III. Les étapes de la construction de l’Etat occidental moderne A- La construction de centres politiques La construction de centres politiques a été nécessaire pour rendre compte des trajectoires différenciées des Etats occidentaux. Il faut rendre compte des singularités historiques et sociologiques de ces Etats européens. Néanmoins, on peut se mettre d’accord sur le fait que les Etats modernes sont issus de la société féodale. 1. Qu’est ce que la féodalité ? On peut insiste sur toutes une série de coïncidences qui seraient à la base de l’Etat. La dynamique européenne de la construction de l’Etat est du à la composition de deux éléments fondamentaux : la fragmentation du pouvoir politique et économique au sein de la société féodal et l’intégration de ces réseaux de pouvoirs fragmentés au sein du Christianisme. La féodalité se caractérise par l’éclatement de l’autorité publique et la multiplication des relations d’hommes à hommes. La société féodale est une organisation spécifique du pouvoir politique. L’Angleterre et un certains royaumes chrétiens d’Espagne ont connu la féodalité. L’idée est que pour raffermir leur pouvoir, les Carolingiens vont concéder le bénéfice d’une terre à des nobles en échange de leur fidélité et de leurs services armés. Ils disposaient alors des vassaux loyaux. Les vassaux pouvaient à leur tour concéder une partie de leur terre selon les mêmes principes. Se met en place sur la base du serment vassalique, la société féodale. En contrepartie du contrat vassalique, il s’agit pour le vassal d’accomplir une obligation de service militaire pour son seigneur. Le principe de la vassalité permettait une hausse du niveau de vie des vassaux. Se développe dans toute la partie occidentale de l’Europe, ce système d’organisation du pouvoir. Sur le plan intérieur, les Carolingiens ont cru qu’ils pouvaient ainsi renforcer leur pouvoir sur un territoire extrêmement étendu. Les Carolingiens incitent à construire une société pyramidale. Il en va de même pour le clergé pour développer un maillage dans l’ensemble du territoire. Sur le plan extérieur, la sécurité est la préoccupation fondamentale des hommes libres. On est dans une période troublée par les incursions barbares qui nécessitent des forces armées considérables pour lutter contre ces incursions (Hongrie, Normands). Charles le Chauve impose en 865 de se lier à un seigneur, les vassaux obtiennent des pouvoirs locaux et des pouvoirs de justice (délégation du ban). Les bénéfices devaient revenir à la mort du vassal à celui qui les avait concédés. Mais progressivement, il devient coutume que son vassal puisse transmettre son bénéfice à son fils. Le fait de transmettre le bénéfice au fils était une manière de consolider les liens avec le seigneur. Le système évolue d’une féodalité de bénéfice à une féodalité de fief. Les vassaux deviennent les propriétaires de plein droit de leurs fiefs. Les fiefs deviennent même héréditaires de leurs charges avec l’ordonnance de 877 dans le capitulaire de Quierzy de Charles le Chauve. Le vassal avait des devoirs envers le roi, mais aussi envers le seigneur. Le serment se fait vers le seigneur et plus envers le roi. Les vassaux royaux vont aussi s’autonomiser par rapport au pouvoir royal. Par le biais de la suprématie du contrat vassalique, la féodalité va progressivement diluer le pouvoir politique. Cette société féodale va se développer autour de cinq caractéristiques : - l’indifférenciation sociale au principe de cette organisation sociale : le seigneur gère son domaine : secteurs judiciaire, religieux, politique et économique autonomes. - la fragmentation du pouvoir politique et de la souveraineté : elle est la conséquence de la patrimonialité des fiefs. Les seigneurs apparaissent et disparaissent au gré des conquêtes, des mariages. Il n’existe aucun centre politique de sorte que le système féodal se construit autour de communauté cellulaire. Les relations se construisent au niveau local. - la faiblesse du roi : ses ressources sont extrêmement faibles et il évolue au milieu de concurrents qui sont ses égaux dans son pouvoir politique et économique. Le roi ne possède pas d’ascendants hiérarchiques sur ces concurrents. Les concurrents sont en Angleterre environ 160 grandes magna. Au XIIe siècle, ces seigneurs sont des quasi équivalents de ce centre politique. Le roi s’appuie sur un embryon de bureaucratie, mais il dépend aussi d’une Eglise qui est transnationale. Son autorité militaire et judiciaire est morcelée entre ses vassaux. - la fragmentation du pouvoir économique : cette économie est très décentralisée autour des villages. Kriesi dit que cette économie agricole est extrêmement novatrice et se caractérise par des innovations techniques (la charrue, le fer à cheval et l’attelage). Cela permet le développement de l’économie agricole. - le christianisme : le christianisme constitue l’organe principal de régulation social et politique. Dans ce monde fragmenté, cette religion assure une certaine unité culturelle, car il lui offre une langue commune (latin). Ce christianisme est un élément de stabilisation contraire de l’institutionnalisation. Le christianisme permet sans doute d’organiser des procédures. Les paix de Dieu forment une sorte de codification de la guerre et contribuent à empêcher les affrontements systématiques entre seigneurs. Mais ces paix de Dieu restent éphémères dans cette société féodale. L’Etat supplée à la faiblesse du roi. Les jeux d’alliance et les hasards de la descendance jouent un rôle important dans la centralisation du pouvoir. On assiste à l’élimination des maisons des concurrents, des unités politiques les moins importantes. La taille des unités politiques tend à s’accroitre. Autour de centre royaux des territoires tendent à s’unifier. Un mécanisme de monopolisation du pouvoir se met en place, constitution progressive d’Etat sous la forme d’Etat absolu. Ceci est le modèle de Norbert Elias. La constitution du royaume de France du XIIe au XVIe siècle s’appuie comme modèle de la construction de l’Etat moderne occidental. Les Capétiens sont en concurrence. Ce sont les grandes maisons qui rentrent en concurrence comme les maisons du Maine, de Blois, de Normandie, de Flandres et sans doute les comtes de Plantagenêt d’Anjou vont prendre possession de l’Angleterre et de l’Aquitaine au XIIe siècle et menacent les rois de France jusqu’au XIVe siècle. Norbert Elias pense que si les Capétiens n’avaient pas réussis, le pouvoir central aurait été accaparé par une autre famille représentant une autre région de France, une autre maison. Il n’y pas de processus inéluctable. Le titre du roi assure le soutien de l’Eglise et donc d’une certaine bureaucratie ecclésiastique. Le succès du roi est du à un facteur économique, indépendant de la puissance royale elle-même. On est dans une période d’essor économique, qui permet le développement de l’agriculture et l’apparition d’une nouvelle clase urbaine, de bourgeois qui vont offrir des auxiliaires à la monarchie. Les rois de France vont s’appuyer auprès des clercs, puis sur une partie de cette avant-garde bourgeoise, recrutée pour leurs aptitudes à la gestion du domaine. Cet essor tend à remettre en cause une contestation de la noblesse. La dernière étape de cette centralisation de pouvoir est la dernière bataille que vont livrés les rois de Frances aux maisons concurrentes. Cette fois ci, on n’est plus entre rivaux du même roi. Les adversaires du roi sont alors des proches parents du roi, voire des héritiers. Tous les concurrents jouent pour s’attribuer la couronne royale. Ce centre politique finit par détruire les derniers restent du système féodal. Norbert Elias dit qu’on a un processus de monopolisation du pouvoir autour de centres politiques, mais à aucun moment les acteurs impliqués dans ce jeu de concurrence n’avait pour ambition de créer l’Etat moderne. Mais l’Etat absolu est le résultat de l’ensemble des interactions de ces différents seigneurs. Le résultat de ces nombreuses actions était un résultat non voulu (voir la définition de la sociologie de Max Weber). Cet Etat absolu s’est imposé contre des modèles alternatifs moins centralisés. Les luttes entre les princes en Europe centrale ne conduisent pas à la construction de royaume et notamment cette retranscription des territoires. On a un maintient face à la prétention des empereurs du Saint Empire sur un territoire extrêmement large. L’une des faiblesses aura été le manque de ressource financière. On considère que la tentative d’un centre politique aura été celle des Habsbourg (Charles Quint). Ce dernier possédait des ressources formidables, avec l’Espagne, l’Italie du Nord, mais ces possessions avaient la caractéristique d’être extrêmement étendu et discontinu sur le plan géographique. Ce centre n’a pu se faire car il n’a pas réussi à faire une administration indépendante, centralisatrice, et une armée. La taille de l’unité politique est un facteur extrêmement décisif pour constituer un Etat. Ainsi on considère que très largement, l’Angleterre avait des dimensions relativement réduites. Elle aurait rempli objectivement les conditions pour optimiser la perception des impôts et la construction d’une armée. On a l’émergence de villes avec une bourgeoisie enrichie participant au commerce. Cette sortie de la féodalité dans le centre de l’Europe se fait sans qu’apparaisse un centre politique riche et puissant pour éliminer les différentes seigneuries en concurrence avec ce centre politique. Il n’en va pas de même en Angleterre. Cette sortie de la féodalité est issue de la conquête du territoire par Guillaume de Normandie qui ne l’a pas fait contre les grands seigneurs en place. L’autorité des Normands est directement reconnue, car ils conservent les coutumes anglo saxonnes et ils ont un système d’auto gouvernement sur la base de la bourgeoisie et de la noblesse. Le centre politique va utiliser dès le départ le service des agents non spécialisés. Des notables de province participent au gouvernement du centre au niveau local. Ce mélange permet la constitution de la nation sans recourir à un centre politique de sorte qu’au lieu de vouloir détruire le centre politique, les élites périphériques. La charte de 1215, la magna carta, affirme une opposition au roi, avec une montée en puissance du pouvoir parlementaire. On assiste à l’intégration de cette société civile au centre politique sans qu’il y ait nécessairement des conflits entre le centre politique et la société civile. On a l’hypothèse qu’il existerait une taille optimale pour chaque Etat dans la construction de l’Etat moderne. C’est Norbert Elias qui pose cette hypothèse. C’est l’Angleterre qui aurait la taille optimale alors que le Saint Empire aurait une taille trop grande. Badie reprend cette hypothèse avec l’idée que les souverains doivent disposer d’un espace et d’une taille optimale. L’Etat doit être un espace suffisamment grand pour mobiliser des ressources humaines et matérielles, mais suffisamment petit pour permettre l’exercice relativement facile d’une domination politique. Selon Badie et Elias, l’Angleterre du XIe au XVe siècle correspondrait à cet espace optimal qui consisterait le centre du pouvoir royal et sera une sorte de base où les souverains anglais vont intégrer les provinces (galloises, écossaises, irlandaises) comme périphéries. De l’autre côté, l’Empire des Habsbourg (Autriche, Flandres, Pays Bas, Italie) n’a pas la capacité administrative et est trop limité pour exercer une domination politique sur ce vaste territoire. En 1556, Charles Quint abdique et renonce au pouvoir impérial. Son Empire sera démembré avec d’un côté l’Espagne et la Flandre pour son fils, et de l’autre côté l’Autriche et l’Allemagne du sud. Il apparaît impossible de développer au sein de l’Europe occidental un vaste empire. On peut également noter que ce centre de l’Europe sera durablement marqué par l’impossibilité de construire en son sein des centres étatiques, des Etats relativement consolidés. L’exemple intermédiaire est le cas français avec les rois de France qui vont essayer de contrôler un domaine qui fait 4 ou 5 fois la superficie de l’espace anglais. Ils y sont poussés à cause de la concurrence des seigneurs français. Cette étendue est ouverte à la concurrence et cela va rendre le contrôle du territoire beaucoup plus difficile et coûteux. Une forte pression fiscale va ainsi se développer avec un pouvoir coercitif. L’Etat français doit prendre à sa charge le poids d’un appareil fiscal et militaire beaucoup plus lourd que l’Etat outre manche. L’autorité même de l’Etat en France va se constituer sur la base de la force, plutôt que sur celle d’un processus d’adhésion volontaire caractérisé par le modèle anglais. B- Le temps de l’absolutisme et les différentes formes d’Etats occidentaux L’Etat absolutiste apparaît à partir du XVIe siècle. Perry Anderson définit les origines de cet Etat dans un ouvrage classique, Ses origines et ses voies (1978). Ces Etats se caractérisent par leurs formes centralisées qui se déduisent de l’existence d’une armée puissante et d’une bureaucratie permanente. Elle se caractérise par l’existence d’impôts nationaux et donc du pouvoir fiscal, ainsi qu’une législation codifiée et d’un marché unifié. Un des points importants est que, selon Anderson, l’Etat absolutiste n’aurait jamais été une sorte d’arbitre entre la bourgeoisie et l’aristocratie (thèse d’Elias), mais qu’il faut prendre en compte que l’Etat a été la nouvelle carapace politique d’une noblesse menacée. Ce ne serait pas non plus le défenseur de la bourgeoisie naissante. Cette noblesse se trouve affaiblie. L’Etat absolutiste aurait été investi par la noblesse et la bourgeoisie pour mater les révoltes paysannes et gérées les nombreux mouvements d’exode rural. Anderson développe aussi le fait que la forme que prend cet Etat repose sur la mobilisation à des éléments propres à l’Antiquité et à la féodalité redécouverts au XVIe siècle. Cela s’est fait autour d’une redécouverte de traces de l’antiquité romaine, de villes, l’existence de propriétés libres non soumises, et des règles juridiques sur la propriété. On a une redécouverte de la notion de « souveraineté politique » autour des vestiges romains. Le passé antique permet la venue de l’Etat capitaliste selon Anderson. L’unité européenne de la féodalité expliquerait le développement aux Etats qui sont issus de cette féodalité. Ces caractéristiques communes se situent autour de la concentration progressive du pouvoir. On observe le soutien au roi d’une partie de la noblesse féodale. Selon Anderson, cette noblesse féodale tirerait des avantages autour d’expositions militaires de grandes envergures ou de la concession d’apanage qu’elle reçoit du roi. Une autre caractéristique de cet Etat absolutiste est l’association de grandes familles féodales à l’entreprise royale concernant le financement et la richesse urbaine. Enfin, on a une souveraineté politique monopolisée par le pouvoir royal. L’absolutisme serait un idéal pour les juristes reconstituant la souveraineté politique. Pourtant, il va y avoir un certain nombre de conflits entre les nobles et le pouvoir royal. La noblesse, les nobles sont confrontés à la montée en puissance de la bourgeoisie. La noblesse possède de plus en plus souvent ces postes bureaucratiques et cela au profit des nobles qui sont en partis financés que l’Etat traditionnellement finançait. Les nobles perdent le monopole de la puissance armée, ils perdent également la justice souveraine dans leur territoire. C’est en fait tout le système féodal qui est remis en cause par l’Etat. Dans le même temps, le processus de bureaucratisation de l’Etat central va de pair avec la montée des impôts, imposés par le centre érodant ainsi dans une certaine mesure les clientèles traditionnelles de la noblesse. Cela provoque une série de révolte qui permet aux nobles de mobiliser des hommes de lois, des bourgeois, population soumise au pouvoir royal et des révoltes des nobles qui vont instrumentaliser les populations paysannes ou urbaines contre la monarchie. Ce type de mouvement en France constitue la Fronde (1648-1653), ou encore la révolution napolitaine en Italie qui ont toutes avoir avec ces révoltes nobiliaires contre l’absolutisme royal. Dans le même temps, l’absolutisme va de moins en moins associé les états au pouvoir, ces réunions de différentes classes sociales qui se réunissent pour le vote des impôts. Au XVIIe siècle, progressivement, le roi va abandonner la pratique de ces états qui considère qu’ils n’ont plus à être tenus par ces gens (dernière réunion des états généraux en 1614). En Angleterre, on a une longue pose de 1629 jusqu’au XVIIIe siècle de la réunion de ces états. On assiste à une cassure de plus en plus profonde entre la monarchie et l’aristocratie. Ainsi vont s’expliquer les modes différents de l’absolutisme. En France, le pouvoir absolu se construit entre la rivalité entre bourgeois et aristocrates. En Angleterre, le roi s’impose contre une coalition de nobles. En Espagne, le roi est farouchement opposé à la classe bourgeoise. 1. Le modèle anglais, idéal type de l’Etat atrophié Si l’absolutisme est la forme que prend l’Etat à la fin de la féodalité, ce dernier se diversifie. En Angleterre, on a un pays où l’auto régulation a rendu inutile. Il y a une expérience absolutiste autour des Tudors. Ils sortent vainqueurs des affrontements féodaux. Les Tudors contrôlent la justice locale, et supprime les franchises seigneuriales. Les Tudors établissent une domination tout azimut sur les nobles et les bourgeois. Henri VIII confisque les biens des monastères et Elisabeth Ière développe une marine qui constitue une caractéristique de l’Etat absolutiste. La monarchie absolutiste des Tudors va échouer à construire une armée permanente et va également échouer à établir un monopole fiscal. La pratique des rois par le biais de la vente d’église, par le biais de la multiplication d’office va avoir pour conséquence de renforcer le pouvoir de l’aristocratie, le pouvoir de la bourgeoisie commerçante et du coup le rôle même du parlement britannique au pouvoir royal. On voit ainsi une montée en puissance d’une classe soudée à la place d’un Etat fortement différenciée. Emerge donc une classe sociale où l’Angleterre est une sorte d’establishment et la petite noblesse locale. Cette classe qui dirige la Grande Bretagne rassemble l’aristocratie et la bourgeoisie marchande enrichie par le commerce, et se caractérise par le fait que l’aristocratie anglaise avait le droit de commercer. Cette identité de statut entre la noblesse britannique va faciliter l’osmose entre ces deux classes sociales qui vont dominer le centre et participer au développement de mécanisme de représentation. On peut donc dire qu’en Angleterre, l’Etat a connu un développement minimal et ce serait le développement du capitalisme et du marché qui vont renforcer leur domination sur le centre politique. En Angleterre, ce faible développement du centre politique est marqué par le fait que l’Etat n’est jamais intervenu dans l’économie. En France, c’est l’Etat qui organise le marché, alors qu’en Grande Bretagne c’est la société civile qui organise l’Etat et le marché. La Grande Bretagne est la société la moins mercantiliste et va notamment se développer autour de l’auto régulation de cette société civile allant de pair avec l’atrophie de l’Etat britannique. L’alliance des deux classes consolidées par le développement précoce du capitalisme serait au principe de l’Etat anglais, mais très peu différencié dans sa structure bureaucratique. 2. La France, l’idéal type de l’Etat fort La formation de l’Etat absolu se fait par le renforcement du pouvoir royal. L’Etat en France va surplomber ou tente de surplomber la société civile et tente de la façonner par le biais de sa bureaucratie. Le roi constitue les pouvoirs de son administration autour des baillis et des sénéchaux qui vont avoir pour mission de ronger le pouvoir des autorités traditionnelles périphériques. Néanmoins, cette première tentative va échouer car les agents du pouvoir royal vont gagner leur autonomie en rachetant leurs charges, leurs offices. En 1551, des commissaires pour l’exécution du roi sont crées et chargés d’inspecter les officiers royaux dans les provinces du royaume. Cela va accroitre la centralisation du pouvoir royal. Ces commissaires sont de véritables instruments de l’Etat et sont les premiers vrais fonctionnaires d’Etat. Plus tard, au XVIIe siècle, on voit le démantèlement des provinces en généralités qui préfigurent les départements. Dans chacune de ces généralités, le pouvoir royal place un intendant chargé de la police, de la justice et des finances, qui est en relation directe avec le pouvoir central. On va essayer de définir le statut de toute influence locale. On va interdire à ce personnel de se marier dans la généralité dans laquelle ils sont envoyés. Et on les choisit en dehors de la généralité où ils habitent, pour les affranchir de toute influence locale au profit du seul pouvoir royal. Plus systématiquement, c’est l’autorité des villes qui va être cassé. Au début du XVIIe siècle, Richelieu détruit les châteaux forts. Le pouvoir royal crée une armée permanente en 1726 qui va reprendre aux seigneurs l’usage de la force avec leurs troupes personnelles. On nationalise les régiments des seigneurs. L’armée de Louis XIV compte 300 000 soldats. Pour mieux centraliser le pouvoir, on développe également la politique fiscale. L’Etat français va avoir des rentrées fiscales 4 fois supérieures aux rentrées fiscales anglaises à la même période. L’Etat agit directement dans l’économie sous l’impulsion de Colbert. Colbert octroie des subventions pour la création de manufactures nationales. Pour mener cette politique interventionniste, l’Etat développe une police et prend en main les enseignements et les universités. L’Etat s’autonomise de plus en plus. L’absolutisme royal était d’abord une organisation bureaucratique. Dans une certaine mesure, il faut insister sur le fait que l’Etat lui-même est pénétré par des agents issus des catégories dominantes. La noblesse regagne en partie le pouvoir qu’elle perd par l’affirmation de ce pouvoir royal. Cette administration travaille au nom de l’intérêt général de la sphère publique. Par opposition à l’Angleterre, la société civile est gouvernée par l’Etat qui gouverne cette société et caractérise même le type idéal de l’Etat moderne autour de la domination qu’il exerce sur la société civile. 3. L’Allemagne, un Etat bureaucratique inachevé La Prusse figure parmi les sociétés qui ont connu des trajectoires voisines à celle de la France. Cependant, ils n’ont pas vu un Etat fortement différencié. L’Etat s’est construit sur les ruines du Saint Empire Germanique. Cet Etat est sans doute importé, construit par les princes successifs autour de ces agents de la construction de l’Etat que sont les grands propriétaires fonciers anoblis, les junkers jusqu’au XVIIe siècle. La Prusse se présente comme une sorte d’Etat garnison où l’armée et la police joue le rôle essentiel. La bureaucratie civile est colonisée par les junkers, ces grands seigneurs de la Prusse. Cet Etat ne parviendrait pas à s’autonomiser de l’influence de cette noblesse allemande. On aurait une fusion constante entre la noblesse et l’Etat. Cela caractérise cet Etat et qui sans doute le distinguerait de la trajectoire française. Les landräte sont des équivalents aux intendants français. Mais ces landräte sont directement choisis par la noblesse locale et dépendent de celle-ci. Toutes les forces sont colonisées par la noblesse traditionnelle. Badie et Birnbaum relève que ce modèle se distingue de la trajectoire anglaise et est proche de la trajectoire française en ce qu’elle a engendré un fort interventionnisme au sein de l’économie (création de manufacture royales, système fiscal important, création de grandes écoles techniques). On voit la création de la Baueakademie. L’interventionnisme de l’Etat se fait toujours sous la coupe des junkers. On a une noblesse prussienne qui va avoir tendance à bloquer tout mécanisme de représentations royales. Badie et Birnbaum insistent sur le processus de renforcement de bureaucratie de la noblesse autour du droit administratif allemand. De ce point de vue, ce droit administratif allemand est devenu la filière la plus prestigieuse dans la formation des élites politiques allemandes. La fonction publique va envahir le système politique dans lequel cette fonction publique va être dominante. Fortement représenté, il y a une sorte de fusion entre la fonction publique allemande dominant la sphère politique en Allemagne. 4. En Italie, même processus qu’en Allemagne L’unification italienne s’est faite très tardivement autour du Piémont qui avait lui-même subi une forte influence française. Le Piémont va imposer à l’ensemble de l’Italie ce modèle français en quelque sorte, mais dans son entreprise, il se heurtait à beaucoup de résistance. L’Etat n’est donc pas autonomisé. L’Etat s’est heurté au pouvoir de l’Eglise, qui exerce encore une forte domination politique, il n’y a donc pas de différenciation de l’Etat. On note aussi une forte influence des partis politiques au sein des structures étatiques. Ils sont des chasses gardées dans les structures étatiques. Les partis politiques apparaissent comme de véritables gouvernements parallèles. Les deux mouvements profitent de la faible institutionnalisation de l’Etat italien. Cela est marqué également par le fort clientélisme. Cela rend largement impossible toute rationalisation de l’Etat italien et rend impossible également son émancipation vis-à-vis des intérêts particuliers. 5. Les Etats-Unis, l’Etat inconnu Les Etats-Unis n’ont pas de passé féodal, de sorte que pour se constituer en Nation, les Etats-Unis n’ont pas été obligé d’abolir la société féodale, de lutter contre une aristocratie. La société américaine n’était pas constituée par une multitude de pouvoir autonome, et donc les Etats-Unis n’ont pas eu besoin de développer un Etat fort pour briser les pouvoirs autonomes périphériques. Cette nation américaine a bénéficié des grands principes d’égalité des droits de l’homme avec l’Angleterre. De même qu’en Grande Bretagne, la nation américaine s’est constituée par régulation. Badie et Birnbaum montrent que les Etats- Unis n’ont pas connu une centralisation du pouvoir de même type qu’en Grande Bretagne. Ils ont refusé l’idée de la souveraineté de l’Etat, ils se sont méfiés de tout développement du pouvoir central. Ils ont même refusé le principe de la souveraineté parlementaire. Ce sont des groupes d’élites légitimes qui vont constituer le pouvoir politique. Parmi ces groupes d’élites, on retrouve les élites économiques. Elles vont jouer un rôle considérable et vont envahir la sphère politique. Le personnel politique est composé à plus de 80 % d’individus en relation avec le monde des affaires et des finances. Les agences de l’exécutif sont dominées par ce type de personnel. Badie et Birnbaum insistent sur le fait que l’Etat américain a eu du mal à résister à l’influence de ces individus. Dans le système américain, ils apparaissent comme des organes politiques indépendants. On observe donc une autonomie des Etats fédérés, une fragilité de la bureaucratie centrale et peu autonomisée. Le Pendleton Act datant de 1883 permet la codification de la fonction publique mettant fin au système des dépouilles (spoil system) où le parti vainqueur qui l’emportait, emportait avec lui un ensemble de positions administratives dont les membres étaient recrutés. On avait une très forte dépendance au parti. Ce spoil system traditionnel empêchait toute étatisation. Dans le système italien, on est encore dans un spoil system où les partis politiques fournissent encore ce cadre. On observe une porosité de cette fonction publique italienne. On a un Etat faible avec une domination de la société civile par le biais des partis politiques. Ces bureaucraties plus ou moins autonomes expliquent cette marge de manœuvre des fonctionnaires dans les réformes de l’Etat et de la politique publique. Si on a une administration fortement professionnalisée, on peut mener à bien des politiques publiques centralisées. Un Etat faible comme l’Etat britannique se caractérise par des fonctions publiques faiblement professionnalisés. Mais en Allemagne et en France, ce sont des Etats forts, avec une fonction publique fortement professionnalisée. On observe un interventionnisme étatique dans le domaine économique et social, avec un certain nombre de phénomènes historiques tout particulièrement en ce qui concerne le modèle allemand.