Revue d’études comparatives Est-Ouest http://www.necplus.eu/REC Additional services for Revue d’études comparatives Est- Ouest: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Revue des livres Xavier Greffe et Mathilde Maurel, Économie globale, Paris : Dalloz, 2009, XIII–1025 pages. Jérôme Lallement Revue d’études comparatives Est-Ouest / Volume 41 / Issue 02 / June 2010, pp 196 - 201 DOI: 10.4074/S0338059910002081, Published online: 16 August 2010 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0338059910002081 How to cite this article: Jérôme Lallement (2010). Revue d’études comparatives Est-Ouest, 41, pp 196-201 doi:10.4074/ S0338059910002081 Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/REC, IP address: 88.99.165.207 on 20 Apr 2017 Revue des livres 196 Revue des livres Xavier Greffe et Mathilde Maurel, Économie globale, Paris : Dalloz, 2009, XIII-1025 pages. Encore un pavé de plus de 1000 pages qui se propose d’introduire les étudiants à l’économie en leur offrant une entrée dans toutes les grandes questions économiques actuelles. C’est le programme habituel des manuels anglo-saxons comme, par exemple, ceux de Paul Samuelson et William Nordhaus (2000), de Gregory Mankiw (1998), de John Sloman (2008) ou de Joseph Stiglitz (1997). L’originalité de l’ouvrage réside dans la problématique adoptée par Mathilde Maurel et Xavier Greffe pour présenter l’économie. Elle est fondée, d’une part, sur une critique des approches habituellement utilisées par les manuels et, d’autre part, sur des principes méthodologiques explicitement revendiqués. Commençons par les limites des approches les plus courantes que les auteurs identifient sous trois chefs. Une première approche consiste à présenter l’économie comme une extension d’un modèle à la Robinson Crusoë, partant d’une économie fermée, à un seul agent, pour la généraliser ensuite à plusieurs agents avant de l’ouvrir enfin au reste du monde. Cette démarche manque la spécificité de l’économie actuelle qui est une économie globale et qui donc exige que l’on aborde en premier lieu les relations mondiales. Une deuxième approche commence par étudier une épure du marché mettant en relation consommateurs et producteurs ; dans un deuxième temps, on introduit l’État qui vient pallier les défaillances du marché et corriger d’éventuels déséquilibres. Cette approche ignore la multiplicité des statuts des agents qui agissent dans le champ de l’économie, la diversité de leurs motivations et de leurs comportements qui ne peuvent se réduire à la maximisation du profit, de l’utilité ou d’un intérêt général introuvable. Une troisième approche débute par l’analyse de marchés concurrentiels parfaits, supposés déjà donnés, pour en exposer les conséquences idéales ; cette analyse est ensuite complétée pour tenter de tenir compte de situations plus réalistes, non concurrentielles. Mieux vaudrait pourtant renverser le point de vue et admettre que les marchés réels ne sont pas des marchés de concurrence pure et parfaite mais qu’ils se construisent à coup de coalitions, de négociations et de réglementations. Ces trois approches ont certes l’avantage de nous faire découvrir un certain nombre d’outils indispensables à la compréhension de l’économie contemporaine, leur inconvénient étant de séparer l’exposé des théories de celui des faits. Or les faits viennent amplement contredire les énoncés théoriques qui les précédent. Après les critiques, viennent les considérations, positives cette fois, de ce que Xavier Greffe et Mathilde Maurel estiment être trois postulats de méthode pertinents. Premièrement, la connaissance des mécanismes économiques est privée de sens si elle n’intègre pas immédiatement celle des faits économiques contemporains. Faits VOLUME 41, juin 2010 Revue des livres 197 et conceptualisations sont inséparables, sauf à se limiter à une théorie pure, sans rapport avec les économies actuelles. Deuxièmement, les distinctions entre macro et microéconomie, entre économie réelle et économie monétaire sont peut-être conceptuellement et pédagogiquement utiles mais elles se heurtent à la complexité du réel qui ignore ces frontières largement artificielles. Troisièmement, la dichotomie entre économie théorique et économie appliquée sépare arbitrairement ce qui devrait être pensé simultanément. Les débats théoriques ne peuvent être compris sans référence au contexte historique de leur émergence. Cette dernière remarque s’accompagne d’une précision essentielle : la science économique « relève à la fois de connaissances sociales et [de connaissances] exactes » (p. 115). En tant que connaissance sociale, la science économique ne peut éviter les considérations morales et politiques, ce que l’on appelle depuis Max Weber des jugements de valeur. Cependant, en tant que connaissance exacte, l’économie doit aussi soumettre ses conclusions à des tests aussi précis que possible pour les réfuter ou les corroborer. En conséquence de quoi on trouvera dans l’ouvrage des données chiffrées, beaucoup de séries statistiques et de nombreux tests économétriques. Pour dépasser les limites des approches traditionnelles, tirer les conséquences des constats précédents et mettre en œuvre leurs principes méthodologiques, les deux auteurs organisent la progression de l’ouvrage à partir de trois questions (p. 115) : 1. Qu’est-ce que l’économie globale qui constitue le cadre de l’analyse économique contemporaine ? 2. Comment fonctionnent les marchés économiques dans leur diversité ? 3. Comment faire en sorte qu’il résulte du fonctionnement de ces marchés un « bien commun » ? Cette dernière question est considérée comme légitime a priori, dans la lignée de la position d’Adam Smith dans La richesse des nations, et elle confirme bien que l’économie est nécessairement une science morale et politique. Il est évidemment difficile de résumer en peu de phrases la richesse du contenu d’un ouvrage aussi considérable mais quelques éléments de réponse aux trois questions précédentes en donneront une idée. L’économie globale est au centre de l’ouvrage. Il ne s’agit pas d’une globalisation au sens de la mondialisation ou de l’internationalisation des économies nationales ; l’économie globale part du constat beaucoup plus radical que, dans chaque pays, le marché d’un produit reflète la logique du marché mondial pour ce produit et que les prix internes de chaque . On est donc très loin d’une position comme celle de Milton Friedman (La méthodologie de l’économie positive, 1953) qui défend la possibilité et la désirabilité d’une économie positive, indépendante de tout jugement de valeur, qui s’oppose à l’économie normative. 198 Revue des livres produit tendent à graviter autour du prix mondial de ce même produit, conduisant de fait à un prix unique (mondial) qui estompe progressivement la théorie des avantages comparatifs de Ricardo. Cette globalisation s’appuie sur des mouvements de marchandises et de capitaux beaucoup plus faciles et mieux organisés que les mouvements de population, lesquels sont nettement plus complexes, sources de tensions et de drames humains. Les conséquences de la mondialisation sont ensuite abordées sous l’angle des bénéfices qu’elle engendre et qui profitent rarement à l’ensemble de la population car, très souvent, les gouvernants se les approprient et les distribuent à une petite minorité de clients. La globalisation a provoqué des réactions divergentes, inspirant des mouvements d’organisation régionale aussi bien que des tentatives internationales pour organiser la vie économique au niveau de la planète, ces deux réactions pouvant susciter des tensions entre les organisations régionales et les principes mondiaux comme la protection de l’environnement, la stabilité financière ou la lutte contre la corruption. Le dernier des chapitres consacrés à l’économie globale, qui expose les défis de cette globalisation, est particulièrement intéressant. Si l’économie est un processus de développement humain dont l’enjeu est de lutter contre toutes les formes de pauvreté, alors les défis de la globalisation sont assurément passionnants. La deuxième partie de l’ouvrage traite des marchés et des acteurs, marchés et acteurs au pluriel pour bien signifier que ceux-ci comme ceux-là sont multiples et divers. Une question fondamentale est ici celle de la main invisible, c’est-à-dire de la coordination ou de l’absence de coordination des acteurs. Les marchés permettent, en principe, de confronter les décisions individuelles de nombreux agents guidés par leur intérêt personnel. La question est double. Premièrement, les marchés sont-ils efficaces et, si oui, à quelles conditions ? D’où la seconde question : les marchés réels remplissent-ils ces conditions, en particulier celle de la concurrence censée garantir leur efficacité. Les chapitres qui y répondent sont d’autant plus captivants que les analyses qu’ils contiennent sont rarement proposées dans les ouvrages comparables. L’analyse de l’efficience de la main invisible constitue une introduction originale à l’analyse économique du marché qui traite des rudiments de la microéconomie tout en soulignant les limites de celle-ci et les nombreuses tentatives de dépassement qu’elle a occasionnées. Sont ainsi mises à contribution les idées de Walras et de Max Weber, de Smith et de Granoveter, la théorie des droits de propriété, l’analyse économique du droit, l’économie du crime, différentes conceptions de la propriété intellectuelle, etc. Les marchés réels mettent en présence des groupes ou des institutions collectives plutôt que des individus et cela modifie leur fonctionnement. Les évolutions récentes de la micro au sujet de l’offre et de la demande sont longuement examinées, tout comme les marchés spécifiques du travail, du capital et de la monnaie ainsi que la VOLUME 41, juin 2010 Revue des livres 199 répartition dans l’espace des activités économiques ou l’impact des nouvelles technologies. Si la deuxième partie met en évidence la diversité des résultats auxquels peut aboutir le fonctionnement des marchés réels, la troisième tente, sur cette base, de déterminer dans quelle mesure les marchés réels contribuent au bien commun. Les auteurs partent du constat de l’inefficacité ou des résultats non désirés du fonctionnement des marchés dont l’aggravation des inégalités fournit un bon exemple. Dès lors, la correction des inefficacités ou des effets indésirables soulève le problème de l’intervention de l’État. Les biens collectifs, les externalités (les défaillances du marché) et la redistribution des revenus sont des chantiers traditionnels de l’État mais l’économie sociale, moins souvent évoquée, est aussi un correctif efficace de certains manquements des marchés. La politique économique est une tâche essentielle qui incombe à l’État pour assurer la coordination des activités privées que les marchés ne peuvent assumer seuls, qu’il s’agisse de politique conjoncturelle pour atteindre l’équilibre global à court terme ou de politique de croissance à plus longue échéance. Xavier Greffe et Mathilde Maurel soulignent à cet égard que le transfert du pouvoir monétaire à des instances supranationales et les pièges de l’endettement public remettent en cause les politiques budgétaires et monétaires classiques appliquées avec succès pendant les Trente glorieuses. Elles ont été remplacées par des plans d’ajustement auxquels recourent aussi bien les pays développés que les pays en voie de développement. Ces processus d’ajustement ont comme toile de fond une modification du partage de la valeur ajoutée dans les premiers et une réduction des inégalités dans les seconds. Au total, cette Économie globale propose une vision extrêmement large des problèmes économiques actuels et des réponses que la théorie économique peut donner, sans dissimuler que celles-ci peuvent être insuffisantes, limitées ou inappropriées, en tout cas discutées en fonction d’arguments qui ne relèvent pas seulement de la science pure mais expriment encore des jugements de valeur : l’économie est aussi une science sociale. L’ouvrage pose les questions et incite le lecteur à élaborer ses propres réponses à partir des éléments qu’il lui fournit. L’objectif de l’ouvrage, incontestablement ambitieux, et sa problématique (poser des questions concrètes) conduisent à d’inévitables répétitions. Par exemple, la théorie des coûts comparatifs est annoncée p. 36, utilisée p. 101 et enfin exposée p. 128. Cette remarque n’est pas forcément une critique dans la mesure où les auteurs n’ont pas pour but de faire un traité dont la lecture serait progressive et complète mais de donner des éclairages sur la manière d’apporter des réponses économiques à certaines questions. Le . Les débats du printemps 2010 sur la nécessité de coordonner les politiques budgétaires des pays de la zone euro illustrent parfaitement l’importance de cette question. 200 Revue des livres lecteur averti qui s’intéresse aux fluctuations de l’activité macroéconomique à court terme ira directement au chapitre 25 (« La question macroéconomique : la fin des fluctuations ? ») et ne lira pas nécessairement la totalité des 778 pages précédentes, de sorte que les répétitions ne le troubleront pas. Quant au lecteur débutant, elles ne sont sans doute pas dénuées pour lui de vertus pédagogiques ; pour pallier un manque d’attention momentanée ou un oubli, le rappel des notions essentielles, au moment où elles sont mobilisées, est toujours profitable. Peut-être plus agaçants pour le lecteur sont l’analyse et le commentaire (p. 101) des courbes d’un graphique qui ne figure pas dans l’ouvrage ou le caractère trop sommaire de certains encadrés, utiles certes, mais qui simplifient un peu trop les problèmes (par exemple l’exposé du théorème de possibilité d’Arrow, p. 686). Enfin, il faut souligner que l’abondance des références factuelles est une qualité évidente mais aussi une faiblesse potentielle. Dans la 2e édition de ses Principes d’économie moderne, datant de 1997, Joseph Stiglitz explique, dans le premier chapitre, comment s’est opérée « la renaissance de l’industrie automobile américaine » (p. 9-10). Treize ans après, les événements récents incitent naturellement à compléter ce chapitre (c’est le lot de tout exposé des faits de devoir être amendé dans les éditions ultérieures), mais aussi de revoir l’idée même de renaissance de l’industrie automobile aux États-Unis. De même, il y a de fortes chances que l’Économie globale doive être partiellement révisée dans les années à venir. Autant qu’un manuel d’introduction à l’économie, l’Économie globale de Xavier Greffe et Mathilde Maurel est un ouvrage qui pourra accompagner les étudiants en économie tout au long de leur cursus et leur servir de guide pour leurs études. De guide, c’est-à-dire d’une première approche des problèmes leur permettant de comprendre les données de base des questions dont ils pourront alors choisir, en toute connaissance de cause, celles qu’ils souhaitent approfondir en se reportant aux « lectures recommandées » en fin de chaque chapitre. Confronté à la fragmentation et à la spécialisation croissante des enseignements, les étudiants manquent souvent de repères pour s’orienter dans la science économique actuelle. Ils trouveront dans l’Économie globale sinon toutes les réponses à leurs questions (mais qui pourrait prétendre à un tel résultat ?), du moins les moyens de chercher des réponses. Références bibliographiques Friedman Milton (1953), « The Methodology of Positive Economics », in Essays in Positive Economics ; trad. française, Essais d’économie positive, Paris : Litec, 1995. Mankiw Gregory N. (1998), Principles of Economics ; trad. française, Principes de l’économie, Paris : Economica, 1998. VOLUME 41, juin 2010 Revue des livres 201 Samuelson Paul A. et William D. Nordhaus (2000), Economics, 16e éd. ; trad. française, Économie, Paris : Economica, 2000. Sloman John (2008), Economics, 6e éd. ; trad. française, Principes d’économie, Paris : Pearson Education France, 2008. Stiglitz Joseph E. (1997), Economics, 2e éd. ; trad. française, Principes d’économie moderne, Paris, Bruxelles : De Boeck, 2000. Jérôme Lallement CES (Paris 1) et Université Paris Descartes Marlène Laruelle et Sébastien Peyrouse, L’Asie centrale à l’aune de la mondialisation. Une approche géoéconomique, Paris, Armand Colin, 2010, 234 p. Après Les Russes du Kazakhstan (en 2004) et Asie centrale : la dérive autoritaire (en 2006), Marlène Laruelle et Sébastien Peyrouse publient un nouveau livre en commun dont l’objet est l’insertion de l’Asie centrale dans les mécanismes de la mondialisation. Pour analyser la transition géopolitique survenue après la disparition de l’URSS, les auteurs privilégient une approche géoéconomique, qui met en relief les enjeux liés à l’exploitation des ressources centre-asiatiques dans les stratégies économiques et politiques des puissances mondiales et régionales. Classiquement invoqué pour décrire la compétition entre les acteurs internationaux dans cette région qui fut l’objet au XIXe siècle des convoitises concurrentes des empires tsariste et britannique, le prisme du « Grand Jeu » est écarté au profit d’une lecture plus fine des recompositions contemporaines. Ce parti pris stimulant et original repose sur le constat que, depuis 1991, les États centre-asiatiques exercent pleinement leurs prérogatives en matière de politique étrangère. Aussi disposent-ils d’une réelle autonomie dont témoigne la diversité des « itinéraires de transition » poursuivis depuis les indépendances. Les auteurs soulignent par ailleurs que la compétition internationale ne se réduit pas à une opposition binaire entre deux puissances « impériales » – la Russie et les États-Unis – et qu’aucun acteur international, y compris la Russie, ne souhaite établir un contrôle exclusif sur la région. Cette approche conduit Laruelle et Peyrouse à étudier dans la première partie la place des différents acteurs internationaux (États-Unis, Russie, Chine, Union européenne, Japon, Iran, Turquie) dans le champ géopolitique régional en proposant une présentation détaillée de leurs politiques centre-asiatiques. Cette mise au point synthétique est d’une grande utilité d’autant qu’elle aborde des aspects rarement étudiés