La différence décisive

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RichardAbibon
Ladifférencedécisive
ÀproposdeLaneuvièmeporte,filmdeRomanPolanski.
D’aprèsleromand'ArturoPérez-ReverteLeClubDumas(ElClubDumas)paruen
1993.
Laneuvièmeporte
Dans ce film, Polanski met en scène une recherche de l’infini à travers neuf
gravuresd’unlivreancien.Lelivrelui-mêmeseprésentecommeunmanueld’invocation
satanique, s’intitulant: Les Neuf Portes du royaume des ombres. Boris Balkan, éminent
collectionneur de livres anciens, engage un expert en livres rares, Dean Corso (Johnny
Depp),afinquecedernierluidénichelesdeuxderniersexemplairesdecelivre.Telun
détective privé, il enquête. Son parcours se jalonne vite de cadavres. Visiblement,
quelqu'unneveutpasquecestroisexemplairessoientrassemblés.Àchaquefoisqu’ilen
dénicheun,celui-ciseretrouvelaproiedesflammes.Àchaquefois,ilaquandmêmeeu
le temps de repérer que les gravures ne sont pas toujours du même auteur. Lorsque
l’auteur est différent, l’image présente une légère différence d’avec la gravure
correspondantedesautreslivres.Etdansuncoinentoutpetit,lalouperévèlel’auteur
«différent»qui signe: Lucifer. Dans chacun des trois exemplaires, trois gravures se
révèlentainsilemessageduprincedesabîmes.
On comprend sur la fin que c’est cela qui intéressait Boris Balkan. Il pense que,
ayant franchi les neuf portes, c'est-à-dire ayant déchiffré le message, il va obtenir la
puissance absolue du Lucifer. Il finira dans les flammes de l’enfer par lui-même
déchainées: pour prouver sa puissance, sous les yeux de Dean Corso immobilisé, il
s’asperged’essenceetymetlefeu,croyantéchapperàlabrûlure.
CettescènefinalesedérouleauchâteaudePuivertdansl’Aude.AppelélaTourdu
Diable, il a été utilisé par les Cathares lors de la croisade contre les Albigeois au
XIIIesiècle.Laconsomptiondel’apprentisorciercommuniquelefeuauchâteau.
Toutaulongdufilm,unemagnifiquefemmeblonde(EmmanuelleSeigner)vient
au secours de Dean Corso chaque fois qu’il est en péril. Puis, elle disparaît. Un ange
gardien?L’hypothèseestexplicitementévoquée.
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Visiblement elle a des pouvoirs surnaturels. C’est avec elle que notre détective
érudit fait l’amour devant le château en flammes (c’est pas donné tout le monde! je
m‘inscrispourleprochaincoup).Aucœurduplaisirsexuel,lajeunefemmearboredes
expressionsdiaboliques.Est-elledoncsiangélique?
C’estlavraieclefdumystère.Satanboucheuncoin!Cemystèreestceluiducorps
entantquesexué.Lesneufportessontlesneufouverturesducorps.Laneuvièmeétant
le sexe: ouverte ou non, bouchée ou non, c’est selon le sexe, alors que les huit autres
sontsemblablescheztousleshumains.
Ainsi s’exprimait le Malleus Maleficarum, le Marteau des sorcières, un livre du
XVèmesiècle,(1486HeinrichKramer):
Le problème n’est pas celui des sorciers, mais bien celui des sorcières. Ce livre
indique comment les repérer et, par le menu de tortures soigneusement décrites,
commentlesfaireparler.Autrementdit:pourcetteépoque,leproblèmedel’humanité,
cesontlesfemmes.Pourtouteslesépoques,c’estladifférencedessexes.Lefaitqu’elle
soitinterprétéecommecastrationetquelesfemmessemblentêtreletémoignagevivant
de cette mutilation, justifie dès lors toutes les mutilations destinées à les faire parler,
c'est-à-direavouerleuraccointanceaveclediable.Quiest-il,celui-là?Quid’autre,sice
n’estledésircommetel,celuiquibrûlecommelesflammesdel’enferetqu’ilfautdonc
éteindreenfaisantdisparaîtrelaresponsabledanslesmêmesflammesd’oùonlapense
issue.
Le péché, c’est donc le désir; il mérite les flammes de l’enfer. Il semble plus
supportable de le dire ainsi que de le présenter comme la castration, punition
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«naturelle»dudésir.Brûlerlaporteusedelacastration,c’estàlafoismettresousles
yeuxdetous«lacause»delabrûluredudésiretlasupprimerparsoneffetpropre.
Par un curieux retournement, Boris Balkan s’immole lui-même par le feu en
croyant retrouver la toute puissance. Qu'est-ce que la toute puissance, si ce n’est le
pouvoirderégulerlemondeàl’aunedesesdésirs?Avoirtouteslesrichesseettoutes
lesfemmes,telétaitlelotduchefdelahordeprimitiveimaginéparFreud.L’histoiren’a
pas été avare d’exemples de despotes se manifestant de la sorte. Une vieille chanson
française en témoigne: «Aux marches du palais..» qu’on nous faisait innocemment
chanter, lorsque nous étions petits. Mine de rien, ça raconte l’histoire d’un roi qui fait
plier un des nobles de sa suite en lui réclamant sa femme. «Mais puisque vous êtes le
roi…»,ditlecocuenpuissance,«…jevouslaisselapréférence(oulapréséance?)».
Acejeulà,onrisquedes’ybrûler:lasenteurdubouquetafaitmourirlabelle.
Donc,c’estleputatiftout-puissantquisombredanssondéliredetoutepuissance.
Il était crédule, le riche amateur de diablerie. La croyance au diable est tout aussi
problématiquequelafoiendieu.Enrécompense,l’incroyantdétectivequinecroitqu’en
sonpourcentage,serécupèrelesflammesdudésir,cellesquinebrûlentpas,cellesdela
femme diabolique qui lui garantit le bon accrochage de son phallus en en permettant
l’usagedevantlechâteauenflammes–etnondedans.Moralité:ilvautmieuxconserver
quelquedistanced’avecsondésir.Àvouloircomblertoutdésirparlatoutepuissance,
on se brûle tout autant qu’à souhaiter éradiquer tout désir en se consumant dans
l’ascèse.Bref,c’estengardantlesflammesdansleregistredelamétaphore(àlaplace
dudésir),voiredelamétonymie(ledésiràcôtédesflammesdelaréalité)quel’onpeut
userdelaneuvièmeporteducorps,garantissantlapérennitédeshuitautresetdoncdu
corpsquilesmaintientrassemblées.
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Boris Balkan, ayant réuni les neuf gravures, c'est-à-dire les neuf portes, il les
interprètecommeonlitlescartesdutarot.
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Il est vrai que leur facture et leur contenu les évoque. Le pendu, la mort, le
labyrinthe,etc.viennentsurlascène.«Necraindrenilacordenilesflammes…»:c’est
unappelaudéploiementdestalentsdelasorcellerie.
L’interprétation des images en fonction d’une culture, fut-elle occulte, est une
tentativeratéededécrypterlesmystèredusexeetdel’inconscient.Cen’estpasparce
quenousn’avonspasaccèsàuncontenucryptéquecelui-ciémargeàcequej’appelle
l‘inconscient. Un savoir peut nous rester inaccessible parce qu’il a été consciemment
codéparunautre:ilnetransmetpasdel’inconscienttelquechacunenfabriquesurluimême à son insu, étant à la fois l’auteur du message, du code et de la résistance au
décodage. Ces messages-là ne se dévoilent que dans la parole particulière d’un sujet
singulier,lorsqu’onl’autoriseàprendrelaparole,notammentausujetdesesrêvesqui
sontlaporteessentielled’accèsàl’inconscient.Parcetteporte,onaccèdeàlaneuvième
du corps, dont l’imagination à modulation castratrice est si angoissante qu’elle en
motivel’enfouissement.
D’où la voie dérivée de la course au décryptage à coups de codes ancestraux
censésdrainerplusdesavoirquecequiestprésent.Cettevoiedegaragerenvoieaussi
aux culturalistes (Devereux, Tobie Nathan) qui pensent qu’on ne peut aider quelqu'un
sans faire appel aux savoirs encodés dans sa culture particulière. Certes, la culture
module les savoirs et donc les images des rêves. Dans celles-ci, un tel va voir Jésus ou
sonPèreéternel,telautrevavoirBouddha,ouAbraham,ouMahomet,ouQuetzacoatl,
aveclesmodalitésd’apparencequ’ilauraapprisesdesaculture.Iln’empêchequ’au-delà
de ces apparences, ce sera toujours une figure du père. Un tel va voir Marie, tel autre
Guanyin, ce sera toujours une figure de la mère. Un tel va voir des fleuves de sang, tel
autrelecouteausacrificiel,telautreundragondansleciel,ceseratoujoursunefigure
delacastration.
Chacun s’inscrit d’une manière singulière dans cet universel de la castration, ce
qui disqualifie tous les manuels d’interprétation des rêves comme des tarots et des
imagesoccultes.Cesderniersrestenteneffetdansl‘universeld’unesignificationvalable
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pourtous,sansallerjusqu’àlastructurequiimpliquedesimagesetdessentimentsbien
trop rebutants pour être admis aisément. Même la mort y est bien plus facilement
traitéequel’incesteoulacastration.
C’est donc plutôt comme un rêve qu’il fallait interpréter les gravures du livre
mystérieux.Jevaisdoncyrevenir,enlesinterprétantentermesde«je»:voilàcequej’y
lis,moi,etnonentermesd’universelsforcémentvalablespourtous.Jesuiscontraintde
soutenirceparadoxe:c’estaucreuxduplusintimeparticulierqueseretrouveleplus
profonddelastructureuniverselle.Jedoisaussiassumerquetoutautrepuissetrouver
desinterprétationsdifférentesdesmiennessanschercheràlesrameneràmonpropre
savoirsurmoi,telquejelepenseinvestid’universalité.
Ce qui me fait dire qu’il s’agit d’un universel, c’est de retrouver ces figures,
partout, chez mes analysants, dans toutes les cultures et dans tous les films que
j’analyse. Risque que tout cela ne soit que projection? Oui. Risque assumé et tempéré
parlesprécautionsquejeviensdedécrire.
La première gravure nous invite à suivre ce chevalier vers le château et à faire
silence, comme il nous l’indique en posant le doigt devant ses lèvres. Il représente la
censurefaceàcechâteauauxneufsportesqu’estlecorps.L’undesexemplairesdulivre
présentelechâteauavec4toursetl’autreavec3tours.4+3=7:nousretrouveronsles
7têtesdudragondelaneuvièmeporte.L’indicationd’unmanquenousmetsurlavoie
del’interprétationdesportes:c’estladifférencesexuellequiestprésentéelà,entreles
deuxversionsdelamêmegravure,commedeuxversionsdel’humain,déjàinterprétée
entermesdemanqueimaginaire,castrationduchâteaucorporel.
La première porte est donc celle de la censure inhérente à toutes les questions
sexuelles.
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Lesgravuressuivantessonttoutesdesvariationssurlethèmedelaporte.
2:levieillardbarbutientlesclefsdansunemainet,surlagravuremodifiée,dans
l’autre main. Pour ouvrir une porte, il faut disposer de la clef, métaphore du code,
métaphoreduphalluss’ils’agitdelaneuvièmeporteducorps.
Maindroiteoumaingaucheonsaitbienlesvaleursimaginairesquis’attachentà
cesdeuxcôtés:ladroiterenvoieàladroitureetàl’honnêteté,lagaucheàlamaladresse
et à la fausseté. D’ailleurs une lanterne et un chien noir viennent appuyer ces deux
significations,parévocationdelalumièreetdel’obscurité.Onretrouveralechiennoirà
laseptièmegravure.2+7=9,(gravure2,gravure7)lecompteestbon.Maisilaaussi
deux clefs: c’est un code à interpréter comme le code lui-même, reposant sur la
différenceentredeuximagesidentiques.
Dans la gravure de droite, la main gauche est plus près de la porte. Sans doute
est-cedecettemainquel’onpeutouvrirlaportedeLucifer.
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3: le voyageur doit passer la porte s’il veut franchir le pont, sans craindre les
flèchesvenuesduciel.Cetarchercélesteévoqueéros,d’autantqu’ilvatirersaflècheau
dessusdupontsoit,lelieuoù,entrelesjambesdupont,(lesdeuxtoursquil’encadrent),
coule la rivière de la miction et de la libido. La flèche phallus va se planter entre les
jambesd’uneévocationféminine.
Quelleestladifférenceentrelesdeux?Unpeumoinsfacileàrepérer!Ehbienily
a une flèche dans le carquois de l’archer à gauche, il n’y en a plus dans le carquois de
celui de droite. Encore une variation sur la problématique du manque, donc de la
différencesexuelle.L’archerdegauchealescheveuxpluslongsqueceluidedroitequi
sembleplusâgé.Cedernierressembleauxgraveursjumeaux,lesfrèresCeniza,premiers
personnages interrogés par Dean Corso dans son enquête. Prodrome de la carte 5 ou
apparaitra la mort: ton stock de flèches est limité!….tout comme tes capacités
phalliques.
4: Le fou semble hésiter devant la porte fermée du labyrinthe. Dans l’une des
images,laportedesortieestfermée,dansl’autre,elleestouverte.Lefouva-t-ilchoisir
au hasard, comme l’indique les dés placés devant l’enceinte? Le labyrinthe représente
lescomplexitésdel’âmehumaine,toujoursenrapportaveclesportesducorps.Laporte
ouverteouferméepeutrenvoyeràladifférencedessexes:ilyaunphallusquibouche
ouiln’yenapas.Ellepeutrenvoyeraussiaumystèrequereprésenteratoujoursl’orifice
féminin,quiluiaussipeutêtreparfoisbouché(règles,vaginisme,infection,etc.),ettout
simplementcetteéternellequestionimpossibleàrésoudresimplement:queveut-elle?
Est-elleouverteoufermée?Cetteénigmeestposéeaussibienàl’hommequ’àlafemme.
Dequoirendrefou.
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Silaneuvièmeporteducorpsestcelleparlaquellenousentronsdanslemonde,
d’unpointdevueinterne,celuidufœtus,ellepeutévoqueraussilaportedesortie,de
l’autrecôtédulabyrinthequireprésentedèslorslacomplexitédesreplisàl’intérieurdu
ventrematernel.
Un de mes analysants me raconte le rêve suivant: il était sur le point de violer
une femme. Au moment de la pénétrer, il constate que son vagin présente une fente
horizontale et non verticale. Là, une magnifique lumière semblait l’inviter à entrer,
comme s’il la voyait au bout du tunnel. Ses associations lui apportent la référence à
l’expériencedemortimminente,sibienreprésentéedanslafameusetoiledeBosch.Elle
lui rappelle aussi son père mort, cette lumière représentant sa force devenue sienne
danslerêve.Jeluidemandealorsquiestcettefemmequ’ilvioleainsiaveclaforcede
sonpère?C’estsamère,évidemment.Sonrêvereprésentedoncundésirderemonter
dansleventrematernel,confondantainsilaported’entréedanslemondeaveclaporte
desortie.C’estaussisondésirdepossédersamèrecommesonpèrel’avaitfait,lamort
decedernierluilaissantlaplace.
Du coup, le désir se condense avec l’interdit, comme l’évoque la porte ouverte
dans une gravure, fermée dans l’autre: la fente verticale se transforme en barre
d’interdit,commedanslepanneaudesignalisation.Cetteporteestàlafoisouverte(par
ledésir)etfermée(parl‘interdit).
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5:Unhommecomptesesrichessesdevantlaporte;derrièrelui,lamort,avecsa
fourcheetlesablierdutemps.Viellesagessepopulaire:cequetuamassesencemonde,
tunepourrasl’emporterdel’autrecôté.
Dans l’une des images, le sable du temps est en haut, dans l’autre il est en bas:
tontempsestcompté!Laneuvièmeportenesauraitêtrecelledel’éternité,maisplutôt
decelledel’in-fini,d’uncorpsinachevé,commenousl’indiquentlesautresgravures.
6:j’aidéjàévoquécetteportequifaitréférenceauxchâtimentsquel’onrisqueà
transgresserc'est-à-direàfranchiruneporteinterdite.Dansl’imagemodifiée,l’homme
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estpenduparl’autrejambe.
L’épée de feu indique la condensation de deux châtiments possibles. C’est aussi
l’idée que ce qui coupe peut mettre le feu, au sens métaphorique dans le champ
sentimental. La castration interprète la différence des sexes en termes de châtiment,
maisc’estaussilelieud’oùs’élancentlesflammesdudésir,d’autantqu’ellessortentde
l’un des orifices du château corporel. Rien de plus excitant qu’une femme phallique,
parcequ’ellerassuretoutlemondequantàlacastration.Ainsi,del’orificesurgitàlafois
«quelque chose» qui peut évoquer un phallus, ce «quelque chose» est une épée, à la
foisphallusetinstrumentdelacastration,etc’estdecebouchonimaginairedutrouque
montentlesflammesdel’excitation.
Êtrependuestcertesunepunition.
Êtrependuàlafaçadedecetédificefaitaussidevouslephallusdecegrandcorps
qu’estlechâteau-mère,matricedetouslesdésirs.Lamèreétantinterdite,laprohibition
du passage à l’acte se déplace sur le désir lui-même, devenant ainsi synonyme de
châtiment.
7: Le maitre et l’esclave. L’échiquier devrait être noir et blanc. il est noir dans
l’une des gravures, blanc dans l’autre, tandis qu’un chien noir et un chien blanc se
battentàl’arrièreplan,devantuneluneblanchedansuncielnoir.
Pas d’allusion sexuelle a priori, si ce n’est que dans un couple, la question du
pouvoir se pose comme partout ailleurs, peut-être même de la façon la plus aigüe. Or,
pour que l’échiquier fonctionne, il faut bien une alternance de noirs et de blancs.
L’effacementdeladifférenceestsynonymedupouvoirabsoludel’unsurl’autre.C’estce
que cherche Boris Balkan dans son pacte avec le diable. C’est souvent ce que cherche
l’homme en soumettant la femme de façon absolue, comme dans certaines sociétés où
c’est culturellement ainsi, comme dans certains couples où l’homme se préserve de la
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castration de la sorte. Dans certains autres couples, la femme réussi à établir sa
domination. Dans la plupart des cas, la lutte reste incertaine comme celle des deux
chiens.
J’ai souvent parlé de mon hallucination des noirs et blancs, alors que j’étais
adolescent. J’avais compris bien plus tard qu’il s’agissait d’une tentative de
représentation du sexe de ma mère, opposant le blanc de la peau au noir des poils
pubiens. Je sais à présent que je ne suis pas le seul dans ce cas. Bien d’autres ont été
fascinés d’une manière ou d’une autre par le sexe d’un parent vu à un âge où la
différence de sexes s’avère incompréhensible. La représentation «noir et blanc»
acquiert dès lors une valeur universelle en rapport avec cette différence. J’en lis une
trace dans la représentation orientale du yin et du yang, explicitement présentée dans
cestraditionsparuneoppositionduféminin(yin)etdumasculin(yang).Cesgravures
occidentalesmontrentquelesorientauxnesontpaslesseulsàenavoirtirésymbole.
8:Larouedelafortunetourneenarrièreplan,amenantdiverspersonnagesdans
despositionsbassesoudespositionsélevées,symbolesdelaperditionetdelaréussite.
Il faut souligner le paradoxe de tout pacte avec le diable: il condense les deux, car s’il
procure la réussite, voire la toute puissance ici-bas, il suppose la perdition dans l’audelà.
Comme dans les dessins d’enfants, la maison ou le château représente le moi
établidanslesdéfensesdesalimitecorporelle.Laportebienrenforcéeaupremierplan
indiquelarelationindispensableentrelessurfacesdeprotection,lesmursoulapeau,et
les lieux de communication avec le monde et les autres, les portes ou les orifices du
corps.Ils’agitvraisemblablementdelaneuvièmeporte,puisquel’hommevadécapiter
lafemme,enmesurepréventivepourcequ’ilimaginedelacastrationqu’ellepourraitlui
infliger.Maisdansl’imagemodifiée,lafemmeaétéremplacéeparunhomme,façonde
soulignerqueleproblèmerésidebiendansladifférencedesexes,icimiseenscènedans
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un rapport avec une coupure radicale dans le corps, le genre de chose qui vous fait
perdrelatête.
L’épée et la massue symbolisent le phallus qu’il brandit bien haut devant cette
imaginairemenace.VoilàcedontsouffreBorisBalkan,commenoustous:d’angoissede
castration. Il s’imagine que son pacte avec le diable va l’en libérer. Il se fait donc
représentericientoutepuissance,puisquec’estsatêtequel’onreconnaîtdansl’image
modifiéetandisque,danslafigureagenouillée,nousreconnaissonsDeanCorso-Johnny
Depp, celui qu’il a engagé pour trouver la clef de la porte, celui qui a osé le défier en
comprenantlecodeavantlui.
Lediableestdoncl’anciennedénominationdel’inconscient.Danscettemémoire
cachée viennent en effet se réfugier les pensées dites «coupables» à entendre ici: en
rapport avec une coupure. La différence des sexes laisse imaginer que le corps puisse
être coupé en transformant le masculin en féminin. C’est bien entendu l’imagination
enfantinequiélaborecelaenpunitiondecequi,decefait,souffreuninterditdepensée,
le désir sexuel pour un parent, ascendant ou descendant. Un pacte avec le diable
s’énonceconsciemmentcommeunevolontédetoutepuissance,cequiveutdirelalevée
de ces interdits avec en conséquence une image du corps «complète», intouchable,
incastrable. Voilà ce que Boris Balkan voudra expérimenter avec son vêtement de
flammes.Cen’estpasunhasard,si,secroyantparvenuàlatoutepuissance,ils’entoure
deflammes.D’aborduncercleéloignédontsoncorpsestlecentre,puislesflammesqui
l’enveloppent carrément lorsqu’il s’arrose d’essence. Ainsi a-t-il, l’espace d’un temps
plutôtcourt,l’expérienced’uneenveloppecorporellecomplète,maisdestructrice.
Ces flammes sont justement celles de la gravure précédente, les fleux du désir
dont j’ai déplié déjà la signification, non plus restreinte à la seule zone sexuelle mais
déployée à l’ensemble du corps. Elle mettait en scène le passage de l’excitation de la
zone érogène typique, le phallus féminin, au corps pendu comme un phallus maternel
danssatotalité.
Lehasardafaitdenousdesgarçonsoudesfilles,maisensuite,c’estl’imagination
qui nous fait voir cette division comme une mutilation. C’est toujours l’imagination de
Boris Balkan qui lui a fait croire aux pouvoirs du diable. Arrivé au faîte de ce qu’il
suppose sa puissance, la roue tourne et le voilà précipité aux enfers tandis que son
adversaireestélevé.Cequiarriveaucorpsdanssaglobalitépeutarriveràunepartiedu
corps.Lephalluspeutêtrecoupéavecunegrandeépée(angoissedesgarçons)etilpeut
repousser (envie des filles: l’épée torche qui sort d’une fenêtre du château). Tout le
mondeaàfaireaveclacastration.C’estlàoùparadoxalement,pourêtrefinie,l’imagedu
corpsdoitêtrein-finie:illuimanqueratoujoursquelquechose.Larepousseprendrala
formedel’enviedephalluschezlesfilles,rapidementmétamorphoséeenenvied’enfant.
Les garçons ne sont pas exempts de ces envies, puisqu’ils n’ont pas ce pouvoir de
procréationdansleurpropreventre.Prenantdesformesdiverses,lemanquen’enreste
pasmoinslemanque.
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9:Unefemmechevaucheundragondevantlechaeauenflammes.Ledessinateur
luiadonnélafigureaisémentreconnaissabled’EmmanuelleSeigner.
Dans le film, elle fait l’amour avec Dean corso-Johnny Depp devant ce même
châteauenflammes,aisémentreconnaissable.
Le château en flamme représente le corps en proie au désir. Le dragon, moins
reconnaissable,estdoncJohnnyDepp–DeanCorso.C’estdoncuneimageàpeinecryptée
del’actesexuel.Lacarteestnotée«VIIII»,cequejelis«neuf»:usagedelaneuvième
porte.Elletientlelivrequiyadonnéaccès.Del’autremainellelèveunindexphallique,
indicationdesamaitriseparlesavoirquereprésentelelivre.Effectivement,lacroyance
répandue sur les sorcières imagine que les femmes «savent» comment accéder au
diable,duquelellesobtiennentdiverspouvoirssurleséléments:fairetomberlafoudre,
faire jaillir le foutre, créer une inondation, ou tout simplement faire tourner la
mayonnaise quand elles ont leurs règles, etc. Ces calamités (moins une) sont des
métaphores de la castration et de la mort. Cette diabolisation de la femme n’est rien
d’autre qu’un moyen de tenter de symboliser ce foutu sexe féminin qui continue de
porterentousleferenfeudel’angoissedecastration.
C’est pourquoi elle chevauche le dragon, symbole de sa puissance, notamment
parcequ’ilcrachedufeu,déjàassociéàlapassion.C’estaussiletémoindesoncaractère
phallique:autantdetêtes(sept),autantdephallus.Silesgravuresprécédentes,notées
VII et VIII, représentait deux variantes de la castration, ici la femme se montre
incastrable.D’autantque,dansleshistoiresdedragon,mêmesioncoupeunetête,elle
repousse.Ainsicroit-ondurcommeferauphallusféminin,protectionimaginairecontre
la castration. Si elle n’est pas castrée, ou si ça lui repousse, alors tout espoir n’est pas
perdu.
Pourquoi 7 têtes alors que nous sommes dans le champ du 9? Peut-être parce
que,pourlesgnostiques,9=3x3,etque3estlecomplémentde7pourallerà10.Ce
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derniernombrereprésenteunretouràl’originec'est-à-dire0et1.L’actesexuelesten
effetunretouràceluidontnoussommesnés.Ilsupposeunecomplémentaritéentreles
sexes,comme3estlecomplémentairede7pourallerà10.
Dansl’imagemodifiéeparLucifer,onconstatequel’incendieaétéremplacépar
un rayonnement céleste: de la catastrophe vient la rédemption, de l’obscurité vient la
lumière.Lucifervienteneffetdulatinluxferro:jeportelalumière.
La psychanalyse propose un peu la même chose, la lumière en tant que
compréhensiondesphénomènesencryptésdansl’inconscient,maisévidemmentpasla
toute puissance. Ce rapport avec le diable, même s’il n’est pas toujours explicitement
nommé, n’y est pas pour rien dans les résistances qu’elle rencontre, notamment du
temps de Freud et aujourd’hui. Entre ces deux périodes, elle aura connu ses «trente
glorieuses» du temps où la passion Lacan l’aura rendu très populaire, avec l’aide de
Françoise Dolto. Je pense que Lacan a beaucoup contribué à ce rayonnement en
atténuant fortement les résonnances sexuelles, notamment par une référence
surévaluée, aux disciplines autres: la linguistique, la philosophie, la mathématique. Ce
quej’appellenoyerlepoissondiabolique.
Dans le film, la poursuite des neuf gravures obéit aux lois du cinéma. Elle est
rapide, mouvementée, incendiaire, meurtrière. Dean Corso a à peine le temps de les
consulterqu’ellesseconsumentouluiéchappent.Lespectateurn’adoncpasletempsde
s’adonneràl’étudeminutieusequejeviensdeproduire.Lesindicesluisontcependant
suffisammentdonnéspourqu’ilcomprenneglobalementdequoiilretourne.Dumoins
enquoilecodeconsiste,sortedejeu,nonpasdessepterreurs,maisdel’erreurdécisive,
métaphoreenelle-mêmedeladifférencedessexes.
4août.16
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