Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 726–731 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Mémoire Alzheimer, famille, institution Alzheimer, family, institution J. Monfort *, M. Neiss, P. Rabier, M.-P. Hervy Service de Gérontologie, Centre Maurice-Deparis, CHU de Bicêtre, 12, rue Séverine, 94276 Kremlin-Bicêtre cedex, France Reçu le 16 mai 2005 ; accepté le 25 mai 2005 Disponible sur internet le 28 novembre 2005 Résumé La maladie d’Alzheimer est une démence qui se manifeste à la fois par une altération des fonctions cognitives et par des troubles psychocomportementaux. Une étude sur les réactions de la famille à la démence d’un parent doit envisager plusieurs points de vue : a) La charge familiale. Le poids de la maladie d’Alzheimer sur la famille est très important. La prise en charge a des effets physiques et psychiques sur l’aidant qui peut présenter un état anxieux, une dépression, un éthylisme et qui a un risque de mortalité élevé ; b) Les réactions aux symptômes de la maladie. La famille doit supporter les symptômes de la maladie d’Alzheimer : les troubles cognitifs et surtout les troubles psychocomportementaux. Les réactions de la famille peuvent être le déni, l’hyperprotection, le maternage, l’hyperinvestissement dans les soins ; c) Les relations avec l’institution gériatrique. Elles ne sont pas toujours paisibles. Des conflits peuvent éclater entre le patient, la famille et l’institution, surtout quand la famille ressent de la culpabilité et est ambivalente par rapport à l’institutionnalisation ; d) Les relations pathologiques famille–dément. Des relations pathologiques entre la famille et le parent peuvent apparaître, dues à la pathologie psychique de l’aidant aggravée par la maladie d’Alzheimer du parent ; e) Le soutien apporté à la famille. Avant l’institutionnalisation, l’aidant familial doit être soutenu dans le cadre du suivi gériatrique du patient. Des médicaments à visée cognitive et des psychotropes peuvent réduire les troubles du comportement. Le plus important est d’organiser et d’adapter les aides à domicile, avec si possible une prise en charge en centre de jour. Après l’institutionnalisation, l’aidant doit continuer à être soutenu. La fin de vie et la mort sont particulièrement difficiles, parce que la compréhension des sentiments et des sensations de la personne démente reste toujours incertaine. Et il semble que le deuil d’un patient institutionnalisé soit plus douloureux que le deuil après une période longue et stressante d’aide à domicile. © 2005 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Alzheimer’s disease (AD) is a dementia in which symptoms include cognitive impairment and also behaviour and psychological disorders. A study on the family’s responses to the AD of a relative, requires envisaging several points of view. a) The family’s burden. The caregiver who is generally a spouse, a daughter or a daughter-in-law has to perform difficult tasks. Caring for a patient with AD the caregiver faces a loss of role and reference. The patient’s child is often playing the role of parent of the parent. Dementia caregiving exposes to high levels of stress and has psychiatric and physical effects on the caregiver, who is likely to suffer from anxiety, depression, alcoholism, and have an increased risk of mortality. Institutionalisation is a step of critical importance in AD care; the decision has to be made by the family, at the right time; b) The family’s responses to AD symptoms. The family has to bear the AD symptoms: cognitive symptoms and above all, behavioural and psychological symptoms. The family senses the diagnosis when the first disorders appear in daily life. Then a large part of the family’s history is lost, as the patient becomes unable to talk about the present and the past experience. In AD, the psychological disorders are: depression, anxiety, psychotic disorders and delirium. And in several psychotic disorders, the family may be involved: hallucinations, delusions particularly with ideas of theft, abandonment, jealousy or misidentification. But the most difficult problems are those of behavioural disorders; the family has to face agitation, aggressiveness, apathy, eating disorders, sleeping disturbances, sphincter disorders. The family’s responses may be: denial, overprotection, mothering and hyperactivity in caregiving; c) The relationships with the geriatric institution. They are not always peaceful. Conflicts among patient, family and institution may occur, when the family resents guilt and ambivalence about institutionalisation. A former family caregiver may compete with the institution, because he feels deprived of the caregiving role. So, professional caregivers and geriatricians have to propose a therapeutic plan in which * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. Monfort). 0003-4487/$ - see front matter © 2005 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2005.05.011 J. Monfort et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 726–731 727 family caregivers are implicated; d) The family-patient pathological relationships. The relationships between family and patient may be pathological, due to the caregiver’s psychological pathology. The caregiver may suffer from psychiatric or personality disorders, worsened by the relative’s AD. Sometimes, abuse by the family is a danger for the patient; e) The support to the family. Before institutionalisation, family caregiving must be helped and supported by professional caregivers and geriatricians. Some treatments reduce behavioural disorders: cognitive enhancement medication or psychotropic medication. But the most important help is provided by professional care at home, re-education, psychotherapies and, if possible, treatment in a day care centre. In practice, american medical associations have tried to design strategies (with guidelines) to support the family caregiver. After institutionalisation, the family must also be supported, so as to keep a pleasant relationship with the relative. The end-of-life and the death are especially difficult, because the feelings of a person with dementia remain partly misunderstood. And the bereavement of an institutionalised patient seems to be more painful than the bereavement after a long and stressful period of family caregiving. © 2005 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Aidant (familial) ; Institutionnalisation ; Maladie d’Alzheimer ; Soignant Keywords: Alzheimer’s Disease; Family Caregiver; Institutionalisation; Professional (or formal) Caregiver 1. Introduction La maladie d’Alzheimer est une démence qui se manifeste à la fois par une altération des fonctions cognitives et par des troubles psychocomportementaux ; elle retentit lourdement sur la famille du patient et pose de difficiles problèmes de prise en charge thérapeutique. Si l’on étudie les réactions de la famille à la démence d’un parent, il faut envisager plusieurs points de vue : la charge familiale de la maladie, les réactions aux symptômes, les relations avec l’institution gériatrique, les relations pathologiques famille–dément et le soutien qui peut être apporté à la famille. 2. La charge familiale Le poids de la maladie d’Alzheimer sur la famille est très important, surtout pour les 60 à 80 % de patients qui sont au domicile, mais il ne faut pas le sous-estimer quand le patient est institutionnalisé [22]. Il se mesure en termes de disponibilité de temps, de disponibilité psychique, d’affectivité, de soins, et aussi en termes financiers et juridiques. Cette charge entraîne une souffrance qui n’est pas toujours exprimée et qui peut même être niée, l’idée de démence et le nom d’Alzheimer étant alors rejetés. Pour P. Charazac [4], la démence est un véritable traumatisme familial, avec une menace irreprésentable et le fantasme de l’anéantissement de la famille entière. Même si toute la famille est concernée, il y a un aidant principal qui est plus exposé que les autres ; il est le plus souvent de sexe féminin ; c’est l’épouse, la fille ou la belle-fille du patient. L’aidant familial est confronté à une situation de perte de rôle et de repères ; il doit assumer le paradoxe d’être comme un parent du parent [5]. Ses idées et ses décisions concernant le parent ne peuvent plus être considérées comme validées par l’intéressé, même s’il est apparemment d’accord. Cette position se retrouve, de façon très pragmatique, sur le plan juridique, lorsqu’un enfant est le tuteur d’un parent dément. L’enfant doit assumer, lui-même, cette responsabilité qui peut lui apparaître très lourde, mais il n’acceptera pas forcément mieux la désignation d’un tuteur extérieur à la famille. La question de la prise de décision par le patient dément est un champ d’investigation qui se développe beaucoup, actuelle- ment [8]. Des recherches neuropsychologiques sont menées pour améliorer la prise de décision, notamment sur le plan médical, mais elles ne concernent que les démences peu évoluées. Les répercussions familiales de la maladie d’Alzheimer d’un parent ne sont pas uniformes. Souvent les conjoints sont plus optimistes que les enfants mais en revanche, certains membres de la famille vivent un deuil anticipé. En fait, la qualité de vie du dément agit sur celle de l’aidant et vice-versa [19], mais des différences d’appréciation s’accentuent avec l’évolution de la maladie d’Alzheimer ; c’est-à-dire que quand l’aide devient très difficile, l’appréciation de la qualité de vie du dément, par l’aidant, devient plus négative que celle du dément lui-même [17]. Par ailleurs, les relations au sein de la famille peuvent se détériorer, entraînant des troubles de la communication et des conflits. Plusieurs études sur la santé des aidants familiaux [14,18, 19,21] montrent qu’ils constituent une population à risque sur le plan physique et sur le plan psychique. Ils ont tendance à négliger leur propre santé, au profit de celle du parent. Ils présentent souvent un état anxieux ou dépressif [10], un éthylisme. Des liens ont été, aussi, mis en évidence chez les conjoints, entre leur stress et des pathologies comme l’hyperactivité du système nerveux sympathique et la baisse des défenses immunitaires [12]. Le risque de mortalité est élevé chez les aidants épuisés [18]. Selon des données récentes [1], en France, 17 à 35 % des aidants présentent un état dépressif et quant au risque de mortalité du conjoint, il est majoré de 50 à 63 %, par rapport à un sujet du même âge vivant avec une personne en bonne santé. L’institutionnalisation est une étape très importante dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer et, pour la famille, la décision est difficile à prendre. Elle est retardée quand la famille s’accroche, parfois de façon déraisonnable, au maintien au domicile ; elle est précipitée quand un épisode somatique survient ou quand les troubles du comportement s’aggravent. 3. Les réactions aux symptômes de la maladie La famille doit supporter les troubles de la maladie d’Alzheimer : les troubles cognitifs et surtout psychocomportementaux [13]. Pour ce qui est du déficit cognitif, la famille est souvent la première à s’en rendre compte et à prendre la décision de pro- 728 J. Monfort et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 726–731 poser au patient une consultation parce qu’il commence à avoir des difficultés dans la vie quotidienne, des oublis, des conduites aberrantes. Le diagnostic de maladie d’Alzheimer est pressenti dans la moitié des cas par l’aidant avant la consultation médicale (Étude OPDAL, M.-C. Gely-Nargeot et al. [6]). Et, alors que la famille entrevoit le diagnostic, le patient a tendance à banaliser ses troubles. Au moment de l’annonce du diagnostic, on retrouve, le plus souvent, une grande ambivalence de la famille sur la nécessité de dire au patient lui-même le diagnostic de maladie d’Alzheimer. Même dans les pays anglo-saxons [2], le diagnostic n’est pas toujours révélé au patient. Selon M.-C. Gely-Nargeot et al., quand il n’est révélé qu’à l’aidant, 56 % d’entre eux ne souhaitent pas que le diagnostic soit annoncé au patient, par crainte de réactions négatives (40 %) ou d’incompréhension (31 %). Déjà, C.-P. Maguire et al. [11] avaient montré que 83 % des aidants ne voulaient pas que le diagnostic de maladie d’Alzheimer soit révélé au patient mais que 71 % d’entre eux voudraient « savoir », si un jour ils étaient eux-mêmes atteints par la maladie d’Alzheimer. À l’inverse, on retrouve dans l’étude de M.-C. GelyNargeot et al. que 36 % des aidants considèrent que l’annonce du diagnostic au patient améliore sa prise en charge, en particulier en permettant un dialogue au sein de la famille. Au cours de l’évolution de la maladie d’Alzheimer, avec l’aggravation progressive des troubles mnésiques, les enfants assistent à l’effondrement de tout un pan de l’histoire familiale car le parent ne peut plus évoquer son vécu personnel passé ou présent. Le déficit cognitif va aussi imposer aux membres de la famille la frustration de ne plus être reconnus par le parent. Ainsi, le deuil anticipé de certains peut se comprendre comme une réaction à une forme de « mort de l’esprit », précédant la mort physique. D’ailleurs, R. Schultz, A.B. Mendelsohn et al. [20] montrent, dans une étude portant sur des aidants familiaux, que leur dépression est améliorée par la mort du parent dément (non institutionnalisé), comme si le deuil était, en grande partie, déjà fait. Dans la maladie d’Alzheimer, les troubles psychiques sont des troubles thymiques, anxieux, psychotiques ou confusionnels. La survenue d’un épisode d’anxiété, de dépression ou de confusion est toujours impressionnante pour la famille. L’aidant perçoit plus de symptômes dépressifs que le patient luimême, surtout si celui-ci n’est pas conscient de ses troubles cognitifs [3]. Et la forme de la dépression peut créer, en plus, des malentendus entre la famille et les soignants, quand les plaintes hypocondriaques sont au premier plan ou quand la dépression est masquée par des manifestations physiques, notamment douloureuses. Et en dehors de ces états aigus ou subaigus, les proches continuent à subir les conséquences des éventuels troubles névrotiques antérieurs, persistant au début de la démence : phobies, obsessions, manifestations hystériques. D’un point de vue psychopathologique, avec l’avancée de la démence, ces types de mécanisme de défense perdent progressivement de leur efficacité dans la lutte contre l’angoisse et finissent par être remplacés par des fonctionnements psychotiques ou régressifs. Dans les troubles psychotiques, les états délirants et hallucinatoires ont souvent pour thèmes les relations avec la famille : vol, préjudice, abandon, jalousie, mésidentification. Les fausses identifications mettent à rude épreuve la tolérance de la famille ; elles se présentent sous plusieurs formes : soit le patient est convaincu de la présence auprès de lui d’un parent ou d’un proche absent ou décédé (c’est le phénomène du compagnon imaginaire ou « hallucinations mnésiques » [15]), soit le patient reconnaît formellement un parent absent ou décédé dans une personne de son entourage immédiat familial ou soignant, soit le patient proteste parce qu’un familier a été remplacé par un imposteur (syndrome de Capgras ou illusion des sosies). Pour le dément, l’appel à ses images parentales est, sans doute, une recherche de réassurance et de réparation narcissique. Mais le problème essentiel est celui des troubles du comportement dans la maladie d’Alzheimer ; ils sont, quelquefois, le motif de la première consultation et sont, très souvent, à l’origine des entrées en institution. En effet, la famille est particulièrement atteinte par l’agitation, l’opposition, l’agressivité verbale ou physique, l’apathie, les troubles du comportement alimentaire, les troubles du sommeil et les troubles sphinctériens. L’agitation peut se manifester par des comportements répétitifs, inadéquats, mais aussi par la déambulation ou la fugue, et les troubles du comportement moteur aggravent le risque de chute. L’apathie et la démotivation sont, sans doute, moins conflictuelles que l’agressivité et l’opposition, mais amènent au découragement de l’aidant. La réduction de l’appétit et les troubles praxiques de l’alimentation nécessitent plus d’attention et d’aide au moment des repas. À un stade avancé de la maladie d’Alzheimer, quand les troubles alimentaires entraînent une dénutrition, les questions soulevées par la pose d’une sonde nasogastrique ou par une gastrostomie sont évoquées avec la famille. Les troubles du sommeil, surtout l’inversion du rythme veille–sommeil, perturbent beaucoup la vie quotidienne de la famille mais ses plaintes les plus fréquentes sont en rapport avec les problèmes posés par les troubles sphinctériens, c’est-à-dire l’incontinence, urinaire d’abord, puis fécale. Face aux troubles manifestes de la maladie d’Alzheimer, la famille peut garder une attitude de déni ou, comme le décrit L. Ploton [16], avoir des réactions qui vont de la protection au maternage ou même à la symbiose avec « hyperintimité ». Il faut dire que dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer, la limite entre aide et soin est floue ; par exemple, la toilette relève, au début, de l’aide mais, avec l’évolution, elle devient un soin fait par l’aidant puis par le soignant. Il y a souvent, dans la famille, une hyperactivité et un hyperinvestissement des soins, et les aidants surmenés sont parfois énervés, agressifs et supportent mal les conditions de vie imposées par la maladie d’Alzheimer. En fait, le patient par sa dépendance provoque consciemment ou inconsciemment une culpabilisation de l’aidant qui se sent pris dans des conduites de réparation, la culpabilité étant sous-tendue par l’agressivité [5]. Et l’on a vu que la prise en charge d’un parent atteint de maladie d’Alzheimer expose les aidants familiaux à des troubles psychiques et physiques et à un risque de mortalité élevé. J. Monfort et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 726–731 4. Les relations avec l’institution gériatrique En gériatrie, on entend par institution l’établissement ou le service qui prend en charge le patient âgé de façon prolongée ; il s’agit d’une maison de retraite ou d’un service hospitalier de soins de longue durée (anciennement long séjour). Mais pour ce qui est des problèmes de relations avec l’institution, ils se posent, évidemment, aussi dans les services de soins de suite et de réadaptation (anciennement moyen séjour) et dans les autres services hospitaliers où le patient dément est soigné. Lorsque le patient est dans l’institution, les relations entre les différents intervenants ne sont pas toujours paisibles. Dans notre expérience qui a pour cadre un service hospitalier de gérontologie, recevant des patients en moyen et long séjour, quand des tensions surviennent entre le patient, les soignants et la famille, c’est souvent au début du séjour et les conflits s’organisent autour des mêmes thèmes : ● le patient reproche à sa famille de l’avoir fait entrer sans son accord et réclame son retour immédiat au domicile ; il accuse les soignants de le maltraiter ; ● les soignants trouvent que la famille est peu présente et abandonne son parent, mais quand elle vient en visite, elle est d’une exigence extrême et critique tout : les soins, l’institution, les autres patients ; par ailleurs, la famille trop présente peut être ressentie comme « envahissante » ; ● la famille critique l’institution parce qu’elle prend mal en charge son parent, et que le coût financier est excessif (long séjour) ; les critiques portent sur l’hébergement, les repas, en plus des soins ; les soignants ne sont pas assez attentifs, pas assez disponibles ; les médecins ne sont pas assez présents, pas accessibles. Les griefs sont renforcés par les éventuels défauts d’organisation d’un hôpital : retards, rendezvous raté, dossier égaré… Pour mieux comprendre ces conflits, il faut envisager les différentes façons dont l’institutionnalisation est vécue par le patient, par sa famille et par les soignants. Le patient lui-même va devoir s’adapter à l’institution et supporter les différentes pertes dues au changement de ses conditions de vie ; ce travail de deuil se fait plus ou moins complètement, selon les possibilités de compréhension et d’élaboration psychique. En ce qui concerne la famille, elle est souvent ambivalente par rapport à l’institution et se trouve dans un état d’angoisse, de culpabilité et de dévalorisation qui se manifeste par de l’agressivité. Elle peut avoir un sentiment d’échec parce que le traitement à domicile n’a pu être prolongé ; alors, la famille risque de rechercher des soins idéaux, donc impossibles, ou croire à l’effet magique d’une hospitalisation. Parfois un aidant familial s’attribue une parfaite compétence, une expertise pour tout ce qui concerne les soins à donner à son parent ; souvent il s’agit d’un aidant principal qui était isolé avant l’admission. Dans sa rivalité avec les soignants de l’institution, il espère obtenir une satisfaction narcissique après avoir été dépossédé de sa propre mission de soignant. 729 À l’occasion de l’entrée en institution, il n’est pas rare qu’au sein de la famille les relations se modifient ; de vieilles rancœurs, de vieux conflits resurgissent ; des divisions s’accentuent. Les médecins et les soignants en sont éventuellement pris à témoin ou à parti. Plus profondément, la famille ressent l’entrée en institution comme une « répétition symbolique de la mort » [16] et elle est confrontée à « un travail de séparation » [14], différent du travail de deuil car les changements internes à la famille restent dépendants de la réalité externe de l’absent et de sa maladie. Pour les soignants, la prise en charge du patient peut être difficile et entraîner des sentiments d’impuissance, de dévalorisation et de culpabilité. En outre, le mécontentement et l’agressivité des familles sont des facteurs de déstabilisation qui viennent aggraver un dysfonctionnement institutionnel. Un travail d’équipe permet de mieux évaluer la souffrance et la pathologie éventuelle de la famille et donc de mieux comprendre l’impossibilité du maintien à domicile ou simplement la nécessité d’un séjour dit « pour soulagement familial ». L’équipe soignante et les médecins travaillent dans le cadre d’un projet thérapeutique pour le patient, dans lequel la famille doit être impliquée. Mais l’ambivalence de la famille peut rendre cette implication incertaine, inconstante, voire hostile. Dans les services de psychogériatrie où sont traités les troubles psychocomportementaux sévères de la maladie d’Alzheimer, les relations entre l’institution et la famille sont, en général, tendues. Et dans les grosses institutions psychogériatriques, tous les problèmes relationnels sont amplifiés. Des phénomènes de masse renforcent l’agressivité des familles et la violence institutionnelle [7] ; les médecins et les soignants deviennent alors les boucs émissaires d’une situation due à l’ambivalence de la famille et aux contraintes institutionnelles. 5. Les relations pathologiques famille–dément On sait que les modalités d’annonce du diagnostic peuvent influer sur les relations famille–patient. En effet, la révélation du diagnostic et du pronostic peut provoquer des réactions excessives ou pathologiques. Souvent, la famille est entraînée dans une hyperactivité combattante, peut-être dispersée, et elle ne prend pas toujours suffisamment en compte les désirs du parent, d’autant plus que celui-ci a du mal à les exprimer. Mais des relations pathologiques entre l’aidant et son parent peuvent apparaître. Dans certains cas, elles sont dues à la pathologie psychique personnelle de l’aidant, pathologie antérieure à l’apparition de la maladie d’Alzheimer. Les troubles psychiatriques ou troubles de la personnalité de l’aidant sont aggravés ou décompensés par la maladie d’Alzheimer du parent ; ce sont des troubles anxieux, des troubles thymiques, un éthylisme, une personnalité obsessionnelle, une personnalité dépendante, une personnalité paranoïaque. Dans d’autres cas, la pathologie relationnelle entre l’aidant et le parent est une histoire ancienne ; la démence vient compliquer, plus encore, leur relation. La pathologie d’un enfant peut se manifester par une attitude de captation du parent dément ; il prend alors une position 730 J. Monfort et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 726–731 de toute-puissance, écartant des responsabilités et des décisions tout le reste de la famille. Des relations très perturbées entre l’aidant et le dément deviennent parfois complètement exclusives et fermées à toute intervention extérieure. À ce stade d’« enfermement à deux », l’approche thérapeutique est impossible. Les troubles du comportement de la maladie d’Alzheimer ajoutés à des troubles psychiques de l’aidant risquent d’aboutir à des situations de maltraitance. Des mesures de protection du patient dément sont alors nécessaires : hospitalisation et mise en place d’une protection juridique. 6. Le soutien apporté à la famille Avant l’institutionnalisation, le suivi gériatrique du patient atteint de maladie d’Alzheimer comporte le traitement médical et surtout l’organisation et l’adaptation des aides à domicile, car actuellement en France, une famille sur trois assume la situation sans aucune aide extérieure [1]. Les médicaments utilisés sont à visée cognitive (et comportementale) – anticholinestérasique, glutamatergique –, ou sont des traitements spécifiques des troubles psychocomportementaux – antidépresseur, thymorégulateur, antipsychotique. Les aides à domicile comprennent les aides-ménagères, les soins, les rééducations, parfois des aides psychothérapiques et, quand cela est possible, une hospitalisation de jour. La prise en charge thérapeutique a pour but de traiter les différents troubles de la maladie d’Alzheimer, notamment les troubles psychocomportementaux et, par conséquent, de réduire la charge familiale. Au cours du suivi ambulatoire, il faut aussi informer la famille, expliciter le sens des troubles psychocomportementaux, notamment comme adaptation au déficit cognitif. Des conseils sont nécessaires pour optimiser le moment de l’entrée en institution afin d’éviter de trop attendre si le maintien au domicile devient difficile, ou de se précipiter alors que la famille et le patient ne sont pas prêts. De façon pratique, des associations médicales américaines tentent d’élaborer des stratégies de soutien à l’aidant [19] du patient atteint de maladie d’Alzheimer. Le but est d’améliorer le fonctionnement de la dyade dément–aidant, en se référant, principalement, au modèle théorique stress–santé et en recherchant la meilleure intervention dans plusieurs domaines : la sécurité (actes du dément dangereux pour lui-même et pour l’aidant), l’attention de l’aidant à sa propre santé, son soutien familial et social, la dépression de l’aidant, les troubles psychocomportementaux du dément. Ainsi, par exemple, il est sûr que le traitement de la dépression de l’aidant est non seulement un bénéfice pour lui-même, mais aussi un des moyens d’améliorer sa relation avec le dément. Quand le patient dément est institutionnalisé, la famille doit trouver la possibilité d’exprimer ses angoisses, sa culpabilité, ses obligations vis-à-vis de son parent, son besoin de réparation. La disponibilité des médecins et des soignants doit être suffisante pour assurer cette écoute et permettre de conclure une alliance thérapeutique et élaborer un projet de soin, bien accepté par tous. Un soutien psychothérapique est indiqué dans les situations les plus douloureuses. P. Charazac [4] propose « une guidance familiale » qui, par la création d’un espace et d’un temps de symbolisation, aide à restaurer le narcissisme familial, et aide à faire « le travail de séparation ». Cependant, il faut aussi que la famille arrive à maintenir une relation avec le parent dément en tant que sujet. Dans la mesure du possible, les discussions le concernant doivent se faire en sa présence et il faut éviter de garder des non-dits (à propos du long séjour, de la mort du conjoint, de la vente du domicile…), car leur perception par le patient peut entraîner un état confusionnel. Même dans la démence sévère, le « savoir affectif » (tel que le conçoit G. Le Gouès [9]), à défaut de savoir cognitif, permet de maintenir un certain niveau d’échanges avec l’entourage ; le dément et sa famille peuvent en tirer quelques satisfactions. Mais face aux attitudes régressives, infantiles, la famille, comme le soignant, doit accepter de réduire son intervention à la réassurance, c’est-à-dire être comme un parent rassurant l’enfant perdu. La famille aura besoin d’être plus particulièrement soutenue au moment de la fin de vie et de la mort dans l’institution. L’attitude de la famille est compliquée par le fait que la compréhension des sentiments et des sensations du parent dément reste toujours incertaine. Et il semble que le deuil soit plus difficile quand le patient est institutionnalisé, si on compare au cas où sa mort survient après une longue et stressante période d’aide à domicile [20]. 7. Conclusion Les troubles de la maladie d’Alzheimer et plus particulièrement les troubles psychocomportementaux pèsent lourdement sur la famille du patient. L’institutionnalisation pose différents problèmes aux intervenants : patient, famille, institution ; les relations entre ceux-ci peuvent être conflictuelles. La mise au point du projet thérapeutique et le soutien apporté à la famille, sous ses différentes formes, sont des moyens qui permettent d’améliorer la prise en charge du patient. Références [1] Association France Alzheimer. Paris : Troisième congrès national; 14/09/ 2004. [2] Bamford C, Lamont S, Eccles M, Robinson L, May C, Bond J. 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