Le commensalisme de
Pierre-Joseph Van Beneden à
Maurice Caullery:
lémergence de la zoologie expérimentale
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Résumé
Le commensalisme est un type dassociation entre deux espèces dié-
rentes. Dans cette association, à la diérence du parasitisme ou du mutua-
lisme, lune des espèces apporte un avantage à lautre alors quelle ne reçoit en
retour ni avantage, ni désavantage. Dans le parasitisme, il y a un désavantage
pour une espèce, alors que dans le mutualisme, les deux espèces obtiennent
un avantage l’une de l’autre. Cette distinction est établie dans la seconde moi-
tié du dix-neuvième siècle par le zoologiste belge Pierre-Joseph Van Beneden
(-). Maurice Caullery (-) va, en particulier dans un ouvrage
publié en , reprendre ce concept de commensalisme. Nous proposons ici
une étude des diérences de ce concept entre les deux scientiques à un demi-
siècle d’intervalle an de prouver lémergence de la zoologie expérimentale.
Revue des Questions Scientiques, ,  (-) : -

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Abstract:
Commensalism is a kind of association between two dierent species. In
this association, contrary to mutualism or parasitism, one of the two species
gives an advantage to the other one. e other one doesn’t give any advantage
or disadvantage to the specic one. In the association called parasitism, one
species destroy the second species. In the association called mutualism, the
two species give advantage to each other. is study had been performed by
Pierre-Joseph Van Beneden (-) in the middle of the nineteeth cen-
tury. In , the French biologist Maurice Caullery (-) will put
forward the concept of commensalism. We would like to explain the dier-
ences between the commensalism of Van Beneden and the commensalism of
Caullery in order to prove the emergence of experimental zoology
Introduction
«Nous verrons que ces considérations sont tout à fait applicables aux
Ascidies composées, et que ce ne sont pas les parasites qui font défaut non plus
que les espèces rivales, et celles qui pratiquent ce que M. Van Beneden a ap-
pelé le commensalisme dans le règne animal.». Alfred Giard (-),
dans son article sur les Ascidies, publié dans le premier numéro des Archives
de zoologie expérimentale et générale en , donne déjà la paterni du
concept de commensalisme à Pierre-Joseph Van Beneden (-). Ce
dernier, zoologiste belge, ayant étudié auprès de Cuvier, va publier un ouvrage
important il reprend les diérents types dassociation entre espèces. Cet
ouvrage est intitulé: Les commensaux et les parasites dans le règne animal. Il est
composé de trois livres: le livre premier concerne le commensalisme avec une
distinction entre les commensaux libres et les commensaux xes ; le livre deux
évoque les mutualistes ; quant au dernier livre, il décrit les parasites. Son ou-
vrage paraît en pour la première édition, une autre édition est produite
en , sans changement dans le texte, ni dans les illustrations. Voici la dé-
nition du commensalisme donnée par Van Beneden dans cet ouvrage: « Le
commensal est celui qui est reçu à la table de son voisin pour partager avec lui
le produit de la che; il faudrait créer un nom pour désigner celui qui ré-
clame de son voisin une simple place à son bord, et qui ne demande pas le
. M. C, op. cit., .
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
partage des vivres. Le commensal ne vit pas aux dépens de son hôte: tout ce
quil désire, c’est un gîte ou son superu ; le parasite sinstalle temporairement
ou dénitivement chez son voisin ; de gou de force, il exige de lui le vivre
et très souvent le logement. Mais la limite précise où le commensalisme com-
mence n’est pas toujours facile à discerner. Il y a des animaux qui ne sont
commensaux qu’à une certaine époque de leur vie et qui pourvoient à leur
entretien pendant les autres époques ; d’autres ne sont commensaux que dans
certaines circonstances données et ne méritent point cette qualication dans
les temps ordinaires.». Si cette idée, établie par Van Beneden, est reprise,
même avant louvrage de , par dautres scientiques comme Giard, nous
pouvons nous demander s’il s’agit dun concept pérenne au sein de la zoologie.
À cet eet, l’étude de louvrage de Maurice Caullery (-): le parasi-
tisme et la symbiose, paru pour sa première édition en , et en  pour la
réédition, va nous permettre de savoir quelle est lévolution du concept de
commensalisme entre la seconde moitié du dix-neuvième siècle et la première
moitié du vingtième siècle. Quelles sont ainsi les diérences entre le commen-
salisme de Van Beneden et le commensalisme vu par Caullery? Ces diérences
peuvent-elles rendre compte de l’émergence dune zoologie expérimentale à
l’instar du développement dune nouvelle médecine «expérimentale» à la n
des années ?
1) Comparaison entre le commensalisme établi par Maurice Caullery
en 1922 et en 1950 et celui de Van Beneden établi en 1875: entre
rupture et continuité.
Quatre points vont être abordés pour présenter le caractère de continuité
dune part, puis de rupture dautre part du commensalisme vu par Caullery
par rapport à Van Beneden. Nous utiliserons essentiellement les deux éditions
du parasitisme et la symbiose de Maurice Caullery de  et de .
Le premier point est un élément de continuité entre le commensalisme
de Caullery et celui de Van Beneden. Il s’agit tout simplement du caractère
«dhéritier» des travaux de Caullery par rapport à son aîné. Le biologiste
l’indique dans sa préface: «Je noublie pas que cet ouvrage a eu, en langue
française, des devanciers, en particulier le livre de P. J. Van Beneden Com-
mensaux et Parasites, (dans la Bibliothèque scientique internationale). En le
. P.-J. VB, Les commensaux et les parasites dans le règne animal, Baillière, Paris,
, p..

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lisant, aujourdhui encore, on est frappé de létendue et de la solidide sa
documentation zoologique. L’importance quallaient prendre diverses ques-
tions, à peine ébauchées lors de son apparition, y est comme pressentie et elles
sont notées, malgré linsigniance qu’elles avaient alors.».
La dénition du commensalisme donnée reste proche, sur le fond, de la
dénition de . Caullery va mettre en exergue le commensalisme, par rap-
port au parasitisme: «Le parasitisme peut être déni [par] la condition de vie
normale et nécessaire dun organisme qui se nourrit aux dépens dun autre
-appelé lhôte sans le détruire, comme le fait le prédateur à légard de sa
proie. À la vérité, il y a toutes les transitions entre les deux régimes. Pour vivre
régulièrement de lhôte, le parasite sauf cas exceptionnels vit en contact
permanent avec lui, soit sur sa surface extérieure, soit à son intérieur. Le para-
sitisme se manifeste donc comme une association généralement continue
entre deux organismes diérents, dont lun vit aux dépens de lautre. []
Mais on peut concevoir et il existe en fait, des associations nayant pas le
même caractère unilatéral: deux espèces vivant régulièrement associées, sans
que l’une vive de l’autre. Lune pourra réaliser ainsi des avantages particuliers
pour sa protection ou sa nutrition, sans que lautre en trouve déquivalents.
Ces associations on été groupées sous le nom de commensalisme.». Caullery
reprend ici, comme dans la dénition de Van Beneden, le système avantage-
désavantage entre deux espèces diérentes. Deux caractères particuliers sont
à noter : dune part concernant lavantage, dans les deux dénitions, il
concerne essentiellement la nutrition, et dautre part, la description physique
de la relation (le commensal se trouve à l’intérieur ou à la surface de lte).
Ces deux caractères sont déjà présents chez Van Beneden, et illustrent la mé-
thodologie employée pour expliciter la notion de commensalisme. Il s’agit
principalement dune approche descriptive des commensaux retrouvés au sein
de diverses espèces (en particulier en zoologie marine pour Van Beneden,
mais aussi pour Caullery), espèces trouvées lors des retours de pêche, ou dans
les stations marines de l’époque, ainsi que lors des expéditions scientiques.
En parallèle de ce premier point de continuité entre Caullery et Van
Beneden, le deuxième point aborde la pluralité des exemples, très précis don-
nés par Van Beneden s puis par Caullery en . Dans sa préface,
Caullery évoque à propos de Van Beneden «la solidité de sa documentation
. M. C, Le parasitisme et la symbiose, , Doin, Paris, p.-.
. M. C, op. cit.,, p.-.
   -     

zoologique.» Ce point est essentiel, car il prouve la rigueur intellectuelle avec
laquelle Van Beneden va utiliser le concept de commensalisme. Cette rigueur
sera soutenue et suivie dans lapproche de Maurice Caullery. Dans louvrage
de , uniquement dans le chapitre des commensaux libres, nous estimons
à plus de cent trente le nombre dexemples dassociations données. Il s’agit
exclusivement dassociations de zoologie marine. Il s’agit notamment chez les
tes des Pagures, avec Eupagurus Prideauxii, des Actinies, des Éponges, des
Baleines, Baudroie, Annélides, Astéries, Holothuries, Tuniciers. Les com-
mensaux xes sont représentés en moins grand nombre. Pour chaque associa-
tion, Van Beneden donne lte, le ou les commensaux, mais aussi la référence
(s’il s’agit dune observation faite lors dune expédition, ou une publication,
comme par exemple les travaux dAlferd Giard sur les Tuniciers.). Caullery, en
, reprend cette rigueur dans létude du commensalisme, en donnant des
exemples nombreux du commensalisme, en mentionnant lte, le ou les
commensaux et les références (bibliographiques). Si les références bibliogra-
phiques sont tout à fait postérieures à celles de Van Beneden partir des
années  jusquen environ), les exemples de Van Beneden restent
pertinents. Les commensaux des Pagures sont déjà étudiés chez Van Beneden,
Caullery approfondit notamment l’exemple connu de Nereilepas fucata.
Si, en , Caullery illustre, avec la même rigueur que Van Beneden le
concept de commensalisme, en , lors de la réédition de son ouvrage, le
biologiste ne fera pas de modications signicatives dans la partie sur le com-
mensalisme (trois premiers chapitres). Il ajoute une référence en entomologie:
«Ce travail en a dailleurs inspiré dautres du même ordre et, récemment en-
core, R. Hardouin a étudié même le Peuplement entomologique du Rosier.».
Toujours dans le premier chapitre sur le commensalisme, Caullery ajoute une
observation et un schéma sur les pagures et un commensal Nereilepas fucata:
«Ces particularités ont été récemment vériées par G. orson de façon très
élégante et précise. Il a réussi à faire accepter par les deux partenaires de
fausses coquilles en verre, lon peut suivre exactement tout le comporte-
ment de lAnnélide, particulièrement en lumière rouge, qui équivaut à peu
près à léclairement de lhabitat naturel.». Il ajoute un mot sur la notion
. Voir sur cet exemple signicatif des enjeux du concept de commensalisme: B. P,
Le commensalisme , un concept controversé: l’exemple de Nereis fucata, Bull. mens. Soc.
linn. Lyon, ,  (-):  – .
. M. C, Le parasitisme et la symbiose, , p.-.
. M. C, op. cit.,, p..
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