Processus morphogénétiques M. Alain prochIantz, membre de l`Institut

Processusmorphonétiques
M. Alain prochIantz, membre de l’Institut
(Académie des sciences), professeur
régénératIon et pLastIcIté dans Le sYstème nerveux
Cellules souches, rappels et définitions
Les cellules souches se définissent par leur capacité à donner une autre cellule
souche et une cellule plus restreinte dans ses possibilités de différenciation. Ces
divisions sont le plus souvent très lentes et il existe un compartiment d’amplification
des cellules destinées à une différenciation ultérieure. Le maintien du caractère
souche dépend de l’environnement ou de la niche dont les protéines de la matrice
extracellulaire et les facteurs de croissance fournissent les éléments d’une
reproduction, à l’infini ou presque, de ces cellules. Sur le plan intracellulaire, l’état
épigénétique est évidemment important, mais aussi l’expression de protéines anti-
âge, en particulier ces enzymes les télomérases quiparent les télomères et
empêchent leur raccourcissement qui, à chaque nération, marque le temps passé.
Il existe différents types de cellules souches. Les cellules totipotentes peuvent
donner tous les types cellulaires et reformer un organisme entier. Les cellules
pluripotentes peuvent donner tous les lignages : c’est le cas des cellules souches
embryonnaires. On peut encore duire la potentialité à des cellules quivont donner
tous les lignages d’un seul tissu, par exemple les cellules souches hématopoïétiques
(multipotentes). Au niveau encore inférieur de potentialité sont les cellules souches
qui, pour un même tissu, donnent certains types cellulaires seulement. C’est le cas
des souches neurales de la zone subventriculaire qui se différencient principalement
en astrocytes, oligodendrocytes et interneurones GABAergiques du bulbe olfactif.
Enfin, il y a les « derniers de la classe » ou les unipotentes qui ne donnent qu’un
type cellulaire, par exemple les cellules souches neurales du gyrus denté de
l’hippocampe, seulement capables de donner des cellules des grains.
À l’inverse de ce que pensait August Weismann (1834-1914), la différenciation
ne s’accompagne pas d’une perte irversible d’information nétique. Les neurones
ou les fibroblastes ont la même information nétique, mais n’en expriment pas les
mêmes segments. Les premières expériences de reprogrammation nucléaire de
Kings et Briggs en 1952 ont constitué une des premières futations de la théorie
270 ALAIN PROCHIANTZ
Weismann et un soutien à l’idée avancée par le botanise hollandais Hugo de Vries
(1848-1935), re-découvreur au début du xxesiècle des lois de Mendel (avec Carl
Correns et Erisch vonTschermak), que c’est le cytoplasme qui modifie l’expression
nétique mais que la potentialité nétique reste entière, et pas seulement dans la
lignée germinale comme le proposait Weismann.
Nous savons aujourd’hui que c’est plus compliqué et qu’il faut accepter quelques
exceptions à l’idée de totipotence du nome, quand ce ne serait que celle des
cellules immunitaires qui synthétisent des anticorps encodés après des recombinaisons
nétiques altérant irversiblement le nome. Plus néralement, l’ADN est le
site de multiples parations, le siège de transpositions, bref la totipotence n’est pas
synonyme d’inaltération d’un nome de toute façon physiologiquement instable.
Avant d’entrer dans le vif de la neurogenèse adulte, je rappellerai que la plupart des
expériences de reprogrammation qui ont donné naissance aux espoirs contemporains
de médecine nérative trouvent leur origine dans cette question de l’altération
irversible ou non des nomes. En effet, seule une inaltération globale peut
donner l’espoir de rendre à une cellule différenciée la totipotence d’un œuf et donc
d’être utilisée pour la paration de tout type de tissu.
Neurogenèse adulte, aspects historiques, comparaisons entre espèces
Les premiers travaux qui abordent sérieusement la question de la neurogenèse
non-embryonnaire sont signés par Altman et Das [1, 2] en 1965. Dans cet article,
les auteurs démontrent clairement une incorporation de thymidine dans le gyrus
denté de l’hippocampe avec une diminution nette, avec l’âge, du nombre de cellules
marquées. Ils remarquent que, dans l’hippocampe, seule la couche granulaire du
gyrus denté est marquée. Les auteurs sont frappés par le fait que les cellules sont
marquées mais ne présentent pas de figures de mitoses et en concluent que la
division cellulaire se fait au niveau de précurseurs indifférenciés qui se différencient
ultérieurement en cellules des grains. Ils s’interrogent aussi sur la nature gliale de
ces cellules, pour la futer, ce quin’est pas sans ironie puisque ces précurseurs sont
effectivement des cellules gliales.
La même année,les mêmes auteurs proposent, sur la base d’une forte incorporation
dans les cellules de la zone subventriculaire (SVZ), que les précurseurs prolifèrent
dans la zone ventriculaire puis migrent vers le gyrus denté où elles se différencient
en cellules des grains. Cette hypothèse est fausse puisque deux zones de prolifération
(au moins) existent, une dans la SVZet l’autre dans le gyrus denté. Mais l’idée est
intéressante du point de vue de la neurogenèse induite par des lésions. Dans ce
même article, ils suggèrent que les cellules de la SVZ prolifèrent puis migrent vers
le bulbe olfactif où elles se différencient. En revanche, ils ne voient pas
d’incorporation dans les cellules mitrales du bulbe olfactif, non plus que dans les
neurones pyramidaux de l’hippocampe ou dans les cellules de Purkinje. D’où la
spéculation que les neurones afférents et efférents seraient fixes en nombre mais
que la modulation qu’on dirait aujourd’hui épigénétique repose sur le nombre des
interneurones qui, lui, serait variable.
Cette histoire de neurogenèse adulte s’est alors endormie avec seulement deux
articles importants en 1977 [3] et 1982 [4]. Les travaux de Altman et ses collègues,
bien que consacrés à des périodes relativement précoces de la vie adulte et ayant
indiqué une baisse de le neurogenèse avec l’âge,avaient été très contestés pour la
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raison que les cellules des grains sont difficilement distinguables, par des moyens
cytologiques, des cellules gliales. Mais puisque les cellules souches neurales, nous le
savons aujourd’hui, sont des astrocytes, cela fait tomber l’argument. Une autre critique
était que les coupes étaient relativement épaisses, rendant possible une superposition
de deux cellules, une gliale qui prolifère et une neuronale dans le voisinage. C’est un
artefact courant aujourd’hui écarté par des technologies optiques adéquates.
L’affaire a pris un coup d’accélérateur à partir de 1983 avec les travaux de l’équipe
de Fernando Nottebohm sur les centres de contrôle du chant chez les canaris. Un
premier article publié en 1983 démontre la production, migration et différenciation de
neurones dans le noyau de contrôle du chant chez le canari adulte [5]. En 1985 et
1988, la même équipe publie deux articles qui confirment l’hypothèse d’une
neurogenèse adulte des interneurones mais aussi des neurones de projection [6, 7].
Les canaries, en effet, développent leur chant par imitation du chant des autres canaris.
Le High Vocal center (HVc) dans le cerveau antérieur de la bête joue un rôle important
dans cet apprentissage. Le HVc apparaît environ 30 jours après la naissance et n’atteint
sa taille normale quevers 210 jours. Le développement du chant est très lent, puisque
initié à P40, et le chant se stabilise vers P240. Les neurones HVc envoient des
projections sur deux noyaux le RA (robustus archistriatalis)et l’area X.
L’apprentissage du chant chez le canari se faisant entre P40 et P240, les auteurs
proposent que ces neurones de projection soient impliqués dans l’apprentissage des
séquences motrices nécessaires. Les canaris mâles atteignent la maturité sexuelle à
P240 quand leur pertoire de son est stéréotypé. Les nouvelles cellules acquises à
ce stade pourraient servir à des modifications qui se produisent plus tardivement
quand le chant redevient instable et que de nouvelles syllabes sont apprises (open-
ended learner). Ces naissances de neurones, tardives chez le canari, ne sont pas
obseres chez les pinsons dont le chant n’évolue plus chez l’adulte (age-limited
learner). Mais il n’y a pas que les centres du chant qui donnent lieu à une
neurogenèse adulte, comme le démontre le recrutement saisonnier de neurones par
l’hippocampe des passereaux à cape noire [8]. L’addition de neurones au cours de
la vie adulte correspond soit à une augmentation de taille de la structure impliquée,
soit à un remplacement de neurones qui disparaissent. Ce « renouvellement »
pourrait être particulièrement avantageux pour les oiseaux dans la mesure où leur
mode de vie impose une contrainte relativement au poids de leur cerveau. Par
conséquent, une augmentation de la taille de ce cerveau en amont immédiat de la
nécessité physiologique constituerait un clair avantage évolutif.
Barnea et Nottebohm ont testé cette hypothèse sur un oiseau qui stocke de la
nourriture de façon saisonnière. Les passereaux ont un gime quichange au début
de l’automne, passant des insectes aux graines. À cette période, un changement de
comportement prend aussi place, consistant en la fin de la défense de son territoire
(fin de la période de compétition sexuelle) et en l’adoption de comportements
collectifs, chaque horde d’oiseau ayant une surface d’environ 10 hectares. En même
temps, dans nos gions, les arbres perdent leur feuillage et il peut y avoir des chutes
de neige. Bref, le paysage change en même temps que les habitudes alimentaires et
les comportements sociaux. Dans cette période, les passereaux commencent à
cacher un pourcentage des graines qu’ils trouvent et dispersent ces graines entre
différentes caches, ce qui implique une mémorisation spatiale des caches qui peut
durer de quelques heures à quelques semaines. D’où l’idée, rifiée, que l’automne
doit s’accompagner d’une augmentation de la neurogenèse dans l’hippocampe,
structure impliquée dans la mémoire spatiale.
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L’étude montre que les cellules nérées sont dans une bande proche de la zone
ventriculaire et que la densité de neurones marqués (en prolifération) est saisonnière,
avec un pic en octobre, sans modification du nombre total de neurones. Ces neurones
disparaissent après 6 à 7 semaines. Cette neurogenèse saisonnière est spécifique à
l’hippocampe. Comparant des pinsons sauvages à des pinsons captifs, les auteurs
observent que le pic d’octobre est deux fois moins marquéchez ceux-ci, ce qui
renforce l’hypothèse de la mémoire des caches.
Controverse surla neurogenèse adulte
Pour en venir à l’aspect « controverse », je discuterai un article de Pasco Rakic
de 1985 : « Limits of Neurogenesis in Primates » [9]. Le sumé dit tout : « les
seules cellules qui prolifèrent chez le primate adulte sont des cellules gliales, en
aucun cas des neurones ». Rakic travaille sur le singe rhésus de 6 mois à 1 an,
auquel il injecte le traceur radioactif (la thymidine tritiée) et qu’il tue entre 3 jours
et 6 ans après les injections. Il regardetoutes les structures les plus importantes
dont : les cortex moteur, visuel et associatif, l’hippocampe, le bulbe olfactif, le
thalamus, la tine, les ganglions de la base, le cervelet, le tronc cérébral et la
moelle épinière et conclut : « Not a single heavily labeled cell with the morphological
characteristics of a neurons was observed in the brain of any adult animal. » Pour
ce qui est du gyrus denté et de l’hippocampe, « none of the radiolabeled cells in the
mature dentate gyrus had neuronal properties ».
Rakic s’interroge alors sur la signification biologique de l’absence de neurogenèse
adulte chez les primates et avance l’idée que ce phénomène est lié aux interconnexions
synaptiques, qui ne permettent pas l’intégration de nouveaux neurones et la
croissance des axones sur de longues distances. Il remarque, à juste titre, que la
neurogenèse adulte est plus marquée chez les animaux qui ont gardé des capacités
considérables de nération, comme les poissons, les amphibiens, ou les oiseaux.
« One can speculate that a prolonged period of interaction with the environment, as
pronounced as it is in all primates, especially humans, requires a stable set of
neurons to retain acquired experiences in the pattern of their synaptic connectivity ».
La controverse est discutée par Elizabeth Gould en 2007 [10]. Contrairement à
Rakic, cette chercheuse avait produit la démonstration (controversée) d’une
neurogenèse adulte chez les primates, dont le macaque. Nous verrons dans un
instant comment cette démonstration d’une neurogenèse adulte fut rapidement
étendue à l’humain (dentate gyrus) ce qui donna un « boost » significatif au domaine.
On peut dire qu’à ce jour le fait de la neurogenèe adulte, y compris chez les primates
dont sapiens, est néralement accepté pour les deux gions que sont le gyrus denté
et la SVZ. La polémique se poursuit cependant sur la question du cortex.
Le débat s’est aujourd’hui déplacé vers les gions neurogéniques. S’il est acquis
que la SVZet le gyrus denté de l’hippocampe sont des niches, la démonstration
finale de la présence d’autres niches, dans le cortex en particulier, se fait toujours
attendre. Les preuves d’une telle neurogenèse dans les conditions normales sont très
discutées, même si on accepte plus facilement l’idée d’une neurogenèse active
induite par des lésions du cortex ou de la moelle épinière. Dans d’autres modèles,
les cellules en apoptose envoient un signal de neurogenèse et créent les conditions
de la niche. La possibilité qu’une apoptose synchrone et importante dans le cortex
puisse créer les conditions de la neurogenèse ne peut donc pas être éliminée.
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 273
Mais avant d’arriver à cette possible neurogenèse active, il faut établir la alité
de la neurogenèse chez l’humain dans les gions neurogéniques reconnues par
tous. Un premier papier, publié en 1998, marque un tournant dans l’histoire, somme
toute cente, des cellules souches neurales. Le truc utilisé par Gage et collaborateurs
[11] fut de cupérer du tissu cérébral humain post-mortem, en provenance de
patients cancéreux ayant reçu du BrdU en intraveineux, à des fins de diagnostic.
Partant du fait bien établi de la neurogenèse dans le gyrus denté et dans la SVZ,
Eriksson et ses collègues cupèrent du tissus de ces deux gions chez cinq patients
décédés ayant reçu le BrdU et démontrent l’existence d’une neurogenèse dans
l’hippocampe humain adulte.
Neurogenèse active
Revenons à l’hypothèse d’une neurogenèse corticale induite par des lésions.
J’utiliserai trois articles publiés en 2000, 2004 et 2009. Le premier papier [12]
explore l’idée que l’apoptose induite de façon synchrone envoie un signal de
neurogenèse. Une apoptose synchrone est induite dans les neurones cortico-
thalamiques de la couche VI du cortex. Ce sont des neurones de projection, et donc
pas des interneurones. Cette gion du néocortex antérieur est proche de la zone
subventriculaire, riche en cellules souches neurales. La question posée ici est
principalement celle de la capacité du cortex à attirer des cellules souches de la
SVZet de la façon dont ces cellules se différencient en fonction de l’endroit où
elles aboutissent. De nouvelles cellules sont obseres entre 2 et 28 semaines après
la lésion. Ce sont des neurones, et parmi eux, des neurones pyramidaux. Sur la base
d’un marquage à la double cortine (Dcx), on infère qu’ils sont en migration et
viennent de la SVZvia le corps calleux.
Le deuxième article [13] du même groupe est très proche, conceptuellement, mais
les projections sont beaucoup plus longues et la couche du cortex plus éloignée de
la SVZ. Il s’agit en effet des neurones qui partent du cortex moteur, dits pour cette
raison « neurones moteurs corticaux-spinaux » (NMCS), qui contrôlent les
mouvements moteurs volontaires. Les images des nouveaux neurones (apparus
après lésion synchrone et massive) suggèrent que ces neurones migrent depuis la
SVZ, à travers le corps calleux, et la couche VI, vers la couche V du cortex. Ces
neurones se trouvent exclusivement dans les gions de la couche V et certains
d’entre eux ont une morphologie de cellules pyramidales. Le plus grand nombre de
ces cellules est vu deux semaines après l’induction, mais il en reste un nombre
significatif plusieurs semaines (56) plus tard.
Nous sommes encore face à l’alternative SVZ ou pas SVZ (pour ce qui est de
l’origine des cellules). Si oui, alors les progéniteurs peuvent migrer sur une assez
longue distance (ils vont dans la couche V et plus seulement dans la couche VI du
cortex). Par ailleurs, ils font des motoneurones et non plus des neurones cortico-
thalamiques comme dans l’article précédent, ce quiveut dire que la niche donne
une information très précise quant au programme de différenciation. Si tel est le
cas, il faut s’interroger sur les facteurs qui attirent les cellules souches vers la niche
et sur ceux qui donnent à ces cellules des indications de position et de lignage.
Un troisième article [14] utilise un mode de lésion différent du cortex visuel. Ces
lésions présentent une zone centrale coagulée et une zone périphérique « de
pénombre ». Dans une première partie de leur article, les auteurs redémontrent ce
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