Depuis la chute du mur de Berlin et la fin de l`URSS, l`empire russe

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LES PAYS DE L’EUROPE DE L’EST ET L’OLYMPISME
Participations et performances avant et après 1989
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
Depuis la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, l’empire russe ne cesse de se
rétrécir et les nouveaux pays issus du bloc soviétique recherchent une reconnaissance
internationale. Dans cette perspective, la phase de création des Comités nationaux
olympiques (CNO) a souvent été une partie plus politique que sportive. Les nouvelles
entités ont essayé d’obtenir une reconnaissance immédiate au travers de leur
appartenance au mouvement sportif, ce qui souligne, si besoin était, l’importance du
sport comme vecteur d’images et comme support de stratégies géopolitiques.
Au-delà de l’étape de reconnaissance, nous assistons à la recomposition du paysage
sportif depuis la chute du mur. D’un bloc dominateur dans les années 80, dans lequel
on pouvait déjà distinguer des capacités différentes et des stratégies diversifiées, nous
sommes passés à une situation plus complexe avec l’apparition de nouvelles puissances
sportives (l’Ukraine par exemple), le déclin d’autres (la Bulgarie ou la Hongrie) et la mise
en place de nouvelles stratégies (Azerbaïdjan ou Slovénie). L’éclatement du bloc a mis
à jour une diversification des stratégies sportives pour les pays qui en faisaient partie.
Il a aussi modifié fortement la participation et les résultats au niveau mondial.
Analyser l’évolution des pays de l’Europe orientale pose toutefois un premier
problème de définition de l’espace à retenir. Avant 1988, l’appartenance à un système
d’alliance politique (dont le pacte de Varsovie) et la mise sous tutelle par la puissance
soviétique facilitent la délimitation. En revanche après l’éclatement du bloc, la
délimitation est moins simple et les conséquences de la transition sont très différentes
selon que ces pays ont subi ou non des modifications territoriales. On peut alors
rassembler les pays de l’Europe de l’Est concernés en plusieurs groupes : d’abord
les pays qui n’ont pas subi d’évolutions territoriales (Pologne, Roumanie, Hongrie,
Bulgarie). Ensuite, les pays qui ont été partagés : séparation de la Tchécoslovaquie
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Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
(République tchèque et Slovaquie), éclatement de la Yougoslavie (Slovénie, Croatie,
Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Serbie et Monténégro) et désintégration de l’URSS.
Pour les pays composant l’ex-URSS (les pays baltes (Estonie, Lituanie et Lettonie), la
Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie), leur appartenance à l’Europe orientale ne fait
pas de doute. Pour le reste de l’empire soviétique, les républiques du Caucase (Arménie,
Géorgie et Azerbaïdjan) sont intégrées à l’Europe de l’Est à la fois par les institutions
politiques (comme le Conseil de l’Europe) et par les institutions sportives, le Comité
olympique international (CIO) les ayant classées dans les CNO européens. En revanche,
le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et le Turkménistan font
partie du monde asiatique, mais nous les intégrerons dans notre analyse lorsqu’il s’agira
de comparer la participation et les résultats de l’entité Union soviétique.
Pour comprendre les nouvelles configurations des pays de l’Est face à l’Olympisme,
il convient d’abord de rappeler la complexité de l’histoire géopolitique sportive de cette
région. L’analyse des résultats aux Jeux de 1988 à Séoul, qui précède la chute du mur
de Berlin, et ceux de 2004 à Athènes souligne ensuite les profondes modifications dans
la zone concernée. Au niveau de la participation, l’afflux de nouveaux pays, héritiers
d’un système sportif puissant, a fortement modifié la donne. De nouveaux concurrents
sont apparus pour les autres pays, ce phénomène étant massif dans certains sports.
Au niveau de la performance, la fin du système sportif soviétique a vu la disparition
de l’exception sportive du sport communiste. Les performances des athlètes de l’Est
se sont nivelées pour atteindre au mieux celles de ceux de l’Ouest. A l’évidence, on
assiste à de nouveaux enjeux et les pays de l’Europe de l’Est semblent exemplaires
pour mesurer le rôle géopolitique du sport et de l’Olympisme.
L’OLYMPISME ET LES ALÉAS DE LA RECONNAISSANCE DES PAYS DE L’EST
Le survol de l’histoire de l’Olympisme à partir de l’espace de référence des pays
de l’Est permet de noter l’évolution du rôle attribué au sport et à la présence aux Jeux
olympiques en fonction des conjonctures politiques. Quatre temps historiques se sont
succédés, le temps où l’Olympisme reste aux marges de la politique internationale,
celui des enjeux de l’entre-deux-guerres, celui de la guerre froide et enfin celui de la
reconnaissance des pays après la fin de l’URSS.
L’Olympisme aux marges de la politique internationale (1896-1918)
Le mouvement sportif et le mouvement olympique se sont d’abord organisés à partir
d’initiatives privées et associatives. Le sport, encore faiblement développé et opposé
aux courants de la gymnastique, ne parvient que progressivement à s’imposer dans les
relations internationales. Les premiers pays qui adhèrent aux CIO sont essentiellement
européens et l’Empire austro-hongrois montre déjà une dualité entre l’existence d’une
structure politique et d’une représentation sportive : Autriche et Hongrie participent
dès 1896, la Bohême en 1900, la Yougoslavie en 1912 alors qu’elles font toutes partie
du même empire (Figure 1). La Finlande est aussi dans ce cas puisque, constituée en
grand duché faisant partie de l’Empire russe, elle affirme son indépendance vis-à-vis
de Moscou dans sa représentation sportive (CNO créé et reconnu en 1907, présente
aux JO de 1908 et 1912).
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Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
Ces situations sont soutenues par Pierre de Coubertin qui affirme qu’il peut exister
une « géographie sportive » différente de la « géographie politique ». Le rénovateur de
l’Olympisme utilise l’expression dans une lettre adressée en 1911 à l’éditeur du journal
sportif viennois « Allgemeine Sportzeitung » pour rappeler que la géographie sportive
ne doit pas se plier aux règles de la géographie politique et qu’ainsi, l’Olympisme
peut tracer sa propre carte du monde (Krebs, 2002). Il s’agit alors de favoriser la
participation aux JO de régions non-souveraines sur le plan politique, mais disposant
d’une structure sportive autonome, ce qui permet d’appliquer la règle « All games,
all nations », précisant qu’une nation n’est pas nécessairement un Etat indépendant.
Ce choix de la reconnaissance des « nations » a offert au mouvement olympique une
marge de manœuvre relative dans les relations internationales, marge qui s’érode dans
les mutations politiques de l’entre-deux-guerres.
Les enjeux politiques de l’entre-deux-guerres (1919-1945)
La première guerre mondiale entraîne une série de bouleversements territoriaux
qui remodèlent l’Europe centrale et orientale (Traité de Versailles, de Saint-Germain
et du Trianon) (Figure 2). Le dépeçage de l’Empire austro-hongrois favorise la création
de nouveaux pays indépendants (Hongrie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie), la Pologne
réapparaît au détriment de l’Allemagne et de l’Union soviétique, et enfin, conséquence
de la révolution russe, les pays baltes et la Finlande se libèrent de la tutelle russe.
Les pays qui n’avaient pas de CNO ne manquent pas l’occasion d’en créer dès leur
indépendance (Pologne, Yougoslavie) ou quelques temps après pour les pays baltes
(Estonie présente dès 1920, Lituanie et Lettonie en 1924). Le temps de la géographie
sportive indépendante de la politique est passé et une nouvelle ère commence où le
sport ne fait pas l’économie des enjeux politiques. Ces enjeux instrumentalisent le sport
à trois niveaux : celui de l’exclusion des rencontres, celui de l’opposition politique en
URSS et enfin celui de la propagande fasciste en Italie et en Allemagne.
La question de l’exclusion se pose pour les Jeux d’Anvers en 1920 où l’Allemagne,
l’Autriche et la Hongrie ne sont pas représentées. Le contexte d’après guerre contredit
la position prise par Coubertin dix ans plus tôt à propos des Jeux de Stockholm :
« Le programme des Jeux Olympiques de Stockholm n’est nullement définitif encore
et il n’appartient nullement au comité suédois de fixer la liste des pays qui sont
admis à participer aux Jeux Olympiques » (Coubertin, 1932, p. 72). L’Allemagne est
encore exclue des JO de Paris et Chamonix en 1924 et ne retrouve sa place qu’aux JO
d’Amsterdam en 1928.
Au-delà des exclusions, le CIO est confronté aux conséquences de la Révolution
russe. Durant la guerre civile, les Russes blancs, puis la Géorgie, l’Arménie et
l’Azerbaïdjan déclarent leur indépendance au printemps 1918, mais la reprise en main
par l’URSS est effective en 1923. A cette date, le CIO reçoit la demande du prince
russe Léon Ouroussof, représentant les Russes blancs réfugiés, de reconnaître trois
équipes « russes » : celle de Moscou, celle des Russes émigrés et celle des Arméniens.
Très vite, l’URSS s’oppose à l’Olympisme et favorise les organisations sportives
ouvrières ayant pour objectif la lutte contre le capitalisme et les bourgeoisies qui le
soutiennent. Le CIO est présenté comme un « ramassis d’aristocrates et de bourgeois »,
prônant sous couvert d’universalisme, le libéralisme et le colonialisme, et utilisant le
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Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
sport comme un « opium du peuple » pour maintenir la paix sociale. L’URSS combat
donc l’Olympisme en tentant d’unifier un sport prolétarien à l’échelle mondiale. Elle
boycotte les organisations sportives internationales et leurs compétitions et, bien
sûr, n’adhère pas au CIO. Elle développe des structures parallèles (Internationale du
Sport rouge fondée en 1921) et organise ses propres compétitions et notamment les
premières Spartakiades en 1928.
La question de l’utilisation du sport et de l’Olympisme comme moyen de propagande
s’affirme en Italie où le sport d’Etat vise à encadrer la population. Les résultats aux JO
de Los Angeles en 1932, comme la victoire de la Coupe du monde de football en 1934,
servent à affirmer la supériorité du régime fasciste. L’Allemagne hitlérienne s’engage
dans la même perspective en détournant les Jeux de Berlin à son profit et en valorisant
les résultats qui symbolisent la supériorité du régime nazi. Paradoxalement, alors que
les pratiques se multiplient, les idéaux de paix et d’égalité piétinent et le mouvement
olympique sort meurtri des deux conflits mondiaux. L’après-guerre ne simplifie pas
les relations internationales puisque la « guerre froide » résultant du partage du monde
de Yalta a des répercussions directes sur l’Europe de l’Est.
La guerre froide et la constitution d’ensembles géopolitiques sportifs (1946-1989)
Comme après la première guerre mondiale, l’Allemagne est frappée d’exclusion
aux Jeux de Londres en 1948. Au plan territorial, le CIO enregistre la disparition
des pays baltes qui sont incorporés à l’Union soviétique. Le glacis soviétique est
en formation et se traduit par la mise en place du CAEM (Conseil d’Assistance
économique) et du Pacte de Varsovie. Les lendemains de guerre instaurent donc un
nouvel ordre international. L’URSS sort renforcée d’un conflit qui lui permet d’asseoir
son emprise sur l’Europe de l’Est, mais aussi de partir à la conquête idéologique du
monde. La guerre de Corée, puis celle du Vietnam auxquelles s’ajoutent de multiples
conflits dans les pays du tiers monde exacerbent la guerre froide et se répercutent sur
le terrain olympique. Rivale politique et économique des Etats-Unis, l’URSS participe
désormais aux instances internationales; elle réussit son entrée aux Jeux olympiques
d’Helsinki en 1952 où elle se classe en deuxième position derrière les Etats-Unis pour
le nombre de médailles obtenues.
La nouveauté vient donc de la participation de l’URSS qui a choisi ouvertement
de se mesurer avec les pays capitalistes sur le domaine symbolique du sport. Elle y
affirme ses valeurs d’égalité des hommes et des femmes qui dominent dès 1952 les
épreuves d’athlétisme. Aucune analyse ne peut faire l’économie de la période où deux
modèles d’organisation du sport s’opposent : celui des Etats-Unis est fondé sur une
vision libérale du sport où l’Etat intervient peu et où spectacle et loisirs sont dominants;
celui de l’URSS est inscrit dans une vision étatique initiée par le Comité central du
parti communiste. Organisé à partir des structures militaires, scolaires, universitaires
et civiles, il est au service des théories idéologiques du pays. Accomplissant un effort
d’infrastructures sportives, l’Etat soviétique a favorisé l’émergence d’un sport de
masse à partir des collectivités rurales et urbaines, le nombre des sociétés sportives a
été multiplié par trois et celui des licenciés par dix entre 1946 et 1975. Pour favoriser
l’émulation entre les républiques soviétiques, le régime utilise les Spartakiades où
s’affrontent les sportifs de l’Est. A la fois mouvement de masse et mouvement de
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Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
sélection des élites, ces jeux régionaux, qui précèdent les JO, constituent un laboratoire
de propagande et d’observation pour les dirigeants du sport soviétique. Il a enfin
renforcé une spécialisation de certains pays du pacte de Varsovie dans des « créneaux
sportifs » afin d’optimiser les conquêtes de médailles.
Dans ce match Est-Ouest, l’arme du boycott est utilisée par les deux blocs en
1980 à Moscou et en 1984 à Los Angeles, même si les blocs ne présentent pas une
homogénéité absolue : pour l’Est, la Roumanie et la Yougoslavie font bande à part, cette
dernière restant fidèle à sa stratégie de non-alignement. L’apogée de cette compétition
se confirme aux Jeux de Séoul en 1988 où l’URSS et l’Allemagne de l’Est devancent
les Etats-Unis au niveau des performances.
Après 1989, l’Olympisme est un outil de reconnaissance des pays de l’Est
La disparition brutale du bloc de l’Est entraîne une recomposition de l’Europe
centrale et orientale avec comme conséquence l’éclatement de l’Union soviétique, de la
Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie. Dans la course à la reconnaissance internationale
des nouveaux pays, le président du CIO, habile diplomate, choisit de suivre les décisions
de l’ONU tout en conservant une étroite marge de liberté. Le rappel des créations des
CNO pour les nouveaux pays souligne encore le rôle conféré à l’Olympisme par les
nations. Ainsi, pour l’ensemble soviétique, quelques pays créent leur comité avant
que leur indépendance ne soit déclarée ou reconnue officiellement (Russie en 1989,
Arménie, Kazakhstan et Turkménistan en 1990). D’autres pays créent leur CNO juste
après la déclaration d’indépendance. Seuls l’Azerbaïdjan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan
organisent leur comité seulement un an après leur indépendance. Les pays baltes, quant
à eux, demandent la réactivation des CNO reconnus dans les années 1920.
Le coup d’Etat tenté contre Gorbatchev le 19 août 1991 donne le coup d’envoi
des déclarations d’indépendance des républiques : en dix jours, dix républiques
proclament leur indépendance et en décembre pratiquement toutes les républiques se
sont séparées de la Russie. Le CIO voit donc arriver des demandes de reconnaissance
pour participer aux Jeux de 1992. Seuls les pays baltes obtiennent gain de cause, et
les autres républiques doivent intégrer une équipe unifiée.
La situation est aussi complexe pour la Yougoslavie : la Slovénie (décembre 1990)
et la Croatie (juin 1991) déclarent leur indépendance et créent leur CNO en 1991. La
Macédoine (septembre 1991) et la Bosnie-Herzégovine (mars 1992) se séparent de la
Yougoslavie à leur tour. Le CIO reconnaît les comités de Croatie, de Slovénie et de
Bosnie-Herzégovine à titre provisoire ce qui leur permet d’apparaître sur la scène
internationale aux Jeux de Barcelone, ces trois pays ayant été reconnus par l’ONU en
mai 1992. Le traitement réservé à la Yougoslavie (Serbie-Monténégro) est différent
puisque, admise aux Jeux d’hiver en 1992 aux côtés de la Croatie et de la Slovénie, elle
est exclue aux Jeux d’été suite à l’embargo décrété par le Conseil de sécurité de l’ONU
le 30 mai 1992. Le CIO admet cependant les athlètes yougoslaves à titre individuel,
mais sans droit au défilé, au drapeau et à l’hymne de leur pays.
Le rappel de la complexité géopolitique sportive des pays de l’Est autour d’un siècle
d’Olympisme souligne combien la reconnaissance par les institutions internationales
semble décisive pour affirmer sa place dans le concert des nations et participer à la
cérémonie planétaire des JO. Ce rappel doit être complété par l’analyse des performances
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Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
qui, au-delà de la participation au défilé d’ouverture, sont un autre moyen d’affirmer
son rang dans l’échiquier mondial.
LES JEUX DE SEOUL (1988) : UN BLOC DE L’EST DOMINATEUR
Les Jeux de Séoul sont l’occasion de retrouver un duel entre les deux blocs qui ne
s’était plus tenu depuis 1976, suite aux boycotts des Jeux de Moscou et Los Angeles.
L’amélioration des relations entre les blocs, à l’initiative de la politique de Gorbatchev,
n’empêche pas le combat pour la suprématie sportive.
En fait, trois matchs se déroulent aux Jeux depuis le milieu des années 60 : la lutte
entre les champions des deux blocs que sont les Etats-Unis et l’Union soviétique ; le
duel fratricide entre les représentants des deux Allemagne d’autant plus symbolique
qu’ils sont issus d’un même peuple et que le plus fort peut justifier la victoire par son
système politico-économique; la rivalité entre les pays alliés de ces puissances, les
pays de la CAEM contre les pays de l’Europe occidentale notamment.
Pour mesurer la performance réelle, il faut aller au-delà d’un simple décompte des
médailles fait dans la presse. Il faut étudier la participation et les résultats au travers
des finalistes (les huit premiers de chaque épreuve qui reçoivent un diplôme officiel du
CIO) et du rendement, soit le rapport entre les athlètes participants et les finalistes.
La participation traduit une hiérarchisation sportive claire dans le bloc
La participation s’analyse au travers du nombre de sports et d’épreuves pratiqués
(237 épreuves réparties dans 24 sports aux Jeux de Séoul), ainsi qu’au travers de
l’investissement dans les épreuves féminines (30,4% du total des épreuves).
A la veille de l’éclatement du bloc de l’Est, il n’existe pas de partage net des
sports ou des épreuves entre les différents pays. Le sport n’a pas donné lieu à la même
organisation que l’économie. La participation s’explique principalement en fonction de
la tradition sportive de certains pays, de leur poids démographique (la probabilité de
détecter un talent est d’autant plus grande que la taille de la population est importante),
de leur niveau de développement économique et du poids attribué au sport dans la
politique et la diplomatie du pays. La féminisation de la délégation correspond, elle,
à une stratégie élaborée qui est en accord avec les préceptes du communisme (égalité
des sexes).
La participation des différents pays du bloc de l’Est montre des niveaux d’implication
différents (tableau 1). L’Union soviétique remplit totalement son rôle de leader du bloc
en étant présente dans tous les sports (seul pays avec les Etats-Unis à être capable
de le faire) et en couvrant 92% des épreuves. Son taux de féminisation n’est que très
légèrement supérieur à la moyenne, tout simplement parce qu’elle est présente presque
partout.
La Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie couvrent encore les trois quarts des
sports et de 57 à 41% des épreuves. La féminisation est beaucoup plus faible notamment
pour les deux premiers pays.
La RDA, la Bulgarie et la Roumanie ont une participation plus limitée en terme
de sport (15 et 10) mais les investissent plus systématiquement puisque la RDA est
présente dans 66% des épreuves et la Bulgarie dans 48%. Ces pays présentent des
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Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
taux de féminisation beaucoup plus poussés (38 à 48% la moyenne des délégations
se situant à 30%).
Enfin, la Yougoslavie développe un comportement différent avec une participation
et un taux de féminisation beaucoup plus faible (29 et 22% respectivement). Le
positionnement sportif de la Yougoslavie dans l’ensemble du bloc de l’Est est similaire
à son positionnement politique, Tito ayant pris ses distances de l’Union soviétique
très rapidement après guerre.
Les pays du bloc de l’Est sont fortement présents en athlétisme, natation et
gymnastique qui sont les principaux sports des Jeux, mais aussi dans les sports de
force et de combat (haltérophilie, lutte, boxe, judo, tir, escrime) ainsi que dans l’aviron
et le canoë-kayak.
Leur présence est nettement plus limitée en équitation, en voile ou en tennis de
table par exemple. Ces sports cadrent moins avec les objectifs politiques et l’image
recherchée pour les sportifs de ces pays.
La féminisation dans l’athlétisme : une stratégie construite pour contrer l’Ouest
L’athlétisme est la vitrine sportive des Jeux. Le combat fait donc rage entre les
Etats-Unis et le Royaume-Uni qui qualifient des athlètes dans quasiment toutes les
épreuves (USA 117, GBR 108 sur 118 athlètes possibles) et le bloc de l’Est. A noter
que l’Allemagne de l’Ouest est très en retrait dans ce sport (seulement 18 qualifiés).
Pour les pays de l’Est l’enjeu est de taille car les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont des
nations traditionnellement très fortes dans ce sport. Ils font donc porter leurs efforts
sur certaines disciplines et laissent le champ libre aux Occidentaux sur d’autres : la
présence est faible dans le sprint et dans une moindre mesure dans le demi-fond,
en revanche ils sont très présents en marche, dans les lancers et les sauts (tradition
sportive) et surtout, ils investissent beaucoup plus dans l’athlétisme féminin. L’exemple
des Wunder Mädchen est éclatant en 1988 : l’Allemagne de l’Est présente un seul
sprinteur en 100 m et aucun en 200 m alors qu’elle aligne trois sprinteuses en 100 et
en 200 m. Les délégations de la Bulgarie, de la Pologne, de la Roumanie, de l’URSS et
de l’Allemagne de l’Est présentent une forte dissymétrie en faveur de la représentation
féminine, les deux dernières formant les bataillons les plus nombreux. Cette stratégie
se révèle payante lors du décompte des finalistes et des médaillés.
Des résultats liés à un taux de rendement exceptionnel
Le taux de rendement des athlètes différencie le sport de l’Est de celui de
l’Ouest (Tableau 2). En effet, la participation (c’est-à-dire la capacité à qualifier ses
athlètes aux Jeux) est globalement équilibrée entre les deux blocs : les deux grands
sont les seuls capables de détecter et former des athlètes dans tous les sports. Les
pays satellites qualifient leurs athlètes de façon quasi proportionnelle à leur taille et
puissance économique avec toutefois, pour les pays du bloc de l’Est, une distorsion
liée à l’implication plus ou moins forte du régime politique (à l’image de la RDA ou
de la Bulgarie). En revanche, quand il s’agit d’analyser la performance, le bloc de
l’Est se détache irrémédiablement et laisse son concurrent loin derrière. Un sportif
soviétique ou est-allemand arrive en moyenne deux fois sur trois en finale quand un
sportif américain ou ouest-allemand ne l’atteint que quatre fois sur dix.
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Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
Les matchs Etats-Unis/Union soviétique, Allemagne de l’Ouest/Allemagne de l’Est
et pays alliés tournent tous à l’avantage des pays de l’Est avec un écart qui est presque
constant dans les trois cas de figure (entre 15 et 20 points !). En d’autres termes, le
modèle sportif socialiste sort largement vainqueur de sa confrontation avec le modèle
libéral et répond donc parfaitement au but qu’on lui a fixé : légitimer le socialisme.
Toutefois dans les pays du pacte de Varsovie de nets écarts apparaissent entre
la Bulgarie, la Pologne, la Roumanie et la Hongrie qui sont en conformité avec le
modèle de leur « grand frère » (entre 42% et 34% de chance d’aller en finale) et la
Tchécoslovaquie et la Yougoslavie qui présentent des rendements proches des pays de
l’Ouest (28 et 26% respectivement contre 24% pour le Royaume-Uni et la France).
Dans certains sports, les rendements sont proprement stupéfiants (tableau 2).
L’aviron et le canoë-kayak présentent des configurations où les équipages de plusieurs
pays de l’Est arrivent systématiquement en finale, les nageuses est-allemandes sont
toutes des finalistes, les gymnastes roumaines aussi, …
L’analyse par sport fait ressortir fortement un élément fondamental de la stratégie
des pays de l’Est pour s’imposer : ils ont misé sur le sport féminin, le taux de réussite
étant toujours très largement supérieur à celui des pays de l’Ouest et fréquemment à
celui de leurs homologues masculins.
Un succès sportif produit d’un système politique
L’obtention de tels rendements est le fruit d’une stratégie planifiée et repose sur
le fait que le sport était un élément important voire essentiel de la politique extérieure
des pays du bloc de l’Est. La RDA a toujours affirmé le rôle politique du sport de haut
niveau comme moyen de briser le monopole de représentation du peuple allemand exercé
par la RFA, ses athlètes étant des « diplomates en survêtement » (Hurtebize C., 1999).
Au-delà de la reconnaissance institutionnelle, qui fut utilisée très tôt, la performance
est devenue l’objet central du combat entre les deux blocs. Le succès sportif traduit
ainsi la domination du pays et plus globalement du régime politique de celui-ci.
Pour arriver à ce succès, l’Union soviétique a mis en place un système sportif basé
sur la pratique de masse et la détection précoce des athlètes, puis sur une formation
de grande qualité (les entraîneurs du bloc de l’Est sont toujours recherchés pour leurs
compétences) et enfin sur une systématisation du dopage. Elle a aussi choisi sciemment
de s’investir dans le sport féminin où la concurrence était plus faible. Il faut noter que
l’Allemagne de l’Est s’est inspirée de l’exemple soviétique et l’a perfectionné et que les
autres démocraties populaires s’en sont plus ou moins largement inspirées.
Depuis la chute du mur de Berlin, de nombreuses révélations ont permis de faire
la lumière sur les pratiques illicites des pays du bloc de l’Est. Instrumentalisé par le
pouvoir politique, le sport n’était qu’un des moyens de la lutte que se livraient les deux
blocs. Les récents témoignages côté américain montrent que ceux-ci n’étaient pas en
reste, mais de ce côté de l’Atlantique il ne s’agissait pas d’une politique systématique
implémentée par l’Etat même si le Comité national olympique américain a clairement
couvert de nombreuses irrégularités.
En 1988, le bloc de l’Est présente des caractéristiques sportives communes qui
n’empêchent pas toutefois de classer les différents pays dans des catégories diversifiées.
L’Union soviétique est une superpuissance sportive capable de présenter des athlètes
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Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
dans quasiment toutes les épreuves et de les emmener en finale avec un rendement
impressionnant. La stratégie de féminisation est un peu moins prononcée que pour
d’autres pays tout simplement parce qu’elle est capable d’investir le sport masculin plus
concurrentiel. L’Allemagne de l’Est a parfait le système de l’Union soviétique ce qui
lui permet d’être une véritable puissance sportive alors qu’elle n’est qu’une puissance
moyenne quand on s’intéresse à d’autres indicateurs. Elle a misé sa stratégie sur une
spécialisation plus poussée à la fois parce qu’elle s’attaque à moins de sports et parce
que la féminisation de la délégation est élevée. La Bulgarie et la Roumanie sont dans
la même logique que l’Allemagne de l’Est mais avec une spécialisation encore plus
forte traduisant des « moyens » beaucoup plus limités. Leur rendement est plus faible
mais reste très élevé pour des puissances sportives de cette taille.
La Hongrie et la Pologne se distinguent par leur capacité à être présentes dans
beaucoup de sports avec de bons rendements mais en ne s’appuyant pas sur le sport
féminin. Elles s’éloignent déjà plus du modèle de l’Union soviétique. La Tchécoslovaquie
présente plutôt un compromis avec un nombre de sports relativement important, une
féminisation assez développée mais un rendement médiocre. Enfin, la Yougoslavie se
démarque avec une participation faible (avec un investissement sur les sports collectifs
élevé) une féminisation faible et des rendements médiocres. Son non alignement
politique se retrouve en quelque sorte dans le sport aussi. Les efforts consacrés par les
pays à la « lutte sportive » sont ainsi proportionnels à leur implication dans le système
d’alliance avec le grand frère soviétique.
LES JEUX D’ATHÈNES (2004), QUE RESTE-T-IL DU SPORT SOVIETIQUE ?
L’effondrement de l’Empire soviétique est brutal et a de profondes répercussions
sur le monde sportif. L’arrivée de nombreux nouveaux pays (14) sur la scène sportive
internationale est le premier effet de l’éclatement de l’Union soviétique. Il est suivi par
l’implosion de la Yougoslavie (4 nouveaux pays) et la scission de la Tchécoslovaquie.
La reconnaissance auprès du CIO sera dès lors un enjeu de politique internationale
comme on l’a souligné précédemment.
On passe donc d’un bloc constitué de huit pays à un nouvel ensemble de vingt-cinq
pays qui ne sont plus unis par un même système d’alliance et par une même idéologie,
même si l’on n’efface pas d’un coup un destin partagé pendant une quarantaine
d’années.
Observer, quatre olympiades plus tard, la présence et les résultats de ces pays aux
Jeux permet de dresser un bilan et les perspectives du sport dans ces pays. Ce laps de
temps était nécessaire pour voir éclore de nouveaux athlètes issus non pas de l’ancien
système sportif mais « produits » par les pays et pour évaluer leurs stratégies.
L’analyse doit toutefois se faire en fonction des bouleversements qu’ont subis ces
pays. D’un côté, nous traiterons des pays qui n’ont pas connu de bouleversements
territoriaux, de l’autre de ceux qui sont apparus récemment, l’Allemagne étant un cas
à part avec la réunification des deux Allemagne.
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Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
Une participation en forte hausse
La comparaison de la participation entre 1988 et 2004 doit intégrer l’évolution qu’a
connue le programme olympique. Quatre nouveaux sports sont entrés au programme
(badminton, baseball et son pendant féminin, le softball, taekwondo, triathlon), des
disciplines sont apparues (beach volley ou gymnastique rythmique et sportive) et le
nombre d’épreuves est passé de 237 à 301. Les sports déjà présents au programme
se sont féminisés soit en intégrant de nouvelles épreuves qui étaient déjà dans le
programme masculin comme en athlétisme soit en s’ouvrant à la pratique féminine
comme en judo ou en lutte.
Globalement, la participation des athlètes issus des pays de l’ex-bloc de l’Est est
en forte augmentation : ils pesaient 19,5% du total en 1988, ils en représentent 24,5%
en 2004 sans compter les athlètes allemands (tableau 3 et figure 4).
Cette évolution cache toutefois deux tendances opposées :
- Pour les pays qui n’ont pas subi d’évolution territoriale, la participation en chiffre
brut (moins d’athlètes présents en 2004 qu’en 1988) ou en chiffre relatif (poids de la
délégation dans le total en 2004 inférieur à celui de 1988) est globalement en baisse.
Ainsi, en 1988, la Bulgarie inscrivait 186 athlètes dans les épreuves, ils ne sont plus
que 98 en 2004. La Hongrie est dans un cas de figure un peu moins catastrophique, la
Roumanie arrive juste à maintenir le même nombre d’inscrits, seule la Pologne aligne
un peu plus d’inscrits en 2004;
- Pour les pays issus de l’éclatement, la participation globale est en forte hausse.
Ce phénomène s’explique principalement par la démultiplication du nombre de
pays. En 1988, l’Union soviétique ne pouvait présenter que trois athlètes dans les
épreuves d’athlétisme ou un seul boxeur par catégorie de poids. En 2004, l’Ukraine,
la Biélorussie, le Kazakhstan ou d’autres républiques sont capables de qualifier
plusieurs athlètes chacun ce qui renforce le poids relatif des pays de l’ex-bloc de l’Est.
Toutefois, l’intensité de l’évolution est très différente entre la Tchécoslovaquie, la
Yougoslavie et l’Union soviétique. La participation de la République tchèque et de la
Slovaquie est légèrement supérieure (multipliée par 1,3), celle des républiques issues
de la Yougoslavie est plus forte (multipliée par 2,5) et pour l’ex-Union soviétique la
progression est impressionnante (multipliée par 4) alors que la Russie amène un peu
moins d’inscrits que l’URSS en 1988.
De nouvelles puissances sportives sont ainsi apparues : l’Ukraine présente plus
d’athlètes inscrits que la délégation britannique, la Biélorussie en a autant que la
Pologne et de nombreuses délégations de taille moyenne se développent comme au
Kazakhstan, en Slovénie ou en Croatie.
- Enfin, l’Allemagne présente une délégation en 2004 qui est stable par rapport à
celle de l’Allemagne de l’Ouest en 1988. L’intégration des athlètes de l’Est a été très
faible et la réunification n’a pas développé une superpuissance sportive.
Un faible degré de féminisation des petites délégations
Alors que la part des épreuves féminines a fortement progressé entre 1988 et
2004 pour s’approcher de la parité, la situation des pays est contrastée. La Roumanie
a maintenu sa forte spécialisation dans le sport féminin et reste le seul exemple dans
116 •
Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
ce nouvel ensemble. La Bulgarie n’est plus aussi fortement spécialisée dans les sports
féminins mais reste comme la Russie un pays où le sport féminin est privilégié. La
Hongrie et la Pologne ont renforcé de façon significative leurs contingents d’athlètes
féminines (figure 3).
Les pays de l’ex-Yougoslavie et de l’ex-Union soviétique présentent une situation
beaucoup plus contrastée.
- Seules l’Ukraine et la Biélorussie ont des délégations féminisées à l’instar de la
Russie. Les délégations des pays baltes et des républiques du Caucase reposent sur
un sport masculin.
- La situation est identique en ex-Yougoslavie, caractérisée par un sport masculin,
seules la Slovénie et la Macédoine ont une légère surreprésentation des sports
féminins.
Le facteur culturel peut difficilement être invoqué pour expliquer cette distribution.
La réaffirmation des particularismes culturels après la disparition d’un régime qui
tentait d’imposer un moule idéologique commun est réelle. Mais qu’y a-t-il de commun
entre la position de la femme dans les pays baltes et dans les républiques musulmanes
d’Asie centrale ? L’explication de cette distribution doit être recherchée dans la taille
des délégations et dans la faiblesse des moyens de ces pays. On l’observe globalement
dans les délégations aux Jeux : le sport de haut niveau est tout d’abord masculin et le
développement du sport féminin se fait dans un second temps.
La participation des républiques de l’ex-Union soviétique 
La Russie est l’héritière directe de l’ancien modèle soviétique. Elle est la seule
à posséder l’assise sportive suffisante pour rester une grande puissance sportive.
Elle est toujours présente dans la plupart des sports (mis à part les sports purement
américains que sont le baseball et le softball et de nouvelles disciplines comme le
beach volley ou le canoë-kayak en eau vive). La Biélorussie et l’Ukraine confirment
leur statut de puissance sportive en étant présentes dans de nombreux sports. Leur
profil se rapproche très fortement de celui de la Russie avec toutefois une capacité
plus faible à se qualifier dans toutes les épreuves. Les pays baltes et les républiques du
Caucase investissent les sports de base (athlétisme, natation) et possèdent chacun une
spécialisation. Les républiques du Caucase sont présentes de façon prononcée dans les
sports de force et de combat (haltérophilie, tir, lutte, judo et boxe), alors que les pays
baltes se retrouvent dans les sports d’eau (aviron, canoë-kayak et voile) et le cyclisme.
Ils sont présents dans les sports de combat mais bien en-deçà de la participation des
républiques du Caucase.
La participation aux nouvelles épreuves : un investissement proportionnel à la
taille
Plus de soixante nouvelles épreuves sont apparues entre 1988 et 2004. Elles
peuvent être classées, pour la plupart, dans deux catégories : nouvelles épreuves
liées à la féminisation d’un sport existant, ou liées à l’introduction d’un sport ou
d’une discipline. Dans le deuxième cas de figure, on peut différencier les sports ou
disciplines suivant leur origine et leur public. D’un côté, le badminton et le taekwondo
s’adressent plutôt au monde asiatique dont ils sont issus ainsi qu’aux pays occidentaux
• 117
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
ayant les moyens de s’y investir. De l’autre, le triathlon, le VTT ou le canoë-kayak
en eau vive attirent les pays occidentaux où ils ont été créés. Ces sports demandent
des moyens financiers plus importants notamment pour développer des conditions
d’entraînement excellentes. Le beach volley, quant à lui, est plutôt tourné vers les
continents américain et européen.
La capacité à investir de nouvelles épreuves par les pays est quasiment proportionnelle
à la taille de la délégation. Seules, la Biélorussie, la Roumanie et l’Ouzbékistan sont
un peu en-dessous et l’Azerbaïdjan un peu au-dessus.
En effet, pour ce qui est des épreuves liées à la féminisation, les pays les investissent
d’autant plus qu’ils sont déjà présents dans les épreuves masculines. Pour les nouveaux
sports, les situations sont plus contrastées. La République tchèque a clairement décidé de
s’investir dans les sports « occidentaux » puisqu’elle est présente dans chacun et de façon
importante. Elle devance la Slovaquie, la Pologne et la Russie. A noter l’investissement
important de tous les pays de l’ex-République yougoslave dans la discipline du canoëkayak en eau vive. Pour le reste quasiment aucun autre pays n’est présent dans ce
créneau. Le badminton ne fait pas non plus recette (présence de la Bulgarie et de la
Russie). Enfin, le taekwondo permet à de petits pays d’être présents.
Des résultats se traduisant par une forte baisse des rendements pour les pays
préexistants
La Roumanie mise à part, tous les autres pays préexistants accusent une forte
baisse de leurs performances, leurs rendements baissant de 8 à 10 points et même
de 20 points pour la Russie (figure 5). Le bloc de l’Est n’est plus dominateur mais
revient à des niveaux proches des pays occidentaux qui ont tendance à améliorer un
peu leur rendement (ils profitent vraisemblablement de la faiblesse relative de leurs
concurrents de l’Est).
Les nouveaux pays apparus présentent des situations plus disparates : les
républiques du Caucase affichent d’excellents rendements (entre 30 et 40%) liés à leur
spécialisation dans les sports de combat, les pays baltes obtiennent des rendements
honorables (15 à 25%), comme la Slovénie et la Croatie, et les petites nations comme
la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine ou la Moldavie, ne prétendent pas au succès :
leur seule présence aux Jeux est déjà un pas important dans leur stratégie.
A noter que l’investissement des nouveaux sports et disciplines n’apporte que
peu de succès alors que celui dans les épreuves liée à la féminisation est d’un bien
meilleur rendement.
Les bouleversements qui ont suivi la chute du bloc de l’Est ont des conséquences
sur le système sportif comme sur tous les autres pans de la société. L’excellence sportive
n’est plus un élément essentiel de la politique extérieure de ces pays et les moyens
consacrés au sport ne sont plus les mêmes. La crise suite au changement de modèle
économique est si forte que les pays ont d’autres préoccupations plus immédiates. Le
maintien d’un haut niveau est même plutôt une réussite.
Toutefois, si ces pays arrivent à amener leurs athlètes à un haut niveau (capacité de
se qualifier pour les Jeux) l’excellence (finalistes et médaillés) est plus dure à atteindre.
La diminution des moyens consacrés au sport, l’exacerbation de la concurrence avec
la montée en puissance de nouveaux pays (Chine, pays occidentaux qui améliorent
118 •
Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
leur rendement, pays africains ou asiatiques sur certains créneaux spécifiques) et la
nouvelle attention portée au dopage expliquent en grande partie la baisse de rendement.
La lutte contre le dopage est plus facile à mener dans le nouveau contexte politique :
accuser frontalement les pays de l’Est de dopage exposait le CIO à un boycott politique
des Jeux alors même que dans les pays occidentaux celui-ci existait aussi. A l’heure
actuelle, la pression économique des sponsors, qui ne peuvent se permettre d’associer
leur image à un champion dopé, et le retrait des Etats sur le champ sportif laisse
une plus grande latitude au CIO pour s’attaquer au dopage. Toutefois, un autre biais
apparaît dans la lutte antidopage : le clivage entre des champions ayant recours aux
derniers produits inventés qui ne sont pas pris et les autres qui n’ont pas les moyens
de se les payer et qui se font prendre plus facilement. A ce titre les Jeux d’Athènes
ont parfaitement illustré la situation : des sportifs issus des ex-pays de l’Est se sont
faits prendre avec des produits relativement anciens alors que les révélations récentes
dans le cadre du scandale BALCO aux USA montre que des athlètes américains ont
pu passer au travers des mailles du filet avec la THG aux Championnat du Monde
d’athlétisme de Paris et sûrement aux Jeux de Sydney.
Des analyses plus approfondies à mener…
Cette première analyse grossière des modifications apparues en quatre olympiades
dans cette région du monde peut être poursuivie dans plusieurs directions.
Dans un premier temps, il s’agit d’analyser les transformations induites dans
toute une série de sports où ces pays étaient présents. L’exemple de la boxe illustre
les bouleversements dans la donne sportive.
En 1988, les pays du bloc de l’Est qualifiaient 49 boxeurs dans 12 catégories de poids.
L’Union soviétique présentait un boxeur dans chaque catégorie. En 2004, 79 boxeurs
issus des pays de l’ex-bloc de l’Est sont sur les rangs pour 11 catégories de poids. Les
républiques issues de l’Union soviétique sont responsables de cette évolution puisqu’elles
cumulent à elles seules 61 boxeurs. De nouveaux concurrents issus d’Azerbaïdjan, du
Kazakhstan, d’Ouzbékistan, d’Ukraine et de Biélorussie complètent une présence
russe toujours forte. En revanche, les boxeurs des pays satellites arrivent en moins
grand nombre : les contingents bulgare, hongrois et polonais sont plus étriqués et les
boxeurs yougoslaves et tchécoslovaques ont carrément disparu.
Les résultats en finale confirment la situation observée pour la participation. En
1988, 29 boxeurs du bloc de l’Est parvenaient en finale, ils sont 37 en 2004, dont 33
uniquement pour les républiques de l’ex-Union soviétique. Les pays satellites n’arrivent
plus à placer qu’une très faible partie de leurs effectifs en finale. On observe ainsi une
complète transformation de la concurrence dans ce sport avec de nouveaux protagonistes
(azéris, kazakhs ou ouzbeks). L’évolution de la boxe allemande est aussi intéressante :
alors que l’Allemagne de l’Est formait d’excellents boxeurs (8 qualifiés et 5 finalistes
en 1988) les résultats en 2004 sont médiocres (5 qualifiés et 2 finalistes).
Dans un second temps, il faut aussi se pencher sur les stratégies mises en place par
les pays. L’Azerbaïdjan offre ainsi une évolution de sa présence aux Jeux qui traduit la
mise en place et le développement d’une stratégie originale. En 1996, pour sa première
apparition, le pays qualifiait une vingtaine d’athlètes dans 8 sports et obtenait 5 finalistes
dans des disciplines de combat (lutte surtout). En 2004, l’Azerbaïdjan a presque doublé
• 119
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
ses inscrits et a surtout triplé le nombre de ses finalistes avec une « percée » en boxe
puisqu’elle obtient 5 finalistes dans ce sport. Le seul nouveau sport dans lequel elle
s’investit est le taekwondo (toujours un sport de combat) où elle obtient un finaliste.
Enfin pour mieux saisir les transformations qui se sont produites dans cet intervalle
de temps, il faut se pencher sur le suivi des athlètes afin de voir comment les pays ont
réussi ou non à gérer la transition notamment pour tous les nouveaux pays qui ont pu
dans un premier temps se reposer sur des athlètes formés par « l’ancien régime » mais
qui doivent former de nouvelles générations.
Pour conclure
Les pays de l’Europe de l’Est sont exemplaires pour mesurer le rôle géopolitique
du sport et de l’Olympisme. La phase de reconnaissance des CNO avant la Révolution
russe, puis après la chute du mur de Berlin qui libère nombre de pays de l’emprise
soviétique, témoigne d’enjeux qui sont plus politiques que sportifs. Le sport apparaît
comme un vecteur de reconnaissance internationale et de renforcement des identités.
L’analyse des résultats sur une longue durée permet ensuite de suivre l’évolution sportive
des pays et la transition entre le modèle soviétique et de nouveaux modèles à inventer
dans un contexte de crise économique pour la plupart de ces pays. Dans ce cadre, les JO
peuvent être perçus comme le théâtre où s’affichent l’inégalité, les rapports de forces et
les hiérarchies économiques et politiques. Ni tout à fait simulacres, ni tout à fait guerres,
les luttes sportives sont devenues des rituels modernes où l’ordre social se donne à
voir et se reproduit en paraissant se dissoudre. Permettant des rencontres réglementées
dans des lieux diversifiés et selon un calendrier préétabli, le Mouvement olympique
vise à l’instauration de pratiques universelles, mais un ordre sportif international s’est
constitué. Celui-ci reste dominé par les pays les plus riches du monde et l’Europe, y
compris l’Europe de l’Est, y maintient sa prépondérance historique.
Tableau 1 : Principaux aramètres décrivant les délégations des pays en 1988
Présence épreuves
Nombre d’inscrits
Féminisation
Rendement
URS
92 %
GDR
66 %
386
36,5 %
63 %
278
40,5 %
62 %
BUL
48 %
ROM
25 %
186
38,5 %
42 %
120
48,5 %
38 %
HUN
57 %
POL
43 %
229
26,0 %
34 %
137
23,5 %
38 %
TCH
41 %
148
36,5 %
28 %
YUG
29 %
85
22,5 %
26 %
USA
96 %
442
35,5 %
42 %
FRG
79 %
314
33,0 %
41 %
GBR
76 %
320
36,5 %
24 %
FRA
69 %
287
31,0 %
24 %
120 •
Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
Tableau 2 : Le rendement des pays dans certains sports en 1988
Sport
Pays
Rendement
Homme
AT
CF
GA
RO
SH
SW
Femme
URS
59
67
GDR
62
76
BUL
27
58
TCH
27
17
USA
43
44
URS
78
100
GDR
100
100
HUN
78
100
BUL
60
100
USA
44
67
URS
100
100
GDR
75
67
ROM
25
92
BUL
44
42
USA
0
50
URS
75
86
GDR
100
72
ROM
100
100
BUL
100
100
USA
75
43
URS
52
75
GDR
28
75
HUN
40
13
TCH
27
17
USA
29
13
URS
67
41
GDR
60
96
HUN
39
40
BUL
0
46
USA
64
79
• 121
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
Tableau 3 : Principaux paramètres décrivant les délégations des pays en 2004
Nombre
d’inscrits
Féminisation
Rendement
98
41 %
34 %
BUL
BUL
30 %
HUN
HUN
45 %
170
43 %
28 %
POL
POL
41 %
159
36 %
28 %
ROM
ROM
28 %
114
52 %
42 %
TCH
CZE
33 %
130
41 %
19 %
SVK
18 %
65
22 %
18 %
BIH
4%
11
18 %
0%
YUG
URS
CRO
19 %
63
35 %
17 %
MKD
5%
14
43 %
0%
SCG
13 %
40
22 %
17 %
SLO
23 %
77
40 %
13 %
RUS
77 %
380
44 %
43 %
BLR
37 %
147
41 %
30 %
MDA
10 %
33
21 %
6%
UKR
56 %
228
43 %
34 %
EST
11 %
40
27 %
15 %
LAT
11 %
38
29 %
24 %
LTU
15 %
50
30 %
22 %
ARM
6%
19
10 %
42 %
AZE
12 %
38
18 %
42 %
GEO
11 %
33
21 %
30 %
KAZ
30 %
101
32 %
27 %
KGZ
11 %
32
25 %
3%
TJK
3%
9
45 %
22 %
TKM
3%
10
30 %
10 %
UZB
24 %
73
29 %
14 %
GER
72 %
337
40 %
41 %
USA
84 %
430
42 %
46 %
FRA
62 %
277
39 %
35 %
GBR
53 %
230
42 %
38 %
GER
122 •
Présence
épreuves
Figure 1 : Participation et reconnaissance des pays du bloc de l’Est au cours du XXe siècle
Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
• 123
Figure 2 : Evolution de
l’Europe politique et
olympique
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
124 •
Figure 3 : La féminisation des délégations en 1988 et 2004
Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
• 125
Figure 4 : Evolution de la participation entre 1988 et 2004
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
126 •
Figure 5 : Evolution des rendements des délégations entre 1988 et 2004
Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
• 127
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
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• 129
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