Depuis la chute du mur de Berlin et la fin de l`URSS, l`empire russe

• 107
Depuis la chute du mur de Berlin et la n de l’URSS, lempire russe ne cesse de se
rétrécir et les nouveaux pays issus du bloc soviétique recherchent une reconnaissance
internationale. Dans cette perspective, la phase de création des Comités nationaux
olympiques (CNO) a souvent été une partie plus politique que sportive. Les nouvelles
entités ont essayé dobtenir une reconnaissance immédiate au travers de leur
appartenance au mouvement sportif, ce qui souligne, si besoin était, limportance du
sport comme vecteur dimages et comme support de stratégies géopolitiques.
Au-delà de létape de reconnaissance, nous assistons à la recomposition du paysage
sportif depuis la chute du mur. D’un bloc dominateur dans les années 80, dans lequel
on pouvait déjà distinguer des capacités différentes et des stratégies diversiées, nous
sommes passés à une situation plus complexe avec lapparition de nouvelles puissances
sportives (l’Ukraine par exemple), le déclin d’autres (la Bulgarie ou la Hongrie) et la mise
en place de nouvelles stratégies (Azerbaïdjan ou Slovénie). Léclatement du bloc a mis
à jour une diversication des stratégies sportives pour les pays qui en faisaient partie.
Il a aussi modié fortement la participation et les résultats au niveau mondial.
Analyser lévolution des pays de l’Europe orientale pose toutefois un premier
problème de dénition de lespace à retenir. Avant 1988, l’appartenance à un système
dalliance politique (dont le pacte de Varsovie) et la mise sous tutelle par la puissance
soviétique facilitent la délimitation. En revanche après léclatement du bloc, la
délimitation est moins simple et les conséquences de la transition sont ts différentes
selon que ces pays ont subi ou non des modications territoriales. On peut alors
rassembler les pays de l’Europe de l’Est concernés en plusieurs groupes : d’abord
les pays qui nont pas subi d’évolutions territoriales (Pologne, Roumanie, Hongrie,
Bulgarie). Ensuite, les pays qui ont été partagés : paration de la Tchécoslovaquie
les pays de l’europe de l’est et l’olympIsme
partIcIpatIons et performances avant et après 1989
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
108
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
(République tchèque et Slovaquie), éclatement de la Yougoslavie (Slovénie, Croatie,
Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Serbie et Monténégro) et désintégration de l’URSS.
Pour les pays composant lex-URSS (les pays baltes (Estonie, Lituanie et Lettonie), la
Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie), leur appartenance à l’Europe orientale ne fait
pas de doute. Pour le reste de lempire soviétique, les républiques du Caucase (Arménie,
Géorgie et Azerbaïdjan) sont intégrées à l’Europe de l’Est à la fois par les institutions
politiques (comme le Conseil de l’Europe) et par les institutions sportives, le Comité
olympique international (CIO) les ayant classées dans les CNO européens. En revanche,
le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et le Turkménistan font
partie du monde asiatique, mais nous les intégrerons dans notre analyse lorsquil s’agira
de comparer la participation et les résultats de lentité Union soviétique.
Pour comprendre les nouvelles congurations des pays de l’Est face à l’Olympisme,
il convient dabord de rappeler la complexité de l’histoire géopolitique sportive de cette
région. Lanalyse des résultats aux Jeux de 1988 à Séoul, qui précède la chute du mur
de Berlin, et ceux de 2004 à Athènes souligne ensuite les profondes modications dans
la zone concere. Au niveau de la participation, l’afux de nouveaux pays, héritiers
d’un système sportif puissant, a fortement modié la donne. De nouveaux concurrents
sont apparus pour les autres pays, ce phénomène étant massif dans certains sports.
Au niveau de la performance, la n du système sportif soviétique a vu la disparition
de lexception sportive du sport communiste. Les performances des athlètes de l’Est
se sont nivelées pour atteindre au mieux celles de ceux de l’Ouest. A lévidence, on
assiste à de nouveaux enjeux et les pays de l’Europe de l’Est semblent exemplaires
pour mesurer le rôle géopolitique du sport et de l’Olympisme.
l’olympIsme et les alÉas de la reconnaIssance des pays de l’est
Le survol de l’histoire de l’Olympisme à partir de lespace de référence des pays
de l’Est permet de noter lévolution du rôle attribué au sport et à la présence aux Jeux
olympiques en fonction des conjonctures politiques. Quatre temps historiques se sont
succédés, le temps l’Olympisme reste aux marges de la politique internationale,
celui des enjeux de lentre-deux-guerres, celui de la guerre froide et enn celui de la
reconnaissance des pays après la n de l’URSS.
L’Olympisme aux marges de la politique internationale (1896-1918)
Le mouvement sportif et le mouvement olympique se sont dabord organisés à partir
dinitiatives privées et associatives. Le sport, encore faiblement développé et oppo
aux courants de la gymnastique, ne parvient que progressivement à s’imposer dans les
relations internationales. Les premiers pays qui adhèrent aux CIO sont essentiellement
européens et l’Empire austro-hongrois montre déjà une dualité entre l’existence d’une
structure politique et d’une représentation sportive : Autriche et Hongrie participent
dès 1896, la Bohême en 1900, la Yougoslavie en 1912 alors quelles font toutes partie
du même empire (Figure 1). La Finlande est aussi dans ce cas puisque, constituée en
grand duché faisant partie de l’Empire russe, elle afrme son indépendance vis-à-vis
de Moscou dans sa représentation sportive (CNO créé et reconnu en 1907, présente
aux JO de 1908 et 1912).
• 109
Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
Ces situations sont soutenues par Pierre de Coubertin qui afrme quil peut exister
une « géographie sportive » différente de la « géographie politique ». Le novateur de
l’Olympisme utilise lexpression dans une lettre adressée en 1911 à l’éditeur du journal
sportif viennois « Allgemeine Sportzeitung » pour rappeler que la géographie sportive
ne doit pas se plier aux règles de la géographie politique et qu’ainsi, l’Olympisme
peut tracer sa propre carte du monde (Krebs, 2002). Il sagit alors de favoriser la
participation aux JO de régions non-souveraines sur le plan politique, mais disposant
d’une structure sportive autonome, ce qui permet dappliquer la règle « All games,
all nations », précisant quune nation n’est pas nécessairement un Etat indépendant.
Ce choix de la reconnaissance des « nations » a offert au mouvement olympique une
marge de manœuvre relative dans les relations internationales, marge qui s’érode dans
les mutations politiques de lentre-deux-guerres.
Les enjeux politiques de lentre-deux-guerres (1919-1945)
La première guerre mondiale entraîne une série de bouleversements territoriaux
qui remodèlent l’Europe centrale et orientale (Traité de Versailles, de Saint-Germain
et du Trianon) (Figure 2). Le dépeçage de l’Empire austro-hongrois favorise la création
de nouveaux pays indépendants (Hongrie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie), la Pologne
réapparaît au détriment de lAllemagne et de l’Union soviétique, et enn, conséquence
de la révolution russe, les pays baltes et la Finlande se libèrent de la tutelle russe.
Les pays qui navaient pas de CNO ne manquent pas loccasion den créer dès leur
indépendance (Pologne, Yougoslavie) ou quelques temps après pour les pays baltes
(Estonie présente dès 1920, Lituanie et Lettonie en 1924). Le temps de la géographie
sportive indépendante de la politique est passé et une nouvelle ère commence le
sport ne fait pas léconomie des enjeux politiques. Ces enjeux instrumentalisent le sport
à trois niveaux : celui de lexclusion des rencontres, celui de lopposition politique en
URSS et enn celui de la propagande fasciste en Italie et en Allemagne.
La question de l’exclusion se pose pour les Jeux d’Anvers en 1920 lAllemagne,
lAutriche et la Hongrie ne sont pas représentées. Le contexte d’après guerre contredit
la position prise par Coubertin dix ans plus tôt à propos des Jeux de Stockholm :
« Le programme des Jeux Olympiques de Stockholm nest nullement dénitif encore
et il nappartient nullement au comité suédois de xer la liste des pays qui sont
admis à participer aux Jeux Olympiques » (Coubertin, 1932, p. 72). LAllemagne est
encore exclue des JO de Paris et Chamonix en 1924 et ne retrouve sa place quaux JO
dAmsterdam en 1928.
Au-delà des exclusions, le CIO est confronté aux conséquences de la Révolution
russe. Durant la guerre civile, les Russes blancs, puis la orgie, l’Arménie et
lAzerbaïdjan déclarent leur indépendance au printemps 1918, mais la reprise en main
par l’URSS est effective en 1923. A cette date, le CIO reçoit la demande du prince
russe on Ouroussof, représentant les Russes blancs réfugiés, de reconnaître trois
équipes « russes » : celle de Moscou, celle des Russes émigrés et celle des Arméniens.
Ts vite, l’URSS soppose à l’Olympisme et favorise les organisations sportives
ouvrières ayant pour objectif la lutte contre le capitalisme et les bourgeoisies qui le
soutiennent. Le CIO est présenté comme un « ramassis d’aristocrates et de bourgeois »,
prônant sous couvert d’universalisme, le libéralisme et le colonialisme, et utilisant le
110
Jean-Pierre AUGUSTIN & Pascal GILLON
sport comme un « opium du peuple » pour maintenir la paix sociale. L’URSS combat
donc l’Olympisme en tentant d’unier un sport prolétarien à l’échelle mondiale. Elle
boycotte les organisations sportives internationales et leurs compétitions et, bien
r, nadhère pas au CIO. Elle développe des structures paralles (Internationale du
Sport rouge fondée en 1921) et organise ses propres compétitions et notamment les
premières Spartakiades en 1928.
La question de lutilisation du sport et de lOlympisme comme moyen de propagande
safrme en Italie le sport d’Etat vise à encadrer la population. Les sultats aux JO
de Los Angeles en 1932, comme la victoire de la Coupe du monde de football en 1934,
servent à afrmer la supériorité du régime fasciste. LAllemagne hitlérienne sengage
dans la même perspective en détournant les Jeux de Berlin à son prot et en valorisant
les sultats qui symbolisent la supériorité du régime nazi. Paradoxalement, alors que
les pratiques se multiplient, les idéaux de paix et d’égalité piétinent et le mouvement
olympique sort meurtri des deux conits mondiaux. Laprès-guerre ne simplie pas
les relations internationales puisque la « guerre froide » résultant du partage du monde
de Yalta a des répercussions directes sur l’Europe de l’Est.
La guerre froide et la constitution densembles géopolitiques sportifs (1946-1989)
Comme après la première guerre mondiale, l’Allemagne est frappée d’exclusion
aux Jeux de Londres en 1948. Au plan territorial, le CIO enregistre la disparition
des pays baltes qui sont incorporés à l’Union soviétique. Le glacis soviétique est
en formation et se traduit par la mise en place du CAEM (Conseil d’Assistance
économique) et du Pacte de Varsovie. Les lendemains de guerre instaurent donc un
nouvel ordre international. L’URSS sort renforcée d’un conit qui lui permet d’asseoir
son emprise sur l’Europe de l’Est, mais aussi de partir à la conquête idéologique du
monde. La guerre de Corée, puis celle du Vietnam auxquelles sajoutent de multiples
conits dans les pays du tiers monde exacerbent la guerre froide et se répercutent sur
le terrain olympique. Rivale politique et économique des Etats-Unis, l’URSS participe
désormais aux instances internationales; elle réussit son entrée aux Jeux olympiques
d’Helsinki en 1952 où elle se classe en deuxième position derrière les Etats-Unis pour
le nombre de médailles obtenues.
La nouveauté vient donc de la participation de l’URSS qui a choisi ouvertement
de se mesurer avec les pays capitalistes sur le domaine symbolique du sport. Elle y
afrme ses valeurs d’égalité des hommes et des femmes qui dominent dès 1952 les
épreuves d’athlétisme. Aucune analyse ne peut faire l’économie de la période deux
modèles d’organisation du sport s’opposent : celui des Etats-Unis est fondé sur une
vision libérale du sport l’Etat intervient peu et spectacle et loisirs sont dominants;
celui de l’URSS est inscrit dans une vision étatique initiée par le Comité central du
parti communiste. Organisé à partir des structures militaires, scolaires, universitaires
et civiles, il est au service des théories idéologiques du pays. Accomplissant un effort
dinfrastructures sportives, l’Etat soviétique a favorisé l’émergence d’un sport de
masse à partir des collectivités rurales et urbaines, le nombre des sociétés sportives a
été multiplié par trois et celui des licenciés par dix entre 1946 et 1975. Pour favoriser
lémulation entre les publiques soviétiques, le régime utilise les Spartakiades
saffrontent les sportifs de l’Est. A la fois mouvement de masse et mouvement de
• 111
Les pays de l’Europe de l’Est et l’Olympisme : participations et performances avant et après 1989
sélection des élites, ces jeux régionaux, qui précèdent les JO, constituent un laboratoire
de propagande et d’observation pour les dirigeants du sport soviétique. Il a enn
renforcé une spécialisation de certains pays du pacte de Varsovie dans des « créneaux
sportifs » an d’optimiser les conquêtes de médailles.
Dans ce match Est-Ouest, l’arme du boycott est utilisée par les deux blocs en
1980 à Moscou et en 1984 à Los Angeles, même si les blocs ne présentent pas une
homogénéité absolue : pour l’Est, la Roumanie et la Yougoslavie font bande à part, cette
dernière restant dèle à sa stratégie de non-alignement. Lapogée de cette compétition
se conrme aux Jeux de Séoul en 1988 où l’URSS et lAllemagne de l’Est devancent
les Etats-Unis au niveau des performances.
Après 1989, l’Olympisme est un outil de reconnaissance des pays de l’Est
La disparition brutale du bloc de l’Est entraîne une recomposition de l’Europe
centrale et orientale avec comme conséquence l’éclatement de l’Union soviétique, de la
Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie. Dans la course à la reconnaissance internationale
des nouveaux pays, le président du CIO, habile diplomate, choisit de suivre les décisions
de l’ONU tout en conservant une étroite marge de liberté. Le rappel des créations des
CNO pour les nouveaux pays souligne encore le rôle conféré à l’Olympisme par les
nations. Ainsi, pour l’ensemble soviétique, quelques pays créent leur comité avant
que leur indépendance ne soit déclarée ou reconnue ofciellement (Russie en 1989,
Arménie, Kazakhstan et Turkménistan en 1990). D’autres pays créent leur CNO juste
après la déclaration dindépendance. Seuls lAzerbaïdjan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan
organisent leur comité seulement un an après leur indépendance. Les pays baltes, quant
à eux, demandent la réactivation des CNO reconnus dans les anes 1920.
Le coup d’Etat tenté contre Gorbatchev le 19 août 1991 donne le coup denvoi
des déclarations dindépendance des républiques : en dix jours, dix républiques
proclament leur indépendance et en décembre pratiquement toutes les républiques se
sont parées de la Russie. Le CIO voit donc arriver des demandes de reconnaissance
pour participer aux Jeux de 1992. Seuls les pays baltes obtiennent gain de cause, et
les autres républiques doivent intégrer une équipe uniée.
La situation est aussi complexe pour la Yougoslavie : la Slovénie (décembre 1990)
et la Croatie (juin 1991) déclarent leur indépendance et créent leur CNO en 1991. La
Macédoine (septembre 1991) et la Bosnie-Herzégovine (mars 1992) se séparent de la
Yougoslavie à leur tour. Le CIO reconnaît les comités de Croatie, de Slovénie et de
Bosnie-Herzégovine à titre provisoire ce qui leur permet d’apparaître sur la scène
internationale aux Jeux de Barcelone, ces trois pays ayant été reconnus par l’ONU en
mai 1992. Le traitement réserà la Yougoslavie (Serbie-Monténégro) est différent
puisque, admise aux Jeux d’hiver en 1992 aux côtés de la Croatie et de la Slovénie, elle
est exclue aux Jeux d’été suite à l’embargo décrété par le Conseil de sécurité de l’ONU
le 30 mai 1992. Le CIO admet cependant les athlètes yougoslaves à titre individuel,
mais sans droit au délé, au drapeau et à l’hymne de leur pays.
Le rappel de la complexité opolitique sportive des pays de l’Est autour d’un siècle
d’Olympisme souligne combien la reconnaissance par les institutions internationales
semble décisive pour afrmer sa place dans le concert des nations et participer à la
cérémonie planétaire des JO. Ce rappel doit être complété par lanalyse des performances
1 / 23 100%

Depuis la chute du mur de Berlin et la fin de l`URSS, l`empire russe

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !