de nombreux biais.
Contrairement aux pôles urbains dont la taille est importante en termes d’activités et de
population, des artéfacts peuvent grandement perturber les comparaisons en zone rurale.
Supposons par exemple que, pour une raison quelconque, un grand établissement industriel se
soit installé dans une zone, créant de nombreux emplois. Cela entraînerait bien entendu une
distorsion considérable par rapport à d’autres zones de caractéristiques analogues.
Afin de limiter les biais potentiels et interactions avec d’autres mécanismes, il est donc
préférable de restreindre l’étude à un type d’espace assez éloigné de l’influence des grandes
métropoles, par exemple l’espace à dominante rurale, voire le rural indépendant15. Cela peut
éviter les distorsions dues à la proximité de pôles urbains, mais inversement, un espace trop
périphérique risque surtout de se distinguer par son absence de dynamisme et ne rien révéler
d’intéressant.
La taille des territoires doit être choisie de façon à ce que la définition d’un véritable système
productif puisse avoir un sens. Autrement dit, il doit exister sur le territoire étudié un
minimum de complémentarités marchandes, directes (entre firmes ou entre firmes et
travailleurs) ou indirectes (par exemple entre industrie et services aux personnes, par le biais
des consommateurs). Des seuils d’emploi ou de population pourront être fixés. Le modèle
type est bien entendu un pôle (ici rural), et l’espace voisin qu’il structure. Cependant, en
pratique, il n’y a aucune raison d’obtenir ainsi un pavage de l’espace complet et sans
recouvrement. Ainsi, un parc naturel régional peut chevaucher plusieurs zones polarisées, tout
en pouvant constituer par certains aspects un territoire structuré pertinent sur le plan
économique.
L’idéal serait de comparer des territoires possédant des caractéristiques semblables (taille du
même ordre de grandeur, éloignement de pôles urbains, présence d’un centre d’importance
comparable, histoire économique comparable) et différant en revanche nettement sur des
aspects organisationnels étudiés ici (par exemple, existence de structures de développement,
coopérations entre entreprises, stratégie innovante de création de valeur ajoutée, identité
forte,…). Il faudrait aussi comparer leurs trajectoires récentes, en supposant qu’on dispose
d’un recul temporel suffisant dans la divergence des modes d’organisation pour espérer
observer des différences significatives.
Mais les quelques suggestions ci-dessus ne suffisent pas à définir une méthode de délimitation
des territoires. Comme dans toute étude statistique, un des enjeux essentiels est d’éviter les
biais dans l’échantillonnage. C’est d’autant plus important – et délicat – dans ce domaine,
relevant par excellence du « non mesurable ». Deux approches opposées sont possibles,
chacune ayant des avantages et des inconvénients majeurs.
La première est de considérer des territoires possédant une structure de gouvernance
officielle, privée ou publique, associée à un périmètre précis. Etant donnés les critères
généraux ci-dessus, prendre des « pays loi Voynet » peut être une démarche adaptée16. Cette
15
En suivant Guérin (1999), nous pouvons définir le rural indépendant comme la réunion du rural isolé, des
pôles ruraux et de leur périphérie, toujours selon les définitions du zonage en aires urbaines).
16
En effet, le préfet de région qui valide la délimitation du périmètre est censé tenir compte de sa cohérence
d’ensemble selon des critères multiples : géographie, identité, histoire, activité économique, existence de
91
Chapitre 4 : Conclusion
démarche suppose implicitement que toute zone non structurée en pays n’a aucun intérêt pour
notre étude. Les caractéristiques moyennes de l’espace rural pourraient servir de « témoins ».
Cette approche permet de choisir rapidement un panel de territoires « candidats » et a
l’avantage de mettre à la disposition de l’enquêteur des correspondants locaux dont le
domaine géographique de compétence se confond avec celui du territoire. Cependant, les
territoires présentent en fait une grande hétérogénéité de taille et d’éléments fédérateurs. En
outre, tout l’espace rural n’est pas couvert de cette façon.
L’autre possibilité est de prendre une définition objective des territoires d’étude, à l’aide de
quelques indicateurs statistiques : déplacements domicile-travail, zones de chalandise en
particulier (pôles de service de l’INSEE par exemple). L’avantage, outre l’objectivité de la
démarche, est de pouvoir prendre en considération l’ensemble de l’espace rural (il serait
d’ailleurs intéressant d’étudier le recouvrement de ces zones avec les territoires de projets
officiels). En revanche, l’enquête de terrain peut être rendue plus difficile. De plus, certains
aspects potentiellement importants, auxquels tiennent les développeurs (aspects
socioculturels) échappent en grande partie à la méthode de délimitation (de toute façon, on ne
pourra se permettre de devoir faire une étude approfondie sur les caractéristiques
organisationnelles des territoires avant même de les avoir choisis). Certes, ce travail ne
s’intéresse qu’à des mécanismes économiques, mais la comparaison des résultats sur les
aspects économiques avec des aspects plus sociaux peut néanmoins se révéler éclairante.
4.2.2. Types de relations à tester
Le contenu des tests économétriques à réaliser est encore plus problématique que la question
du choix des territoires. Deux questions principales se posent : premièrement, comment
calculer les différentes variables, notamment celles qui concernent les effets d’organisation,
deuxièmement, quelles relations tester.
Avant d’aborder les variables d’organisation, la première question concerne la ou les variables
de performance, servant à évaluer le dynamisme de l’activité économique. Le revenu par
habitant est de toute évidence insuffisant puisque qu’il inclut des revenus de transfert. De
plus, un territoire peut très bien se vider de ses habitants tout en conservant une petite activité
fortement rémunératrice mais concernant peu d’individus. On considérera donc plutôt la
valeur ajoutée produite sur le territoire, ou nombre d’emplois, et on pourra rapporter ces
indicateurs à la superficie et non au nombre d’habitants. D’autre part, des indicateurs
dynamiques peuvent être préférables à des indicateurs statiques : taux de croissance moyen
sur plusieurs années par exemple.
Les autres variables relatives aux phénomènes marchands sont en général non accessibles
dans les statistiques officielles et devront faire l’objet de mesures et de calculs. On a vu que
l’accessibilité (coût de transport) joue un rôle important. Combes & Lafourcade (2002)
proposent une méthode de calcul de ces coûts entre les zones d’emploi, dont on pourrait
s’inspirer. Les coûts supportés par les entreprises devront faire l’objet d’une recherche sur la
littérature spécifique à chaque branche. On cherchera notamment à évaluer pour chaque type
d’activité le niveau d’économies d’échelle atteint par les entreprises les plus efficaces. En cas
de travail sur des données temporelles, l’évolution nationale des différents secteurs devra être
utilisée à titre de référence. Enfin, l’élasticité de substitution de la demande pourra être
complémentarités urbain/rural internes etc… De plus, le conseil de développement doit comporter de nombreux
acteurs économiques. Cependant, il est notoire que certaines circonstances politiques ou fortuites, ainsi que la
difficulté de concilier tous les critères souhaités, rendent ces territoires beaucoup moins cohérents qu’en théorie.
92
Chapitre 4 : Conclusion
approchée en se basant sur la littérature empirique traitant du sujet, mais pourra se réduire à
un paramètre à estimer dans le modèle statistique.
Le problème le plus épineux concerne bien entendu les variables mesurant l’organisation. Par
essence, les phénomènes d’organisation sont difficiles à saisir quantitativement. L’idéal serait
de pouvoir construire des indicateurs indirects (proxies). Par exemple, Hecquet & Lainé
(1999) ont réalisé une étude statistique sur l’organisation économique en France, en se basant
sur les prises de participation de capital entre entreprises. Cependant, les complémentarités
entre entreprises sont fréquemment informelles. Un travail de terrain sera alors probablement
nécessaire pour aboutir à des mesures quantitatives. Des variables indirectes utiles pourraient
être, par exemple : turnover de la main d’œuvre (indiquant la qualité des appariements), taux
d’absentéisme, taux de participation de travailleurs à des démarches associatives, densité de
liens informels entre chefs d’entreprise…
La seule solution, ou tout au moins la moins onéreuse, risque d’être souvent l’utilisation de
variables indicatrices renseignées « à dire d’expert », avec tous les biais que peuvent
engendrer cette méthode. Il peut s’agir de variables binaires (présence/absence) ou d’échelles
de notation. Les territoires seront alors comparés en fonction de l’existence ou non d’un
phénomène d’organisation. Une autre approche, plus délicate, serait de considérer un territoire
qui paraît avoir bien réussi grâce à des caractéristiques organisationnelles performantes, et de
tenter de reconstituer une évolution contrefactuelle de ses indicateurs de développement
économique (c’est-à-dire d’estimer ce qu’auraient été ces indicateurs en l’absence d’une
démarche d’organisation économique). Si ce travail s’avère trop délicat, on peut aussi
comparer l’évolution réelle du territoire à la moyenne de l’espace rural de même type (ce qui
suppose que les démarches d’organisation économique sont rares à l’échelle de l’ensemble du
rural).
Une fois « résolus » les problèmes de calcul de variables, trois types de calculs peuvent être
intéressants à réaliser :
- Des tests de significativité des variables liées à l’organisation dans le niveau d’activité
économique. Il s’agit de savoir si les effets d’organisation peuvent réellement jouer un
rôle déterminant dans l’activité économique. Ces tests peuvent être basés soit sur des
modèles statistiques a priori (par exemple, une relation linéaire entre niveau d’activité,
variables d’organisation et autres variables), soit sur des modèles statistiques déduits d’un
modèle théorique (ce qui nécessiterait de calculer explicitement des équilibres avec
industrialisation rurale, à moins de se contenter de conditions de délocalisation à partir de
situations en coin).
- Des estimations de coefficients relatifs à l’organisation dans les relations susmentionnées,
notamment dans le cas où l’on cherche à tester des relations liant des effets marchands à
des effets d’organisation.
- La démarche inverse, qui consisterait à construire des proxies de variables d’organisation
à partir de variables explicatives diverses, économiques ou non. Elle pourrait être
particulièrement utile par exemple dans le cas où l’on cherche à estimer une élasticité de
substitution, paramètre abstrait s’il en est. Là encore, soit on procède par démarche
inductive en essayant diverses combinaisons, soit on s’inspire de modèles théoriques.
93
Chapitre 4 : Conclusion
4.2.3. Approfondissements théoriques préalables nécessaires
Pour conclure ces considérations sur le travail empirique, insistons sur plusieurs questions
d’ordre théorique que ce travail soulève. Elles sont de deux types principaux : celles qui
concernent l’approfondissement des mécanismes élémentaires d’émergence des effets
d’organisation et celles relatives à la diversité des types de production.
Si l’on se refuse à se contenter d’un jugement à dire d’expert pour évaluer les phénomènes
d’organisation dans un territoire, alors il faut approfondir le lien entre les phénomènes se
déroulant sur le terrain et les représentations des effets d’organisation dans les modèles
théoriques. De plus, l’investigation empirique ne peut traiter tous les effets d’organisation
potentiels. Ici encore, si l’on se refuse à utiliser des jugements d’autorité du type « oui, ce
territoire est très bien organisé », alors, il faut disposer d’un moyen permettant de hiérarchiser
les différents types d’effets possibles. A moins de se contenter d’un raisonnement en partie
intuitif (comme les exemples de proxies proposés plus haut).
Concernant les types de production que l’on rencontrera, la difficulté est que les activités
figurant dans les modèles d’économie géographique sont de deux types : lié au sol et à
rendements constants, ou footlose et à rendements croissants. Et à l’intérieur de chaque type,
elles sont en général symétriques. Dans la réalité, il est rare que l’essentiel du tissu
économique d’un territoire soit constitué d’un ensemble d’entreprises de la même branche, et
de taille à peu près comparable. Le cas le plus courant serait plutôt l’existence d’une firme
motrice et de firmes plus petites entraînées par cette dernière, souvent d’un secteur différent
(des commerces par exemple). La pertinence du cadre choisi dans les modèles d’économie
géographique peut dès lors être questionnée, surtout si les différentes firmes et activités ont
des niveaux d’économie d’échelle et des productivités très différents. Toutefois, ce cadre a
aussi un grand avantage, celui de ne pas multiplier les paramètres et les situations possibles.
Par ailleurs, les biens sur lesquels se fondent nombre de démarches de développement rural
ont souvent un caractère immatériel (les éléments liés à l’image, les prestations touristiques),
ou de bien public (paysage). Le formalisme utilisé ici n’est guère conçu pour traiter ce type de
biens. Le caractère immatériel soulève des problèmes d’information et de difficulté à
exporter. Le caractère de bien public implique l’existence d’externalités. Il est bien sûr
toujours possible d’éluder ces questions en les faisant rentrer dans une boîte noire (par
exemple, traduire arbitrairement une coordination en matière de gestion du paysage par une
augmentation d’efficacité productive).
La mise en place de la démarche empirique nécessite, on le voit, de se prononcer sur de
nombreux problèmes théoriques et pratiques. Concernant les problèmes théoriques, l’ampleur
du travail nécessaire impliquera probablement un arbitrage entre l’approfondissement de la
représentation de l’organisation et la réflexion sur la nature des biens produits.
4.3. Bilan des prolongements théoriques envisageables
Nous l’avons vu, face à l’ampleur de l’interrogation initiale, la contribution du présent travail
reste modeste par rapport aux questions restant à éclaircir. Pour finir, récapitulons les
questions théoriques connexes au présent travail, et qui pourraient faire l’objet
d’approfondissements. Nous venons d’examiner deux prolongements théoriques possibles en
vue de préparer le travail empirique : voyons ce qui serait réalisable à court terme.
L’approfondissement des mécanismes élémentaires d’organisation est apparu nécessaire, à la
fois suite au présent travail théorique, et au vu des considérations de validation empirique.
Notons qu’il n’est pas nécessairement destiné à être incorporé dans un modèle
94
Chapitre 4 : Conclusion
microéconomique. Il peut a priori en être séparé et servir de modèle de construction des
proxies nécessaires au travail empirique. Certes, il est en principe possible qu’il existe une
rétroaction du système de relations marchandes sur les effets d’organisation. Toutefois, les
phénomènes d’organisation se constituent en principe sur le long terme, ce qui devrait limiter
un effet immédiat d’une telle rétroaction. Dans cette hypothèse, il serait possible de puiser
dans la littérature sur la théorie des conventions et les travaux sur les coûts de transaction, ou
encore sur la simulation de réseaux sociaux, pour y rechercher des mécanismes d’apparition
d’effets d’organisation et de relations entre caractéristiques de réseaux de relations et
efficacité productive.
Quant au problème de la diversité des biens produits, il faut reconnaître qu’il s’agit d’une
question qui n’a pas de solution théorique satisfaisante à l’heure actuelle, tant sur la question
de l’agrégation de biens différents (sauf dans le cas de fonctions linéaires) que sur celle de la
représentation idoine de biens immatériels ou à caractère public. Il semble donc d’autant plus
difficile de juxtaposer ces questions à celle de l’organisation, bien que les deux soient
intrinsèquement liées. En effet, les caractéristiques de biens immatériels et de biens publics
justifient l’importance de l’organisation des agents dans le succès de leur production,
puisqu’ils sont liés à des défaillances du marché. Il s’agit donc d’une question ouverte.
D’autres prolongements théoriques majeurs peuvent être envisagés. En particulier, une
question récurrente dans la littérature sur les SPL concerne leur pérennité face à un marché
extérieur évolutif, ou à une structure interne potentiellement instable. En conséquence, des
considérations dynamiques pourraient utilement être introduites pour étudier les trajectoires
possibles de ces systèmes et les facteurs qui les influencent. Dans ce but, il peut être fait appel
à des modèles de croissance endogène, avec accumulation de capital matériel et humain (à la
manière de Martin & Ottaviano 2001), mais aussi d’éléments relatifs à l’organisation locale.
La notion de capital organisationnel peut paraître trop « boîte noire » pour être intégrée telle
quelle, surtout étant donné le constat de diversité de relations entre effets d’organisation et
phénomènes marchands. En revanche, un processus de rétroaction positive entre un effet
d’organisation précis et la production locale (à l’image de Soubeyran & Thisse 1999) pourrait
être étudié. Une telle démarche pourrait mettre en évidence les effets de verrouillage et de
bifurcation dans les trajectoires territoriales, invoquées notamment dans les travaux de
Pecqueur (2000) et Colletis et al. (1999).
D’autres caractéristiques de l’espace rural sont susceptibles de modifier les résultats du
modèle. Par exemple, la prise en compte de l’effet de revenus de transfert (retraites, dotations
de péréquations aux collectivités). Toutefois, les premières études empiriques sur l’impact de
ces transferts ne concluent par à un effet déterminant. A titre d’exemple, Lipietz (2001)
propose de distinguer un nouveau secteur d’activité dit « quaternaire », appelé à se développer
dans le rural, et qui englobe un ensemble de services personnels (santé, loisirs, culture…)
autrefois essentiellement gratuits. L’importance du secteur public, et de la dimension politique
devraient aussi faire l’objet d’investigations, même si en principe, l’efficience d’une forme de
gouvernance dépend de la qualité des liens entre acteurs, non de leur nature publique ou
privée.
Enfin, tous ces approfondissements possibles, s’ils peuvent éclairer la question de la
croissance dans le rural, ne permettront pas de trancher sur les questions premières qui sortent
du champ de l’économie. Qu’est-ce qu’un « bon » développement rural ? Quelle part accorder
à la qualité de vie et à la possession de biens marchands… ?
95
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100
Firmes, ménages
Individus au sein des
firmes, firmes
Agents abstraits,
individus, institutions
Microéconomie
Néo-institutionnalisme,
théorie des organisations
Evolutionnisme, théorie
des conventions, réseaux
sociaux, systèmes multiagents…
Théorie de la régulation
Institutions
Objets d’étude
Programme de recherche
101
Tensions entre formes
institutionnelles, régimes
d’accumulation
Arbitrage entre coûts
marchands et coûts de
transaction
Jeux de coordination, réseaux
dynamiques…
Optimisation de fonctions
objectifs exogènes (rationalité
substantielle).
Principaux mécanismes
Faiblesses
Evolution des modes de
coordination, tensions au
sein du système productif
Démarche holiste et inductive,
peu de pouvoir prédictif
Relations impersonnelles, cadre
statique, fonctions de choix
exogènes et arbitraires, difficulté à
traiter les externalités.
Multiplicité des formes
Difficulté à élargir au delà de
d’organisation
quelques firmes, et à inclure le
point de vue de la demande
Maintien de la diversité des Difficulté à prendre en compte
conventions, diffusion des mécanismes marchands et
innovations…
comportements opportunistes
Points forts dans
l’explication
Relations marchandes,
nombreuses variantes
possibles
Annexe 1. Panorama des principaux programmes de recherche en économie par rapport à l’organisation
Annexes
Annexe 2. Quelques données de cadrage sur le rural
Les catégories d’espace sont celles du recensement de 1990. On rappelle que, selon la
définition du zonage en aires urbaines, l’espace à dominante urbaine est constitué des pôles
urbains (agglomérations de plus de 5000 emplois), couronnes périurbaines (communes ou
unités urbaines dont 40% ou plus des actifs résidents travaillent en pôle urbain ou commune
périurbaine), et communes multipolarisées. L’espace à dominante rurale est son complément.
Le rural indépendant est défini ici comme l’ensemble des pôles ruraux, de la périphérie des
pôles ruraux, et du rural isolé.
Part des différents secteurs en 1990
(source INSEE, RP 1990, en milliers)
Agriculture
IAA
Autres
Tertiaire
Total
industries
Espace à
Effectif
404
414
4 711
12 193
17 717
dominante
%EDU
32%
66%
79%
86%
80%
urbaine
% du secteur
2%
2%
27%
69%
100%
Espace à
Effectif
863
213
1 277
1 997
4 351
dominante
%EDR
68%
34%
21%
14%
20%
rurale
20%
5%
29%
46%
100%
% du secteur
dont rural
Effectif
551
149
878
1 411
2 990
indépendant % rural ind.
44%
24%
15%
10%
14%
% du secteur
18%
5%
29%
47%
100%
France
Effectif
1 267
627
5 987
14 190
22 068
entière
% territoire
100%
100%
100%
100%
100%
% du secteur
6%
3%
27%
64%
100%
Dans ce tableau, les lignes « %EDR » etc… donnent, pour chaque secteur, la part du type
d’espace concerné. Les lignes « % du secteur » représentent, pour chaque type d’espace, la
part du secteur concerné.
Variation de l’emploi 1990-99
(source INSEE, RP 1990 et 1999, en milliers)
Espace à dominante urbaine
Espace à dominante rurale
dont rural indépendant
France Entière
Emplois 90
Emplois 99
Variation 1990-99
Effectif en % Effectif en % Effectif
en %
17 717 80% 18 400 81%
+683
+4%
4 351 20%
4 374 19%
+23
+1%
2 990 14%
2 996 13%
+5 +0,18%
22 068 100% 22 774 100%
+706
+3%
Variation de population 1990-99
(source INSEE, RP 1990 et 1999, en milliers)
Espace à dominante urbaine
Espace à dominante rurale
France Entière
Population 90
Population 99
Variation 1990-99
Effectif
en %
Effectif
en %
Effectif
en %
43 234
76%
44 891
77%
1 657 +4%
13 381
24%
13 628
23%
247 +2%
56 615
100%
58 519
100%
1 904 +3%
102
Annexes
Annexe 3. Analyse détaillée de deux modèles cités dans le texte
1. Modèle de Krugman & Venables (1995)
Cette sous-section reprend l’analyse du modèle de Krugman & Venables (1995) en détaillant
la démarche entreprise dans l’article original.
Concernant le consommateur, dont le comportement est identique à la section 1, seuls deux
points sont à retenir : que la demande est proportionnelle à pi-σ, et qu’une part µ du revenu est
dépensée en biens industriels. En revanche, la fonction de production prend une forme plus
complexe que dans Krugman (1991) : F+c.q = α-α(1-α)α-1.l1-α.[Σxiδ]α/δ où δ=(γ-1)/γ.
L’analyse du problème de la firme est plus simple en calculant d’abord la fonction de coût. En
effet, le problème d’optimisation associé au calcul de la fonction de coût est à quelques détails
près dual au problème du consommateur. Il s’agit de minimiser : wl+Σ pi xi sous la contrainte
de la fonction de production. On trouve en particulier que le coût du travail wl représente une
part 1-α du coût total, et que, la quantité demandée de chaque bien industriel est
proportionnelle à pi-γ. La fonction de coût s’écrit : C ( q i ) = w 1 − α ( ∑ p 1j − γ ) α /( 1 − γ ) ( F + cq i )
j
Le facteur w (Σpj )
peut s’interpréter comme un indice de prix, qui a d’ailleurs la
même forme que pour le consommateur (en remplaçant le prix agricole par le salaire). Dans le
cas où σ =γ, qui est celui de l’article original, la demande de chaque bien est proportionnelle à
pi-σ aussi bien pour les consommateurs que pour les producteurs. L’hypothèse que la
maximisation du profit se fait en considérant le coefficient de proportionnalité constant est
faite comme dans Krugman (1991). De ce fait, la maximisation du profit conduit, comme dans
Krugman (1991) à un prix offert proportionnel à l’indice de prix des facteurs de productions,
σ −1
σc 1−α
soit : pi =
w (∑ p 1j−σ ) a /(1−σ ) . L’hypothèse d’annulation du profit donne qi =
F.
σ −1
c
j
La méthode consiste alors à écrire la dépense consacrée en biens industriels au sein de la
région r sous la forme : E r = µwr Lr + α ( x + y ) p r nr , où wr est le salaire de la région (unique
car il y a mobilité professionnelle), et de même pr le prix, et nr, le nombre de firmes. y et x
sont les quantités produites par chaque firme de la région r vendues respectivement dans la
région r et dans l’autre région (comme le profit est nul, les recettes sont égales aux dépenses,
dont une part α est consacrée aux biens industriels). Or, comme la demande de biens
industriels a la même forme (par rapport aux prix) pour les consommateurs et les firmes, la
quantité y peut s’écrire ainsi : y = k . p r−σ /(nr p 1r −σ + ns T 1−σ p 1s−σ ) , où l’indice s concerne l’autre
région. Notons z la quantité d’un bien de la région s achetée dans la région r . On a :
z = kT 1−σ p s−σ /(nr p 1r −σ + ns T 1−σ p1s−σ ) . En notant que nr p r y + ns Tp s z = E r , on constate que
1-α
1-γ α/(1-γ)
k=Er. En conséquence, on a y = Er p r−σ /(nr p1r −σ + ns T 1−σ p 1s −σ ) , tandis qu’en raisonnant de
même pour la quantité x : x = E s T 1−σ p r−σ (nr T 1−σ p 1r −σ + ns p 1s−σ )
Il ne reste plus qu’à étudier l’équilibre sur le marché du travail, qui découle de l’hypothèse de
plein emploi de la main d’œuvre. La fonction de production comporte maintenant de
nombreux facteurs mais grâce à l’hypothèse de profit nul, il est aisé de trouver une relation
simple. Comme il y a mobilité parfaite entre les travailleurs agricoles et industriels, si une
région comprend des travailleurs des deux types, alors w=1. Si w>1, elle ne comprend que des
travailleurs industriels. Le principe est identique à la section 1.3. : selon le cas, c’est le salaire
ou le nombre de travailleurs industriels qui est déterminé par le fait que le coût du travail
représente une part 1-α des dépenses, donc aussi des recettes, puisque le profit est nul. On a
dans tous les cas : wLM = (1 − α )npq . Nous avons à présent tous les éléments nécessaires pour
résoudre complètement le modèle. Les inconnues sont wr, pr, nr, ws, ps, et ns, et les inconnues
103
Annexes
auxiliaires Er et Es. S’il y a cohabitation de deux types de travailleurs, la ou les parts de
travailleurs industriels λ r et λ s sont aussi inconnues. Les équations sont :
- Pour la région r :
σc 1−α
pr =
wr (nr p1r −σ + ns T 1−σ p1s−σ ) a /(1−σ )
σ −1
p r−σ
T 1−σ p r−σ
σ −1
Er .
+ Es .
=
F
1−σ
1−σ 1−σ
1−σ 1−σ
1−σ
c
( nr p r + n s T p s )
( nr T p r + ns p s )
σ −1
E r = µwr Lr + α
Fpr nr
c
σ −1
σ −1
soit wr Lr = (1 − α )nr p r
F si λ r =1, soit λr Lr = (1 − α )nr p r
F si wr = 1
c
c
- Pour la région s, on permute les indices r et s :
σc 1−α 1−σ
ps =
ws (T nr pr1−σ + ns p 1s−σ ) a /(1−σ )
σ −1
T 1−σ pr−σ
p r−σ
σ −1
.
Er .
+
E
=
F
s
1−σ 1−σ
1−σ
1−σ
1−σ 1−σ
c
( nr T p r + n s p s )
( nr p r + n sT p s )
σ −1
E s = µws Ls + α
Fp s ns
c
σ −1
σ −1
soit ws Ls = (1 − α )ns p s
F si λ s =1, soit λ s Ls = (1 − α )ns p s
F si ws = 1
c
c
Les résultats sont ensuite essentiellement obtenus par simulation, mais des expressions des
valeurs seuils entre dispersion et concentration de l’industrie peuvent être obtenues.
2. Variation des coûts de transport dans un modèle à trois régions de type Krugman (1991)
Ici, nous discutons brièvement, à titre illustratif, l’effet d’une différenciation des coûts de
transport entre les régions. Deux cas seront étudiés :
- Celui où le coût de transport est plus élevé entre les régions rurales qu’entre région
urbaine et régions rurales. Il représente le renforcement de la polarisation par les
infrastructures (c’est le même type de configuration spatiale que dans Puga & Venables
1997).
- Celui où une région rurale est plus éloignée que l’autre de la région urbaine. Il entend
représenter le problème de l’enclavement.
Structure en étoile ou « rayon-moyeu » : régions périphériques mal interconnectées entre
elles
Pour commencer, nous supposons que le commerce entre la région urbaine et les régions
rurales est moins coûteux que le commerce entre régions rurales. En d’autres termes, le coût
de transport entre D et I est supérieur au coût de transport entre U et D, (qui est égal à celui
entre U et I) :
région U
T
région D
T
T’
région I
Avec T’>T
Nous allons comme précédemment étudier les conditions de délocalisation des firmes de la
région urbaine dans les deux régions rurales. Auparavant, remarquons qu’intuitivement,
l’existence d’un coût de transport plus élevé entre les régions rurales doit être un élément
104
Annexes
pénalisant pour une délocalisation en zone rurale. En effet, une telle délocalisation a pour
effet « d’éloigner » l’industrie délocalisée de la demande de l’autre région rurale.
µ LA
est inchangé. Les deux autres équations sont à présent :
wU =
1 − µ LM
σ
1−σ

 pU  
L AD
µ
1−σ
M
A  T ' 
  w U L U T

+ 1−σ + L I 
qD =


n U p U  p D  
T
T 

qI
µ
=
nU p U
 pI

 pD



σ

M
 w U LU T

1−σ
T '
+ L AD 

T 
1−σ
+
L AI 

T 1 − σ 
D’où :
 wD

 wU
σ

T'
 = µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ ) 
T 

σ
1−σ
1−σ
(ω D / ω U ) = ( wU / wD )T − µ
avec
 wI 
T'
(ω I / ω U ) = ( wI / wD )T − µ

 = µT 1−σ + (1 − µ )θ   + (1 − µ )(1 − θ )T σ −1
T 
 wU 
La présence de T’>T pénalise comme prévu la délocalisation dans les deux régions rurales, et
ce d’autant plus que T’ est élevé. L’analyse de la délocalisation depuis la région urbaine par
rapport aux autres paramètres n’est pas changée qualitativement.
Il est plus intéressant de comparer l’attractivité relative des deux régions rurales. Si on ajoute
une différenciation des fonctions de production dans la région D, le seuil de population de la
région D devient :
µ (1 − ξ )T 1−σ + (1 − µ )T σ −1 (1 − ξT '1−σ )
θ>
=θ *
1−σ
σ −1
(1 − µ )(1 + ξ )T (1 − T ' )
On peut montrer que ce seuil décroît lorsque le coût de transport intra-rural T’ croît. On
retrouve la même caractéristique que dans la sous-section 3.1.2. : certains effets qui sont
favorables à la concentration dans la région urbaine sont au contraire favorables à une
attractivité plus forte de la région rurale différenciée.
Régions rurales à des distances différentes de la région urbaine
On peut aussi considérer le cas où l’une des deux régions rurales est plus périphérique que
l’autre :
région U
T
T’
région D
T’’
région I
Avec T<T’ et T’’<T’.
µ LA
est toujours inchangé. Les deux autres équations deviennent :
wU =
1 − µ LM
105
Annexes
σ
µ
qD =
nU pU
1−σ

 pU  
LA
T ''

  wU LUM T 1−σ + 1−Dσ + LAI   
T
 T '  
 p D  
µ
qI =
nU pU
1−σ
 pI  
LA 
M 1−σ
A  T '' 

  wU LU T + LD   + 1I−σ 
T ' 
T 
 p D  
σ
D’où :
σ
1−σ
 wD

 wU

T ''
 = µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ ) 
 T' 

 wI

 wU

T ''
 = µT 1−σ + (1 − µ )θ  
T 

σ
avec
1−σ
σ −1
+ (1 − µ )(1 − θ )T '
(ω D / ω U ) = ( wD / wU )T − µ
(ω I / ω U ) = ( wI / wU )T ' − µ
Des calculs analogues peuvent être menés pour déterminer les conditions de localisation et
l’attractivité relative des deux zones rurales. Trop en marge du sujet principal du mémoire, ils
ne seront pas développés ici, au profit des parties suivantes. Un approfondissement pourrait se
révéler intéressant, mais cette démarche donne des résultats essentiellement triviaux à ce stade
de la modélisation.
3. Modèle de Gaigné (2001) – chapitre II
Un des objectifs de ce modèle était d’étudier l’effet de coûts de transport différents entre les
types de biens. Indiquons ici le principe de l’analyse. Pour simplifier, on considèrera un coût
de transport unique pour tous les types d’industrie, puisque nous ne nous intéressons pas à cet
aspect ici.
Le comportement du consommateur est identique à Krugman & Venable (1995). L’industrie
en revanche comporte deux secteurs : un secteur de biens intermédiaires utilisant le travail
comme seul facteur de production et un secteur de biens finaux utilisant les biens
intermédiaires (sans utiliser de travail).
La fonction de production du secteur des biens finaux est donc F+cq = [Σxiδ]1/δ où les xi sont
à présent les biens produits par l’autre secteur. L’analyse de la fonction de coût du modèle de
Krugman & Venables (1995) s’applique immédiatement en posant α = 1 (cf. supra analyse de
1−γ
σc
σ −1
(∑ p Ij )1 /(1−γ ) et q F =
ce modèle). On a donc p F =
F
σ −1 j
c
La fonction de production du secteur des biens intermédiaires est donnée par : l=G+dq, où G
et d sont respectivement un besoin fixe et un besoin marginal en travail. On en tire, à partir
γ −1 I I γ −1
des équations (1), (2) et (3) : w =
p , q =
G et n I = LM γG .
γ .d
d
Il manque des relations donnant le nombre de firmes produisant des biens finaux. Pour cela, il
faut considérer que les ventes de biens intermédiaires dépendent du revenu des firmes de
biens finaux. En effet, la demande d’une firme de biens finaux adressée à une firme de sa
région r s’écrit (comme la demande du consommateur) : prF q rF
prI
−γ
1−γ
1−γ
nrI prI + nsI T 1−γ p sI
De même, la demande adressée par une firme de biens finaux de l’autre région s à une firme
F
s
de biens intermédiaires de la région r est : p q
F
s
T 1−γ p rI
1−γ
−γ
1−γ
nrI T 1−γ p rI + nsI p sI
En conséquence, les ventes d’une firme de biens intermédiaires s’écrivent :
106
Annexes
q rI = nrF p rF q rF
p rI
nrI p rI
1−γ
−γ
+ n sI T 1−γ p sI
1−γ
+ n sF p sF q sF
T 1−γ prI
nrI T 1−γ p rI
1−γ
−γ
+ nsI p sI
1−γ
Les équations permettant de déterminer totalement l’équilibre sont, comme pour le modèle de
Krugman (1991), les expressions de la demande adressée à chaque firme de biens finaux par
les consommateurs, soit :
−σ
−σ

ws Ls T 1−σ p rF
wr Lr prF
+
q = µ
1−σ
1−σ
1−σ
1−σ
nrF T 1−σ p rF + nsF p sF
 nrF p rF + nsF T 1−σ p sF
F
r



et une équation similaire en permutant les indices r et s. En effet, il n’y a qu’un seul taux de
salaire par région si la main-d’œuvre est parfaitement mobile sectoriellement.
Lorsqu’il y a deux types de travailleurs dans une région, la ou les parts de travailleurs
industriels λ r et λ s sont aussi inconnues, mais le taux de salaire est alors égal à 1 (salaire
agricole). Le système est ainsi totalement déterminé.
L’analyse des conditions de dispersion de l’industrie consiste, comme dans la sous-section
3.1.2., à examiner dans quels cas une opportunité de profit existe dans une région non
industrialisée, c’est-à-dire dans quel cas la demande potentielle adressée à une firme qui se
délocaliserait serait supérieure à son offre potentielle.
4. Modèle de différenciation agricole avec une sous-fonction d’utilité non homothétique
Au § 3.3.1.2., nous avons proposé la forme de sous-fonctions d’utilité :
α n−δ a2δ + a2n
A(a1 , a 2 ) = a1 +
α + a 2n −1
Quantités demandées
Pour simplifier les calculs, nous utiliserons en fait la
fonction : A(a1 , a 2 ) = a1 + a 2δ qui a presque les mêmes
propriétés pour a2 « pas trop grand ». Donnons quelques
résultats sur ce type de forme fonctionnelle. Bien qu’elle
ait une expression simple, cette fonction a
l’inconvénient de ne pas être homogène de degré 1. En
particulier, la part des biens agricoles dans le budget
n’est plus nécessairement égale à (1-µ). Les courbes
d’indifférence relatives à la sous-fonction sont
clairement des courbes strictement convexes (car δ <1),
et elles se déduisent les unes des autres par translation.
a2
a1
L’utilisation d’une fonction puissance a donc pour but, dans le même esprit que pour la sousutilité relative aux produits industriels, de représenter une plus grande différenciation du
deuxième produit agricole par rapport au premier.
n
On a donc à présent : U = (a1 + a 2δ )1− µ (∑ miρ ) µ / ρ . Notons (q1,q2) le vecteur de prix agricoles.
i =1
En écrivant le rapport des conditions du premier ordre relatives aux biens agricoles, on trouve
a2 = (δ q1 q 2 )1−δ , à condition que le revenu soit suffisant pour acquérir cette quantité. Dans
le cas contraire, a1 = 0 (on a une solution en coin). Cette propriété est caractéristique d’une
fonction d’utilité quasi-linéaire. Il conviendra de se limiter au premier cas, sans quoi le
produit agricole « de base » est totalement évincé par le produit différencié. D’autre part,
remarquons que plus δ est faible (plus le bien est différencié), plus la quantité demandée est
faible. Cela provient du fait que si δ est faible, même une faible consommation du bien
107
Annexes
différencié provoque une hausse importante de bien-être. Ce point peut paraître contre-intuitif
mais est lié à l’hypothèse que pour de faibles quantités consommées, la consommation de bien
différencié procure davantage de bien-être qu’une consommation identique de bien de base.
En remarquant que les conditions relatives aux biens industriels impliquent que mi est
toujours proportionnel à pi−σ , et en notant mi = kpi−σ , on peut écrire sous la forme suivante le
système déterminant complètement la demande :
Y − q1a1 − q 2 a 2
q
qµ
(9), Y = 1 a1 + (q 2 + 1 )a 2 (10)
mi = kpi−σ (7), a2 = (δq1 q 2 )1−δ (8), k =
1−σ
1− µ
1− µ
∑ pj
j
La relation (9) s’établit à partir de la contrainte budgétaire, la relation (10) en combinant (9)
µ q1 (a1 + a 2δ )
qui s’obtient par le rapport des conditions de maximisation
avec k =
1 − µ ∑ p1j−σ
j
relatives à a1 et à mi.
Ces relations permettent d’extraire une expression analytique de la demande de chaque bien,
ce que nous ne ferons pas ici pour l’instant, étant donnée leur complexité. La relation (10)
montre en particulier que la part de consommation agricole n’a aucune raison d’être égale à
(1-µ)Y comme dans le modèle de base.
Le marché du travail
Les travailleurs agricoles se répartissent donc entre les deux productions possibles. A présent,
la structure très simple du système de production agricole du modèle de base est insuffisante.
Il faut préciser comment se répartissent les deux types d’agriculteurs, et comment se forme
l’offre. Si l’on suppose comme précédemment que l’offre est infiniment élastique (les facteurs
terre et capital étant absents), les rendements constants et la concurrence parfaite, les deux
prix agricoles coïncideront avec le salaire de subsistance. Ce n’est pas raisonnable pour le
produit différencié, dont on suppose qu’il nécessite un travail plus important, et qu’il est
produit dans un cadre coopératif.
L’hypothèse la plus simple est que la quantité offerte de produit différencié est
proportionnelle au nombre de travailleurs concernés, et que le prix est fixé de manière à
solder le marché (d’après l’équation (8)). En d’autres termes, l’offre est parfaitement
inélastique. Naturellement, plus le nombre de producteurs sera grand, plus leur salaire sera
faible. Il doit donc exister une instance qui contrôle l’entrée sur ce marché pour éviter que le
prix descende au niveau du prix agricole de base. Il faudra d’ailleurs également supposer la
production différenciée suffisamment faible pour ne pas évincer la production agricole de
base, sans quoi la forme choisie pour l’utilité devient inadaptée.
Par ailleurs, deux possibilités principales existent pour la structure spatiale :
- Soit on considère deux régions rurales, l’une des deux ne produisant que des produits
différenciés.
- Soit on suppose qu’une région rurale unique voit sa main d’œuvre se partager entre les
deux types d’activités agricoles. Dans ce cas, des transferts au sein de la main d’œuvre
agricole peuvent avoir lieu jusqu’à égalisation des taux de salaire.
La première solution semble plus intéressante, puisqu’elle permet une différenciation spatiale
du rural, ainsi qu’une différenciation des salaires.
En résumé, la production agricole peut être représentée ainsi :
- Pour le bien non différencié, la production s’adapte à la demande, à un prix fixe.
- Pour le bien différencié, le niveau de production est défini par le nombre de producteurs,
soit A2 = λLAD , le prix étant donc q2 = (δq1 ).(λLAD / L) −1 /(1−δ ) .
108
Annexes
Remarquons que le revenu de la région qui différencie ses produits agricoles est égal à λq 2 ,
−1 /(1−δ )
donc proportionnel à LAD
en d’autres termes, il décroît avec le nombre de travailleurs.
On voit de plus que le revenu tend vers l’infini pour LAD → 0 . Cet effet provient en réalité du
comportement de la sous-fonction d’utilité agricole à l’origine. Au voisinage de a2=0, la
courbe d’indifférence a une pente nulle : l’utilité marginale tend vers l’infini. En conséquence,
un consommateur est prêt à payer un prix très élevé pour obtenir une quantité très faible de
bien différencié. Pour traiter le problème du consommateur au voisinage de a2=0, il faudrait
une fonction d’utilité à dérivée finie, mais quand même strictement concave.
Ainsi, les formules obtenues ici sont valables pour des valeurs intermédiaires de a2 : pas trop
grandes pour ne pas évincer les produits agricoles de base, pas trop faibles pour ne pas faire
exploser le revenu de la région rurale différenciée. Pour faire une étude complète, il faudrait
soit prendre une fonction d’utilité plus compliquée à manipuler (un des exemples les plus
simples est f (a 2 ) = (αa 2 + a 22 ) (1 + a2 ) ), soit séparer l’étude en morceaux…
Enfin, concernant les firmes industrielles, le fait que mi = kpi−σ , allié à l’hypothèse de
maximisation du profit à k constant nous permet de conserver les relations (1), (2), et (3).
Démarche d’analyse du modèle
Un modèle d’équilibre général pourrait être ainsi formulé :
Main d’œuvre agricole
Main d’œuvre
industrielle
Fonction de production
Paramètres des ménages
Revenu régional
Région urbaine U
0
Rural différencié D
LAD = θLA
Rural indifférencié I
LAI = (1 − θ ) LA
LUM = LM
LMD = 0
LMI = 0
l = F+c.q
σ, µ, δ
wU LUM
l = F+c.q
σ, µ, δ
Non envisagé
σ, µ, δ
LAI
−δ /(1−δ )
(δq1 ).λ−1 /(1−δ ) L1 /(1−δ ) LAD
Comme précédemment, on cherche à savoir dans quels cas une délocalisation industrielle peut
être possible avec les modifications apportées au modèle. Le mécanisme en jeu serait qu’une
hausse des revenus agricoles due à la différenciation rentabiliserait l’implantation en zone
rurale, par la présence d’une demande accrue.
Si les secteurs agricole et industriel étaient séparés comme c’est formellement le cas dans le
modèle de base, l’étude serait assez simple. Elle pourrait se faire en deux étapes, la première,
qu’on a tenté d’esquisser ici, consistant à déterminer la hausse de revenu dans la région rurale
différenciée.
Cependant, l’étroite imbrication entre les deux secteurs complique fortement les calculs du
taux de salaire dans les différentes régions. De même, l’indice de prix est plus complexe que
pour le modèle de Dixit-Stiglitz (toutefois, comme il n’y a pas de coût de transport pour les
biens agricoles, le rapport d’indice de prix ne dépend que des prix des biens industriels. En
l’occurrence, pour une concentration totale initiale de l’industrie, ce rapport est Tµ).
109
Annexes
Annexe 4. Détail de quelques calculs du chapitre 3 sur les effets des paramètres
1. Condition de délocalisation sans différenciation de la région D (§3.1.1.2.)
La condition de délocalisation dans la région D est :
[µT
]
1/σ
1−σ
+ (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ ) T − µ > 1
Nous allons étudier l’effet du coût de transport sur cette condition.
Posons :
V = µT 1−σ (1+ µ ) + (1 − µ )θT σ (1− µ )−1 + (1 − µ )(1 − θ )T −σµ , que l’on cherche à comparer à 1.
On note que pour T=1, V=1 : il y a indifférence entre dispersion et non dispersion. D’autre
part, pour T → +∞ , V → +∞ , à condition que θ ≠ 0 (et que σ>1/(1-µ), sinon V reste toujours
inférieur à 1 et il n’y a jamais dispersion) : il y a dispersion pour un coût de transport
suffisamment élevé. Etudions donc les variations de V :
∂V / ∂T = T −σµ −1 [− µ (σ (1 + µ ) − 1)T −σ + (1 − µ )(σ (1 − µ ) − 1)θT σ − µ (1 − µ )σ (1 − θ )]
Le signe de cette expression dépend des valeurs des paramètres θ et µ. Notons tout d’abord
que l’expression entre crochets est strictement croissante en T. Il y a donc deux possibilités :
soit ∂V / ∂T est positif pour tout T, soit il est d’abord négatif puis positif. La réponse dépend
du signe de ∂V / ∂T pour T=1. On trouve que ∂V / ∂T est positif en 1 si et seulement si
θ > µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , cette valeur seuil étant inférieure à 1 si et seulement si
µ < (σ - 1)/(3σ - 2) (en particulier, µ doit être inférieur à 1/3).
En conséquence, quatre cas sont possibles :
- Si σ<1/(1-µ), la délocalisation n’est jamais possible, quel que soit T. Dans ce cas en effet,
V reste toujours inférieur à 1.
- Si σ>1/(1-µ) et µ > (σ - 1)/(3σ - 2) , la concentration est stable pour T faible, elle devient
instable à partir d’un certain seuil du coût de transport. En effet, dans ce cas, le seuil de θ
au delà duquel la concentration serait toujours instable est supérieur à 1.
- Si µ < (σ - 1)/(3σ - 2) mais θ < µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , le résultat est identique.
- Si µ < (σ - 1)/(3σ - 2) mais θ > µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , alors la concentration n’est
jamais stable.
L’effet de l’élasticité de substitution sur la valeur de V est étroitement relié à celui du coût de
transport : en effet, ∂V / ∂σ = (TLogT / σ ).∂V / ∂T , donc le signe de ∂V / ∂σ est le même que
celui de ∂V / ∂T . Ainsi, si les valeurs des paramètres sont telles qu’une hausse du coût de
transport favorise la dispersion, une hausse de l’élasticité de substitution favorisera encore
plus la dispersion, et inversement. Dans le cas le plus intéressant, où existe une valeur seuil du
coût de transport en deçà de laquelle la dispersion est instable, une hausse de σ fera diminuer
la valeur du seuil de dispersion (en effet, en ce point, on a nécessairement ∂V / ∂T >0).
2. Variations du seuil d’efficacité productive permettant la délocalisation (§.3.1.1.2.)
Etudions les variations de ξ = T µσ /( µT 1−σ + (1 − µ )(T σ −1θ + (1 − θ ))) en fonction de T. On
constate que cette expression vaut 1 lorsque T=1, et qu’elle tend vers 0 lorsque T → +∞ , à
condition que σ>1/(1-µ) (en effet on a ξ ~ T 1−σ (1− µ ) /(1 − µ )θ quand T → +∞ ). D’autre part,
on peut montrer que, en notant D le dénominateur de l’expression :
[
]
∂ξ / ∂T = µ (( µ + 1)σ − 1)T ( µ −1)σ − (1 − µ )(σ (1 − µ ) − 1)θT ( µ +1)σ − 2 + µ (1 − µ )σ (1 − θ )T µσ −1 / D 2
Aussi, en mettant T µσ −1 / D 2 en facteur , on voit que ∂ξ / ∂T est du même signe que :
µ (( µ + 1)σ − 1)T 1−σ − (1 − µ )(σ (1 − µ ) − 1)θT σ −1 + µ (1 − µ )σ (1 − θ )
110
Annexes
Cette expression est de toute évidence décroissante en T, si l’on suppose toujours σ>1/(1-µ).
En conséquence, tout dépend de son signe pour T=1, i.e. µ (2σ − 1) − θ (1 − µ )(σ − 1) , qui est
positive quel que soit θ ∈ [0,1], si et seulement si µ ≥ (σ − 1) /(3σ − 2) , sinon elle est positive
pour θ faible et négative θ pour élevé.
En conclusion, lorsque σ>1/(1-µ) :
- Si µ ≥ (σ − 1) /(3σ − 2) , alors le seuil d’efficacité relative ξ est croissant en T jusqu’à un
maximum, puis décroît vers 0 quand T → +∞ .
- Si µ < (σ − 1) /(3σ − 2) , et si θ < µ (2σ − 1) /(1 − µ )(σ − 1) alors le comportement est
identique.
- Si µ < (σ − 1) /(3σ − 2) , et si θ > µ (2σ − 1) /(1 − µ )(σ − 1) , alors la délocalisation a
toujours lieu, résultat cohérent avec l’étude précédente de la fonction V.
3. Seuil d’efficacité productive donnant une meilleure attractivité à la région D (§3.1.1.3.)
On a ξ * =
[
[
]
]
µT 1−σ + (1 − µ ) θ + (1 − θ )T σ −1
. Examinons l’effet des différents paramètres.
µT 1−σ + (1 − µ ) θT σ −1 + (1 − θ )
Il est facile de voir que le seuil ξ * diminue quand θ augmente. En effet, le numérateur décroît
avec θ et le dénominateur croît avec θ.
Calculons ∂ξ * / ∂µ . Après calculs, on constate que cette dérivée est du même signe que
(2θ − 1)(T σ −1 − 1) . En conséquence, si θ est inférieur à ½, alors elle est négative, et une
augmentation de µ conduit donc à une diminution du seuil ξ * . C’est l’inverse si θ >½.
Pour l’effet du coût de transport, posons pour simplifier les expressions t = T σ −1 : la dérivée
de ξ * par rapport à t est de même signe que par rapport à T. Calculons donc ∂ξ * / ∂t . On
trouve que cette dérivée est de même signe que : (1 − 2θ )((1 − µ )t 2 + 2 µt + µ ) . Aussi, si θ <½,
ξ * est croissant avec le coût de transport.
Concernant l’effet de l’élasticité de substitution, on note derechef que la dérivée de
l’expression de ξ * par rapport à σ est de même signe que la dérivée par rapport à T.
4. Condition de délocalisation sans différenciation de la région D (§3.1.2.2.)
La condition de délocalisation dans la région D est :
µ
µ LR
, si λU=1.
wU LU T 1−σ + (θT σ −1 + (1 − θ )) LR > 1 , avec wU =
1−σ
1 − µ LU
λU LU wU
[
]
σ
 µ 
 µT 1−σ + (1 − µ )(θT σ −1 + (1 − θ ))
Etudions l’effet du paramètre µ. Posons W = 
1− µ 
[
]
La dérivée partielle de W par rapport à µ est égale à un facteur positif près à :
[
σ (θT σ −1 + (1 − θ )) − µ [σ + 1 − µ ]θT σ −1 + (1 − θ ) − T 1−σ
]
Cette expression est positive pour µ =0 et µ=1. On peut la considérer comme un polynôme du
second degré en µ : lorsque µ varie, elle prend sa valeur minimale pour µ =(σ+1)/2. Comme
σ>1, on est assuré que l’expression ci-dessus ne change pas de signe pour µ entre 0 et 1. Elle
est donc toujours positive et en conséquence, W est croissant avec la part de consommation
industrielle.
111
Annexes
5. Seuil de taille relative donnant une meilleure attractivité à la région D (§3.1.2.3.)
On a θ * =
L( F '− F ) / F − ((c / c' )σ −1 − 1) LU T 1−σ − ((c / c' )σ −1 − T σ −1 ) LR
, avec F’<F, c’<c.
(T σ −1 − 1)((c / c' )σ −1 + 1) LR
On souhaite étudier l’effet du paramètre T sur ce seuil. Posons :
X=
L( F '− F ) / F − ((c / c' )σ −1 − 1) LU T 1−σ − ((c / c' )σ −1 − T σ −1 ) LR
(T σ −1 − 1)
Après calculs, on constate que ∂X / ∂T est du même signe que :
T σ −2 L( F − F ' ) / F + LU ((c / c' )σ −1 − 1)(2T −1 − T −σ )
Cette expression est nécessairement positive du fait que σ>1. En conséquence, le seuil θ* est
croissant avec le coût de transport. De plus, l’expression de θ* montre que θ*<0 au voisinage
de T=1. Il existe donc un seuil de coût de transport en dessous duquel la région D est toujours
plus attractive que la région I, quelle que soit sa taille.
112
Table des matières
Introduction : Structuration, développement local, démarches intégrées… : mode ou
opportunité pour l’espace rural ?................................................................................................ 1
Chapitre 1. Repères sur l’analyse économique des phénomènes d’organisation....................... 6
1.1. Généralités sur l’analyse de l’organisation en économie ................................................ 6
1.1.1. Pourquoi prendre en compte l’organisation des agents économiques ?................... 6
1.1.2. Contribution de différents programmes de recherche à l’étude de l’organisation . 12
1.2. Effets organisationnels et systèmes productifs localisés............................................... 18
1.2.1. Les effets d’organisation ........................................................................................ 18
1.2.2. Quelques études de cas en zone rurale ................................................................... 21
1.2.3. Quels éléments discriminants pour caractériser les territoires ? ............................ 24
1.3. Problématique du travail théorique de ce mémoire....................................................... 28
1.3.1. Objectifs, démarche générale adoptés et leur justification..................................... 28
1.3.2. Déroulement du travail........................................................................................... 30
1.3.3. Quelques questions éludées dans le cadre du mémoire ......................................... 31
Chapitre 2. L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie
géographique ............................................................................................................................ 32
2.1. Modèles et principes de base en économie géographique ............................................ 32
2.1.1. Principes de base du programme de recherche ...................................................... 32
2.1.2. Technique d’analyse du modèle de Dixit & Stiglitz (1977) .................................. 35
2.2. Les modèles fondateurs et leurs principales variantes .................................................. 38
2.2.1. Le modèle de Krugman (1991) et ses variantes ..................................................... 38
2.2.2. Le modèle de Krugman et Venables (1995) et ses variantes ................................. 41
2.2.3. Les modèles avec espace continu........................................................................... 44
2.3. Economie géographique et analyse de l’espace rural.................................................... 45
2.3.1 Rappel des résultats des modèles d’économie géographique sur la région rurale .. 45
2.3.2. Les évolutions du rural français ............................................................................. 46
2.3.3. Eléments à approfondir .......................................................................................... 47
2.4. Pourquoi et comment introduire des effets organisationnels dans un modèle
d’économie géographique ? ................................................................................................. 48
2.4.1. L’économie géographique fournit-elle des outils adaptés ?................................... 48
2.4.2. Reprise des principaux effets d’organisation ......................................................... 49
2.4.3. Quels effets d’organisation choisir ?...................................................................... 51
Chapitre 3. Variantes analysant des effets organisationnels .................................................... 52
3.1. Les conséquences d’une amélioration de l’efficacité de l’industrie rurale .................. 52
3.1.1. Une version avec mobilité géographique et immobilité sectorielle ....................... 54
3.1.2. Une version avec immobilité géographique et mobilité sectorielle ....................... 61
3.1.3. Interprétation et élargissements possibles .............................................................. 66
3.2. De meilleures complémentarités verticales entre firmes............................................... 68
3.2.1. Représentation des complémentarités entre firmes................................................ 69
3.2.2. Introduction d’une différenciation de l’élasticité de substitution .......................... 71
3.3. Une différenciation des produits ruraux liés au sol....................................................... 77
3.3.1. Choix d’une fonction d’utilité et problème du consommateur .............................. 77
3.3.2. Les effets directs sur la production et le revenu agricoles ..................................... 80
3.3.3 Les effets indirects et induits sur l’industrie ........................................................... 82
113
Table des matières
Chapitre 4. Conclusion............................................................................................................. 88
4.1. Synthèse des résultats et statut méthodologique du travail réalisé ............................... 88
4.1.1. Les effets d’organisation abordés et leur mode d’introduction.............................. 88
4.1.2. Bilan de la démarche entreprise ............................................................................. 89
4.1.3. Questions méthodologiques sous-jacentes à la démarche et aux résultats............. 90
4.2. Le travail de validation empirique envisageable........................................................... 90
4.2.1. Le choix des territoires d’étude.............................................................................. 90
4.2.2. Types de relations à tester ...................................................................................... 92
4.2.3. Approfondissements théoriques préalables nécessaires......................................... 94
4.3. Bilan des prolongements théoriques envisageables ...................................................... 94
Bibliographie............................................................................................................................ 96
Annexes........................................................................................... Erreur ! Signet non défini.
Annexe 1. Panorama des principaux programmes de recherche en économie par rapport à
l’organisation...................................................................................................................... 101
Annexe 2. Quelques données de cadrage sur le rural......................................................... 102
Annexe 3. Analyse détaillée de deux modèles cités dans le texte ..................................... 103
1. Modèle de Krugman & Venables (1995) ................................................................... 103
2. Variation des coûts de transport dans un modèle à trois régions de type Krugman
(1991) ............................................................................................................................. 104
3. Modèle de Gaigné (2001) – chapitre II ...................................................................... 106
4. Modèle de différenciation agricole avec sous-fonction d’utilité non homothétique.. 107
Annexe 4. Détail de quelques calculs du chapitre 3 sur les effets des paramètres ............ 110
1. Condition de délocalisation sans différenciation de la région D (§3.1.1.2.).............. 110
2. Variations du seuil d’efficacité productive permettant la délocalisation (§.3.1.1.2.) 110
3. Seuil d’efficacité productive donnant meilleure attractivité à la région D (§3.1.1.3.)111
4. Condition de délocalisation sans différenciation de la région D (§3.1.2.2.).............. 111
5. Seuil de taille relative donnant une meilleure attractivité à la région D (§3.1.2.3.)... 112
Table des matières.................................................................................................................. 113
114
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