Angleterre-Europe: match historique

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Cinéma
La 16e édition du Festival international du film fantastique de Neuchâtel (NIFFF)
se déroulera du 1er au 9 juillet. Le réalisateur, scénariste, producteur et compositeur
John Carpenter en sera l’invité d’honneur. Durant neuf jours, le public pourra assister
à 150 projections de films. La scène sud-américaine sera notamment à l’honneur.
Genève (MEG) présente les traditions
chamaniques des peuples de la forêt.
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Magazine
Histoire Vivante
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LA LIBERTÉ
VENDREDI 17 JUIN 2016
Le référendum britannique du 23 juin ravive la flamme patriotique de la «perfide Albion»
Angleterre-Europe: match historique
retour du sentiment patriotique, non seulement écossais, mais aussi anglais. Cela
s’explique par une construction européenne qui se fait sur un modèle totalement étranger à la réalité de la diversité
britannique. Ce modèle bruxellois est pour
moi une sorte de transposition du Saint
Empire romain germanique! L’empire de
Charles Quint avait une grande cohérence
au début du XVIe siècle. Mais il a éclaté aux
Temps modernes.
K PROPOS RECUEILLIS PAR PASCAL FLEURY
Brexit L Bien sûr, le référendum du
23 juin prochain sur l’éventuelle sortie du
Royaume-Uni de l’Union européenne n’a
rien à voir avec l’invasion de l’Angleterre
par Guillaume le Conquérant il y a tout
juste 950 ans. Ni avec l’abandon du siège
d’Orléans par les Anglais face à la charismatique Jeanne d’Arc, lors de la guerre de
Cent Ans. Et encore moins avec la cuisante
défaite britannique face aux treize colonies
et à la France lors de la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Les ressentiments
actuels des insulaires anti-européens
s’enracinent pourtant profondément dans
l’histoire conflictuelle qui mine depuis des
siècles les relations entre les îles Britanniques et le continent. Les explications de
l’historien et angliciste français Bernard
Cottret, professeur émérite de civilisation
britannique à l’Université de VersaillesSaint-Quentin-en-Yvelines et auteur de
plusieurs ouvrages1 sur l’Angleterre.
EN
DATES
1066
A la bataille
d’Hastings, le duc
de Normandie
Guillaume le
Conquérant
gagne le trône
d’Angleterre.
L’île devient
«européenne».
Comment expliquez-vous cette éternelle
méfiance, voire défiance, du RoyaumeUni vis-à-vis du continent?
Bernard Cottret: Par son caractère insulaire. L’utilisation du terme «continent»
pour caractériser le reste de l’Europe est
d’ailleurs éclairante. Mais aussi par le fait
qu’à l’intérieur de cette «insularité», on a
des identités qui restent clairement distinctes – anglaise, galloise, écossaise, nordirlandaise – en dépit même de leur intégration politique dans un ensemble, le
Royaume-Uni.
1429
Orléans assiégée
est sauvée des
Anglais par
Jeanne d’Arc.
Le cours de la
guerre de Cent
Ans est renversé.
1783
Les Britanniques
s’inclinent au
Traité de Paris.
L’indépendance
des Etats-Unis
est reconnue.
1973
Le Royaume-Uni
accède à la CEE,
la Communauté
économique
européenne. PFY
«Le modèle
bruxellois de l’UE,
c’est celui du Saint
Empire romain
germanique!»
Bernard Cottret
En quoi cette «insularité» pose-t-elle
problème?
L’une des critiques les plus fondamentales
que les Britanniques adressent à l’Union
européenne, c’est qu’elle ne prend pas en
compte cette complexité historique. Or les
Britanniques sont très sensibles à cette
dimension-là. Leur île est constituée de
plusieurs nations, comme on le voit actuellement dans le cadre de l’Euro de football.
Alors que la France ou l’immense Russie
n’ont qu’une équipe en compétition, l’Angleterre, le pays de Galles et l’Irlande du
Nord alignent chacune ses joueurs. Quant
aux supporters anglais, ils arborent fièrement leur drapeau blanc à croix rouge de
saint Georges et non pas l’«Union Jack» du
Royaume-Uni. Historiquement, il y a toujours eu des tensions et autrefois même
des guerres entre ces nations.
Cette réalité multiple n’est-elle pas
qu’un reliquat du passé?
C’est au contraire quelque chose qui s’accentue. On a en Grande-Bretagne un
Signe de cette «insularité» britannique aux identités marquées, les supporters anglais arborent fièrement leur
drapeau blanc à croix rouge de saint Georges et non pas l’«Union Jack» du Royaume-Uni. Keystone
UNE SITUATION CONFLICTUELLE PLUS QUE MILLÉNAIRE
Depuis la conquête de l’Angleterre au XIe siècle, les conflits
n’ont cessé de miner les relations entre les îles Britanniques et
le continent. Le point culminant de ces éternelles disputes a été
la guerre de Cent Ans (1337–1453), le roi d’Angleterre revendiquant la couronne de France. Les Anglais, qui guerroyaient
souvent contre les Gallois et les Ecossais, étaient redoutables
sur le plan militaire, avec des archers dominant la bataille
d’Azincourt (1415) et une artillerie très développée, alors que
les Français sacrifiaient encore leurs chevaliers au front. «Si les
Anglais ont perdu la guerre, c’est vraisemblablement pour des
raisons de poids démographique», explique Bernard Cottret.
A partir de la période élisabéthaine, l’Angleterre se tourne vers
l’ouest, d’abord vers l’Irlande puis vers l’Amérique. A la paix
d’Utrecht, en 1713, elle s’affirme comme une puissance coloniale majeure. Le rapport de force change avec l’Europe, le
conflit occupant désormais davantage le terrain économique.
Mais la Grande-Bretagne mène aussi plusieurs coalitions sur le
continent pour s’opposer aux velléités d’expansion française.
Avec Voltaire et Montesquieu naît peu à peu un sentiment anglophile en Europe. «L’Angleterre devient le pays de la modernité qu’il faut imiter. Une attitude facilitée par la présence de
protestants dans les élites françaises, comme le ministre François Guizot», précise l’historien. Une entente cordiale est ménagée avec la France, mais la fibre allemande reste grande dans
l’aristocratie britannique, la reine Victoria parlant elle-même
l’allemand dans l’intimité avec son époux Albert de Saxe-Cobourg. Pendant la Grande Guerre, le vent tourne: les Saxe-Cobourg doivent se renommer Windsor et leurs cousins Battenberg deviennent Mountbatten.
En 1946, Winston Churchill plaide pour la réconciliation au
travers d’une union commerciale (l’ancêtre de l’Union européenne). Mais par deux fois, la France met son veto. Le
Royaume-Uni n’entre qu’en 1973 dans le marché commun.
Depuis lors, il multiplie les régimes d’exception. PFY
Un Brexit menacerait-il d’éclatement
l’espace britannique?
Il est évident que la question européenne
aura une incidence directe sur le RoyaumeUni lui-même. C’est une question fondamentale pour les Britanniques: savoir si
l’Ecosse et l’Angleterre vont continuer
d’appartenir à la même entité politique en
cas de Brexit. En 2014, les Ecossais ont
refusé l’indépendance, mais on peut imaginer qu’ils disent «oui» lors d’un autre
référendum, afin de pouvoir rester dans
l’Union européenne. Contrairement à ce
qu’ont écrit certains commentateurs à
l’époque, l’Ecosse n’est pas «une province
de l’Angleterre»! De facto, Westminster
reste la capitale politique. Mais une décentralisation, la dévolution, a été voulue par
le premier ministre Tony Blair il y a vingt
ans. Elle a été décisive, avec la création de
deux Parlements à Edimbourg en Ecosse
et à Stormont en Irlande du Nord ainsi que
d’une Assemblée nationale à Cardiff au
pays de Galles. On n’avait rien vu des comparable depuis le XVIIIe siècle.
Vu sous l’angle historique, quels sont
les points de discorde majeurs entre
le Royaume-Uni et l’Union européenne?
L’un des points d’achoppement majeur,
c’est la question du droit, qui s’enracine
profondément dans l’histoire. Les Anglais
sont très fiers de leur droit. Ils ne supportent pas de devoir en permanence aligner leurs traditions juridiques sur le droit
communautaire. Cette volonté de souveraineté a été clairement proclamée par le
premier ministre David Cameron. Les
Britanniques veulent conserver un droit
qui ressemble à leur histoire.
David Cameron ne joue-t-il pas avec le feu
en organisant ce référendum tout en
plaidant pour un maintien dans l’UE?
Cameron utilise ce biais pour faire pression
sur l’Union européenne. C’est évidemment
risqué. D’autant que cette ambiguïté a
aussi divisé son Parti conservateur. A mon
avis cependant, ce référendum, quel que
soit son résultat, est bénéfique pour l’Europe. Car il permet de relancer le débat sur
l’avenir de l’Union européenne, alors qu’on
se trouvait dans une espèce de paresse
intellectuelle. On a vu la calamité de la
crise grecque. On a vu aussi les limites de
la politique d’immigration d’Angela Merkel, avec des pays comme la Pologne ou la
Hongrie qui se sont vu imposer de gros
contingents de migrants par l’Allemagne.
David Cameron, lui, pose les bonnes questions. Il importe d’y répondre si l’on ne veut
pas foncer droit dans le mur. A l’avenir, ce
qui se passe en Angleterre pourrait même
ouvrir une voie à la Suisse... L
1
Histoire de l’Angleterre. De Guillaume le
Conquérant à nos jours, Éd. Tallandier, 2011.
La Révolution anglaise. Une rébellion britannique, 1603–1660, Éd. Perrin, 2015. Ces reines
qui ont fait l’Angleterre, Éd. Tallandier, 2016.
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