Introduction : Structuration, développement local, démarches intégrées… : mode ou opportunité pour l’espace rural ? L’heure des démarches globales, de la structuration, du développement par le bas… Il existe actuellement, et environ depuis les années 1980, un engouement autour des phénomènes d’organisation, en particulier d’organisation « souple », et locale, associée à une stigmatisation de la « crise du fordisme et de la consommation de masse », ou de celle de l’« Etat jacobin », au profit de l’initiative locale. Ce phénomène caractérise d’ailleurs plusieurs politiques récentes, surtout celles qui visent le monde rural : - Les initiatives communautaires LEADER (acronyme pour Liaisons entre actions de développement de l’économie rurale) misent depuis 1991 sur l’organisation à la fois économique, politique et sociale de territoires ruraux pour mettre en œuvre un projet de développement basé sur les ressources locales. Le programme actuel, Leader +, insiste encore plus fortement que les précédents sur le caractère innovant des projets et l’association de porteurs de projets publics et privés. - La politique de pays, initiée (après quelques timides et sporadiques précédents plus anciens) par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de 1995, a été reprise comme un axe central de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire de 1999 (LOADDT). - Les contrats territoriaux d’exploitation, issus de la loi d’orientation agricole de 1999, sont censés promouvoir des démarches de développement agricole inscrites dans un cadre territorial (même si cet objectif est encore peu développé en pratique, au profit de projets de filière plus classiques). De fait, la thématique du développement intégré basé sur une organisation efficace des « forces vives » locales, est bien adaptée au rural, où l’on ressent qu’une « bonne gouvernance » (sous-entendu : avec du partenariat, de la concertation, une cohésion et un attachement au territoire, l’imbrication socio-culturo-éco…) est une condition nécessaire au développement. L’organisation du territoire est souvent un argument invoqué pour expliquer le maintien d’un niveau d’activité appréciable dans des zones a priori désavantagées. Inversement, on le présente également comme une solution miracle au déclin, un moyen de révéler des opportunités spécifiques au territoire. L’origine de cette mode protéiforme est complexe, et son analyse sort du cadre de ce travail. Il est toutefois utile de rappeler les quelques éléments suivants, susceptibles d’éclairer le contexte de ce mémoire : - Il y a tout d’abord sans aucun doute la résurgence régulière d’aspirations nostalgiques à un retour à un mode de vie communautaire, dans un contexte de complexification des techniques et de « dépersonnalisation » croissante des relations humaines. Cet aspect, très connoté « contre-culture », n’a quasiment rien à voir avec l’économie. Il convient de noter au passage que les défenseurs de ces aspirations méconnaissent en général largement les conditions de vie réelles dans les communautés auxquelles ils se réfèrent. - L’échec de certaines politiques centralisées visant à équilibrer l’activité sur le territoire a conduit le législateur à laisser davantage d’initiative à des échelons plus proches du terrain (ou a contrario a conduit des collectivités locales à prendre des libertés avec les compétences accordées par la loi aux échelons locaux). En particulier, les lois de décentralisation de 1982 ont doté les régions de compétences en aménagement du territoire, tandis que la loi sur l’intercommunalité de 1999 précise les compétences des établissements publics de coopération intercommunale en matière économique. 1 Introduction - - Suite à la réussite de plusieurs « territoires modèles » (dont certains seront présentés plus en détail dans la suite), des tentatives de transposition dans des zones peu dynamiques sont inévitables. Certains auteurs particulièrement critiques par rapport au modèle fordiste y ont vu l’amorce d’un mouvement de fond (Piore et Sabel (1984) se sont ainsi faits les hérauts de la « spécialisation flexible »). De façon générale, la recherche d’alternative au mode de production dominant se cristallise souvent autour de ce type de vision du développement. Ces démarches de développement initiées à un échelon territorial fin, misant sur la coopération, et la mise en valeur des ressources locales sont regroupées sur le vocable aujourd’hui populaire de « développement local ». Mais avant de définir cette approche du développement, précisons d’abord ce que l’on peut entendre par développement en zone rurale dans un pays industrialisé. Qu’est ce que le développement rural ? Un des buts principaux de ce mémoire est d’éclairer l’efficacité des démarches de développement local à l’aide de la théorie économique, et il convient donc de préciser au préalable ce que le terme développement recouvre. En effet, cette notion, empreinte d’une forte connotation normative, peut être définie de façon différente selon le contexte considéré. Derrière l’idée de développement, il y a à la fois l’idée d’accroissement de richesse, combinée à celle de reproductibilité à long terme du système économique, mais aussi des structures sociales qui permettent cette évolution. Même cette définition générale témoigne d’ailleurs d’un parti-pris : après tout, une fois atteint un certain confort matériel, pourquoi d’autres critères que la croissance ne devraient pas être prioritaires ? Dans le cas des pays à faible revenu, il y a peu d’ambiguïté : la production par habitant est si faible que la croissance du PIB est une condition majeure du développement et doit donc être fixée comme objectif prioritaire, accompagné d’objectifs sanitaires, sociaux, etc… En revanche, dans les pays industrialisés, la situation est beaucoup moins simple. Laissons de côté, pour simplifier la discussion, le fait que le PIB pourrait se révéler un indicateur de richesse de moins en moins pertinent à mesure que l’économie se « dématérialise » et se « qualitativise ». Le problème fondamental envisagé ici est celui de l’inégalité géographique au sein d’une société en moyenne riche. Inégalité géographique qui peut se traduire par une inégalité sociale au moins temporaire. Or, comme le rappele Polèse (1994), ces inégalités sont, au moins initialement, une condition nécessaire à la croissance. On retrouve donc le traditionnel dilemme entre efficacité et équité, mais aussi entre équité présente ou équité future : vaut-il mieux occasionner des migrations douloureuses socialement mais assurant un gain de bien-être pour tous par la suite, ou bien ne pas exploiter tous les gains de productivité possibles pour éviter ces coûts sociaux immédiats. Dans certaines conceptions du développement, la question de l’équité ne porte pas seulement sur les individus, mais aussi sur les territoires : un territoire vidé de ses habitants (donc pesant très peu dans le bien-être global de la société) est perçu comme victime de l’iniquité des mécanismes économiques. Ces questions et les jugements de valeur divers qui en découlent débouchent en pratique sur des conceptions contrastées du développement rural (cf. par ex. Perrier-Cornet 2002) : - Une conception dominée par l’efficacité : le développement est basé sur les ressources caractérisant le rural, essentiellement l’agriculture et la forêt. Cette conception suppose que l’agriculture et les autres activités liées à ces ressources spécifiques fournissent un revenu satisfaisant, mais ne se préoccupe pas de savoir si l’espace se vide ou s’il 2 Introduction - - s’uniformise sur le plan économique et du cadre de vie (sauf si les aménités rurales font partie de la stratégie de recherche de valeur ajoutée). Une conception mêlant efficacité et équité : elle refuse de freiner les mécanismes de polarisation, source de gains de productivité, mais en s’assurant que ce processus s’effectue « à taille humaine », par exemple à l’échelle des régions administratives. Ainsi, même s’il existe dans chaque région une périphérie plus ou moins exsangue, les habitants bénéficient en moyenne de façon équilibrée des avantages de l’urbain et de l’attrait du rural. Une conception centrée sur l’équité : elle prône la présence dans le rural d’activités diversifiées assurant un cadre de vie satisfaisant aux habitants des zones rurales périphériques : emploi, vie sociale, services. A ces conceptions, volontairement stylisées, s’ajoute à présent celle de développement durable. Elle peut se traduire pour le rural par des préconisations allant dans le sens d’une réduction de la présence humaine : îlots et corridors de biodiversité, gestion durable des ressources du sol, prévention des risques naturels (inondations, glissements de terrain…), désagréments causés par les activités humaines (bruit des aéroports, lagunage…). La question de savoir s’il faut limiter les inégalités entre zones géographiques, et de quelle façon, est d’abord politique : la théorie économique n’a pas vocation à fournir des prescriptions normatives. Toutefois, elle peut largement éclairer le débat d’idées en précisant les trajectoires possibles et leur coût pour la société (Jayet, Puig & Thisse 1996), et notamment si la trajectoire spontanée (en l’absence d’intervention publique) coïncide avec un optimum social (certains modèles montrent en effet que l’agglomération, résultat des forces du marché, peut être socialement inefficace1). Deux questions importantes se posent à la puissance publique : une redistribution de l’activité économique au sein d’un pays risque-telle de pénaliser la croissance de ce pays ? Va-t-elle imposer aux urbains une perte de bienêtre supérieure au gain des ruraux ? Certains économistes dénoncent clairement l’inefficacité sociale des politiques volontaristes de distribution équilibrée de l’activité sur le territoire (Gérard-Varret & Mougeot, 2001). Les questions d’efficacité sociale et d’intervention publique ne seront pas traitées au cours de ce mémoire, qui se concentre sur l’étude de la coexistence de mécanismes économiques différents. Il est néanmoins important de garder à l’esprit les implications potentielles des résultats de cette étude sur la façon de penser l’action publique en matière de développement rural. Notons que le terme de développement est en partie impropre dans la troisième conception citée plus haut : l’objectif y est souvent statique et vise un état final bien défini. C’est pourtant la conception qui est le plus souvent implicite dans les démarches initiées dans les territoires ruraux, et en particulier par les artisans du développement local. Même s’il peut s’agir d’un objectif tout à fait recevable sur le plan politique, il faut garder à l’esprit le fait que le rural ne peut en aucune façon se considérer comme isolé du reste de l’économie. Toute démarche de création d’activités implique des relations avec l’extérieur, et la vision statique idéalisée du « pays où il fait bon vivre » doit être confrontée à la réalité des évolutions de l’économie. 1 Cf. par exemple Charlot & Gaigné (2001) 3 Introduction Le « paradigme » du développement local Nous pouvons maintenant présenter les principes du développement local, conception et ensemble de méthodes de développement, qui prône la recherche de nouvelles ressources spécifiques locales, et qui ajoute à cet aspect économique des aspects sociaux et culturels. Par son objectif de recherche d’avantages comparatifs, il relève de la première conception du développement citée plus haut. Mais son originalité réside dans le fait qu’il affirme avec force que le développement inclut des aspects non économiques, et qu’en outre, ces aspects sont essentiels pour découvrir et mettre en valeur ces nouvelles ressources. Enfin, comme l’adjectif « local » l’indique, la source du développement est avant tout à chercher à l’intérieur du territoire, et non par l’intervention d’un échelon de planification plus élevé. Le développement local correspond donc davantage à un état d’esprit et à un ensemble de méthodes ad hoc qu’à un véritable courant de recherche structuré, puisque par hypothèse chaque situation particulière est susceptible de devoir mobiliser des pistes de développement différentes (Polèse 1994). Considéré comme un nouveau paradigme de développement par les tenants de l’approche « bottom-up » ou ascendante, inscrit en filigrane dans la LOADDT, il ne possède pas de fondement théorique clair et unifié. Par exemple, les théories de la croissance endogène ou du développement régional ne fournissent pas d’outils adaptés aux multiples facettes de la démarche, dont les principes sont les suivants : - Un territoire en déclin, notamment rural (en effet, la faible densité freine les échanges d’idées) possède toujours (ou presque) des ressources latentes, qu’il convient de découvrir et de mettre en valeur. Il est entendu qu’il ne s’agit aucunement de recréer une petite économie autarcique et régressive, mais bien de découvrir de nouvelles possibilités de création de richesses valorisables à l’extérieur, en d’autres termes d’élargir la base économique locale (Greffe 1996). - Les conditions requises pour que ce processus d’innovation prenne corps sont la volonté, l’imagination, le partenariat, la capacité à s’informer (sur les débouchés possibles, les agents économiques potentiellement concernés, les coûts…). En zone rurale, ces qualités devront compenser les désavantages liés à l’éloignement des centres de décision et à la faible densité (qui rend moins fréquentes les interactions avantageuses). - Le développement doit intégrer les dimensions économique, sociale, et culturelle. En particulier, le territoire doit disposer d’une bonne cohésion sociale, et une volonté de coopération générale doit régner pour que la démarche porte ses fruits. - L’intervention publique, conçue et gérée à l’échelon local, est parfois nécessaire pour permettre aux projets de décoller : formation, information, animation, aide à l’investissement initial. Toutes ces caractéristiques sont reliées à la mise en place d’une organisation des acteurs locaux – entreprises, travailleurs, consommateurs, institutions publiques… – permettant de réaliser la « structuration du territoire », selon l’expression consacrée par les volets territoriaux des contrats de plan Etat-région de la période 2000-2006. L’organisation est la condition préliminaire du développement local. Il convient d’insister sur la diversité que revêtent les démarches de développement local, diversité d’ailleurs revendiquée2. Comme le dit Benko (1999) : « Chaque réussite régionale est une sorte de miracle, une trouvaille difficilement transposable (…) les imitateurs ont 2 On trouvera de nombreux cas de démarches exemplaires sur les sites du réseau Leader Européen (http://www.rural-europe.aeidl.be/rural-fr/action/), français (http://www.reseauleader.com/leader/htdocs/resdoc), et de l’association Entreprises, territoires et développement (http://www.etd.asso.fr). 4 Introduction échoué systématiquement ». De ce fait, leur analyse est particulièrement délicate, d’autant plus qu’elle requiert en principe une approche pluridisciplinaire, intégrant des considérations sociologiques et parfois politiques. D’autre part, le développement local doit être pensé de manière dynamique et en tenant le plus grand compte de l’évolution des marchés extérieurs : l’efficacité d’une stratégie dépend très largement des opportunités de débouchés en dehors du territoire, et ces opportunités sont fluctuantes. Enfin, même indépendamment des aléas extérieurs, la réussite n’est jamais définitivement gagnée : la coopération entre acteurs est fragile, les hommes passent et n’ont pas tous les mêmes qualités. Objectif général du mémoire La question générale qui sous-tend ce travail est de comprendre dans quelle mesure l’organisation des acteurs locaux peut effectivement contribuer au développement de l’activité économique des zones rurales en déclin. Elle se situe donc plutôt dans la conception « efficacité » du développement rural, mais élargie à d’autres ressources territoriales que le sol (ou la main d’œuvre captive peu qualifiée), selon les principes du développement local. Il est manifeste que certains systèmes productifs très spécifiques (et très rares) se caractérisent par un système de relations marchandes et/ou non marchandes entre agents économiques, particulièrement efficace. Il est aussi assez évident qu’un climat social favorable est davantage propice à un développement économique qu’une ambiance tendue ou déprimée. Mais en dehors de ces truismes, qu’est-il possible de dire sur le rôle de l’organisation des agents économiques d’un territoire sur le développement de celui-ci ? Apporter un éclairage à cette question, dans le cadre de l’espace rural, est l’objectif principal de ce mémoire. Cet objectif est rendu difficile par plusieurs écueils : - Le caractère flou de nombreuses notions utilisées, à commencer par celles d’organisation et de territoire. - L’impossibilité, martelée par les tenants du développement local, d’isoler les phénomènes économiques des phénomènes sociaux et culturels, qu’il est pourtant nécessaire de distinguer pour comprendre leur articulation, ainsi que l’originalité profonde de chaque cas concret. - Le fait que les défenseurs de ces approches s’opposent parfois vivement à l’économie mainstream jugée non « politiquement correcte », scientiste, réductrice. Une vision holiste, personnifiant les territoires, est souvent implicite dans leurs travaux. Ici, au contraire, il est postulé que le formalisme de la microéconomie est susceptible de prendre en compte, au moins en partie, les phénomènes évoqués dans cette introduction. Ce mémoire est structuré en quatre chapitres. Le premier chapitre présente les principaux programmes de recherche en économie qui s’intéressent à l’organisation des agents économiques et identifie les mécanismes organisationnels potentiellement à l’œuvre au sein des systèmes productifs. Le deuxième chapitre brosse un panorama des modèles développés par la nouvelle économie géographique, et suggère des possibilités d’extensions prenant en compte des effets organisationnels. Constituant le cœur du mémoire, le troisième chapitre développe trois variantes de modèles d’économie géographique, en vue de représenter quelques aspects de l’organisation en économie. Enfin, le dernier chapitre, conclusif, discute la pertinence des travaux menés dans ce mémoire, et propose des développements ultérieurs, en particulier empiriques. 5 Chapitre 1. Repères sur l’analyse économique des phénomènes d’organisation Ce premier chapitre a pour ambition de brosser un tableau synthétique des façons d’aborder les phénomènes d’organisation au sein de différents programmes de recherche en économie, ainsi que des mécanismes microéconomiques auxquels se réfèrent ces travaux. Il se clôt par l’exposé de la problématique théorique de ce mémoire. 1.1. Généralités sur l’analyse de l’organisation en économie Cette section examine plusieurs types d’approches en économie et s’efforce de montrer l’intérêt de prendre en compte l’organisation des agents économiques dans l’analyse, notamment en économie rurale. Etant donné que ce mémoire utilise les outils de la microéconomie, on commence par rappeler brièvement les principales caractéristiques de l’économie mainstream. Puis, l’intérêt de la prise en compte des phénomènes d’organisation dans l’analyse économique est justifié, en se penchant en particulier sur le cas des espaces ruraux (ces éléments seront repris et détaillés dans la partie sur l’économie géographique). Enfin, les principaux programmes de recherche qui traitent de l’organisation des agents économiques en dehors de la coordination par les prix sont passés en revue. 1.1.1. Pourquoi prendre en compte l’organisation des agents économiques ? 1.1.1.1.La démarche dominante en économie : restriction à la coordination par les prix Dès son origine, l’économie se distingue des autres sciences sociales (notamment de la philosophie politique) par le fait que les phénomènes qu’elle étudie découlent essentiellement de comportements individuels non coordonnés, formant ce qu’Hayek appellera plus tard l’ordre spontané. Pour Mandeville (Fable des abeilles, 1714), Steuart (Recherches sur les principes de l’économie politique, 1767), comme pour Smith (Richesse des nations, 1776), l’intérêt commun est mieux servi par des individus préoccupés uniquement de leur propre intérêt, que s’ils recherchaient dans leurs actions le bien de la collectivité. En se préoccupant d’établir des relations de coopération avec d’autres, on se heurte à un problème d’information et de confiance qui est bien plus grand que lorsqu’on se soucie uniquement et au cas par cas de son propre intérêt, pour peu qu’il existe une force garantissant l’intégrité des biens et des personnes. Ainsi, chacun étant mieux placé que quiconque pour agir selon son intérêt, et chacun cherchant peu ou prou à accroître sa richesse, le libre commerce permet à chacun de contribuer au mieux de ses capacités à accroître le produit global, cet accroissement bénéficiant, sur le long terme et dans des proportions variables, à tous. Il n’en demeure pas moins qu’au delà des fonctions régaliennes, une coordination non marchande reste nécessaire pour réaliser la division du travail et l’accumulation du capital nécessaires à la croissance : entre entrepreneurs et travailleurs, entre investisseurs et banquiers etc… En effet, face à la diversité des choix et des comportements possibles, le principe de rationalité individuelle est insuffisant : des présupposés doivent exister sur le comportement possible des différents agents. L’existence d’une culture commune, de conventions, et d’une force publique assurant la sécurité des transactions est nécessaire. La maximisation de l’intérêt individuel doit en outre être précisée selon deux aspects : la durée de temps qu’on accepte d’attendre pour bénéficier d’un avantage (préférence pour le présent), et l’importance des facteurs non économiques (non liés à des biens et services achetés) dans l’utilité (qualité de vie, culture…). L’analyse économique répond habituellement à la nécessité de coordinations non marchandes en supposant fixés les choix possibles (conventions, techniques disponibles) de façon 6 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie exogène, et en posant comme assurée la sécurité des transactions. Concernant le problème du temps, elle raisonne le plus souvent de manière statique, et lorsque l’introduction du temps est indispensable, pose un taux d’actualisation exogène. Concernant les aspects non économiques de la fonction d’utilité, ceux-ci sont pris en compte dans certains modèles (prix hédoniques). Plus précisément, la microéconomie, dont le travail théorique de ce mémoire utilise les outils, se caractérise par un certain nombre de postulats et de techniques de calcul, à la fois simples et robustes, mais très simplificateurs : - L’utilisation d’agents stylisés, souvent tous identiques, caractérisés par une fonction de gain ou de coût. - L’usage de la rationalité substantielle, avec éventuellement des amendements sur l’information disponible (anticipations, évènements incertains). - L’équilibre sur tous les marchés avec éventuellement des conditions de bouclage lorsqu’il y a libre-entrée (profit nul, utilité fixée). Les évolutions temporelles sont le plus souvent analysées par statique comparative. - Hormis dans les modèles de concurrence imparfaite, l’absence d’interactions stratégiques. Les agents sont en situation d’isolement stratégique : les prix sont les seuls signaux utilisés pour prendre les décisions économiques et les agents sont preneurs de prix. Bien que ces hypothèses semblent simplistes, la microéconomie se révèle être en mesure d’intégrer un grand nombre de relâchements aux hypothèses de base de l’équilibre concurrentiel (Cahuc 1998) : concurrence imparfaite, prise en compte de l’information incomplète, prise en compte du temps… Malgré tout, des éléments de nature diverse incitent les tenants d’autres programmes de recherche, à s’écarter de cette approche, notamment : - Démentis aux prédictions standard : on n’observe pas la convergence des rémunérations des facteurs prédite (même en tenant compte d’aspects non monétaires), inversion modérée de tendance démographique dans l’espace à dominante rurale, périurbanisation et polycentrisme urbain difficilement explicables par l’économie urbaine standard, réussite inattendue de certaines petites régions rurales… - Caractère très incomplet des mécanismes pris en compte et existence de présupposés discutables (hypothèses de comportement, d’information…). Impossibilité de séparer les phénomènes économiques des phénomènes sociaux, etc… - Impasse théorique de la recherche de fondements microéconomiques aux phénomènes macroéconomiques, fondée sur l’usage d’agents représentatifs. Pour autant, ces arguments ne sont pas suffisants pour remettre en cause l’intérêt de la méthode. Même si, dans certains cas isolés, il est besoin de recourir à d’autres mécanismes que ceux pris en compte par le formalisme microéconomique, le caractère imprédictible et fugace de leur apparition les confine au seul champ des études appliquées. De fait, le formalisme de la microéconomie permet de représenter, moyennant d’autres simplifications et/ou extensions adaptées à chaque problème, un grand nombre de situations, et de décrire qualitativement la plupart des mécanismes économiques observés dans les économies de marché. Le constat que des mécanismes similaires expliquent une grande variété de phénomènes est également un argument fort en faveur de la fécondité de la théorie. Le fait que les hypothèses de la microéconomie soient simplificatrices ne remet donc pas en cause l’intérêt de la démarche. En effet, la compréhension des mécanismes de marché impose de les isoler de façon nette des autres phénomènes sociaux. C’est au niveau des applications pratiques qu’il convient d’apprécier, au cas par cas, le poids des mécanismes décrits par la microéconomie par rapport aux autres phénomènes sociaux en présence. En revanche, une 7 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie remise en cause de l’analyse microéconomique serait à envisager plus sérieusement s’il était possible de mettre en évidence des situations répétées où les seuls mécanismes microéconomiques ne sont pas en mesure d’expliquer de manière satisfaisante le comportement des agents dans leurs décisions économiques, ainsi que leurs conséquences sur le fonctionnement d’ensemble de l’économie. Pour montrer qu’une approche alternative a un réel intérêt théorique, il faut mettre en évidence des effets systématiques (donc sans hypothèse ad hoc) et significatifs (par exemple des prédictions qualitatives généralisables) que ne peut prendre en compte la théorie microéconomique de base. 1.1.2.2.Les limites de l’approche par le seul marché : l’importance de l’organisation Malgré les nombreux raffinements possibles du formalisme microéconomique, certains éléments constituent véritablement son « noyau dur » : - Les agents sont « indivisibles », et leur fonction objectif fixée de manière exogène. Cela peut poser des difficultés dans le cas des firmes. - Le caractère statique de l’analyse : sauf quand il n’y a qu’un seul bien dans l’économie, le formalisme microéconomique se prête très mal à l’étude de la convergence vers l’équilibre des marchés (et d’ailleurs, dans le cas de la concurrence parfaite, la seule stabilité des équilibres n’est assurée que sous des hypothèses fortes (Guerrien 1999)). En conséquence, tous les marchés sont en général supposés à l’équilibre : il y a adéquation structurelle entre l’offre et la demande de tous les biens. Les évolutions temporelles ne sont étudiées que par statique comparative. - Le comportement des agents guidé uniquement par les prix, et éventuellement les caractéristiques des autres agents. Les différents agents sont anonymes, il n’y a pas de relation préférentielle entre eux. Certains programmes de recherche se sont spécialisés dans l’étude des phénomènes remettant en cause ce noyau dur : par exemple le néo-institutionnalime pour la description des firmes de l’intérieur, ou l’évolutionnisme pour les aspects dynamiques. L’étude des mécanismes économiques non restreints au pur marché fait l’objet d’une littérature croissante, comme indiqué en introduction. Ces différents programmes de recherche seront présentés dans la sous-section suivante. Avant de les passer en revue, attachons nous à préciser quelques arguments selon lesquels le formalisme microéconomique fournit malgré tout une description correcte des phénomènes économiques : - La « sélection naturelle » élimine les firmes qui se comporteraient de façon non optimale, de même qu’au niveau des individus, une générosité et une mansuétude inconsidérées n’est pas un comportement évolutivement stable. - Les simulations de marchés réalisées en économie expérimentale montrent dans de nombreux cas une convergence vers l’équilibre rapide, et une diminution des comportements irrationnels avec l’importance de l’enjeu. Mais elles montrent aussi que la façon dont est organisé le marché (règles de transaction) est cruciale pour obtenir une convergence. - Même si les problèmes de non équilibre ou d’instabilité des fonctions objectifs et de la rationalité des agents ont quelque importance, la microéconomie fournit des descriptions valables en moyenne et en tendance, ce qui est de toute façon le mieux qu’on puisse faire en économie. Les autres effets doivent être appréciés au cas par cas et relèvent donc des études appliquées. De fait, les économistes néoclassiques n’ont jamais prétendu que les fluctuations économiques du monde réel étaient négligeables. Cependant, ils considèrent que les variations 8 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie significatives sont en général dues à des causes exogènes (changements politiques ou technologiques essentiellement) ou ne remettent pas en cause l’équilibre des marchés, sauf à court terme3. Ces arguments sont sans aucun doute parfaitement valables dans un grand nombre de situations. Pourtant, certaines évolutions récentes de l’économie tendent à redonner du poids à la remise en cause du noyau dur de la microéconomie. Nous citerons deux éléments majeurs : l’évolution de la nature de la production, et la multiplication des effets externes. Au cours du développement des pays industrialisés, les gains de productivité se sont d’abord effectués dans l’agriculture, condition sine qua non de l’apparition d’autres activités, puis dans les biens manufacturés. La capacité de consommation en biens matériels d’un individu moyen étant limitée, les gains de productivité se sont alors dirigés vers les aspects qualitatifs des biens matériels, et sur les biens immatériels ou services. Or, l’échange de ces biens est plus complexe que celui de biens matériels standardisés. Se posent en particulier de redoutables problèmes d’information et de relations personnalisées (confiance, réputation). En outre, de nombreux services ne peuvent pas être aisément exportés, à moins de déplacer les individus effectuant les prestations (problème d’échange d’informations tacites)4. Par ailleurs, la complexification croissante des systèmes de production est avérée : l’internationalisation des échanges, et la poursuite du processus de division du travail, indispensable pour poursuivre les gains de productivité, rendent illusoire pour la plupart des firmes la possibilité d’avoir une vision claire de l’état et de l’évolution de leur secteur. De plus, les systèmes de production sont très divers (intégration verticale, firmes interdépendantes localisées ou non au même endroit, etc…) et leur diversité n’est pas expliquée par l’approche microéconomique. D’autre part, l’accroissement de la taille et de la densité des systèmes économiques est la source de nombreuses externalités non pécuniaires : négatives (problèmes de gestion de ressources naturelles, congestion, pollution …), mais aussi positives (en particulier échanges d’informations), qui seront détaillées dans la suite. A partir du moment où l’existence d’externalités devient la règle et non plus l’exception, une remise en cause du cadre purement marchand peut être envisagée. Ces exemples sont tous liés à la même idée : l’idée que la coordination par les prix est insuffisante pour comprendre l’ensemble des phénomènes économiques, et en corrolaire que d’autres types de coordination que le marché peuvent conférer des avantages décisifs. La notion de phénomène d’organisation peut recouvrir l’essentiel de cette idée de coordination hors marché. Dans la suite, nous dirons qu’il y a un phénomène d’organisation lorsque plusieurs agents économiques prennent leurs décisions de manière coordonnée, créant par là une interdépendance, alors que la non-coordination peut être plus avantageuse à court terme. Il s’agit d’une forme de coordination qui n’est pas basée sur le signal des prix, qui est pérennisée par des règles communes et qui porte sur une partie bien précise des processus économiques. Ainsi, dans le cas des districts industriels, la concurrence peut être féroce en dehors du district, mais la coopération domine au sein du système local. Notons que 3 L’approche ressemble à celle de la thermodynamique. Ainsi, une tasse de café est considérée comme étant à l’équilibre, car les grandeurs macroscopiques qui caractérisent son état fluctuent très peu. Pourtant, elle se refroidit bien au bout de quelques minutes, et encore à une autre échelle de temps, peut s’évaporer en quelques jours… 4 Les NTIC ne peuvent pour l’heure résoudre totalement ce problème, même s’il est tout à fait possible d’envisager une révolution du commerce et des services électroniques. 9 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie l’existence d’une structure formelle (firme, syndicat, etc…) n’est pas nécessaire pour qu’un phénomène d’organisation existe. La coordination des agents ne se fait donc plus par l’intermédiaire des prix, mais de conventions communes ou de contrats. Cette définition des phénomènes d’organisation manque de toute évidence de précision, mais nous verrons que la diversité de ces phénomènes empêche, au moins en l’état actuel des travaux sur le sujet, une définition plus précise. Nous nous en tiendrons donc à cette notion intuitive comme fil conducteur de ce travail. Insistons sur le fait que, si séduisante que puisse être l’idée de prendre en compte les coordinations par autre chose que les prix dans l’analyse économique, cette démarche ne débouche pas sur des théories totalement satisfaisantes, et ce pour plusieurs raisons : - Ces coordinations sont difficiles à formaliser, alors qu’une théorie utilisant les techniques microéconomiques peut toujours être formalisée, au besoin en exprimant le non économique en équivalent monétaire. En effet, elle ne manipule pratiquement que des quantités monétaires ou physiques (seule exception notable, l'utilité, mais on peut se passer d'une utilité cardinale). Or, la formalisation évite de nombreux pièges de raisonnement : on ne peut pas passer à côté d’effets indirects, pour peu que les mécanismes correspondants figurent dans le modèle. - Il est difficile en particulier pas de distinguer clairement les mécanismes économiques des autres (sociologiques notamment). - Les travaux théoriques sont très difficiles à évaluer empiriquement. Une grande part de la littérature est constituée d’une addition d’études de cas dont il est difficile de tirer quelque régularité extrapolable (cependant, ce n’est pas général : ainsi, la théorie néoinstitutionnelle fournit des prédictions réfutables sur le type d’organisation adapté à différentes situations dans lesquelles peut se trouver la firme). - Les théories sont donc moins élégantes, et surtout moins générales que la théorie néoclassique : leur champ d’application est souvent plus limité. Il est difficile d’en tirer des régularités nettes. La démarche est d’ailleurs souvent inductive au lieu d’être hypothético-déductive. De ce fait, des « dérives » holistes sont possibles, en particulier la personnalisation des systèmes étudiés. - Il est, à cause de tout cela, quasiment impossible de comparer leurs performances relativement à la théorie néoclassique, même si dans certaines études de cas, il paraît certain que les effets non marchands invoqués jouent un rôle essentiel. 1.1.2.3.Le cas de l’espace rural Avant d’examiner comment différents programmes de recherches tiennent compte des phénomènes d’organisation, précisons pourquoi leur étude est particulièrement pertinente dans le cas de l’économie rurale. Globalement, le rural a fait jusqu’à présent l’objet de peu d’attention de la part des économistes non agricoles, d’une part parce que l’essentiel de la recherche a longtemps été surtout aspatiale, d’autre part parce que les recherches prenant en compte l’espace se sont surtout intéressées aux zones de concentration d’activités, donc plutôt aux zones urbaines. Ainsi, le rural n’est classiquement pas considéré comme une zone de croissance économique. Hormis l’étude des questions agricoles, qui ne nécessite d’ailleurs pas forcément de s’intéresser aux zones rurales en tant que telles, ce type d’espace a donc été plutôt délaissé, tout au moins jusqu’à une époque récente. 10 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie Brossé à grands traits, le processus de développement résulte de la combinaison des éléments suivants (Gillis et al. 1998) : - Constitution de lieux d’échange - Gains de productivité dans l’agriculture (permettant un développement de la production industrielle) puis dans l’industrie - Baisse des coûts de transport d’où extension d’aires de marché et concurrence accrue. - Gain de productivité dans les autres secteurs grâce à l’accumulation du capital et au progrès technique (division du travail et économies d’échelle) - Tertiarisation pour gérer la multiplicité des biens et services échangés et poursuivre les gains de productivité. - Simultanément, évolution des structures de consommation. Tous ces phénomènes vont globalement dans le sens d’une concentration géographique et laissent de moins en moins de poids au milieu rural dans l’économie. Le rural se définit donc en général de façon résiduelle (« hinterland », comme dans le modèle de Von Thünen, ou de la nouvelle économie urbaine), découlant d’une dotation en facteurs particulière : les avantages comparatifs naturels (enclavement géographique) ou construits (évolution historique des villes avec effet de verrouillage) sont incompatibles avec un regroupement significatif d’activités. La théorie de la localisation industrielle, quant à elle, mentionne le rural uniquement en tant que siège des activités ressource-oriented. Dans une telle optique, un développement économique en milieu rural, autre que limité à l’exploitation des facteurs fixes ne peut être qu’artificiel, transitoire ou négligeable. Quelles sont les stratégies de croissance économique que l’on peut envisager en milieu rural ? La première réponse peut se faire selon une grille de lecture simple : - Point de vue de l’offre : valoriser les avantages comparatifs (terre, main-d’œuvre spécifique, paysage), en créer de nouveaux s’il y a lieu (investissement en infrastructures et en matériel de production). - Point de vue de la demande : développer les stratégies exportatrices, accroître la propension à dépenser localement, injection de crédits publics (implantation d’une administration, grands travaux…). Tout le débat repose sur la nature des avantages comparatifs qu’il est possible de mobiliser dans le rural. La notion d’avantage comparatif n’est pas assez précise pour tous les phénomènes où l’efficacité n’est pas seulement déterminée par les facteurs matériels et la disponibilité quantitative de main-d’œuvre, mais où les aspects qualitatifs jouent un grand rôle. Si l’on tient vraiment à faire du développement rural autre qu’agricole ou forestier, ou basé sur une main-d’œuvre non qualifiée, et si l’on exclut l’hypothèse d’investissements matériels de grande envergure destinés à attirer à tout prix des activités, il ne reste guère que la mise en valeur d’atouts basés sur les ressources humaines. Or, a priori, dans ce domaine également, le rural n’est guère avantagé : selon Jayet (1996), il est caractérisé par une forte inertie des comportements, une difficulté à produire des appariements efficaces, et une faible diversité organisationnelle. Toutefois, certaines formes de coopération liées par exemple à l’interconnaissance, et aux fortes barrières à l’entrée et à la sortie, pourraient expliquer la présence de configurations organisationnelles efficaces. Ainsi, la prise en compte des phénomènes d’organisation semble pertinente pour comprendre les stratégies innovantes de développement rural. En particulier, comme on l’a vu en introduction, la plupart des « success stories » ont été analysées comme découlant d’éléments 11 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie ignorés par l’approche microéconomique, au premier rang desquels l’organisation des acteurs, l’imbrication du social et de l’économique, l’identité territoriale, l’image du territoire… L’organisation serait donc une ressource potentielle dans certaines zones rurales, pouvant donner un avantage comparatif décisif dans certaines activités. Il reste à expliciter comment l’analyse économique peut préciser cette intuition encore assez floue. Au préalable, un bilan de l’apport des différentes approches existantes en économie, qui peuvent éclairer la réflexion sur le sujet, doit être tiré. Aussi, dans la sous-section suivante, nous allons présenter les principaux programmes de recherche qui insistent sur l’organisation des agents économiques. 1.1.2. Contribution de différents programmes de recherche à l’étude de l’organisation Cette sous-section s’efforce de présenter brièvement plusieurs programmes de recherche parmi les plus développés dans le monde académique, en se focalisant sur leurs apports potentiels au regard de notre réflexion. Cette présentation s’éloigne quelque peu de la question générale du mémoire, mais elle est nécessaire pour établir un bilan des outils mobilisables dans notre travail. Un tableau synthétique des principaux courants est donné en annexe 1. Nous commençons par rappeler la contribution de Marshall à l’analyse des externalités positives entre firmes d’une même branche. 1.1.2.1.Economie mainstream Nous avons rappelé en §1.1.1.1. qu’un des apports de l’analyse économique est de montrer que des comportements économiques non coordonnés, sans interactions stratégiques, pouvaient, sous certaines conditions, donner une description satisfaisante des phénomènes économiques (et de plus correspondre à une utilisation efficace des possibilités de production). Pour autant, les économistes du courant dominant n’ont pas toujours dédaigné de s’intéresser aux phénomènes non marchands. Auteur de la première grande synthèse de la théorie de la formation des prix, Marshall considérait l’organisation comme un facteur de production, au même titre que le sol, le travail et le capital. Le prix de ce facteur (distingué de l’intérêt, qui rémunère le capital) correspond à la rémunération des fonctions de direction. Il comprend deux composantes : « la capacité et l’énergie dans les affaires » et « l’organisation, qui coordonne et réunit le talent d’affaires approprié et le capital nécessaire ». Il s’agit donc d’une définition assez différente de celle utilisée ici, puisqu’elle concerne davantage la capacité à structurer une firme en interne. Par ailleurs, Marshall a apporté une contribution majeure à l’économie industrielle en observant que le mouvement de concentration et d’accroissement de la taille des firmes n’était pas général : il existe des économies externes qui expliquent que de nombreuses petites entreprises géographiquement proches (que l’on appellera plus tard districts marshalliens) puissent être aussi performantes, voire davantage, que de grands établissements, dont les coûts de bureaucratie limitent la croissance (cf. Principles of economics, livre IV, chap. X). Les économies d’échelle externes, qui restent cantonnées à une branche industrielle, découlent de trois effets principaux. Un effet purement marchand, lié aux complémentarités fortes au sein du système input-output local, et aussi à la présence au même endroit de consommateurstravailleurs et de firmes. Un effet d’adéquation fine d’une main-d’œuvre spécialisée avec les besoins des employeurs, cette adéquation s’auto-renforçant avec le temps. Un effet d’atmosphère industrielle, qui découle de la culture commune au sein du district, de la circulation de l’information, et de la main-d’œuvre, etc… autant de phénomènes propices à l’innovation, la flexibilité et la coopération au sein du district. 12 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie Ces idées ont en fait été peu approfondies au sein de l’économie mainstream, probablement en partie du fait de l’importance donnée aux mécanismes non marchands, et la difficulté subséquente à formaliser. D’ailleurs, beaucoup des districts étudiés par Marshall ont ensuite connu une concentration en de grands établissements en concurrence. Elles ont été reprises au cours du XXème siècle par plusieurs auteurs plus ou moins hétérodoxes (cf. infra, l’analyse des districts italiens). Dès qu'on sort du monde de la microéconomie, on risque de pénétrer dans le royaume des explications ad hoc, des mécanismes vagues et intuitifs etc... Toute la difficulté des recherches sur les coordinations hors marché est qu’elles reposent sur l’intuition forte que les phénomènes d’organisation sont essentiels pour comprendre les phénomènes économiques, mais sans disposer d’une représentation unifiée et claire. L'imbrication individu-organisation et la difficulté à intégrer les mécanismes dans un formalisme économique rendent d'autant plus difficiles ces travaux. Trois courants vont être plus particulièrement examinés à présent : la théorie néo-institutionnaliste, l’évolutionnisme et la théorie de la régulation. 1.1.2.2.Néo-institutionnalisme Inspirées notamment des travaux de Coase et Simon, les principales idées de ce courant ont été exprimées par Williamson (1985), son principal représentant. L’idée de base est que le formalisme microéconomique est incapable, en raison de la nature stylisée des agents (entreprises et ménages) d’expliquer la coexistence de différents modes de transaction, notamment hors marché. En effet, la théorie néoclassique ajoute au voile des prix le voile de l’entreprise, résumée à une fonction de production. Or, plusieurs modèles d’organisation de l’entreprise existent, ainsi que plusieurs niveaux d’intégration des activités, des matières premières aux produits finis. En fait, les relations entre les différents ateliers de l’entreprise (voire entre individus) correspondent à des échanges qui pourraient très bien être traités par un marché. La réponse habituelle de l’économie mainstream au phénomène d’intégration horizontale et verticale, est qu’il s’agit d’un accroissement du pouvoir de monopole (contre lequel il faut donc lutter pour que soient préservées les conditions de concurrence, donc l’efficience des marchés). Le néo-institutionnalisme a une réponse très différente. Le choix des différents modes de transaction (par le marché, par une intégration dans une organisation hiérarchisée, ou par une structure mixte, comprenant des contrats plus ou moins élaborés et différents outils de contrôle et d’incitation) se fait sur la base d’une recherche d’efficacité, avec au centre un arbitrage entre coûts de bureaucratie (procédures administratives, contrôles…) et coûts de transaction. En effet, à la fois en conséquence de l’information imparfaite et de la possibilité d’opportunisme de la part des agents, l’échange comporte des coûts non pris en compte dans le prix des marchandises, et en général ignorés dans l’approche néoclassique. Ces coûts de transaction consistent en des coûts de recherche d’information, d’interaction avec divers agents (négociations), d’établissement de contrats (clauses de contrôle et d’incitation). On les a comparé aux frottements en mécanique, selon la métaphore chère à beaucoup d’économistes comparant l’équilibre général à un système mécanique. Plus les marchandises échangées sont spécifiques (nécessitent un processus particulier de production, sont longues à produire, etc…), plus l’incertitude sur la qualité de la marchandise et le comportement des autres agents est grande, plus ces coûts sont potentiellement déterminants. Aussi, pour reprendre le vocabulaire de Williamson, plus les actifs échangés sont spécifiques, plus une intégration peut 13 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie s’avérer efficace étant donnés les problèmes d’incertitude, de recherche de partenaire, et le risque d’opportunisme. Par ailleurs, les travaux néo-institutionnalistes préfèrent à l’hypothèse de rationalité substantielle celle de rationalité limitée. En effet, l’application de la rationalité substantielle se révèle trop loin de la réalité, même quand elle tient compte de l’incertitude, notamment à cause de la quantité d’informations qu’il faut traiter et rechercher. Il est supposé notamment, à la suite des travaux de H. Simon, que les décisions des firmes sont mieux décrites en termes de satisfaction minimale, qu’en termes d’optimisation du profit. Ce courant permet d’expliquer l’existence de structures de gouvernance variées, en donnant des critères pour la définition des frontières de l’entreprise. Il insiste sur le fait que ce sont les divergences d’intérêts entre agents qui justifient le non-recours au marché, et plaide pour une certaine intégration du droit et de l’économie (Williamson 2000), puisqu’une institution régie par le droit et le marché constituent deux cas polaires d’organisation. Il donne lieu à certains travaux formalisés qui tentent d’intégrer technologie (fonction de production) et coûts de transaction dans un formalisme microéconomique (citons, par exemple, Riordan et Williamson (1985) pour un exemple de formalisation des coûts de transaction). Cependant, il donne peu d’éléments pour expliquer l’évolution de ces structures, même s’il insiste en principe sur l’importance des facteurs historiques et évolutifs (Brousseau 1999). En présence d’une organisation donnée, il est possible d’identifier les facteurs qui concourent à sa stabilité. Inversement, la théorie décrit les arbitrages auxquels est confrontée une organisation pour définir sa forme. Mais il lui est difficile de prédire quelle sera l’organisation adéquate dans une situation donnée, ni comment y parvenir. Enfin, ce courant reste encore pour l’essentiel cantonné à la firme, et analyse peu les relations entre agents économiques (Ménard 1997), notamment le rôle de la demande. 1.1.2.3.Evolutionnisme Ce courant adopte une vision schumpeterétienne de l’économie, en se focalisant sur le fait que le système de production capitaliste est caractérisé par une évolution et une compétition permanentes au profit des éléments les plus innovants (Nelson & Winter 1982), d’où découle la croissance. Il insiste sur l’importance de l’organisation tant au sein de la firme (une nouvelle forme d’organisation constitue une innovation en elle-même) qu’au travers des coordinations entre agents. Outre l’aspect organisationnel, ce courant ne fait pas sienne l’hypothèse d’équilibre permanent des marchés. L’apparition et la disparition permanentes d’opportunités de profit constituent justement le moteur fondamental du capitalisme, au travers de la « destruction créatrice ». De plus, il insiste sur l’hétérogénéité des agents, qu’il considère comme un élément essentiel dans la formation des dynamiques économiques. Les contributions formalisées sont fortement inspirées des modèles de théorie des jeux utilisés en génétique évolutive, et revisitent la notion fondamentale de fitness (ou adaptation) pour décrire l’évolution des structures économiques. Au lieu de considérer le gène comme unité de base de la sélection, il étudie l’évolution de modes de coordination entre agents. Alors que la théorie néoclassique s’inspire volontiers de la mécanique, l’évolutionnisme reprend à son compte, parfois de manière exagérée, les phénomènes de sélection, de dérive génétique, d’effet de fondation, etc… Cette métaphore est exagérée car le comportement des « réplicateurs » et les conditions de transmission de l’« hérédité » sont profondément différents de ce que l’on rencontre en écologie (Gayon 1999). 14 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie L’aspect dynamique est essentiel, puisque les jeux utilisés ont en général plusieurs équilibres possibles : on s’intéresse notamment à la diffusion de modes de coordination apparaissant par « mutation » et à leur possibilité d’envahir toute une population ou au contraire de s’éteindre, ou encore de coexister avec d’autres modes (par exemple Aoki 1998 s’intéresse aux gains découlant de la diversité des conventions dans le mode de production). Les situations étudiées sont en général coopératives (cf. par exemple Vincente 1999), et l’essentiel du problème est alors de déterminer vers quel équilibre on s’achemine. Mais il existe aussi des modèles basés sur des situations où l’équilibre n’est pas un optimum (cf. par ex. Dupuy 1995 ou Dupuy & Torre 2001) avec le dilemme du prisonnier, et la comparaison de stratégies variées). Ces recherches font partie de l’« économie des conventions » (cf. infra). Les modèles utilisés sont souvent heuristiques, donc très abstraits et difficiles à appliquer à des situations concrètes, ou inversement ce sont des modèles cherchant à incorporer un maximum de réalisme. Ils pêchent parfois par un excès de complexité ce qui rend très difficile la compréhension des mécanismes qu’ils sont censés représenter (Duménil & Lévy 1999). Contrairement au courant précédent, les intérêts individuels sont ici peu pris en compte (Brousseau 1999). 1.1.2.4.Théorie de la régulation La théorie de la régulation est un programme de recherche essentiellement français, moins développé que les précédents, mais qui entretient des liens étroits avec le courant institutionnaliste américain du début du XXème siècle (en particulier les analyses de Commons sur les droits de propriété et la relation salariale ou le rôle des institutions dans l’étude des types de transaction)5. Elle mérite d’être citée ici car de nombreux travaux portent sur les modes d’accumulation alternatifs au fordisme. La théorie de la régulation, initiée au milieu des années 70, entre autres par M. Aglietta et R. Boyer (Boyer 1995a) a une approche essentiellement macroéconomique et structuraliste. Son objet est de comprendre les relations entre les phénomènes économiques (production et échanges), et les institutions de l’économie. Elle part de l’hypothèse que les mécanismes économiques sont largement conditionnés par les relations établies entre les différents types d’agents économiques. Une interrogation centrale est la compréhension de l’articulation entre la permanence des institutions et leur évolution permanente. Elle est donc à la fois proche de l’institutionnalisme américain, et elle assume ses origines marxiennes, mais avec réalisme : il ne s’agit plus d’établir de grandes lois tendancielles ni de prédire la chute du capitalisme, mais d’analyser les différents rapports de production au sein du capitalisme et leur évolution. La méthode repose pour beaucoup sur la recherche de régularités historiques en longue période. Elle est donc marquée par un certain inductivisme, mais pose néanmoins un cadre théorique structuré. Trois niveaux de régulation d’abstraction décroissante sont distingués : le mode de production (en l’occurrence le capitalisme, caractérisé par l’accumulation du capital), le régime d’accumulation (actuellement, essentiellement le fordisme), et la forme institutionnelle (définie comme un ensemble de régularités dans les relations entre agents économiques pour un certain type d’échange). La théorie définit cinq types de formes institutionnelles (Boyer 1995b) : - La monnaie : métallique ou dématérialisée, outil de domination d'une logique privée ou publique, elle interagit fortement avec les cycles réels. 5 Certains auteurs suggèrent d’élargir le champ théorique de la théorie de la régulation pour bâtir un programme institutionnaliste plus global tirant également profit des acquis de la théorie des conventions (Théret 2000, Eymard-Duvernay 2002), voire du néo-institutionnalisme. 15 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie - - La configuration du rapport salarial : relations mutuelles entre différents types d'organisation du travail, mode de vie et de reproduction du travail salarié. La concurrence : la façon dont se fait la coordination des décisions entre firmes, où peut dominer une logique de confrontation ex post des travaux privés, ou de coordination ex ante entre producteurs et clients. Les formes de l'Etat, ensemble de compromis institutionnalisés. Les modalités d'adhésion au régime international. Plusieurs travaux récents (Benko & Lipietz 1995, Gilly & Pecqueur 2001) se sont intéressés à l’analyse des systèmes productifs locaux comme régimes d’accumulation alternatifs au fordisme. Toutefois, ils ne se prononcent pas sur leur évolution future comme le font Piore & Sabel (1984), ou Storper & Harrison (1992) qui penchent pour l’émergence d’un nouveau mode d’accumulation « flexible » appelé à remplacer le fordisme. Par exemple, l’un des arguments invoqués pour expliquer une désintégration verticale est de réduire les risques dans un contexte global incertain (une perte de rentabilité sur une partie du système n’entraînera pas l’ensemble dans sa chute). La notion de gouvernance locale est utilisée pour introduire un niveau intermédiaire (« méso ») entre le niveau macroéconomique et le niveau individuel. La gouvernance locale se définit comme l’ensemble des procédures de coordination entre agents utilisées lors des relations économiques. La notion de dispositif régulatoire territorial, proposée par Gilly & Pecqueur (2001), permet d’expliciter l’articulation entre le système macroéconomique et la structure de gouvernance locale. 1.1.2.5.Autres programmes de recherche Les programmes de recherche présentés dans les paragraphes qui précèdent sont particulièrement intéressants par l’ampleur de leurs productions et leur fécondité, au moins dans le domaine qu’ils entendent explorer. Pour être plus complet, il convient d’évoquer brièvement d’autres programmes de recherche, qui ont souvent des points communs et recouvrements avec les courants discutés plus haut. Citons notamment : - L’économie du travail, notamment la théorie de la segmentation, qui prolonge l’approche néo-institutionnaliste, et analyse le rapport salarial comme résultant de l’interaction entre un marché du travail interne à la firme et un marché externe. Il s’agit moins d’un programme de recherche autonome que d’un ensemble d’applications de méthodes relevant de l’analyse microéconomique et du néo-institutionnalisme. - L’école néo-autrichienne (en particulier les travaux de Hayek), qui considère la société comme un ordre spontané, résultant de l’action non intentionnelle des agents économiques, mais estime que l’analyse de son fonctionnement (par la microéconomie ou d’autres outils) en vue d’établir des relations causales est essentiellement vaine. - La théorie des contrats, qui fait partie de la « nouvelle microéconomie » (Cahuc 1999), et qui approfondit les relations stratégiques entre contractants en information incomplète, et permet de développer certaines idées du courant néo-institutionnaliste. - L’économie des conventions, courant essentiellement français qui reprend certaines analyses du néo-institutionnalisme et de l’évolutionnisme, en s’attachant à étudier le rôle des conventions, règles de comportements non formalisées et relevant à la fois de la contrainte et de l’accord collectif, dans l’activité économique (Ramaux 1996). - Les travaux autour du thème de la proximité, qui rejoignent souvent les préoccupations relatives à l’organisation locale dans l’analyse de la structure industrielle (cf. par exemple Zimmermann 1995 et surtout l’ouvrage de Rallet & Torre 2001). 16 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie - Des travaux plus en marge de l’économie (souvent proposés par des chercheurs provenant d’autres disciplines) qui tentent de simuler les réseaux de relations entre agents économiques et leur évolution (Kirman 1999 passe en revue les principales approches). Conclusion de la section De la présentation, qui reste volontairement superficielle, de ces quelques programmes de recherche, on retiendra plusieurs points communs, outre l’accent mis (de manière à chaque fois différente) sur l’organisation : rationalité limitée, dépendance de la trajectoire historique (donc importance de l’aspect dynamique), richesse des comportements possibles (et potentiellement efficients). Néo-institutionnalisme et évolutionnisme tendent de plus en plus à se rapprocher du courant dominant, ce qui leur vaut une bonne reconnaissance au sein du monde académique. Les différents travaux cités ci-dessus portent souvent sur des aspects bien précis de l’économie, et les différents courants sont donc largement impossibles à comparer entre eux sur le plan de leur intérêt scientifique. Chacun apporte un éclairage sur les phénomènes d’organisation, ainsi : - La microéconomie fournit des outils très généraux et rigoureux pour représenter les mécanismes de pur marché, qui sont toujours présents, quelle que soit l’importance des phénomènes d’organisation. En revanche, elle a du mal à intégrer les rapports personnalisés et non marchands. - Le néo-institutionnalisme explique de manière simple la coexistence de nombreuses formes d’organisation industrielle. Cependant, l’explication des formes intermédiaires entre marché et intégration au sein d’une hiérarchie reste à développer. - L’évolutionnisme et la théorie des conventions expliquent notamment comment des comportements coopératifs non optimaux à très court terme peuvent se maintenir voire s’étendre. Elle n’accorde parfois pas une place suffisante aux comportements individuels non coopératifs et certains modèles sont si abstraits qu’on n’y distingue plus l’activité économique. - La théorie de la régulation s’efforce de montrer l’importance de l’articulation entre les différentes formes institutionnelles pour comprendre le fonctionnement des systèmes économiques. Elle peut pécher par un excès de holisme et de téléologie, comme beaucoup de démarches systémiques. Ce constat d’hétérogénéité reflète la diversité des situations pour lesquelles on peut invoquer un phénomène d’organisation : efficience des relations entre entreprises, apparition et propagation de normes ou conventions nouvelles, effets de verrouillage dans l’évolution économique, catalyseur d’innovations, alternatives de développement économique au niveau de petits territoires… Une synthèse de ces différents travaux est donc à l’heure actuelle illusoire. La démarche la plus sûre est de faire progresser chaque courant dans le sens d’un élargissement de la classe de phénomènes qu’il peut expliquer. C’est la démarche choisie dans ce mémoire à partir de la microéconomie. Après avoir passé en revue ces différentes approches, nous pouvons à présent préciser les différents mécanismes par lesquels l’organisation peut influer sur l’efficacité économique, et examiner dans quelle mesure il est possible de classifier les systèmes productifs selon le type d’organisation qui y prédomine. 17 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie 1.2. Effets organisationnels et systèmes productifs localisés Ayant présenté dans la section précédente les principaux courants concernés, nous allons ici tenter de cerner les effets d’organisation, c’est-à-dire les mécanismes par lesquels les phénomènes d’organisation économique influent sur l’efficience économique. Il ne s’agit pas de tenter une synthèse des programmes de recherche précédemment évoqués, mais plutôt d’expliciter plus clairement les mécanismes possibles au niveau des agents économiques. Une revue rapide de quelques études de cas permettra d’illustrer ces effets d’organisation. Nous considérerons alors la possibilité d’établir des typologies des modes d’organisation, adaptées aux espaces ruraux, pour ensuite sélectionner plusieurs effets, parmi les plus significatifs, à étudier dans le cadre de ce mémoire. Il convient auparavant de donner quelques précisions sur la délimitation de ce travail. Le présent mémoire se limite à l’étude de phénomènes d’organisation situés dans une zone géographique restreinte, que l’on nommera territoire. La proximité géographique est d’ailleurs supposée jouer un rôle dans ces phénomènes d’organisation. La notion de territoire mériterait une définition plus précise, mais comme la suite du mémoire raisonne essentiellement sur des entités géographiques abstraites, on se contentera de définir le territoire comme une zone géographique contiguë appropriée par les agents économiques, et dans laquelle ils exercent une certaine influence. Nous nous intéresserons donc ici aux systèmes productifs localisés (SPL). Un SPL sera défini comme un ensemble d’unités de production situées dans un même territoire et entretenant entre elles des relations de nature diverse, plus ou moins intenses. Ce vocable est délicat à employer car il recouvre des réalités et des théories sous-jacentes très différentes (Courlet 2001 fournit une analyse détaillée de la notion et des travaux empiriques et théoriques l’utilisant). Un système productif localisé peut donc être constitué d’activités plus ou moins hétérogènes, plus ou moins interdépendantes, avec plus ou moins de cohérence et de coopération, ayant des liens avec l’extérieur de types variés. Toutefois, à cette étape de la réflexion sur les phénomènes d’organisation, le caractère imprécis de la notion de SPL est aussi un avantage pour se permettre d’étudier des mécanismes variés. 1.2.1. Les effets d’organisation La question qui nous préoccupe ici est de savoir par quels mécanismes l’organisation peut influencer la compétitivité du système productif. La réalité de cette influence est manifeste : ainsi, les réussites et les échecs de la politique de création de métropoles d’équilibre en France ou dans les PVD montrent bien que le processus d’industrie industrialisante dans les pôles de croissance, découlant des effets d’entraînements marchands directs et indirects (Perroux 1955) n’est en rien automatique, quand bien même le capital injecté est important (cf. par exemple Lipietz 2001). Mais cette constatation est trop générale pour être exploitable directement. Il convient de s’interroger sur ce qui fonde cette plus grande efficacité productive. Pour accroître la rentabilité d’une activité, nous allons distinguer : - la baisse des coûts de production, grâce à une technologie (au sens large, incluant le facteur travail) plus efficace et une diminution du coût des intrants (y compris coûts de transaction). - l’accès moins coûteux à un marché plus vaste, grâce à la baisse des coûts de transport (ou plus généralement de la distance) et de distribution (y compris coûts de transaction) - la stimulation de la demande grâce à l’attribution de caractéristiques qualitatives recherchées par les consommateurs (principe de différenciation). 18 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie Ces trois types de « sources de rentabilité » constituent une première clé de lecture des effets d’organisation. D’autre part, la discussion sur la nécessité de prendre en compte les mécanismes non marchands et la revue des différents programmes de recherche de la section précédente, permettent de dégager deux grands types de mécanismes au niveau des agents économiques, sur lesquels l’organisation peut avoir un impact décisif : - Les effets externes, dans le prolongement des travaux de Marshall, qui se retrouvent dans le courant évolutionniste, mais peuvent aussi être intégrées dans un formalisme microéconomique (cf. par ex. Fujita & Ogawa 1982, ou Soubeyran & Thisse 1999). Dans ces travaux, la fonction de gain des agents économiques dépend de leur interaction avec leurs voisins. - L’importance des coûts de transaction dans certaines situations, qui concerne donc surtout l’approche néo-institutionnaliste. Cette fois, l’organisation est étudiée non seulement entre les agents, mais aussi « à l’intérieur des agents » que sont les entreprises, dont les frontières peuvent être floues. Ces deux types de mécanismes peuvent en toute généralité transiter ou non par le marché, mais ont en commun d’être fortement influencés par la nature des relations personnelles entre agents économiques. Leur étude nécessite de rompre le « voile des prix » et l’anonymat des agents. Nous pouvons à présent croiser les sources de rentabilité et les types de mécanismes pour proposer une classification des effets d’organisation territoriale possibles : Effets externes positifs Baisse - Complémentarités verticales : des coûts de cohérence du système input-output production - Qualités de la main-d’œuvre : docilité, effort, motivation… - Autorenforcement des compétences : expérience, turnover important, formation sur le tas - Circulation de l’information sur les évolutions techniques. - Coopérations ponctuelles de type donnant-donnant Baisse de - Biens utilisés en commun : coût d’accès infrastructures, réseaux… aux marchés - Fidélité locale aux produits locaux - Barrières à l’entrée pour créer une situation de collusion pour des produits très spécifiques. Adéquation - Circulation de l’information sur les à la demande marchés extérieurs. - Atmosphère propice à l’innovation grâce à un dosage équilibré de concurrence et de coopération. - Complémentarités horizontales : production de biens associés - Réactivité aux chocs extérieurs : grâce à la diversité et aux complémentarités du tissu productif local 19 Economies de coûts de transaction - Accès préférentiel à des ressources naturelles locales - Accès plus aisé au crédit (mobilisation de l’épargne locale, réputation…) - Main-d’œuvre spécialisée et adaptée aux besoins, disponible sur place, et « captive », d’où appariement efficace - Fidélité aux fournisseurs locaux sans que ceux-ci abusent d’une situation de monopole. - Mobilisation efficace de distributeurs adaptés au produit. - Tarifs préférentiels pour des livraisons communes (négociations communes, économies de coût fixe). - Confiance sur la qualité des produits : économie de recherche d’information de la part des consommateurs et des distributeurs. - Autres effets de réputation, par exemple économie de frais de publicité,… Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie On note à nouveau que la notion d’organisation a ici une acception très vaste : le climat social, et l’identité locale sont inclus dans l’analyse, dans la mesure où ces aspects se traduisent par une cohésion au niveau des relations interpersonnelles. De même, la notion d’effet externe inclut effets pécuniaires et non pécuniaires. La distinction entre effets externes et coûts de transaction est parfois litigieuse (d’ailleurs certains auteurs comme Coase considèrent que les deux mécanismes sont intrinsèquement liés). Ainsi, l’accès préférentiel à des ressources naturelles locales pourrait aussi être considéré comme une externalité positive. Les coopérations ponctuelles ne sont pas vraiment des effets externes au sens strict, mais en sont proches : la firme qui prête une machine exerce bien un effet sur la fonction objectif d’une autre firme sans répercussion dans les prix. D’autre part, certains effets sont à double face. Par exemple, l’autorenforcement des compétences constitue une externalité positive du point de vue de la production pour les firmes (en l’absence d’organisation, elles n’auraient pas intérêt à donner à leurs employés des compétences pouvant profiter aux autres firmes). Il permet une économie de coût de transaction du point de vue du recrutement, à la fois pour les travailleurs et les firmes. Rappelons que cette classification n’a pas pour ambition de transcender les différentes recherches sur les phénomènes d’organisation économique, mais d’approfondir l’analyse de la diversité des relations possibles entre organisation et efficacité économique. Il faut aussi souligner que les phénomènes d’emploi en milieu rural (comme ailleurs) sont bien plus complexes que ce que le tableau ci-dessus le suggère. De plus, l’argument de bon appariement des travailleurs aux employeurs en milieu rural est à double tranchant : il peut aussi indiquer une certaine difficulté à innover et à évoluer. De fait, l’urbanisation facilite aussi un bon appariement, par des réseaux autres que l’interconnaissance, à cause de la diversité des emplois et des travailleurs, mais dans ce cas avec (au contraire du milieu rural) une grande faculté d’adaptation. Certains travaux tentent une description plus fine des mécanismes élémentaires à l’œuvre dans les systèmes localisés de production. Par exemple, Perrat (2001) propose une clé de lecture détaillée des différents types d’externalités, croisant une approche « fonctionnelle » avec une approche « substantielle ». Nous nous en tiendrons à cette classification simple, qui va nous servir à examiner les développements possibles en matière de formalisation des effets d’organisation. En vue de l’exploiter dans la suite du document, nous allons présenter différemment les mécanismes identifiés de la manière suivante, qui regroupe les effets d’organisation par élément du processus de production concerné : a) Accès et prix des facteurs : accès préférentiel à des ressources naturelles locales, accès préférentiel au crédit, main-d’œuvre spécialisée, captive, acceptant des salaires inférieurs. b) Efficacité interne aux firmes : qualités de la main-d’œuvre, autorenforcement des compétences. c) Relations entre firmes : complémentarités verticales et coopérations ponctuelles circulation de l’information technique, circulation de l’information sur les marchés, fidélité aux fournisseurs locaux, biens utilisés en commun. d) Relations avec les marchés : tarifs préférentiels, mobilisation efficace des distributeurs, fidélité aux produits locaux, barrières à l’entrée. 20 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie e) Nature de la demande : atmosphère propice à l’innovation, confiance sur la qualité des produits, complémentarités horizontales, baisse des coûts de publicité, réactivité aux chocs exogènes. Voyons à présent quelques exemples concrets de situations en zone rurale dans lesquelles des effets d’organisation parmi ceux que nous venons d’énumérer interviennent. 1.2.2. Quelques études de cas en zone rurale Il existe de nombreuses monographies sur des territoires ruraux qui ont, parfois contre toute attente, connu une dynamique de développement économique, en général attribuée pour partie à leur capacité d’organisation. Ces territoires se situent souvent dans des régions tenues à l’écart de la révolution industrielle, et qui ont longtemps gardé une base productive fortement agricole (Pecqueur 2000). Afin de donner une idée de la diversité de ces contributions, nous présentons ici brièvement quelques cas qui ont fait l’objet d’une analyse théorique. Les concepts théoriques mobilisés dans ces travaux sont fort divers et illustrent bien la diversité des approches possibles : aucune de ces études de cas ne se réfère entièrement à l’un des programmes de recherche cités plus haut. L’ordre adopté dans cette liste correspond d’abord aux cas les plus exemplaires en matière d’industrialisation rurale, pour donner de plus en plus de poids aux exemples de développement basé sur l’agriculture. 1.2.2.1. Districts italiens (Beccatini 1988) Il s’agit de la référence incontournable en matière de systèmes productifs localisés. Les travaux de Beccatini ont remis à l’honneur les districts industriels étudiés par Marshall. Parmi la centaine de districts de la « Troisième Italie » recensés dans les années 70 et 80 (le nombre est variable selon les auteurs), certains comme celui de Prato sont exemplaires. On y retrouve tous les attributs de la philosophie du développement local : forte imbrication petites entreprises – travailleurs – territoire, fidélité de la clientèle extérieure (grâce à l’image du territoire), division très poussée du travail, grande flexibilité, grande mobilité interne du travail, pléthore d’innovations, économies d’échelle externes, autonomie, et parfois, soutien actif du secteur public… C’est le modèle des districts italiens qui a en partie déclenché certains travaux enthousiastes sur l’émergence du modèle dit d’accumulation flexible (Piore & Sabel 1982), proposé comme paradigme émergent du « post-fordisme ». Mais il faut reconnaître que le cas semble plutôt isolé, dû à la conjonction fortuite de facteurs particulièrement favorables. Une analyse approfondie montre que les autres exemples de systèmes assimilés à ces districts (Amin & Robins 1989) ne partagent en réalité avec eux que peu de caractéristiques. Ainsi, on a voulu voir dans l’Orange County et la Silicon Valley aux Etats-Unis de bons modèles non italiens (Markusen, 2000), mais la comparaison s’avère en fait peu satisfaisante. Il faut donc retenir que l’exemple des districts industriels italiens n’est pas nécessairement le plus éclairant pour comprendre les voies possibles du développement rural. 1.2.2.2. Oyonnax (Dupuy, Gilly, Perrat 2001) Jusque dans les années 80, la « plastic vallée » avait connu une évolution quasiment exemplaire, sur le modèle d’un district marshallien, à partir d’une activité artisanale traditionnelle autour des métiers du bois. Elle conjuguait concurrence et coopération, avec des incitations fortes aux travailleurs (promotions internes et externes). Puis, face à la pression des donneurs d’ordres, le district a connu un éclatement : forte hiérarchisation, délocalisations, 21 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie difficultés avec le système de formation, rupture des relations d’emploi. Actuellement, ce système productif local est encore à la recherche d’un nouveau mode de gouvernance. Ce cas illustre à quel point la réussite à long terme d’un territoire dépend de sa capacité d’adaptation. 1.2.2.3. Vallée de l’Eyrieux, Diois, et Maurienne (Guérin, Aubert, Perrier-Cornet, Sylvestre 1998, Guérin & Perrier-Cornet 2000) Ces études de cas ont pour but de comparer trois territoires contrastés, à l’aide d’une grille de lecture basée sur le type de structure de gouvernance, et le type de stratégie prévalant pour maintenir ou développer l’activité économique. Dans la vallée de l’Eyrieux, la gouvernance est de type privé (industrie), et on observe la permanence d’un mode de production ancien (industrie rurale) mais avec réalisme (délocalisation partielle dans les PVD). Les synergies entre firmes sont rares, mais la relation d’emploi est de type paternaliste, avec d’assez hauts salaires. De ce fait, un fort sentiment d’appartenance existe au sein de la main d’œuvre, avec de fortes barrières à l’entrée aux personnes extérieures (facilitées d’ailleurs par une situation géographique enclavée). Dans le Diois, la gouvernance est de type publique (district rural de développement), et cherche à faciliter le développement de coordinations non marchandes. La stratégie se base sur la valorisation des aménités (tourisme, produits de qualité), mais il existe peu de prospection d’entreprises extérieures (il n’existe pas d’entreprise motrice). Un sentiment d’appartenance est en construction, et les animateurs du territoire affichent une forte volonté d’accueil, grâce à une situation géographique ouverte (autoroute). Dans la Maurienne enfin, une gouvernance publique est en construction, rendue nécessaire par la reconversion industrielle en cours dans la vallée, qui s’oppose à une montagne touristique (sports d’hiver). La dépendance externe est forte (beaucoup d’entreprises locales sont des filiales), et la situation géographique assez enclavée, ce qui rend difficile le processus de développement. 1.2.2.4. PNR du Haut Languedoc et du Lubéron (Bertrand, Guérin, Moquay, Vollet 2000) Cette étude de cas compare deux types de trajectoires en matière de dynamique des entreprises dans deux zones à fortes aménités rurales qui ont le statut de parc naturel régional. Dans le Lubéron, on assiste à un développement du tertiaire, facilité par l’attrait du cadre de vie pour les créateurs et cadres mais handicapé parfois par la difficulté à trouver un personnel adapté à l’activité économique. Le Haut Languedoc, plus précisément la région du Sidobre, reste caractérisée par la domination de l’industrie d’extraction du granit, avec quelques coordinations existantes entre industries. En revanche, on note une sous-utilisation des structures publiques destinées à dynamiser l’activité économique. 1.2.2.5.Aubrac et Cézallier (Diry, Guérin, Vollet 2000) Cet article compare également deux territoires ruraux de caractéristiques initiales analogues, mais connaissant des évolutions opposées.Dans l’Aubrac, une gouvernance mixte publique/privée est identifiée. Bien que l’agriculture reste dominante, et l’industrie peu présente, il existe une dynamique depuis le début des années 90, avec l’essai de développement d’un tourisme vert relativement peu créateur d’emplois, malgré des indices de la présence d’une rente de qualité territoriale associant produits agricoles (AOC), artisanaux (coutellerie) et touristiques (cette étude peut être rapprochée de celle de Lacroix, Mollard & Pecqueur (2000) sur la rente de qualité territoriale dans la région de Nyons). En revanche, dans le Cézallier, l’action publique semble globalement peu dynamique (malgré une communauté de communes), il n’existe pas d’initiative de coordination de l’activité économique. De plus, l’agriculture, qui reste largement dominante, subit une « colonisation de terres par des extérieurs » (notamment Aveyronnais). 22 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie 1.2.2.6. Les SPL de Castilla y Leon (Juste Carillon 1997) Cette étude met en évidence le faible nombre de SPL en Castilla y Leon (en comparaison du reste de la péninsule ibérique), et leur fragilité due à leur spécialisation (IAA et bois), l’atomisation des unités, la faible capacité d’investissement et leur faible intégration internationale alors que la concurrence est de plus en plus vive. Elle suggère comme opportunités de tirer parti de la flexibilité d’adaptation, de mettre en valeur la qualité et la spécificité des produits, la coordination et la coopération entre entreprise (avec un certain niveau de concentration, inévitable et déjà en cours). 1.2.2.7. Les différentes filières AOC (Perrier-Cornet & Sylvander 2000) Bien qu’un modèle d’intégration territoriale (gestion collective, forte coordination de moyens…) semble devoir être la règle, des types de gouvernance purement sectoriels (basés sur la concurrence et l’individualisme) existent aussi. Quatre types de systèmes peuvent être distingués : gouvernance sectorielle pure, gouvernance sectorielle AOC, gouvernance territoriale faible, gouvernance territoriale forte. La comparaison la plus flagrante est celle entre l’AOC Comté (où une rente importante est captée par les producteurs), et les AOC du Massif central (où le prix du lait valorisé en AOC ne connaît pas de majoration). 1.2.2.8. Rhöngold (Knickel & Renting 2000) Cette étude concerne la mise en place d’une stratégie de développement intégré (agriculture, tourisme, services) basée sur la mise en valeur d’une réserve biologique UNESCO, et une laiterie biologique. Elle analyse des interactions entre composants et met en évidence des effets directs et indirects, et les synergies possibles. Elle considère l’environnement comme un avantage comparatif majeur, source de nombreux effets d’entraînements, à condition que l’organisation locale permette de garantir la préservation de sa qualité. 1.2.2.9. Synthèse Reprenons les études de cas citées ici, à la lumière de la classification proposée en § 1.2.1., et tentons de citer pour chaque cas les effets principaux invoqués, ainsi que l’activité économique sur lequel ils portent : Districts italiens Oyonnax Vallée de l’Eyrieux Diois Maurienne Lubéron Haut Languedoc Aubrac Cézallier Castilla y Leon Filières AOC Rhöngold Activité motrice principale Industrie spécialisée Effets organisationnels principaux Plasturgie Industries diverses Tourisme et produits de qualité Tourisme, à définir pour la vallée. Tertiaire Industrie du granit Tourisme vert, produits de qualité. Agriculture IAA et bois Produits de qualité Tourisme et produits de qualité. 23 Complémentarités verticales, qualité de la main-d’œuvre, effets de réputation Main-d’œuvre captive, synergies à retrouver Main-d’œuvre spécialisée et docile. Complémentarités horizontales, effets de réputation Circulation de l’information favorisée par l’intervention publique ? Circulation de l’information ? Accès préférentiel à des ressources locales. Complémentarités horizontales, effets de réputation Fidélité aux produits locaux ? A mettre en place Barrières à l’entrée, effets de réputation Complémentarités horizontales, effets de réputation Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie Ce tableau synthétique n’épuise pas, bien entendu, toutes les observations qu’il est possible de faire sur les mécanismes à l’œuvre dans ces territoires, puisqu’il ne fait que reprendre, avec le vocabulaire de la sous-section précédente, les effets qui sont le plus mis en avant dans les études de cas citées plus haut. Il illustre surtout la diversité des territoires du point de vue de ces mécanismes. Certains semblent associés à certaines activités, comme les complémentarités horizontales avec la valorisation des aménités rurales. Pour aller plus loin, nous allons à présent nous situer non plus au niveau des mécanismes entre agents économiques, mais aborder la caractérisation des territoires dans leur ensemble, et leur dynamisme économique global. 1.2.3. Quels éléments discriminants pour caractériser les territoires ? Dans cette sous-section, nous examinons dans quelle mesure il est possible de caractériser globalement l’organisation économique d’un territoire, et tentons d’établir un lien avec certains mécanismes présentés dans la sous-section 1.2.1. Cette discussion permettra de circonscrire davantage la problématique du mémoire, qui est l’objet de la section suivante. 1.2.3.1. Quelques typologies de l’organisation des territoires existantes dans la littérature Les études de cas citées dans la sous-section précédente adoptent des méthodologies variées. Plusieurs classifications et typologies des modes d’organisation des territoires ont été proposés au sein ou en marge de ces travaux. En voici quelques exemples, volontairement hétérogènes : - Aubert, Guérin & Perrier-Cornet (2001) investissent la notion de capital organisationnel dans les territoires. A l’image du capital matériel ou humain, le capital organisationnel pourrait faire l’objet d’une accumulation, d’un amortissement, et pourrait être considéré comme un facteur de production. - Storper & Harisson (1992) croisent l’intensité hiérarchique du système (système « tout halo » sans hiérarchie, « halo-noyau » avec coordination par une firme dominante sans rapports hiérarchiques forts, « halo-noyau » avec forte hiérarchie) avec la distribution de taille des entreprises et leur concentration spatiale. - Guérin (1999) distingue coordinations marchandes (sous-traitance, par exemple) et non marchandes (partage d’informations, formations…), et croise cette distinction avec l’intensité relative de l’intervention privée et publique dans la coordination. - Pecqueur (2000) et Colletis et al. (1999), et Dupuy, Gilly & Perrat (2001) ciblent leur analyse sur la gouvernance, qui peut être privée, privée collective, publique ou mixte. Ils définissent trois types de trajectoires territoriales : agglomération, spécialisation, spécification. En outre, ils distinguent le fonctionnement des systèmes productifs localisés à industrialisation diffuse et incubateurs (associant étroitement recherche, formation et production). - Perrier-Cornet & Sylvander (2000) distinguent quatre modes de gouvernance (cf. supra §1.2.2.7.) pour les systèmes AOC, empruntés à Barjolles, Chappuis & Sylvander (1998). - Markusen (2000) distingue quatre types de systèmes productifs industriels (« lieux aimants » : district marshallien, district « moyeu-rayon », district « satellite », et districts d’Etat (dont l’activité dépend d’un établissement public important). - Jayet (1996) oppose deux cas extrêmes d’organisation des groupes d’agents. Dans le premier, archétype du rural, l’interconnaissance, les barrières à l’entrée et à la sortie sont fortes et les acquis organisationnels très spécifiques. Dans l’autre, la mobilité et la liberté personnelles sont plus grandes, au prix d’une plus grande insécurité économique et sociale. 24 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie Ces analyses se focalisent sur des aspects très divers qu’il est difficile (et sans doute inutile à ce stade) d’essayer d’unifier. Les typologies obtenues sont nécessairement stylisées, et les mécanismes élémentaires difficiles à discerner. On peut remarquer que beaucoup insistent particulièrement sur le mode de gouvernance qui prévaut dans les territoires. Cet aspect ne sera pas traité dans la suite, car ses relations avec les phénomènes économiques sont encore mal définies et il est trop complexe pour être replacé au niveau microéconomique qui sera le notre dans la suite du mémoire. Nous laisserons en particulier de côté la distinction public/privé. Cependant, la conclusion du mémoire reviendra sur l’intérêt de ce concept de gouvernance. En revanche, il est possible de relever dans ces typologies deux critères possibles de classification au niveau des territoires, qui semblent particulièrement importants et peuvent être reliés directement à des mécanismes microéconomiques. Ces critères sont communs, sous des formes variables, à plusieurs typologies, et figurent tous deux en bonne place dans le « paradigme du développement local ». 1.2.3.2. Deux critères de différenciation particulièrement mis en avant dans les typologies Ces deux critères sont les suivants : a) En premier lieu, le degré d’interaction et de complémentarité entre éléments locaux de la vie économique. Il traduit au niveau du territoire les effets élémentaires liés aux relations entre firmes locales, l’efficacité d’appariement de la main-d’œuvre, et parfois aussi des complémentarités horizontales. Ce critère oppose par exemple district marshallien et district satellite dans Markusen (2000), système « tout halo » et « halo-noyau hiérarchisé » dans Storper & Harisson (1991). Il oppose aussi les systèmes productifs intégrés et les systèmes basés sur des filières indépendantes (gouvernance territoriale contre gouvernance sectorielle chez Perrier-Cornet & Sylvander (2000)). On retrouve aussi la même idée dans Saxenian (1994), qui oppose le dynamisme (dû à l’efficacité des réseaux locaux et ouverts sur l’extérieur) de la Silicon Valley, au déclin de la route 128… Ces complémentarités ne sont pas restreintes aux relations input-output entre firmes : elles incluent les liens avec la main d’œuvre et les ressources naturelles. La relation d’emploi joue un rôle important, en particulier en zone rurale : d’une part par le biais de la structuration du marché du travail (théorie de la segmentation), d’autre part parce que les aspects sociologiques expliquent en partie la stabilité de la main d’œuvre rurale, et ses relations avec le patronat. Ce premier critère est directement lié à l’organisation économique à l’échelle de ces territoires, et il est souvent mis en avant dans les discours sur le « développement intégré des territoires » (LOADDT par exemple). En prenant une métaphore écologique, il est souvent affirmé que plus les interdépendances sont nombreuses au sein d’un écosystème, plus celui-ci est robuste face à une modification exogène (cf. par exemple Passet 1996). Ce critère est directement lié aux effets de baisse des coûts de production, plus particulièrement de complémentarité verticale, de qualité de la main d’œuvre, de main d’œuvre spécialisée, et d’accès préférentiel à des ressources naturelles locales. b) Deuxièmement, la nature de l’avantage comparatif recherché ou le type de stratégie de compétitivité, en opposant stratégies basée sur la baisse de coûts et sur la différenciation et l’innovation. Cette dichotomie est classique et on la retrouve par exemple en toile de fond dans la littérature sur les systèmes AOC, ainsi que celle sur la spécialisation flexible. Une stratégie axée sur la différenciation correspond à l’activation des effets d’organisation suivants : atmosphère propice à l’innovation, mise en confiance sur la qualité des produits, ainsi que réactivité aux chocs exogènes et parfois complémentarités horizontales et barrière à l’entrée. 25 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie Ce second aspect ne concerne pas directement l’organisation, puisqu’il est relatif au type de stratégie de compétitivité. Néanmoins, dans le paradigme du développement local, on considère usuellement : - d’une part que les espaces ruraux n’ont pas avantage à jouer sur la concurrence par les prix (hormis pour les ressources naturelles), - d’autre part que les stratégies de différenciation, nécessairement innovantes, sont facilitées par l’efficacité de l’organisation territoriale en place. Il faut bien sûr que l’avantage comparatif, basé sur des ressources spécifiques, existe, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Il peut aussi exister des ressources spécifiques qui ne débouchent pas sur un produit recherché par les consommateurs ! Nous allons donc à partir de maintenant nous concentrer sur ces deux critères, que l’on retrouve à la fois dans la littérature académique et dans les démarches de développement local. Ils ne vont pas nécessairement de pair, et surtout il faut souligner que rien n’assure qu’il est possible d’attribuer une « note » à chaque territoire, même de petite taille, selon ces critères, qui sont assez réducteurs. Un territoire donné peut avoir diverses activités motrices, qui n’ont pas nécessairement des caractéristiques homogènes. Ainsi, une stratégie dynamique de différenciation pourra prévaloir dans une certaine activité, tandis qu’une autre cherchera à abaisser ses coûts au maximum pour être compétitive. Dans les monographies, où l’on cherche des territoires intéressants à décrire, on peut s’attendre à trouver des situations « stylisées ». Les monographies éclairent les processus en jeu, mais il faut bien être conscient des écueils dans les tentatives de généralisation de leurs résultats. 1.2.3.3. Application aux études de cas précédentes Il est maintenant possible de classer les territoires cités dans la sous-section 1.2.2. à l’aide de ces deux critères. Rappelons à nouveau que ces territoires ont été nécessairement choisis en raison de leur typicité au regard de leur réussite économique et de la qualité de leur organisation locale. Districts italiens Oyonnax Vallée de l’Eyrieux Diois Maurienne Lubéron Haut Languedoc Aubrac Cézallier Castilla y Leon Filières AOC Rhöngold Interaction et complémentarité entre agents Forte Forte, en reconstruction Globalement faible, mais forte entre main-d’œuvre et firmes Faible mais croissante Faible Faible Moyenne Forte Faible Faible Variable Forte Type de stratégie de compétitivité Différenciation et baisse des coûts Baisse des coûts Baisse des coûts Différenciation Réorientation vers différenciation Différenciation Baisse des coûts Différenciation Inexistante (activités en déclin) Baisse des coûts Différenciation, mais produit unique Différenciation On voit qu’avec cette grille simple, il existe déjà une grande diversité de situations, et que l’état à un instant donné n’est pas nécessairement analogue à la dynamique en cours. Il convient donc de prendre en compte l’évolution temporelle pour juger de l’efficience du système. Comme nous l’avons dit en introduction au sujet du développement local, les 26 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie trajectoires des territoires peuvent connaître de multiples retournements en fonction des évolutions internes et externes. Le degré d’interaction et de complémentarité locale semble être un élément déterminant dans les territoires considérés comme dynamiques dans les études de cas. En revanche, la différenciation des produits n’est pas nécessairement la stratégie adoptée par les territoires dont le système de production est performant. Ainsi, une des forces des districts italiens est de parvenir à diminuer les coûts de production et de s’adapter rapidement aux marchés, l’image du produit ne servant que d’appoint. De plus, le cas de la vallée de l’Eyrieux montre qu’une complémentarité faible et une stratégie de baisse des coûts ne sont pas nécessairement synonyme de régression économique, du moins à moyen terme : ce système de production réussit à se maintenir grâce à une forte intégration de la main-d’œuvre, et une politique réaliste de diminution des coûts (délocalisation partielle). Conclusion de la section Dans cette section, nous avons examiné l’importance de l’organisation dans les phénomènes économiques, avec deux points de vue très différents : - La description de mécanismes élémentaires liés à l’organisation - La définition de types de systèmes productifs différant par leur mode d’organisation Comme il fallait s’y attendre, on constate que ces deux niveaux sont difficiles à relier. D’un côté, on liste des mécanismes précis, mais qui ne sont jamais isolés et interagissent fortement entre eux. De l’autre, on utilise des termes vagues tels que « halo et noyau », « coordinations non marchandes », « complémentarités »,… qui recouvrent un ensemble de phénomènes difficiles à observer et à mesurer, et qui découlent pourtant bien des mécanismes élémentaires. Les caractérisations des territoires, provenant de jugements synthétiques, ont un caractère intuitif, flou, insaisissable, comme d’ailleurs le concept général d’organisation. Elles ne donnent de résultats flagrants que dans certains cas exemplaires. Nous rencontrons ici, sous une forme particulière, l’opposition habituelle entre individualisme et holisme, qui contribue pour une grande part à la difficulté des sciences sociales, en particulier la macroéconomie et la sociologie. En l’occurrence, il s’agit de l’émergence de caractéristiques organisationnelles, qui de surcroît interagissent avec l’efficacité économique. De plus, comme on l’a vu, rien ne garantit qu’il soit possible, pour un territoire donné, d’identifier de telles caractéristiques organisationnelles globales. Une questions sous-jacente à ce travail est d’ailleurs de savoir s’il est possible de justifier l’attribution de telles caractéristiques à un territoire en dehors des cas exemplaires de la littérature (toutefois, l’état encore fruste du travail théorique ne permettra que d’y apporter un début de réponse). Autre difficulté, beaucoup de travaux relatifs à l’organisation sont de nature taxonomique ou inductive : ils donnent des clés de lecture pour appréhender les phénomènes non marchands, et tentent d’établir des typologies en rassemblant des cas particuliers. Or, pour être complète, une démarche scientifique doit comprendre l’explicitation de mécanismes économiques, dans le but d’obtenir des énoncés de nature inférentielle, auxquels il sera possible de faire subir des tests empiriques. Comme on l’a vu dans cette revue, certes succincte, d’études de cas et de typologies, il n’est pas aisé de déceler des régularités à l’échelle des territoires, qui pourraient se prêter à une démarche hypothético-déductive. Dans ce but, le parti-pris de ce travail est de se situer au niveau microéconomique. 27 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie 1.3. Problématique du travail théorique de ce mémoire Cette section expose les points sur lesquels ce mémoire se propose d’apporter un approfondissement, ainsi que les méthodes utilisées. Elle présente d’abord les objectifs généraux : il s’agit, d’une part, d’appréhender la façon dont les effets organisationnels peuvent être incorporés dans des modèles formalisés de type microéconomique, et d’autre part, de tirer quelques implications de tels modèles. Elle expose ensuite le déroulement général du travail. Enfin, une dernière sous-section précise les questions qui n’ont pu être traitées dans le cadre du DEA. 1.3.1. Objectifs, démarche générale adoptés et leur justification Dans le but de contribuer à la compréhension de l’impact de phénomènes d’organisation sur l’activité économique en zone rurale, l’idée de base du mémoire est d’incorporer des effets organisationnels dans un formalisme microéconomique. Les caractéristiques de l’espace rural (caractère par définition économiquement « peu dense », opportunités de développement innovant reposant surtout sur l’organisation), en font un espace bien adapté à ce genre d’analyse. Il semble plus facile d’y isoler un effet propre dû à l’organisation. Pourquoi se situer dans le formalisme microéconomique ? Quelles que puissent être ses insuffisances pour décrire l’ensemble des phénomènes économiques actuels, la théorie néoclassique représente de manière convaincante les mécanismes économiques les plus importants, et constitue un point de départ incontournable. A l’inverse, on a vu que les approches alternatives se concentraient sur certains aspects particuliers, certes essentiels dans certaines situations et à certaines échelles, mais restaient encore insuffisantes pour appréhender de manière générale le fonctionnement d’ensemble d’un système productif localisé. Ainsi, le formalisme utilisé en théorie néo-institutionnaliste résume les aspects productifs de façon encore plus simplifiée que la théorie néo-classique, dans la mesure où il est conçu pour comparer des mécanismes de nature très différente (échanges marchands, hiérarchie). Il en est de même de celui utilisé dans les travaux évolutionnistes. Tous deux peuvent très difficilement incorporer explicitement les relations marchandes entre travailleurs / ménages et firmes. En outre, la microéconomie dispose d’une grande maturité dans l’explicitation et la formalisation de ses concepts. Il semble donc plus prometteur d’incorporer certains effets organisationnels dans un formalisme néoclassique que de tenter une fusion d’approches reposant sur des raisonnements radicalement différents. Cependant, partir du formalisme microéconomique n’est pas non plus évident. Une première difficulté est qu’en matière d’effets d’organisation, on a du mal à trouver des grandeurs dénombrables (comme un nombre d’entreprises), mesurables (comme un profit), ou comparables (comme une satisfaction personnelle qui permet de poser une fonction d’utilité), qui permettraient une extension naturelle du cadre formel. Les phénomènes d’organisation découlent de liens de nature diverse entre des individus précis. La superposition d’un réseau de relations avec des fonctions objectif est possible, mais difficile à mettre en œuvre. De ces difficultés découle la question du niveau de représentation de l’organisation. En microéconomie, nous raisonnons au niveau d’agents individuels. Mais plusieurs possibilités existent pour incorporer des phénomènes d’organisation : - On peut supposer que certains agents bénéficient des caractéristiques organisationnelles du système productif auquel ils appartiennent, par exemple par une baisse des coûts totaux ou des besoins en intrants extérieurs. Dans ce cas, on adopte un point de vue holiste : les 28 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie - - effets de l’organisation sont exogènes, il est impossible de préciser les mécanismes à l’origine de ces avantages. La forme fonctionnelle de l’impact de l’organisation sur les fonctions objectif des agents ne peut être qu’arbitraire ou découler de commodités de calcul. On peut tenter de décrire plusieurs possibilités de réseaux de relations entre agents, et doter ces derniers de fonctions objectifs et de règles de comportement. Dans ce cas, les conséquences de l’organisation sur l’ensemble du système productif sont totalement endogènes. Etant données les difficultés auxquelles est confrontée la théorie des conventions dans un cadre encore plus simple, cette démarche semble encore hors de portée6. Toutefois, elle est réalisable dans des cas très simples comme la collusion parfaite au sein d’un cartel. On peut proposer une démarche intermédiaire : différencier les relations entre agents économiques (par exemple ceux du SPL et les autres), au travers d’une modification des fonctions objectifs, qui reste arbitraire ou de convenance. Par exemple, supposer que l’embauche de travailleurs locaux occasionne moins de coûts que celle de travailleurs extérieurs. Le choix du premier type de démarche risque d’aboutir à des résultats particulièrement tautologiques, du genre : il existe des économies d’organisation, donc le système est plus efficace. Ce genre d’approche ne donne néanmoins pas nécessairement que des banalités. D’une part, il peut déboucher sur des mesures empiriques de l’importance d’effets d’organisation au travers des résultats économiques. D’autre part, il peut éclairer les mécanismes de transmission de cette efficacité organisationnelle sur les autres phénomènes économiques, et en particulier la façon dont un territoire peut se différencier des autres, ainsi que les conséquences en matière de bien-être collectif des effets organisationnels. Le troisième type de démarche semble à première vue réaliser un bon compromis entre les inconvénients d’une diminution arbitraire des coûts et la difficulté de l’agrégation des effets d’organisation au niveau du système productif. Elle sera donc privilégiée dans la suite. Concernant à présent le choix des interactions à prendre en compte dans les modèles que nous allons étudier, le système productif localisé sera représenté de manière complète, c’est–à-dire, inclura les relations entre firmes, et entre firmes et ménages. D’autre part, la prise en compte de l’extérieur est indispensable. Dans un contexte où l’internationalisation des capitaux, et la concentration des entreprises au niveau mondial se poursuit, l’étude des systèmes productifs localisés ne peut se dispenser de la prise en compte du marché extérieur. La réussite d’un SPL en dépend en grande partie (Amin et Robbins 1990, Storper & Harisson 1991, Greffe 1996…). En particulier, la fragilité du système face à des changements exogènes doit être appréhendée. Les modèles d’économie géographique, qui considèrent deux régions, dont l’une est souvent concentrée ou « dominante » sont un bon candidat pour réaliser cette tâche. La région « dominante » peut à la fois représenter l’élément déterminant de la demande de produits de la petite région, et imposer des contraintes en matière de prix et de salaires. Ces modèles présentent en outre l’avantage d’incorporer des rendements croissants (en grande partie responsables de l’hétérogénéité spatiale) et de représenter l’industrie par une concurrence 6 Il existe toutefois une littérature croissante, parfois rattachée au courant évolutionniste, autour de la modélisation des systèmes multi-agents sur des questions économiques. Ces travaux procèdent quasiment uniquement à l’aide de simulations numériques. Citons par exemple un article fondateur de Sugden (1989), ou les publications su Journal of Artificial Societies and Social Simulation (JASSS). 29 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie monopolistique (on a vu l’importance de la différenciation dans les stratégies de développement). Se pose enfin la question de savoir si les relations SPL-extérieur sont représentées en équilibre général, ou si l’extérieur est une sorte de « thermostat » sur lequel le SPL n’influe pas, mais qui impose certaines caractéristiques permettant le bouclage du modère, par exemple un niveau d’utilité ou de salaire exogène. Le cadre adopté ici est un cadre d’équilibre général, mais dans lequel l’activité dans la (ou les) région(s) rurale(s) seront considérées comme très petites devant celle de la région urbaine. 1.3.2. Déroulement du travail Dans la deuxième section de ce chapitre, nous avons sélectionné deux caractéristiques des systèmes productifs localisés, qui renvoient à leur capacité à utiliser des mécanismes d’organisation. Il s’agit, d’une part, du degré de complémentarité entre les différents éléments du territoire (firmes, travailleurs, ressources naturelles), et, d’autre part, de la capacité à proposer des productions différenciées et recherchées par les consommateurs. Ces caractéristiques englobent, comme on l’a vu, une grande diversité de situations possibles, même si elles permettent une lecture séduisante de la diversité des systèmes productifs localisés. Elles sont encore trop générales, et dans le cadre de ce mémoire, seuls quelques mécanismes précis seront abordés. La suite du travail consiste en premier lieu à reprendre les principaux modèles d’économie géographique, et à établir un bilan des éléments qu’ils prennent en compte et des différents phénomènes qu’ils expliquent. A l’issue de cette revue de la littérature dans ce programme de recherche, les résultats du travail sur de nouvelles variantes seront présentés. Les situations étudiées seront les suivantes : a) Dans l’optique d’une analyse des conséquences d’une baisse des coûts totaux grâce à des effets organisationnels, un modèle à trois régions sera étudié. Il comportera une région urbaine (où se concentre l’essentiel de l’activité économique), et deux régions rurales. L’intérêt de proposer deux régions rurales est d’étudier les conséquences de la différenciation de l’une d’entre elles grâce aux effets d’organisation. b) Pour étudier l’augmentation des complémentarités verticales entre firmes, un modèle avec biens intermédiaires et bien finaux est proposé. L’effet de ces complémentarités se traduit par une modification de la fonction de production lorsque les inputs sont d’origine locale. c) Pour étudier la production d’un bien différencié dont la qualité est recherchée par les consommateurs, un modèle associe, d’une part la production, de façon monopolistique, d’un bien agricole de qualité, et d’autre part une modification de la fonction d’utilité. Ces trois situations correspondent respectivement à la représentation exogène et arbitraire des conséquences de l’organisation (le premier type de démarche proposé dans la sous-section précédente), à un exemple de complémentarités (ici entre firmes), et à un exemple de production différenciée. Les deux dernières situations correspondent à des cas particuliers des deux critères de différenciation organisationnelle indiqués au § 1.2.3.2.. Ces choix seront davantage justifiés dans le chapitre 2. L’objectif, encore modeste, de ces analyses, est avant tout d’illustrer la possibilité d’utiliser la microéconomie pour aborder ces questions d’organisation, en particulier leur importance par rapport aux mécanismes purement marchands. Nous verrons qu’elles permettent également de donner quelques prédictions sur les liens entre paramètres « marchands » du modèle et efficacité des effets organisationnels pour induire une activité en zone rurale. Le cadre limité de ce mémoire ne permet pas 30 Chapitre 1 : Repères sur l’analyse de l’organisation en économie d’aborder la validation des quelques prédictions obtenues. Toutefois, le chapitre conclusif fournit des éléments de méthode pour un prolongement des analyses théoriques par une confrontation aux données empiriques. 1.3.3. Quelques questions éludées dans le cadre du mémoire Ce mémoire se concentre sur quelques effets organisationnels possibles parmi les nombreux mécanismes potentiels. On a vu que les modèles utilisés faisaient l’impasse sur la délicate question de l’agrégation des mécanismes organisationnels élémentaires, ainsi que sur leur apparition (qui peut dans certains cas relever davantage de la psychologie et de la sociologie que de l’économie). La dimension politique est également exclue du champ de ce travail. En outre, il ne tient pas compte de plusieurs aspects, dont il faut avoir conscience. Il s’agit en particulier des aspects dynamiques des systèmes productifs localisés, et des aspects non marchands du développement. La microéconomie, on l’a rappelé, ne considère généralement les évolutions temporelles que par statique comparative. Les marchés sont tous à l’équilibre, ou alors, on se contente de considérer le sens de variation des prix ou des quantités, sans spécifier la forme de la dynamique. Or, les systèmes productifs locaux sont considérés comme étroitement dépendants de leur état initial et de leur chemin d’évolution. Par ailleurs, le fonctionnement même des SPL les plus exemplaires se rapproche davantage d’une vision schumpetérienne que d’une vision walrasienne : l’innovation doit être permanente, l’environnement sans cesse changeant, etc… Les raisonnements en statique comparative ne sont pas nécessairement inadaptés pour représenter ces systèmes. Ainsi, on peut très bien représenter une évolution temporelle dépendant des conditions initiales de cette façon, de même qu’un système hautement dynamique peut être caractérisé par des valeurs moyennes. Toutefois, la possibilité d’autres modes de raisonnement pourrait être abordée. D’autre part, comme on l’a vu en introduction, si le développement initial d’une nation se mesure avant tout par l’accroissement de la richesse produite par habitant, d’autres aspects sont à prendre en compte aux étapes de développement avancé. Comme l’organisation, la qualité de vie est un élément difficile à cerner par l’analyse économique, mais auquel une place de plus en plus grande est accordée dans les stratégies de développement rural. Elle entretient avec les phénomènes marchands et les phénomènes d’organisation des relations de plus en plus étroites et complexes. La plus connue est la valorisation des aménités paysagères à travers le tourisme rural (activité marchande), qui nécessite une organisation locale (du fait du caractère de bien public du paysage). Le cadre de vie peut entrer directement dans la fonction d’utilité des ménages, ou dans l’efficacité productive des travailleurs. Il peut surtout constituer un objectif de développement distinct de la croissance des activités économiques, mais cela nous fait retomber dans des discussions normatives en dehors du champ de l’analyse économique. Enfin, le travail théorique mené dans la suite étudie uniquement des activités primaires et secondaires. Le tourisme est, par exemple, assimilé à une activité primaire, car lié au sol. Des extensions en vue de prendre en compte les spécificités des services pourraient s’avérer utiles, car il s’agit d’un enjeu du développement rural : les services sont souvent sensibles aux interactions directes, et complémentaires avec d’autres activités. Ces questions seront donc sciemment laissées de côté dans la suite de ce travail, pour être brièvement reprises dans la conclusion. Nous allons nous attacher maintenant à présenter en détail les outils qui seront mobilisés dans la suite du mémoire. 31 Chapitre 2. L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique Ce chapitre présente le formalisme qui est utilisé dans la suite de ce mémoire, à savoir celui du courant appelé, dans la littérature en français, nouvelle économie géographique ou plus simplement économie géographique (en anglais economic geography). Les contributions de ce courant ont pour point commun de chercher à expliquer la non homogénéité de la répartition des activités dans l’espace à partir de fondements microéconomiques. En outre, l’espace est le plus souvent supposé homogène du point de vue des conditions de production (absence d’avantages comparatifs naturels), sans quoi une hétérogénéité des régions est évidente car exogène. En conséquence du théorème d’impossibilité spatiale de Starett (1978), une différenciation spatiale est incompatible avec les hypothèses de la concurrence parfaite : une économie en concurrence parfaite où existent des coûts de transport dégénère en « backyard capitalism ». Comme nous allons le voir, dans les modèles d’économie géographique, c’est l’existence de rendements croissants, dans un cadre de concurrence monopolistique, qui permet de faire apparaître une différenciation spatiale. Dans une première section, nous allons décrire l’esprit et les hypothèses générales des modèles utilisés en économie géographique. Puis, les principaux modèles et leurs résultats seront brièvement présentés. Ensuite, la possibilité d’analyse économique du rural en utilisant ce formalisme sera examinée plus en détail. Enfin, la dernière section expose la façon dont on entend incorporer des effets d’organisation dans ce type de modèle. 2.1. Modèles et principes de base en économie géographique 2.1.1. Principes de base du programme de recherche Cette première section présente les principes de base qui sous-tendent les travaux en économie géographique. Les modèles d’économie géographique s’inscrivent dans des cadres divers (régions ponctuelles ou espace continu, biens intermédiaires ou non, etc…), mais comportent un certain nombre de principes communs, dont certains constituent des avancées notables dans les travaux formalisés d’économie spatiale. 2.1.1.1.Endogénéiser la structuration de l’espace : équilibre général A moins de supposer l’espace initialement hétérogène (ce qu’on refuse de faire ici pour se concentrer précisément sur des effets ne dépendant pas de l’hétérogénéité spatiale), il est difficile de représenter dans un modèle formalisé comment une situation homogène devient progressivement hétérogène. De fait, les premiers modèles d’économie spatiale introduisaient une hétérogénéité a priori. Ainsi, le modèle de Von Thünen donnait une ville marché au centre de son espace, celui de Weber positionnait au préalable les matières premières et le marché. Un autre grand modèle fondateur, celui des places centrales, est dû aux travaux de géographie de Christaller (1933) et à l’interprétation économique par les aires de marché de Lösch (1940). L’analyse de Lösch, basée sur la concurrence en aires de marché dans différents types d’activité (associant économies d’échelle et coûts de transport), a un caractère normatif (structure optimale de la hiérarchie urbaine), suppose les consommateurs fixés dans l’espace de façon exogène, et ne décrit pas le détail du mécanismes d’agglomération. Le mécanisme de différenciation spatiale est pourtant intuitivement aisé à concevoir. Il suffit par exemple qu’un aléa initial fasse qu’un point de l’espace comporte une densité de population plus élevée qu’ailleurs. Cette hétérogénéité, même petite, va causer l’installation d’entreprises cherchant de la main-d’œuvre ou des clients, laquelle va à son tour causer une agglomération d’autres ménages, etc… La difficulté pour modéliser ce processus, en 32 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique apparence si simple, est qu’il s’agit d’un processus circulaire : il faut simultanément tenir compte du comportement des ménages et de celui des firmes. Ainsi, les modèles d’économie géographique ont pour point commun d’être des modèles d’équilibre général. Toutefois, comme ils entendent expliquer les dynamiques de différenciation spatiale, l’équilibre n’est pas supposé instantané sur tous les marchés : des rigidités sont introduites sur le marché du travail (migrations de travailleurs ou changement de spécialité), et le taux de salaire n’est donc pas toujours uniforme. En revanche, l’entrée des entreprises sur le marché est supposée très rapide. Notons de plus que ces modèles sont généralement déterministes, même si certaines variantes comportent des variables aléatoires. Cela présente certains inconvénients par rapport à des modèles probabilistes, en particulier dans l’analyse des points de bifurcation (par exemple lorsque la dispersion devient instable, l’agglomération peut se produire d’un côté ou de l’autre). Mais ces problèmes peuvent facilement être traités (en examinant la stabilité des points d’équilibre), et l’avantage d’un modèle déterministe en termes de simplicité d’analyse est immense. 2.1.1.2.Forces d’agglomération et de dispersion : priorité aux mécanismes de marché Certains modèles d’agglomération posent l’existence de forces d’agglomération, dont la nature économique est peu explicitée. De fait, ces forces constituent des effets externes, qui sont toujours difficiles à spécifier et à mesurer, bien que leur existence soit unanimement admise. La distinction entre externalités technologiques (échanges informels d’information, notamment d’informations tacites, atmosphère industrielle) et externalités pécuniaires (qui transitent par le marché : adéquation de l’offre et de la demande de travail pour des biens spécialisés, liens verticaux entre entreprises, taille du marché) clarifie les formes concrètes d’externalités positives associées à la localisation. Elle a pour origine les travaux de Marshall à l’époque très novateurs. La discussion qu’il consacre aux externalités qui expliquent la constitution de districts de petites entreprises de la même branche, reste malgré tout peu explicite quant aux mécanismes économiques élémentaires. Elle l’est encore moins quant à la possibilité de formalisation, et ce même pour les externalités pécuniaires, ce qui peut expliquer que peu d’auteurs ont approfondi ces travaux au sein de l’économie mainstream, jusqu’à leur « redécouverte » à l’occasion de l’analyse des districts italiens. En économie urbaine, Alonso (1964) introduit dans l’utilité du consommateur une préférence pour la centralité. Henderson (1974) modélise l’évolution du système de villes de façon encore moins détaillée, en stipulant l’existence de forces d’agglomération et de dispersion. Arthur (1990) quant à lui, propose un modèle probabiliste d’agglomération basé sur l’existence d’externalités spatiales positives (« rendements croissants d’adoption ») entre les entreprises. Fujita & Ogawa (1982), dans un modèle d’économie urbaine, postulent également l’existence d’économies externes, qui décroissent avec la distance. Ce modèle est très proche dans son esprit des modèles d’économie géographique, et préfigure plusieurs de leurs résultats. L’ambition des modèles d’économie géographique est de ne pas se donner des forces d’agglomération ou de dispersion de type « boîte noire », mais de les faire émerger au moins en partie des mécanismes de marché. Les auteurs ne nient pas l’existence d’externalités technologiques mais entendent montrer que les phénomènes transitant par le marché suffisent à expliquer les principaux phénomènes de répartition spatiale des activités. Il s’agit d’un grand progrès par rapport à la plupart des modèles antérieurs. Concrètement, les forces 33 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique d’agglomération proviennent d’une part de l’existence d’indivisibilités (sources de rendements croissants internes), d’autre part d’une préférence pour la variété des consommateurs (source de rendements croissants externes). La libre entrée des entreprises et la mobilité partielle des travailleurs/consommateurs permettent aux processus circulaires et cumulatifs d’attraction réciproque ménages-firmes d’avoir lieu. Les forces de dispersion proviennent, comme dans les modèles d’économie urbaine classique, de la rente foncière pour les modèles urbains, mais aussi de l’existence d’un secteur lié à un facteur fixe (dénommé « agriculture ») ou de populations entières supposées peu mobiles (permettant le maintien d’une demande locale). La concurrence entre firmes intervient parfois de manière indirecte comme force de dispersion, lorsque les biens sont très substituables ou par le biais de la concurrence sur les salaires. Les coûts de transport (ou coûts de l’échange7 entre régions) jouent aussi un rôle capital, mais souvent ambivalent. 2.1.1.3.Concurrence imparfaite : modèles de concurrence monopolistique Comme nous l’avons vu, l’existence de disparités spatiales dans la structure de production, en l’absence d’avantages comparatifs naturels, ne peut se comprendre que si l’on prend en compte les indivisibilités dans la technologie, ou des interactions stratégiques. Nous nous intéresserons plus particulièrement à des processus dans lesquels les entreprises et les biens produits sont en nombre élevé. La prise en compte d’interactions stratégiques n’est donc pas retenue. De plus, la modélisation d’interactions stratégiques est souvent très délicate dès que le nombre d’entreprises est supérieur à 2. En outre, les modèles concernés sont des modèles d’équilibre partiel, sans bouclage sur le marché du travail, comme en économie géographique. Un point remarquable est que les modèles d’économie géographique donnent des résultats analogues à certains développements de modèles à la Hotelling. Les modèles d’économie géographique étudient les conséquences des indivisibilités, qui se traduisent par la présence de rendements croissants. L’analyse du comportement du producteur nécessite de prendre en compte la décroissance de la courbe de la demande, sans quoi la maximisation du profit aboutirait à une production infinie. En outre, l’hypothèse que tous les biens sont identiques impliquerait qu’une seule entreprise emporte tout le marché et interdise l’entrée de tout autre concurrent. Il faut donc supposer que les biens produits par les différentes firmes sont différenciés, mais substituables. Ainsi, le cadre d’analyse de la structure industrielle dans les modèles d’économie géographique est celui de la concurrence monopolistique, qui présente l’avantage de supposer des rendements croissants, et l’existence d’un pouvoir de monopole limité du fait de la différenciation des biens. Ces caractéristiques sont d’ailleurs bien celles de nombreux biens de consommation finale autres que ceux de première nécessité. La notion de concurrence monopolistique a été initialement proposée et analysée par Chamberlain (1933), mais c’est avec le modèle de Dixit & Stiglitz (1977) que les économistes ont disposé d’un formalisme commode pour modéliser ce type de structure industrielle. Il faut souligner que ce n’est pas le seul type de modèle possible, mais il bénéficie d’un « effet de fondation » : l’essentiel des travaux d’économie géographique l’ont pris pour base à la suite des travaux fondateurs (qui n’exclut cependant pas des calculs souvent fastidieux). 7 Dans toute la suite, nous parlerons de coûts de transport au sens large, incluant tous les coûts relatifs à l’échange de biens entre zones géographiques différentes. 34 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique 2.1.2. Technique d’analyse du modèle de Dixit & Stiglitz (1977) Il convient de détailler ce modèle, qui constitue le cadre de base des variantes étudiées au chapitre 3. Le but est en particulier de mettre l’accent sur certaines hypothèses de base, peu explicites dans les articles fondateurs, et de présenter clairement les parties du raisonnement où intervient la séparation des régions. L’article de base de Dixit & Stiglitz est plus général, mais la version présentée ici correspond à celle qu’utilise Krugman (1991). Les notations sont celles de Fujita, Krugman et Venables (1999).8 Considérons donc deux secteurs de production : - Un secteur lié au sol, appelé « agriculture » : il produit un bien homogène en concurrence parfaite et à rendements constants. - Un secteur « footlose » appelé « industrie » : il produit des biens différenciés en concurrence monopolistique. La fonction de production est identique pour toutes les entreprises et comprend un seul facteur, le travail : l = F+c.q, où l le travail nécessaire pour produire la quantité q, F est un besoin fixe en facteur, c le besoin marginal en facteur. Chaque firme possède un seul établissement et produit une variété différente de toutes les autres variétés produites. Chaque firme maximise son profit en supposant l’indice des prix fixé. La fonction d’utilité d’un consommateur représentatif s’écrit : U=MµA1-µ où A est la quantité de bien agricole consommée, et M est une sous-fonction d’utilité : M=[Σmiρ]1/ρ, où les mi sont les consommations de biens industriels. µ un paramètre sans dimension compris entre 0 et 1, représentant la part de biens industriels dans le budget du consommateur. Le paramètre ρ, compris entre 0 et 1, mesure la préférence pour la variété : plus il est faible, plus les consommateurs préfèrent des paniers de biens diversifiés ; on utilise aussi l’élasticité de substitution σ=1/(1-ρ)). 2.1.2.1. Problème du consommateur n L’utilité d’un consommateur s’écrit : U = A1− µ (∑ miρ ) µ / ρ où ρ=(σ−1)/σ, soit σ=1/(1−ρ) i =1 La forme Cobb-Douglas, associée à la forme CES de la sous-fonction relative aux produits manufacturés, assure que produits agricole et manufacturés sont demandés dans des proportions (1-µ,µ)9. La forme de la sous-fonction relative aux produits manufacturés permet en outre de jouer sur la préférence pour la variété. La maximisation de l’utilité se fait sous la contrainte budgétaire : Y = pA A + Σ pi mi où Y est le revenu, exogène dans ce calcul. Les prix sont ici les prix payés par le consommateur et non les prix perçus par les firmes (ils en diffèrent par les coûts de transport). On trouve : - pA A=(1-µ)Y : la part des dépenses agricoles dans le revenu est égale à 1-µ. pi−σ −σ - Σ pi mi = µY, et mi est proportionnel à pi . D’où on tire mi = µY ∑ p1j−σ j 8 Dans cette section, on n’introduit pas encore d’hypothèses de normalisation (prix agricole pris comme numéraire, nombre de travailleurs égal à un, etc...). 9 En fait, l’article original de Dixit-Stiglitz traite un cas plus général, qui ne sera pas exposé ici. 35 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique Dans l’étude du comportement spatial des travailleurs, il sera nécessaire d’utiliser un indice de prix pour comparer les salaires réels des différentes régions. L’indice proposé par Dixit et Stiglitz peut être dérivé de la formule de l’utilité indirecte, qui est : (1 − µ )1− µ µ µ d’où on tire l’indice : G= pA1−µ (Σ pi1−σ)µ/(1−σ) v ( p, Y ) = Y µ /(1−σ ) qui assure : v=cte.Y/G 1− µ 1−σ p A ∑ pi i 2.1.2.2.Comportement des firmes Concernant le secteur agricole, on fait l’hypothèse que la production se fait à rendements constants et en concurrence parfaite. Le prix agricole est fixé de manière à assurer un taux de salaire agricole fixe (pouvant être supposé égal au salaire de subsistance) : les seuls intrants sont les ressources naturelles – gratuites. En outre, le revenu agricole est indépendant de la demande de produits agricoles : les agriculteurs se partagent la demande de manière égale, et perçoivent le même salaire, quelle que soit la demande. Cela semble introduire une contradiction : si le revenu industriel s’élève, la demande de bien agricole devrait augmenter, alors que le revenu agricole est inchangé. En fait, cette difficulté est levée par l’hypothèse de normalisation du prix et du revenu agricoles : les unités sont choisies de façon que le revenu agricole soit égal au nombre d’agriculteurs, et la demande de bien agricole égale à (1-µ)Y. Retenons, en vue de la section 3, que les produits agricoles ont quatre caractéristiques : ils sont non différenciés, produits à rendements constants, en concurrence parfaite, et liés au sol (les travailleurs sont immobiles). Les firmes, au contraire des exploitations agricoles, produisent avec des rendements croissants, du fait de coûts fixes (et d’un coût marginal constant). Elles sont supposées n’utiliser ici qu’un seul facteur, le travail. La fonction de production, identique pour toutes les entreprises, est la plus simple satisfaisant ces contraintes : l = F+c.q Le profit de la ième entreprise s’écrit donc : πi = pi qi – w (F+c.qi) Ici, il faudrait faire intervenir la différenciation entre les régions, afin de tenir compte des (Tr (i ) s pi ) −σ coûts de transport. En effet, la demande qi s’écrit : qi = µ ∑ Ys où Ys désigne s ∑ (Tr ( j ) s p j )1−σ j ième le revenu agrégé de la s région, et r(i) le numéro de la région à laquelle appartient l’entreprise produisant le bien i, et Tr(i)s le coût de transport entre les régions r(i) et s. En fait, on suppose que la firme maximise son profit en considérant fixés non pas les autres prix que le sien, mais l’indice des prix de chaque région, G= pA1−µ[Σ (Tr(i)s pi)1−σ)]µ/(1−σ) et le salaire, ce qui simplifie considérablement les calculs. Dans ce cas, la demande est simplement σ −1 p (1) proportionnelle à pi−σ, et la maximisation du profit donne w = σ .c 2.1.2.3.Conditions de bouclage Deux hypothèses supplémentaires permettent déterminer le niveau d’activité dans une région : σ −1 F (2) - L’hypothèse d’annulation du profit, qui donne : qi = c - L’hypothèse de plein emploi, qui suppose que le nombre de firmes lorsque le profit est nul, permet d’employer exactement la quantité de main-d’œuvre présente. Elle donne le nombre de firmes de la région r : nr = LMr σF (3) Les équations (1), (2), et (3) serviront fréquemment dans la suite. 36 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique 2.1.2.4. Place des effets spatiaux dans l’analyse Jusqu’à présent, nous n’avons pas utilisé le fait qu’il y avait plusieurs régions, avec des coûts de transport. Les résultats énumérés précédemment ne sont cependant pas suffisants pour déterminer totalement l’équilibre. En effet, ces équations ne déterminent pas totalement les prix (les prix et salaires industriels sont proportionnels, mais nous ne savons pas comment ils se situent par rapport au prix agricole). Pour cela, il faut exprimer les demandes de chaque type de consommateurs dans chaque région et les égaliser à la production totale donnée par (2). C’est à ce niveau seulement qu’intervient la différenciation régionale, grâce à l’hypothèse faite sur la maximisation du profit, qui simplifie considérablement la relation entre prix et salaire. Conclusion de la section En conclusion, les principaux points communs des modèles d’économie géographique sont : espace homogène, formalisme microéconomique, approche déterministe, restriction aux seuls mécanismes de marché, modèles d’équilibre général avec rendements croissants et concurrence monopolistique. Certaines variantes dérogent bien entendu à l’une ou l’autre de ces caractéristiques générales, en restant dans le même esprit. Ces caractéristiques, assez nouvelles en économie spatiale, permettent une intégration au sein de l’économie mainstream. Notons deux points remarquables : - L’utilisation des outils de la microéconomie aboutit, moyennant des hypothèses sur la mobilité du facteur travail, à des résultats opposés aux prédictions classiques. En particulier, la convergence des revenus n’est plus assurée automatiquement par les mécanismes économiques. - Malgré son caractère réducteur, le formalisme microéconomique est en mesure de rendre compte d’une grande richesse de phénomènes à l’aide d’hypothèses relativement simples. Ces deux points apparaîtront clairement dans la section suivante, consacrée aux principaux modèles. Les travaux en économie géographique visent d’abord à répondre à deux questions : - Dans quelles conditions une différenciation spatiale, donc une agglomération d’activités économiques, apparaît-elle ? - Quels mécanismes peuvent changer totalement ou partiellement une configuration spatiale donnée (par exemple, passer d’une concentration totale de l’industrie en un lieu à une dispersion partielle ou l’inverse) ? En corollaire à ces questions, qui relèvent de l’économie positive, se pose la question de la différenciation éventuelle du niveau de bien-être dans différents lieux. L’analyse du modèle de Dixit-Stiglit (dans la version utilisée par Krugman (1991)), donne les trois expressions de base (1), (2), et (3), ainsi que la formule de l’indice des prix, qui serviront dans toute la suite. Elle met aussi l’accent sur certaines hypothèses du modèle, qui permettent de simplifier considérablement son analyse. Ces hypothèses peuvent se résumer essentiellement en un ajustement rapide de la structure de production (contrairement aux travailleurs) et une « myopie » limitée dans les calculs des firmes. A première vue, le modèle de Dixit-Stiglitz est très réducteur. Il utilise une fonction d’utilité parfaitement irréaliste (mais dotée de bonnes propriétés analytiques), et une fonction de production plus réaliste pour le travail, mais ignorant les autres facteurs de production. Tous les biens industriels sont également substituables entre eux, il n’y a aucune échelle de préférence. De plus, il ne considère qu’un seul type d’industrie (avec des variantes possibles incluant, par exemple, des biens intermédiaires). En comparaison des résultats très généraux 37 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique qu’on peut dériver dans le cadre de l’équilibre général walrassien, ce modèle ne traite qu’un cas très particulier. Et pourtant, tout son intérêt est de permettre de se concentrer sur la principale caractéristique originale, la présence de rendements croissants internes et externes, qui permettent l’apparition de mécanismes cumulatifs d’agglomération. 2.2. Les modèles fondateurs et leurs principales variantes Dans cette section, nous présentons brièvement les modèles de base en économie géographique, en mettant en évidence leurs résultats principaux. 2.2.1. Le modèle de Krugman (1991) et ses variantes Le modèle de Krugman (1991) constitue le modèle fondateur des modèles centre-périphérie en économie géographique. Il a été conçu pour expliquer la divergence entre régions, entités considérées comme ouvertes à la mobilité de tous les facteurs. 2.2.1.1. Présentation du modèle Le modèle considère deux régions ponctuelles, aux caractéristiques initiales identiques. Les travailleurs agricoles sont fixes, également répartis entre les deux régions. En revanche, les travailleurs industriels, dont seul le nombre total est fixe, sont mobiles entre les deux régions (il y a donc à l’équilibre égalisation du taux de salaire industriel entre les deux régions, ou bien concentration de tous les ouvriers dans une seule région). Les firmes s’installent dans l’une ou l’autre région, jusqu’à annulation du profit. Par ailleurs, il existe un coût de transport (ou d’échange) unique entre les deux régions pour le bien industriel, T, qui prend la forme « iceberg » de Samuelson : si la quantité qT est livrée, seule la quantité q arrive à destination. En pratique, tout se passe comme si le prix des biens importés était multiplié par T, et comme si chaque firme, lorsque le consommateur souhaite consommer q, devait livrer qT. Le bien agricole est supposé être transporté sans coût. Ces hypothèses permettent d’appliquer les résultats du modèle de Dixit-Stiglitz avec un minimum de modifications, les principales consistant à dédoubler les variables (une par région) et à multiplier certains prix et certaines quantités par T. Ce modèle peut comporter un ou plusieurs équilibres, qui peuvent être stables ou instables. La démarche d’analyse consiste à déterminer le différentiel de salaires industriels réels entre les deux régions, en fonction de la fraction de travailleurs industriels dans la région 1. Lorsque les salaires réels sont égaux, il y a équilibre, dont il convient d’analyser la stabilité. Sinon, il n’y a pas équilibre, à moins que tous les ouvriers se trouvent être concentrés dans la région où les salaires sont les plus élevés (auquel cas on a nécessairement un équilibre stable). La dynamique de migration est simulée à l’aide d’une équation différentielle simple (certains modèles proposent une dynamique plus complexe supposant une hétérogénéité des travailleurs par rapport à la migration). 2.2.1.2.Principaux résultats Il existe seulement trois équilibres stables possibles : équirépartition des ouvriers entre les deux régions (c’est toujours un équilibre), concentration dans la région 1, et évidemment la situation symétrique, concentration dans la région 2. Leur existence et stabilité dépend des valeurs des paramètres (on ne précise pas ici les formules donnant les seuils) : - Coût de transport : o A coût de transport faible, l’équirépartition est instable, et la concentration est un équilibre stable. En effet, une entreprise qui se délocaliserait supporterait une baisse de 38 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique - - demande de la région industrielle et un ouvrier subirait une baisse de salaire réel due à la hausse d’indice des prix. o A condition que µ<σ/(σ −1) (« no-black-hole condition »), il existe un seuil de coût de transport au-dessus duquel seule l’équirépartition est un équilibre, et cet équilibre est stable. La concentration dans une seule région est « répulsive » pour les ouvriers car leur salaire est alors inférieur à celui qu’il serait dans la région sans industrie. En effet, dans ce cas, les deux effets cités précédemment sont plus que compensés par la hausse de salaire permise par l’accès à la demande de la région rurale sans coût de transport. o A coût de transport intermédiaire, les trois équilibres possibles existent et sont stables. Elasticité de substitution : plus les biens sont substituables (préférence pour la variété faible), plus la dispersion est favorisée : on retrouve bien l’effet classique de l’éloignement pour se protéger de la concurrence (l’augmentation de la substituabilité des biens revient à augmenter la concurrence). Part de produits industriels dans la consommation : plus elle est forte, plus la concentration est favorisée (puisque les biens industriels sont plus demandés, les effets cumulatifs de concentration industrielle jouent davantage). Cet effet devrait d’ailleurs être renforcé dans le monde réel par le fait que l’augmentation du revenu entraîne une diminution de la part consacrée aux dépenses agricoles (loi d’Engel). 2.2.1.3.Apports du modèle Un des apports importants des travaux de Krugman a été de fournir un modèle formalisé des mécanismes circulaires et cumulatifs d’agglomération évoqués dans la sous-section précédentes, fondé sur une approche uniquement microéconomique. Cela permet de représenter en partie les externalités pécuniaires, celles existant entre ménages et firmes (effet de taille de marché), mais pas celles existant entre les firmes (qui nécessitent d’introduire des biens intermédiaires, ce que font le modèle de Krugman & Venables et ses variantes). En outre, le modèle met en évidence le rôle fondamental des coûts de transport dans l’agglomération, et permet de comprendre pourquoi une baisse de coûts de transport ne conduit pas à une indifférence à l’espace, mais plutôt à une baisse de l’effet protecteur de l’espace. L’agglomération est renforcée par la baisse des coûts de transport, laquelle renforce l’avantage à se situer à proximité du plus grand marché. De plus, la préférence pour la variété des consommateurs est une source de rendements externes croissants, et cet effet est lui aussi renforcé avec la baisse des coûts de transport. Il permet aussi de comprendre le rôle des facteurs contingents dans la différenciation spatiale : un petit écart à un équilibre d’équirépartition peut conduire à une concentration totale dans une région, grâce aux mécanismes cumulatifs. Il permet donc de mettre en relation de manière simple, et en faisant jouer exclusivement les mécanismes marchands, la baisse tendancielle des coûts de transport, et la concentration croissante des activités. Ce modèle est suffisamment maniable pour faire l’objet de multiples variantes, et comme on peut le voir dans la suite, les variantes proposées dans la littérature sont en effet nombreuses. Il faut néanmoins retenir que, contrairement aux résultats sur l’équilibre général en concurrence parfaite, ou au théorème d’impossibilité spatiale de Starett qui ont une portée générale, ce modèle ne représente qu’un exemple possible de système économique basé sur des rendements croissants et la concurrence monopolistique. Ses résultats sont assortis d’un postulat de robustesse, qui doit être corroboré, notamment par les variantes du modèle de base, ainsi que par des modèles basés sur des formes fonctionnelles différentes. 39 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique Notons aussi que le modèle de Krugman peut être remis en cause sur plusieurs points (outre les critiques coutumières adressées aux modèles microéconomiques : caractère très particulier du modèle de base choisi, limitation à deux régions, forme des coûts de transport,…) : - Existence de travaux antérieurs, comme ceux sur les pôles de croissance de Perroux (1955), les mécanismes circulaires et cumulatifs de Myrdal (1957) ou les effets de diffusion et de freinage de Hirschmann (1958) engendrant un développement inégal. Ils comportent la description de mécanismes analogues, mais non formalisés. - Absence de coûts de transport en agriculture, alors que de façon générale, les matières premières comporte une part importante de déchets potentiels par rapport aux produits finis. Des estimations empiriques suggèrent que les coûts de transport des biens homogènes sont au moins du même ordre de grandeur que ceux des biens différenciés (Rauch 1996). Cette difficulté est de toute façon levée par certaines variantes du modèle de base. Il faut également garder à l’esprit que le coût de transport utilisé ici est entendu dans le sens plus large de coût de l’échange. Il incorpore en particulier les coûts de transaction, qui sont vraisemblablement plus élevés pour des produits industriels différenciés. - Une critique plus profonde est l’impossibilité de ce modèle à exhiber des configurations d’équilibre autres que l’équirépartition et la concentration totale (il existe parfois des configurations d’équilibre intermédiaires, mais elles sont toujours instables). Certaines de ces critiques trouvent une réponse dans les modèles suivants. 2.2.1.4 Quelques variantes du modèle de base Une première variante consiste à augmenter le nombre des régions. Fujita, Krugman et Venables (1999) proposent deux variantes particulières : - Trois régions avec des coûts de transports identiques (on peut les imaginer aux sommets d’un triangle équilatéral) : les résultats sont identiques, à savoir deux types d’équilibres stables possibles (concentration dans une région et équirépartition), et les effets qualitatifs des paramètres sont identiques. - Nombreuses régions également réparties sur un cercle (cela permet d’éviter les effets de bords et de donner une place particulière à certains points) avec croissance géométrique des coûts de transports avec la distance : dans ce cas, on a concentration de l’industrie dans plusieurs régions régulièrement espacées et pas d’industrie ailleurs. Le nombre de régions industrielles dépend des paramètres de la même façon que précédemment. Une autre possibilité, étudiée par Calmette et Le Potier (1995), est de prendre en compte les coûts de transport dans l’agriculture, en introduisant un nouveau paramètre, TA, intervenant également sous forme iceberg. Dans ce cas, si on suppose les biens agricoles homogènes entre les deux régions, l’équirépartition des activités industrielles est toujours stable, même lorsque les coûts de transports agricoles sont très bas. La concentration dans une des régions, quant à elle, est un équilibre stable si TA est suffisamment faible. Si on suppose maintenant les biens différenciés entre les régions (l’argument A de la fonction d’utilité est maintenant une sousfonction CES comme pour les produits industriels), la baisse de TA a le même effet que celle de T dans le modèle initial. En revanche, un effet nouveau apparaît concernant le rôle de T. Lorsque T est suffisamment faible, la dispersion redevient un équilibre stable, et même le seul équilibre stable. Comme nous allons le voir, cet effet se retrouve dans bien d’autres modèles d’économie géographique. Toutefois, si les deux coûts de transport baissent simultanément, la concentration reste en général le seul équilibre stable. Plusieurs autres variantes se focalisent sur l’activité agricole, notamment afin d’expliquer la spécialisation des régions en matière agricole. Ainsi, Lanaspa & Sanz (1999) supposent une répartition asymétrique de l’agriculture 40 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique entre les deux régions et montrent l’existence d’équilibres asymétriques non totalement concentrés. Un autre type de variante consiste à ajouter une préférence des travailleurs pour une certaine région, provenant par exemple de l’existence d’aménités. On aboutit alors à une concentration partielle des travailleurs. L’inconvénient de cette variante, à l’instar des exemples cités au §2.1.1.2. est le caractère non économique du facteur de dispersion introduit : l’explication peut rapidement devenir ad hoc étant donné qu’on ne sait pas comparer l’effet des aménités aux phénomènes de marché. De même, Brackman et al. (1996) introduisent des coûts de congestion qui empêchent la concentration totale. Le modèle de Englmann & Waltz (1995) ajoute un troisième secteur, la recherche, où les travailleurs sont mobiles, alors que ceux de l’industrie sont fixes. La production de connaissance est supposée non diffusée géographiquement, et elle augmente l’efficacité de la production. On aboutit ainsi à l’instabilité de l’équirépartition et l’irréversibilité de la configuration centre-périphérie. Citons enfin le modèle d’Ottaviano et al. (2002), qui, en utilisant un cadre différent de DixitStiglitz, aboutit à des résultats analogues à Krugman (1991), ce qui tend à corroborer la robustesse de ses résultats. 2.2.2. Le modèle de Krugman et Venables (1995) et ses variantes Ce modèle, contrairement à celui de Krugman (1991) qui visait les problèmes de disparités régionales, a été développé pour traiter les questions d’économie internationale, où l’on suppose que si le capital est aujourd’hui très mobile, le travail l’est beaucoup moins. Le phénomène de concentration prend un sens différent ici : il s’agit en fait d’une spécialisation dans l’activité industrielle ou agricole, les travailleurs étant géographiquement fixes mais mobiles entre secteurs. Des consommations intermédiaires sont en outre introduites dans la fonction de production. 2.2.2.1.Présentation du modèle (voir détail de l’analyse en annexe 3.) Le modèle considère deux régions ponctuelles, aux caractéristiques initiales identiques. Ici, les travailleurs d’une région sont immobiles géographiquement mais peuvent changer de spécialisation (agricole ou industrielle). Les entreprises s’installent librement entre les deux régions comme précédemment. En outre, les biens industriels servent à la fois de biens de consommation finale et de biens intermédiaires. Désormais, la fonction de production comporte deux facteurs, le travail et des consommations intermédiaires, qui ne sont autres que l’ensemble des produits manufacturés, associés dans une fonction de production CES, avec la même élasticité de substitution que pour l’utilité du consommateur. L’association du travail et des autres inputs se fait selon une fonction Cobb-Douglas, de sorte que la fonction de production est à présent : F+c.q = α-α(1-α)α-1.l1-α.[Σxiρ]α/ρ. Dans cette fonction, le paramètre α est la part de biens intermédiaires, l est la quantité de travail, et les xi les quantités de biens intermédiaires. Les autres notations sont inchangées. La demande de chaque bien industriel comporte donc maintenant deux composantes : la demande des consommateurs et celle des autres firmes. L’existence d’interdépendances entre entreprises constitue une force d’agglomération : l’arrivée de nouvelles entreprises entraîne une baisse de l’indice des prix donc des coûts de production, et en même temps l’apparition de nouveaux clients. Cet effet est tempéré par le fait que la baisse d’indice de prix impose aussi une baisse des prix de vente. De plus, le fait que tous les travailleurs soient immobiles est favorable à la dispersion des activités : plus le nombre d’industries s’accroît, plus les 41 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique salaires tendront à s’élever, ce qui pourra rendre progressivement plus avantageux l’implantation dans l’autre région. Il y a cette fois à l’équilibre égalisation du taux de salaire au sein d’une même région, lorsque les deux catégories de travailleurs (agricoles et industriels) sont effectivement représentées (le salaire est alors égal au salaire agricole). Dans certains cas, tous les travailleurs d’une région sont industriels et l’agriculture y disparaît. Comme dans Krugman 1991, les firmes s’installent dans l’une ou l’autre région, jusqu’à annulation du profit. Il existe un coût de transport unique entre les deux régions pour les biens industriels, T, qui prend la forme « iceberg ». La méthode d’analyse est analogue à Krugman 1991, à savoir donner les parts de travailleurs industriels dans la population de chaque région, soient λ1 et λ2, puis examiner les équilibres et leur stabilité. La forme de la fonction de production complique néanmoins considérablement l’analyse. Le détail de la méthode est donné en annexe 2. 2.2.2.2.Principaux résultats Nous distinguons à présent trois types d’équilibres stables possibles : - La concentration de toute l’industrie dans une seule région, dans laquelle il reste néanmoins une part de travailleurs agricoles (λ1<1, λ2=0 ou l’inverse) - La disparition totale de l’agriculture d’une région, tandis que l’autre région comporte les deux activités, avec l’agriculture majoritaire ((λ1<1, λ2<1/2 ou l’inverse). - La dispersion de l’industrie dans les deux régions (avec des parts respectives qui se trouvent être λ1=λ2=µ), ce dernier étant toujours un équilibre, stable ou instable. Les résultats qualitatifs dépendent en fait de la part de consommation industrielle µ : - Si µ<1/2, on obtient des résultats analogues au modèle de Krugman concernant l’effet des coûts de transport. Lorsque T est élevé, seule la dispersion est un équilibre stable. Lorsqu’il est intermédiaire, dispersion et concentration (λ1=2µ, λ2=0 ou l’inverse) constituent trois équilibres stables. Lorsqu’il est bas, seuls les équilibres de concentration sont des équilibres stables. - Si µ>1/2, on a également dispersion pour T élevé. Pour T intermédiaire, il y a trois équilibres stables : la dispersion, et les configurations λ1=1, λ2<1/2 et inversement. Pour T faible, seules ces dernières configurations sont des équilibres stables. En outre, lorsque T tend vers 1 (pas de coûts de transport), la part d’emploi industriel dans la région « rurale » croît (celle de la région industrielle reste égale à 1), et les salaires réels des deux régions convergent. C’est l’effet « courbe de U inversé » que l’on rencontrera à nouveau plusieurs fois dans la suite. Il y a dans ce modèle deux faits nouveaux. D’une part, l’augmentation de la part de consommation industrielle µ joue en faveur de la dispersion, contrairement au modèle de Krugman 1991. D’autre part, lorsque les coûts de transport sont très bas, une tendance à la dispersion de l’industrie apparaît. Ces effets sont dus à l’immobilité de la population dans les deux régions. Cela produit une incitation à la délocalisation si les salaires industriels augmentent du fait d’une forte production industrielle, et cela maintient aussi un effet taille de marché important dans la région périphérique. L’impact de l’élasticité de substitution est identique aux modèles précédents, il joue en faveur de la dispersion de l’industrie. 42 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique 2.2.2.3.Variantes Comme pour le modèle de Krugman 1991, de nombreuses extensions ont été proposées, reposant toutes ici sur l’hypothèse d’immobilité géographique de la main-d’œuvre. Fujita, Krugman, et Venables (1999) considèrent le cas où l’agriculture est soumise à des rendements décroissants. Dans ce cas, on a un équilibre stable symétrique à fort coûts de transport. Lorsque les coûts de transport baissent, on atteint un point de bifurcation où la part de l’industrie dans les deux régions diverge (il n’y a pas coexistence de trois équilibres stables comme précédemment). Puis, lorsque les coûts de transport diminuent encore, on observe une convergence de la part des travailleurs industriels dans chaque région pour retrouver un seul équilibre symétrique en deçà d’un coût de transport très bas. Une classe importante de variantes concerne les modèles qui distinguent plusieurs secteurs, et permettent de modéliser la spécialisation industrielle des régions. Krugman & Venables (1996) considèrent non plus un mais deux secteurs industriels, tous deux en concurrence monopolistique. Chaque firme utilise en consommations intermédiaires les biens produits par son secteur, et ceux produits par l’autre, mais en proportion moindre (ces proportions se traduisent dans les coefficients d’une fonction Cobb-Douglas). Du fait de cette séparation entre secteurs, on observe sous certaines conditions la spécialisation de chaque région dans un secteur. Gaigné (2001) propose deux variantes : une qui distingue un secteur biens finaux et un secteur biens intermédiaires avec coûts de transport différents (reprise de Puga & Venables 1996), et une qui distingue travailleurs qualifiés et non qualifiés. On obtient à nouveau une spécialisation de chaque région. Daniel (2001) construit un modèle destiné à analyser la spécialisation des régions en agriculture, qui va bien au-delà de la simple variante. En effet, ce modèle suppose l’existence de nombreux produits agricoles et de rendements marginaux décroissants en agriculture (coûts de collecte), avec en outre un coût de transport et une concurrence pour l’occupation du sol. Le secteur non agricole est cette fois un secteur de services à rendements constants. Ce modèle fait apparaître des phénomènes d’augmentation de la productivité dans les régions peuplées et de déprise dans les régions périphériques. Il est cité ici car il comporte malgré tout des points communs avec les modèles précédents (en particulier, il vise à expliquer la répartition spatiale d’activités par un modèle d’équilibre général à deux secteurs). Une autre variante, plus élaborée (proposée dans Fujita, Krugman & Venables 1999), intègre un progrès technique exogène (sous la forme de l’augmentation de la productivité du travail) et une variation de la demande en biens industriels avec le revenu (conformément à la loi d’Engel). L’effet du coût de transport ressemble au modèle de base : lorsqu’il est élevé, il y a dispersion, lorsqu’il diminue il y a d’abord divergence partielle des niveaux d’industrialisation, puis concentration totale dans une région, puis résorption progressive de la divergence et à nouveau répartition égale pour T très bas. En outre, l’augmentation du progrès technique est favorable à la convergence. En modifiant ce modèle avec plusieurs régions et plusieurs secteurs industriels, de multiples configurations de spécialisation industrielle apparaissent. D’autres travaux introduisent une accumulation de capital physique et humain, associant ainsi économie géographique et théories de la croissance endogène (Martin & Ottaviano 1999). 43 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique 2.2.3. Les modèles avec espace continu Cette partie sera plus brève, car elle concerne des modèles qui traitent de l’organisation des systèmes urbains (formation de centres ou de nouvelles villes, hiérarchie urbaine, répartition des activités et des habitants). Ces travaux ne sont pas inintéressants pour l’économie rurale, bien au contraire, puisqu’ils sont utilisés pour rendre compte du phénomène de périurbanisation qui est un des faits stylisés les plus remarquables de l’évolution récente. Toutefois, ce mémoire se restreint à l’étude d’espaces ruraux indépendants de l’influence urbaine directe, et adopte le cadre spatial des modèles à espace discret décrits dans les soussections 2.2.2 et 2.2.3. Aussi, les modèles suivants ne seront cités que pour mémoire. Ces modèles comportent un élément supplémentaire par rapport à ceux étudiés précédemment, à savoir l’introduction d’une concurrence pour l’occupation du sol par le biais de la rente foncière (également présente sous forme non spatialisée dans certaines des variantes des modèles précédents). Celle-ci constitue une force de dispersion supplémentaire. Notons qu’ici, contrairement aux modèles centre-périphérie, une baisse des coûts de transport est en général favorable à la dispersion des habitants (cela n’est en rien incohérent avec les résultats des modèles sur les régions, car ici il s’agit de migrations domicile-travail). On se contente ici de mentionner quelques travaux parmi les plus connus, qui appliquent avec succès les principes des modèles d’économie géographique à un espace continu. - Le modèle fondateur est celui de Fujita (1988). Il comprend deux types d’agents (consommateurs et firmes) et une concurrence pour l’occupation du sol. Il donne des configurations monocentriques, avec, selon les paramètres, soit dispersion en périphérie des entreprises soit dispersion des ménages. Ici, l’émergence du centre n’est pas vraiment endogène puisqu’il se situe précisément au centre géographique de l’espace. - Nous avons déjà évoqué les travaux de Fujita et Ogawa (1982) qui introduisent des externalités non explicités par des mécanismes de marché. D’autres modèles ultérieurs (comme par exemple, Fujita, Thisse, et Zénou 1997) associent externalités émergeant des processus de marché et externalités technologiques. - La variante de Fujita & Mori (1997) introduit plusieurs industries aux paramètres (ρ, T) différents. Elle aboutit à une hiérarchie de villes analogue à celle prédite par la théorie des places centrales, mais dans une géographie à une dimension (tous ces modèles sont d’ailleurs à une dimension : droite, segment ou cercle). - La variante de Gofette-Nagot (2000) distingue firmes distributrices de biens finaux et firmes productrices. Elle permet d’obtenir une périurbanisation des firmes distributrices se renforçant mutuellement avec celle de la population. Conclusion de la section Cette section illustre la fécondité de l’approche utilisée en économie géographique : elle permet de modéliser de nombreuses situations, tout en restant basée sur des fondements microéconomiques. Résumons les principaux résultats fournis par les modèles à espace discret : - Les modèles du type Krugman 1991 (mobilité géographique des travailleurs) donnent surtout des configurations tranchées : répartition symétrique des entreprises ou concentration totale. La baisse du coût de transport mène en général à une plus grande tendance à la concentration. - Les modèles du type Krugman & Venables 1995 (immobilité géographique des travailleurs et biens intermédiaires) donnent une plus grande variété de types d’organisation spatiale. 44 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique En particulier, l’effet du coût de transport sur l’agglomération a souvent une forme « en U inversé ». A plus de deux régions, on observe des dynamiques encore plus riches. Ces deux types de modèles se différencient en outre par l’effet de la part de consommation industrielle. Ces différents modèles ont en commun un rôle prépondérant des coûts de transport (ou d’échange) dans la discrimination des différentes configurations d’équilibre possibles. De nombreuses variantes déjà présentes dans certains modèles peuvent encore être approfondies. Par exemple : évolution démographique, accumulation et diffusion de connaissances, ajout d’un secteur tertiaire,… ainsi que toutes les combinaisons envisageables. En particulier la distinction de plusieurs secteurs avec possibilité de complémentarités variées est encore peu courante. Elle permettrait notamment de distinguer économmies d’agglomération et d’urbanisation. D’autres développements importants en termes d’applications potentielles concernent la modélisation et la comparaison de l’impact de différentes politiques régionales (Martin & Rogers 1995, Trionfetti 1997, Charlot 2000) et les analyses de bien-être correspondantes (Charlot & Gaigné 2001). Dans la section suivante, nous nous intéressons plus particulièrement à la place du rural dans les modèles d’économie géographique, notamment aux conditions sous lesquelles un certain niveau d’activité économique industrielle peut s’y maintenir. 2.3. Economie géographique et analyse de l’espace rural Cette section commence par rappeler ce que les modèles d’économie géographique prédisent au sujet de la région la moins industrialisée. Puis, elle compare ces prédictions aux faits stylisés concernant le rural, et enfin propose des pistes d’approfondissement. 2.3.1 Rappel des résultats des modèles d’économie géographique sur la « région rurale » A partir de ce point, nous ne parlerons plus des modèles à espaces continu, utilisés pour l’analyse de la périurbanisation, et considérerons donc l’espace rural comme un espace situé en dehors de l’influence immédiate des métropoles (en particulier, il n’existe pas de migrations domicile-travail). Dans les modèles d’économie géographique du type centrepériphérie (à régions ponctuelles), le rural se définit par opposition aux régions qui connaissent une concentration industrielle, lesquelles sont qualifiées d’urbaines. Il faut bien avoir conscience que ces modèles ont été élaborés à l’origine dans un but bien précis, qui est de montrer que la polarisation peut émerger sans supposer l’existence d’avantages comparatifs exogènes, et de mécanismes non marchands. En conséquence, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils donnent une description fine de l’évolution de l’espace rural. Dans les modèles théoriques, la ou les région(s) rurale(s) peu(ven)t connaître trois grands types de trajectoires (cf. Gaigné 2001) : - Une fuite inéluctable et totale des activités non agricoles, ou au sens large, non liées au sol (les activités fixes peuvent aussi être des activités valorisant les aménités rurales, ou l’espace pour les résidences). Ce type d’évolution se rencontre dans les modèles à la Krugman (1991) et est dû essentiellement à la mobilité des travailleurs industriels. Cette fuite est d’autant plus marquée que le secteur concerné est moins concurrentiel (produit des biens différenciés, pour lesquels le consommateur a une préférence pour la variété). Elle est aussi amplifiée, dans le cas où la main d’œuvre est mobile géographiquement, lorsque la part de biens commercialisables dans la consommation est élevée. 45 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique - - Une fuite partielle des activités industrielles, suivie d’une convergence (elle aussi partielle) des salaires réels et d’un retour partiel d’une industrie plus ou moins diversifiée, à mesure que les coûts de transport baissent. Cet effet est dû à la faible mobilité géographique des travailleurs, et à la concurrence sur le marché du travail (modèles de type Krugman & Venables 1995). L’existence de facteurs psychologiques faisant préférer la région rurale par les travailleurs renforce cet effet en faveur d’une industrialisation rurale. Une spécialisation dans des secteurs industriels particuliers, liés à des ressources peu mobiles et pour des biens peu différenciés (notamment les activités utilisant une maind’œuvre peu qualifiée, docile et peu mobile), ainsi que les activités distributrices induites par la présence de consommateurs (actifs ou retraités). Dans les deux derniers cas, le rural ne se « vide » pas complètement de ses éléments non agricoles, mais en revanche, un différentiel de salaire réel apparaît entre les régions, et le rural reste caractérisé par une très faible diversité du tissu productif. L’inégalité de salaire réel peut d’ailleurs persister, même si une convergence à long terme est en général prédite par les modèles. 2.3.2. Les évolutions du rural français Les observations sur l’espace à dominante rurale10 sont dans les grandes lignes compatibles avec les prédictions des modèles (voir l’annexe 2 pour quelques données de cadrage sur l’emploi et la population rurales) : - La baisse des coûts de transport et l’augmentation de la diversité des biens produits coïncide avec une forte concentration urbaine. Les zones éloignées de l’influence des plus grandes villes ont été l’objet d’une importante émigration. - L’industrie rurale se spécialise surtout dans les activités à main d’œuvre peu mobile et peu qualifiée, ainsi que sur l’agroalimentaire. - Il existe un différentiel significatif de salaire moyen (nominal et réel) entre zones rurales et urbaines. - Beaucoup d’activités non agricoles en zone rurale sont liées au sol (matières premières, aménités) ou à la population présente (services aux personnes). Notons que la mobilité de la population entre espaces ruraux et urbains est faible (11% de la population rurale a migré vers l’espace à dominante urbaine sur 1982-90), ce qui inclinerait à choisir des modèles à immobilité géographique. Les tests économétriques réalisés sur les évolutions récentes du rural (par exemple, Schmitt 2000) corroborent pour l’essentiel les prédictions des modèles. Ainsi, l’évolution de l’industrie est positivement reliée à celle de la population, et négativement à la présence de main-d’œuvre ouvrière qualifiée en zone rurale (ce qui semble indiquer que l’industrie rurale valorise plutôt la main-d’œuvre peu qualifiée). Les services (qui peuvent être assimilés à des activités liées au sol dans le cas des services aux personnes) expliquent l’essentiel de l’évolution de l’emploi rural, et sont liés positivement à l’évolution de la population et aux aménités touristiques. Toutefois, ces études mettent en évidence des situations contrastées entre les différents bassins d’emploi ruraux. Par ailleurs, nous avons cité plusieurs modèles qui se focalisent sur l’étude de la localisation des activités agricoles, et qui parviennent à saisir certains traits de l’agriculture 10 Dans tout ce document, ce vocable est employé au sens du zonage en aires urbaines de l’INSEE 46 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique contemporaine : déprise dans les régions périphériques, agriculture compétitive dans les régions industrielles, diminution de l’intensité en travail avec les gains de productivité… 2.3.3. Eléments à approfondir Ces concordances générales entre la théorie et les faits ne sont somme toute guère surprenantes, puisque les différents modèles auxquels elles font référence ont souvent été bâtis de façon à rendre compte de faits stylisés spécifiques. Néanmoins, il reste plusieurs points sur lesquels la modélisation en économie géographique apporte peu ou pas de réponse : - L’industrie rurale, particulièrement développée en France (à l’inverse d’autres pays industrialisés) jusqu’au milieu du XXème siècle, a en grande partie périclité, sauf dans les secteurs liés aux matières premières. Pourtant, les derniers recensements montrent que l’industrie rurale résiste mieux qu’en zone urbaine : ainsi en 1990, le secteur secondaire représente 34% de l’emploi total de l’espace à dominante rurale, contre 30% pour la France entière (cf. annexe 2). On peut répondre à nouveau qu’il s’agit surtout d’industries liée aux ressources fixes (industries agroalimentaires, ou utilisant une main-d’œuvre peu qualifiée et docile) ou bénéficiant de conditions particulières avantageuses (proximité d’une voie de communication, soutien public répété), mais il convient d’analyser le phénomène dans le détail. En particulier, on note que les industries agroalimentaires ne représentent en fait que 1/7ème de l’industrie rurale. - Le solde migratoire de l’espace à dominante rurale est positif depuis 1975, et l’emploi total est stable. Il est vrai que ce solde positif est dû essentiellement à l’espace sous faible influence urbaine, mais il est aussi positif en rural isolé sur 1990-99. Or, la plupart des modèles autorisant un déplacement de population prévoient une évolution systématique vers la concentration. On peut invoquer le développement de nouvelles fonctions de l’espace rural (fonctions récréatives et résidentielles), tandis que l’agriculture continue à régresser dans tous les types d’espace, mais là encore des investigations approfondies restent à mener. Par exemple, il semble que l’impact des migrations de retraités sur l’emploi ne soit pas aussi important qu’on pourrait le croire (Schmitt 2000). - Toujours dans l’étude de Schmitt (2000), on constate que l’emploi non agricole rural est positivement relié à la qualification globale de la main-d’œuvre. Ceci semble contradictoire avec la liaison négative entre emploi non agricole et qualification ouvrière. Un développement d’emploi qualifié non ouvrier pourrait expliquer cette observation. De plus, le fait que l’évolution de l’emploi non agricole en zone rurale soit négativement corrélée à la densité d’emploi industriel suggère une certaine redistribution géographique de l’emploi, et non une polarisation croissante de l’industrie. - Les cas, certes ponctuels, mais bien réels, de districts industriels dynamiques en zone rurale ne peuvent être pris en compte dans les modèles d’économie géographique, dans lesquels les seuls effets externes sont les relations autorenforçantes entre offre et demande de biens intermédiaires et finaux. C’est en particulier le dernier point qui nous intéresse particulièrement ici. Il convient en effet de s’intéresser dans un premier temps aux cas les plus spectaculaires du maintien d’une activité forte en zone rurale. Plusieurs faits méritent discussion : - La désintégration verticale observée dans les districts : cet aspect, qui est une des questions de base de l’économie néo-institutionnaliste, ne sera pas étudié ici. - La persistance de la localisation en zone rurale : elle implique l’existence d’avantages naturels ou construits qui permettent de dégager un surplus compensant les effets favorables à la concentration. 47 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique - Le fait que la rente soit captée localement, malgré une taille souvent petite des unités (par opposition à la situation de l’agriculture traditionnelle vis-à-vis des industries agroalimentaires). Conclusion de la section Le formalisme de l’économie géographique constitue un cadre pertinent pour analyser les évolutions de la répartition spatiale des activités, y compris pour représenter les grands traits de l’évolution des régions rurales. Il convient cependant d’approfondir de façon tant théorique qu’empirique certains faits dont il ne rend encore qu’imparfaitement compte. Dans la suite de ce travail, on se concentre sur les effets liés à l’amélioration endogène de l’efficacité, due à l’organisation des agents économiques. 2.4. Pourquoi et comment introduire des effets organisationnels dans un modèle d’économie géographique ? Comme on l’a vu dans la première section, un des buts des modèles d’économie géographique est de montrer qu’il est possible d’expliquer de nombreux phénomènes de différenciation spatiale sans recourir à des avantages comparatifs exogènes ou à des externalités plus ou moins arbitraires. L’existence d’externalités positives non pécuniaires est indiscutable, et d’ailleurs certains modèles d’économie géographique en introduisent. Ottaviano & Thisse (2002) indiquent que les externalités technologiques (en particulier de communication) ont surtout des chances d’être significatives à des échelles restreintes, qui sont celles qui nous intéressent. Cette section est consacrée à l’examen de la façon d’introduire des effets d’organisation dans des modèles d’économie géographique. 2.4.1. L’économie géographique fournit-elle des outils adaptés ? Rallet (2001), souligne la fécondité de la représentation de l’économie géographique pour analyser les mécanismes marchands conduisant à la polarisation. Mais il estime que cette approche ne permet pas de démêler les différents types d’externalités (autres que pécuniaires) pouvant intervenir dans ces processus, et ne fournit pas de mécanisme endogène de limitation de la polarisation (avec des coûts de transport bas, la seule force de dispersion est la présence d’une activité liée au sol, à moins d’introduire des coûts de congestion). En conséquence, les modèles fournissent les résultats tranchés que l’on connaît sauf modification ad hoc : agglomération complète, éventuellement tempérée par la présence d’une population fixe. Or, toujours selon Rallet (2001), ces résultats ne sont pas satisfaisants pour rendre compte de deux faits stylisés contemporains : la « localisation globale » (tendance combinée à l’internationalisation et à la valorisation des ressources locales) et l’« économie d’archipels » (fonctionnement en réseau de multiples pôles économiques, la périphérie de chacun des pôles étant « économiquement morte »). Ces réflexions recoupent en partie les préoccupations de ce mémoire. Des avantages, non en termes de capital physique ou humain, mais d’organisation, peuvent expliquer pourquoi une zone non agglomérée peut devenir attractive économiquement, même dans un contexte de baisse de coûts de transport. Dans l’optique d’une « économie d’archipels », la question serait de savoir comment une région rurale pourrait prendre une part, certes modeste mais non nulle, au réseau global. Cette optique peut ensuite être mise en perspective avec les conceptions du développement rural évoquées en introduction du mémoire : préservation d’une vie économique et sociale minimale, valorisation énergique de nouveaux avantages comparatifs, tentative de modérer la concentration globale. 48 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique Bien que les modèles d’économie géographique soient essentiellement conçus pour l’étude de la polarisation, ils constituent un matériel intéressant pour commencer à examiner les conséquences de la coexistence de forces d’agglomération marchandes et de ressources locales organisationnelles à valoriser. Cela permet de tirer profit des travaux déjà accomplis en matière d’effets d’agglomération, tout en y ajoutant de nouveaux éléments. Naturellement, cela pose le problème de la possibilité d’analyse de la conjonction de mécanismes très différents. Des résultats contre-intuitifs ou peu robustes peuvent émerger. Par exemple, Ricci (1999) ajoute des avantages comparatifs exogènes à un modèle d’économie géographique. Il obtient ainsi que dans certains cas, la baisse des coûts de transport n’augmente pas l’agglomération (il est vrai qu’il introduit une externalité de congestion), et qu’une augmentation d’avantage comparatif n’augmente pas nécessairement la spécialisation… Comme le rappellent Ottaviano & Thisse (2002), les complémentarités sont difficiles à traiter par la théorie économique. Une démarche de modélisation repose sur la simplification de la réalité pour comprendre les mécanismes essentiels. Aussi, les ajouts d’éléments nouveaux se feront avec parcimonie, au besoin en simplifiant d’autres aspects, en évitant de recourir à la simulation, de façon à garder une compréhension des mécanismes en jeu. 2.4.2. Reprise des principaux effets d’organisation Rappelons que Marshall considérait trois types d’effets externes dans les districts industriels : les relations antorenforçantes d’offre et de demande (déjà prises en compte dans les modèles d’économie géographique), la spécialisation des compétences à la demande de travail des entreprises (partiellement prise en compte dans certains modèles) et les externalités technologiques (liées essentiellement aux échanges d’information), non pécuniaires. Dans la sous-section 1.2.1. du chapitre précédent, nous avons détaillé ces idées en établissant une liste plus précise d’effets d’organisation possibles. Nous allons donc reprendre un à un ces effets organisationnels et examiner dans quelle mesure une incorporation dans un formalisme d’économie géographique est envisageable (à « peu de frais » techniques). Les effets sont ici ordonnés conformément à la fin de la soussection 1.2.1., et regroupés pour éviter les redites. Voici quelques possibilités envisageables : a) Accès et prix des facteurs - Accès préférentiel à des ressources naturelles locales : cet effet peut être représenté par une baisse exogène de la valeur du coût marginal c (économie de coûts de transaction proportionnelle à la quantité produite). - Accès préférentiel au crédit : peut être représenté par une baisse du besoin fixe F. - Main-d’œuvre spécialisée, captive, acceptant des salaires inférieurs : cet effet est pris en compte dans les modèles distinguant main-d’œuvre qualifiée mobile et main-d’œuvre non qualifiée fixe (cf. par exemple Gaigné 2001). b) Efficacité interne aux firmes - Qualités de la main-d’œuvre : peut être rendu par une baisse des coûts fixe et marginal. - Autorenforcement des compétences : peut être pris en compte par une baisse du coût marginal du travail, d’autant plus grande que le nombre de firmes est élevé. La prise en compte de cet effet pourrait aussi mobiliser une représentation plus détaillée du marché du travail (marché interne et externe, changements d’entreprise). c) Relations entre firmes - Complémentarités verticales et coopérations ponctuelles (nécessite de prendre en compte les biens intermédiaires) : cet effet est déjà intégré à certains modèles à espace continu 49 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique sous la forme d’externalités associées à la proximité d’entreprises. Il peut aussi être rendu dans un espace discret par une baisse de l’élasticité de substitution entre inputs locaux. - Circulation de l’information technique (nécessite de prendre en compte des biens intermédiaires) : l’évolution technique peut être rendue par une augmentation de l’intensité capitalistique, ou simplement une baisse des coûts fixe et marginal. - Circulation de l’information sur les marchés, et biens utilisés en commun : peuvent être rendus par une baisse des coûts de transport dans le sens SPL=>extérieur. d) Relation avec les marchés - Fidélité aux fournisseurs locaux : nécessite de prendre en compte les biens intermédiaires, peut être rendu par une baisse du coût marginal d’utilisation des biens intermédiaires.d)relations avec les marchés - Tarifs préférentiels, mobilisation efficace des distributeurs : équivaut également à une baisse des coûts de transport dans le sens SPL=>extérieur. - Fidélité aux produits locaux : peut être rendu soit par une modification de l’utilité, soit par l’ajout d’une « taxe psychologique » pour les produits venant de l’extérieur. Etant donné qu’on s’intéresse aux régions rurales, il est peu probable que la demande locale ait un impact significatif, sauf pour des biens de consommation finale ou des services occasionnant peu d’économies d’échelle, donc pouvant être produits par des petites unités. - Barrières à l’entrée : il s’agit ici d’augmenter les profits en créant un pouvoir de monopole. Ce genre de pratique permet certes un développement économique, mais réservé uniquement à un petit nombre11, Pourtant, il peut exercer des effets induits (par exemple, en termes d’image pour une AOC). Les barrières à l’entrée n’ont d’intérêt que si les produits sont très spécifiques et recherchés par les consommateurs (voir points suivants). e) Nature de la demande - Atmosphère propice à l’innovation : difficile à rendre dans un cadre statique, peut se traduire par une baisse des coûts, ou une modification de la fonction d’utilité du consommateur, qui rechercheraient alors davantage les biens produits dans le SPL. - Confiance sur la qualité des produits, image positive de qualité : peut également être rendu par une modification de la fonction d’utilité représentative, pour les produits du SPL (par exemple à l’aide de la méthode des prix hédoniques). - Complémentarités horizontales : on peut traduire cet effet par une diminution de l’élasticité de substitution dans la fonction d’utilité représentative, mais il est difficile d’aller au-delà dans un cadre de concurrence monopolistique. Cela nécessite de considérer plusieurs types de produits. - Baisse des coûts de publicité : peut être rendu par une baisse des coûts de transport dans le sens SPL=>extérieur. - Réactivité aux chocs exogènes : ne peut être pris en compte ici, puisque les biens sont tous symétriques pour que l’analyse sans l’aide de simulations numériques soit possible. Ces propositions constituent une liste assez hétéroclite, à l’image de la diversité des effets d’organisation possibles (d’où d’ailleurs la diversité des modèles de développement proposés dans le monde réel). 11 Cette question renvoie à nouveau à la définition du développement rural. Le terme de développement peut prendre des acceptions très variables et n’avoir que peu de rapport avec la croissance économique. Par exemple, parmi les projets de pays actuellement en cours d’élaboration, on trouve des stratégies basées sur le rejet des nouveaux arrivants et la consolidation des avantages des résidents actuels. 50 Chapitre 2 : L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique 2.4.3. Quels effets d’organisation choisir ? Tout d’abord, on peut noter que beaucoup d’effets énumérés ci-dessus peuvent grossièrement être modélisés par une modification arbitraire de certains paramètres correspondant à la région qui se différencie par ses effets d’organisation : l’organisation garde alors entièrement un caractère de « boîte noire ». Bien entendu, cette démarche n’a que peu d’intérêt car elle ne peut conduire qu’à des propositions tautologiques, du genre : « si on modélise la préférence pour les produits locaux par une augmentation du coût de transport des produits importés, l’industrie locale est favorisée ». Comme on l’a signalé au § 1.3.2., elles peuvent tout de même être utiles pour étudier les effets induits par l’accroissement de compétitivité obtenus grâce à l’organisation. Cette démarche sera la première menée dans le chapitre suivant. Pour aller plus loin, ainsi qu’il a été indiqué dans le § 1.3.2., les effets suivants seront étudiés : - Complémentarités verticales entre firmes, ce qui nécessite d’introduire des biens intermédiaires. Le degré de complémentarité sera représenté par l’élasticité de substitution des biens intermédiaires dans la fonction de production. - Innovation sur un produit agricole et image positive chez les consommateurs, avec une barrière à l’entrée pour préserver une situation de monopole. Le caractère « de qualité » de ce produit sera représenté par une modification de la fonction d’utilité, qui confère une plus grande utilité au bien de qualité par rapport au bien générique, mais conserve la substituabilité des deux types de biens agricole. Ils semblent en effet se prêter facilement à une incorporation dans un modèle d’économie géographique, tout en imposant des modifications non triviales, et nous verrons qu’ils ont des implications intéressantes. Ce type de démarche correspond au compromis entre une prise en compte de l’organisation par des modifications ad hoc des paramètres, et l’explicitation des effets élémentaires d’organisation. Conclusion de la section A l’issue de ce chapitre, nous avons exposé plus concrètement la façon dont un modèle d’économie géographique pourrait inclure certains effets organisationnels. Plusieurs pistes ont délibérément été mises de côté et pourront faire l’objet d’investigations ultérieures. L’étape suivante, objet du chapitre 3, va consister en la formulation explicite de variantes de modèles de type Krugman (1991) et Krugman & Venables (1995). 51 Chapitre 3. Variantes analysant des effets organisationnels Ce chapitre propose des variantes des modèles de Krugman (1991) et de Krugman & Venables (1995). Il reste donc dans le cadre du modèle de Dixit-Stiglitz, afin de pouvoir capitaliser les nombreux travaux qui ont découlé des deux modèles fondateurs. Il n’est pas possible de choisir a priori entre un modèle avec mobilité géographique sans mobilité intersectorielle (type Krugman 1991), et l’inverse (type Krugman & Venables 1995) lequel serait le plus adapté à l’espace rural. Les modèles à mobilité géographique peuvent être choisis en supposant que l’échelle de temps est trop courte pour permettre des changements de compétences (transferts entre population agricole et ouvrière), alors que zones rurales et urbaines sont parfaitement ouvertes aux migrations. Mais comme on l’a vu, ils présentent l’inconvénient de donner des équilibres très tranchés, et obligent à partir systématiquement de situations en coin plutôt que de situations d’industrialisation rurale partielle. Cet inconvénient sera contourné en s’intéressant uniquement aux conditions qualitatives favorables à la délocalisation d’une partie des activités en zone rurale, sans s’intéresser à des équilibres de délocalisation partielle. Inversement, les modèles à mobilité sectorielle rendent bien compte de la faible mobilité des populations rurales, et de la fréquence (relative) de la double activité agriculture-industrie observée en zone rurale. Leur étude analytique est parfois plus délicate, surtout en présence de biens intermédiaires dans l’industrie. Dans ce travail, on se borne à une étude analytique, qui ne rend compte que d’une partie de la richesse des modèles, mais permet de démontrer des résultats généraux. Le principe sera toujours le même. On partira d’une situation de concentration totale de l’industrie dans une région (qui est donc la région urbaine), et on explicitera la condition de délocalisation de l’industrie en zone rurale. L’effet des différents paramètres sera alors étudié. Cette méthode suppose que les conditions obtenues sont suffisamment robustes pour être généralisables à des situations intermédiaires. Comme indiqué en §1.3.2., trois types de modèles seront étudiés : un modèle avec amélioration exogène de l’efficacité de l’industrie dans une région rurale, un modèle avec davantage de complémentarités verticales entre firmes dans la région rurale, et un modèle avec différenciation d’un produit agricole ou lié au sol. Le premier et le troisième types de modèle comprendront trois régions (une région urbaine et deux régions rurales), le second en comprendra deux. 3.1. Les conséquences d’une amélioration de l’efficacité de l’industrie rurale dans un modèle à trois régions Cette section présente l’analyse de modèles qui visent à approcher la question de la différenciation des zones rurales par le biais d’un changement arbitraire dans l’efficacité du système productif industriel. A ce stade, on garde les hypothèses les plus simples sur la structure industrielle : un seul type de firmes, toutes identiques, en concurrence monopolistique, n’utilisant que le facteur travail. Le mécanisme précis de différenciation des entreprises est pour le moment éludé, et il est en fait résumé dans la variation des paramètres des fonctions de production. Dans la suite, on cherchera à préciser la façon dont l’organisation locale agit sur les fonctions de production. Dans toute cette section, les modèles comprennent trois régions ponctuelles : une région urbaine, une région rurale dite « différenciée », dont les paramètres de fonction de production 52 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels sont appelés à varier, et une région rurale dite « indifférenciée », dont la fonction de production est identique à celle de la région urbaine. Deux types de conditions sont alors dérivées analytiquement : - La condition de délocalisation d’une partie de l’industrie urbaine vers la région rurale ; - La condition sous laquelle la région rurale différenciée est plus attractive pour l’industrie que la région rurale indifférenciée. Il faut noter que l’utilisation d’un modèle à trois régions a déjà été proposée dans plusieurs travaux antérieurs : - Fujita, Krugman & Venables (1999) généralisent le modèle de Krugman (1991) à trois régions, mais il s’agit de régions identiques par leur distribution d’agriculteurs et leurs paramètres. Les résultats sont qualitativement identiques au modèle de Krugman (1991). - Puga & Venables (1997) étudient un modèle proche de Krugman & Venables (1995), et s’intéressent aux conditions de rupture de l’équilibre d’équipartition de l’industrie, dans un contexte d’intégration partielle de l’économie (représentée par une diminution des coûts de transport), ou de configuration « rayon-moyeu » (cf. Annexe 3 point 2.), ainsi qu’aux conséquences en termes de bien-être collectif. Les régions qui intègrent leurs économies dans le premier cas, et la région centrale dans le second, sont bénéficiaires en termes d’activité industrielle et de bien-être. - Crozet & Koenig-Soubeyran (2002) étudient l’évolution d’un pays composé de deux régions lorsqu’il s’ouvre au commerce extérieur (l’extérieur étant représenté par une troisième région). Ils montrent que l’ouverture favorise la polarisation au sein du pays (contrairement aux travaux de Krugman & Livas 1996), surtout si la région extérieure est grande. Si les coûts de transport sont différenciés, l’agglomération se produit préférentiellement dans la région la plus proche du marché extérieur. Le présent travail a la particularité par rapport aux articles cités ci-dessus de partir d’une configuration polarisée, et surtout d’ajouter une différenciation de la fonction de production entre les différentes régions, assimilable à un avantage comparatif susceptible de tempérer les effets des mécanismes cumulatifs de polarisation. Bien qu’il s’agisse d’un modèle d’équilibre général, dans l’analyse présentée ici, la région urbaine a surtout pour rôle de fixer un niveau de salaire réel (ou de manière équivalente, d’utilité) de référence pour évaluer la possibilité de délocalisation. En effet, on part ici d’une situation initiale d’agglomération totale de l’industrie dans la région urbaine, et on cherche uniquement à déterminer des conditions de délocalisation partielle (infinitésimale dans les calculs) de l’industrie. Il ne s’agit pas de rechercher explicitement les équilibres stables autres que l’agglomération initiale. Comme dans tous les modèles de ce type, on s’attend à ne trouver que des équilibres d’agglomération totale ou de répartition symétrique. La démarche entreprise ici se fonde donc sur un postulat de robustesse des résultats qualitatifs obtenus sur les conditions de délocalisation, sachant que le modèle dans son ensemble (types d’équilibre obtenus) est peu approprié pour décrire l’évolution possible de l’espace rural. De plus, elle suppose acquis qu’il est possible de faire varier l’efficacité productive, dans le sens d’une amélioration, dans la zone rurale. Cette variation est censée représenter l’effet d’une meilleure coordination entre firmes, mais son origine sera à approfondir. Nous étudions successivement un modèle avec mobilité géographique et immobilité sectorielle (type « Krugman 1991 »), et un modèle avec immobilité géographique et mobilité sectorielle (type « Krugman & Venables 1995 »), considéré comme cas polaire à l’autre extrême du précédent. 53 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels 3.1.1. Une version avec mobilité géographique et immobilité sectorielle Cette sous-section a pour objectif de comparer l’aptitude à attirer une activité industrielle de régions rurales ayant des caractéristiques différentes du point de vue de l’efficacité productive, dans un cadre de type Krugman (1991). Elle comprend trois parties. Dans un premier temps, les hypothèses générales et notations sont présentées. Dans la seconde partie, la condition de délocalisation en zone rurale est établie. La troisième partie compare l’attractivité de la région rurale différenciée par rapport à l’autre. 3.1.1.1. Hypothèses et notations On considère une économie à trois régions dans un équilibre de polarisation : deux régions rurales ne comprenant que de l’agriculture, et une région industrielle (ou urbaine) concentrant la totalité des emplois industriels. La région urbaine ne comporte donc initialement aucun agriculteur, tandis que les régions rurales ne comportent aucun ouvrier, mais se partagent les travailleurs agricoles dans une proportion variable notée θ (exogène). En effet, la part du monde rural qui bénéficie de l’amélioration de l’efficacité productive que l’on cherche à représenter est bien entendu variable. Puis, une différenciation des paramètres est réalisée entre les deux régions rurales. Les conditions de délocalisation de la main-d’œuvre industrielle sont alors étudiées (on rappelle que d’après les hypothèses du modèle, la migration de main-d’œuvre engendre de facto une création d’établissements industriels). La main-d’œuvre industrielle migre dans la région rurale à condition qu’elle soit susceptible d’y percevoir un salaire réel supérieur. Le tableau suivant donne les notations du modèle : Main-d’œuvre agricole Région urbaine U 0 Rural différencié D LAD = θLA Rural indifférencié I LAI = (1 − θ ) LA Main-d’œuvre industrielle LMD = 0 LMI = 0 LUM = LM l = F+c.q l = F’+c’.q l = F+c.q Fonction de production Paramètres des ménages σ, µ σ, µ σ, µ M A Revenu régional wU LU LD LAI Le prix agricole est posé comme numéraire, égal à 1. Le coût de transport, noté T12, concerne seulement l’industrie. Rappelons que dans ce modèle, la main-d’œuvre agricole est répartie de façon exogène, tandis que la main-d’œuvre industrielle est le résultat d’un équilibre. Dans son article, Krugman donne une condition de normalisation qui est LA LM = (1 − µ ) µ . Cette condition est censée traduire le fait que, dans le long terme, la part de travailleurs industriels et la part de biens industriels dans la consommation s’ajustent, ceci découlant de la tendance à l’égalisation des salaires industriel et agricole. Cela peut sembler surprenant, puisque le salaire industriel varie en fait indépendamment du salaire agricole dans son modèle. Cette contradiction apparente découle de l’hypothèse selon laquelle le revenu agricole est indépendant de la demande de biens agricoles. D’autre part, notons que cette hypothèse d’égalité des salaires agricoles et industriels implique (comme le pensait d’ailleurs Ricardo et les classiques, mais que les faits aujourd’hui ne confirment pas), que le salaire industriel tende vers le salaire de subsistance. Ici, nous ne faisons pas une telle hypothèse de 12 On rappelle que, contrairement à l’article de Krugman (1991), le paramètre du coût de transport T représente l’inverse de la part de produit industriel arrivant à destination (que Krugman note τ). On a donc T=1/τ >1 et ce paramètre est croissant avec le coût de transport. 54 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels normalisation (les conditions trouvées ne font de toute façon pas apparaître le rapport des populations agricole et industrielle). Comme dans Krugman (1991), nous allons envisager un déplacement infinitésimal de travailleurs manufacturiers de la région U vers la région D, et examiner si ce déplacement est soutenable, en comparant les salaires réels dans les deux régions. Ici, on ne considèrera que les délocalisations vers la région D, puisque c’est elle qui subit une amélioration de l’efficacité productive. 3.1.1.2. Conditions de délocalisation dans une région rurale Nous allons établir la condition sous laquelle la région urbaine retient tous les emplois industriels, ou de manière équivalente, la condition sous laquelle une délocalisation a lieu dans une région rurale. Pour commencer, nous considérons deux régions rurales aux caractéristiques productives identiques : la région D ne se différencie pas, et les deux régions se distinguent uniquement par leur taille, donc par le seul effet de taille de marché. Le calcul du salaire nominal se fait à partir de la demande adressée à chaque firme, combinée avec les équations (1), (2) et (3) du § 2.1.2. Supposons que quelques firmes s’implantent dans la région D, en nombre nD. La demande adressée à chaque firme de la région U s’exprime comme la somme des demandes dans les trois régions : −σ −σ wU LUM pU−σ LAIT 1−σ pU ( LAD + wD LMD )T 1−σ pU qU = µ + + 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ nU (TpU ) + n D p D nU (TpU ) + n D (Tp D ) nU pU + nD (Tp D ) La demande adressée à une firme qui s’implanterait dans la région D est de même : −σ wU LUM T 1−σ p D −σ LAIT 1−σ p D ( LAD + wD LMD ) p D−σ qD = µ + + 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ nU (TpU ) + n D p D nU (TpU ) + n D (Tp D ) nU pU + n D (Tp D ) Et on obtient une formule analogue par permutation des indices pour la région I. En fait, comme on suppose que le déplacement de travailleurs de la région U est infinitésimal, on suppose que LMD et n D sont très petits devant LAD et nU respectivement. Nous allons donc développer ces expressions à l’ordre 0. Nous trouvons donc, en élargissant le raisonnement à la région I : wU LM pU−σ LAD T 1−σ pU −σ LAIT 1−σ pU −σ µ qU = µ + + = 1−σ 1−σ 1−σ nU (TpU ) nU (TpU ) nU pU nU pU −σ wU LM T 1−σ p D −σ LAD p D−σ LAIT 1−σ p D µ pU µ + + = qD = 1−σ 1−σ 1−σ n p n p n Tp n Tp ( ) ( ) U U pD U U U U U U [w U LM + LAD + LAI ] σ LA wU LUM T 1−σ + 1−Dσ + LAI T σ −σ wU LM T 1−σ p I −σ LA T 1−σ p −σ LAI LAI p I µ pI M 1−σ A D I qI = µ w L T L + + = + + D U U T 1−σ nU pU1−σ nU (TpU )1−σ nU (TpU )1−σ nU pU p D Ces expressions peuvent s’interpréter comme la quantité effectivement vendue par une firme de la région U, et les quantités que vendraient des firmes qui s’implanteraient respectivement en région D et I. A présent, les expressions (1), (2) et (3) énoncées en sous-section 2.1.2. permettent d’éliminer les prix, nombres d’entreprises et quantités vendues. L’équation donnant qU permet d’extraire la valeur de wU, puis celle donnant qD relie wD à wU et celle donnant qI relie wI à wU. Rappelons que l’usage de ces équations repose sur l’hypothèse (forte) que même en cas de déplacement infinitésimal de firmes dans une région rurale, il y a 55 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels plein emploi et annulation du profit. On peut affaiblir cette hypothèse en considérant qu’il suffit que le profit soit positif en région rurale et remplacer l’équation (2) par : qi ≥ (σ − 1) F / c . Dans ce cas, les conditions de délocalisation trouvées ne sont plus des conditions nécessaires et suffisantes, mais seulement des conditions suffisantes. Calcul de wU : qU = A F (σ − 1) µF (σ − 1) M L L = + c wU LM c d’où on tire : wU = µ LA (4) 1 − µ LM Ce salaire peut être supérieur ou inférieur à 1, puisque ouvriers et agriculteurs sont des populations indépendantes. Calcul de wD/wU (absence de différenciation de la fonction de production de D) : F (σ − 1) µF (σ − 1) wU qD = = c LM c wD w Soit : D wU σ M 1−σ 1 − µ LM LAD L T + ( 1−σ + LAI ) A µ L T σ LA LA = µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1 DA + (1 − µ ) AI L L Il convient cependant de comparer les salaires réels et non les salaires nominaux. Etant données les approximations faites et la normalisation du prix agricole, la relation entre les deux est simple. En effet : ω U = wU /(nU1 /(1−σ ) pU ) µ et ω D = wU /(nU1 /(1−σ )TpU ) µ d’où (ω D / ω U ) = ( wU / wD )T − µ Pour calculer les salaires nominal et réel dans la région I, on raisonne de manière analogue et finalement, en introduisant le paramètre θ de répartition de la population agricole entre les deux régions rurales, on obtient : wU = ωD ωU ωI ωU µ LA 1 − µ LM 1/ σ = µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ ) T − µ 1/ σ = µT 1−σ + (1 − µ )θ + (1 − µ )(1 − θ )T σ −1 T − µ [ ] [ ] La condition de dispersion de la main-d’œuvre urbaine est : ω D ≥ ω U ou ω I ≥ ωU . 1/ σ 1 + µ 1−σ 1 − µ σ −1 T + T T − µ ≥ 1 , où les La condition obtenue par Krugman (1991) est : 2 2 deux termes de la somme entre crochets correspondent respectivement à la contribution de la région urbaine et à celle de la région rurale. Elle est différente des conditions trouvées ici puisque, outre le fait que la région rurale est scindée en deux (d’où le troisième terme de la somme entre crochets, correspondant au rural indifférencié), la répartition initiale des travailleurs est différente : dans son article, la population agricole était uniformément répartie entre régions rurale et urbaine. 56 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Effet des paramètres Les formules précédentes permettent de connaître facilement l’influence de certains paramètres sur la possibilité de dispersion : - L’augmentation de la part θ de population agricole dans la région D est favorable à la délocalisation dans la région D (et inversement pour la région I) : il s’agit d’un simple effet de taille de marché qui implique que la présence de consommateurs en plus grand nombre est favorable à une industrialisation. - L’augmentation de la part de produits industriels dans la consommation, µ, a un effet défavorable à la dispersion, comme dans le modèle de Krugman. - On note enfin que le rapport LA LM n’intervient pas dans la condition de dispersion : le rapport des populations urbaine et rurale ne joue pas, ce qui est surprenant, on se serait attendu à ce qu’une population urbaine très élevée par rapport à la population rurale rende plus difficile l’industrialisation rurale. Pour le coût de transport, l’étude est plus complexe que dans le modèle de base. Les calculs sont donnés en annexe 4. On trouve que quatre cas sont possibles : - Si σ<1/(1-µ) (c’est la « black-hole condition » de Krugman), la délocalisation n’est jamais possible, quel que soit T. En d’autres termes, l’effet taille de marché en région rurale ne parvient jamais à compenser les rendements d’échelle externes croissants dans la région urbaine lorsque la substituabilité des biens industriels est trop faible. - Si σ>1/(1-µ) et µ > (σ - 1)/(3σ - 2) , la délocalisation est instable pour T faible, elle devient stable à partir d’un certain seuil du coût de transport. Même lorsque la taille de la région D est importante, il y a toujours concentration lorsque le coût de transport est suffisamment faible du fait de la diminution de l’avantage lié à la proximité géographique des industries en zone rurale. - Si µ < (σ - 1)/(3σ - 2) (cette condition étant équivalente à σ > (1 − 2 µ ) /(1 − 3µ ) ) et θ < µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , le résultat est identique. - Si µ < (σ - 1)/(3σ - 2) mais θ > µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , alors la délocalisation est toujours stable. Dans ce cas, la demande en biens industriels est suffisamment faible (ou la préférence pour la variété suffisamment faible) pour favoriser systématiquement une localisation industrielle à proximité de la clientèle rurale. Dans la suite, nous exclurons les deux cas, inintéressants, où µ < (σ - 1)/(3σ - 2) et θ > µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , et où σ<1/(1-µ). Les résultats ci-dessus interprètent la condition de délocalisation de façon rigoureusement dichotomique : délocalisation/concentration. Cependant, si l’on considère uniquement les variations de la fonction V = µT 1−σ (1+ µ ) + (1 − µ )θT σ (1− µ )−1 + (1 − µ )(1 − θ )T −σµ , qui mesure en quelque sorte la tendance à la délocalisation (cf. annexe 4.), on constate que dans tous les cas où il existe un seuil de délocalisation, la baisse des coûts de transport conduit à une augmentation de V pour T suffisamment faible, et est de fait qualitativement favorable à la délocalisation. Concernant l’effet de l’élasticité de substitution, ce dernier est étroitement relié à l’effet du coût de transport. Si les valeurs des paramètres sont telles qu’une hausse du coût de transport favorise la dispersion, une hausse de l’élasticité de substitution favorisera encore plus la dispersion, et inversement. Dans toutes les situations où la baisse du coût de transport est 57 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels défavorable à la délocalisation industrielle, moins les biens sont différenciés (σ élevé), plus la dispersion est favorisée, ce qui est le même résultat que dans le modèle de Krugman. De façon générale, tous ces effets sont qualitativement identiques au modèle de Krugman. Il faut à présent à examiner la principale modification du modèle, qui est la différenciation d’une région. Cas où la région D se différencie du point de vue de la fonction de production Considérons à présent le cas où la fonction de production est différenciée dans la région D. La seule équation à modifier concerne est donnant le salaire potentiel de la région D. Tous calculs faits, le rapport des salaires réels devient : ωD ωU F = F' 1/ σ c c' (σ −1) / σ [µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ ) ] 1/ σ T −µ La formule ci-dessus d’ailleurs analogue à celle obtenue par Gaigné (2001) dans un modèle à deux régions et un cadre du type Krugman & Venables (1995). Ainsi, on constate qu’avec ces hypothèses simples, les nouveaux paramètres introduits modifient de manière très simple la condition précédente et ont un effet évident et conforme à l’intuition sur la condition de dispersion : - La baisse du besoin marginal en facteur est favorable à la dispersion vers la région D, et l’effet est d’autant plus marqué que les biens sont substituables. - La baisse du besoin fixe en facteur est favorable à la dispersion vers la région D, et ce, à l’inverse, de façon d’autant plus sensible que les biens sont peu substituables. L’élasticité de substitution joue donc à présent un rôle plus ambigu. Si la différenciation se fait essentiellement via le besoin fixe (F/F’>>c/c’), alors une hausse de σ devient moins favorable à la délocalisation dans la région D, contrairement aux résultats habituels. Inversement, si la différenciation se fait essentiellement via le besoin marginal (F/F’<<c/c’), alors la différenciation renforce l’impact positif de σ sur la délocalisation. On note en outre que dans ces formules, le besoin fixe en travail joue un rôle, ce qui n’est en général pas le cas dans les conditions trouvées dans les modèles de ce type. La figure suivante donne la relation entre coût de transport et rapport des salaires réels, illustrant la relation « en U inversée », classique dans les modèles d’économie géographique : Avantage relatif de la région D en termes de salaire réel avec ou sans différenciation ω D / ωU F’<F ou c’<c F’=F, c’=c 1 T 58 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Réécriture de la condition en introduisant un paramètre d’efficacité relative de la différenciation Il est possible de réécrire la condition de délocalisation dans la région D sous la forme d’un seuil d’efficacité relative de la production industrielle dans cette région : ξ> µT 1−σ T µσ F = ξ , où l’on a posé ξ = σ −1 + (1 − µ ) T θ + (1 − θ ) F' [ ] c c' (σ −1) >1 Ce paramètre peut en effet être simplement interprété comme l’efficacité relative de la région D par rapport aux autres régions « indifférenciées » sur le plan de l’organisation. Donnons les variations de cette expression en fonction du coût de transport (cf. annexe 4) : si l’on exclut les cas inintéressants mentionnés précédemment dans l’étude de l’effet du coût de transport, le seuil ξ est inférieur à 1 quand le coût de transport est élevé (il y a donc toujours délocalisation), puis lorsque le coût de transport décroît, il croît vers un maximum, et tend ensuite vers 1 quand le coût de transport tend vers 1. En d’autres termes, si l’on considère une « baisse tendancielle de coût de transport », l’efficacité relative qu’il est nécessaire d’avoir en région D pour que l’industrie s’y délocalise commence par s’élever, puis s’abaisse pour progressivement tendre vers 1. Lorsque le coût de transport est très faible, même une faible efficacité relative permet la délocalisation. D’autre part, ξ diminue quand la part de population agricole θ de la région D augmente, et augmente quand la part de consommation industrielle augmente. Tous ces effets sont cohérents à l’étude faite plus haut sur la condition de délocalisation en l’absence de différenciation. Réécriture de la condition du point de vue de la taille de la région Une autre formulation concerne cette fois le seuil en fonction de la taille de la région rurale D nécessaire pour attirer la main d’œuvre industrielle : θ> T µσ − ξ ( µT 1−σ + 1 − µ ) =θ ξ (1 − µ )(T σ −1 − 1) L’effet qualitatif des paramètres sur ce seuil θ est identique à la discussion précédente, et ne sera pas repris ici. Ces deux formulations, en termes de conditions sur ξ ou θ, seront utilisées dans le point suivant. 3.1.1.3. Attractivité relative des deux régions rurales Pour approfondir l’analyse, il conviendrait d’étudier les transferts possibles entre les deux régions rurales. Cependant, dans ce travail, il n’est pas fait usage de simulations numériques, qui seraient indispensables pour étudier des configurations autres que la situation en coin sur laquelle on travaille ici. Afin d’évaluer l’attractivité relative des deux régions rurales, nous nous contenterons de comparer les salaires réels entre les deux régions rurales. En l’absence de différenciation de la région D, on a ω D > ω I si et seulement si θ >1/2, ce qui est normal puisque les deux régions ont les mêmes caractéristiques. La délocalisation se produira d’abord à destination de la région où la population est la plus nombreuse, puisque le marché y est plus vaste. 59 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Plus intéressante est la condition en présence de différenciation. A présent, en réutilisant le paramètre ξ défini plus haut, on peut écrire la condition selon deux points de vue, celui de ξ et celui de θ. On a ω D > ω I si et seulement si : ξ> [ [ ] ] µT 1−σ + (1 − µ ) θ + (1 − θ )T σ −1 µ (1 − ξ )T 1−σ + (1 − µ )(T σ −1 − ξ ) * ξ θ = , équivalent à > =θ * µT 1−σ + (1 − µ ) θT σ −1 + (1 − θ ) (1 − µ )(1 + ξ )(T σ −1 − 1) Ainsi, la délocalisation a lieu dans la région D à condition que ξ > max(ξ , ξ * ) ,ou que, de manière équivalente, θ > max(θ ,θ * ) . La comparaison des deux types de seuils (de salaire réel supérieur à la zone urbaine, et de meilleure attractivité que la région I) ne donne lieu à aucune propriété remarquable. En conséquence, l’attractivité relative des deux régions rurales fera l’objet d’une étude totalement séparée. Point de vue de l’efficacité relative de la différenciation, ξ L’effet des paramètres sur le seuil ξ * est démontré en annexe 4, et on donnera uniquement ici les résultats qualitatifs, qui sont valables à condition de supposer que θ <½ (en effet, le phénomène d’organisation étudié a des chances de ne concerner qu’une faible part de l’espace rural). L’efficacité nécessaire pour rendre la région D plus attractive est d’autant plus faible que : - - la taille de la région D est importante : on retrouve un effet taille de marché. la part de biens industriels dans la consommation est grande : cet effet est inverse à celui trouvé pour la condition de délocalisation, puisque le seuil ξ croît avec µ. le coût de transport est faible : cet effet est différent de ce que l’on observe pour le seuil de délocalisation ξ , ce seuil étant décroissant avec le coût de transport au delà d’un certain seuil. Toutefois, dans une zone de coût de transport faible, l’effet est qualitativement identique : la baisse de coût de transport fait diminuer les deux seuils. l’élasticité de substitution est faible : même remarque que pour le coût de transport. Point de vue de la taille relative de la région D, θ On voit clairement que plus ξ est grand, plus le seuil est faible et devient même négatif dès que : ξ > ( µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1 ) ( µT 1−σ + (1 − µ )) > 1 (dans ce cas, la région D est systématiquement privilégiée, quelle que soit sa population). Examinons maintenant le point de vue du coût de transport. On peut montrer que le seuil θ * s’élève lorsque le coût de transport augmente. D’autre part, θ * est négatif en dessous d’un certain coût de transport, et il tend vers 1/(1+ξ)<½ lorsque le coût de transport tend vers l’infini. Ainsi : - En dessous d’un certain seuil de coût de transport (qui dépend de ξ, tout en restant supérieur à 1), la région D est systématiquement privilégiée pour une délocalisation. - Au-dessus de ce seuil de coût de transport, il existe une part minimale de population θ * que doit comporter la région rurale différenciée pour attirer les entreprises. Cette part minimale est d’autant plus faible que la différenciation est importante (ξ est grand), et elle est toujours inférieure à ½. Concernant l’effet de l’élasticité de substitution, en raisonnant de même que pour ξ * , on déduit qu’une augmentation de l’élasticité de substitution élève le seuil à partir duquel la 60 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels délocalisation se produit dans la région D. Enfin, on peut montrer que θ * diminue lorsque µ augmente. Ainsi, on constate que les résultats qualitatifs sur θ * sont équivalents à ceux sur ξ * (à condition que θ<½). En particulier, les facteurs favorables à la délocalisation (T élevé, σ élevé, µ bas) ont aussi dans certain cas un effet inverse sur le seuil de délocalisation (élèvent le seuil de population nécessaire à la région D pour attirer les firmes et la main d’œuvre de la région urbaine). Seule l’augmentation du paramètre ξ d’efficacité relative de la région D, joue en faveur à la fois d’une délocalisation et d’une diminution du seuil θ * d’attractivité relative. Synthèse de ce premier cas Ces calculs illustrent le type d’analyse qu’il est possible de réaliser sans aide de simulations. La comparaison des points de vue « efficacité relative » et « taille du marché » permet de confirmer que les paramètres influencent les deux seuils ξ et θ étudiés de la même manière. En revanche, les paramètres ont parfois un effet opposé sur les seuils de délocalisation et sur les seuils d’attractivité. Résumons donc les effets trouvés : - L’augmentation de la taille de la région D est toujours favorable à la fois à la délocalisation industrielle dans cette région et à la plus grande attractivité de cette région par rapport à l’autre région rurale. Il s’agit d’un simple effet de taille de marché. - De même, l’augmentation de l’efficacité relative de la production dans la région D a les mêmes effets. - La baisse du coût de transport est d’abord défavorable à la délocalisation, puis devient favorable lorsqu’il est très bas. En revanche, elle est dans tous les cas favorable à l’amélioration de l’attractivité de la région rurale différenciée par rapport au rural indifférencié. - La baisse de l’élasticité de substitution a le même effet que la baisse du coût de transport. - L’augmentation de la part de consommation industrielle est défavorable à la délocalisation, alors qu’elle est favorable à l’augmentation de l’attractivité de la région D. Une digression discutant les effets de la différenciation des coûts de transport entre régions est donnée en annexe 3. 3.1.2. Une version avec immobilité géographique et mobilité sectorielle L’hypothèse de mobilité géographique sans mobilité professionnelle est souvent adoptée pour étudier la différenciation régionale, partant de l’hypothèse que le travail est très mobile entre régions (à l’inverse des travaux en économie internationale). Cependant, cette hypothèse est peu adaptée au monde rural où la main-d’œuvre industrielle est généralement peu mobile géographiquement, et où les cas de double activité agriculture/industrie sont relativement courants. En conséquence, nous allons reprendre le modèle précédent en supposant cette fois la population totale fixe dans chaque région, mais la mobilité professionnelle parfaite. Les résultats obtenus peuvent néanmoins être plus délicats à interpréter, car les modèles de type Krugman-Venables (1995) donnent généralement, dès que la part de consommation industrielle est suffisante, une certaine concentration industrielle en région rurale. Or, toujours dans le but d’obtenir des expressions analytiques, nous continuons à considérer des situations en coin. La robustesse de l’analyse de la condition de délocalisation et d’attractivité relative est donc plus discutable. 61 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels 3.1.2.1. Hypothèses, notations et modifications de la méthode d’analyse Nous reprenons le cadre géographique à trois régions comme dans la sous-section précédente, mais cette fois, la population totale de chaque région est donnée a priori. La définition de la région urbaine U par rapport aux régions rurales D et I ne découle plus d’un équilibre, mais uniquement d’une répartition de population totale fixée de manière exogène. Nous partons d’une situation où il n’y a pas d’industrie dans les régions rurales, et examinons si cette situation est stable. Il existe à présent un salaire unique dans chaque région, et deux cas possibles pour la détermination de ce salaire. Soit des agriculteurs coexistent avec la main-d’œuvre industrielle, auquel cas le salaire régional est égal au salaire agricole. Soit il n’y a que des ouvriers, et le salaire est supérieur ou égal à un. Selon le cas, l’inconnue recherchée sera la part d’ouvriers dans la population régionale λ, ou bien le salaire régional. Le salaire agricole joue donc le rôle d’un salaire de réservation. Il convient de modifier les notations : Main-d’œuvre totale, exogène Part d’ouvriers (endogène) Fonction de production Paramètres des ménages Revenu régional Région urbaine U LU Rural différencié D Rural indifférencié I LD = θLR LI = (1 − θ ) LR λU l = F+c.q σ, µ wU LU λD l = F’+c’.q σ, µ wD L D λI l = F+c.q σ, µ wI L I Le salaire agricole est à nouveau posé égal à 1. Posons en outre LR = LD + LI , et L = LU + LR . Il faut noter que le paramètre θ a maintenant un sens différent de la première section : ce n’est plus la part de population agricole (liée au sol) dans la région D, c’est la part de population rurale totale dans cette région D. En pratique, comme on s’intéresse dans ce travail à une situation initiale en coin où λD=λI=0, il n’y a pas de différence. Contrairement à Krugman & Venables (1995), la fonction de production a pour seul facteur le travail, ce qui permet de conserver les équations de Dixit-Stiglitz (1977) : σ −1 σ −1 p, q= F et n = λ L σF dans chacune des régions. Il ne reste plus, comme c σ .c précédemment, qu’à écrire les quantités vendues du point de vue de la demande : w= wU LU pU−σ wD LDT1−σ pU−σ wI LI T1−σ pU−σ qU = µ 1−σ + + 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ nU (TpU ) + nD pD + nI (TpI ) nU (TpU ) + nD (TpD ) + nI pI nU pU + nD (TpD ) + nI (TpI ) ainsi que pour les deux autres régions, par permutation circulaire. La démarche de résolution complète consiste à résoudre les équations donnant les qr pour tous les cas possibles (soit 8 cas, puisqu’il y a deux possibilités par région : w=1 ou λ=1), d’éliminer les solutions impossibles (donnant λ>1 ou w<1), puis d’étudier la stabilité des équilibres ainsi identifiés par une étude à leur voisinage. Ici, on cherche uniquement à savoir dans quel cas une délocalisation d’industrie en zone rurale est envisageable. On a bien entendu wD = wI = 1 et on raisonne par l’absurde : on 62 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels suppose qu’on a également λ D = λ I = 0 , et on examine si cette configuration est un équilibre stable. On peut donc écrire : qU = w L p −σ w L T 1−σ pU−σ wI LI T 1−σ pU−σ σ −1 F = µ U U 1−σU + D D + c nU (TpU )1−σ nU (TpU )1−σ nU pU qui donne : wU = µ wU LU + LD + LI = nU pU [ ] µ LD + LI . λU − µ LU Deux cas sont possibles : - si ( LD + LI ) / LU > (1 − µ ) / µ , alors λU=1 et on retrouve une expression analogue à la sousµ L D + LI >1, équivalent à l’équation (4). section3.1.1., soit wU = 1 − µ LU L + L D + LI - si ( LD + LI ) / LU < (1 − µ ) / µ on a wU =1 et λU = µ U <1. LU 3.1.2.2. Condition de délocalisation dans une région rurale Pour étudier la stabilité de cette situation, dans le cas où les régions rurales ont des paramètres (autres que la population) identiques, on considère la quantité que vendrait une firme qui s’implanterait dans une région rurale. Par exemple, pour la région D : wU LU T 1−σ pD−σ wD LD pD−σ wI LI T 1−σ pD−σ qD = µ 1−σ + + 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ nU (TpU ) + nD pD + nI (TpI ) nU (TpU ) + nD (TpD ) + nI pI nU pU + nD (TpD ) + nI (TpI ) avec des simplifications identiques aux calculs précédents : µpD−σ µF(σ −1) qD = wU LU T 1−σ + LDT σ −1 + LI = wU LU T 1−σ + LDT σ −1 + LI 1−σ 1−σ nU pU λU LU cwU Il y a instabilité de la concentration en région U au profit de la région D, s’il y a une opportunité de profit : [ ] [ ] µ wU LU T 1−σ + (θT σ −1 + (1 − θ )) LR > 1 1−σ λU LU wU De manière analogue, la condition de délocalisation dans la région I est : µ wU LU T 1−σ + (θ + (1 − θ )T σ −1 ) LR > 1 1−σ λU LU wU En considérant les deux cas possibles (selon que λU =1 ou wU =1), on peut écrire précisément cette condition en fonction des seuls paramètres (notons au passage que dans la condition trouvée, on ne retrouve pas de facteur du type T-µ, car il n’y a plus de migration possible des travailleurs entre les régions donc plus l’indices de prix à comparer). Contentons-nous de donner les principaux résultats sur l’effet des paramètres pour la condition de délocalisation industrielle dans la région D : - L’augmentation de la part de population dans la région D est bien entendu favorable à l’industrialisation de cette région, et ce d’autant plus que le coût de transport est élevé. - Contrairement à la sous-section précédente, les populations relatives rurale et urbaine interviennent. On peut montrer que l’augmentation de la part de population rurale dans la population totale est favorable à la délocalisation. C’est à nouveau l’effet taille de marché. - Lorsqu’on a wU=1, ce qui est le cas le plus simple, le paramètre µ n’a pas d’influence sur la condition trouvée. Lorsque λU =1, on peut montrer que l’augmentation de µ est q D > F (σ − 1) / c soit [ [ ] ] 63 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels - favorable à la délocalisation (cf. annexe 4). Cela découle de la concurrence pour les salaires dans la région U. L’effet du coût de transport n’est pas monotone : si T > ( wU LU / LD )1 / 2(σ −1) alors une baisse de coût de transport est défavorable à la localisation ; en dessous de cette valeur (supérieure à 1 car il est raisonnable de supposer que LD < wU LU ), une diminution du - coût de transport est favorable à l’industrialisation. On retrouve l’effet de « courbe en U inversé ». Ce résultat est cohérent par rapport à celui du modèle de Krugman & Venables (1995). Ce dernier trouve d’ailleurs dans pratiquement tous les cas une industrialisation rurale faible (rappelons qu’on se demande ici uniquement s’il y a délocalisation ou non, et pas si elle est importante). L’effet de l’élasticité de substitution est analogue à celui du coût de transport dans le cas où wU=1. Dans le cas où wU>1, le terme en wUσ −1 contribue à renforcer la tendance à la délocalisation en cas de hausse de σ, et ce d’autant plus que wU est élevé. Cette propriété est facile à interpréter : lorsque wU>1, il y a concurrence forte entre entreprises sur le marché du travail, qui est exacerbée par la concurrence sur le marché des biens lorsque les produits industriels sont très substituables. Il faut maintenant étudier le cas où la production industrielle de la région D devient plus efficace. Pour étudier la stabilité de cette situation, on considère la quantité que vendrait une firme qui s’implanterait dans une région rurale différenciée D : qD = µpD−σ µF(σ −1) 1−σ σ −1 w L T L T L + + = U U D I nU pU1−σ λU LU cwU1−σ [ ] σ [ c 1−σ σ −1 wU LU T + LDT + LI c' ] Il y a instabilité de la concentration en région U, s’il y a une opportunité de profit : q D > F ' (σ − 1) / c' soit µ F c 1−σ λU LU wU F ' c' σ −1 [w U ] LU T 1−σ + (θT σ −1 + (1 − θ )) LR > 1 Cette modification de la condition de délocalisation est analogue dans sa forme à celle trouvée à la sous-section 3.1.1. L’effet de la baisse du besoin marginal en travail est renforcé lorsque les biens industriels sont très substituables. En revanche, l’effet de la baisse du besoin fixe en travail ne l’est pas. Réécrivons maintenant ces conditions sous forme de seuils d’efficacité relative et de taille de marché local, en réintroduisant le paramètre ξ d’efficacité relative en région D. Point de vue de l’efficacité relative La condition s’écrit : ξ > λU LU wU1−σ =ξ µ wU LU T 1−σ + (θT σ −1 + (1 − θ )) LR [ ] L’effet des paramètres sur ce seuil est analogue à l’étude supra. Deux points sont intéressants à noter avec cette formulation. D’une part, lorsque le coût de transport est très faible, et que le salaire urbain est unitaire, ce seuil tend vers 1 (lorsque le salaire est supérieur à 1, ξ est inférieur à 1 ce qui veut dire qu’il n’est pas besoin de différenciation pour qu’il y ait industrialisation rurale). Ainsi, à coût de transport très bas, même une faible amélioration de l’efficacité relative rend une délocalisation industrielle rentable. D’autre part, lorsque la région D est très petite, la baisse du coût de transport est systématiquement favorable à la baisse de ξ . Ainsi, la diminution du coût de transport favorise la diminution de l’efficacité relative nécessaire pour rendre l’industrialisation rentable. 64 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Point de vue de la taille de marché λU LU wU1−σ − µξ ( wU LU T 1−σ + LR ) =θ La condition s’écrit à présent : θ > µξ (T σ −1 − 1) LR On peut vérifier que les effets qualitatifs des paramètres sont identiques à la discussion précédente. 3.1.2.3. Attractivité relative des deux régions rurales Comme dans la sous-section 3.1.1., nous nous contenterons de comparer les incitations à la délocalisation dans les deux régions rurales, autrement dit d’étudier dans quels cas on a un profit supérieur dans la région D. Remarquons que le profit s’écrit : pq − w( F + cq) = cq /(σ − 1) − F ou c' q /(σ − 1) − F ' car w=1 dans les régions rurales. Le profit potentiel dans la région D est donc : σ −1 µF c 1−σ σ −1 wU LU T + LDT + LI − F ' 1−σ λU LU wU c' Et dans la région I : µF wU LU T 1−σ + LD + LI T σ −1 − F 1−σ λU LU wU La région D est préférée à la région I si et seulement si : c σ −1 µF 1−σ 1−σ σ −1 σ −1 w L T L T L w L T L L T ( + + ) − ( + + ) > F '− F U U D I U U D I λU LU wU1−σ c' [ [ ] ] Comme précédemment, nous pouvons étudier le seuil de population θ * que doit comprendre la région D pour être préférée à la région I. Pour simplifier, on se situera dans le cas où la région urbaine comprend de l’agriculture, ce qui permet de poser wD=1. On peut alors écrire la condition ainsi : θ> L( F '− F ) / F − ((c / c' )σ −1 − 1) LU T 1−σ − ((c / c' )σ −1 − T σ −1 ) LR =θ * (T σ −1 − 1)((c / c' )σ −1 + 1) LR Cette fois-ci, on ne peut plus exprimer de condition en fonction du seul paramètre ξ. L’expression ci-dessus, comme dans la sous-section 3.1.2., décroît lorsque c’ et F’ décroissent. D’autre part, on peut montrer que θ* est croissante avec le coût de transport (cf. annexe 4.). De plus, pour un coût de transport suffisamment bas (qui dépend de c’ et F’), la région D est préférée à la région I quelle que soit sa taille. Ces résultats sont analogues à ceux de la sous-section 3.1.2., à la différence qu’ici le paramètre µ est absent (mais il interviendrait si on avait supposé λU =1, et on pourrait montrer que l’augmentation de µ a un effet indéterminé, dépendant des autres paramètres, sur θ*). D’autre part, le rapport des populations rurale et urbaine a un effet inverse à la condition de délocalisation : ici, l’augmentation de la part de population rurale a pour effet d’augmenter le seuil d’attractivité de la région D. 65 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Synthèse du second cas Reprenons les principaux résultats, comme dans la sous-section précédente : - L’augmentation de la taille de la région D est toujours favorable à la fois à la délocalisation industrielle dans cette région et à la plus grande attractivité de cette région par rapport à l’autre région rurale. Il s’agit d’un simple effet de taille de marché. - L’augmentation de la part de population urbaine dans la population totale est défavorable à la délocalisation industrielle en zone rurale, mais favorable à une meilleure attractivité du rural différencié par rapport au rural indifférencié. - La baisse de F’ ou de c’ (ou l’augmentation de l’efficacité relative de la production ξ) dans la région D est à la fois favorable à la délocalisation dans la région D et à sa meilleure attractivité par rapport au rural indifférencié. - La baisse du coût de transport est d’abord défavorable à la délocalisation, puis devient favorable lorsqu’il est très bas. En revanche, elle est dans tous les cas favorable à l’amélioration de l’attractivité de la région rurale différenciée par rapport au rural indifférencié. - Lorsque la région urbaine possède des agriculteurs, la baisse de l’élasticité de substitution a le même effet que la baisse du coût de transport. En revanche, dans le cas où la population urbaine est uniquement industrielle, une élasticité de substitution plus faible est défavorable à la délocalisation. - L’augmentation de la part de consommation industrielle est neutre sur la délocalisation lorsque la région urbaine comprend de l’agriculture, favorable à la délocalisation sinon du fait de la concurrence sur les salaires. Elle est neutre sur l’augmentation de l’attractivité de la région D dans le cas où la région urbaine comprend de l’agriculture. 3.1.3. Interprétation et élargissements possibles Cette sous-section comprend trois temps. Tout d’abord elle fait la synthèse des résultats obtenus, dans les deux cas polaires étudiés. Ensuite, elle s’interroge sur l’apport des investigations menées en matière d’étude de l’interaction entre mécanismes marchands et organisation non marchande et les approfondissements envisageables. Enfin, elle propose quelques pistes en vue de soumettre ces résultats à une réfutation empirique. 3.1.3.1. Synthèse des deux cas polaires étudiés Les investigations menées dans cette section constituent une première tentative pour étudier l’impact d’une différenciation des fonctions de production dans une région rurale. Les modifications apportées aux modèles de base de Krugman (1991) et Krugman & Venable (1995) sont simples, et non justifiées sur le plan des mécanismes élémentaires expliquant cette différenciation. Elles permettent néanmoins de clarifier la façon dont une telle modification de l’efficacité productive se répercute sur l’activité économique dans les différentes régions. Il convient de comparer les résultats obtenus, lesquels diffèrent selon la variante utilisée. Les principaux résultats qualitatifs obtenus sont proches des modèles d’origine. La principale originalité est la comparaison de l’attractivité de deux régions rurales, à partir de conditions portant sur des seuils de population ou d’efficacité relative. Les points les plus remarquables sont les suivants : - L’effet du coût de transport est qualitativement identique dans les deux types de modèles. La baisse du coût de transport est d’abord défavorable à la délocalisation, puis devient favorable lorsqu’il est très bas. Il n’est pas possible de savoir a priori si la baisse du coût de transport favorise ou non la délocalisation en zone rurale. Par contre, on sait que si 66 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels - - - - cette baisse se poursuit, elle deviendra à un certain moment favorable à la délocalisation. De plus, elle est dans tous les cas favorable à l’amélioration de l’attractivité de la région rurale différenciée par rapport au rural indifférencié. L’effet de la part de consommation industrielle dépend de la mobilité de la main-d’œuvre industrielle. De façon générale, plus la main d’œuvre est immobile géographiquement, plus une hausse de consommation industrielle est favorable à l’industrialisation rurale. Dans le cas d’une main-d’œuvre immobile sectoriellement, le rapport des populations urbaine et rurale ne joue aucun rôle. Dans le cas d’une main-d’œuvre immobile géographiquement, une forte population urbaine est défavorable à l’industrialisation rurale, mais rend relativement plus attractive la région qui se différencie. Dans les deux cas polaires étudiés (main-d’œuvre mobile soit géographiquement soit sectoriellement), la différenciation de la fonction de production dans une région rurale aboutit à des modifications de même forme dans les conditions de délocalisation. Les deux paramètres F et c n’ont pas le même comportement dans les conditions trouvées, notamment au regard de l’élasticité de substitution : une hausse de σ amplifie l’effet (favorable à la région différenciée) d’une baisse de c’, mais est neutre sur une baisse de F’ ou atténue au contraire son effet. De façon plus triviale, l’éloignement des zones rurales entre elles est un facteur pénalisant l’industrialisation rurale, mais renforce l’attractivité relative d’une zone rurale qui se différencie (cf. annexe 3 point 2). 3.1.3.2. Apport de la démarche et développements envisageables Les calculs des deux sous-sections qui précèdent donnent un certain nombre de propriétés concernant la possibilité d’une industrialisation rurale. Un des apports les plus appréciables est qu’ils permettent d’évaluer l’effort nécessaire en termes d’amélioration de l’efficacité relative pour provoquer cette industrialisation, en fonction des autres paramètres. Cet effort est d’autant plus important que la région est petite (θ petit), que le coût de transport est élevé (même si dans certains cas, pour un coût de transport élevé on observe un effet inverse), et en général (si le coût de transport est suffisamment bas), que l’élasticité de substitution est faible (forte préférence pour la variété). Rappelons que la baisse de F peut être imputable à divers mécanismes : accès préférentiel au crédit, qualité professionnelle de la main d’œuvre, circulation de l’information technique,… . Quant à la baisse de c, elle peut traduire également la qualité professionnelle de la main d’œuvre, mais aussi l’accès préférentiel aux ressources locales, l’autorenforcement des compétences,… Ce travail mérite donc d’être poursuivi et précisé. Pour l’instant, nous avons travaillé uniquement sur des configurations en coin. Il n’y a pas eu d’étude des différents équilibres, ni de l’effet d’une industrialisation de la région différenciée sur la région indifférenciée. Ces questions nécessitent l’utilisation d’outils de simulation. La question du type de modèle à utiliser (immobilité géographique ou sectorielle) ne peut aisément être tranchée : chaque cas polaire a des caractéristiques intéressantes, et fournit parfois des résultats opposés (mas dont le test est délicat). L’hypothèse de mobilité géographique des travailleurs donne lieu à des formules et une étude plus simples, tout en conservant l’essentiel des résultats qualitatifs dans la comparaison de l’attractivité relative des deux régions rurales, du moins pour le problème considéré. Néanmoins, l’hypothèse de mobilité sectorielle peut être mieux adaptée au rural, et donne lieu à des équilibres moins tranchés : ainsi, un équilibre d’industrialisation rurale partielle est souvent possible. 67 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Un autre type de prolongements possibles concerne l’analyse du bien-être. Quel est l’effet d’une variation de F et c sur l’utilité totale ? Cette analyse nécessite un cadre à immobilité géographique et mobilité sectorielle pour permettre d’étudier des petites variations du taux d’industrialisation rurale. La baisse de F ou c est assurément bénéfique à la région rurale différenciée, mais l’effet sur les autres régions est moins clair. En particulier, l’industrialisation d’une région rurale peut causer une baisse de salaire en zone urbaine. La baisse de F est susceptible d’augmenter le nombre de variétés totales produites. L’apparition de nouvelles variétés en zone rurale augmente l’indice des prix en zone urbaine, mais inversement tous bénéficient de l’arrivée de nouvelles variétés… 3.1.3.3. Propositions réfutables à tester Concernant les prédictions éventuellement à tester découlant de ces résultats, deux problèmes pratiques particulièrement délicats se posent. D’abord, l’estimation des paramètres, en particulier de F et c. Ils peuvent éventuellement être approchés par l’importance des coûts fixes (taille des firmes) et l’intensité en travail des activités étudiées. Mais dans ce cas, on risque précisément de mal saisir les améliorations de l’efficacité liées à l’organisation ! Ensuite, quel critère à utiliser pour mesurer l’attractivité d’une région rurale : nombre d’entreprises ou d’emplois, flux net de créations… ? Ces questions seront développées dans le chapitre conclusif. Plusieurs tests empiriques peuvent être proposés, en particulier sur les points suivants : - Les modèles prédisent que F et c jouent un rôle différent dans les conditions de délocalisation : dans le cas de F, une plus forte élasticité de substitution joue un rôle défavorable à la délocalisation, ou nul ; dans le cas de c, une forte élasticité de substitution apporte au contraire une plus grande efficacité relative. Selon que la différenciation s’effectue sur F ou c, la substituabilité des biens produits jouera donc un rôle différent sur la possibilité de développement industriel en zone rurale. - Le coût de transport joue un rôle sur l’efficacité relative et sur la taille critique nécessaires pour que l’industrialisation soit soutenable. Toutefois, il existe des seuils où le sens de l’effet du coût de transport s’inverse, ce qui rend les prédictions délicates, même si le modèle fournit aussi des formules pour les seuils. - A efficacité relative donnée, une élasticité de substitution plus élevée entraîne généralement une augmentation de la taille critique nécessaire. Une fois de plus, ces questions seront reprises dans le dernier chapitre du mémoire. Cette section s’est éloignée de la question initiale qui était de représenter l’impact de différences organisationnelles sur l’efficacité productive, et en particulier sur l’industrialisation rurale (et la hausse de revenu réel associé). Il s’agissait essentiellement ici de s’intéresser aux conséquences de cette meilleure efficacité plutôt qu’à décrire son mécanisme. Dans les deux sections suivantes, l’étude de deux cas particuliers d’effets organisationnels est proposée. 3.2. De meilleures complémentarités verticales entre firmes Dans la première section, nous avons supposé qu’une région rurale était en mesure de fournir des avantages comparatifs aux entreprises s’y installant, se traduisant par une baisse des coûts dans la fonction de production. Cette baisse de coûts était introduite sans justification particulière dans une fonction de production ne comprenant que le travail comme facteur. Elle peut néanmoins représenter de manière simple certains effets organisationnels listés au §2.4.2. Cette section porte sur un effet organisationnel particulier, l’existence de complémentarités au sein de la structure input-output. Son objectif est d’analyser l’impact d’une réduction des 68 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels coûts de transactions entre firmes, modélisé par une utilisation préférentielle de biens intermédiaires fabriqués localement, et par une meilleure complémentarité (une plus faible élasticité de substitution) entre ces biens intermédiaires. Peu de travaux en économie géographique considèrent des élasticités de substitution différentes dans un même modèle (on peut néanmoins citer Amiti (1998) qui considère deux secteurs industriels différents mais pas une différenciation au sein du même secteur). De fait, considérer des élasticités de substitution différentes dans un même secteur nous prive de précieuses simplifications, et nous oblige à simplifier le modèle par ailleurs. Nous allons dans la suite illustrer ces difficultés et proposer un premier « défrichage » de la manière de construire un tel modèle. 3.2.1. Représentation des complémentarités entre firmes 3.2.1.1. Problème posé Dans les exemples concrets de systèmes productifs localisés, la qualité et l’adéquation de la main-d’œuvre est souvent mise en avant, mais l’efficacité des relations entre entreprises est aussi un élément déterminant dans l’efficacité du système. Cette efficacité se traduit de deux manières : - D’une part, par une bonne adéquation de la structure input-output. Autrement dit, chaque entreprise trouve sur place des fournisseurs et des clients adaptés à sa production. De plus, la structure est en mesure d’adapter rapidement sa production aux changements extérieurs de la demande ou de l’offre. - D’autre part, par l’existence de relations marchandes privilégiées qui économisent des coûts de transaction. Les entreprises du système productif local commercent entre elles sans que l’une d’elles ne profite d’un pouvoir de monopole qui grèverait à terme la compétitivité des produits et l’efficacité du système. Par ailleurs, la coopération s’arrête aux portes du système productif local : la concurrence reprend pleinement ces droits dès qu’il est question de commerce avec l’extérieur. Il existe très peu de travaux basés sur un formalisme microéconomique portant sur les SPL. Soubeyran & Thisse (1999) modélisent les externalités non pécuniaires au sein des SPL par un accroissement de l’expérience des travailleurs à mesure que le SPL produit. Ici, nous nous situons dans un modèle uniquement statique, où le mécanisme que l’on cherche à représenter concerne les complémentarités au sein du système input-output. Cela nécessite bien entendu que les fonctions de production des firmes comprennent des biens intermédiaires. 3.2.1.2. Première possibilité : secteur de production unique La première question est le choix du type de représentation de la structure productive. Il est nécessaire de représenter des liens marchands entre firmes. Une première idée, à la fois pour des raisons de facilité d’analyse et pour rendre symétriques les relations entre firmes, serait d’adopter une spécification des fonctions de production faisant jouer un rôle identique à toutes les firmes. Plus précisément, il s’agirait d’utiliser la fonction de coût de Krugman & Venables (1995) : C (qi ) = w1−α (∑ x (jγ −1) / γ )αγ /(γ −1) ( F + cqi ) j Dans ce cas, il n’y a qu’un secteur industriel, et chaque bien produit est à la fois bien intermédiaire et bien de consommation finale. Il est vrai qu’une telle représentation peut paraître surprenante puisqu’on s’intéresse ici en grande partie aux relations input-output. De plus, l’hypothèse que les biens produits sont à la fois biens intermédiaires et biens de consommation finale peut sembler trop simplificatrice (cependant, pour répondre à cette 69 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels difficulté, on peut aussi présenter la demande de chaque bien comme relative uniquement à la contribution de l’entreprise à la valeur ajoutée au produit final : ainsi, tout se passe comme si le consommateur qui achète une automobile achetait séparément l’acier, la fabrication des pièces détachées, l’assemblage, etc…). La fonction de coût écrite ci-dessus, outre qu’elle rend les relations entre firmes symétriques permet de représenter simplement les phénomènes évoqués en introduction. Ainsi, il est possible de supposer que : - Les firmes de la région urbaine utilisent tous les produits industriels de façon équivalente. - Les firmes de la région rurale qui se différencie utilisent uniquement les produits industriels de la région rurale, et de plus, la fonction de production en zone rurale a une élasticité de substitution γ’ inférieure à celle de la région urbaine. - De la sorte, on peut rendre compte des faits suivants : les relations locales privilégiées. la plus grande complémentarité entre les firmes. les mêmes règles qu’en milieu urbain en dehors du système productif local. Du côté du consommateur, on considère que rien n’est changé : la demande de chaque bien pi−σ s’écrit : mi = µY ∑ p1j−σ j Une approche détaillant davantage les rapports entre secteurs différents pourrait s’inspirer de Krugman & Venables (1996). Ce modèle considère deux secteurs de biens industriels, chaque firme utilisant les biens produits par son secteur et par les firmes de l’autre secteur, dans des proportions différentes. Un tel modèle est cependant encore plus complexe que celui de Krugman & Venables (1995), dont on va voir qu’il se prête déjà mal à la modification substantielle apportée par la différenciation des élasticités de substitution que l’on propose. Le modèle de Krugman & Venables (1995) est en effet plus complexe à analyser que celui de Krugman (1991). L’analyse de la méthode de l’article original figure en annexe 3, point 1. Le modèle comporte pourtant une simplification notable, qui est que l’élasticité de substitution est la même dans l’utilité du consommateur et la fonction de production. Cela permet de supposer la demande de chaque bien industriel proportionnelle à pi-σ. Cela permet aussi d’exprimer simplement les quantités vendues par firme, à l’aide de quantités auxiliaires (voir annexe). D’autre part, si l’on travaille sur la variante dans laquelle il n’y a plus mobilité sectorielle, mais géographique, on ne peut plus supposer l’unicité du taux de salaire entre les régions, et la méthode d’analyse appliquée, basée sur l’expression de la consommation de biens industriels dans une région n’est plus valable (l’analyse est rendue beaucoup plus complexe lorsqu’il existe deux taux de salaire dans une région). Le point le plus pénalisant est que de toute façon on ne peut plus dériver d’expression analytique reliant le salaire et le prix si on suppose des élasticités de substitution différentes. En effet, dans ce cas, la condition du premier ordre relative à la maximisation du profit n’est pas résoluble analytiquement (l’équation à résoudre comprend une somme de puissances non entières). Nous allons donc examiner un modèle plus simple, présentant une structure inputoutput incomplète, mais qui permet de considérer des élasticités de substitution différentes entre régions et de donner des résultats analytiques. 70 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels 3.2.1.3. Cadre choisi : système input-output simplifié Pour réduire les difficultés analytiques, notamment liées à la conjonction d’inputs matériels et de travail dans la fonction de production, il est possible de considérer un système input-output simplifié, avec uniquement un secteur de biens intermédiaires et un secteur de biens finaux. Un tel modèle peut prendre en compte l’avantage qu’ont les firmes de biens finaux qui disposent d’inputs adaptés sur place. Remarquons toutefois que cette fois l’avantage des firmes de biens intermédiaires à trouver des débouchés adaptés sur place est moins apparent, même s’il est indirect. Cette représentation est celle utilisée par Gaigné (2001), inspirée de Puga & Venables (1996), qui considère un secteur de biens intermédiaires utilisant pour seul facteur le travail, et un secteurs de biens finaux utilisant pour seuls facteurs les biens intermédiaires. L’analyse de ce modèle figure en annexe 3, point 3. 3.2.2. Introduction d’une différenciation de l’élasticité de substitution Nous allons donc proposer une variante du modèle précédent, conservant un cadre à deux régions, et avec une différenciation dans la fonction de production des biens finaux. 3.2.2.1. Hypothèses et notations Le principe de la différenciation est le suivant : - Les firmes de biens finaux de la région urbaine utilisent, comme dans le modèle initial, tous les biens intermédiaires produits, quelle que soit la région. - Les firmes de la région rurale n’utilisent que les biens intermédiaires produits dans la région rurale, et les associent avec une élasticité de substitution inférieure (donc davantage de complémentarités). Il ne peut donc y avoir de firmes de biens finaux dans la région rurale que s’il y a des firmes de biens intermédiaires. Région urbaine Région rurale Main d’œuvre industrielle Main d’œuvre industrielle Biens intermédiaires Biens intermédiaires Biens finaux Biens finaux Consommateurs Consommateurs Donnons tout d’abord les notations et la situation initiale : Région urbaine U Main d’œuvre totale (exogène) LU Part d’ouvriers (endogène) λU l = G+d.q Fonction de production - biens intermédiaires Fonction de production - biens finaux F+cq = [Σxiδ]1/δ où δ= (γ-1)/γ Revenu régional wU LU Salaire et prix agricoles sont comme précédemment normalisés à 1. 71 Région rurale R LR λR <1 L = G+d.q F+cq = [Σxiδ’]1/δ’ où δ’= (γ’-1)/γ’<δ wR L R = L R Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Remarquons que, comme dans les autres modèles de type Krugman & Venables 1995, l’effet de l’industrialisation (en biens intermédiaires) de la zone rurale n’a pas d’emblée un impact sur le salaire nominal qui reste égal à 1 (qu’il y ait ou non développement de l’industrie des biens intermédiaires), mais joue sur le salaire réel en rendant accessible aux consommateurs des biens manufacturés à plus bas prix. En effet, ce n’est que lorsque l’ensemble des travailleurs d’une région s’est reconverti à l’industrie que le salaire nominal peut s’élever. Sur le plan formel, la diminution de l’élasticité de substitution est à double tranchant pour la région rurale : il est vrai qu’elle renforce les complémentarités entre biens intermédiaires, mais d’un autre côté, elle renforce l’intérêt à avoir de nombreuses firmes de biens intermédiaires. Or, la régions rurale a précisément peu de firmes. Le fait d’avoir supposé des fonctions de production à un facteur en séparant deux secteurs ne résout pas totalement la mise en équation du modèle. En effet, dans le calcul du problème de maximisation relatif aux firmes du secteur des biens intermédiaires dans la région R, la demande doit être séparée en deux composantes : l’une provenant de la région U (élasticité de substitution γ) et une de la région R (élasticité de substitution γ’). L’équation reliant le prix au salaire ne peut toujours pas être résolue analytiquement, bien que le problème soit plus simple du fait qu’on n’examine qu’un seul facteur de production à la fois. Pour pouvoir avancer dans les calculs, deux hypothèses extrêmes peuvent être faites : soit que la demande relative à la région R est négligeable (parce qu’on s’intéresse au cas où cette région commence à s’industrialiser), soit que la demande relative à la région U est nulle (donc que l’industrie de la région R est autarcique). Nous allons commencer par examiner le premier cas. 3.2.3.2. Cas d’une industrie de biens finaux négligeable dans la région R ( n RF ≈ 0 ) Ce cas correspond à la situation où il existe une industrie de biens intermédiaires, reposant sur une main-d’œuvre fixe (et probablement peu qualifiée). La question posée est la possibilité de développement d’une industrie rurale de biens finaux, qui tire profit éventuel des spécificités de la main-d’œuvre et des biens intermédiaires produits en zone rurale. Les inconnues sont les quatre prix industriels (2 régions * 2 secteurs), les quatre quantités produites par firme, les quatre nombres de firmes, et les deux salaires ou proportions de travailleurs industriels selon les cas. Quatorze équations sont donc nécessaires, que nous pouvons présenter ainsi : Région urbaine U Production de biens intermédiaires Production de biens finaux Marché du travail q = I U Région rurale R I −γ U nUF pUF qUF p 1−γ 1−γ nUI pUI + n RI T 1−γ p RI γ −1 qUI = G d nUI = λU LU γG 1−γ σc pUF = (nUI pUI + n RI (Tp RI )1−γ )1 /(1−γ ) σ −1 σ −1 qUF = F c −σ −σ wU LU pUF wRLRT1−σ pUF F qU = µ + 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ nUFT1−σ pUF +nRF pRF nUF pUF +nRFT1−σ pRF wU = γ −1 I pU γ .d q = I R 1−γ −γ 1−γ nUI pUI + n RI T 1−γ p RI γ −1 q RI = G d nRI = λ R LR γG σc I 1 /(1−γ ') I p RF = nR pR σ −1 σ −1 q RF = F c −σ wU LUT1−σ pRF −σ wRLR pRF F qR = µ + 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ nUFT1−σ pUF + nRF pRF nUF pUF + nRFT1−σ pRF wR = 72 nUF pUF qUF T 1−γ p RI γ −1 I pR γ .d Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels On constate que le paramètre γ’ n’intervient que dans une seule équation, celle reliant le prix des biens intermédiaires aux prix des biens finaux. Nous allons supposer que toute l’industrie des biens finaux est concentrée dans la région U, et examiner dans quels cas une délocalisation partielle est possible. Nous faisons l’hypothèse que l’industrie de biens intermédiaires est présente dans les deux régions (i.e. que λR>0), cette hypothèse étant par la suite vérifiée par la cohérence des résultats obtenus (elle n’est pas valide si l’on trouve n RI < 1 ). Avant d’examiner la condition de délocalisation, nous allons donner quelques relations sur l’industrie en l’absence de firmes de biens finaux dans la région R et exposer la façon de résoudre le système. Expressions relatives à la région urbaine De qUI = q RI , on tire la relation pUI = p RI T (γ −1) / γ , puis sachant qu’on fait l’hypothèse que wR=1, on obtient p RI = γd /(γ − 1) , pUI = γdT (γ −1) / γ /(γ − 1) et enfin wU = T (γ −1) / γ , ce qui implique aussi que λU=1. Par ailleurs, la quantité vendue de bien final pour une firme de la région U se simplifie en : w L w L T (γ −1) / γ LU + L R µc qUF = µ FU UF + FR RF = µ (T (γ −1) / γ LU + LR ) , d’où nUF pUF = F F σ n p n p n p F − ( 1 ) U U U U U U I En combinant les équations donnant qU et pUF , on peut alors extraire pUF : [ σc F F F I −γ I p = nU pU qU pU / qU σ −1 F U Soit : pUF = µ 1 /(1−γ ) ] 1 /(1−γ ) σ c µc (σ − 1) Fd γd −γ 1−γ = ( ) T (T (γ −1) / γ LU + LR ) σ − 1 (σ − 1) F (γ − 1)Gc γ − 1 1 /(1−γ ) dγ γ /(γ −1) σc (T (γ −1) / γ LU + LR )1 /(1−γ ) T 1 /(1−γ ) σ − 1 (γ − 1)G La connaissance de pUF donne aussi celle de nUF , puisqu’on connaît leur produit. Expressions relatives à la région rurale σc I 1 /(1−γ ') I nR p R , nUI = LU γG et de l’équation σ −1 en fonction des nombres de firmes. C’est à ce stade que l’on vérifie si Il reste à calculer p RF , à l’aide de p RF = donnant qUI l’hypothèse d’une industrialisation rurale est valide, au moment où on extrait n RI . Notons que la valeur de n RI ne dépend pas de γ’, donc de la différenciation du système de production rural. La condition de fondation d’une industrie de biens finaux en zone rurale est alors établie en comparant ce que vaudrait q RF à la valeur (σ − 1) F / c qui correspond à un profit nul. Il y a délocalisation si et seulement si : µ pRF F U −σ F1−σ U n p [w L T U U 1−σ ] + wR LRT σ −1 > (σ − 1) F c Comme on le voit, cette condition peut s’exprimer de façon analytique mais possède une expression complexe, ne permettant pas de déterminer aisément l’impact des différents paramètres. On peut cependant facilement déterminer le rôle de γ’, qui n’intervient que dans une seule équation. L’équation p RF = n RI 1 /(1−γ ') p RI σc /(σ − 1) montre que si γ’ est suffisamment proche de 1, on peut rendre le prix p RF aussi faible qu’on veut : ainsi, la condition de 73 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels délocalisation peut toujours être vérifiée pour γ’ suffisamment faible et proche de 1. Rappelons que la limite γ’=1 correspond à une fonction de production Cobb-Douglas. Le calcul analytique pourrait être poursuivi, moyennant l’approximation LR<<LU qui allège un peu les formules, mais l’effet qualitatif de chaque paramètre dépend fortement des autres paramètres, et aucune relation qualitative générale ne peut être identifiée comme dans la section précédente. Le principal résultat reste donc l’effet du paramètre γ’, dont la baisse permet de diminuer le prix du bien final dans la région rurale. 3.2.3.3. Cas de deux régions autarciques sur le plan de la production industrielle Ce second cas peut s’interpréter comme la situation où un système input-output complet se construit progressivement en zone rurale, et où chaque nouvelle firme s’intègre de manière à augmenter les complémentarités existantes dans le système. L’idée sous-jacente est que dans ce monde de coopération qu’est notre petite région rurale, le système input-output se construit de manière à optimiser l’appariement entre ses divers composants. Inversement, en zone urbaine, malgré la variété des biens produits, les appariements sont moins efficaces du fait des problèmes d’information incomplète, de concurrence exacerbée etc… Dans cet autre cas polaire, les ventes du secteur de biens intermédiaires de la région R aux firmes de biens finaux de la région U sont supposées négligeables. Cela donne les équations suivantes : Région urbaine U Production de biens intermédiaires Production de biens finaux Marché du travail F U F U Région rurale R F U n p q nUI pUI γ −1 qUI = G d nUI = λU LU γG F R F R F R n p q n RI p RI γ '−1 q RI = G d n RI = λ R LR γ ' G σc I 1 /(1−γ ) I σc I 1 /(1−γ ') I pUF = nU pU p RF = nR pR σ −1 σ −1 σ −1 σ −1 qUF = F q RF = F c c −σ −σ −σ F wU LUT1−σ pRF −σ wU LU pUF wRLRT1−σ pUF wRLR pRF F qU = µ q µ + = + R 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ F F1−σ F 1−σ F1−σ F F1−σ F 1−σ F1−σ nUFT1−σ pUF +nRF pRF nUFT1−σ pUF + nRF pRF nU pU +nRT pR nU pU + nR T pR qUI = q RI = γ −1 I γ '−1 I pU wR = pR γ .d γ '.d La production industrielle est totalement isolée géographiquement, le lien entre les deux régions ne se faisant qu’au niveau de la consommation. Ce cas est donc assez proche du modèle initial de Krugman (1991) dans lequel la fonction de production est à un seul facteur : la différence est qu’ici le système de production est plus détaillé. Le système d’équations est maintenant symétrique dans les deux régions. De plus, on ne peut plus supposer comme précédemment que l’industrie de biens intermédiaires est présente initialement dans les deux régions, mais que l’industrie de biens finaux n’est présente que dans la région urbaine. Il faut supposer que seule la région urbaine est industrialisée, et considérer une « industrialisation infinitésimale » de la région rurale, associant simultanément industrie de biens finaux et de biens intermédiaires. wU = 74 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Expressions relatives à la région urbaine Les équations relatives à la production dans la région urbaine, et l’hypothèse d’absence d’industrialisation rurale permettent d’éliminer les variables relatives aux quantités produites : nF p F σ −1 σ −1 µd ( wU LU + LR ) γ −1 µ F, F = F F ( wU LU + LR ) qui implique nUI pUI = G = UI UI c d nU pU nU pU c (γ − 1)G nF γ −1 σc I 1 /(1−γ ) I nU pU , on a en outre G = γ U/(γ −1) σF Sachant que pUF = d σ −1 nUI Pour aller plus loin, il faut faire une hypothèse sur la population ouvrière et le salaire. Supposons d’abord que le salaire est égal à 1 (donc que λU ≤ 1 ) : on a pUI = γd /(γ − 1) , d’où 1 µ(L + L ) (γ −1)G1/(1−γ ) [µ(LU + LR ) / γ ]γ /(γ −1) et pUF = σ cγd µ ( LU + L R ) 1−γ n = U R , puis nUF = dσF γG γG (σ − 1)(γ − 1) I U L’hypothèse sur le salaire est valide si : λU = µ ( LU + LR ) ≤1 LU Dans le cas contraire, on a nUI = LU / γG , et pUI s’obtient à l’aide de la relation donnant le salaire : pUI = d µ γ LR µ LR . On a alors wU = >1 1 − µ γ − 1 LU 1 − µ LU µ cdσG 1 /(γ −1) LR γ γ /(γ −1) (γ − 1)G 1 /(1−γ ) LU γ /(γ −1) ( ) et pUF = ( ) dσ F γ (1 − µ ) (σ − 1)(γ − 1) LU Condition d’industrialisation de la région rurale Pour finir, nUF = Pour passer à l’étude de la condition de délocalisation, il faut calculer ce que seraient les quantités précédentes dans la zone rurale. Comme wR=1, on a p RI = γ ' d /(γ '−1) . La difficulté est que nous avons cette fois deux quantités infiniment petites, n RI et n RF . Dans les modèles précédents, nous supposions le nombre d’entreprises rurales négligeable pour établir la condition de délocalisation, ce n’est maintenant plus possible car il faut connaître le rapport n RF / n RI pour connaître le prix du bien final p RF . Deux possibilités existent alors. Soit on résout le système d’équations rigoureusement, ce qui nécessite une simulation numérique. Soit on conserve l’approximation n RF ≈ 0 et on se contente d’une étude partielle. Nous allons nous placer dans le cas où les formules sont les plus simples, qui est celui où wU=1. Avec l’approximation n RF ≈ 0 , la condition de délocalisation est : µp RF F U −σ F 1−σ U ( LU T 1−σ + LRT σ −1 ) > F σ −1 c n p Un paramètre facile à analyser est le coût de transport, puisqu’il n’intervient pas dans la détermination des paramètres endogènes ( p RF , p RF et nUF ) dans l’équation précédente (avec les approximations faites). On retrouve ici l’effet de courbe en U inversé déjà obtenu dans la section précédente : lorsque T diminue, on a d’abord tendance à la concentration de l’industrie, puis en deçà d’un certain seuil, une tendance inverse de délocalisation. Il est plus important ici d’analyser le rôle du paramètre γ’, qui intervient dans cette formule −σ σc I 1 /(1−γ ') I nR pR . uniquement à travers le facteur p RF , qui est fourni par l’équation p RF = σ −1 75 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Fixons donc arbitrairement n RI , à « quelques entreprises ». Dans ce cas, l’expression σc I 1 /(1−γ ') I p RF = nR p R permet d’analyser le rôle de γ’. On peut montrer que cette expression, σ −1 1 /(1−γ ') proportionnelle à n IR γ ' /(γ '−1) , est croissante en γ’ dès que n RI > exp[(γ '−1) / γ ' ] . Si c’est le cas (il suffit en pratique que le nombre d’entreprises soit supérieur ou égal à 4), une diminution de γ’ (une plus grande complémentarité entre firmes de biens intermédiaires) est favorable à la baisse du prix, donc à la compétitivité de la production dans la région rurale. Nous ne prolongerons pas plus avant ces calculs, sachant que nous avons donné l’ensemble des équations nécessaires à un calcul rigoureux des conditions d’industrialisation rurale. Comme dans la première variante, une diminution de γ’ permet d’améliorer la compétitivité de l’industrie rurale en diminuer le prix du bien final. Il y a un effet supplémentaire par rapport au cas précédent : une diminution de γ’ entraîne une augmentation du prix des biens intermédiaires (ruraux), mais cet effet n’est pas suffisant pour contrer la diminution du prix des biens finaux. Conclusion de la section L’impression qui se dégage de cet exercice peut au premier abord paraître décevante : considérer des élasticités de substitution différentes au sein d’un même secteur rend rapidement l’analyse inextricable. En particulier, le paramètre γ’, qui représente la différenciation, intervient dans les expressions de façon plus complexe que les paramètres F’ et c’ de la section 1. Néanmoins, nous avons pu constater que ce modèle pouvait donner lieu à des expressions analytiques (bien que difficilement manipulables), et nous avons vérifié qu’une baisse de l’élasticité de substitution de la région rurale conduisait bien à une plus grande efficacité du système de production. Cette observation est intéressante, car elle n’était pas évidente dans la formulation littéraire du modèle. Elle montre en particulier que, même lorsque les entreprises se comportent de façon concurrentielle, comme c’est le cas ici, la seule existence de complémentarités améliore l’efficacité globale du système. Pour prolonger cette réflexion, il est envisageable d’approfondir l’idée d’une telle représentation des complémentarités au sein d’un système input-output local, en utilisant un cadre plus simple (équilibre partiel et/ou absence d’effet géographique), afin de chercher à retrouver comment une telle différenciation influerait sur la fonction de production globale du système (telle que considérée dans la section 1). Ce travail pourrait éventuellement se faire en utilisant des simulations, si le travail analytique s’avère malgré tout impossible. Ne pas prendre en compte l’existence de l’extérieur a cependant l’inconvénient d’être peu pertinent pour l’industrie rurale, qui est obligée d’exporter l’essentiel de sa production industrielle. La question de la validation empirique est encore plus délicate que dans la section précédente car elle reposerait sur la mesure des complémentarités existantes entre entreprises. Or, ces complémentarités incluent non seulement des aspects marchands (adéquation de la structure input-output), mais aussi non marchands (spécialisation de la main d’œuvre, économies de coûts de transaction grâce à la confiance et la coopération partielle, atmosphère industrielle…). A l’inverse, si le travail de modélisation permettait de fournir une prédiction empirique simple dans laquelle cette élasticité de substitution pourrait être estimée comme paramètre, une étude de ses principaux déterminants pourrait être envisagée. Ceci conforte l’intérêt d’une poursuite de ce travail théorique dans un cadre plus simple. 76 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Enfin, il faut noter que ce travail méconnaît l’importance des complémentarités pouvant exister entre la main d’œuvre et les firmes. Or, à part dans les cas très particuliers de districts marshalliens en zone rurale, ce type de complémentarités a plus de chances d’être présent que les complémentarités entre firmes au sein du système input-output. Néanmoins, ce modèle peut aussi rendre compte de ces complémentarités entre main d’œuvre et firmes, moyennant un changement de vocabulaire. Supposons que les firmes de biens intermédiaires soient considérées non plus comme des productrices de biens, mais productrices de compétences. Ainsi, chaque firme de biens intermédiaires produit un type de travailleur particulier, et ces travailleurs sont « associés » au sein des entreprises de biens finaux. De ce point de vue, nous avons représenté la complémentarité entre les différentes compétences produites. Naturellement, cela suppose de se situer plutôt dans le cas d’une industrie autarcique (deuxième cas ici), car on voit mal comment les « biens intermédiaires » que sont les travailleurs qualifiés pourraient s’échanger entre régions sans faire varier la population (et la consommation) au sein de chacune d’elles. 3.3. Une différenciation des produits ruraux liés au sol L’objectif de cette section est d’étudier l’effet d’une amélioration de l’image de certains produits ruraux aux yeux des consommateurs, susceptible de les rendre plus attractifs que les produits urbains à prix égal. Cette modification par rapport au modèle de base peut intervenir soit pour le produit agricole, soit pour le produit industriel. Il existe en effet des cas où un produit industriel bénéficie d’une forte image positive (c’est le cas par exemple dans le district du Prato, cf. Becattini 1988). Cependant, dans la plupart des cas, les produits concernés par une rente liée à l’image du territoire sont essentiellement des produits agricoles ou touristiques. Il s’agit donc de produits liés au sol. D’autre part, une modification de la sous-fonction d’utilité relative aux produits industriels introduirait une complication pratique importante dans l’étude du modèle. En effet, dans sa forme initiale, elle est homogène de degré 1, ce qui permet une étude séparée des produits industriels et l’agrégation de leur demande (Varian 1995). Cette simplification est précieuse car la fonction de production industrielle est plus complexe que celle du secteur lié au sol. Aussi, dans cette section, une variante se situant du côté de la production agricole est proposée. Contrairement à la section précédente où le système productif industriel devenait plus performant, on suppose ici que la région rurale trouve un moyen de rendre ses produits agricoles plus attractifs. Cela revient donc cette fois en premier lieu à modifier la fonction d’utilité des consommateurs. 3.3.1. Choix d’une fonction d’utilité et problème du consommateur Il est nécessaire de modifier la sous-fonction d’utilité relative au secteur agricole par l’ajout d’un deuxième produit, spécifique à la région rurale. Ce produit pourra être dans les faits un produit agricole ou touristique. Dans ce dernier cas, on pourrait suggérer que la prise en compte d’un coût de transport est essentielle, puisque les urbains doivent en général se déplacer individuellement pour le consommer. Cependant, en observant que l’espace rural est en général plus vaste et moins bien doté en infrastructures que les zones urbaines (à part pour les liaisons centripètes), il n’y a aucune raison a priori pour que les coûts de déplacements rural-rural soient inférieurs aux coûts urbain-rural. Ainsi, on considèrera toujours que les produits du secteur agricole, différenciés ou non, sont transportés sans coût. 77 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Dans cette sous-section, nous commençons par explorer plusieurs pistes possibles pour le choix d’une nouvelle fonction d’utilité, avant de choisir une forme fonctionnelle adaptée à notre démarche et qui permet des calculs analytiques. 3.3.1.1. Un modèle antérieur séparant production générique et spécifique Daniel & Kilkenny (2002) proposent un modèle de différenciation des produits agricoles. Ce modèle distingue cinq secteurs de production : un secteur de production agricole générique (qui peut aussi représenter tout secteur lié au sol comme l’extraction de ressources minières), un secteur de production agricole spécifique, un secteur agroalimentaire (ou industriel) générique utilisant le bien agricole générique, un secteur agroalimentaire spécifique (dit « AOC ») utilisant le bien agricole spécifique, et enfin un secteur de services non exportables. Les secteurs agricoles utilisent les facteurs terre et travail, les secteurs industriels utilisent les inputs du secteur agricole correspondant et le facteur travail, enfin le secteur des services utilise le facteur travail uniquement. Les fonctions de production sont de type Leontieff (les facteurs sont parfaitement complémentaires) avec un coût fixe pour le facteur travail dans le secteur AOC. Il n’y a qu’une firme par région dans le secteur agro-industriel générique et dans les services (les rendements d’échelle sont constants). Il y a mobilité parfaite du travail entre secteurs et entre régions. Les ménages consomment quatre types de biens : agroindustriel générique, AOC local, AOC importé, services. La fonction d’utilité est de type Cobb-Douglas pour chaque type de bien, avec des sous-fonctions de forme CES pour les produits AOC. Les résultats sont obtenus par simulation numérique à partir de paramètres arbitraires inspirés des données concernant l’Union européenne. L’objectif est d’étudier la répartition spatiale des activités, en fonction des régimes d’aide publique à l’agriculture. Un inconvénient majeur de la méthode de modélisation adoptée dans cet article est que le modèle est trop complexe pour donner lieu à des résultats généraux : les résultats sont obtenus par simulation à partir d’un jeu de paramètres en partie arbitraire, en partie basé sur des données statistiques. En ce qui concerne notre travail, un autre inconvénient est que la proportion de revenu consommée en bien AOC est fixée. Or, il est plus raisonnable de supposer que les consommateurs consacrent une certaine part de leur budget à l’ensemble des denrées agricoles, en ayant une préférence pour des produits de qualité lorsque leur revenu le leur permet. De plus, comme les différents types de biens sont associés selon une fonction Cobb-Douglas, une consommation nulle de bien AOC aboutit à une utilité nulle. Cette caractéristique n’est gênante que dans la limite où la consommation de bien AOC tend vers zéro, mais peut être problématique si l’on entend modéliser une différenciation progressive de la production agricole. Nous allons chercher à proposer une fonction d’utilité rendant compte d’une différenciation des produits agricoles dans une région rurale, mais évitant l’écueil cité au paragraphe précédent13. Cette différenciation est supposée générer un supplément de revenu susceptible d’être suffisant pour rendre intéressante une délocalisation industrielle en zone rurale. 3.3.1.2. Une forme « dissymétrique » Rappelons que l’utilité d’un consommateur représentatif s’écrit U=A1-µMµ et que l’on cherche une forme fonctionnelle pour la sous-fonction A(a1,a2), dont les arguments représentent 13 Il sera malheureusement impossible de comparer les résultats de ce modèle à ceux de Daniel & Kilkenny (2002) puisque leur article ne comprend pas d’étude de l’effet qualitatif des paramètres, ni d’étude des effets induits sur d’autres secteurs que l’agriculture. 78 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels respectivement la production de bien générique, et la production de bien de qualité ou différencié. On peut supposer qu’elle satisfait aux conditions suivantes : - A(a1,0)= a1 : l’absence de produit différencié ramène à la situation initiale. Cela exclut déjà les fonctions de type Cobb-Douglas. - Le supplément de bien-être procuré par une consommation de produit différencié n’a pas de raison particulière de dépendre de la consommation de produit standard. Aussi, on pourra supposer A(a1,a2) de la forme : a1+f(a2). - Pour de faibles valeurs de a2, une hausse de a2 doit être préférée à une hausse de a1. En revanche, cet avantage pour la production différenciée s’estompe à mesure que la quantité consommée croît. La fonction f(a2) doit donc être concave. Plusieurs formes sont possibles pour la sous-fonction A, une fonction linéaire étant exclue car elle donne des solutions en coin. Parmi elles, la fonction suivante a l’avantage de rendre les α n−δ a2δ + a2n , deux produits parfaitement substituables à l’infini : A(a1 , a 2 ) = a1 + α + a 2n −1 où δ est le paramètre, compris entre 0 et 1, mesurant l’inverse de l’intensité de la différenciation (plus il est faible, plus le deuxième produit est différencié). Le paramètre n ≥ 1 donne la vitesse de convergence vers la fonction a1+a2 quand a2 tend vers l’infini. La fonction f(a2) a donc pour asymptote une droite : le produit de qualité devient indifférencié lorsqu’il est consommé en trop grande quantité. Le paramètre α représente l’ordre de grandeur de la quantité consommée à partir de laquelle le produit différencié perd sa valeur distinctive. Il peut être pris égal à un sans perte de généralité. L’analyse de ce type de fonction d’utilité, ainsi que des conséquences sur la production, est donnée en annexe 3 point 4. On constate que l’introduction d’une sous-fonction d’utilité non homothétique complique sensiblement l’analyse, notamment sur les liens entre produits agricoles et industriels, qui ne peuvent plus être agrégés séparément. Une possibilité pour alléger l’analyse serait de séparer malgré tout l’étude du secteur agricole et du secteur industriel, c’est-à-dire de traiter, d’une part, l’augmentation de revenu due à la différenciation, et, d’autre part, l’effet induit sur la rentabilité de la délocalisation industrielle. Nous allons nous tourner vers un autre type plus simple de sous-fonction d’utilité, où la différenciation n’est plus représentée par une différence de concavité des fonctions relatives à chaque type de biens. 3.3.1.3. Une forme CES avec pondérations Nous avons constaté la difficulté technique, ainsi que les contradictions engendrées par la forme de sous-fonction d’utilité précédente. Ces difficultés provenaient de la combinaison d’une utilité marginale infinie lorsque la consommation de bien différencié tendait vers zéro, avec une utilité quasi-linéaire (qui rendait la consommation indépendante du revenu). Pour éviter ces difficultés, nous allons à présent proposer une sous-fonction de la forme (a1δ + k (a 2 ).a 2δ )1 / δ . L’idéal serait de considérer une fonction k telle que k>1, décroissante et tendant vers 1 quand a2 tend vers l’infini. Cependant, afin de pouvoir dégager des résultats analytiques aisément manipulables, on supposera qu’on se situe dans une zone où k est constant. Il s’agit donc d’une fonction CES, mais dans laquelle les deux produits n’ont pas un rôle symétrique. On a donc : n U = (a1δ + k .a 2δ ) (1− µ ) / δ (∑ miρ ) µ / ρ avec 0<δ<1. i =1 79 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels On peut alors montrer que, comme dans le modèle initial, les produits agricoles et industriels sont consommés de façon à représenter des fractions respectives du revenu (1-µ) et µ. Plus précisément, en posant δ= (γ-1)/γ, on trouve, si q1 et q2 sont les prix des biens agricoles : a1 = (1 − µ )Y q11−γ q1−γ k γ q 2−γ Y a µ , = ( 1 − ) (et toujours mi = µY 2 q11−γ + k γ q12−γ + k γ q12−γ pi−σ ). ∑ p1j−σ j Nous allons suivre une démarche en deux temps. Dans un premier temps, les conséquences de la fonction d’utilité choisie sur la production du bien agricole différencié seront explicitées. Elles concernent le nombre de producteurs produisant ce bien, le volume produit, et leur revenu individuel. Pour pouvoir mener à bien cette étude de façon analytique, des hypothèses doivent être faites sur la structure de production du bien agricole différencié. Dans un deuxième temps, les conséquences sur l’industrie seront étudiées. En effet, la hausse de revenu rural et la production d’un bien agricole « plus élaboré » ont des impacts potentiels sur l’intérêt pour des firmes de s’implanter en région rurale. 3.3.2. Les effets directs sur la production et le revenu agricoles Nous allons d’abord préciser les hypothèses faites sur la production de bien agricole différencié, puis examiner les résultats obtenus sur les quantités produites, le nombre de producteurs, et enfin sur leur revenu. 3.3.2.1. Modélisation de la production agricole différenciée Il est nécessaire de définir comment le bien agricole différencié est produit (fonction de production) et comment son prix est fixé (type de concurrence et hypothèses de maximisation du profit). Il n’y a aucune relation a priori entre les prix des deux produits agricoles (les quantités a1 et a2 ne s’expriment d’ailleurs pas nécessairement dans les mêmes unités). Rappelons brièvement les hypothèses faites jusqu’à présent sur le marché agricole. Les agriculteurs n’ont pas de contrainte de sol, et sont supposés être toujours en mesure de produire la quantité demandée. Ils utilisent leur propre force de travail comme unique facteur. Comme ils sont en concurrence parfaite et que les rendements sont constants, le prix agricole est fixé de manière à ce que le salaire perçu par agriculteur soit égal au salaire en dessous duquel les agriculteurs refusent de produire. Prix et salaire agricoles sont tous deux normalisés à un. Concernant le bien agricole différencié, nous allons supposer que les agriculteurs concernés s’organisent de façon à se comporter comme en monopole. Cependant, il importe de considérer une limitation aux possibilités de production, et ne plus se contenter de l’hypothèse que les agriculteurs n’utilisent que leur force de travail, sans quoi tous les agriculteurs se convertiront au bien différencié. Deux hypothèses sont faites sur la technologie de production : - Le fait que les agriculteurs encourent des coûts de production, par exemple qu’ils achètent des biens manufacturés au secteur industriel. - Le fait que chaque agriculteur peut produire une quantité maximale fixe de bien différencié (cette hypothèse est d’ailleurs semblable à celle de Daniel & Kilkenny 2002, mais sans facteur terre et sans coût fixe). A l’image du modèle de Krugman & Venables (1995), nous allons en outre faire l’hypothèse (forte) que les agriculteurs utilisent tous les biens industriels comme inputs, selon la fonction 80 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels de production suivante, sans besoin fixe en facteur : a 2 = (∑ xi(σ −1) / σ ) σ /(σ −1) / d . Le paramètre j d sert à moduler l’importance du besoin en biens intermédiaires pour fabriquer le produit agricole. Cette fonction a la même élasticité de substitution que la sous-utilité relative à ces mêmes biens industriels. Puis, on supposera que le nombre de producteurs qui produisent le bien différencié est proportionnel à la production optimale de bien agricole différencié. La forme de la fonction de production implique que la demande de chaque bien industriel s’écrit : xi = a2 dpi−σ /(∑ j p1j−σ )σ /(σ −1) (les producteurs étant supposés preneurs de prix). La dépense totale est ∑p x i i =a 2 dP M , où PM est l’indice de prix de Dixit-Stiglitz des biens i manufacturés : P M = (∑ p1i −σ )1 /(1−σ ) i 3.3.2.2. Quantité produite et nombre de producteurs Le profit des agriculteurs produisant le bien différencié est : π = κq 2−γ q 2 − dP M κq 2−γ , où le facteur κ dépend de l’indice de prix des biens agricoles, mais est supposé constant dans le problème de maximisation, comme pour les industries. Rappelons que le paramètre d mesure l’efficacité d’utilisation de biens intermédiaires dans la production, et q2 le prix. On suppose que l’institution coordonnant la production agricole a comme objectif la maximisation de ce profit total. Cette hypothèse, plutôt que la maximisation du profit par agriculteur, peut se justifier si l’on suppose que cette « interprofession » perçoit une certaine proportion (fixe) du profit dégagé par chaque exploitant. Ainsi, les agriculteurs se contentent de produire une quantité fixe, qu’ils vendent au prix fixé par l’interprofession. On obtient donc immédiatement q 2 = P M dγ /(γ − 1) , quantité qui est telle que le profit est positif, puisque supérieure à dPM. On note que le prix est d’autant plus faible que les produits agricoles sont substituables : ainsi, la quantité produite (et donc le nombre de producteurs) est d’autant plus forte que les biens sont substituables. D’autre part, la quantité produite est d’autant plus forte que d est élevé, donc que l’efficacité d’utilisation des inputs industriels est faible. 3.3.2.3. Revenu des agriculteurs différenciés Examinons à présent le revenu des agriculteurs. Le profit dégagé est réparti entre producteurs, et constitue leur revenu. Supposons que la quantité produite par L producteurs est égale à a2=α.L. Le revenu individuel des producteurs de bien agricole différencié, égal à π/L, vaut donc α dPM/(γ -1). Il est rentable de produire ce bien à condition que ce revenu soit supérieur à 1 (revenu des producteurs agricoles de bien générique), autrement dit si α dPM>(γ -1). Ainsi, plus la productivité individuelle α est élevée, plus le revenu l’est (le contraire eût été préoccupant). Plus intéressant, on voit que moins les biens agricoles sont substituables (plus γ est élevé), plus le revenu des producteurs du bien différencié est élevé, et ce, quelle que soit la valeur de k (qui, cependant a été éliminé du calcul de façon assez artificielle, puisqu’on a supposé l’indice des prix agricoles constant). Enfin, et de façon surprenante, si l’efficacité d’utilisation des intrants industriels diminue (d augmente) ou si l’indice des prix industriels augmente, ce revenu augmente : cet effet est dû à l’existence du pouvoir de monopole qui permet de répercuter les coûts de façon plus que proportionnelle sur le consommateur. Le résultat le plus important de cette étude est qu’un bien agricole peu substituable avec le bien générique aboutira à un revenu individuel élevé, mais un prix fort et une production 81 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels faible, ainsi qu’un faible nombre d’agriculteurs produisant ce bien. Ce résultat est tout à fait cohérent avec l’hypothèse de monopole. Le modèle proposé ici comporte un grand nombre de simplifications, qui permettent de séparer les différents problèmes (nombre de producteurs, revenu, puis effet sur l’industrie), et d’aboutir à des résultats analytiques facilement manipulables. En particulier, il est décevant que le paramètre de différenciation k ne joue aucun rôle sur la condition de rentabilité de la production de bien différencié. Avec la simplification adoptée sur la maximisation du profit, k ne joue en fait un rôle que dans le calcul (non explicité ici) de la quantité produite (donc du nombre de producteurs). C’est surtout l’élasticité de substitution γ entre produits agricoles qui joue un rôle important dans l’effet de différenciation. Cette situation n’est pas sans rappeler celle du besoin fixe en travail F dans l’industrie. Ce paramètre est censé représenter l’intensité des économies d’échelle internes, mais n’est presque jamais présent dans les conditions obtenues dans l’étude des équilibres : il ne se retrouve que dans l’équation donnant la quantité produite, et celle donnant le nombre de firmes. Un cadre plus élaboré, avec moins d’hypothèses simplificatrices, pourrait être adopté si ce travail se poursuit par des simulations numériques, en gardant cependant à l’esprit que le gain en termes de complexité peut se traduire par une perte de robustesse et de compréhension des mécanismes économiques. 3.3.3 Les effets indirects et induits sur l’industrie Intéressons nous à présent aux effets d’une telle différenciation du produit agricole sur l’activité industrielle et sa répartition géographique. La différenciation du bien agricole a deux effets directs : - Une hausse de revenu des producteurs agricoles - Une hausse de demande adressée aux firmes industrielles Ces deux effets directs peuvent entraîner deux autres effets, tous deux favorables à la délocalisation de l’industrie. D’une part, la hausse de revenu dans la région rurale produisant le bien différencié entraîne à son tour une hausse de la demande de biens industriels finaux qui peut renforcer l’incitation à une délocalisation de firmes en zone rurale (« effet induit »). Il s’agit donc d’une variante de l’effet taille de marché (« home market effect »), qui porte non sur la population (comme dans la section précédente, à travers le paramètre θ), mais sur la hausse de revenu et la demande de biens intermédiaires. D’autre part, la demande de biens industriels comme inputs de la production agricole différenciée renforce l’avantage lié à la baisse de coût de transport des firmes rurales (« effet indirect »). 3.3.3.1. Cadre du modèle d’économie géographique Jusqu’à présent, nous ne nous sommes intéressés qu’à la production agricole de biens différenciés, en ignorant tout cadre spatial. Nous allons tenter d’examiner de plus près les effets sur le secteur industriel et les autres régions dans un modèle simple à trois régions. Pour cela, nous supposons que les producteurs agricoles de biens différenciés se situent dans une zone géographique contiguë, sans coûts de transport internes, mais que les autres producteurs (produisant le bien agricole générique) sont localisés dans une zone plus éloignée. Ceci permet de se ramener à un cadre géographique avec des régions ponctuelles. Pour ne pas ajouter de complication supplémentaire, le coût de transport est supposé identique entre les régions, et ne concerner que le bien industriel. Comme dans le modèle des sous-sections 1.1. et 1.2., on suppose qu’il y a immobilité sectorielle (sans quoi il y aurait un arbitrage à ajouter avec le salaire industriel), mais mobilité géographique des travailleurs industriels. Le cadre géographique est donc identique à celui de la sous-section 3.1.1. (hormis le dernier 82 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels paragraphe). La situation initiale est celle d’une concentration totale de l’industrie dans la région urbaine, et les notations sont les suivantes : Urbain U 0 Main-d’œuvre agricole Main-d’œuvre industrielle LUM = LM Fonction de production (industrie) l = F+c.q Paramètres des ménages σ, µ Revenu régional wU LUM Rural différencié D LAD = θLA Rural indifférencié I LAI = (1 − θ ) LA LMD = 0 l = F+c.q σ, µ αLAD d /(γ − 1) LMI = 0 l = F+c.q σ, µ LAI Avec la normalisation habituelle du prix agricole générique. Les autres paramètres sont la production de bien agricole différencié par travailleur α, l’intensité d’utilisation de biens intermédiaires dans la production de bien agricole différencié d, l’élasticité de substitution entre produits agricoles γ et le paramètre de qualité k. Rappelons que la définition des régions D et I a un sens très différent des sections précédentes : elles sont ici délimitées de manière endogène, par la part de population agricole se spécialisant dans le bien différencié. 3.3.3.2. Evaluation des effets induits et condition de délocalisation Nous pouvons maintenant comparer les salaires réels offerts aux travailleurs industriels dans les trois régions. Pour écrire la demande adressée à chaque firme, notons au préalable que la demande totale en chaque bien industriel de adressée à la région urbaine par la région rurale, vaut : αLAD dP M T 1−σ pU−σ (γ + µ − 1) (γ − 1) P M - 1−σ , c’est-à-dire la somme de : la demande de biens finaux (soit µαdP M LADT 1−σ pU−σ / P M 1−σ (γ − 1) puisque le revenu de la région D vaut αdP M LDA /(γ − 1) ). - la demande de biens intermédiaires (soit αLAD dT 1−σ pU−σ d / P M −σ , puisque la quantité de bien différencié produite est αL ). A D On raisonne de même pour la demande à une firme de la région D ou de la région I, et on fait les mêmes approximations que précédemment (on néglige le nombre d’entreprises éventuel en zone rurale, ainsi que la population rurale ouvrière éventuelle. wU LM pU−σ (αLAD d (γ + µ − 1) / µ (γ − 1)) P M T 1−σ pU −σ LAIT 1−σ pU −σ + + qU = µ 1−σ nU (TpU )1−σ nU (TpU )1−σ nU pU wU LM T 1−σ p D −σ (αLA d (γ + µ − 1) / µ (γ − 1)) P M p −σ LAT 1−σ p −σ D D D + + I qD = µ 1−σ 1−σ 1−σ n p n Tp n Tp ( ) ( ) U U U U U U −σ wU LM T 1−σ p I −σ (αLA d (γ + µ − 1) / µ (γ − 1)) P M T 1−σ p −σ LAI p I D I + + qI = µ nU pU1−σ nU (TpU )1−σ nU (TpU )1−σ 83 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Ces trois équations deviennent, après les substitutions habituelles des équations (1), (2) et (3) et en introduisant θ : LA µ M wU = (αθdP γ /(γ −1) + (1 −θ )) M L 1− µ σ wD αθdPM (γ + µ −1) / µ(γ −1) (1 −θ ) = µT 1−σ + (1 − µ) T σ −1 + (1 − µ) M M αθdP (γ + µ −1) / µ(γ −1) + (1 −θ ) αθdP (γ + µ −1) / µ(γ −1) + (1 −θ ) wU wI wU σ αθdPM (γ + µ −1) / µ(γ −1) (1 −θ ) = µT 1−σ + (1 − µ) + (1 − µ) T σ −1 M M αθ γ + µ − µ γ − + − θ αθ γ + µ − µ γ − + − θ dP dP ( 1 ) / ( 1 ) ( 1 ) ( 1 ) / ( 1 ) ( 1 ) La condition de délocalisation dans la région D est comme dans la sous-section 3.1.1. que le rapport des salaires réels ω D / ω U soit supérieur à 1. Rappelons que la part θ de population rurale produisant le bien agricole différencié est endogène, elle dépend des paramètres d, α, γ, et k, mais aussi de µ et du revenu global (pas du coût de transport puisqu’on suppose que les biens agricoles sont transportés sans coût). De plus, P M est aussi endogène ( P M = nU1 /(1−σ )TpU ). Posons λ = αdP M (γ + µ − 1) / µ (γ − 1) , pour alléger les formules (le cas initial de la sous-section 3.1.1. revient à poser λ=1). Ce paramètre sans dimension mesure l’intensité de besoin en biens industriels pour les agriculteurs de la région D. On a λ>1, car γ>1 et on a supposé que α d P M >(γ -1) pour qu’il soit rentable de produire le bien agricole différencié. Réécrivons les équations : wU = LA µ (λθ + (1 − θ )) M 1− µ L σ wD wU λ 1 = µT 1−σ + (1 − µ ) θT σ −1 + (1 − µ ) (1 − θ ) λθ + (1 − θ ) λθ + (1 − θ ) wI wU λ 1 = µT 1−σ + (1 − µ ) θ + (1 − µ ) (1 − θ )T σ −1 λθ + ( 1 − θ ) λθ + ( 1 − θ ) σ Ces trois équations permettent de retrouver les différents effets induits par la différenciation du produit agricole : - L’équation donnant le salaire urbain montre que la hausse de salaire de la région rurale différenciée entraîne (via la hausse de λ) une hausse de salaire dans la région urbaine du fait de l’augmentation de la demande de biens finaux et intermédiaires. Cet effet tempère l’avantage conféré en termes d’attractivité à la région D par sa hausse de salaire agricole. - Concernant le coût de transport, la zone où la baisse de coût de transport est défavorable à la délocalisation de l’industrie est plus grande pour la région D (cf. figure ci- dessous) et plus petite pour la région I, par rapport à la situation sans différenciation (celle de la soussection 3.1.2.)14. - L’augmentation de λ, intensité de besoin en biens industriels des agriculteurs produisant le bien différencié, est favorable à l’industrialisation de la région rurale différenciée, et défavorable à l’autre région rurale. Cet effet est d’autant plus marqué qu’en outre, une augmentation de λ coïncide avec une hausse de la quantité produite dans la région D, donc de θ, sauf si l’augmentation de λ est due à la baisse de µ. En effet, le fait que λ>1 implique que λ (λθ + (1 − θ )) > 1 et que 1 T a plus de poids pour la région D, et moins de poids pour la région I. 14 σ-1 84 (λθ + (1 − θ )) < 1 . Donc le terme en Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels Avantage relatif de la région D en termes de salaire réel avec ou sans différenciation ω D / ωU λ=1 λ>1 1 T Toutefois, ces remarques ont été faites en supposant implicitement la taille de la région D (le paramètre θ) fixée. Cette approximation peut être faite sur le court terme (par exemple parce que la conversion à la production agricole différenciée nécessite des investissements). En fait, nous allons voir que la baisse du coût de transport est favorable à la hausse de θ. 3.3.3.3. Comparaison des régions rurales Examinons à présent l’attractivité relative des deux régions rurales. On a wD > wI si est seulement si : θ > 1 /(λ + 1) . On retrouve bien la condition élémentaire θ > 1 / 2 lorsque λ = 1 . Revenons donc aux déterminants de θ = min(a 2 / αLA ,1) . C’est le calcul de a2 qui est délicat : a2 = (1 − µ )( wU LM + ( wDθ + (1 − θ )) LA ) k γ q2−γ , q 2 = γdP M /(γ − 1) et wD = αdP M /(γ − 1) γ 1−γ 1 + k q2 On constate que l’interdépendance entre les paramètres endogènes est importante : la poursuite du calcul ne mène à aucune simplification qui pourrait donner une condition facile à étudier analytiquement. Contentons-nous de donner une expression de θ en substituant seulement l’expression du salaire urbain : k γ q 2−γ θ= α (1 + k γ q12−γ ) + (1 − µ )k γ q2−γ (1 − wD ) + k γ q2−γ µ (1 − λ ) [ ] Enfin, en substituant λ = αdP /(γ − 1) + αdP / µ , q2 et wD nous pouvons écrire : M θ= kγ α (dP M γ /(γ − 1)) γ + k γ [ M ] Des simulations numériques seraient nécessaires pour étudier précisément l’effet de chaque paramètre. Néanmoins, on peut faire deux remarques : - Comme PM croît avec le coût de transport, la valeur de θ augmente si le coût de transport diminue, tandis que 1/(1+λ) augmente. Si θ varie plus lentement que 1/(1+λ), une diminution du coût de transport industriel est défavorable à la l’attractivité industrielle de la région D par rapport à la région I. En revanche, θ si s’ajuste selon l’expression cidessus, l’effet est indéterminé, mais on peut montrer que si k est suffisamment grand, la 85 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels - croissance de θ quand PM diminue est supérieure à la croissance de 1/(1+λ). Dans ce cas, la baisse du coût de transport est favorable à l’attractivité de la région D. Sur le rôle de k : ce paramètre n’intervient que dans l’expression de θ et pas de λ. k Lorsque tend vers 1, on montre que la condition s’écrit M M M γ dP /(γ − 1) + dP / µ > (γdP /(γ − 1)) . A l’inverse, si k tend vers l’infini, θ tend vers 1 (tandis que 1/(1+λ) reste inférieur à ½) : la région D est systématiquement favorisée à partir d’un certain seuil, et « envahit » progressivement tout le monde rural. Ainsi, si le paramètre de qualité k est suffisamment élevé, la région D sera systématiquement plus attractive pour l’industrie que la région I. A l’inverse, en supposant l’effet de d, α et γ sur PM faible (cette supposition peut se fonder sur le fait que la population rurale est beaucoup plus petite que la population urbaine et de ce fait influe peu sur PM), on voit que, lorsque k est faible, une forte élasticité de substitution pénalise la région D. L’augmentation d’intensité d’utilisation de biens intermédiaires augmente l’attractivité de la région D quand elle est faible, puis la diminue. La productivité par travailleur ne joue aucun rôle. De manière surprenante, une forte consommation de biens industriels par les ménages peut être défavorable à la délocalisation dans la région D. Cet effet est dû au fait que lorsque µ est élevé, l’induction d’activité industrielle par l’achat de biens intermédiaires de la région D est relativement moins élevée. Conclusion de la section Le modèle proposé ici, qui comporte de nombreuses simplifications et plusieurs hypothèses ad hoc destinées à rendre son étude abordable, donne des résultats en accord avec l’intuition, mais aussi quelques prédictions plus inattendues, et parfois ambiguës comme la condition d’attractivité de la région rurale différenciée. On trouve le même problème d’estimation des paramètres (avec des paramètres supplémentaires) que dans les sous-sections précédentes. Quelques tests empiriques peuvent néanmoins être envisagés, et en particulier : - la condition de rentabilité de la production de bien agricole différencié : le modèle prédit une relation négative entre élasticité de substitution des biens agricoles et productivité du bien différencié, à savoir α dPM>(γ -1). - la relation entre taille de la région D et induction d’activités industrielles : du fait de la condition θ > 1 /(λ + 1) , la taille minimale des zones de différenciation agricole pouvant attirer l’industrie doit diminuer à mesure que le besoin en bien industriels (y compris pour la consommation personnelle) croît. - le rôle négatif de la baisse du coût de transport industriel sur la possibilité d’industrialisation rurale. Un point intéressant mis en évidence dans l’étude des effets induits sur l’industrie est qu’il existe un effet indirect positif de la hausse de revenu agricole sur l’industrie urbaine. Cet effet, s’il est suffisant (par exemple, si la part de consommation industrielle dans le budget des ménages est suffisante), peut contrebalancer l’effet taille de marché dans la région rurale. Cela justifie l’utilisation d’un cadre d’équilibre général, sans lequel l’effet ne pourrait pas apparaître. L’étude menée dans cette section illustre bien la complexité analytique engendrée par des modifications mêmes simples du modèle de base. Des simulations numériques pourraient cependant être menées avec des hypothèses moins arbitraires, afin de tester la robustesse des propositions obtenues ici, en particulier de celles qui sont contre-intuitives. Les hypothèses faites sur le coût de transport (coût unique entre les régions pour les biens industriels, pas de 86 Chapitre 3 : Variantes analysant des effets organisationnels coûts pour les biens agricoles) sont fortes, et méritent d’être relâchées, notamment pour le bien agricole différencié. On s’attend à ce que l’introduction d’un coût de transport pour le bien agricole différencié ait un effet ambigu : d’un côté, elle atténue la demande de ce bien dans les régions U et I (donc la hausse de revenu de la région D). Mais, d’un autre côté, elle rend plus avantageuse la localisation de travailleurs industriels dans la région D, qui bénéficieront d’une demande accrue de biens intermédiaires et d’une baisse du prix réel (sans coût de transport) du bien agricole différencié. 87 Chapitre 4. Conclusion La conclusion de ce mémoire se fera en trois temps. Dans une première section, une synthèse des résultats les plus marquants obtenus dans l’étape de modélisation est proposée. Elle est remise en perspective par rapport aux questions initiales, et le statut du travail réalisé est discuté. La deuxième section examine les prolongements à envisager en termes de validation empirique des résultats théoriques. Elle met en évidence différents problèmes théoriques et pratiques, et propose quelques premières pistes pour préparer un travail économétrique. Enfin, la troisième section passe en revue des questions non abordées dans le cadre de ce mémoire, mais qui mériteraient une prise en compte dans le prolongement du travail théorique. 4.1. Synthèse des résultats et statut méthodologique du travail réalisé Cette section fait la synthèse des résultats obtenus dans les différents modèles analysés dans le chapitre 3. Elle commence par rappeler l’ambition de ces modèles par rapport à la problématique des effets d’organisation. Puis elle reprend les résultats obtenus les plus remarquables. Enfin, elle s’interroge sur la valeur à leur accorder sur le plan scientifique. 4.1.1. Les effets d’organisation abordés et leur mode d’introduction Les trois types de variantes examinées dans le chapitre 3 abordent l’introduction d’effets d’organisation dans un modèle d’économie géographique de manière assez différente. Dans la première section, il est supposé que la production industrielle est plus efficace dans une région rurale « différenciée » qu’ailleurs. Cette augmentation de productivité peut s’interpréter soit comme le résultat d’un processus interne aux individus (par exemple, plus grande ardeur au travail), soit comme le résumé de mécanismes élémentaires complexes (baisse de coûts de transaction et de formation, etc…). Dans le premier cas, on ne peut guère aller plus loin en termes de description économique, et il faut passer la main aux psychologues ou sociologues pour explorer les mécanismes incitatifs possibles à l’origine des phénomènes d’organisation, et leur efficacité. Dans le second, la question reste ouverte de la possibilité d’intégrer explicitement ces mécanismes dans un modèle économique, tout en gardant la capacité à accéder à la compréhension du fonctionnement d’un tel modèle. Le modèle de complémentarités verticales se focalise sur un type d’effet d’organisation particulier, les complémentarités au sein du système input-output (même si on a vu qu’il pouvait aussi s’interpréter en termes de complémentarités travailleurs-firmes). Plutôt que de chercher à modéliser explicitement des coûts de recherche de partenaires et autres coûts de transaction, il utilise un paramètre courant en microéconomie, l’élasticité de substitution, pour faire varier ces complémentarités. A première vue, cela peut paraître un jeu de langage que d’utiliser le caractère de « complémentarité » des inputs au niveau de la fonction de production (une élasticité de substitution faible), pour représenter des complémentarités entre firmes. Il s’avère en fait qu’une élasticité de substitution faible rend bien compte de l’idée de complémentarité entre biens intermédiaires et biens finaux : chaque bien intermédiaire apporte une contribution spécifique à la production finale, et les calculs montrent qu’une plus faible élasticité de substitution est favorable à une baisse des prix des biens finaux. Dans le modèle avec bien agricole différencié, l’approche est différente des deux modèles précédents, puisque l’effet d’organisation se place au niveau de la production liée au sol, et qu’il passe en premier lieu par une modification de l’utilité du consommateur. L’effet d’organisation est ici composite : il comprend un pouvoir de monopole et une barrière à l’entrée, associée à la capacité à conférer au produit une image positive aux yeux du 88 Chapitre 4 : Conclusion consommateur. La modification de l’utilité est arbitraire, et se justifie en partie par des raisons de commodité analytique. Contrairement aux coûts de transaction (au sens large, tel qu’utilisé par Williamson), qui peuvent faire l’objet d’une modélisation plus fine, il n’est d’ailleurs guère possible d’aller plus loin dans le cadre de la théorie microéconomique. Nous avons donc dans ce travail tenté d’illustrer des possibilités assez contrastées de modification des modèles de base. Comme on le verra plus bas, il laisse encore la possibilité à de multiples perfectionnements. 4.1.2. Bilan de la démarche entreprise Si l’on compare à présent les différents résultats obtenus, une observation générale semble s’imposer : selon le type d’effet d’organisation et de situation que l’on étudie, l’effet qualitatif des autres paramètres, en particulier des paramètres relatifs aux phénomènes marchands, n’est pas systématiquement le même. En particulier : - L’élasticité de substitution ne joue pas le même rôle selon qu’on a une baisse du besoin fixe en facteur travail ou du besoin variable. - Les paramètres qui favorisent la délocalisation jouent parfois un rôle inverse en matière d’attractivité relative des régions rurales. Aussi, selon que la situation est favorable ou non à une délocalisation de l’industrie, les paramètres stratégiques peuvent être très différents. - Dans les modèles plus élaborés des sections 2 et 3 du chapitre 3, certains paramètres ont un effet qualitatif qui dépend des autres paramètres. Seul le coût de transport semble avoir un effet qualitatif plus univoque, avec la « courbe en U inversé » que l’on retrouve presque partout (quoique dans la variante avec différenciation des produits ruraux, l’effet est plus ambigu). Dans la plupart des cas, lorsqu’on est dans une zone de « bas coûts de transport » (avec un seuil supérieur éventuel dépendant des paramètres), une baisse des coûts de transport est favorable à la délocalisation dans la région différenciée. En conséquence, l’idée d’élaborer une mesure de la qualité de l’organisation locale par un seul indicateur semble illusoire. Cette observation corrobore l’idée qu’une stratégie de développement basée sur l’organisation est très difficile à reproduire dans des situations différentes. La comparaison entre effets d’organisation et « effets marchands » n’a d’ailleurs vraiment été traitée que dans le premier type de modélisation, à travers les conditions portant sur le paramètre d’efficacité relative de la production industrielle. Dans les deux autres variantes, les expressions obtenues sont trop complexes pour étudier explicitement les relations entre un paramètre de différenciation organisationnelle et les paramètres relatifs aux effets marchands. Ainsi, l’apport de ces modélisations par rapport aux questions initiales est triple : - Elles montrent qu’il est effectivement possible d’utiliser le formalisme microéconomique pour faire cohabiter des mécanismes marchands et des effets d’organisation, même si la représentation de ces derniers reste assez fruste. - Elles confirment la difficulté qu’il y a à tenter d’agréger des effets d’organisation divers pour en déduire un « degré d’organisation ». - Elles fournissent quelques relations susceptibles de faire l’objet de tests empiriques. Il convient cependant de rappeler les limites des résultats obtenus. 89 Chapitre 4 : Conclusion 4.1.3. Questions méthodologiques sous-jacentes à la démarche et aux résultats Au-delà de l’accent mis sur le formalisme microéconomique dans ce document, un des objectifs de ce travail était d’appliquer une démarche hypothético-déductive aux questions d’organisation. Un grand nombre de travaux sur le sujet consiste en des monographies, ou en des synthèses de monographies aboutissant à des discussions sur la définition de nouveaux concepts, l’existence de régularités empiriques, des typologies globales, etc… Une telle démarche, de type inductif, est tout à fait honorable, surtout sur un sujet aussi ardu et au confluent de plusieurs disciplines (sociologie, science politique). Il s’agissait ici d’examiner la possibilité d’aller plus loin et d’obtenir des propositions réfutables au sujet des conséquences sur le résultat des forces de marchés de la prise en compte de l’organisation. Pour cela, nous avons d’abord procédé de façon analytique, en énumérant l’ensemble des mécanismes potentiellement en jeu. Nous avons ensuite essayé de construire des modèles basés sur un niveau d’analyse le plus bas possible, même si pour des raisons de simplicité d’analyse, un certain caractère de « boîte noire », assez inévitable avec le formalisme utilisé, demeure dans la représentation des effets d’organisation. Peut-on dire que l’objectif a été atteint ? La démarche n’a en fait été menée à bien qu’à moitié. Des relations entre paramètres, en principe testables, ont été formulées, mais du fait du maintien de certaines « boîtes noires », le travail reste incomplet. Un approfondissement théorique devrait se pencher sur le lien entre les modifications de fonction de production utilisées et les paramètres observables dans le monde réel. A présent, sur le plan de la compréhension des mécanismes à l’œuvre lorsque des effets d’organisation se mêlent aux phénomènes marchands, ce travail a permis d’illustrer la richesse des interactions possibles, tout en confirmant la difficulté qu’il y a à vouloir dégager des régularités générales. De ce fait, l’arbitrage toujours nécessaire entre la simplicité du modèle (pour le comprendre et obtenir des résultats robustes) et sa richesse n’a pas été trop déséquilibré. Des questions restent néanmoins en suspens sur la validité des simplifications posées : hypothèse de robustesse des résultats obtenus sur les configurations en coin, hypothèses sur les fonctions de production et les programmes de maximisation… Il serait utile de comparer les résultats obtenus ici à ceux d’autres approches que l’économie géographique. Quoi qu’il en soit, la démarche menée ici, qui reste très abstraite, appelle naturellement un retour au réel, à la fois pour tester certaines propositions obtenues, mais aussi plus généralement pour évaluer sa pertinence d’ensemble. 4.2. Le travail de validation empirique envisageable Cette partie n’entend pas définir un protocole précis de validation du travail théorique mené ici. Elle se contente de pointer les difficultés relatives à cette validation, et à proposer des premières pistes, selon trois aspects : le choix des systèmes étudiés, le contenu du travail économétrique, et les questions théoriques à examiner au préalable. 4.2.1. Le choix des territoires d’étude L’objectif du travail empirique est d’évaluer des relations prédites par les modèles. Il devra donc s’agir d’un travail économétrique portant sur un grand nombre de territoires. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle l’usage d’une théorie formalisée est intéressant. Toutefois, il pourra être utile de réaliser au préalable une ou quelques études de terrain plus détaillées afin de mieux appréhender les mécanismes étudiés. Ceci pourrait s’avérer d’autant plus nécessaire que la définition des variables quantifiant les effets d’organisation sera ardue et entachée de pièges méthodologiques. Cependant, il est nécessaire de bien calibrer un tel 90 Chapitre 4 : Conclusion travail, qui peut vite devenir extrêmement lourd et peu extrapolable, par exemple si l’on tente de prendre en compte les phénomènes sociologiques, historiques etc… et essayer de les relier à des caractéristiques économiques. Une étude statistique sur l’espace rural est potentiellement entachée de nombreux biais. Contrairement aux pôles urbains dont la taille est importante en termes d’activités et de population, des artéfacts peuvent grandement perturber les comparaisons en zone rurale. Supposons par exemple que, pour une raison quelconque, un grand établissement industriel se soit installé dans une zone, créant de nombreux emplois. Cela entraînerait bien entendu une distorsion considérable par rapport à d’autres zones de caractéristiques analogues. Afin de limiter les biais potentiels et interactions avec d’autres mécanismes, il est donc préférable de restreindre l’étude à un type d’espace assez éloigné de l’influence des grandes métropoles, par exemple l’espace à dominante rurale, voire le rural indépendant15. Cela peut éviter les distorsions dues à la proximité de pôles urbains, mais inversement, un espace trop périphérique risque surtout de se distinguer par son absence de dynamisme et ne rien révéler d’intéressant. La taille des territoires doit être choisie de façon à ce que la définition d’un véritable système productif puisse avoir un sens. Autrement dit, il doit exister sur le territoire étudié un minimum de complémentarités marchandes, directes (entre firmes ou entre firmes et travailleurs) ou indirectes (par exemple entre industrie et services aux personnes, par le biais des consommateurs). Des seuils d’emploi ou de population pourront être fixés. Le modèle type est bien entendu un pôle (ici rural), et l’espace voisin qu’il structure. Cependant, en pratique, il n’y a aucune raison d’obtenir ainsi un pavage de l’espace complet et sans recouvrement. Ainsi, un parc naturel régional peut chevaucher plusieurs zones polarisées, tout en pouvant constituer par certains aspects un territoire structuré pertinent sur le plan économique. L’idéal serait de comparer des territoires possédant des caractéristiques semblables (taille du même ordre de grandeur, éloignement de pôles urbains, présence d’un centre d’importance comparable, histoire économique comparable) et différant en revanche nettement sur des aspects organisationnels étudiés ici (par exemple, existence de structures de développement, coopérations entre entreprises, stratégie innovante de création de valeur ajoutée, identité forte,…). Il faudrait aussi comparer leurs trajectoires récentes, en supposant qu’on dispose d’un recul temporel suffisant dans la divergence des modes d’organisation pour espérer observer des différences significatives. Mais les quelques suggestions ci-dessus ne suffisent pas à définir une méthode de délimitation des territoires. Comme dans toute étude statistique, un des enjeux essentiels est d’éviter les biais dans l’échantillonnage. C’est d’autant plus important – et délicat – dans ce domaine, relevant par excellence du « non mesurable ». Deux approches opposées sont possibles, chacune ayant des avantages et des inconvénients majeurs. La première est de considérer des territoires possédant une structure de gouvernance officielle, privée ou publique, associée à un périmètre précis. Etant donnés les critères généraux ci-dessus, prendre des « pays loi Voynet » peut être une démarche adaptée16. Cette 15 En suivant Guérin (1999), nous pouvons définir le rural indépendant comme la réunion du rural isolé, des pôles ruraux et de leur périphérie, toujours selon les définitions du zonage en aires urbaines). 16 En effet, le préfet de région qui valide la délimitation du périmètre est censé tenir compte de sa cohérence d’ensemble selon des critères multiples : géographie, identité, histoire, activité économique, existence de 91 Chapitre 4 : Conclusion démarche suppose implicitement que toute zone non structurée en pays n’a aucun intérêt pour notre étude. Les caractéristiques moyennes de l’espace rural pourraient servir de « témoins ». Cette approche permet de choisir rapidement un panel de territoires « candidats » et a l’avantage de mettre à la disposition de l’enquêteur des correspondants locaux dont le domaine géographique de compétence se confond avec celui du territoire. Cependant, les territoires présentent en fait une grande hétérogénéité de taille et d’éléments fédérateurs. En outre, tout l’espace rural n’est pas couvert de cette façon. L’autre possibilité est de prendre une définition objective des territoires d’étude, à l’aide de quelques indicateurs statistiques : déplacements domicile-travail, zones de chalandise en particulier (pôles de service de l’INSEE par exemple). L’avantage, outre l’objectivité de la démarche, est de pouvoir prendre en considération l’ensemble de l’espace rural (il serait d’ailleurs intéressant d’étudier le recouvrement de ces zones avec les territoires de projets officiels). En revanche, l’enquête de terrain peut être rendue plus difficile. De plus, certains aspects potentiellement importants, auxquels tiennent les développeurs (aspects socioculturels) échappent en grande partie à la méthode de délimitation (de toute façon, on ne pourra se permettre de devoir faire une étude approfondie sur les caractéristiques organisationnelles des territoires avant même de les avoir choisis). Certes, ce travail ne s’intéresse qu’à des mécanismes économiques, mais la comparaison des résultats sur les aspects économiques avec des aspects plus sociaux peut néanmoins se révéler éclairante. 4.2.2. Types de relations à tester Le contenu des tests économétriques à réaliser est encore plus problématique que la question du choix des territoires. Deux questions principales se posent : premièrement, comment calculer les différentes variables, notamment celles qui concernent les effets d’organisation, deuxièmement, quelles relations tester. Avant d’aborder les variables d’organisation, la première question concerne la ou les variables de performance, servant à évaluer le dynamisme de l’activité économique. Le revenu par habitant est de toute évidence insuffisant puisque qu’il inclut des revenus de transfert. De plus, un territoire peut très bien se vider de ses habitants tout en conservant une petite activité fortement rémunératrice mais concernant peu d’individus. On considérera donc plutôt la valeur ajoutée produite sur le territoire, ou nombre d’emplois, et on pourra rapporter ces indicateurs à la superficie et non au nombre d’habitants. D’autre part, des indicateurs dynamiques peuvent être préférables à des indicateurs statiques : taux de croissance moyen sur plusieurs années par exemple. Les autres variables relatives aux phénomènes marchands sont en général non accessibles dans les statistiques officielles et devront faire l’objet de mesures et de calculs. On a vu que l’accessibilité (coût de transport) joue un rôle important. Combes & Lafourcade (2002) proposent une méthode de calcul de ces coûts entre les zones d’emploi, dont on pourrait s’inspirer. Les coûts supportés par les entreprises devront faire l’objet d’une recherche sur la littérature spécifique à chaque branche. On cherchera notamment à évaluer pour chaque type d’activité le niveau d’économies d’échelle atteint par les entreprises les plus efficaces. En cas de travail sur des données temporelles, l’évolution nationale des différents secteurs devra être utilisée à titre de référence. Enfin, l’élasticité de substitution de la demande pourra être complémentarités urbain/rural internes etc… De plus, le conseil de développement doit comporter de nombreux acteurs économiques. Cependant, il est notoire que certaines circonstances politiques ou fortuites, ainsi que la difficulté de concilier tous les critères souhaités, rendent ces territoires beaucoup moins cohérents qu’en théorie. 92 Chapitre 4 : Conclusion approchée en se basant sur la littérature empirique traitant du sujet, mais pourra se réduire à un paramètre à estimer dans le modèle statistique. Le problème le plus épineux concerne bien entendu les variables mesurant l’organisation. Par essence, les phénomènes d’organisation sont difficiles à saisir quantitativement. L’idéal serait de pouvoir construire des indicateurs indirects (proxies). Par exemple, Hecquet & Lainé (1999) ont réalisé une étude statistique sur l’organisation économique en France, en se basant sur les prises de participation de capital entre entreprises. Cependant, les complémentarités entre entreprises sont fréquemment informelles. Un travail de terrain sera alors probablement nécessaire pour aboutir à des mesures quantitatives. Des variables indirectes utiles pourraient être, par exemple : turnover de la main d’œuvre (indiquant la qualité des appariements), taux d’absentéisme, taux de participation de travailleurs à des démarches associatives, densité de liens informels entre chefs d’entreprise… La seule solution, ou tout au moins la moins onéreuse, risque d’être souvent l’utilisation de variables indicatrices renseignées « à dire d’expert », avec tous les biais que peuvent engendrer cette méthode. Il peut s’agir de variables binaires (présence/absence) ou d’échelles de notation. Les territoires seront alors comparés en fonction de l’existence ou non d’un phénomène d’organisation. Une autre approche, plus délicate, serait de considérer un territoire qui paraît avoir bien réussi grâce à des caractéristiques organisationnelles performantes, et de tenter de reconstituer une évolution contrefactuelle de ses indicateurs de développement économique (c’est-à-dire d’estimer ce qu’auraient été ces indicateurs en l’absence d’une démarche d’organisation économique). Si ce travail s’avère trop délicat, on peut aussi comparer l’évolution réelle du territoire à la moyenne de l’espace rural de même type (ce qui suppose que les démarches d’organisation économique sont rares à l’échelle de l’ensemble du rural). Une fois « résolus » les problèmes de calcul de variables, trois types de calculs peuvent être intéressants à réaliser : - Des tests de significativité des variables liées à l’organisation dans le niveau d’activité économique. Il s’agit de savoir si les effets d’organisation peuvent réellement jouer un rôle déterminant dans l’activité économique. Ces tests peuvent être basés soit sur des modèles statistiques a priori (par exemple, une relation linéaire entre niveau d’activité, variables d’organisation et autres variables), soit sur des modèles statistiques déduits d’un modèle théorique (ce qui nécessiterait de calculer explicitement des équilibres avec industrialisation rurale, à moins de se contenter de conditions de délocalisation à partir de situations en coin). - Des estimations de coefficients relatifs à l’organisation dans les relations susmentionnées, notamment dans le cas où l’on cherche à tester des relations liant des effets marchands à des effets d’organisation. - La démarche inverse, qui consisterait à construire des proxies de variables d’organisation à partir de variables explicatives diverses, économiques ou non. Elle pourrait être particulièrement utile par exemple dans le cas où l’on cherche à estimer une élasticité de substitution, paramètre abstrait s’il en est. Là encore, soit on procède par démarche inductive en essayant diverses combinaisons, soit on s’inspire de modèles théoriques. 93 Chapitre 4 : Conclusion 4.2.3. Approfondissements théoriques préalables nécessaires Pour conclure ces considérations sur le travail empirique, insistons sur plusieurs questions d’ordre théorique que ce travail soulève. Elles sont de deux types principaux : celles qui concernent l’approfondissement des mécanismes élémentaires d’émergence des effets d’organisation et celles relatives à la diversité des types de production. Si l’on se refuse à se contenter d’un jugement à dire d’expert pour évaluer les phénomènes d’organisation dans un territoire, alors il faut approfondir le lien entre les phénomènes se déroulant sur le terrain et les représentations des effets d’organisation dans les modèles théoriques. De plus, l’investigation empirique ne peut traiter tous les effets d’organisation potentiels. Ici encore, si l’on se refuse à utiliser des jugements d’autorité du type « oui, ce territoire est très bien organisé », alors, il faut disposer d’un moyen permettant de hiérarchiser les différents types d’effets possibles. A moins de se contenter d’un raisonnement en partie intuitif (comme les exemples de proxies proposés plus haut). Concernant les types de production que l’on rencontrera, la difficulté est que les activités figurant dans les modèles d’économie géographique sont de deux types : lié au sol et à rendements constants, ou footlose et à rendements croissants. Et à l’intérieur de chaque type, elles sont en général symétriques. Dans la réalité, il est rare que l’essentiel du tissu économique d’un territoire soit constitué d’un ensemble d’entreprises de la même branche, et de taille à peu près comparable. Le cas le plus courant serait plutôt l’existence d’une firme motrice et de firmes plus petites entraînées par cette dernière, souvent d’un secteur différent (des commerces par exemple). La pertinence du cadre choisi dans les modèles d’économie géographique peut dès lors être questionnée, surtout si les différentes firmes et activités ont des niveaux d’économie d’échelle et des productivités très différents. Toutefois, ce cadre a aussi un grand avantage, celui de ne pas multiplier les paramètres et les situations possibles. Par ailleurs, les biens sur lesquels se fondent nombre de démarches de développement rural ont souvent un caractère immatériel (les éléments liés à l’image, les prestations touristiques), ou de bien public (paysage). Le formalisme utilisé ici n’est guère conçu pour traiter ce type de biens. Le caractère immatériel soulève des problèmes d’information et de difficulté à exporter. Le caractère de bien public implique l’existence d’externalités. Il est bien sûr toujours possible d’éluder ces questions en les faisant rentrer dans une boîte noire (par exemple, traduire arbitrairement une coordination en matière de gestion du paysage par une augmentation d’efficacité productive). La mise en place de la démarche empirique nécessite, on le voit, de se prononcer sur de nombreux problèmes théoriques et pratiques. Concernant les problèmes théoriques, l’ampleur du travail nécessaire impliquera probablement un arbitrage entre l’approfondissement de la représentation de l’organisation et la réflexion sur la nature des biens produits. 4.3. Bilan des prolongements théoriques envisageables Nous l’avons vu, face à l’ampleur de l’interrogation initiale, la contribution du présent travail reste modeste par rapport aux questions restant à éclaircir. Pour finir, récapitulons les questions théoriques connexes au présent travail, et qui pourraient faire l’objet d’approfondissements. Nous venons d’examiner deux prolongements théoriques possibles en vue de préparer le travail empirique : voyons ce qui serait réalisable à court terme. L’approfondissement des mécanismes élémentaires d’organisation est apparu nécessaire, à la fois suite au présent travail théorique, et au vu des considérations de validation empirique. Notons qu’il n’est pas nécessairement destiné à être incorporé dans un modèle 94 Chapitre 4 : Conclusion microéconomique. Il peut a priori en être séparé et servir de modèle de construction des proxies nécessaires au travail empirique. Certes, il est en principe possible qu’il existe une rétroaction du système de relations marchandes sur les effets d’organisation. Toutefois, les phénomènes d’organisation se constituent en principe sur le long terme, ce qui devrait limiter un effet immédiat d’une telle rétroaction. Dans cette hypothèse, il serait possible de puiser dans la littérature sur la théorie des conventions et les travaux sur les coûts de transaction, ou encore sur la simulation de réseaux sociaux, pour y rechercher des mécanismes d’apparition d’effets d’organisation et de relations entre caractéristiques de réseaux de relations et efficacité productive. Quant au problème de la diversité des biens produits, il faut reconnaître qu’il s’agit d’une question qui n’a pas de solution théorique satisfaisante à l’heure actuelle, tant sur la question de l’agrégation de biens différents (sauf dans le cas de fonctions linéaires) que sur celle de la représentation idoine de biens immatériels ou à caractère public. Il semble donc d’autant plus difficile de juxtaposer ces questions à celle de l’organisation, bien que les deux soient intrinsèquement liées. En effet, les caractéristiques de biens immatériels et de biens publics justifient l’importance de l’organisation des agents dans le succès de leur production, puisqu’ils sont liés à des défaillances du marché. Il s’agit donc d’une question ouverte. D’autres prolongements théoriques majeurs peuvent être envisagés. En particulier, une question récurrente dans la littérature sur les SPL concerne leur pérennité face à un marché extérieur évolutif, ou à une structure interne potentiellement instable. En conséquence, des considérations dynamiques pourraient utilement être introduites pour étudier les trajectoires possibles de ces systèmes et les facteurs qui les influencent. Dans ce but, il peut être fait appel à des modèles de croissance endogène, avec accumulation de capital matériel et humain (à la manière de Martin & Ottaviano 2001), mais aussi d’éléments relatifs à l’organisation locale. La notion de capital organisationnel peut paraître trop « boîte noire » pour être intégrée telle quelle, surtout étant donné le constat de diversité de relations entre effets d’organisation et phénomènes marchands. En revanche, un processus de rétroaction positive entre un effet d’organisation précis et la production locale (à l’image de Soubeyran & Thisse 1999) pourrait être étudié. Une telle démarche pourrait mettre en évidence les effets de verrouillage et de bifurcation dans les trajectoires territoriales, invoquées notamment dans les travaux de Pecqueur (2000) et Colletis et al. (1999). D’autres caractéristiques de l’espace rural sont susceptibles de modifier les résultats du modèle. Par exemple, la prise en compte de l’effet de revenus de transfert (retraites, dotations de péréquations aux collectivités). Toutefois, les premières études empiriques sur l’impact de ces transferts ne concluent par à un effet déterminant. A titre d’exemple, Lipietz (2001) propose de distinguer un nouveau secteur d’activité dit « quaternaire », appelé à se développer dans le rural, et qui englobe un ensemble de services personnels (santé, loisirs, culture…) autrefois essentiellement gratuits. L’importance du secteur public, et de la dimension politique devraient aussi faire l’objet d’investigations, même si en principe, l’efficience d’une forme de gouvernance dépend de la qualité des liens entre acteurs, non de leur nature publique ou privée. Enfin, tous ces approfondissements possibles, s’ils peuvent éclairer la question de la croissance dans le rural, ne permettront pas de trancher sur les questions premières qui sortent du champ de l’économie. Qu’est-ce qu’un « bon » développement rural ? Quelle part accorder à la qualité de vie et à la possession de biens marchands… ? 95 Bibliographie Alonso W., 1964, Location and land use, Harvard university press, Cambridge, Mass., Amin R., Robbins K., 1990, "Le retour des économies régionales, la géographie mythique de l'accumulation flexible" in Les régions qui gagnent, Benko & Lipietz éds., PUF, pp. 123-161. Aoki M., 1998, "The evolution of organisational conventions and gains from diversity", Industrial and corporate change, vol. 7, n° 3, pp. 399-430. Arthur W.B., 1990, "Silicon Valley's locational clusters : when do increasing retruns imply monopoly?" Mathematical social sciences, vol. 19, pp. 235-255. Aubert F., Guérin M., Perrier-Cornet P., 2001, "Organisation et territoire : un cadre d'analyse appliqué aux espaces ruraux", Revue d'économie régionale et urbaine, vol. 3, pp. 393-414. 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Principaux mécanismes Faiblesses Evolution des modes de coordination, tensions au sein du système productif Démarche holiste et inductive, peu de pouvoir prédictif Relations impersonnelles, cadre statique, fonctions de choix exogènes et arbitraires, difficulté à traiter les externalités. Multiplicité des formes Difficulté à élargir au delà de d’organisation quelques firmes, et à inclure le point de vue de la demande Maintien de la diversité des Difficulté à prendre en compte conventions, diffusion des mécanismes marchands et innovations… comportements opportunistes Points forts dans l’explication Relations marchandes, nombreuses variantes possibles Annexe 1. Panorama des principaux programmes de recherche en économie par rapport à l’organisation Annexes Annexe 2. Quelques données de cadrage sur le rural Les catégories d’espace sont celles du recensement de 1990. On rappelle que, selon la définition du zonage en aires urbaines, l’espace à dominante urbaine est constitué des pôles urbains (agglomérations de plus de 5000 emplois), couronnes périurbaines (communes ou unités urbaines dont 40% ou plus des actifs résidents travaillent en pôle urbain ou commune périurbaine), et communes multipolarisées. L’espace à dominante rurale est son complément. Le rural indépendant est défini ici comme l’ensemble des pôles ruraux, de la périphérie des pôles ruraux, et du rural isolé. Part des différents secteurs en 1990 (source INSEE, RP 1990, en milliers) Agriculture IAA Autres Tertiaire Total industries Espace à Effectif 404 414 4 711 12 193 17 717 dominante %EDU 32% 66% 79% 86% 80% urbaine % du secteur 2% 2% 27% 69% 100% Espace à Effectif 863 213 1 277 1 997 4 351 dominante %EDR 68% 34% 21% 14% 20% rurale 20% 5% 29% 46% 100% % du secteur dont rural Effectif 551 149 878 1 411 2 990 indépendant % rural ind. 44% 24% 15% 10% 14% % du secteur 18% 5% 29% 47% 100% France Effectif 1 267 627 5 987 14 190 22 068 entière % territoire 100% 100% 100% 100% 100% % du secteur 6% 3% 27% 64% 100% Dans ce tableau, les lignes « %EDR » etc… donnent, pour chaque secteur, la part du type d’espace concerné. Les lignes « % du secteur » représentent, pour chaque type d’espace, la part du secteur concerné. Variation de l’emploi 1990-99 (source INSEE, RP 1990 et 1999, en milliers) Espace à dominante urbaine Espace à dominante rurale dont rural indépendant France Entière Emplois 90 Emplois 99 Variation 1990-99 Effectif en % Effectif en % Effectif en % 17 717 80% 18 400 81% +683 +4% 4 351 20% 4 374 19% +23 +1% 2 990 14% 2 996 13% +5 +0,18% 22 068 100% 22 774 100% +706 +3% Variation de population 1990-99 (source INSEE, RP 1990 et 1999, en milliers) Espace à dominante urbaine Espace à dominante rurale France Entière Population 90 Population 99 Variation 1990-99 Effectif en % Effectif en % Effectif en % 43 234 76% 44 891 77% 1 657 +4% 13 381 24% 13 628 23% 247 +2% 56 615 100% 58 519 100% 1 904 +3% 102 Annexes Annexe 3. Analyse détaillée de deux modèles cités dans le texte 1. Modèle de Krugman & Venables (1995) Cette sous-section reprend l’analyse du modèle de Krugman & Venables (1995) en détaillant la démarche entreprise dans l’article original. Concernant le consommateur, dont le comportement est identique à la section 1, seuls deux points sont à retenir : que la demande est proportionnelle à pi-σ, et qu’une part µ du revenu est dépensée en biens industriels. En revanche, la fonction de production prend une forme plus complexe que dans Krugman (1991) : F+c.q = α-α(1-α)α-1.l1-α.[Σxiδ]α/δ où δ=(γ-1)/γ. L’analyse du problème de la firme est plus simple en calculant d’abord la fonction de coût. En effet, le problème d’optimisation associé au calcul de la fonction de coût est à quelques détails près dual au problème du consommateur. Il s’agit de minimiser : wl+Σ pi xi sous la contrainte de la fonction de production. On trouve en particulier que le coût du travail wl représente une part 1-α du coût total, et que, la quantité demandée de chaque bien industriel est proportionnelle à pi-γ. La fonction de coût s’écrit : C ( q i ) = w 1 − α ( ∑ p 1j − γ ) α /( 1 − γ ) ( F + cq i ) j Le facteur w (Σpj ) peut s’interpréter comme un indice de prix, qui a d’ailleurs la même forme que pour le consommateur (en remplaçant le prix agricole par le salaire). Dans le cas où σ =γ, qui est celui de l’article original, la demande de chaque bien est proportionnelle à pi-σ aussi bien pour les consommateurs que pour les producteurs. L’hypothèse que la maximisation du profit se fait en considérant le coefficient de proportionnalité constant est faite comme dans Krugman (1991). De ce fait, la maximisation du profit conduit, comme dans Krugman (1991) à un prix offert proportionnel à l’indice de prix des facteurs de productions, σ −1 σc 1−α soit : pi = w (∑ p 1j−σ ) a /(1−σ ) . L’hypothèse d’annulation du profit donne qi = F. σ −1 c j La méthode consiste alors à écrire la dépense consacrée en biens industriels au sein de la région r sous la forme : E r = µwr Lr + α ( x + y ) p r nr , où wr est le salaire de la région (unique car il y a mobilité professionnelle), et de même pr le prix, et nr, le nombre de firmes. y et x sont les quantités produites par chaque firme de la région r vendues respectivement dans la région r et dans l’autre région (comme le profit est nul, les recettes sont égales aux dépenses, dont une part α est consacrée aux biens industriels). Or, comme la demande de biens industriels a la même forme (par rapport aux prix) pour les consommateurs et les firmes, la quantité y peut s’écrire ainsi : y = k . p r−σ /(nr p 1r −σ + ns T 1−σ p 1s−σ ) , où l’indice s concerne l’autre région. Notons z la quantité d’un bien de la région s achetée dans la région r . On a : z = kT 1−σ p s−σ /(nr p 1r −σ + ns T 1−σ p1s−σ ) . En notant que nr p r y + ns Tp s z = E r , on constate que 1-α 1-γ α/(1-γ) k=Er. En conséquence, on a y = Er p r−σ /(nr p1r −σ + ns T 1−σ p 1s −σ ) , tandis qu’en raisonnant de même pour la quantité x : x = E s T 1−σ p r−σ (nr T 1−σ p 1r −σ + ns p 1s−σ ) Il ne reste plus qu’à étudier l’équilibre sur le marché du travail, qui découle de l’hypothèse de plein emploi de la main d’œuvre. La fonction de production comporte maintenant de nombreux facteurs mais grâce à l’hypothèse de profit nul, il est aisé de trouver une relation simple. Comme il y a mobilité parfaite entre les travailleurs agricoles et industriels, si une région comprend des travailleurs des deux types, alors w=1. Si w>1, elle ne comprend que des travailleurs industriels. Le principe est identique à la section 1.3. : selon le cas, c’est le salaire ou le nombre de travailleurs industriels qui est déterminé par le fait que le coût du travail représente une part 1-α des dépenses, donc aussi des recettes, puisque le profit est nul. On a dans tous les cas : wLM = (1 − α )npq . Nous avons à présent tous les éléments nécessaires pour résoudre complètement le modèle. Les inconnues sont wr, pr, nr, ws, ps, et ns, et les inconnues 103 Annexes auxiliaires Er et Es. S’il y a cohabitation de deux types de travailleurs, la ou les parts de travailleurs industriels λ r et λ s sont aussi inconnues. Les équations sont : - Pour la région r : σc 1−α pr = wr (nr p1r −σ + ns T 1−σ p1s−σ ) a /(1−σ ) σ −1 p r−σ T 1−σ p r−σ σ −1 Er . + Es . = F 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ c ( nr p r + n s T p s ) ( nr T p r + ns p s ) σ −1 E r = µwr Lr + α Fpr nr c σ −1 σ −1 soit wr Lr = (1 − α )nr p r F si λ r =1, soit λr Lr = (1 − α )nr p r F si wr = 1 c c - Pour la région s, on permute les indices r et s : σc 1−α 1−σ ps = ws (T nr pr1−σ + ns p 1s−σ ) a /(1−σ ) σ −1 T 1−σ pr−σ p r−σ σ −1 . Er . + E = F s 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ c ( nr T p r + n s p s ) ( nr p r + n sT p s ) σ −1 E s = µws Ls + α Fp s ns c σ −1 σ −1 soit ws Ls = (1 − α )ns p s F si λ s =1, soit λ s Ls = (1 − α )ns p s F si ws = 1 c c Les résultats sont ensuite essentiellement obtenus par simulation, mais des expressions des valeurs seuils entre dispersion et concentration de l’industrie peuvent être obtenues. 2. Variation des coûts de transport dans un modèle à trois régions de type Krugman (1991) Ici, nous discutons brièvement, à titre illustratif, l’effet d’une différenciation des coûts de transport entre les régions. Deux cas seront étudiés : - Celui où le coût de transport est plus élevé entre les régions rurales qu’entre région urbaine et régions rurales. Il représente le renforcement de la polarisation par les infrastructures (c’est le même type de configuration spatiale que dans Puga & Venables 1997). - Celui où une région rurale est plus éloignée que l’autre de la région urbaine. Il entend représenter le problème de l’enclavement. Structure en étoile ou « rayon-moyeu » : régions périphériques mal interconnectées entre elles Pour commencer, nous supposons que le commerce entre la région urbaine et les régions rurales est moins coûteux que le commerce entre régions rurales. En d’autres termes, le coût de transport entre D et I est supérieur au coût de transport entre U et D, (qui est égal à celui entre U et I) : région U T région D T T’ région I Avec T’>T Nous allons comme précédemment étudier les conditions de délocalisation des firmes de la région urbaine dans les deux régions rurales. Auparavant, remarquons qu’intuitivement, l’existence d’un coût de transport plus élevé entre les régions rurales doit être un élément 104 Annexes pénalisant pour une délocalisation en zone rurale. En effet, une telle délocalisation a pour effet « d’éloigner » l’industrie délocalisée de la demande de l’autre région rurale. µ LA est inchangé. Les deux autres équations sont à présent : wU = 1 − µ LM σ 1−σ pU L AD µ 1−σ M A T ' w U L U T + 1−σ + L I qD = n U p U p D T T qI µ = nU p U pI pD σ M w U LU T 1−σ T ' + L AD T 1−σ + L AI T 1 − σ D’où : wD wU σ T' = µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ ) T σ 1−σ 1−σ (ω D / ω U ) = ( wU / wD )T − µ avec wI T' (ω I / ω U ) = ( wI / wD )T − µ = µT 1−σ + (1 − µ )θ + (1 − µ )(1 − θ )T σ −1 T wU La présence de T’>T pénalise comme prévu la délocalisation dans les deux régions rurales, et ce d’autant plus que T’ est élevé. L’analyse de la délocalisation depuis la région urbaine par rapport aux autres paramètres n’est pas changée qualitativement. Il est plus intéressant de comparer l’attractivité relative des deux régions rurales. Si on ajoute une différenciation des fonctions de production dans la région D, le seuil de population de la région D devient : µ (1 − ξ )T 1−σ + (1 − µ )T σ −1 (1 − ξT '1−σ ) θ> =θ * 1−σ σ −1 (1 − µ )(1 + ξ )T (1 − T ' ) On peut montrer que ce seuil décroît lorsque le coût de transport intra-rural T’ croît. On retrouve la même caractéristique que dans la sous-section 3.1.2. : certains effets qui sont favorables à la concentration dans la région urbaine sont au contraire favorables à une attractivité plus forte de la région rurale différenciée. Régions rurales à des distances différentes de la région urbaine On peut aussi considérer le cas où l’une des deux régions rurales est plus périphérique que l’autre : région U T T’ région D T’’ région I Avec T<T’ et T’’<T’. µ LA est toujours inchangé. Les deux autres équations deviennent : wU = 1 − µ LM 105 Annexes σ µ qD = nU pU 1−σ pU LA T '' wU LUM T 1−σ + 1−Dσ + LAI T T ' p D µ qI = nU pU 1−σ pI LA M 1−σ A T '' wU LU T + LD + 1I−σ T ' T p D σ D’où : σ 1−σ wD wU T '' = µT 1−σ + (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ ) T' wI wU T '' = µT 1−σ + (1 − µ )θ T σ avec 1−σ σ −1 + (1 − µ )(1 − θ )T ' (ω D / ω U ) = ( wD / wU )T − µ (ω I / ω U ) = ( wI / wU )T ' − µ Des calculs analogues peuvent être menés pour déterminer les conditions de localisation et l’attractivité relative des deux zones rurales. Trop en marge du sujet principal du mémoire, ils ne seront pas développés ici, au profit des parties suivantes. Un approfondissement pourrait se révéler intéressant, mais cette démarche donne des résultats essentiellement triviaux à ce stade de la modélisation. 3. Modèle de Gaigné (2001) – chapitre II Un des objectifs de ce modèle était d’étudier l’effet de coûts de transport différents entre les types de biens. Indiquons ici le principe de l’analyse. Pour simplifier, on considèrera un coût de transport unique pour tous les types d’industrie, puisque nous ne nous intéressons pas à cet aspect ici. Le comportement du consommateur est identique à Krugman & Venable (1995). L’industrie en revanche comporte deux secteurs : un secteur de biens intermédiaires utilisant le travail comme seul facteur de production et un secteur de biens finaux utilisant les biens intermédiaires (sans utiliser de travail). La fonction de production du secteur des biens finaux est donc F+cq = [Σxiδ]1/δ où les xi sont à présent les biens produits par l’autre secteur. L’analyse de la fonction de coût du modèle de Krugman & Venables (1995) s’applique immédiatement en posant α = 1 (cf. supra analyse de 1−γ σc σ −1 (∑ p Ij )1 /(1−γ ) et q F = ce modèle). On a donc p F = F σ −1 j c La fonction de production du secteur des biens intermédiaires est donnée par : l=G+dq, où G et d sont respectivement un besoin fixe et un besoin marginal en travail. On en tire, à partir γ −1 I I γ −1 des équations (1), (2) et (3) : w = p , q = G et n I = LM γG . γ .d d Il manque des relations donnant le nombre de firmes produisant des biens finaux. Pour cela, il faut considérer que les ventes de biens intermédiaires dépendent du revenu des firmes de biens finaux. En effet, la demande d’une firme de biens finaux adressée à une firme de sa région r s’écrit (comme la demande du consommateur) : prF q rF prI −γ 1−γ 1−γ nrI prI + nsI T 1−γ p sI De même, la demande adressée par une firme de biens finaux de l’autre région s à une firme F s de biens intermédiaires de la région r est : p q F s T 1−γ p rI 1−γ −γ 1−γ nrI T 1−γ p rI + nsI p sI En conséquence, les ventes d’une firme de biens intermédiaires s’écrivent : 106 Annexes q rI = nrF p rF q rF p rI nrI p rI 1−γ −γ + n sI T 1−γ p sI 1−γ + n sF p sF q sF T 1−γ prI nrI T 1−γ p rI 1−γ −γ + nsI p sI 1−γ Les équations permettant de déterminer totalement l’équilibre sont, comme pour le modèle de Krugman (1991), les expressions de la demande adressée à chaque firme de biens finaux par les consommateurs, soit : −σ −σ ws Ls T 1−σ p rF wr Lr prF + q = µ 1−σ 1−σ 1−σ 1−σ nrF T 1−σ p rF + nsF p sF nrF p rF + nsF T 1−σ p sF F r et une équation similaire en permutant les indices r et s. En effet, il n’y a qu’un seul taux de salaire par région si la main-d’œuvre est parfaitement mobile sectoriellement. Lorsqu’il y a deux types de travailleurs dans une région, la ou les parts de travailleurs industriels λ r et λ s sont aussi inconnues, mais le taux de salaire est alors égal à 1 (salaire agricole). Le système est ainsi totalement déterminé. L’analyse des conditions de dispersion de l’industrie consiste, comme dans la sous-section 3.1.2., à examiner dans quels cas une opportunité de profit existe dans une région non industrialisée, c’est-à-dire dans quel cas la demande potentielle adressée à une firme qui se délocaliserait serait supérieure à son offre potentielle. 4. Modèle de différenciation agricole avec une sous-fonction d’utilité non homothétique Au § 3.3.1.2., nous avons proposé la forme de sous-fonctions d’utilité : α n−δ a2δ + a2n A(a1 , a 2 ) = a1 + α + a 2n −1 Quantités demandées Pour simplifier les calculs, nous utiliserons en fait la fonction : A(a1 , a 2 ) = a1 + a 2δ qui a presque les mêmes propriétés pour a2 « pas trop grand ». Donnons quelques résultats sur ce type de forme fonctionnelle. Bien qu’elle ait une expression simple, cette fonction a l’inconvénient de ne pas être homogène de degré 1. En particulier, la part des biens agricoles dans le budget n’est plus nécessairement égale à (1-µ). Les courbes d’indifférence relatives à la sous-fonction sont clairement des courbes strictement convexes (car δ <1), et elles se déduisent les unes des autres par translation. a2 a1 L’utilisation d’une fonction puissance a donc pour but, dans le même esprit que pour la sousutilité relative aux produits industriels, de représenter une plus grande différenciation du deuxième produit agricole par rapport au premier. n On a donc à présent : U = (a1 + a 2δ )1− µ (∑ miρ ) µ / ρ . Notons (q1,q2) le vecteur de prix agricoles. i =1 En écrivant le rapport des conditions du premier ordre relatives aux biens agricoles, on trouve a2 = (δ q1 q 2 )1−δ , à condition que le revenu soit suffisant pour acquérir cette quantité. Dans le cas contraire, a1 = 0 (on a une solution en coin). Cette propriété est caractéristique d’une fonction d’utilité quasi-linéaire. Il conviendra de se limiter au premier cas, sans quoi le produit agricole « de base » est totalement évincé par le produit différencié. D’autre part, remarquons que plus δ est faible (plus le bien est différencié), plus la quantité demandée est faible. Cela provient du fait que si δ est faible, même une faible consommation du bien 107 Annexes différencié provoque une hausse importante de bien-être. Ce point peut paraître contre-intuitif mais est lié à l’hypothèse que pour de faibles quantités consommées, la consommation de bien différencié procure davantage de bien-être qu’une consommation identique de bien de base. En remarquant que les conditions relatives aux biens industriels impliquent que mi est toujours proportionnel à pi−σ , et en notant mi = kpi−σ , on peut écrire sous la forme suivante le système déterminant complètement la demande : Y − q1a1 − q 2 a 2 q qµ (9), Y = 1 a1 + (q 2 + 1 )a 2 (10) mi = kpi−σ (7), a2 = (δq1 q 2 )1−δ (8), k = 1−σ 1− µ 1− µ ∑ pj j La relation (9) s’établit à partir de la contrainte budgétaire, la relation (10) en combinant (9) µ q1 (a1 + a 2δ ) qui s’obtient par le rapport des conditions de maximisation avec k = 1 − µ ∑ p1j−σ j relatives à a1 et à mi. Ces relations permettent d’extraire une expression analytique de la demande de chaque bien, ce que nous ne ferons pas ici pour l’instant, étant donnée leur complexité. La relation (10) montre en particulier que la part de consommation agricole n’a aucune raison d’être égale à (1-µ)Y comme dans le modèle de base. Le marché du travail Les travailleurs agricoles se répartissent donc entre les deux productions possibles. A présent, la structure très simple du système de production agricole du modèle de base est insuffisante. Il faut préciser comment se répartissent les deux types d’agriculteurs, et comment se forme l’offre. Si l’on suppose comme précédemment que l’offre est infiniment élastique (les facteurs terre et capital étant absents), les rendements constants et la concurrence parfaite, les deux prix agricoles coïncideront avec le salaire de subsistance. Ce n’est pas raisonnable pour le produit différencié, dont on suppose qu’il nécessite un travail plus important, et qu’il est produit dans un cadre coopératif. L’hypothèse la plus simple est que la quantité offerte de produit différencié est proportionnelle au nombre de travailleurs concernés, et que le prix est fixé de manière à solder le marché (d’après l’équation (8)). En d’autres termes, l’offre est parfaitement inélastique. Naturellement, plus le nombre de producteurs sera grand, plus leur salaire sera faible. Il doit donc exister une instance qui contrôle l’entrée sur ce marché pour éviter que le prix descende au niveau du prix agricole de base. Il faudra d’ailleurs également supposer la production différenciée suffisamment faible pour ne pas évincer la production agricole de base, sans quoi la forme choisie pour l’utilité devient inadaptée. Par ailleurs, deux possibilités principales existent pour la structure spatiale : - Soit on considère deux régions rurales, l’une des deux ne produisant que des produits différenciés. - Soit on suppose qu’une région rurale unique voit sa main d’œuvre se partager entre les deux types d’activités agricoles. Dans ce cas, des transferts au sein de la main d’œuvre agricole peuvent avoir lieu jusqu’à égalisation des taux de salaire. La première solution semble plus intéressante, puisqu’elle permet une différenciation spatiale du rural, ainsi qu’une différenciation des salaires. En résumé, la production agricole peut être représentée ainsi : - Pour le bien non différencié, la production s’adapte à la demande, à un prix fixe. - Pour le bien différencié, le niveau de production est défini par le nombre de producteurs, soit A2 = λLAD , le prix étant donc q2 = (δq1 ).(λLAD / L) −1 /(1−δ ) . 108 Annexes Remarquons que le revenu de la région qui différencie ses produits agricoles est égal à λq 2 , −1 /(1−δ ) donc proportionnel à LAD en d’autres termes, il décroît avec le nombre de travailleurs. On voit de plus que le revenu tend vers l’infini pour LAD → 0 . Cet effet provient en réalité du comportement de la sous-fonction d’utilité agricole à l’origine. Au voisinage de a2=0, la courbe d’indifférence a une pente nulle : l’utilité marginale tend vers l’infini. En conséquence, un consommateur est prêt à payer un prix très élevé pour obtenir une quantité très faible de bien différencié. Pour traiter le problème du consommateur au voisinage de a2=0, il faudrait une fonction d’utilité à dérivée finie, mais quand même strictement concave. Ainsi, les formules obtenues ici sont valables pour des valeurs intermédiaires de a2 : pas trop grandes pour ne pas évincer les produits agricoles de base, pas trop faibles pour ne pas faire exploser le revenu de la région rurale différenciée. Pour faire une étude complète, il faudrait soit prendre une fonction d’utilité plus compliquée à manipuler (un des exemples les plus simples est f (a 2 ) = (αa 2 + a 22 ) (1 + a2 ) ), soit séparer l’étude en morceaux… Enfin, concernant les firmes industrielles, le fait que mi = kpi−σ , allié à l’hypothèse de maximisation du profit à k constant nous permet de conserver les relations (1), (2), et (3). Démarche d’analyse du modèle Un modèle d’équilibre général pourrait être ainsi formulé : Main d’œuvre agricole Main d’œuvre industrielle Fonction de production Paramètres des ménages Revenu régional Région urbaine U 0 Rural différencié D LAD = θLA Rural indifférencié I LAI = (1 − θ ) LA LUM = LM LMD = 0 LMI = 0 l = F+c.q σ, µ, δ wU LUM l = F+c.q σ, µ, δ Non envisagé σ, µ, δ LAI −δ /(1−δ ) (δq1 ).λ−1 /(1−δ ) L1 /(1−δ ) LAD Comme précédemment, on cherche à savoir dans quels cas une délocalisation industrielle peut être possible avec les modifications apportées au modèle. Le mécanisme en jeu serait qu’une hausse des revenus agricoles due à la différenciation rentabiliserait l’implantation en zone rurale, par la présence d’une demande accrue. Si les secteurs agricole et industriel étaient séparés comme c’est formellement le cas dans le modèle de base, l’étude serait assez simple. Elle pourrait se faire en deux étapes, la première, qu’on a tenté d’esquisser ici, consistant à déterminer la hausse de revenu dans la région rurale différenciée. Cependant, l’étroite imbrication entre les deux secteurs complique fortement les calculs du taux de salaire dans les différentes régions. De même, l’indice de prix est plus complexe que pour le modèle de Dixit-Stiglitz (toutefois, comme il n’y a pas de coût de transport pour les biens agricoles, le rapport d’indice de prix ne dépend que des prix des biens industriels. En l’occurrence, pour une concentration totale initiale de l’industrie, ce rapport est Tµ). 109 Annexes Annexe 4. Détail de quelques calculs du chapitre 3 sur les effets des paramètres 1. Condition de délocalisation sans différenciation de la région D (§3.1.1.2.) La condition de délocalisation dans la région D est : [µT ] 1/σ 1−σ + (1 − µ )T σ −1θ + (1 − µ )(1 − θ ) T − µ > 1 Nous allons étudier l’effet du coût de transport sur cette condition. Posons : V = µT 1−σ (1+ µ ) + (1 − µ )θT σ (1− µ )−1 + (1 − µ )(1 − θ )T −σµ , que l’on cherche à comparer à 1. On note que pour T=1, V=1 : il y a indifférence entre dispersion et non dispersion. D’autre part, pour T → +∞ , V → +∞ , à condition que θ ≠ 0 (et que σ>1/(1-µ), sinon V reste toujours inférieur à 1 et il n’y a jamais dispersion) : il y a dispersion pour un coût de transport suffisamment élevé. Etudions donc les variations de V : ∂V / ∂T = T −σµ −1 [− µ (σ (1 + µ ) − 1)T −σ + (1 − µ )(σ (1 − µ ) − 1)θT σ − µ (1 − µ )σ (1 − θ )] Le signe de cette expression dépend des valeurs des paramètres θ et µ. Notons tout d’abord que l’expression entre crochets est strictement croissante en T. Il y a donc deux possibilités : soit ∂V / ∂T est positif pour tout T, soit il est d’abord négatif puis positif. La réponse dépend du signe de ∂V / ∂T pour T=1. On trouve que ∂V / ∂T est positif en 1 si et seulement si θ > µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , cette valeur seuil étant inférieure à 1 si et seulement si µ < (σ - 1)/(3σ - 2) (en particulier, µ doit être inférieur à 1/3). En conséquence, quatre cas sont possibles : - Si σ<1/(1-µ), la délocalisation n’est jamais possible, quel que soit T. Dans ce cas en effet, V reste toujours inférieur à 1. - Si σ>1/(1-µ) et µ > (σ - 1)/(3σ - 2) , la concentration est stable pour T faible, elle devient instable à partir d’un certain seuil du coût de transport. En effet, dans ce cas, le seuil de θ au delà duquel la concentration serait toujours instable est supérieur à 1. - Si µ < (σ - 1)/(3σ - 2) mais θ < µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , le résultat est identique. - Si µ < (σ - 1)/(3σ - 2) mais θ > µ /(1 − µ ).(2σ − 1) /(σ − 1) , alors la concentration n’est jamais stable. L’effet de l’élasticité de substitution sur la valeur de V est étroitement relié à celui du coût de transport : en effet, ∂V / ∂σ = (TLogT / σ ).∂V / ∂T , donc le signe de ∂V / ∂σ est le même que celui de ∂V / ∂T . Ainsi, si les valeurs des paramètres sont telles qu’une hausse du coût de transport favorise la dispersion, une hausse de l’élasticité de substitution favorisera encore plus la dispersion, et inversement. Dans le cas le plus intéressant, où existe une valeur seuil du coût de transport en deçà de laquelle la dispersion est instable, une hausse de σ fera diminuer la valeur du seuil de dispersion (en effet, en ce point, on a nécessairement ∂V / ∂T >0). 2. Variations du seuil d’efficacité productive permettant la délocalisation (§.3.1.1.2.) Etudions les variations de ξ = T µσ /( µT 1−σ + (1 − µ )(T σ −1θ + (1 − θ ))) en fonction de T. On constate que cette expression vaut 1 lorsque T=1, et qu’elle tend vers 0 lorsque T → +∞ , à condition que σ>1/(1-µ) (en effet on a ξ ~ T 1−σ (1− µ ) /(1 − µ )θ quand T → +∞ ). D’autre part, on peut montrer que, en notant D le dénominateur de l’expression : [ ] ∂ξ / ∂T = µ (( µ + 1)σ − 1)T ( µ −1)σ − (1 − µ )(σ (1 − µ ) − 1)θT ( µ +1)σ − 2 + µ (1 − µ )σ (1 − θ )T µσ −1 / D 2 Aussi, en mettant T µσ −1 / D 2 en facteur , on voit que ∂ξ / ∂T est du même signe que : µ (( µ + 1)σ − 1)T 1−σ − (1 − µ )(σ (1 − µ ) − 1)θT σ −1 + µ (1 − µ )σ (1 − θ ) 110 Annexes Cette expression est de toute évidence décroissante en T, si l’on suppose toujours σ>1/(1-µ). En conséquence, tout dépend de son signe pour T=1, i.e. µ (2σ − 1) − θ (1 − µ )(σ − 1) , qui est positive quel que soit θ ∈ [0,1], si et seulement si µ ≥ (σ − 1) /(3σ − 2) , sinon elle est positive pour θ faible et négative θ pour élevé. En conclusion, lorsque σ>1/(1-µ) : - Si µ ≥ (σ − 1) /(3σ − 2) , alors le seuil d’efficacité relative ξ est croissant en T jusqu’à un maximum, puis décroît vers 0 quand T → +∞ . - Si µ < (σ − 1) /(3σ − 2) , et si θ < µ (2σ − 1) /(1 − µ )(σ − 1) alors le comportement est identique. - Si µ < (σ − 1) /(3σ − 2) , et si θ > µ (2σ − 1) /(1 − µ )(σ − 1) , alors la délocalisation a toujours lieu, résultat cohérent avec l’étude précédente de la fonction V. 3. Seuil d’efficacité productive donnant une meilleure attractivité à la région D (§3.1.1.3.) On a ξ * = [ [ ] ] µT 1−σ + (1 − µ ) θ + (1 − θ )T σ −1 . Examinons l’effet des différents paramètres. µT 1−σ + (1 − µ ) θT σ −1 + (1 − θ ) Il est facile de voir que le seuil ξ * diminue quand θ augmente. En effet, le numérateur décroît avec θ et le dénominateur croît avec θ. Calculons ∂ξ * / ∂µ . Après calculs, on constate que cette dérivée est du même signe que (2θ − 1)(T σ −1 − 1) . En conséquence, si θ est inférieur à ½, alors elle est négative, et une augmentation de µ conduit donc à une diminution du seuil ξ * . C’est l’inverse si θ >½. Pour l’effet du coût de transport, posons pour simplifier les expressions t = T σ −1 : la dérivée de ξ * par rapport à t est de même signe que par rapport à T. Calculons donc ∂ξ * / ∂t . On trouve que cette dérivée est de même signe que : (1 − 2θ )((1 − µ )t 2 + 2 µt + µ ) . Aussi, si θ <½, ξ * est croissant avec le coût de transport. Concernant l’effet de l’élasticité de substitution, on note derechef que la dérivée de l’expression de ξ * par rapport à σ est de même signe que la dérivée par rapport à T. 4. Condition de délocalisation sans différenciation de la région D (§3.1.2.2.) La condition de délocalisation dans la région D est : µ µ LR , si λU=1. wU LU T 1−σ + (θT σ −1 + (1 − θ )) LR > 1 , avec wU = 1−σ 1 − µ LU λU LU wU [ ] σ µ µT 1−σ + (1 − µ )(θT σ −1 + (1 − θ )) Etudions l’effet du paramètre µ. Posons W = 1− µ [ ] La dérivée partielle de W par rapport à µ est égale à un facteur positif près à : [ σ (θT σ −1 + (1 − θ )) − µ [σ + 1 − µ ]θT σ −1 + (1 − θ ) − T 1−σ ] Cette expression est positive pour µ =0 et µ=1. On peut la considérer comme un polynôme du second degré en µ : lorsque µ varie, elle prend sa valeur minimale pour µ =(σ+1)/2. Comme σ>1, on est assuré que l’expression ci-dessus ne change pas de signe pour µ entre 0 et 1. Elle est donc toujours positive et en conséquence, W est croissant avec la part de consommation industrielle. 111 Annexes 5. Seuil de taille relative donnant une meilleure attractivité à la région D (§3.1.2.3.) On a θ * = L( F '− F ) / F − ((c / c' )σ −1 − 1) LU T 1−σ − ((c / c' )σ −1 − T σ −1 ) LR , avec F’<F, c’<c. (T σ −1 − 1)((c / c' )σ −1 + 1) LR On souhaite étudier l’effet du paramètre T sur ce seuil. Posons : X= L( F '− F ) / F − ((c / c' )σ −1 − 1) LU T 1−σ − ((c / c' )σ −1 − T σ −1 ) LR (T σ −1 − 1) Après calculs, on constate que ∂X / ∂T est du même signe que : T σ −2 L( F − F ' ) / F + LU ((c / c' )σ −1 − 1)(2T −1 − T −σ ) Cette expression est nécessairement positive du fait que σ>1. En conséquence, le seuil θ* est croissant avec le coût de transport. De plus, l’expression de θ* montre que θ*<0 au voisinage de T=1. Il existe donc un seuil de coût de transport en dessous duquel la région D est toujours plus attractive que la région I, quelle que soit sa taille. 112 Table des matières Introduction : Structuration, développement local, démarches intégrées… : mode ou opportunité pour l’espace rural ?................................................................................................ 1 Chapitre 1. Repères sur l’analyse économique des phénomènes d’organisation....................... 6 1.1. Généralités sur l’analyse de l’organisation en économie ................................................ 6 1.1.1. Pourquoi prendre en compte l’organisation des agents économiques ?................... 6 1.1.2. Contribution de différents programmes de recherche à l’étude de l’organisation . 12 1.2. Effets organisationnels et systèmes productifs localisés............................................... 18 1.2.1. Les effets d’organisation ........................................................................................ 18 1.2.2. Quelques études de cas en zone rurale ................................................................... 21 1.2.3. Quels éléments discriminants pour caractériser les territoires ? ............................ 24 1.3. Problématique du travail théorique de ce mémoire....................................................... 28 1.3.1. Objectifs, démarche générale adoptés et leur justification..................................... 28 1.3.2. Déroulement du travail........................................................................................... 30 1.3.3. Quelques questions éludées dans le cadre du mémoire ......................................... 31 Chapitre 2. L’apport potentiel du programme de recherche de la nouvelle économie géographique ............................................................................................................................ 32 2.1. Modèles et principes de base en économie géographique ............................................ 32 2.1.1. Principes de base du programme de recherche ...................................................... 32 2.1.2. Technique d’analyse du modèle de Dixit & Stiglitz (1977) .................................. 35 2.2. Les modèles fondateurs et leurs principales variantes .................................................. 38 2.2.1. Le modèle de Krugman (1991) et ses variantes ..................................................... 38 2.2.2. Le modèle de Krugman et Venables (1995) et ses variantes ................................. 41 2.2.3. Les modèles avec espace continu........................................................................... 44 2.3. Economie géographique et analyse de l’espace rural.................................................... 45 2.3.1 Rappel des résultats des modèles d’économie géographique sur la région rurale .. 45 2.3.2. Les évolutions du rural français ............................................................................. 46 2.3.3. Eléments à approfondir .......................................................................................... 47 2.4. Pourquoi et comment introduire des effets organisationnels dans un modèle d’économie géographique ? ................................................................................................. 48 2.4.1. L’économie géographique fournit-elle des outils adaptés ?................................... 48 2.4.2. Reprise des principaux effets d’organisation ......................................................... 49 2.4.3. Quels effets d’organisation choisir ?...................................................................... 51 Chapitre 3. Variantes analysant des effets organisationnels .................................................... 52 3.1. Les conséquences d’une amélioration de l’efficacité de l’industrie rurale .................. 52 3.1.1. Une version avec mobilité géographique et immobilité sectorielle ....................... 54 3.1.2. Une version avec immobilité géographique et mobilité sectorielle ....................... 61 3.1.3. Interprétation et élargissements possibles .............................................................. 66 3.2. De meilleures complémentarités verticales entre firmes............................................... 68 3.2.1. Représentation des complémentarités entre firmes................................................ 69 3.2.2. Introduction d’une différenciation de l’élasticité de substitution .......................... 71 3.3. Une différenciation des produits ruraux liés au sol....................................................... 77 3.3.1. Choix d’une fonction d’utilité et problème du consommateur .............................. 77 3.3.2. Les effets directs sur la production et le revenu agricoles ..................................... 80 3.3.3 Les effets indirects et induits sur l’industrie ........................................................... 82 113 Table des matières Chapitre 4. Conclusion............................................................................................................. 88 4.1. Synthèse des résultats et statut méthodologique du travail réalisé ............................... 88 4.1.1. Les effets d’organisation abordés et leur mode d’introduction.............................. 88 4.1.2. Bilan de la démarche entreprise ............................................................................. 89 4.1.3. Questions méthodologiques sous-jacentes à la démarche et aux résultats............. 90 4.2. Le travail de validation empirique envisageable........................................................... 90 4.2.1. Le choix des territoires d’étude.............................................................................. 90 4.2.2. Types de relations à tester ...................................................................................... 92 4.2.3. Approfondissements théoriques préalables nécessaires......................................... 94 4.3. Bilan des prolongements théoriques envisageables ...................................................... 94 Bibliographie............................................................................................................................ 96 Annexes........................................................................................... Erreur ! Signet non défini. Annexe 1. Panorama des principaux programmes de recherche en économie par rapport à l’organisation...................................................................................................................... 101 Annexe 2. Quelques données de cadrage sur le rural......................................................... 102 Annexe 3. Analyse détaillée de deux modèles cités dans le texte ..................................... 103 1. Modèle de Krugman & Venables (1995) ................................................................... 103 2. Variation des coûts de transport dans un modèle à trois régions de type Krugman (1991) ............................................................................................................................. 104 3. Modèle de Gaigné (2001) – chapitre II ...................................................................... 106 4. Modèle de différenciation agricole avec sous-fonction d’utilité non homothétique.. 107 Annexe 4. Détail de quelques calculs du chapitre 3 sur les effets des paramètres ............ 110 1. Condition de délocalisation sans différenciation de la région D (§3.1.1.2.).............. 110 2. Variations du seuil d’efficacité productive permettant la délocalisation (§.3.1.1.2.) 110 3. Seuil d’efficacité productive donnant meilleure attractivité à la région D (§3.1.1.3.)111 4. Condition de délocalisation sans différenciation de la région D (§3.1.2.2.).............. 111 5. Seuil de taille relative donnant une meilleure attractivité à la région D (§3.1.2.3.)... 112 Table des matières.................................................................................................................. 113 114