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200 ans de recherches scientifiques
La méiose : diviser pour mieux se multiplier
Edouard Van Beneden passionné des questions autour de la formation de l’œuf, de la
fécondation et des premières étapes du développement de l’embryon, découvre en 1883
le processus de, ce qu’on appellera plus tard, la méiose.
Quand 1+1=3 ou plus, la loi de la nature fait un pied de nez aux mathématiques. Les espèces
qui peuplent notre planète ont inventé, au fil de l’évolution, diverses manières d’y parvenir.
Pour un grand nombre d’entre elles, tout commence par la fécondation. Un spermatozoïde
pénètre dans un ovule et leurs noyaux fusionnent pour former la première cellule du nouvel
individu en devenir. Les processus qui permettent de produire les gamètes mâles et femelles,
la fusion de leurs noyaux ou encore le développement de l’embryon sont bien connus
aujourd’hui. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Il n’ y a pas si longtemps, au début du 19ème
siècle, les scientifiques ignoraient comment l’œuf ou l’ovocyte d’une femelle entreprenait ces
transformations qui mènent au développement d’un être vivant. « Au milieu du 19ème siècle,
il y a une explosion du savoir dans le domaine de la cytologie, l’étude de la cellule. C’est à
ce moment que Theodor Schwann élabore la théorie cellulaire » explique Vincent Geenen,
Professeur d’embryologie à l’ULg. « Et cela va influencer des tas de domaines dont l’embryologie,
c’est-à-dire le développement d’individus à partir d’un œuf unique chez toutes les espèces
animales ». A l’époque Karl Ernst von Baer, biologiste germano-balte, a décrit le développement
de l’embryon à partir de trois feuillets : l’endoderme, le mésoderme et l’ectoderme. Les cellules
qui constituent chaque feuillet ont des destinées spécifiques différentes. De son côté, Ernst
Haeckel, biologiste allemand et darwiniste
convaincu, constate que toutes les espèces
Gastrula
animales passent par un stade commun : la
gastrula. « Haeckel dit que à ce stade, on ne peut Embryon résultant de la gastrulation au cours
distinguer une espèce d’une autre bien que à la de laquelle se forment dans le bon ordre
base leurs œufs ont des tailles très différentes et les trois feuillets (ectoderme, mesoderme,
endoderme) qui le constitutent.
que les individus adultes ont des morphologies
bien distinctes», poursuit Vincent Geenen.
La fécondation par contact ou pénétration ?
Edouard Van Beneden, fils d’un paléontologue et passionné de sciences naturelles, brille
dès son arrivée dans la sphère scientifique. Particulièrement intéressé par la maturation de
l’ovocyte, par la fécondation et les premières étapes du développement embryonnaire, il se
plonge dans ces questions dès le début de sa carrière scientifique, à 20 ans. Il utilise le lapin
comme animal modèle et réalise ses observations au microscope. « A cette période, le lapin
est l’animal le plus commun utilisé pour les expériences, c’est le modèle en vogue, comme
l’est aujourd’hui la drosophile ou le poisson zèbre », explique le Professeur d’embryologie. A
24 ans, alors qu’il occupe un poste de Chargé de cours de zoologie et d’anatomie comparée à
l’ULg, Edouard Van Beneden écrit un premier manuscrit reprenant le fruit de ses observations.
Il sera publié en 1875 (1). « Dans ce manuscrit, il se cantonne à des observations et se refuse
à toutes réflexions », souligne Vincent Geenen. Il y décrit notamment qu’il y a deux noyaux
dans l’ovocyte avant que celui-ci commence à
se transformer. Il s’agit de deux pronucléi. « La
seule hypothèse que Edouard Van Beneden émet
dans ce manuscrit c’est que ces deux pronucléi
présents dans l’ovocyte pourraient fusionner mais
il ne le démontre pas », reprend le scientifique. «
C’est Oscar Hertwig qui le démontrera plus tard,
en 1876, à partir d’observation d’œufs d’oursins
». Ce qu’on appelle avant cela fécondation
repose sur la « théorie du contact ». En effet,
les scientifiques pensent que c’est le contact
entre un spermatozoïde et un ovule qui entraîne
les premières étapes de développement de
l’embryon, sans que le spermatozoïde ne pénètre
dans l’ovule. Dans son manuscrit de 1874,
Edouard Van Beneden relate également que,
après le contact entre spermatozoïde et ovule,
l’œuf s’installe dans l’utérus et commence, ce qu’il
appelle alors, sa « fragmentation ». « Aujourd’hui
on parle de segmentation », précise Vincent
Geenen. « Il décrit que l’œuf donne deux cellules
filles, puis quatre etc. » Toujours dans cette étape
de segmentation, Edouard Van Beneden va aussi
mentionner l’apparition d’un blastopore, une
structure fondamentale pour la mise en place des
trois feuillets qui constituent l’embryon. Toutes
ces observations, ce « Mozart de la science » les
réalise à l’aide de techniques de microscopie et
de coloration qui sont en plein essor.
Pronucleus
structure cellulaire correspondant à chacun
des deux noyaux, l’un provenant du spermatozoïde, l’autre de l’ovule, qui sont les deux gamètes mâle et femelle, permettant la création
de l’œuf fécondé, évoluant (normalement) vers
l’embryon, le fœtus, et enfin le nouveau-né.
Blastopore
Lors de l’embryogenèse animale, au cours de
la gastrulation, et au moment où s’invagine le
pôle végétatif de la cœloblastula, il se produit
une ouverture : c’est le blastopore. Celui-ci
donne accès à la cavité archentérique située
dans le sac invaginé, ébauche du tube digestif.
La destinée du blastopore permet d’identifier
deux grandes coupures chez les animaux à
symétrie bilatérale. Dans une première série, le
blastopore de la gastrula deviendra la bouche
de l’adulte ; jamais il ne participera à la formation
de l’anus qui s’édifiera ultérieurement. Ce
caractère définit les protostomiens (némertes,
némathelminthes, annélides, mollusques).
Dans un deuxième groupe, le blastopore de la
gastrula donnera l’anus ou marquera sa place
; la bouche correspond à une néo-formation.
Ce caractère définit les deutérostomiens
(échinodermes, stomocordés, pogonophores,
tuniciers, céphalocordés, vertébrés).
En haut, Planches XI et XII : Différents moments de la pénétration du spermatozoïde.
En bas, Planches XIV-XV: Début de la formation du fuseau au centre.
Réduire le matériel génétique de moitié
Edouard Van Beneden devient Professeur ordinaire à 28 ans à l’ULg. Après avoir utilisé le
lapin comme animal modèle, il se tourne alors vers l’Ascaris (Ascaris lumbrocoides) , un vers
parasite de l’intestin humain ou d’animaux carnivores. « Son père travaillait beaucoup sur
les vers intestinaux et Edouard Van Beneden avait remarqué que l’Ascaris a de très grands
spermatozoïdes », explique Vincent Geenen. « Il s’est probablement dit que cela pourrait lui
permettre de régler la question de savoir si oui ou non les spermatozoïdes pénètrent dans les
ovocytes ». En 1883, le chercheur publie un ouvrage de plus de 470 pages (2) qui rassemble
les résultats de ses travaux de recherche dans trois domaines : la maturation de l’œuf, la
fécondation et les premières étapes de la segmentation. Parmi les découvertes qu’il y expose, il
démontre cette fois la pénétration du spermatozoïde à l’intérieur de l’ovocyte, et précise que le
pronucleus mâle se loge au centre de l’ovocyte tandis que le pronucléus de ce dernier est localisé
en périphérie. « Il y dit cependant que ces deux pronuclei ne se confondent jamais… ». Mais
dans cet ouvrage c’est surtout son travail sur l’ovogenèse qui va retenir l’attention du monde
scientifique. « Grâce à la coloration de ce qu’il
Globule polaire
appelle les « anses chromatiques », il montre
que l’ovocyte élimine des globules polaires qui
Deux ou trois petites cellules formées au
contiennent le même matériel génétique qui se
cours de la méiose de l’ovocyte.
trouve au sein du pronucleus femelle », indique
Vincent Geenen. « Il avance dès lors l’hypothèse que ces globules polaires permettent de réduire
de moitié le matériel génétique contenu dans l’ovocyte. Il jette ainsi la base des connaissances
sur le processus de méiose qui sera baptisé ainsi en 1905 ». Ses dessins sont tellement précis
qu’on y voit très nettement la description la plus élaborée de ce qui deviendra le méiose. C’est
lui qui avance pour la première fois l ‘idée d’une réduction de moitié du matériel génétique
grâce à un processus qui est très clairement différent de la mitose classique. Si on appelle
aujourd’hui les anses chromatiques des chromosomes, nous avons gardé le terme de globule
polaire introduit à cette époque par Edouard Van Beneden.
Premières observations du centrosome
Ce processus de l’ovogenèse au cours duquel il y a la formation de globules polaires pour
réduire de moitié le matériel génétique est un des phénomènes les plus importants de la
formation de l’œuf. « On observe également
ce processus dans le monde végétal », reprend
Centrosome
Vincent Geenen. Au cours de ses observations,
Centre cellulaire organisateur des
Edouard Van Beneden fait une autre découverte :
microtubules
« il parle de petits points qui apparaissent et pense
qu’ils jouent un rôle important dans la division de
Microtubules
l’œuf ». Ces petits points dont il parle sont ce que
Theodor Boveri, un biologiste allemand, décrira
fibres constitutives du cytosquelette
et appellera en 1888 le centrosome, le centre
de la cellule
organisateur des microtubules de la cellule.
On l’aura compris, la contribution d’Edouard Van Beneden au savoir dans le domaine de la
biologie est immense, et difficilement résumable tant par son ampleur que par les liens de son
travail avec les autres grandes figures scientifiques de l’époque. Il a fait de l’ULg une université
à la pointe dans le domaine de l’embryologie, notamment de l’embryologie comparée, et a
laissé en héritage une école de zoologie et d’embryologie. « Aujourd’hui, l’embryologie étant
surtout une science descriptive, elle a fait place à la biologie du développement qui a recours
aux techniques de biologie moléculaire », indique Vincent Geenen. « Nous travaillons avec
d’autres modèles, tel que le poisson zèbre qui est l’animal modèle le plus perfectionné pour
les analyses moléculaires et génétiques que nous réalisons dans ce domaine ». Les travaux
d’Edouard Van Beneden ont été récompensés à de nombreuses reprises au cours de sa
carrière (voir encadré). L’éminent scientifique décède à 74 ans, en 1910, sur son lit de camp
installé dans son bureau de l’Institut de Zoologie. Tel un capitaine à bord de son navire qui
gardera le cap à travers les siècles.
La Planche XIXbis est une des plus célèbres planches des travaux d’E. Van Beneden.
Toutes les figures ont été dessinées d’après préparations à l’alcool puis colorées par le carmin
boracique (1/12e de Zeiss).
> Figures 1 à 8 : Expulsion du second globule polaire et maturation des pronuclei mâle et femelle.
> Figures 9 à 13 : Stade de pelotonnement.
> Figures 14 et 15 : Formation des 4 anses chromatiques primaires [chromosomes].
> Figures 16 à 26 : Disposition diverses des anses chromatiques primaires dans le plan équatorial.
> Figure 23 : Le disque montre un long cordon chromatique supplémentaire.
(1) La maturation de l’oeuf, la fécondation et les premières phases du développement embryonnaire
des Mammifères, d’après des recherches faites chez le Lapin, Bulletins de l’Académie Royale des
Sciences de Belgique. Vol. 40, p. 646, 1875 .
(2) Recherches sur la maturation de l’œuf, la fécondation, et la division cellulaire. Gand, Leipzig &
Paris, Librairie Clemm & G. Masson, 1883.
Edouard Van Beneden (1846-1910)
Édouard Van Beneden est né à Louvain le 5 mars 1846
et est décédé à Liège le 28 avril 1910. Son père, PierreJoseph Van Beneden (1809-1894), zoologiste et professeur
à l’Université de Louvain, fonda à Ostende en 1843 la
première station de recherches marines au monde.
Tiraillé entre sciences naturelles et sciences appliquées, le
jeune Edouard est fasciné par l’observation au microscope
de vers parasites étudiés par son père, ce qui le décide
à choisir les sciences naturelles. Devenu Docteur en
Sciences Naturelles avec la plus grande distinction à 21
ans, il décroche un an plus tard le premier prix et une
médaille d’or de l’Académie royale pour sa réponse à la
question « Faire connaître la composition anatomique de
l’œuf dans les différentes classes du règne animal, son
mode de développement et la signification des différentes
parties qui le constitue ». Sa réponse est simple mais
géniale : tout œuf est une seule cellule composée d’un
noyau, d’un protoplasme et d’une enveloppe.
A partir de ce moment, Edouard Van Beneden est connu et reconnu pour ses idées et travaux sur
l’ovogenèse, la fécondation et l’embryogenèse. Il défend également des idées nouvelles à l’époque. Il
écrira par exemple que rien de ce qui vit ne prend naissance par génération spontanée.
En 1868 et 1869, le jeune chercheur voyage beaucoup en Europe grâce aux contacts de son père et de
son ami, Theodor Schwann, Professeur à l’ULg.
A 24 ans, Edouard Van Beneden se voit proposer un poste de Chargé de cours de zoologie et
d’anatomie comparée à l’ULg. Lors de ses leçons données pendant 90 minutes sans aucune note,
il fascine ses élèves. Il coupe les ponts avec le fixisme que prône notamment son père. A l’image
du voyage entrepris par Charles Darwin sur le Beagle, Edouard Van Beneden met les voiles vers
l’Amérique centrale en 1872. Au cours de ce périple il découvre une nouvelle espèce de dauphin :
Sotalia brasilensis.
De retour à Liège en 1873, il crée son laboratoire et les Archives de Biologie. Ses recherches
concernent principalement trois grands volets : la recherche sur les animaux marins - dans la lignée
des travaux de son père-, la recherche sur l’ovogenèse et l’embryogenèse des mammifères d’une part
et du vers modèle Ascaris d’autre part.
En 1874, il publie le fruit de ses recherche faites chez le lapin. Cette même année, il devient
Professeur ordinaire à l’ULg à 28 ans !
Edouard Van Beneden développe ensuite sa réflexion sur le processus de fécondation : si la
fécondation nécessite la fusion de deux noyaux, il y a forcément un mécanisme qui permet de diviser
par deux le capital génétique de chaque œuf. Ce processus par lequel le nombre de chromosomes
est divisé par deux lors de la formation des gamètes sera plus tard appelé méiose. En 1883, Edouard
Van Beneden publie un ouvrage essentiel sur la fécondation et la division cellulaire à partir de ses
observations sur les œufs d’Ascaris.
Il a fait de l’ULg une université à la pointe dans le domaine de l’embryologie, notamment de
l’embryologie comparée, et a laissé en héritage une école de zoologie et d’embryologie. Les travaux
d’Edouard Van Beneden ont été récompensés à de nombreuses reprises au cours de sa carrière.
L’éminent scientifique décède à 74 ans, en 1910, sur son lit de camp installé dans son bureau de
l’Institut de Zoologie qu’il avait fondé.
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