INTERVIEW Du Dr René-Jean Bensadoun-NICE La radiothérapie est l’une des pierres angulaires du traitement du cancer. Cependant, comme tout traitement efficace, cette radiothérapie s’accompagne d’effets indésirables, bien que les progrès réalisés ces dernières années (IRMT, ou irradiation par modulation d’intensité) aient amélioré significativement la tolérance et la sécurité d’emploi (protection des organes vitaux). Au niveau cutané, les irradiations sont responsables de radiodermites ou radio-épithélites, c’est-à-dire de réactions cutanées soit aiguës, soit chroniques, dans le champ d’irradiation. Nous développerons uniquement le cas des radiodermites aiguës. Les radiodermites aiguës sont inéluctables. Elles surviennent en cours de traitement, en lien avec la dose et le type de rayonnement utilisés. Elles peuvent représenter le premier signe que l’irradiation est incorrecte (surdosage). Cette toxicité cutanée radio-induite est retardée, car les kératinocytes différenciés de la couche superficielle de l’épiderme sont radiorésistants. En revanche, les kératinocytes de la couche basale, indifférenciés, sont radiosensibles. Lésés par les rayons ionisants, ils ne pourront plus assurer le remplacement des kératinocytes différenciés qui auront achevé leur cycle cellulaire. Les radiodermites aiguës apparaissent vers la deuxième semaine de traitement. Il s’agit de brûlures que l’on classe en 3 degrés : – érythème (1er degré) : uniforme, prurigineux, accompagné d’une dépilation, il guérit en 8 à 10 jours si l’irradiation est stoppée ; – radiodermite exsudative (2e degré) : lésion plus profonde, avec mise à nu du derme en une ulcération suintante, douloureuse. La guérison demande 1 à 2 mois, par épidermisation. Les séquelles ainsi que l’alopécie sont constantes ; – radiodermite aiguë ulcérante (3e degré) : lésion œdématiée, rouge, douloureuse, phlycténulaire, voire nécrotique, évoluant vers la radiodermite chronique. Elle implique un suivi à vie, en raison d’un risque de cancérisation cutanée post-radique. Seuls les deux premiers degrés se rencontrent en pratique habituelle, chez les malades dont les traitements s’étalent sur 4 à 7 semaines. La majorité des lésions de radiodermites aiguës sont le plus souvent transitoires, mais elles altèrent la qualité de vie des patients. Ces derniers doivent être accompagnés et conseillés tout au long de leur prise en charge thérapeutique. Une prophylaxie primaire et secondaire doivent être instaurées afin de retarder et atténuer ces lésions aiguës. Dans les formes de radio-épidermites sèches (voir photos) – grades 1 (érythème modéré ou desquamation sèche) et 2 (érythème modéré à important, desquamation non confluente et principalement dans les plis, œdème modéré –, les soins d’accompagnement dermo-cosmétiques ont leur place. a) Conseils d’hygiène préventifs – L’irradiation irritant la peau, il faut éviter d’ajouter tout élément qui l’agresse. La zone traitée doit être lavée soigneusement à l’eau. On peut y ajouter soit un savon surgras soit un syndet, de préférence liquide et très dilué. Le séchage sera très méticuleux, sans frotter. Certains produits sont à écarter : • l’alcool, les eaux de toilette, les parfums ; • l’éther ; • le talc. – Ne pas gratter ni frotter, ne pas appliquer de sparadrap. – Raser la peau avec un rasoir électrique si possible, ne pas raser de près. – Ne pas porter de vêtements en tissu synthétique mais en fil ou coton. – Ne pas appliquer de produits en couche épaisse sur la peau dans les deux heures avant la séance (risque d’« effet bolus » : augmentation artificielle de la dose de radiation reçue par l’épiderme). b) Traitements en cours d’irradiation – En général, l’application quotidienne d’émollients permet de limiter les radiodermites. L'émollient diminue la sensation de brûlure et l’irritation. De préférence, l’application se fera après la séance. – À un stade avancé, en présence d’un aspect inflammatoire de la peau et de lésions douloureuses, l’émollient peut être remplacé par une pommade à base de corticoïdes. Son application sera de courte durée et évitée en présence de lésion infectée. Un traitement par voie générale sera adjoint, qui comportera des analgésiques ou, plutôt, un anti-inflammatoire non stéroïdien. En première intention, on prescrira de l’aspirine. Le dermatologue doit être consulté en cas de lésions exsudatives et ulcérées. – Le patient se gardera de toute automédication, en particulier de certaines huiles essentielles (niaouli, arbre à thé, lavande) : elles ont un effet perturbateur hormonal et, par conséquent, sont déconseillées dans les irradiations mammaires. Il existe un risque de radiosensibilisation, d’eczématisation avec certains produits. – Pour la toilette, il utilisera un savon surgras ou un syndet, de préférence liquide, en prenant soin des marquages à la peau s’il y en a. – Deux heures avant la séance de radiothérapie, le patient s’abstiendra d’appliquer de la crème ou du gel, afin d’éviter l’effet bolus. – Il écartera les irritants cutanés : parfums ou déodorants en spray, alcoolisés, sparadrap, talc, vêtements irritants ou trop serrés. Il préférera le coton ou les vêtements « respirants », amples, et les déodorants à bille… Attention avec les sous-vêtements à armatures (soutiengorge) : leur frottement peut accentuer l’irritation. En cas d’épilation ou de rasage considérés comme absolument nécessaires, il faudra privilégier l’usage d’un rasoir électrique. – Le patient évitera la mise au soleil de la peau traitée par radiothérapie. Si la zone irradiée est exposée à la lumière, l’utilisation d’une crème solaire SPF 50 + et marquée « protection anti-UVB-UVA » est conseillée. – En cas de baignade et lors de la toilette, les marquages seront protégés. – Sauna, hammam, gommage…, seront proscrits durant toute la durée de la radiothérapie et l’année suivante. – Les cures thermales à visée cutanée post-radiothérapie sont actuellement en cours d’évaluation. Ces soins « préventifs » seront poursuivis tout au long de la vie : ils permettent de limiter, pour partie, la survenue d’une radiodermite chronique symptomatique. En résumé, voici les recommandations du groupe d’experts FRESKIMO (FRench SKIn Management in Oncology) à propos des radiodermites aiguës : 1. Pendant la radiothérapie : assurer un nettoyage de la peau « en douceur ». Les détergents synthétiques (syndets) – testés cliniquement et avec un pH de 5,5 – sont généralement bien tolérés et adaptés à un usage quotidien. 2. Pendant l’irradiation : quels que soient le type de radiothérapie et la dose totale envisagée, utiliser quotidiennement une crème hydratante émolliente non comédogène, à la fois sur le visage et le corps, à partir de la première séance. De plus, appliquer un écran solaire à large spectre sur le visage et les autres zones exposées (cou et bras, notamment) : SPF > 30+ et marqué « protection anti-UVB-UVA ». Les facteurs aggravants Certains facteurs peuvent favoriser et aggraver la radiotoxicité cutanée aiguë : – chimiothérapie concomitante cytotoxique (sels de platine, gemcitabine anthracycline, actinomycine…) et/ou thérapies ciblées ; – les inhibiteurs du récepteur de lʼEpidermal Growth Factor (EGF) qui provoquent une radiodermite particulière ; – certaines zones : plis, peau fine (régions axillaire, sous-mammaire, périnéale ainsi que tête et cou) ; – l’altération préalable de l’intégrité du revêtement cutané irradié ; – l’âge élevé, l’immunodépression (diabète, VIH), le tabagisme, la dénutrition, le contexte génétique ; – les médicaments photosensibilisants : « un coup de soleil » aggraverait une radioépithélite ; – certains médicaments ont des effets radiosensibilisants in vitro, non démontrés en clinique en dehors de la chimiothérapie. Dr Sylvie Le Gac D’après un entretien avec le Pr René-Jean Bensadoun (oncologue-radiothérapeute, Nice) Source : quotidien du pharmacien du 14/10/2015