
poser au patient une consultation parce qu’il commence à avoir
des difficultés dans la vie quotidienne, des oublis, des condui-
tes aberrantes. Le diagnostic de maladie d’Alzheimer est pres-
senti dans la moitié des cas par l’aidant avant la consultation
médicale (Étude OPDAL, M.-C. Gely-Nargeot et al. [6]). Et,
alors que la famille entrevoit le diagnostic, le patient a ten-
dance à banaliser ses troubles. Au moment de l’annonce du
diagnostic, on retrouve, le plus souvent, une grande ambiva-
lence de la famille sur la nécessité de dire au patient lui-même
le diagnostic de maladie d’Alzheimer. Même dans les pays
anglo-saxons [2], le diagnostic n’est pas toujours révélé au pa-
tient. Selon M.-C. Gely-Nargeot et al., quand il n’est révélé
qu’àl’aidant, 56 % d’entre eux ne souhaitent pas que le diag-
nostic soit annoncé au patient, par crainte de réactions négati-
ves (40 %) ou d’incompréhension (31 %). Déjà, C.-P. Maguire
et al. [11] avaient montré que 83 % des aidants ne voulaient
pas que le diagnostic de maladie d’Alzheimer soit révélé au
patient mais que 71 % d’entre eux voudraient « savoir », si
un jour ils étaient eux-mêmes atteints par la maladie d’Alzhei-
mer. À l’inverse, on retrouve dans l’étude de M.-C. Gely-
Nargeot et al. que 36 % des aidants considèrent que l’annonce
du diagnostic au patient améliore sa prise en charge, en parti-
culier en permettant un dialogue au sein de la famille.
Au cours de l’évolution de la maladie d’Alzheimer, avec
l’aggravation progressive des troubles mnésiques, les enfants
assistent à l’effondrement de tout un pan de l’histoire familiale
car le parent ne peut plus évoquer son vécu personnel passé ou
présent. Le déficit cognitif va aussi imposer aux membres de la
famille la frustration de ne plus être reconnus par le parent.
Ainsi, le deuil anticipé de certains peut se comprendre comme
une réaction à une forme de « mort de l’esprit », précédant la
mort physique. D’ailleurs, R. Schultz, A.B. Mendelsohn et al.
[20] montrent, dans une étude portant sur des aidants fami-
liaux, que leur dépression est améliorée par la mort du parent
dément (non institutionnalisé), comme si le deuil était, en
grande partie, déjà fait.
Dans la maladie d’Alzheimer, les troubles psychiques sont
des troubles thymiques, anxieux, psychotiques ou confusion-
nels. La survenue d’un épisode d’anxiété, de dépression ou
de confusion est toujours impressionnante pour la famille. L’ai-
dant perçoit plus de symptômes dépressifs que le patient lui-
même, surtout si celui-ci n’est pas conscient de ses troubles
cognitifs [3]. Et la forme de la dépression peut créer, en plus,
des malentendus entre la famille et les soignants, quand les
plaintes hypocondriaques sont au premier plan ou quand la dé-
pression est masquée par des manifestations physiques, notam-
ment douloureuses.
Et en dehors de ces états aigus ou subaigus, les proches
continuent à subir les conséquences des éventuels troubles né-
vrotiques antérieurs, persistant au début de la démence : pho-
bies, obsessions, manifestations hystériques. D’un point de vue
psychopathologique, avec l’avancée de la démence, ces types
de mécanisme de défense perdent progressivement de leur effi-
cacité dans la lutte contre l’angoisse et finissent par être rem-
placés par des fonctionnements psychotiques ou régressifs.
Dans les troubles psychotiques, les états délirants et halluci-
natoires ont souvent pour thèmes les relations avec la famille :
vol, préjudice, abandon, jalousie, mésidentification. Les faus-
ses identifications mettent à rude épreuve la tolérance de la
famille ; elles se présentent sous plusieurs formes : soit le pa-
tient est convaincu de la présence auprès de lui d’un parent ou
d’un proche absent ou décédé (c’est le phénomène du compa-
gnon imaginaire ou « hallucinations mnésiques » [15]), soit le
patient reconnaît formellement un parent absent ou décédé
dans une personne de son entourage immédiat familial ou soi-
gnant, soit le patient proteste parce qu’un familier a été rem-
placé par un imposteur (syndrome de Capgras ou illusion des
sosies). Pour le dément, l’appel à ses images parentales est,
sans doute, une recherche de réassurance et de réparation nar-
cissique.
Mais le problème essentiel est celui des troubles du compor-
tement dans la maladie d’Alzheimer ; ils sont, quelquefois, le
motif de la première consultation et sont, très souvent, à l’ori-
gine des entrées en institution. En effet, la famille est particu-
lièrement atteinte par l’agitation, l’opposition, l’agressivité ver-
bale ou physique, l’apathie, les troubles du comportement
alimentaire, les troubles du sommeil et les troubles sphincté-
riens. L’agitation peut se manifester par des comportements
répétitifs, inadéquats, mais aussi par la déambulation ou la fu-
gue, et les troubles du comportement moteur aggravent le
risque de chute. L’apathie et la démotivation sont, sans doute,
moins conflictuelles que l’agressivité et l’opposition, mais
amènent au découragement de l’aidant. La réduction de l’appé-
tit et les troubles praxiques de l’alimentation nécessitent plus
d’attention et d’aide au moment des repas. À un stade avancé
de la maladie d’Alzheimer, quand les troubles alimentaires en-
traînent une dénutrition, les questions soulevées par la pose
d’une sonde nasogastrique ou par une gastrostomie sont évo-
quées avec la famille. Les troubles du sommeil, surtout l’inver-
sion du rythme veille–sommeil, perturbent beaucoup la vie
quotidienne de la famille mais ses plaintes les plus fréquentes
sont en rapport avec les problèmes posés par les troubles
sphinctériens, c’est-à-dire l’incontinence, urinaire d’abord, puis
fécale.
Face aux troubles manifestes de la maladie d’Alzheimer, la
famille peut garder une attitude de déni ou, comme le décrit
L. Ploton [16], avoir des réactions qui vont de la protection
au maternage ou même à la symbiose avec « hyperintimité ».
Il faut dire que dans la prise en charge de la maladie d’Alzhei-
mer, la limite entre aide et soin est floue ; par exemple, la
toilette relève, au début, de l’aide mais, avec l’évolution, elle
devient un soin fait par l’aidant puis par le soignant. Il y a
souvent, dans la famille, une hyperactivité et un hyperinvestis-
sement des soins, et les aidants surmenés sont parfois énervés,
agressifs et supportent mal les conditions de vie imposées par
la maladie d’Alzheimer. En fait, le patient par sa dépendance
provoque consciemment ou inconsciemment une culpabilisa-
tion de l’aidant qui se sent pris dans des conduites de répara-
tion, la culpabilité étant sous-tendue par l’agressivité [5].
Et l’on a vu que la prise en charge d’un parent atteint de
maladie d’Alzheimer expose les aidants familiaux à des trou-
bles psychiques et physiques et à un risque de mortalité élevé.
J. Monfort et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 726–731728