Questions pour un champion en anesthésie 53
PREVENTION DU RISQUE INFECTIEUX
AU BLOC OPERATOIRE
J. Hajjar, Service de lutte contre les infections nosocomiales, Centre Hospitalier néral,
26953 Valence Cedex 9, France.
INTRODUCTION
En dépit des progrès techniques considérables de la chirurgie et de l’anesthésie, et
malgré l’utilisation des antibiotiques, on estime qu’en moyenne 2,5 % des 6 millions de
patients opérés chaque année en France contractent une infection nosocomiale. Si de
nombreux facteurs interviennent tout au long du processus chirurgical pour favoriser la
survenue d’une infection chez l’opéré, ceux de la période peropératoire sont les plus
importants.
Pour le personnel soignant, la riode peropératoire constitue aussi un moment à
risque potentiel de contamination par des agents pathogènes à transmission sanguine, en
raison de la fréquence des expositions accidentelles au sang.
La prévention des risques infectieux au bloc opératoire a fait l’objet de nombreuses
recommandations [1, 2, 3, 4]. Le succès de cette prévention passe par l’adhésion de tous
les acteurs composant l’équipe opératoire formés à l’identification des risques encourus
et connaissant et appliquant des recommandations ayant fait la preuve de leur efficacité.
1. INFECTIONS NOSOCOMIALES DU PATIENT CHIRURGICAL
L’opéré peut développer 2 types d’infection nosocomiale : des infections touchant le
site opératoire lui-même et des infections à distance du site chirurgical.
1.1. INFECTIONS DU SITE OPERATOIRE
L’infection du site opératoire (ISO) se définit schématiquement par la présence d’un
écoulement ou d’une collection purulente soit au niveau de l’incision soit au niveau de
l’organe ou de la cavité concernée par l’acte chirurgical [5].
1.1.1. PATHOGENIE
1.1.1.1. Flore du patient
La plupart de ces infections sont dues à la flore du patient (contamination endogène)
qui colonise des régions saines (peau, tractus respiratoire, digestif, urinaire, génital) ou
lésées. Les bactéries colonisent soit lorgane siège de l’intervention, soit la peau siège de
l’incision.
MAPAR 199854
1.1.1.2. Flore du personnel
Plus rarement les ISO sont dues à la flore du personnel présente sur les mains des
opérateurs ou leur sphère rhinopharyngée, ou à la flore de l’environnement. Les bactéries
sont transmises directement ou par voie aérienne (le transport des micro-organismes se
faisant alors par l’intermédiaire de poussières et de squames). Le rôle de la transmission
aéroportée est peu documenté sauf pour les interventions de chirurgie propre (prothèse
de hanche par exemple).
1.1.1.3. Autre foyer
Exceptionnellement l’infection est la conséquence d’une contamination par voie
hématogène à partir d’un autre foyer infectieux.
1.1.2. FACTEURS DE RISQUE
De nombreux facteurs de risque ont été identifiés par différentes études cliniques.
L’influence de certains d’entre eux sur les taux d’infection du site opératoire a été évaluée
dans le travail de référence portant sur 63 000 interventions, publié par Cruse et Foord en
1980 [6]. Pour d’autres (dénutrition, radio ou chimiothérapie, etc.) cette influence est
cliniquement admise mais n’est pas établie de manière irréfutable en raison de difficultés
à mesurer de manière simple et précise le facteur en cause ou à établir statistiquement sa
responsabilité. Enfin certains éments sont peu évalués (habileté du chirurgien, complexité
de la procédure, sévérité de la pathologie sous-jacente) mais peuvent être pris en compte
par dautres facteurs prédictifs indépendants (durée de lintervention, due de
l’hospitalisation préopératoire).
1.1.2.1. Facteurs liés au patient
Ce sont principalement le grand âge, l’obésité, la dénutrition, un séjour préopératoire
prolongé, une infection dun autre site, le diabète, le cancer, un traitement
immunosuppresseur. La fréquence des ISO (Tableau I) est bien corrélée avec le score
ASA de l’American Society of Anesthesiologists qui est un bon indicateur de la mortalité
péri-opératoire globale.
1.1.2.2. Facteurs liés à la chirurgie
Le risque intrinque d’un type d’incision particulier, défini par la classe de
contamination selon la classification du College of Surgeons ou classification d’Altemeier,
influence directement le taux d’ISO (Tableau II).
De nombreux autres facteurs sont liés à l’intervention et influencent les taux d’infection :
la pparation cutanée du champ opératoire (rasage, antisepsie), les conditions
Score ASA Interventions % Taux d’ISO
126 1,5
2 37 2,1
3 26 3,7
4 11 5,5
5 0,4 7,1
Tableau I
Taux d’ISO en fonction du score ASA pour 84 691 interventions (d’après Culver) [7]
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d’intervention au niveau de la salle d’opération (matériel, température ambiante, etc.), la
durée d’intervention, la technique chirurgicale proprement dite (caractère urgent, présence
d’une prothèse et de drains, qualité de l’hémostase, expérience du chirurgien), l’utilisation
d’une antibioprophylaxie.
1.1.2.3. Facteurs liés à l’anesthésie
Quelques travaux suggèrent que les substances anesthésiques (par inhalation ou par
voie veineuse) jouent un rôle dans l’infection du site chirurgical en altérant les défenses
immunitaires, mais ceci n’est pas établi de manière certaine en raison de la complexité
des mécanismes en cause [8].
En ce qui concerne l’équipe d’anesthésie, elle participe au même titre que les autres
intervenants à l’aérobiocontamination, c’est à dire à l’émission et à la diffusion de particules
d’origines diverses dont certaines véhiculent des micro-organismes capables de contaminer
la plaie opératoire.
1.1.4. INDEX DE RISQUE
Différents index de risque prenant en compte les principaux facteurs de risque ont été
proposés pour définir des groupes de patients ayant a priori un risque similaire. L’intérêt
de tels index est de permettre d’éventuelles comparaisons de taux d’infection que n’autorise
pas l’utilisation de taux bruts. Le plus pertinent est à l’heure actuelle l’index de risque
NNIS qui combine le score ASA, la classe de contamination et la durée d’intervention.
Par exemple le taux d’ISO qui est de 2,1 % en classe propre, varie en fait de 1 % (valeur
basse de l’index) à 5,4 % (valeur haute de l’index).
1.1.5. FREQUENCE ET CONSEQUENCES
En 1996, l’enquête nationale de prévalence a montque les ISO représentent 11 %
de l’ensemble des infections nosocomiales (36 % pour les infections urinaires et 12 %
pour les pneumopathies) [9]. Mais elles sont au premier rang en terme d’augmentation de
la durée du séjour hospitalier (7 jours en moyenne) et de coût additionnel (20 000 FF en
moyenne). Ainsi chaque année le coût total s’élèverait à plus de 3 milliards de francs.
1.2. INFECTIONS A DISTANCE
Elles sont consécutives aux techniques permettant la réalisation de l’acte chirurgical
et principalement les techniques anesthésiques invasives : accès vasculaires et contrôle
des voies aériennes lors de l’anesthésie nérale, abord rachidien pour l’anesthésie
péridurale ou sous arachnoïdienne.
Tableau II
Taux d’ISO en fonction de la classe de contamination pour 84 691 interventions (d’après
Culver) [7]
Classe de contamination Interventions % Taux d'ISO
Propre 58 2,1
Propre-contaminée 36 3,3
Contaminée 4 6,4
Sale ou infectée 2 7,1
MAPAR 199856
1.2.1. EPIDEMIOLOGIE
La surveillance épidémiologique des infections liées à l’anesthésie n’ayant pas connu
le même développement que celle pour les infections du site opératoire, il est difficile
non seulement de préciser l’importance du problème en l’absence de taux spécifiques
d’infection, mais aussi de déterminer les caractéristiques principales de ces infections et
leurs facteurs de risque.
La survenue d’infections liées aux actes anesthésiques est un fait établi essentiellement à
partir de cas épidémiques secondaires à l’utilisation de circuits d’anesthésie contamis [10]
ou à l’injection d’agents anesthésiques provenant de flacons multidoses mal désinfectés
ou de seringues préparées plus de 24 heures à l’avance [11], pour ne citer que ces 2
exemples. L’interprétation de certains de ces cas est toutefois délicate, les méthodes
actuelles de typage moléculaire n’existant pas lors de leur publication.
En dehors des situations épidémiques, la plupart des enquêtes sont rétrospectives et
comportent de nombreux biais méthodologiques [12]. Les enqtes prospectives dont on
dispose concernent surtout l’anesthésie péridurale. Une seule étude prospective globale [13],
menée sur une riode de 10 mois, a montré une incidence d’infections de 1,5 % sur
400 patients inclus (infections bactériologiquement documentées).
1.2.2. PRINCIPALES INFECTIONS ET FACTEURS DE RISQUE
1.2.2.1 Infections liées à l’utilisation d’un matériel mal décontaminé, non désinfecté ou
non stérilisé
Il s’agit principalement du rôle joué par le matériel nécessaire au contrôle des voies
aériennes et à la ventilation mécanique dans la transmission des micro-organismes et la
survenue dinfections. Un débat sest instauré depuis de nombreuses années sur
l’implication des circuits d’anesthésie [12]. Il est indiscutable pour de nombreux auteurs,
la preuve résidant dans la positivité des prélèvements bactériologiques effectués lors de
l’utilisation en routine ou lors d’études in vitro. Mais pour d’autres, ces circuits même
contaminés ne transmettent pas de micro-organismes en quantité significative en raison
de l’environnement hostile qu’ils constituent pour le développement des bactéries.
Lors de la ventilation artificielle, le court-circuit des voies aériennes supérieures par
le tube endotrachéal, l’utilisation d’agents anesthésiques par inhalation et de drogues
déprimant l’activité ciliaire de l’épithélium bronchique, le transfert de la flore propre du
patient du pharynx vers la trachée, sont les principaux mécanismes qui peuvent être à
l’origine de pneumopathies postopératoires, en dehors de toute contamination initiale de
l’équipement d’anesthésie. Les antécédents respiratoires du patient et le type de chirurgie
constituent les autres facteurs de risque.
La survenue de pneumopathies postopératoires est le critère de jugement le plus souvent
utilisé dans les études sur le rôle des circuits d’anesthésie dans la transmission d’infections.
Mais ce critère est difficile à utiliser pour rendre compte du risque de contamination
croisée (et en particulier du risque viral) qui existe même s’il n’est pas aisé à mettre en
évidence.
En effet, le matériel nécessaire au contrôle des voies aériennes et à la ventilation
mécanique est au contact des micro-organismes naturellement présents dans les voies
aérodigestives supérieures des patients, en particulier dans la salive et les sécrétions
trachéo-bronchiques qui peuvent également contenir du sang. L’ensemble du matériel est
conceraussi bien celui de ventilation manuelle (masques, ballons, valves, lames de
laryngoscope, tubes endotrachéaux, etc.) que de ventilation mécanique (circuits externes
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et internes des respirateurs, humidificateur, etc.). La décontamination insuffisante de ce
matériel et sa manipulation par le personnel soignant lors des procédures de soins
(intubation, extubation, aspiration), peuvent être à l’origine de la transmission d’un patient
à l’autre d’infections respiratoires ou non (cas récents d’hépatite C transmis par un circuit
dépourvu de filtre bactérien et viral et non changé entre les patients) [14].
1.2.2.2. Infections et procédures effectuées sans respecter les règles d’asepsie
Les cathétérismes vasculaires, la manipulation des agents anesthésiques intraveineux
et les anesthésies locorégionales sont les procédures principalement en cause.
- En dehors du bloc opératoire, le taux d’infection locale est estimé entre 4 et 5 % pour
les cathéters veineux périphériques laissés en place en moyenne 2,5 jours (15). Parmi
les nombreux facteurs de risque, la qualité de l’antisepsie cutanée au moment de
l’insertion et la durée du cathétérisme sont les plus importants ainsi que le confirme
une étude concernant des cathéters veineux riphériques mis en place au bloc
opératoire (16) qui a mont une colonisation de 31 des 1138 cathéters veineux
périphériques ; une antisepsie cutanée au moment de la pose réalisée en 4 temps (lavage
de la peau du patient avec un savon liquide antiseptique, rinçage, séchage, application
d’un antiseptique de la même famille que le savon) et des cathéters maintenus moins
de 72 heures expliquent le taux global de colonisation très bas (2,7%). Le risque
infectieux paraît faible mais la fréquence du geste et les conséquences graves d’une
infection chez les patients porteurs d’une prothèse endovasculaire doivent rester présents
à l’esprit.
- Plusieurs cas épidémiques d’infections bactériennes ou fongiques sont décrits dans la
littérature (Tableau III), en rapport avec une contamination extrinsèque des agents
anesthésiques par des micro-organismes de l’environnement ou du personnel, lors de
la préparation et de la manipulation de ces produits. Le propofol est l’agent le plus
souvent en cause car il s’agit d’un produit dépourvu de conservateur antimicrobien et
en suspension dans une solution lipidique qui favorise la croissance microbienne,
d’autant plus que le produit est préparé à l’avance et administré en perfusion lente.
Mais d’autres produits comme le fentanyl ou la lidocaine ont également été incriminés
lors de l’administration de la même solution à plusieurs patients. Lusage d’une même
seringue pour plusieurs patients, malgré le changement d’aiguilles est responsable de
contaminations par le virus de l’hépatite B. Divers travaux ont montré les risques
liés à cette pratique inacceptable [17, 18].
- Malgré sa gravité potentielle, l’incidence des infections secondaires aux anesthésies
locorégionales n’est pas connue avec précision. Les taux retrouvés concernent le plus
souvent l’anesthésie péridurale en obstétrique et varient dans de grandes proportions
de 0,08% à 0,0002%. Sur les 28 cas de complications infectieuses recensés dans la
littérature, Marsaudon retrouve 21 abcès épiduraux, 6ningites et une spondylite [19].
Concernant la rachianesthésie, 4 ningites sont nombes dans sept études regroupant
90 000 patients, soit un taux d’infection estimé à 0,0045%.
Par analogie avec les cathétérismes vasculaires, il est probable que l’état de la peau
au niveau de la zone de ponction, la présence durable d’un cathéter et la fréquence des
réinjections constituent autant de facteurs de risque.
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