Traumatologie du rachis
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Chapitre 2
J.-C. Dosch
Mécanisme des fractures
Les facteurs qui entrent en considération dans l'éta-
blissement d'une fracture sont multiples. Sans vou-
loir être exhaustif citons pêle-mêle : force, résistance,
contrainte, architecture vertébrale, anisotropie,
module d'élasticité, seuil de rupture, vitesse ou
durée du traumatisme, lieu d'application des forces,
niveau d'énergie, rôle des parties molles. Ces fac-
teurs sont bien connus pour le squelette appendicu-
laire [ 1 ]. Mais qu'en est-il pour le rachis ? Pourquoi
un traumatisme affecte-t-il plutôt la vertèbre que le
segment mobile rachidien, plutôt le corps vertébral
que l'arc postérieur ? Comment évolue la séquence
des lésions ? Peut-on prévoir le risque fonctionnel
ou neurologique ? À ce jour et faute de modèle
expérimental validé, nous ne pouvons que constater
les dégâts. Des réponses semblent se dessiner sur les
bases de la théorie des éléments finis. En attendant,
nous nous contenterons d'une approche purement
sémiologique, en proposant un ensemble d'images
clés qui par exclusion ou association contribuera au
diagnostic. Nous prendrons pour modèle une ver-
tèbre type laissant volontairement de côté, par sou-
cis de clarté, la charnière cervico-occipitale en raison
de sa complexité anatomique et biomécanique.
Architecture vertébrale
Elle intervient de plusieurs manières dans la genèse
des lésions.
Matériau
Le matériau qui compose la vertèbre est réparti de
manière à supporter un maximum de charge. Il est
de type composite comportant une matrice qui est
essentiellement collagène et un os minéral. Le colla-
gène n'a aucune résistance à la compression mais
une grande résistance à la traction. Inversement, l'os
minéral est plus résistant à la compression qu'à la
traction. Ce matériau, ainsi constitué, est aniso-
trope, c'est-à-dire que ses propriétés changent selon
les directions de l'espace.
Vertèbre
Le corps vertébral et les processus articulaires consti-
tuent les piliers de la vertèbre. Ils sont réunis entre
eux par les pédicules en avant et les lames en arrière.
Ces piliers , comme n'importe quel autre os de l'orga-
nisme, ont une résistance propre à chaque type de
traumatismes. L'arc neural, principalement formé
d'os corticodiaphysaire de type haversien, peut être
assimilé à un segment diaphysaire, le corps vertébral
essentiellement constitué d'os spongieux à une chon-
dro-épiphyse. La trabéculation du corps vertébral
reproduit les lignes de force . Les travées verticales
témoignent des contraintes en compression, les tra-
vées horizontales des contraintes en traction. Leur
enchevêtrement explique en partie la résistance crois-
sante à la compression de l'avant vers l'arrière, du
mur antérieur à l'isthme en passant par le mur posté-
rieur ( fig.2.1 ). Cette analogie entre vertèbre et os
long a son équivalent dans la pathogénie des lésions
traumatiques. Elle permet le réemploi de la termino-
logie des fractures appendiculaires avec leur sous-
entendu biomécanique. On peut donc parler de :
fracture–enfoncement, fracture–séparation, avul-
sion, contusion osseuse pour le corps vertébral ;
solution de continuité transversale, verticale,
oblique, voire spiroïde pour l'arc postérieur.
0001592278.INDD 330001592278.INDD 33 9/7/2012 9:17:06 PM9/7/2012 9:17:06 PM
34 Notions de bases fondamentales
Disque intervertébral
Le disque est l'élément essentiel de l'amphiarthrose
intervertébrale. Il comprend une partie centrale, le
nucléus pulposus, et une partie périphérique, l'annu-
lus fibrosus. Le nucléus riche en collagène de type 2
et en protéoglycanes est proche du fibrocartilage.
Ces fibres sont réparties dans tous les plans et se pro-
longent dans les plaques cartilagineuses des plateaux
vertébraux adjacents. Il est fortement hydraté, pré-
sente une précontrainte aux forces de compression et
subit un mouvement de l'eau en va-et-vient qui
contribue à sa nutrition. L'annulus est, quant à lui,
proche de la structure d'un ligament. Il est formé de
plusieurs couches de lamelles concentriques formant
un angle de 30° par rapport au plateau vertébral.
Ainsi constitué, le disque constitue un amortisseur et
un transmetteur de forces. Il contribue grandement
à la stabilité et la mobilité du rachis. Il résiste davan-
tage aux forces de compression que le corps verté-
bral. Il est sensible aux forces de traction.
Ligaments
On décrit des ligaments communs continus à plu-
sieurs vertèbres et des ligaments discontinus sié-
geant uniquement entre deux vertèbres adjacentes.
Le ligament longitudinal antérieur (LLA) s'étend
du clivus à la deuxième pièce sacrée. Il est formé de
plusieurs couches fibreuses. Les fibres profondes
adhèrent au périoste de la face antérieure des corps
vertébraux et pontent l'annulus fibrosus. Les fibres
superficielles et longues assurent une contention
passive qui limite l'extension.
Le ligament longitudinal postérieur (LLP) prolonge
la membrana tectoria. Il s'étend de la face posté-
rieure de C2 au sacrum. Sa structure rejoint, à
quelques différences près, celle du ligament com-
mun antérieur. L'adhérence aux corps vertébraux
est globalement moindre. Les fibres profondes
entrent directement en contact avec celles de l'an-
neau fibreux. À l'étage cervical, le LLP recouvre
toute la face postérieure du corps vertébral et contri-
bue avec le disque à la stabilité vertébrale. À l'étage
thoracolombaire, il se rétrécit, ne couvre plus
qu'une partie du corps vertébral, mais garde des
expansions latérales en regard des disques interver-
tébraux. Sa contribution à la stabilité fait encore
l'objet de discussions. Son rôle est plutôt de conte-
nir les hernies discales en regard contre la moelle et
les racines.
Le ligament supra-épineux est un cordon fibreux
fixé sur les bords libres des processus épineux. Au
rachis cervical, il est remplacé par le ligament nucal
qui donne insertion aux muscles superficiels de la
nuque.
Le ligament jaune se caractérise par sa grande
richesse en fibres élastiques permettant un allonge-
ment de 5 à 50 %. Au-delà de 50 %, la rigidité aug-
mente et permet d'absorber une grande quantité
d'énergie avant que la rupture ne survienne.
La place des ligaments intertransversaires et inter-
épineux reste encore à définir.
Muscles
Les muscles paravertébraux, disposés symétrique-
ment de part et d'autre de la colonne ont une action
directe sur le rachis. On distingue les muscles courts
et les muscles longs, répartis en plusieurs plans. Ils
agissent comme des stabilisateurs dynamiques
extrinsèques. Les muscles ventraux sont fléchisseurs,
abc
Fig.2.1 Architecture vertébrale.
Trabéculation dans le plan axial (a), sagittal (b) et coronal (c).
Notez le renforcement des trabécules du mur postérieur en regard des pédicules. La présence d'une zone de moindre résistance du
mur postérieur entre les pédicules explique en partie son effraction dans le canal vertébral dans les traumatismes en compression.
0001592278.INDD 340001592278.INDD 34 9/7/2012 9:17:06 PM9/7/2012 9:17:06 PM
Chapitre 2. Mécanisme des fractures 35
les muscles dorsaux érecteurs. La contraction simul-
tanée de muscles antagonistes augmente la rigidité
de la colonne vertébrale. Ces muscles assurent les
fonctions de maintien de la statique et de cinétique
du mouvement.
Unité fonctionnelle rachidienne
Elle peut être définie comme le plus petit segment
rachidien supportant la biomécanique du rachis.
Elle comprend une amphiarthrose en avant et deux
diarthroses en arrière ( fig.2.2 ). Elle a pour centre
de mobilité le nucléus pulposus, voire la partie pos-
térosupérieure du corps vertébral. Elle autorise trois
sortes de mouvements : l'inclinaison frontale et
sagittale, la rotation axiale, la translation. Elle
concentre toutes les forces traumatiques et est à
l'origine de toutes les complications.
Courbures rachidiennes
L'ensemble des unités fonctionnelles constitue le
rachis. Louis le considère comme un système à trois
colonnes reposant principalement sur l'empilement
des piliers et de leur moyen d'union. Les courbures
rachidiennes facilitent l'équilibre du rachis, ren-
forcent sa résistance aux contraintes en compression
d'un facteur 10 par rapport à une colonne recti-
ligne. Elles sont une réponse à l'érection du tronc.
La lordose cervicale apparaît dès que l'enfant com-
mence à soutenir sa tête, puis passe, sous l'action
conjuguée de la croissance des corps vertébraux et
l'orientation des processus articulaires, par des phases
de majoration et de diminution. La lordose lombaire
apparaît secondairement vers la deuxième année lors
de l'apprentissage de la marche. Elle se caractérise
par une augmentation rapide du volume discal
L4–L5 et une position plus centrale du nucléus pul-
posus sur le plateau vertébral. Les courbures alter-
nées du rachis – lordoses cervicale et lombaire,
cyphoses thoracique et sacrococcygienne – sont défi-
nitivement fixées pendant la puberté. Parallèlement à
ces courbures, on remarque, dans le plan axial, une
disposition particulière des processus articulaires.
L'orientation des interlignes zygapophysaires est
adaptée aux conditions biomécaniques propres à
chaque étage : en bas et en avant pour la flexion–
extension au rachis cervical, en avant et en dedans
pour la rotation axiale au rachis thoracique, en
arrière et en dedans pour le verrouillage au rachis
lombaire (
fig.2.3 ). L'ensemble, comprenant les trois
colonnes de Louis, les courbures et les articulations
Fig.2.2 Unité fonctionnelle rachidienne.
L'amphiarthrose antérieure comprend le corps vertébral réuni
par le disque et les ligaments communs antérieur et postérieur.
Les diarthroses postérieures comprennent les processus articu-
laires réunis par le complexe ligamentaire postérieur : ligament
jaune, capsule articulaire, ligaments interépineux et surépineux.
Fig.2.3 Courbures rachidiennes.
Lordoses cervicale et lombaire, cyphose thoracique (schéma du
milieu). Adaptation fonctionnelle de l'orientation des interlignes arti-
culaires aux courbures (schémas de droite). Augmentation progres-
sive de la taille des corps vertébraux contrastant avec la conservation
du diamètre canalaire transversal (schémas de gauche).
0001592278.INDD 350001592278.INDD 35 9/7/2012 9:17:08 PM9/7/2012 9:17:08 PM
36 Notions de bases fondamentales
zygapophysaires, conditionne la déformation plas-
tique du rachis, et prédispose chaque segment à des
lésions traumatiques plus ou moins spécifiques.
Mécanismes lésionnels
Les quatre mécanismes élémentaires sont la com-
pression, la traction, la rotation et le cisaillement. Ils
peuvent agir de manière isolée ou en association.
Théoriquement, ils peuvent s'exprimer dans n'im-
porte quel plan de l'espace ( fig.2.4 ). En pratique, la
compression prédomine dans le plan craniocaudal,
la traction dans le plan sagittal, la rotation dans le
plan axial transverse.
Lésions par compression
On parle de mécanisme de compression si la force
traumatique agit perpendiculairement aux plateaux
vertébraux ( fig.2.5 ). C'est le mécanisme le plus fré-
quent. Il regroupe environ deux tiers des lésions
traumatiques vertébrales. La nature des lésions
dépend de la violence du traumatisme et de l'état du
disque.
Les contusions osseuses sont des lésions à faible éner-
gie. Elles sont en rapport avec des fractures de l'os
trabéculaire respectant l'os cortical. Ces contusions
osseuses n'ont pas de traduction radiographique ou
scanographique. Le diagnostic repose sur l'IRM.
Elles sont sans conséquences cliniques.
Fig.2.4 Mécanismes.
Principales forces traumatiques : la compression (flèches rouges), la traction (flèches vertes), la rotation et/ou le cisaillement (flèches
courbes). Théoriquement, ces forces peuvent s'exprimer dans les trois plans de l'espace.
0001592278.INDD 360001592278.INDD 36 9/7/2012 9:17:10 PM9/7/2012 9:17:10 PM
Chapitre 2. Mécanisme des fractures 37
Le tassement vertébral correspond à une perte de
hauteur du corps vertébral. Expérimentalement, il
survient sur un nucléus altéré ( fig.2.6 ). L'atteinte
prédomine sur le plateau supérieur. Il est de type
cunéiforme si la compression survient sur un
rachis en légère flexion. Il est global si la compres-
sion agit dans un plan strictement vertical, auquel
cas les plateaux vertébraux vont rester parallèles.
Les traumatismes les plus violents génèrent, après
impact, une onde de choc responsable d'un éclate-
ment centrifuge du corps vertébral avec possible
effraction d'un fragment de mur postérieur dans le
canal rachidien. Les processus articulaires restent
intacts. La paroi postérieure du canal rachidien
peut présenter, selon le degré d'éclatement trans-
versal, un trait de fracture vertical à extension cra-
niocaudale. Il peut être uni- ou bicortical, partiel
ou complet et a pour corollaire une augmentation
de la distance interpédiculaire. Quoi qu'il en soit,
c'est l'orientation verticale de cette solution de
continuité sur l'arc postérieur qui permet de ratta-
cher le tassement à un mécanisme par compression
axiale. Les ligaments du segment mobile rachidien
restent intacts et contribuent par ligamentotaxis
au rétablissement de la hauteur du corps vertébral
lors des manœuvres de réduction sous traction. Le
disque intervertébral résiste en général aux
contraintes en compression. Le « pincement »
observé sur les radiographies standard est le plus
souvent en rapport avec un affaissement du pla-
teau vertébral supérieur [ 2 , 3 ].
La fracture–séparation répond à une impaction du
nucléus pulposus sur le plateau vertébral supérieur
de la vertèbre sous-jacente. Cette lésion ne peut
théoriquement survenir que si le nucléus est sain
(
fig.2.7 ). Le trait de fracture est vertical et siège de
préférence dans un plan frontal d'où l'image en dia-
bolo sur une radiographie de profil. L'hémivertèbre
antérieure se déplace en avant. Le recul de l'hémi-
vertèbre postérieure provoque un diastasis interapo-
physaire. L'incarcération du disque dans la solution
de continuité peut retarder la consolidation, ou
entretenir une pseudarthrose.
Fig.2.5 Traumatisme par compression.
Force de compression (flèche) agissant perpendiculairement au
plateau vertébral. Le corps vertébral peut être tassé ou fracturé.
L'appareil ligamentaire est plissé mais reste intègre.
Fig.2.6 Tassement vertébral.
Si le traumatisme agit sur un disque plus ou moins altéré les forces sont uniformément réparties sur le plateau vertébral. Le disque agit
comme un objet contondant. L'énergie résiduelle après impact est dissipée sous forme d'une onde de choc causant un éclatement
vertébral de type centrifuge (cercles rouges).
0001592278.INDD 370001592278.INDD 37 9/7/2012 9:17:11 PM9/7/2012 9:17:11 PM
1 / 11 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !