1/1 - Ressources en histoire-géographie

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Fiches réalisées par Arnaud LEONARD
(Lycée français de Varsovie, Pologne)
à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur »
des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC)
1
HM – L'Europe et l'élargissement du monde XVe-XVIe s.
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Serge Gruzinski, Le Destin brisé de l’Empire aztèque, Gallimard, coll. «Découvertes », Paris, 1995. (Spécialiste de l'Amérique
latine, des colonisations de l'Amérique et de l'Asie, notamment des métissages et des espaces hybrides).
C. Bernard et S. Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, Fayard, Paris, 1991.
Jean Meyer, L’Europe à la conquête du Monde, Armand Colin, coll. «U», Paris, 1990. (un des spécialistes de l'histoire maritime à
l'époque moderne).
Bartolomé et Lucile Bennassar, 1492 Un monde nouveau ?, Perrin, 1991, 273 pages
Michel Chandeigne (dir), Lisbonne hors les murs. 1415-1580. L'invention du monde par les navigateurs portugais, Autrement,
1992, 285 pages
Guy Martinière et Consuelo Varela (dir), L'État du monde en 1492, La Découverte, 1992, 638 pages
J. Favier, Les Grandes Découvertes, Fayard, Paris, 1991.
Pierre Chaunu, Conquête et exploitation des Nouveaux Mondes, PUF, Paris, (1969) 1991. (spécialiste de l'Amérique espagnole et
de l’histoire sociale et religieuse de la France des XVIe-XVIIIe siècles).
Michel Lequenne, Christophe Colomb amiral de la mer océane, Gallimard, coll. «Découvertes », Paris, 1991.
Marco Polo, Le devisement du monde, Textes choisis, Bibliothèque Gallimard, rééd., 1998.
Christophe Colomb, Journal de bord 1492-1493, Imprimerie nationale, 1992.
Stephen GREENBLATT, Ces merveilleuses possessions : découvertes et appropriation du Nouveau Monde au XVIe siècle, Les
Belles Lettres, Paris, trad. fr., 1996
Documentation Photographique et diapos :
Civilisations amérindiennes - n° 7022 (1994) / Claude Baudez, Danièle Lavallée
1492 : les royaumes ibériques - n° 7011 (1992) / Bernard Vincent, Jean-Frédéric Schaub
« Les grandes découvertes », n° 6075, février 1985.
Revues :
Histoire de l'Amérique latine , Dossier H&G, 371 juillet août 2000 et 374 mai 2001
2000 ans de mondialisation / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 38, Hors-Série, Janvier-Mars 2008 :
- « L'Europe à la conquête du monde » (Joël Cornette) : L'expansion géographique des Européens, à la fin du XVe siècle,
bouleverse l'histoire du monde. Désormais, tout communique, les frontières sont abolies, la Terre est unifiée. Et les monarques se
reprennent à rêver d'empire universel
- Un christ métis (Serge Gruzinski) : Les conquistadors voulaient christianiser l'Amérique pour mieux l'assimiler. Ils y parvinrent
au prix de massacres et d'un long travail sur les esprits. Mais aussi d'un certain nombre de malentendus : en adoptant le
catholicisme, les indigènes l'ont profondément transformé
- Ces plantes venues du Mexique (Martine Pedron) : L'arrivée des conquistadors en Amérique latine à la fin du XVe siècle est le
point de départ d'un authentique métissage culinaire. Les produits importés d'Amérique modifient en profondeur la gastronomie
européenne
Pierre Chaunu: "Colomb, ce fou..." dans L'Espagne / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 31, Avril-Juin 2006
L’Histoire, n° spécial 146 : «1492 : la découverte de l’Amérique », juillet-août 1991.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
BO 5e actuel : « L’Europe à la découverte du
L’objectif est de montrer comment et pourquoi la découverte de nouveaux
monde (3 à 4 heures)
mondes a été rendue possible et comment la découverte a entraîné la colonisation Les grands voyages de découverte terrestres
et l’exploitation, premier temps de la domination européenne sur le monde.
et maritimes sont analysés à partir d’une
Une étude sur Marco Polo permet de faire le lien avec le Moyen Âge et de
carte. La destruction des civilisations
montrer ce que les explorateurs des XVe et XVIe siècles doivent à leurs
amérindiennes et la constitution des premiers
prédécesseurs. Ce sujet s’articule autour d’un axe central : la conquête de
empires coloniaux font l’objet d’une étude
l’Amérique.
synthétique.
• Cartes : les grandes découvertes ; les
BO futur 5e : « Les découvertes européennes et la conquête des empires ouvrent
empires coloniaux.
le monde aux Européens.
• Repère chronologique : prise de Grenade,
Ouverture au monde :
Christophe Colomb en Amérique (1492).
- un voyage de découverte et un épisode de la conquête ;
• Documents : Marco Polo : le Livre des
- une carte des découvertes européennes et des premiers empires.
Merveilles ; une caravelle. »
Connaître et utiliser les repères suivants :
− Le premier voyage de Christophe Colomb (1492) ou le voyage de Magellan
Socle. Ajout au commentaire
(1519-1521) sur une carte du monde
« Le Livre des Merveilles de Marco Polo sert
2
Raconter et expliquer un épisode des découvertes ou de la conquête de l’empire
espagnol d’Amérique »
BO 2nde : « Humanisme et Renaissance
– Une nouvelle vision de l'homme et du monde
Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se produit une modification profonde de la
vision de l'homme sur sa condition et sur le monde, ainsi que la naissance d'un
esprit scientifique. Ces bouleversements sont facilités par les mutations
importantes des moyens de communication et de diffusion des idées et des
savoirs : invention de l'imprimerie, multiplication des universités, collèges et
académies. L'utilisation de cartes permet de prendre conscience de l'élargissement
du monde (les grandes découvertes) et de localiser les exemples choisis. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
La partie 1 met l’accent sur les raisons des grands voyages et les découvertes
territoriales qui s’en suivent. Elle est étroitement liée à l’étude de cas qui suit sur
les conditions matérielles des grandes découvertes ; à travers celle-ci on peut
envisager les progrès techniques qui ont permis aux Européens d’affronter la
haute mer.
La partie 2 constitue donc le point fort de l’étude de la conquête de l’Amérique.
L’étude des civilisations amérindiennes laisse place à la notion de «rencontre »
(premiers contacts, conquête et colonisation) des Européens avec les Indiens.
Il faut donc terminer logiquement cette étude par la présentation des premiers
empires coloniaux et l’idée de domination européenne (partie 3).
1. L’aventure des grandes découvertes
Mais où sont les isles fortunées...
Tandis que Constantinople tombe aux mains des Turcs, l’Europe s’ouvre aux
terres inconnues. Le Vénitien Marco Polo avait déjà connu la Chine au XIIIe
siècle, les voyageurs de la Renaissance firent plus : Sumatra en 1419, Le Caire,
Calicut, l’Abyssinie en 1494 ; Damas, Goa, Malacca... On part chercher les pays
merveilleux que les fables et les chroniques médiévales ont tant décrits : l’Inde où
les pygmées luttent contre les grues, où les hommes ont des têtes de chiens ; le
paradis terrestre que l’on croit en Asie, visité déjà par Alexandre, et où séjournent
les deux géants Gog et Magog, non loin du tombeau de l’apôtre Thomas et du
royaume légendaire du Prêtre Jean. Naviguant d’une île à l’autre des petites
Antilles, Colomb croit voir les cinq mille îles fortunées dont parlait Jean de
Mandeville au début du XIVe siècle. Le Rio d’Oro (Eldorado) que l’on croit
d’abord en Afrique est localisé et cherché sans relâche au Venezuela.
L’Europe part en quête de ses rêves, mais aussi de l’or, de l’argent, des épices et
des parfums, pour combler des besoins que le luxe de la Renaissance et les
expéditions guerrières nécessitent. Vers l’est d’abord avec les bateaux portugais,
puis vers l’ouest, ce sont les Espagnols qui foulent une terra incognita, sans que
l’on ait tout de suite compris que Colomb venait de découvrir un continent ; les
Français, les Anglais cherchent une route vers l’Extrême-Orient qui ne fût pas
contrôlée par les Ibériques : surgit la côte nord-américaine et les glaces de la baie
d’Hudson.
Avec les voyages commence la curiosité pour les « sauvages ». Dans la deuxième
moitié du XVIe siècle se multiplient les récits sur les mœurs, les coutumes
étranges. L’homme européen venait d’apercevoir un nouveau rêve : il existait des
peuples nus qui ignoraient la pudeur et la religion...
Quelles parties du monde sont découvertes par les Européens entre la fin du XVe
siècle et le XVIe siècle ?
Au cours des XVe et XVIe siècles, les Européens ont déplacé les limites du
monde connu. Vers 1400, les terres connues se limitent à l’Europe occidentale, à
une partie de l’Asie (notamment grâce aux routes de la soie, des épices, de la
porcelaine et aux voyages de Marco Polo), ainsi qu’à une partie des côtes de
l’Afrique et à la péninsule arabique. Vers 1500, les hommes, grâce à des
expéditions comme celles de B. Diaz (1487-1488) et de Vasco de Gama (14971499), complètent leur connaissance du pourtour africain ainsi que d’une partie
de l’Inde. L’Extrême-Orient est lui aussi peu à peu mieux connu, tandis que la
nouveauté essentielle de la fi n du XVe siècle et du début du XVIe réside dans la
découverte et la conquête progressive du nouveau continent américain. Le 12
de support à une évocation du monde chinois.
On veille à l’articulation de la découverte du
continent américain par les Européens avec
celle de l’Amérique en géographie. »
Activités, consignes et productions des élèves
:
Marco Polo raconte ses aventures dans Le
Livre des merveilles
On a pu recenser cent quarante trois
manuscrits du Livre des merveilles. Écrit au
départ en français, il en existe diverses
traductions. Henri le Navigateur et
Christophe Colomb en possédèrent chacun un
exemplaire illustré. La double page vise à
la fois à présenter les aventures de Marco
Polo et à montrer en quoi leur récit,
conjuguant le réel et le légendaire, ont fasciné
et inspiré les grands explorateurs des XVe et
XVIe siècles.
L’élargissement du monde connu
Lorsque Christophe Colomb arrive au terme
de son voyage, les Européens connaissent
déjà la Chine (le voyage de Marco Polo a lieu
entre 1275 et 1291), l’Inde et le SudEst asiatique. En Afrique, seul le littoral est
connu ; le continent reste mystérieux : les
navires portugais ont découvert et colonisé
les îles du Cap-Vert, Madère et les
Açores. Au-delà, s’étend la « mer océane »
dont on ignore les limites.
Le Portugais Magellan franchit une étape
cruciale en contournant le continent
américain (1519) : il découvre l’océan
Pacifique. Son équipage rentre à San Lucar
en 1522 en ayant effectué le tour du monde
en 1483 jours (Magellan est mort aux
Philippines).
Vasco de Gama contourne l’Afrique (14971498) en empruntant le cap de BonneEspérance (découvert dix ans plus tôt par
Bartolomé Diaz) et longe les côtes orientales
du continent. Il explore ensuite l’océan Indien
et ouvre la route des épices jusqu’à Goa.
Les explorations des Français et des Anglais
sont mineures, comparées aux empires que se
taillent les Espagnols et les Portugais.
La découverte de Colomb n’est pas
immédiatement perçue comme un événement
important (le navigateur
pense lui-même avoir débarqué en Asie).
Les représentations géographiques évoluent
lentement, a fortiori quand elles remettent en
cause la Bible et les autorités antiques.
Amerigo Vespucci affirme en 1503
qu’il s’agit bien d’un nouveau continent et
3
octobre 1492, le Génois Christophe Colomb, persuadé d’avoir atteint l’Inde par
l’ouest, découvre les Antilles. La découverte des Amériques se poursuit ensuite
grâce à divers explorateurs comme Vespucci, Cabot, Magellan, Verrazzano,
Cartier. Les navigateurs, grâce à leur audace et aux progrès de la navigation,
s’éloignent des côtes et complètent la connaissance des mers et des océans. Ainsi,
entre 1519 et 1522, l’expédition menée par le navigateur portugais Magellan puis
par son second, Elcano, réalise le premier tour du monde par voie maritime, en
contournant l’Amérique par le sud. Cela amène les hommes à découvrir que le
globe est beaucoup plus vaste et complexe que tout ce que l’on avait pu imaginer.
L’espace géographique connu s’élargit donc et les Européens prennent
conscience de leur capacité à le maîtriser.
Le planisphère de Toscanelli au milieu du XVe siècle
L’Amérique, l’Océanie et l’Antarctique ne sont pas représentés car encore
inconnus. Les parties du monde les mieux connues et représentées sont l’Europe
et une partie de l’Asie. Le reste de ce dernier continent est cependant encore fi
guré de façon très imprécise et fautive de même que l’Afrique. En 1507, une carte
laisse percevoir des progrès dans la représentation de l’Afrique et du continent
asiatique même si ces derniers restent encore mal connus. L’Océanie et
l’Antarctique n’y apparaissent pas. Le phénomène le plus remarquable est la
représentation du continent américain nouvellement découvert. Ces améliorations
sont le fruit des Grandes Découvertes, favorisées par une meilleure connaissance
de la carte des vents et des courants, par les progrès dans le domaine de la
navigation et l’utilisation d’instruments de mesure comme la boussole ou
l’astrolabe. Ces Découvertes sont aussi le résultat des motivations politiques,
religieuses et économiques des souverains européens. Ainsi, les Portugais
contournent l’Afrique (Diaz, Vasco de Gama) ; les Espagnols traversent
l’Atlantique (Colomb) et découvrent l’Amérique. En 1503, Amerigo Vespucci
affi rme qu’il s’agit d’un nouveau continent et non d’une île. Cette idée est
reprise ici par Martin Waldseemüller qui donne sur sa carte le nom du navigateur
au continent.
Uun monde nouveau…
Gravure de Théodore de Bry, 1594. Paris, BN.
Le XVIe siècle s’ouvre au monde lors des Grandes Découvertes. La gravure de
Théodore de Bry représente l’instrument des voyages transocéaniques: les trois
caravelles de Christophe Colomb abordent Hispaniola. La gravure prévoit ce que
devint la colonisation espagnole du continent américain, puisqu’en arrière-plan
on voit les sauvages fuir devant le débarquement espagnol. Ce document
condense ainsi plusieurs aspects des Grandes Découvertes, la croix plantée sur la
plage évoquant le formidable élan missionnaire qui anima les colons. Au premier
plan, la représentation de Colomb et des Indiens témoigne de cette découverte de
« l’autre» d’où naîtra le mythe du bon sauvage en Europe.
La découverte du monde
Les Grandes Découvertes ont considérablement élargi le monde connu, puisqu’à
la fin du XVIe siècle, les Européens ont mis le pied sur la plupart des continents.
Les conquêtes coloniales n’ont cependant pas encore permis l’exploration de
l’intérieur de certains continents : c’est le cas de l’Amérique du Sud, notamment
le coeur amazonien du Brésil, ainsi qu’une partie de l’actuelle Bolivie. La logique
d’une colonisation de comptoirs, qui ponctuent les côtes africaines, a de la même
manière retardé la découverte de l’Afrique intérieure. Une partie de l’Amérique
du Nord est encore vierge, tout comme l’Australie. De même, les moyens de la
colonisation restent trop rudimentaires pour que les Européens s’aventurent dans
le Grand Nord canadien ou sibérien.
Les commerces méditerranéen et hanséatique développés pendant la période
médiévale sont désormais concurrencés en valeur par des flux transocéaniques :
en provenance d’Asie en contournant la corne de l’Afrique, mais aussi à partir de
l’Afrique de l’Ouest, axe qui servira plus tard au commerce triangulaire. Ce sont
surtout les flux transatlantiques qui se développent et qui permettent notamment
l’afflux des métaux précieux du Nouveau Monde dans la péninsule Ibérique.
non d’une île « car il s’étend sur une très
grande longueur de côtes ». Cette idée est
reprise en 1507 par un éditeur installé à
Saint-Dié, Martin Walseemüller qui propose
de baptiser le « quatrième continent » du nom
du navigateur « subtil » qui a vraiment pris la
mesure de l’immensité du territoire.
Les grandes découvertes
L’humanisme symbolise d’abord l’ouverture
de nouveaux horizons géographiques. Les
grands voyages sont favorisés par les
conditions techniques (invention de la
caravelle…), économiques (besoin de métaux
précieux et d’épices) et religieuses
(la fermeture de la route commerciale entre
l’Occident et l’Extrême-Orient par les
Ottomans relance l’esprit de reconquête). Ce
mouvement est impulsé par le Portugal : les
souverains patronnent des expéditions
maritimes vers l’Afrique dans le
but de ramener de l’or (Soudan), du sel, du
sucre… C’est aussi à ce moment que débute
la traite des Noirs (milieu du xve siècle).
En 1476, le Génois Christophe Colomb
développe le projet d’aller aux Indes en
naviguant vers l’ouest. Son objectif est
d’atteindre le Japon, dont Marco
Polo (marchand vénitien du xıııe siècle qui a
résidé en Chine) a vanté les richesses. La
reine Isabelle de Castille accepte de financer
l’expédition de Colomb. 1492 voit le départ
de trois caravelles qui découvrent les
Bahamas, Cuba, Haïti, et la côte de
l’Amérique Centrale au cours de quatre
voyages. Mais Christophe Colomb est
convaincu d’avoir trouvé la route des Indes.
C’est Amerigo Vespucci, reprenant le même
trajet, qui découvre, sur les côtes du
Venezuela, que cette terre est un nouveau
continent. Parallèlement, Vasco de Gama,
soutenu par le roi du Portugal Manuel Ier, se
rend en Inde. Le Portugal contrôle alors
l’océan Indien. Une expédition
menée par Alvarez Cabral vers l’Amérique
permet aussi la découverte du Brésil.
L’expédition de trois ans (1519-1522) du
Portugais Magellan accomplit le premier tour
du monde. La preuve est faite qu’il existe une
route occidentale vers les
Indes et que la Terre est une sphère.
Deux grandes découvertes sont effectuées par
les Européens :
– l’existence d’un quatrième continent. Celuici prendra le nom du navigateur Amerigo
Vespucci qui est le premier à affirmer
l’existence de ce continent au début du XVIe
siècle ;
– la preuve que la Terre est une sphère, grâce
au voyage de Magellan, confirmant ainsi la
géographie de Ptolémée.
2. La conquête de l’Amérique
L’Occident découvre une nouvelle plante
4
La rencontre entre Christophe Colomb et les Indiens.
Cette épître, connue sous le nom de « lettre à Santangel », est sûrement assez
semblable à celle que Colomb adresse au même moment aux souverains
espagnols, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, mais qui n’est pas
parvenue jusqu’à nous. Elle rapporte le succès de son entreprise. Il y fait état de
ses bonnes relations avec les populations rencontrées (« sans rencontrer aucune
opposition »). Dans ses écrits, Colomb fait souvent mention de l’accueil que les
autochtones lui réservent et des cérémonies de don et de contre-don qui le
caractérise. Il se livre ici à une description de l’aspect physique (« tout nus », «
belle stature », « pas noirs ») et des traits de caractère de ces populations qu’il
présente comme dociles, naïves et inoffensives. Le Génois en fait une sorte de
peuple infantile. Leur innocence, décrite ici, commence alors à alimenter le
mythe du bon sauvage. !
Le texte de Colomb fait écho aux légendes entretenues autour de la cruauté
supposée des populations indiennes. En effet, les Européens ont assimilé le
nouveau monde tantôt à l’enfer, tantôt au paradis. Et l’indigène a pris la forme
soit du cannibale, soit du bon sauvage. Si Colomb insiste sur le caractère
vertueux et pacifi que des Indiens, contredisant l’image qu’on leur prête depuis
l’Europe (« je n’ai pas encore rencontré d’hommes monstrueux »), il écrit
néanmoins : « j’ai pourtant entendu dire qu’il y a une île peuplée de gens très
féroces qui mangent la chair humaine ». Ainsi, des récits du XVIe siècle nous
rapportent le culte sanguinaire des Aztèques, la cruauté de certains Indiens
Caraïbes (d’où vient le terme cannibale) qui apparaissent comme une résurgence
des récits antérieurs comme ceux de Marco Polo décrivant les cynocéphales, ces
hommes à tête de chien qui aboient au lieu de parler et se nourrissent de chair
humaine.
Si le portrait des Indiens tracé par Colomb est positif, il est aussi assez méprisant
dans la mesure où, le caractère pacifique et la bonté qu’il dépeint sont jugés
comme une faiblesse exploitable par les Européens. Son discours annonce les
dérapages de la colonisation future. Il propose en effet d’assujettir les Indiens et
d’exploiter les ressources nombreuses de leur territoire (or, épices, coton, mastic,
bois d’aloès…). On retrouve aussi dans ce texte la mission d’évangélisation que
se donne Colomb mandaté par les souverains espagnols : « je leur donnai mille
jolies choses pour qu’ils nous prennent en affection ; ils seront ainsi attirés à se
faire chrétiens ». En effet, la colonisation a d’abord un objectif religieux, dans le
prolongement de la Reconquista qui vient de se terminer avec la prise de Grenade
en 1492. On peut voir dans cette lettre les prémisses d’une domination fondée sur
des rapports de force, de mépris, d’exploitation et d’acculturation des
populations.
La conquête du Nouveau Monde
« Les Indiens sont propres à être commandés »
Dans cet extrait de son Journal de bord, Christophe Colomb rend compte de son
premier voyage, qui lui a permis de découvrir les « Indes occidentales ». Il
s’adresse à ses commanditaires, les Rois catholiques (« Vos Altesses »), Isabelle
de Castille et Ferdinand d’Aragon. Colomb justifie son premier voyage comme
une mission d’évangélisation : « convertir ces peuples à notre Sainte Foi ». La
colonisation a d’abord un objectif religieux, dans le prolongement de la
Reconquista (qui vient de se terminer, avec la prise de Grenade en 1492). Colomb
décrit les Indiens comme des êtres dociles et inoffensifs (« gens très pauvres en
tout », « nus », autrement dit à l’état sauvage, sans « aucun culte », « sans génie
pour le combat », « peureux », « propres à être commandés »). Vus par un
Européen, ils constituent une sorte de peuple infantile. Colomb fait miroiter des
richesses qui pourraient renforcer la position de l’Espagne. Les terres sont «
bonnes et fertiles » et il semble y avoir de l’or. Colomb se présente comme
l’envoyé du roi et de la reine d’Espagne. Il s’adresse à eux avec déférence, tout
en leur conseillant assez fermement la marche à suivre. Le 17 avril 1492, les «
capitulations » signées par les Rois catholiques confèrent à Colomb les titres
d’amiral, vice-roi et gouverneur « des îles et terre ferme » qu’il pourra découvrir.
Christophe Colomb débarque à Hispaniola (Haïti) en octobre 1492. Gravure de
Théodore de Bry, 1594. B.N.F., Paris.
Cette gravure est postérieure de presque un siècle à l’événement relaté et elle est
loin d’être une image neutre. Théodore de Bry, graveur et éditeur installé à
Francfort, est spécialisé dans la publication et l’illustration d’ouvrages dénonçant
Le voyageur français Jean de Léry livre en
1578 un véritable bréviaire d’ethnologie dans
le récit de son voyage au Brésil. Il y étudie la
peuplade des Indiens Toupinanbaou, et
s’intéresse notamment à leur langage.
Huguenot, il trouve dans les cannibales une
métaphore des catholiques, dévoreurs du
corps du Christ. Dans cet extrait, il fait la
description du tabac, qui commence à être
introduit en Europe et en Asie au XVIe
siècle. Jean de Léry décrit ainsi la pipe
rudimentaire qu’utilisent les indigènes pour
fumer la plante à laquelle la médecine
européenne prêtait des effets revigorants.
Mais l’approche de Léry se veut aussi
sociologique, puisque les dernières lignes
montrent la fonction sociale qu’occupe le
tabac, qui est un moyen d’échange entre
individus.
Les empires coloniaux
Les empires coloniaux de l’Espagne et du
Portugal sont de nature différente. Dans
l’océan Indien, les Portugais ont développé
un empire purement commercial qui repose
sur une chaîne de comptoirs fortifiés, sur les
côtes d’Afrique, d’Inde, jusqu’en Chine et au
Japon. Ils colonisent aussi le Brésil. Pour
prendre le contrôle de ce commerce, les
Portugais s’efforcent de briser les échanges
du monde musulman préexistants. Ils
s’attaquent donc aux clés de l’océan Indien :
Malacca (1511), Ormuz (1515). Pour payer
les produits asiatiques, les Portugais
exportent des produits européens comme le
cuivre, le mercure, l’alun… mais les
échanges sont déficitaires, ils doivent donc
payer en or et en argent, en particulier
d’Amérique.
Les Espagnols conquièrent un immense
territoire. Ils installent une administration et
exploitent les richesses des territoires conquis
(mines et plantations). Les produits expédiés
vers l’Europe sont : la soie de Chine, les
épices d’Inde, l’ivoire, les esclaves et l’or
d’Afrique, le sucre et le bois du Brésil, le
sucre des Antilles, l’argent du Mexique et des
mines du Potosi dans l’actuelle Bolivie, et
l’or de l’actuel Pérou.
Vue de Séville au XVIe siècle. Tableau de
Francisco Pacheco,musée des Amériques,
Madrid.
Ce tableau permet d’évoquer le
développement, à partir des grandes
découvertes, des ports de l’Atlantique, et en
particulier Séville. On fera observer l’activité
intense et fébrile qui semble y régner en
faisant relever le nombre de navires à quai et
les personnages qui s’activent pour
embarquer ou débarquer des marchandises.
Les bateaux arrivent du Nouveau Monde
chargés d’or et d’argent et repartent avec des
produits de la métropole : vin, huile, meubles,
chaussures, draps et soieries… Séville reste
5
la brutalité de la conquête coloniale, comme ceux de Las Casas. Il travaille avec
les protestants hollandais et les huguenots français qui utilisent une thématique
anti-colonialiste dans leur combat contre l’Espagne catholique. Les trois
caravelles de l’Amiral sont visibles : l’une vient de jeter l’ancre (l’équipage met
pied à terre), les deux autres entrent dans la rade. Ce sont des vaisseaux d’une
longueur de 30 mètres environ, dotés du gouvernail d’étambot, équipés de trois
mâts portant cinq voiles, ce qui permet une meilleure utilisation du vent.
Pacifiques (ils n’ont pas d’armes), les Indiens viennent à la rencontre des
Européens en leur apportant des cadeaux (bijoux, coffre) : les colons semblent
accueillis comme s’ils étaient « venus du Ciel » (Las Casas). L’image est divisée
en deux plans distincts : de part et d’autre de la lance tenue par Colomb (qui se
prolonge par l’un des mâts du bateau amarré). À droite, le monde sauvage où les
colons viennent juste de débarquer. Dans un paysage peu réaliste, les indigènes
sont nus. Au fond de l’image, certains s’enfuient à la vue des arrivants. À gauche,
le monde de la civilisation, celui de la religion catholique et de la « modernité »
technique (les bateaux, les armes). Nudité et docilité des indigènes contrastent
nettement avec l’apparence des premiers conquistadores (richement vêtus, sûrs
d’eux et de leur pouvoir). L’image cherche à accentuer le contraste entre le
monde des « bons sauvages », celui de la nudité et de l’innocence, et le monde
des conquistadores, à la violence sous-jacente (les deux soldats derrière Colomb
ne sont guère avenants !).
longtemps la seule ville autorisée par la
couronne à commercer avec l’Amérique,
d’où sa prospérité. La casa de contratacion ou
chambre de commerce de Séville, fondée en
1503, organise le départ des flottes et
s’occupe de toute l’administration du voyage.
Elle assure aussi la formation des pilotes et
perçoit les impôts sur les marchandises
débarquées.
L’évangélisation des Indiens. Illustrations de la Nueva Cronica y buen gobierno,
rédigée vers 1613.
Sur les différentes images, on peut voir :
– un moine (reconnaissable à sa tonsure et à sa robe), qui semble superviser le
travail des indigènes [vignette en haut à gauche] ;
– un évêque (coiffé de sa mitre), qui bénit un mariage indigène [vignette en haut à
droite] ;
– un cardinal (coiffé de son chapeau caractéristique), qui bénit un colon (?)
[vignette en bas à droite].
L’évangélisation se traduit concrètement dans la vie des Indiens. Le paysage se
christianise, avec la construction d’églises [vignette en bas au centre] et
l’organisation des « réductions » [vignette en haut au centre] : ces villages
fortifiés mettent en commun, sous contrôle de l’Église, les terres, avec, en leur
centre, l’église. Les Indiens travaillent (tissage) et adoptent les moeurs
chrétiennes (mariage, dévotion et prières).
Des millions de morts
Fils d’un compagnon de Christophe Colomb, Las Casas (1474-1566) gagne
Hispaniola en 1502 et y est ordonné prêtre. En prenant en charge l’encomienda
familiale (vastes propriétés concédées aux grandes familles et aux conquistadores
par la Couronne espagnole et où les propriétaires exercent des pouvoirs absolus),
il s’insurge très vite contre le sort réservé aux indigènes. Dans son Mémoire pour
la réformation des Indes (1516), il plaide pour la suppression de l’encomienda.
Au Guatemala, le gouverneur lui attribue en 1540 une région entière « de vera
paz » (terre de vraie paix) : aucun homme en arme ne peut y pénétrer et seuls les
dominicains peuvent évangéliser les indigènes. Il est très contesté par les colons,
mais bénéficie de l’appui de l’évêque de Mexico et devient lui-même évêque du
Chiapas, au Mexique (1544). En 1542, il adresse ce mémoire à l’empereur
Charles Quint. Son ouvrage est publié à Séville en 1552. Véritable réquisitoire
contre la barbarie et la violence extrême des conquistadores, le récit en appelle
aussi à la reprise en main par l’empereur lui-même de son autorité, diminuée
outre-Atlantique par ces exactions, « commises en son nom et indignes d’un
prince chrétien ». Las Casas participe à la Controverse de Valladolid, organisée
en 1550 par l’empereur. Convaincu que « le lignage des hommes est un », il se
prononce, contre Juan Gines de Sepulveda, en faveur d’une évangélisation
pacifique et de traitements équitables pour ces « enfants de Dieu ». Las Casas
compare les Espagnols à des bêtes fauves (« tels des loups, des tigres et des lions
très cruels ») qui fondent sur la bergerie (les indigènes sont de « douces brebis »).
Il assimile aussi implicitement les conquistadores à des créatures diaboliques,
puisqu’il évoque les « actions infernales des chrétiens » et insiste sur leur cruauté
gratuite à l’encontre d’êtres incapables de faire le mal. La mortalité des indigènes
est évoquée dans la durée (« depuis quarante ans ») et chiffrée à « douze millions
d’âmes ». La cause explicitement avancée par Las Cases est la violence (les «
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tueries »). L’auteur fait indirectement référence à une autre cause de la mortalité :
les maladies importées d’Europe qui ont frappé des organismes non préparés («
santé plus délicate »). L’effondrement démographique de l’Amérique indienne
s’explique avant tout par les épidémies qui ont touché des populations sans
défenses immunitaires appropriées (grippe, variole, rougeole, oreillons,
typhus…). L’île d’Hispaniola est sans doute passée de 8 millions d’habitants en
1492 à 61 000 en 1508, le Mexique de 25 millions d’habitants en 1519 à 1
million en 1605 !
La controverse de Valladolid
La question du droit des Indiens se posait dans le cadre d’un double contexte
propre à la péninsule Ibérique : d’une part le développement d’une nouvelle
scolastique à Salamanque plus favorable aux Indiens, d’autre part le
questionnement sur l’existence d’un droit naturel qui aurait conféré aux chrétiens
des droits particuliers. Ce droit naturel ayant été forgé par Dieu, la justification de
la christianisation paraissait toute trouvée. C’est cependant lors de la controverse
de Valladolid qu’elle fut tranchée de manière définitive, alors même qu’une
partie du clergé catholique contestait les pratiques d’une colonisation atroce
fondée sur le mécanisme de l’encomendia – tribut en travail payé par l’indigène.
L’enjeu fondamental de la controverse était donc de savoir si la colonisation
pouvait être justifiée par des impératifs religieux, une simple justification
économique de la conquête se heurtant à certaines positions ecclésiastiques. À
Valladolid, la colonisation retrouvait sa vocation missionnaire : nul doute que la
pratique du cannibalisme fut sans doute l’un des éléments qui frappaient le plus
les contemporains.
3. Les empires ibériques (XV-XVIe s)
Cette leçon répond à trois objectifs :
– montrer la naissance des empires coloniaux avec le partage du monde lors du
traité de Tordesillas, et la mise en place d’une économie coloniale basée sur
l’exploitation des richesses (mines et plantations), et l’asservissement des
populations ;
– faire remarquer simplement le passage de « l’économie-monde » (Braudel) de
la mer Méditerranée vers l’Atlantique ;
– mettre en lumière la catastrophe démographique qui a accompagné ces
bouleversements, liée à l’asservissement dans le cadre des encomiendas et la
diffusion des épidémies venues d’Europe.
Quelle part pour la France ?
Avec la célèbre bulle dite du partage du monde (4 mai 1493), le pape donne son
assentiment au partage des territoires découverts. La condition pour cette dotation
du pape Alexandre VI est que les bénéficiaires porteront partout la parole de
Dieu. L’Espagne et le Portugal se partagent les terres découvertes et celles à
découvrir le 7 juin 1494 par le traité de Tordesillas arbitré par Rome : ce qui se
trouve à l’ouest du 47e méridien ouest sera pour l’Espagne, ce qui est à l’est pour
le Portugal. Les deux puissances ont respecté le traité mais pour les autres nations
laissées pour compte, il restera lettre morte. D’où les revendications de François
Ier.
La mine d’argent du Potosi. Gravure de Théodore de Bry, 1562.
L’exploitation minière est l’un des piliers de l’économie de l’empire espagnol.
Les métaux précieux forment environ 95 % des exportations américaines. Au
début il s’agit de l’or. L’argent ne vient que plus tardivement avec l’ouverture des
mines de la Nouvelle-Espagne (1530-1545) et la découverte du Potosi en 1545
dans l’actuelle Bolivie. En 1611, Potosi devient le premier centre de l’industrie
minière au monde avec près de 150 000 habitants. La production de l’argent fait
un bond entre 1560 et 1575 avec l’adoption de l’amalgame au mercure. Le
système est rentable, mais le mercure est toxique pour les Indiens qui doivent le
piétiner. Les conditions des mineurs, recrutés selon le système inca de la mita
(sorte de corvée) dévoyé par l’exploitation coloniale, sont extrêmement pénibles
à 4 000 mètres d’altitude sur l’altiplano bolivien. Les Indiens doivent travailler
cinq jours et cinq nuits d’affilée et chaque mineur doit rapporter à la surface 25
paniers de 50 kg de minerai par journée de travail. Les Indiens travaillent avec
des pioches et remontent le minerai sur leur dos. L’argent constitue l’essentiel de
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la cargaison des galions de la fameuse « carrière des Indes ». Un cinquième de ce
chargement revient directement au roi d’Espagne.
L’évolution de la population amérindienne au XVIe siècle
Ce graphique issu de l’ouvrage de P. Chaunu, Conquête et exploitation des
Nouveaux Mondes, est intéressant parce qu’il met en évidence le cataclysme
démographique qui a eu lieu au XVIe siècle (facilement repérable) sur lequel tous
les historiens sont d’accord. Les nombres eux-mêmes sont sujets à de vives
controverses car il est difficile de faire un réel bilan. Il n’existe évidemment pas
de recensement couvrant l’ensemble du continent. Les sources sont d’origine
coloniale souvent issue de documents fiscaux. Les hypothèses oscillent entre 12
et 100 millions d’habitants pour l’Amérique de 1492 !
Il faut bien souligner que cet effondrement démographique n’est pas dû aux
actions meurtrières des conquérants, même s’ils ont souvent été d’une extrême
cruauté.
Les historiens retiennent surtout :
– l’oppression coloniale et le travail forcé dans les mines et les plantations ;
– l’effondrement des valeurs morales et religieuses des Indiens qui les poussent
au désespoir : les sources témoignent de nombreux cas de suicides et
d’infanticides ;
– et comme principale cause les épidémies venues de l’Ancien Monde, la grippe,
la variole, la rougeole, la peste pneumonique.
Au XVIe siècle, la population indienne subit une chute vertigineuse puisqu’elle
passe d’environ 26 millions en 1519 à un peu plus d’un million en 1605. C’est
pourquoi de nombreux historiens ont pu parler de génocide. Le cataclysme se
poursuit aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles et jusqu’à nos jours dans certaines
régions.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Les Indiens sont perçus par les Européens comme une population « primitive »,
restée dans l’enfance de l’humanité. La colonisation doit donc leur apporter la
civilisation, et d’abord la religion chrétienne. Mais l’évangélisation ne saurait
cacher les autres motivations de la conquête du Nouveau Monde : le désir
d’enrichissement et de pouvoir. La colonisation permet aux Espagnols de
s’emparer des richesses de l’Amérique et elle se traduit par une tragique
dépopulation, dénoncée par ceux qui refusent de considérer les indigènes comme
des « sous-hommes ».
Comment les Grandes Découvertes ont-elles transformé la vision européenne du
monde ?
En élargissant l’univers connu, les Européens, forts de leur supériorité technique,
économique et militaire, se retrouvent au centre d’un monde aux larges
potentialités. Les Grandes Découvertes font progresser la représentation
cartographique. Les cartes deviennent ainsi plus précises et plus fiables. Bien
qu’elles conservent des erreurs, elles développent la représentation mentale de
l’espace géographique des hommes de la Renaissance. Les Européens, confrontés
à de nouvelles civilisations, animés par un sentiment de supériorité, se proposent
en modèle et prennent rapidement la mesure des bénéfices qu’ils peuvent tirer
de l’exploitation des territoires découverts, tant sur le plan politique
qu’économique avec la mise en place progressive d’empires coloniaux.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
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HM – La Renaissance
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Faut-il parler d’une ou de plusieurs Renaissances ?
Le terme de « Renaissance » peut être compris de deux manières : soit comme
une révolution artistique en rupture totale avec l’art du Moyen Âge (« style
gothique et barbare »), soit comme une période historique (dans ce cas, il faut
s’interroger sur l’unité et l’homogénéité de cette période qui fait la transition
entre le Moyen Âge et les Temps Modernes).
L’affirmation de cette révolution artistique a d’abord nécessité une certaine unité
(même si plusieurs foyers apparaissent dès le XVe siècle) permettant de définir
une esthétique nouvelle, avant que les éléments de diversité ne finissent par
l’emporter, les expressions nationales s’émancipant du modèle italien. Cette
recherche de l’originalité, d’une « manière » propre à chaque artiste, conduit à la
remise en cause de l’esthétique de la Renaissance à partir des années 1530 : c’est
le début du maniérisme (cf. le Gréco).
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
Jacob Burckhardt (1818-1897) , La Civilisation de la Renaissance en Italie, t. I & II, (1860), Denoël, 1981
Jean DELUMEAU, La civilisation de la Renaissance, Arthaud, « Les grandes civilisations », 1973 (spécialiste du christianisme,
en particulier de la période de la Renaissance)
Jean DELUMEAU, Une histoire de la Renaissance, Perrin, 1999
André CHASTEL(1912-1990), Alexandre KOYRÉ, Lucien FEBVRE, Léonard de Vinci et l’expérience scientifique au XVIe
siècle, CNRS/PUF, Paris, 1953
André CHASTEL et Robert KLEIN, L’humanisme. L’Europe de la Renaissance, Skira, 1995.
John Hale, La civilisation de l'Europe à la Renaissance, Perrin, 1993, Paris, Le Seuil, 2002.(spécialiste de la Renaissance)
John Hale, Dictionnaire de la Renaissance italienne, Thames et Hudson, Paris, 1997.
Peter Burke, La Renaissance européenne, Seuil, coll. « Faire l’Europe », Paris, 2000 et coll. « Points Histoire », Paris, 2002.
Daniel ARASSE, Le sujet dans le tableau, Flammarion, Paris, 1997.
D. Arasse, Léonard de Vinci, Hazan, nouv. éd., Paris, 2003.
E. Garin, L’Éducation de l’homme moderne, 1400-1600. La pédagogie de la Renaissance, Fayard, Paris, 1995.
E. Garin (s. dir.), L'Homme de la Renaissance, Seuil, coll. « Points Histoire », 2002
Bertrand Jestaz, L’Art de la Renaissance, Citadelles et Mazenod, Paris, (1987) 2007.
B. Jestaz, La Renaissance de l’architecture, de Brunelleschi à Palladio, « Découvertes Gallimard » 1995.
Bartolomé BENNASSAR et Jean JACQUART, Le XVIe siècle, Armand Colin, coll. « U », Paris, (1972) 2002.
Margaret ASTON (sous dir.), Panorama de la Renaissance, Chêne, trad. fr., 1997, Thames & Hudson, Paris, 2003.
Hervé DRÉVILLON, Introduction à l’histoire culturelle de l’Ancien Régime (XVIe-XVIIIe siècles), SEDES, « Campus », 1997.
Ingo F. WALTHER (sous dir.), La peinture de la Renaissance, Taschen, « Époques et Styles », 1997.
Marie-Madeleine FRAGONARD, Les dialogues du Prince et du Poète, Gallimard, « Découvertes », Paris, 1990.
Erwin PANOFSKY, Essai d’iconologie : les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Gallimard, « NRF », Paris, 1979.
E. Panofsky, La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident, Flammarion, coll. «Champs», Paris, 1993.
C. F. Black, et alii, Atlas de la Renaissance, Brepols, Paris, 1993.
Dictionnaire de la Renaissance, Encyclopaedia Universalis-Albin Michel, Paris, 1998.
P. Brioist, La Renaissance 1470-1550, Atlande, coll. « Clefs concours», Paris, 2003.
G. Chaix, La Renaissance des années 1470 aux années 1560, CNES-SEDES, coll. «Capes-agrégation », Paris, 2002.
G. Chaix, L’Europe de la Renaissance, 1470-1560, Paris, Éditions du Temps, 2002.
P. Galuzzi, Les Ingénieurs à la Renaissance : de Brunelleschi à Léonard de Vinci, Giunti, Florence, 1995.
F. Lestringant, L’Atelier du cosmographe ou l’image du monde à la Renaissance, Albin Michel, Paris, 1991.
P. Rossi, La Naissance de la science moderne en Europe, Seuil, coll. «Faire l’Europe », Paris, 1999.
P. Aquilon et H.-J. Martin, Le Livre dans l’Europe de la Renaissance, Promodis, Paris, 1988.
H. Bots et F. Waquet, La République des lettres, Belin-De Boeck, Paris, 1997.
J.-C. Margolin, L’Humanisme en Europe au temps de la Renaissance, PUF, coll. «QSJ», Paris, 1981.
M. Baxandall, L’OEil du Quattrocento : l’usage de la peinture dans l’Italie de la Renaissance, Gallimard, Paris, 1985.
M. Daumas, Images et société dans l’Europe moderne, Armand Colin, coll. «U», Paris, 2000.
M. Warnke, L’Artiste et la cour. Aux origines de l’artiste moderne, Maison des sciences de l’homme, Paris, 1989.
Documentation Photographique et diapos :
« L’Europe de la Renaissance », n° 8049, 2006 / Pascal Brioist
« La Renaissance ou l’avènement de l’homme moderne », n° 6087, février 1987.
Revues :
« La Renaissance des années 1470 aux années 1560 », Historiens & Géographes n° 379, juillet-août 2002, p. 329-373.
La révolution humaniste, Un nouvel âge d’or, SOPHIE HOUDARD, TDC, N° 730, du 15 au 28 février 1997
Carte murale :
9
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
L’humanisme est un mouvement culturel multiforme, à la fois philologique,
philosophique, scientifique et artistique, puisqu’il constitue en quelque sorte le
programme intellectuel de la Renaissance. Il est difficile de présenter simplement
un mouvement aussi complexe. Cette période est aux origines de la « modernité
». En replaçant l’homme au centre de l’univers, en affirmant sa confiance dans
les progrès de la connaissance, l’humanisme permet le développement du
rationalisme scientifique, de l’individualisme. La découverte de nouveaux
mondes contraint les savants à redéfinir les limites de l’humanité. Les
conséquences religieuses de ce mouvement sont ambiguës, puisque l’humanisme
prépare le terrain à la Réforme, tout en restant attaché au libre arbitre de l’homme
que les protestants nient. Les conséquences esthétiques sont immenses : les
grands artistes de la Renaissance, qui symbolisent par leur génie même le pouvoir
créateur de l’homme, inventent un art nouveau. En parcourant l’Europe de la
Renaissance, les élèves doivent comprendre comment cette culture moderne est
née dans le « grand atelier » italien et comment elle s’est diffusée.
L’usage du mot « Renaissance » commence avec les contemporains du
phénomène : Vasari (1511-1574) appelle de ses voeux la « renaissance » de la
civilisation antique. Dans ses Vies, il situe le début de cette période faste avec
Giotto (1267-1337) et Masaccio (1401-1428) et la clôt à la mort de Michel-Ange
(1564). Mais le concept de Renaissance est une création des historiens du XIXe
siècle comme Jacob Buckhard dans la Civilisation de la Renaissance en Italie
(1860). Le mot est alors lié à l’esprit positiviste naissant et au contexte politique
et économique exaltant la bourgeoisie libérale et sa volonté de puissance. C’est
bien le XIXe siècle qui, en inventant le Moyen Âge et la Renaissance, opposa ces
deux périodes : aux temps « obscurs et barbares », succédait une période
d’épanouissement éclairant les arts et l’individu. La Renaissance et l’humanisme
furent donc identifiés à une période de rupture : leur programme culturel devint
synonyme de libération de l’homme.
Les historiens actuels, sans nier les facteurs de rupture, tendent à nuancer une
vision trop simpliste. On sait aujourd’hui que le XIIe siècle inaugura des
changements importants dans les mentalités, que la « révolution culturelle »
s’épanouit dès le XIVe siècle en Italie et connut son essor véritable dès le
Quattrocento (XVe siècle). Aujourd’hui, beaucoup d’historiens et d’historiens de
l’art, dans la mouvance d’André Chastel, travaillent sur la transition lente entre
l’art gothique et l’art renaissant (la continuité étant sans doute plus visible dans la
peinture flamande et allemande que dans la peinture italienne).
La notion même de Renaissance, si elle trouve son origine dans la pensée de
certains auteurs du XVIe siècle, a essentiellement été forgée postérieurement, afin
de donner corps à la supposée rupture avec le Moyen Âge qui intervient dans les
années 1450, voire quelques décennies plus tôt pour certaines parties de l’Italie.
Cette approche fondée sur une cassure nette entre le Moyen Âge et la
Renaissance est fortement artificielle. Toute une partie de l’historiographie
récente s’est attachée à démontrer comment la plupart des bouleversements du
XVIe siècle plongent leurs racines dans l’Europe au sortir de la Grande Peste.
Mais il est de grands évènements symboliques, de grands personnages, ou des
accélérations brutales de l’histoire, comme la Réforme, qui contribuent à
fortement individualiser cette période. Si le Quattrocento italien anticipe très
certainement sur les évolutions artistiques postérieures, la période
d’extraordinaire floraison artistique de la première moitié du XVIe siècle apparaît
comme unique. Un tournant s’opère à la fin du XVe siècle. Les premières
expériences italiennes se diffusent et se confrontent à d’autres foyers culturels
pour former cette « civilisation de la Renaissance », concept élaboré par Jacob
Burckhardt vers 1860.
L’historiographie de la question a été profondément renouvelée dans les deux
dernières décennies. Les grands travaux des années 1950-1980 ont défriché une
large part de la question, dans des domaines aussi variés que l’histoire culturelle
(P. Burke), l’histoire de la lecture (R. Chartier), ou l’histoire de l’art (A. Chastel).
Les recherches actuelles vont dans deux directions. Elles ont ouvert des champs
d’études nouveaux, partiellement délaissés jusque-là : c’est le cas de l’histoire des
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 5e actuel : « Humanisme, Renaissance,
Réformes (6 à 8 heures)
À partir de textes et d’oeuvres d’art, les
élèves perçoivent le renouvellement des idées
et des formes.
• Cartes : les principaux foyers de
l’humanisme et de la Renaissance
• Repères chronologiques : la Bible de
Gutenberg (milieu du XVe siècle)
• Documents : extraits d’oeuvres de Rabelais
; la Chapelle Sixtine ; un château de la
Renaissance.
BO 5e futur : « La Renaissance renouvelle les
formes de l’expression artistique ;
Bouleversements culturels :
− la vie et l’oeuvre, d’un artiste ou d’un
mécène de la Renaissance ou un lieu et ses
oeuvres d’art ;
− une carte des foyers et de la diffusion de la
Renaissance.
Connaître et utiliser les repères suivants :
− La Renaissance (XVe - XVIe siècle) et ses
foyers en Europe
Raconter un épisode de la vie d’un artiste ou
d’un mécène ou décrire un monument ou une
oeuvre d’art comme témoignages de la
Renaissance.
BO 2nde : « Humanisme et Renaissance
– Une nouvelle vision de l'homme et du
monde
– La Renaissance artistique
Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se
produit une modification profonde de la
vision de l'homme sur sa condition et sur le
monde, ainsi que la naissance d'un esprit
scientifique. Ces bouleversements sont
facilités par les mutations importantes des
moyens de communication et de diffusion des
idées et des savoirs : invention de
l'imprimerie, multiplication des universités,
collèges et académies. Il s'agit de privilégier
l'exploitation de quelques documents variés
(extraits des grands auteurs de l'Humanisme,
oeuvres d'art de la Renaissance) pour mettre
en relation les différents domaines du sujet et
faire apparaître ruptures et continuités.
Entrées possibles : des personnalités (des
écrivains, des artistes, des mécènes), des
foyers de création (Florence, Rome, Flandres,
etc.) ou des oeuvres emblématiques
(peintures, sculptures, etc.). »
UNE INVENTION DU XIXe SIECLE
C’est pourtant le XIXe siècle français qui «
inventa » le Moyen Âge et la Renaissance et
décida ainsi, en opposant ces deux périodes,
de donner à la notion d’humanisme, à ce qui
fut un gigantesque mouvement intellectuel, le
sens prestigieux qu’on lui accorde depuis.
Après la Restauration, en effet, l’échec de la
révolution de 1848 et la prise du pouvoir par
10
techniques en plein renouvellement. Parallèlement, on assiste au prolongement
d’une démarche déjà initiée dans les années 1970, soit la remise en cause des
modèles d’interprétation historique antérieurs. C’est ainsi que l’idée du « beau
XVIe siècle» est de plus en plus critiquée, tout comme certaines interprétations
d’une prestigieuse historiographie économique héritée de Braudel et de Chaunu.
Tous ces travaux nuancent et complexifient à l’extrême le problème fondamental
de cette période renaissante, qui explique qu’elle soit un « fondement du monde
contemporain ». La Renaissance est perçue, dès le XIXe siècle, comme le
synonyme de la modernité fondée sur la découverte du monde et de l’homme,
alors que la Réforme est interprétée comme une première manifestation de la
libération des individus vis-à-vis de l’Église. Cette grille d’analyse un peu
romantique a été largement critiquée depuis. Mais toute schématique qu’elle soit,
cette interprétation montre comment la Renaissance constitue une rupture pour
l’Europe. S’ils ne naissent pas brutalement au XVIe siècle, de grands concepts et
de nouvelles réalités s’y donnent désormais à voir à l’échelle européenne. L’État,
l’individu, l’artiste sont autant d’exemples de ces grands piliers de la modernité
que la Renaissance contribue à révéler. Ils connaîtront leur apogée aux XVIIe et
XVIIIe siècles, mais les fondements de ce monde moderne ne peuvent se déceler
que pendant la période qui court du début du XVe au début des guerres de
religion.
En quoi les hommes de la Renaissance ont-ils voulu rompre avec le passé et bâtir
un monde nouveau ?
Dans une lettre du 26 février 1517, Érasme écrit pressentir « les approches d’un
nouvel âge d’or » qui verrait la paix succéder à la guerre, le développement des
lettres, des sciences, du droit et le renouveau de la piété succéder aux ténèbres de
l’ignorance. L’Italien Vasari, dans ses Vies des plus excellents peintres,
sculpteurs et architectes italiens (1550), utilise le mot rinàscita pour qualifier le
renouveau des arts et appelle de ses voeux la « renaissance » de la civilisation
antique. Mais le concept de « Renaissance » est une création des historiens du
XIXe siècle comme J. Burckhardt et Jules Michelet qui, en inventant le Moyen
Âge et la Renaissance, opposent ces deux périodes. Pour eux, la Renaissance est
une rupture qui voit la fi n des temps « obscurs et barbares » laisser place à une
période d’épanouissement éclairant les arts et les individus, et les libérant. Cette
vision est désormais jugée trop simpliste par les historiens qui, sans nier les
facteurs de rupture, montrent que le Moyen Âge n’est peut-être pas si
radicalement coupé des siècles qui le suivent, pointant les archaïsmes des XVe et
XVIe siècles. Ainsi, l’entreprise humaniste qui vise à revaloriser la nature
humaine s’ancre dans la réflexion de Thomas d’Aquin sur les besoins spirituels
de l’homme. Dans la mouvance d’André Chastel, beaucoup d’historiens et
d’historiens de l’art travaillent désormais sur la transition lente entre l’art
gothique et l’art renaissant. Si la continuité est plus visible dans l’art flamand et
allemand que dans l’art italien, l’exemple des fresques de Benozzo Gozzoli dans
la chapelle privée du palais des Médicis à Florence montre la pérennité du style
gothique international. De même, les cérémonies civiques florentines, si elles
se réfèrent à l’Antiquité, empruntent aussi largement au vocabulaire
chevaleresque avec ses tournois et ses emblèmes. Cependant, l’époque
correspond bien à un moment historique particulier, où, entre le XVe et le XVIe
siècle, plusieurs générations d’artistes, d’intellectuels et de savants ont le
sentiment que des temps nouveaux sont venus, marquant une rupture nette avec la
période médiévale qualifiée avec mépris de « gothique » (Pétrarque). Ainsi, la
conscience d’appartenir à un siècle unique est constitutive d’un renouveau
culturel, partagé au moins par certaines élites.
Louis-Napoléon Bonaparte qui en résulta, les
historiens républicains – Jules Michelet
d’abord – produisirent les images odieuses
des abus féodaux et des superstitions
religieuses. La Renaissance, perçue comme
une époque de rupture avec le passé
médiéval, et l’humanisme, son programme
culturel, devinrent dès lors et pour longtemps
synonymes de la libération de l’homme et du
peuple des superstitions et des servitudes «
moyenâgeuses ». Jacob Burckhardt (18181897), l’historien d’art suisse dont l’intérêt se
porta sur la Renaissance italienne, y voyait
quant à lui l’apparition de l’individualisme et
de la modernité.
On sait mieux aujourd’hui, grâce aux travaux
des médiévistes, que le XIIe siècle inaugura
ce changement des mentalités et élabora cette
révolution culturelle qui devait s’épanouir
aux XVe et XVIe siècles.
La Renaissance des XVe et XVIe siècles
ouvrit bien la carrière à une nouvelle
sensibilité. Elle fut le cadre historique du
renouveau culturel dont l’humanisme écrira
dans les arts et dans les sciences les plus
belles pages. Les deux notions appartiennent
cependant encore trop souvent à nos
croyances, à une mémoire idéologique et
politique lourde des mythologies que les
cultures construisent et défont dès qu’elles se
contemplent et s’écrivent. Or, la Renaissance
a beaucoup parlé d’elle-même, et bien avant
le XIXe siècle, elle forgea le mythe de la
lumière venant éblouir les ténèbres du Moyen
Âge : du sud au nord, tous les humanistes
disent ensemble le renouveau, le changement,
le mouvement. On applaudit à la « novelté »,
au possible, à la curiosité et si, dans le détail,
les objets ne sont pas vraiment nouveaux – le
Moyen Âge a déjà beaucoup découvert –, les
attitudes, la sensibilité se transforment ou
plutôt aspirent à la transformation.
Comment la vision du monde s’est-elle transformée à l’époque de la Renaissance
?
La redécouverte des oeuvres de l’Antiquité, le développement des sciences,
l’élargissement de la connaissance du monde grâce aux grands voyages de
découvertes accouchent d’une nouvelle vision de l’homme et du monde.
L’homme se découvre libre d’entreprendre, de raisonner, d’innover, de créer.
L’art de la Renaissance met en place un nouveau système de représentation qui,
par ses images, ses formes, ses volumes, exprime tout autant que les humanistes
une nouvelle conception du monde et de l’individu, allant de pair avec la place
grandissante de l’économie marchande, du développement des États et de la
remise en cause de l’autorité de l’Église.
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Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Avec l’humanisme, l’homme devient comme l’un de ces géants de Rabelais,
curieux, sûr de lui, découvreur de nouveaux mondes, mais aussi de livres, de
formes artistiques et de sciences nouvelles. Les humanistes furent, à coup sûr, des
géants qui mirent le monde à leur portée, et qui, sous le regard de Dieu,
décidèrent d’arpenter l’univers avec confiance et optimisme.
Dans une lettre enthousiaste du 26 février 1517, Érasme affirme pressentir « les
approches d’un âge d’or » : au fer succéderait l’or de la paix, aux ténèbres de
l’ignorance la lumière des lettres, des sciences et du droit, à la décadence des
églises le renouveau de la piété. L’humanisme est né, c’est-à-dire cette foi en
l’homme, cette conviction que l’esprit humain, le savoir, les arts, l’élégance des
formes, alliés à la charité chrétienne, donneraient aux hommes une civilisation
magnifique, pacifiée, éloignée de toute barbarie. Toute l’Europe a l’impression de
participer au même mouvement de renouveau culturel, d’enthousiasme créateur.
Le savoir sera la clé de ce rêve, car c’est par la culture que l’homme échappera à
sa misère.
LE BERCEAU ITALIEN
C’est dans l’Italie du Quattrocento (XVe siècle), véritable berceau de
l’humanisme, que puisèrent les autres pays. Les humanistes italiens furent les
premiers, bientôt suivis par le reste de l’Europe, à penser l’homme et le monde en
terme de rupture. Le mot même de Rinascità apparaît dans l’Italie du XVe siècle,
accompagnant l’obscure conscience d’une fin. Car la Renaissance fut d’abord
perçue comme la mort d’une époque, le deuil à faire d’une vision de l’homme et
du monde sur lequel s’élèvent l’appel fervent à l’édification d’un monde neuf et
la certitude que l’homme est capable de le reconstruire lui-même. L’humanisme
est le mouvement littéraire, philosophique, artistique qui exalte cette dignité
nouvelle de l’homme : il s’exprime dans les tableaux, les poèmes, la musique, les
expériences médicales, où chacun a la certitude de faire revivre l’Antiquité
comme un modèle à égaler. Tous les humanistes ont, en effet, conscience de
rompre avec les temps obscurs et barbares qui les ont précédés : « Par la bonté
divine, s’exclame le Gargantua de Rabelais, la lumière et dignité a été de mon âge
rendue ès lettres... »
Le poète italien Pétrarque (1304-1374) fut peut-être le premier à séparer l’époque
ancienne (antiqua) – antérieure à l’adoption du christianisme par les empereurs
romains – et la moderne (nova) qui dure depuis lors. Cet âge moderne, il le
conçoit comme celui des « temps obscurs » de la barbarie. Longtemps, beaucoup
d’écrivains chrétiens avaient défini ainsi l’époque antérieure au christianisme :
Pétrarque déplaçait cette notion de l’antiquité païenne au Moyen Âge chrétien.
L’Histoire se devait d’être italienne et de rénover l’âge antique ; c’est par l’Italie
de ses contemporains, par le développement du volgare (langue italienne
nationale distincte du latin) que Pétrarque attendait que refleurisse cette virtus
romaine de l’antique république : l’énergie et la volonté d’être homme. La France
du XVIe siècle se lancera avec quelque retard sur les mêmes traces : elle aussi
développera la langue française, songera à l’illustrer comme on le fait d’un nom
glorieux, et pour cela imitera les Anciens et rivalisera avec les Italiens. Car
l’humanisme fut aussi le programme politique et culturel de nations souveraines
qui entendaient se doter d’une culture bien à elles.
Ainsi, si la période de la Renaissance évoque le formidable essor des arts, elle
englobe bien plus qu’un courant artistique ou qu’une manière : l’humanisme fut
son programme, c’est-à-dire celui des princes, des cours qui accueillirent des
savants, des artistes qui travaillèrent à cet immense chantier culturel qui devait
transformer radicalement l’expérience du monde et de l’homme. L’humanisme
élabora ainsi, au carrefour des mentalités, des idées et des formes, un élan
créateur dont les réalisations s’effectuèrent tant dans le domaine artistique que
littéraire, tant du côté politique que religieux et scientifique.
L’essor des villes italiennes comme Florence, l’émergence d’une première
histoire laïque et républicaine en Italie, le développement parallèle des États
séculiers et des théories politiques modernes, des grandes dynasties, les
soubresauts d’une piété réelle et inquiète, la curiosité scientifique, le
développement du livre, des collèges... autant de faisceaux apparemment
divergents, en réalité absolument liés à la culture de la Renaissance, qui
foisonnent du XVe siècle à la deuxième moitié du XVIe siècle environ.
DES IDEES QUI IGNORENT LES FRONTIERES
La Bible pour tous
« L’Allemagne entière regorge de bibles »,
proteste Sébastien Brant dans sa Nef des fous
(1494). Les humanistes veulent, en effet,
deux choses : un texte biblique plus sûr,
débarrassé des commentaires et des
traductions jugées fausses, et un texte lisible
par tous.
Telle sera l’ambition des évangélistes et des
protestants. La Bible qu’utilisent les chrétiens
depuis le IVe s. ap. J.-C. est la Vulgate, c’està-dire la traduction latine que saint Jérôme
avait élaborée à partir d’une version grecque
des textes saints, dite des Septante, pratiquée
au IIe siècle avant Jésus-Christ à Alexandrie.
Imprimée pour la première fois en 1456 par
Gutenberg, elle est vite suivie par d’autres
éditions. Mais c’est en langue vulgaire que
les éditions se multiplient : avant 1520
paraissent 22 bibles en allemand, 23 en
français, 12 en italien, etc. Non seulement on
rend le texte accessible à ceux qui savent lire,
mais on cherche à produire un texte plus
original. Entouré d’hellénistes, Luther traduit
la Bible en se séparant de la Vulgate et
bientôt les protestants ne suivront plus le
même texte que les catholiques, les premiers
choisiront pour l’Ancien Testament le texte
que reconnaît la tradition hébraïque.
Au Concile de Trente (1546), l’Église
catholique devait réaffirmer la seule
authenticité du texte de la Vulgate et faire
interdire les bibles que les humanistes avaient
fait circuler.
12
Promotion du savoir, de la curiosité, des lettres contre les armes, la Renaissance
voit s’ouvrir un grand bouleversement européen où chaque nation donne et reçoit,
profitant du latin, langue internationale des lettrés de tous les pays. Car
l’humaniste est peut-être d’abord un voyageur : correspondances, voyages
d’étudiants, convois de marchands, guerres même, voyages surtout, organisent un
réseau dense de liens, d’échanges et d’émulation qui ont tôt fait de faire circuler
les idées et les « nouveautés » que les autorités religieuses ou politiques ne
verront pas toujours du meilleur œil. Ainsi naît une République des Lettres qui lie
étroitement les lettrés de Pologne, du Danemark, d’Italie, d’Angleterre... Venise,
Florence, Paris, Lyon, Cracovie... dessinent une carte de l’humanisme artistique,
philosophique et scientifique. Aux Pays-Bas, en Rhénanie, en Angleterre, s’élève
aussi un souci de renouveau de la piété et du christianisme : l’admiration des
penseurs de l’Antiquité ne va pas sans un retour à la pureté du message
évangélique et à l’Imitation du Christ. Les évangélistes, puis les réformés se
tourneront bientôt vers une critique plus radicale des habitudes religieuses.
Voyageur infatigable, l’humaniste se promène dans les livres comme dans les
pays ; qu’il reste dans sa bibliothèque ou qu’il arpente l’Europe comme le fera
Érasme de Rotterdam, il cherche, il édite, diffuse, traduit, explique le monde et
lance sans cesse des appels au possible et au progrès. Une nouvelle lecture du
temps s’affirme et avec elle l’idée que l’homme peut mieux faire, tant dans
l’ordre moral que dans celui des sciences.
IMPRIMERIE ET ENSEIGNEMENT : LES DEUX PILIERS DE LA
CONNAISSANCE
« En quoi cela nuit-il de toujours savoir et de toujours apprendre, fût-ce d’un sot,
d’un pot, d’un broc, d’une moufle ou d’une pantoufle ? » : ce plaisant éloge de la
connaissance et de la curiosité que prononce Pantagruel au Tiers Livre (1546) de
Rabelais pourrait servir d’emblème à cette époque emportée par une immense
envie de connaître.
L’humaniste est d’abord un curieux, du monde, de la nature, de lui-même et de ce
qu’il peut inventer, construire, créer. Grâce à l’imprimerie qui substitue le livre
aux manuscrits lentement copiés, il se produit une inflation de choses à lire, à
voir, à connaître. Quand paraît à Mayence en 1455 la célèbre Bible à 42 lignes, la
difficulté technique posée par l’usage des caractères mobiles disparaît et
l’Occident, disposant désormais de ce qu’il appelle un « art divin », peut se
nourrir de millions de livres imprimés, de reproductions d’œuvres d’art, de
canards (feuilles volantes racontant surtout des faits divers), de libelles, de
placards (affiches). Entre 1450 et 1500, on évalue à plus de 30 000 titres les
publications sorties des presses européennes et à plus de 15 millions le nombre
d’exemplaires. Quant aux imprimeurs, ce sont souvent des humanistes et leurs
ateliers sont des lieux de réflexion et de travail. C’est le cas d’Alde Manuce à
Venise, de Josse Bade et Robert Estienne en France. Ce dernier rédige et publie
d’ailleurs le premier dictionnaire latin-français de qualité.
Si le livre fut le véhicule le plus important des idées de l’humanisme, c’est qu’il
permit aussi des relations permanentes entre les hommes. Mais, à côté des liens
que tissent les artistes, les enseignants, les médecins, les bourgeois enrichis,
s’organise également un enseignement rénové. La croyance de l’humanisme dans
la perfectibilité de l’homme suppose en effet la responsabilité de l’éducation, tant
il est vrai que « gens libres, bien nés, bien instruits, ont par nature un instinct et
aiguillon qui toujours les pousse à faits vertueux et les retire du vice » (Rabelais).
Les petites écoles sont créées pour répondre à ce besoin, à côté d’un cycle moyen,
destiné aux adolescents. Les programmes, selon l’âge, débarrassent
l’apprentissage des textes des commentaires trop abondants, tout en continuant à
faire de la récitation et de l’imitation (thème et versification) l’essentiel des
exercices. Les collèges médiévaux sont réformés et certains sont créés par des
humanistes avec l’appui des villes : tournés vers les laïques et plus seulement
vers la formation des théologiens, des collèges s’ouvrent à Dijon, Bordeaux,
Lyon, Angoulême. Les humanistes essaient de lutter contre la mauvaise
réputation de ces « geôles » de la jeunesse comme les appelle Michel de
Montaigne. Les Jésuites, dont la Compagnie est fondée en 1543, seront les
premiers à organiser vraiment un enseignement qui laisse plus de place aux
récréations et aux exercices du corps, éveille l’esprit par les « disputes », c’est-àdire des exercices oratoires où l’élève, dans une sorte de combat oral, tâche de
soutenir une thèse. Quant à l’enseignement supérieur, il souffre de l’épouvantable
réputation des universités que les humanistes ne cessent de railler. Quelques-unes
seront réformées, comme celles de Vienne, de Cracovie ou de Florence. Ailleurs
13
on crée : l’université de Alcala de Henares en Espagne où rayonne l’humanisme
d’Érasme ; le Collège trilingue à Louvain sous l’impulsion d’Érasme ; à Paris,
Guillaume Budé élabore le cadre d’un enseignement libéré de la Sorbonne et de
sa tutelle sur les idées nouvelles. En 1530, François Ier met en place un Collège
pour lequel il sollicite Érasme qui refuse la place. La prestigieuse institution
humaniste s’appelle tout d’abord, elle aussi, Collège des trois langues (latin, grec,
hébreu), avant de devenir le Collège royal de France et, sous Louis XIII, notre
actuel Collège de France.
L’ANTIQUITE, UN MODELE A EGALER
Par-delà le Moyen Âge « obscur », les humanistes, pleinement conscients de
vivre un renouveau culturel intense, tournent le dos à ce passé si proche, pour
s’inscrire dans l’histoire de l’Antiquité. Encore faut-il préciser que ces hommes
de la Renaissance ne vivent pas l’Antiquité au passé, mais au présent.
L’Occident se lance dans la recherche des manuscrits de l’Antiquité. Dès le XIVe
siècle, la quête de l’héritage antique commence : Homère, Hérodote, les
Tragiques sont ramenés à la lumière des traductions ; si les découvertes les plus
considérables étaient déjà faites, le processus de recherches fut continué et
organisé de manière plus systématique au XVe siècle. Et les exilés, qui fuient
l’ancienne capitale de l’empire d’Orient, apportent en Italie et plus au nord
quantité de trouvailles exceptionnelles. Aristote n’est plus seul à dominer science
et philosophie : la grande découverte sera celle de Platon et des néo-platoniciens
qui, avec les textes originaux de Pline, d’Euclide, transforment radicalement le
paysage philosophique et technique, tout en engageant un dialogue de plus en
plus critique des rapports entre les textes de la Révélation et ceux de la sagesse
païenne. Les papes, les princes envoient leurs limiers en quête de manuscrits
rares, chacun rêvant de faire de son pays, de sa ville la nouvelle Athènes et de
concilier Platon avec le Christ. En Italie, l’humaniste Lorenzo Valla (1407-1457),
Ange Politien (1454-1494), précepteur de Laurent de Médicis, et d’autres encore
fouillent les grands établissements monastiques d’Italie et d’Espagne ; Jean
Lascaris (1445-1535), érudit grec réfugié, accomplit deux expéditions en Orient
pour le compte des Médicis ; il revient de la seconde en 1492 avec deux cents
manuscrits grecs. Beaucoup des grandes bibliothèques d’Europe se constituèrent
ainsi au XVe siècle. Des lettrés comme Pic de la Mirandole (1463-1494), des
mécènes princiers comme les Médicis, et les ducs d’Urbino, mais aussi les
lointains monarques de Hongrie et de Pologne amassent les trésors des textes.
Quand le pape Nicolas V mourut en 1455, il y avait dans la bibliothèque vaticane
presque douze cents volumes, dont trois ou quatre cents étaient en grec.
Car on traduit du grec, mais aussi de l’hébreu dont on s’efforce de comprendre la
Kabbale, cette mystique juive que les érudits chrétiens veulent concilier avec la
tradition chrétienne et la Prisca Theologia, cette sagesse qu’on croit née dans
l’ancienne Égypte. Le rêve des humanistes est aussi celui de la paix
philosophique, de la concorde des savoirs et des religions.
AFFIRMER LA DIGNITE DE L’HOMME
En 1462, le jeune Marsile Ficin obtient de Cosme de Médicis une villa à Careggi
près de Florence, une bibliothèque et un revenu pour traduire Platon et se
consacrer à cette Académie platonicienne de Florence où il traduira sans relâche
et donnera des banquets en mémoire du Banquet de Platon. Quant à Pic de la
Mirandole, comte de Mirandole et de Concordia, il fréquenta plusieurs universités
d’Italie – en particulier Bologne et Padoue – ainsi que Paris.
Hébraïsant, helléniste, canoniste réputé dès l’âge de quatorze ans, Pic connaît
aussi l’arabe et le « caldaïque » (sans doute l’araméen).
L’introduction à ses neuf cents thèses, De la dignité de l’homme, passe pour être
le premier manifeste de l’humanisme militant. Pic de la Mirandole y peint
l’homme, au centre de la Création du Grand Artisan auquel il fait dire : « Je t’ai
placé au centre du monde de sorte que de là tu puisses plus aisément observer ce
qui est dans le monde. Tu ne participes ni des cieux ni de la terre, tu n’es ni
mortel ni immortel afin que, te façonnant toi-même plus librement, tu puisses
prendre la forme que tu préféreras. » Pic réunissait un programme de lecture
vertigineux ; des plus anciennes aux plus récentes écoles de philosophie, il les
unissait, les comparait, les additionnait, sans sectarisme. Car tout était là : « c’est
assurément le fait d’un esprit étroit que de s’enfermer dans une seule école »,
écrivait-il, cherchant non pas une vérité, mais la vérité de tous, l’accord des
savoirs, la concorde universelle de la pensée.
Fort de ce rêve, l’humanisme fut un mouvement esthétique, philosophique et
religieux qui supposait un effort à la fois social et individuel pour mettre en
14
valeur l’Homme. Il s’agissait par là même de mettre en pratique « un art de vivre
par où l’être humain se rende éternel ». Tel est bien le message fascinant de Jean
Pic de la Mirandole : l’homme est digne, parce qu’il est un microcosme, un petit
monde, résumant en sa nature le ciel et les étoiles. Immortel par son âme et par sa
raison, l’homme a le privilège d’être seulement ce qu’il devient et de devenir ce
qu’il se fait. C’est cette liberté fondamentale qui garantit sa dignité. L’homme,
dans cette belle perspective humaniste, est l’artisan de sa propre destinée.
LE DOUBLE VISAGE DE L’HUMANISME
L’humaniste, qu’il soit artiste, philosophe ou technicien, veut faire davantage
qu’imiter la nature, il entend créer, inventer. En 1341, le poète italien Pétrarque
est couronné. Drapé dans la pourpre royale du roi Robert de Naples, il reçoit la
couronne de lauriers sur le Capitole romain, démontrant ainsi à l’univers que la
connaissance et l’art pouvaient aller d’un pas égal avec la gloire des rois. La
verdure éternelle du laurier se gagne par la guerre, mais aussi par le génie
créateur. L’idée d’une immortalité conquise par les grands exploits comme par le
talent intellectuel de l’homme était exprimée. Au XVe siècle, on qualifie le poète
italien Dante de procreator, égal à Dieu, et la métaphore du creator pour parler
des artistes est de plus en plus fréquente. Dürer lui-même explique que l’artiste a,
comme Dieu, le pouvoir de créer dans son âme ce qui n’a jamais été conçu dans
l’esprit d’autrui.
L’humanisme crut pendant un temps que l’homme pouvait allier sagesse et génie
; il admit la capacité de certains hommes à changer le monde par leur énergie de
caractère ou par leur art et leur inspiration divine. Exaltant la virtus chez les
princes, les saints, les condottiere ou les artistes, la Renaissance fut sans doute
l’époque où plus que jamais on loua dans l’homme sa capacité à transformer le
monde et la matière, et à être, hors du commun, un abrégé glorieux de l’univers.
Les Érasme, les Rabelais, ces voyageurs intellectuels, ces traducteurs
infatigables, ces chrétiens sans fanatisme auraient-ils péché par optimisme et
enthousiasme ? En effet, le rêve humaniste s’effrite dans la deuxième moitié du
XVIe siècle, comme si la créature divine, attirée par le Beau, appelée à choisir
librement le Bien grâce à sa raison, à son génie, devait être happée par la
tourmente des conflits entre États, entre confessions. Le temps n’est pas loin qui
verra la belle Renaissance ensanglantée par les terribles guerres de Religion,
brûlante bientôt des bûchers allumés un peu partout pour les hérétiques. La paix
et l’idéal chrétien de charité universelle se briseront avec les massacres (les
journées sanglantes de la Saint-Barthélemy se déroulent en août 1572) et ne
seront plus que rêves, vestiges nostalgiques d’un âge d’or terni.
Tel est le double visage de l’humanisme : Janus confiant dans le génie de
l’homme, souriant aux idées nouvelles, à l’essor des sciences et des techniques,
doué d’une curiosité sans limite ; mais aussi, et bientôt, désabusé, sceptique.
L’esprit de l’humanisme, que l’on peut bien appeler le génie de la Renaissance,
proche de Dieu par son art et sa puissance créatrice exaltant l’homme universel,
ne sera plus, sous la plume de Montaigne, qu’un « profond labyrinthe » dont la
raison est bien vaine...
La fin du siècle ouvre déjà sur un autre monde : fin de la Renaissance, préclassicisme, âge baroque, là encore les mots hésitent à formuler l’héritage ou la
rupture, la continuité ou le divorce. La belle Renaissance s’achève dans un climat
d’extrême violence où les programmes des humanistes n’ont plus cours : le temps
est au secret, à la prudence, au repli national ou religieux. L’humanisme devient
alors un legs du passé, un rêve. Mais sans doute s’agit-il de l’un des plus riches et
des plus fascinants de l’Occident moderne.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
15
HM – Raphaël
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Daniel Arasse, Christophe Castandet et Stéphane Guégan, Les Visions de Raphaël, Éditions Liana Levi, Paris, 2004.
Paul Joannides, Raphaël et son temps, aux Éditions Réunion des musées nationaux, 2002.
Andre CHASTEL, La gloire de Raphaël ou le triomphe d’Éros, RMN, 1995
Dominique Cordelier et Bernadette Py, Raphaël, son atelier, ses copistes, en collaboration avec le Musée du Louvre et le
département des arts graphiques du Musée d'Orsay, Éditions Réunion des musées nationaux, Paris, 1992.
Henri Focillon, Raphaël, Éditions Presses Pocket, préface de Pierre Rosenberg, Paris, 1990.
Christof Thoenes, Raphaël, Édition Taschen, Paris, 2005.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Raffaello Sanzio, plus connu sous le nom de Raphaël (Raffaello), (né le 6 avril
1483 à Urbin — mort le 6 avril 1520 à Rome[1]) est un peintre et architecte
italien de la Renaissance. Il est aussi appelé Raffaello Santi, Raffaello da Urbino,
Raffaello Sanzio da Urbino.
Biographie
Raffaello Sanzio ou Santi, dit Raphaël, peintre italien de la Haute Renaissance,
est le fils du peintre Giovanni Santi, peintre et poète officiel de la cour de
Frédéric III de Montefeltro, un des princes les plus célèbres et protecteur des arts
de la Renaissance en Italie. Urbin est alors un foyer artistique réputé à l’aube du
XVIe siècle.
La vie de Raphaël peut être séparée en trois périodes :
* La première, qui va de sa naissance à son départ pour Florence en 1504, est sa
période de formation, à Urbin d’abord, où il naît en 1483, puis à Pérouse, où il
travaille dans l’atelier du peintre le plus célèbre de l'époque, Pietro Vannucci,
plus connu sous le nom de Pérugin.
o Son père, Giovanni Santi, qui est lui-même peintre et qui jouit à la cour
du duc d’Urbin, Frédéric III de Montefeltro, d’une certaine considération, est son
premier maître. Celui-ci meurt cependant en 1494, trois ans après son épouse.
Raphaël, qui n'a que onze ans, se retrouve orphelin. Après avoir suivi
l’enseignement de divers peintres, il quitte sa ville natale et part étudier à Pérouse
en Ombrie auprès du Pérugin. Celui-ci en vient cependant à imiter son disciple,
de même que celui-ci imite et apprend du maître. Les deux s’entendent très bien
et Le Pérugin restera un grand ami de Raphaël.
o Dès 1500, à dix-sept ans, il commence à s’affirmer comme « magister ».
Il n’est ainsi plus disciple d’un autre maître, mais maître lui-même. Cela lui
confère le droit d'avoir un atelier, des aides et des élèves. Il peint le retable « le
Couronnement du bienheureux Nicolas de Tolentino » pour l' église
Sant'Agostino de Città di Castello, un tableau qu'il exécute avec l'aide d'
Evangelista da Pian di Meleto, ancien assistant de son père.
o Son premier chef d'œuvre peut être daté de l'année 1504 — Le Mariage
de la Vierge — un tableau qu'il réalise avant de quitter Pérouse, alors qu'il est
encore dans l'atelier du Pérugin, en traitant le même sujet que son maître, pour
comparer les mérites respectifs de l'un et de l'autre.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
Activités, consignes et productions des élèves
:
Comparer deux peintures
Les deux oeuvres représentent la Vierge à
l’Enfant. Plus de deux siècles séparent les
deux oeuvres. Cimabue (1240-1302), dans
l’attitude et les gestes de ses personnages, est
encore influencé par la fixité des icônes
byzantines ; les visages sont peu expressifs et
assez proches les uns des autres. C’est
cependant avec ce peintre du XIIIe siècle que
commence (selon Vasari) le renouveau
artistique. Cette oeuvre de Raphaël appartient
à la « haute Renaissance » : elle est
représentative de cette période (entre
1500 et 1510) car elle mêle
harmonieusement le réel et l’idéal, associe les
thèmes profanes et sacrés, le mouvement
et le repos. La Vierge à la chaise de Raphaël
est plus proche de la réalité : à l’intérieur
d’un médaillon, le spectateur est associé à la
scène, par la proximité avec les personnages,
le jeu des regards, mais aussi par leur
disposition « naturelle » (geste affectueux de
la Vierge, abandon du Christ dans ses bras).
Peu d’éléments de la vie quotidienne
apparaissent dans le tableau de Cimabue car
le Christ est en majesté, assis sur un trône,
dans un fond doré. En revanche, la scène
peinte par Raphaël présente une Vierge vêtue
simplement, dans une scène de maternité
presque ordinaire. Les signes religieux dans
le tableau de Cimabue
proclament la gloire du Christ : il tient ses
deux doigts levés (comme le Christ
Pantokrâtor des Byzantins) et tous les
personnages sont auréolés. Dans l’oeuvre de
16
* Âgé de 21 ans, il quitte Pérouse pour Florence.
o Le 1er octobre 1504, Giovanna Felicita Feltria della Rovere, épouse du
duc d'Urbin, adresse à Pier Soderini, gonfalonnier de la République de Florence,
une lettre de recommandation pour que Raphaël reçoive à Florence les
commandes que son talent mérite.
o La République florentine vient de rappeler Michel-Ange (1475-1564) et
Léonard de Vinci (1452-1519). Raphaël va bénéficier de l’influence de ces deux
grands maîtres, qui vont achever sa formation. Léonard de Vinci le reçoit dans
son atelier. Il y découvre les chefs d'œuvre de la Renaissance florentine. Il réalise
une série de Vierges et de Madones : la Vierge dans la prairie (1506), la Vierge
au chardonneret (1507) la Belle Jardinière (1507) et aussi La Dame à la Licorne.
o La période florentine de Raphaël, qui durera quatre ans, est la deuxième
de sa vie. Bien qu’étant devenu un peintre indépendant, il continue d’étudier les
méthodes d’autres grands maîtres, tels Léonard de Vinci, Michel-Ange ou encore
Fra Bartolomeo.
* Appelé à Rome par le pape Jules II, il quitte Florence en 1508. C’est ainsi que
débute la troisième partie de sa vie, la période romaine.
o Au Vatican, il est chargé de la décoration des salles du palais de Jules II,
que celui-ci projette d’habiter pour ne pas subir la néfaste influence de la
puissante famille Borgia.
o C’est également à cette époque que Raphaël rencontre celle qui sera le
grand amour de sa vie. La Fornarina, surnommée ainsi parce qu’elle est la fille
d’un boulanger, restera son amante durant toute sa vie. Femme d’une grande
beauté, elle est très courtisée, ce qui inquiète Raphaël qui, d’un naturel jaloux,
n’hésite pas à interrompre son travail pour la rejoindre.
o En 1513 le pape meurt. Sous son successeur Léon X — un Médicis —
Raphaël voit croître ses responsabilités et son influence. En 1514, le pape lui
confie le chantier de la basilique Saint-Pierre après la mort de Bramante et les
fouilles d’antiquités à Rome. Cette dernière période de sa vie est caractérisée par
une intense activité, qui, avec la malaria et les multiples crises de fièvre, aura
raison de sa santé déjà fragile. C’est ainsi qu’il meurt à Rome en 1520 à l’âge de
37 ans seulement, après avoir exécuté son chef-d’œuvre absolu, La
Transfiguration (1517-1520), résumé de toute son œuvre.
o En son honneur, sont organisées de fastueuses funérailles. Raphaël repose
au Panthéon de Rome.
Succès
Raphaël, a longtemps été considéré comme le plus grand peintre qui a jamais
existé, et on le tient toujours pour l'artiste en qui la peinture aura trouvé son
expression achevée. Ce mythe de Raphaël apparaît du vivant de l'artiste, et sa
mort précoce, mettant fin brutalement à une activité marquée par la précocité, lui
donne une singulière ampleur.
En 1550, lorsqu'il publie ses célèbres Le Vite de' più eccellenti pittori, scultori e
architettori, trente ans à peine après la mort prématurée de Raphaël, Giorgio
Vasari, dans la biographie qu'il consacre au maître d'Urbin, attribue à la volonté
divine la naissance de l'artiste :
« On vit clairement dans la personne, non moins excellente que gracieuse, de
Raphaël à quel point le Ciel peut parfois se montrer généreux et bienveillant, en
mettant – ou pour mieux dire – en déposant et accumulant en un seul individu les
richesses infinies ou les trésors de ses innombrables grâces, qui sont de rares dons
qu'Il ne distribue cependant que de temps à autre, et encore à des personnes
différentes. »
Son art fait de mesure, de grâce et d'harmonie a profondément influencé la
peinture occidentale jusqu'au XIXe siècle.
Casanova disait qu' « aucun peintre n'a surpassé Raphaël dans la beauté des
figures. » Delacroix affirmait que le simple nom de Raphaël « rappelle à l'esprit
tout ce qu'il y a de plus élevé dans la peinture ». De même, Ingres vouait un
véritable culte à Raphaël, tant dans son style dominé par un graphisme proche du
maître de la Renaissance que d'hommages récurrents à son œuvre.
Après trois siècles, la gloire de Raphaël s'estompe avec l'entrée en scène de
tendances critiques et artistiques nouvelles, représentées notamment par les
impressionnistes et les fauves.
Technique
Raphaël, aucun signe ni geste symbolique
(sauf Jean-Baptiste suppliant) : seul le thème
et le mystère qui se dégage du regard de la
Vierge confèrent à l’oeuvre une dimension
religieuse. L’oeuvre de Cimabue exprime
davantage le sacré, tandis que l’oeuvre de
Raphaël, plus proche de la démarche
humaniste, témoigne de sentiments
maternels. La Renaissance prolonge le
mouvement humaniste parce que les artistes
revalorisent aussi l’individu dans
leurs oeuvres (tableaux, portraits, statues) : sa
représentation est plus proche de la réalité
(même si certains portraits sont parfois
idéalisés), les sentiments sont exprimés, les
attitudes et les gestes sont naturels. Le
spectateur semble parfois associé aux scènes
représentées, par un jeu habile dans la
composition (les regards ou les gestes qui «
l’introduisent » auprès du sujet).
De la Vierge médiévale…
La Vierge et l’Enfant en majesté entourés de
six anges, tableau peint par Cimabue vers
1280, 4,27 x 2,80 m. Paris, musée du Louvre.
… à la Madone de la Renaissance, La
Madone du Belvédère, huile sur toile de
Raphaël, 1506, 1,13 m x 0,88 m. Autriche,
musée de Vienne.
Les prémisses du Quattrocento sont déjà
perceptibles dans l’oeuvre de Cimabue,
artiste qui ouvre la série des Vies de Vasari.
Son art emprunte encore largement à la
tradition byzantine ou aux primitifs italiens
toscans : utilisation du fond d’or, solennité de
la représentation marquée par le hiératisme
de la Vierge, rendu extrêmement
schématique de l’anatomie, organisation de
l’espace selon une stricte symétrie. Cette
oeuvre n’en est pas moins une transition
entre deux périodes. La Madone de Raphaël
est à l’inverse une forme de couronnement
d’une époque. Elle fait d’abord la synthèse de
nombreuses techniques picturales propres à la
Renaissance : Raphaël a organisé son tableau
selon le principe du nombre d’or, tandis qu’il
a emprunté à Léonard le procédé du sfumato
pour réaliser cette nouveauté qu’est le
paysage d’arrière-plan. Surtout, Raphaël
essaie d’atteindre ici l’expression parfaite de
la beauté féminine, conçue comme un
nouveau moyen de représentation
de la Vierge en majesté, incarnation d’un
beau idéal.
Portrait de Francesco Maria della Rovere,
tableau peint par Raphaël, vers 1504.
Florence, galerie des Offices.
Le travail de Raphaël correspond à une
volonté d’idéalisation de son modèle. Elle
transparaît dans la pureté de l’ovale du
visage, dans la douceur de la courbe des
arcades sourcilières, ainsi que dans la finesse
de l’arête du nez et dans le tracé
excessivement fin de la bouche. Le regard du
17
Le style de Raphael se caractérise par une utilisation presque égale du dessin et
de la couleur car, contrairement à un grand nombre de peintres, il ne laisse pas
l'un dominer l'autre : il est aussi précis dans le trait que dans la répartition des
teintes. Cela se doit à sa manière de travailler : imiter les artistes de son époque et
ses prédécesseurs en choisissant ce qui pourrait lui être utile. Par exemple, il
reprend la douceur des modèles de son maître le Pérugin et innove en y ajoutant
un modelé des corps plus proche de celui de Michel-Ange. Raphaël utilise parfois
le sfumato, inventé par Léonard de Vinci (technique qui estompe les contours) et
presque exclusivement dans les toiles de sa période florentine (entre 1504 et
1508).
Principales œuvres de Raphaël
L’École d’Athènes, par Raphaël. Palais du Vatican, Rome.
Dans un grand temple de marbre, L’École d’Athènes exalte la redécouverte de
l’Antiquité par les humanistes et les artistes, et leur tentative de concilier cet
héritage antique et la doctrine chrétienne. L’analyse des personnages permet de
comprendre cette démarche. Au centre, entourés par deux statues (Apollon qui
tient la lyre et Athéna qui tient l’égide à tête de Gorgone), Platon et Aristote
s’entretiennent. Platon, à gauche, tient sous le bras le Timée et montre du doigt le
ciel (sa philosophie est transcendantale). Aristote tient un exemplaire de l’Éthique
et désigne le sol (les réalités terrestres). Divers sages et philosophes sont
également représentés. Sous la statue d’Apollon, Socrate (dont la laideur est
caractéristique) s’adresse à Alcibiade, vêtu en guerrier. Le personnage habillé à
l’orientale (en bas à gauche) est Averroès. Zoroastre (en bas à droite) tient une
sphère étoilée. Face à lui, Ptolémée de dos, la tête couronnée, tient un globe.
La composition distingue trois zones : le registre central est animé par les deux
philosophes et renvoie au domaine de la pensée, de la réflexion. Les registres de
gauche et celui de droite sont complémentaires au premier, car ils représentent la
pensée mise en action (expériences scientifiques, dessins, écrits). Pour que le lien
soit plus fort avec le présent, Raphaël a représenté ces sages du passé sous les
traits de ses contemporains : par exemple, Platon a les traits de Léonard de Vinci,
Euclide (à droite, courbé et tenant un compas) ceux de Bramante et Héraclite (au
premier plan, écrivant accoudé à un bloc de pierre) ceux de Michel-Ange…
personnage répond moins ici à une volonté
d’individualisation. L’homme est représenté
de trois-quarts, innovation d’origine flamande
mais ces derniers coupaient le corps assez
haut, ce qui constitue l’une des grandes
oppositions entre les deux traditions
picturales. Dans ce cadre, le regard des
personnages fait exister le spectateur en tant
que tel, contrairement à une peinture
médiévale contemplative. Pour l’arrière-plan
de son tableau, Raphaël utilise les techniques
du sfumato et de la perspective
atmosphérique – introduites dans le portrait à
partir de la seconde moitié du XVe siècle –
pour créer un paysage caractéristique de la
peinture italienne.
L’École d’Athènes est doublement structurée. La scène est d’abord encadrée par
une architecture figurée qui prolongeait l’architecture de la chambre de la
Signature. Sous un plafond à caissons, se déploie une voûte puissante, redoublée
dans le tableau par d’autres arcades qui mènent vers le ciel du dernier plan. Cette
succession d’arcs en plein cintre s’organise selon une stricte perspective, avec un
point de fuite qui met en valeur les deux personnages de Platon et d’Aristote,
pères de la philosophie antique. Le décor architectural est le principal élément
évoquant l’Antiquité. L’organisation en a probablement été inspirée par le projet
de Bramante pour Saint-Pierre de Rome. Certains commentateurs considèrent que
la pièce principale pourrait aussi évoquer des thermes. D’autres éléments du
décor ont leur importance, comme la frise, qui supporte la scène, ponctuée de
figures féminines antiquisantes, ou les médaillons qui encadrent la troisième
arcade, et surtout les deux statues des dieux protecteurs des arts, Apollon et
Minerve, qui occupent les grandes niches du deuxième plan. Les deux figures
divines illustrent la prétention de cette oeuvre à l’universalité. Mais, surtout,
chaque personnage évoque une branche du savoir. C’est d’abord la philosophie,
avec Aristote, Platon et Héraclite, mais aussi le cynique Diogène. Averroès fut
sans doute le principal philosophe musulman de l’Occident, et c’est comme tel
qu’il est représenté ici, il était aussi médecin et juriste. À travers Pythagore et
Euclide, ce sont l’arithmétique et la géométrie qui trouvent une incarnation.
La représentation de l’artiste par lui-même ou d’humanistes de son temps est
fréquente dans les oeuvres de la Renaissance. Raphaël représente ici deux des
plus célèbres hommes universels de son temps, Léonard et Michel-Ange qui
incarnent deux philosophes majeurs, Platon et Héraclite. Imitation de l’Antiquité,
l’humanisme a pour but d’égaler ces modèles, voire de les dépasser : Raphaël
exprime ainsi dans la représentation artistique cette volonté de fusion de deux
époques, intégrées dans le même espace de la fresque. L’École d’Athènes est
donc une oeuvre totale qui réalise l’ambition de la Renaissance de rejoindre ses
modèles antiques au-delà du temps : les savoirs sont rassemblés pour donner une
dimension universelle à la connaissance de l’homme. Elle est symbolisée par le
double geste de Platon et d’Aristote, désignant l’un le ciel et l’autre la terre,
18
évoquant ainsi leurs philosophies respectives, et liant surtout les deux dimensions
de l’Univers. Par le savoir, le dessein divin peut être accompli par l’homme
Commandée par le pape Jules II, cette fresque fut réalisée pour la chambre de la
Signature au Vatican par Raphaël, nommé peintre officiel de la papauté en 1508.
Elle fait d’abord référence à la pensée antique : les statues d’Apollon (à gauche)
et d’Athéna (à droite) encadrent cette assemblée de philosophes, de savants et
d’artistes, dans un décor constitué d’une succession de grandes arcades à caissons
inspirées de l’architecture antique. Au centre, Platon tient le Timée sous le bras
gauche et pointe son doigt vers le ciel alors qu’Aristote porte l’Éthique à la main
gauche et dirige son doigt vers la terre : ces gestes marquent l’opposition entre la
conception platonicienne de l’Idée et la logique aristotélicienne (à la base de la
pensée chrétienne médiévale de saint Thomas d’Aquin) qui se limite à la
recherche des vérités terrestres.
Le mariage de la Vierge, par Raphaël
Huile sur toile peinte en 1504. Pinacothèque de Brera, Milan.
La date inscrite en chiffres romains et la signature du peintre (Raphaël Sanzio, dit
Raphaël, 1483-1520) sont inscrites aux tympans de l’arcade centrale du temple.
Ce tableau est commandé par les Albizzini, riche famille ombrienne, pour l’église
Saint-François de Città di Castello. Raphaël a 20 ans et il s’émancipe de
l’influence de son maître, le Pérugin. L’influence de l’Antiquité est visible dans
l’architecture (colonnes ioniques, arc de plein cintre, coupole) mais les
innovations techniques (usage de la perspective) ou décoratives (lanterne de la
coupole et paysage en arrière-plan) sont caractéristiques de la Renaissance. Le
premier plan rassemble les trois moments du mariage de la Vierge. Selon la
Légende dorée de Jacques de Voragine, les prétendants (à droite), descendants de
David, sont convoqués par le grand prêtre du Temple de Jérusalem (au centre) ;
tous sont porteurs d’un rameau ; l’heureux élu est Joseph, d’un âge avancé, dont
le rameau s’est spontanément couvert de fleurs.
Au centre, a lieu le mariage proprement dit ; il est encadré par les lignes du
dallage. Le prêtre guide la main de Joseph pour passer l’anneau au doigt de
Marie. L’anneau est au centre de la composition (le déhanchement du prêtre place
l’objet précisément sur la ligne droite qui mène à la porte du Temple). À gauche,
se trouve le cortège des vierges qui vont accompagner Marie, chez elle, à
Nazareth. La composition distingue deux pôles : le mariage et le sanctuaire. Le
temple, construit en position dominante, s’inspire du Tempietto de San Pietro in
Montorio à Rome, construit par Bramante : plan polygonal (forme circulaire
figurant l’harmonie divine), coupole (image même du Ciel). La ligne d’horizon
sur laquelle se détache le temple correspond aux trois cinquièmes de la
composition, soit le rapport de la consonance musicale de quinte, l’une des
proportions harmoniques idéales, préconisées par Alberti en architecture.
Au premier plan, le traitement humaniste du thème individualise les personnages
(Joseph âgé), leur expression (le dépit d’un prétendant, la douceur des vierges).
La perspective centrale, qui passe par l’anneau, relie le premier plan au second,
en suivant les lignes du dallage. La centralité qui anime le premier plan – par les
regards des personnages qui convergent vers l’anneau nuptial, les mains unies et
le grand prêtre lui-même – contraste avec le vide de la place et, au second plan,
avec le temple, symbole de plénitude et de perfection.
La Renaissance devient classique
Il s’agit de l’une des premières grandes oeuvres de Raphaël. Commandité par la
famille Albizzini pour la chapelle Saint-Joseph de l’église Saint-François de Città
di Castello (en Ombrie), ce tableau est inspiré de la Légende dorée de Jacques de
Voragine (XIIIe siècle) reprenant des évangiles apocryphes. Au premier plan, de
droite à gauche, sont représentés trois moments successifs : à droite, parmi les
nombreux prétendants, Joseph est choisi en raison de la floraison miraculeuse de
son rameau (à ses côtés, l’un des prétendants casse son rameau de dépit) ; au
centre, le prêtre procède au mariage, Joseph passant l’anneau au doigt de Marie ;
à gauche, les vierges ramèneront Marie à Nazareth. Au second plan, dominant
cette scène, le temple a une architecture imitée de l’Antiquité. La ligne de dallage
centrale renforce l’effet de perspective et joint symboliquement l’anneau au
temple.
Ce tableau de Raphaël (1483-1520) est caractérisé par l’attention portée à la
composition, à l’harmonie et à l’équilibre. Le thème en est religieux. Selon la
19
Légende Dorée de Jacques de Voragine, le mariage de la Vierge aurait été célébré
devant le temple de Jérusalem pour lequel le peintre s’inspire ici du Tempietto de
San Pietro in Montorio à Rome, édifié par Bramante. Construit en position
dominante, son plan polygonal le rapproche de la forme circulaire considérée par
les contemporains de Raphaël comme la figure incarnant le mieux l’harmonie
divine. La disposition des personnages au premier plan redouble l’espace
circulaire du temple. Le premier plan rassemble les trois moments du mariage de
la Vierge : les prétendants, à droite, convoqués par le grand prêtre, porteurs d’un
rameau, dont se distingue Joseph, prétendant élu dont le rameau a fleuri
spontanément ; au centre, le mariage et à gauche, le cortège des vierges qui vont
accompagner Marie à Nazareth. On notera le traitement humaniste du thème qui
individualise les personnages et leur expression (douceur des vierges, dépit d’un
prétendant qui brise sa baguette…). Les regards convergent vers l’anneau nuptial.
Le deuxième plan est presque vide, le troisième montre le temple et le ciel. L’axe
de symétrie du tableau passe par l’alliance et la porte du temple. Les lignes
formées par le dessin des dalles convergent vers la porte du temple et le cercle
formé par le haut du tableau passe par l’alliance. La ligne d’horizon sur laquelle
se détache le temple est fixée aux trois-cinquièmes du tableau, une des
proportions harmoniques fondamentales (le quinte), préconisée par les grands
théoriciens et architectes de la Renaissance. La composition de ce tableau est
d’une précision scientifique et illustre une nouvelle vision du monde.
L’opposition entre le premier et l’arrière-plan, séparés par un vide, crée une
atmosphère intemporelle, incarnant la plénitude et la perfection. Les règles de la
perspective évoquées par Léonard de Vinci sont parfaitement appliquées. La
taille des personnages placés aux second et troisième plans respecte une règle
harmonique de diminution. Le pavage de la place construit la profondeur par des
lignes fuyantes convergentes aboutissant au centre du temple. Les couleurs et les
contours du paysage au fond répondent aux règles de la perspective
atmosphérique qui prend en compte l’épaisseur de l’air pour peindre les lointains.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
20
HM –La révolution de la pensée scientifique au XVIe s
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Koyré (Alexandre), La révolution astronomique : Copernic, Kepler, Borelli. Paris, Hermann, 1961. (Histoire de la pensée ; 1).
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 5e futur : « La révolution de la pensée
scientifique aux XVIe et XVIIe siècles
introduit une nouvelle conception du monde.
L’étude est conduite à partir d’exemples au
choix qui sont replacés dans le contexte
général de l’histoire de l’Europe et du monde.
L’évolution de la pensée scientifique :
− aspects de la vie et de l’oeuvre d’un savant
du XVIe siècle ou du XVIIe siècle.
Raconter un épisode significatif des progrès
ou débats scientifiques des XVIe et XVIIe
siècles (Copernic ou Galilée…) et expliquer
sa nouveauté »
BO 2nde : « Humanisme et Renaissance
– Une nouvelle vision de l'homme et du
monde
– La Renaissance artistique
Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se
produit une modification profonde de la
vision de l'homme sur sa condition et sur le
monde, ainsi que la naissance d'un esprit
scientifique. Ces bouleversements sont
facilités par les mutations importantes des
moyens de communication et de diffusion des
idées et des savoirs : invention de
l'imprimerie, multiplication des universités,
collèges et académies. »
Activités, consignes et productions des élèves
:
LES REVOLUTIONS DU SAVOIR
En février 1524, on assista à la conjonction de toutes les planètes sous le signe du
Poisson, ce qui fut interprété comme le signe d’effroyables catastrophes et suscita
de nombreux traités. Car le cosmos est encore perçu suivant le modèle antique : il
est clos et harmonieusement ordonné, en cercles concentriques ; en son centre se
trouve la terre soumise à l’influence des astres et des démons qui vont et viennent
entre les hommes et les planètes. En 1543, Nicolas Copernic allait renverser cette
image de l’univers et bouleverser toute la représentation que l’on se faisait alors
du monde : il conçut l’univers comme un système où le soleil était central
(héliocentrisme) et où la terre tournait autour de lui. Il faudra cependant attendre
Galilée, au début du XVIIe siècle, pour que ce système soit prouvé et que
l’astronomie nouvelle renverse l’ancienne cosmologie héritée de l’Antiquité.
21
L’homme, centre de la création, prenait ainsi peu à peu conscience de sa place
dans un univers ouvert, infini, où son monde n’était peut-être pas le seul.
Mais le système copernicien ne s’installe pas tout de suite dans les esprits et la
nature continue d’être perçue comme un jeu d’influences astrales, tissu vivant de
correspondances secrètes qui vont de l’homme aux plantes, aux astres, aux
minéraux, et à toutes choses : les parties du corps correspondent aux signes du
zodiaque, comme les tempéraments aux influences des planètes. Rabelais fera le
catalogue des savoirs astrologiques de son temps dans le Tiers Livre : certes
Panurge ne connaîtra jamais son avenir avec certitude « ni par catoptromantie, ni
par astragalomantie, ni par capnomantie »... La liste rabelaisienne des savoirs
magiques fait bien voir, par-delà la dérision de l’humaniste, ce désir des hommes
de maîtriser toujours plus l’immense réservoir de la nature.
Car la science telle que nous l’entendons aujourd’hui côtoie alors la magie
naturelle, l’étude des secrets de la nature et des correspondances astrales. Le
mage se donne d’abord comme celui qui maîtrise les secrets naturels et les
humanistes savants se tournent toujours davantage vers cette nature dont les
mystères cessent peu à peu d’être inexpliqués. Ainsi, l’arithmétique,
fondamentale pour l’astrologie et la mystique des nombres, permettra à Kepler,
puis à Galilée, de calculer les orbites planétaires. La Renaissance voit naître
ensemble, souvent chez les mêmes individus, les premiers grands
mathématiciens, anatomistes, physiciens, médecins, dessinateurs, architectes. Car
tout est lié, on ne l’écrira jamais assez : Rabelais invente un géant qui se moque
sans retenue de toutes les valeurs établies, mais il crée aussi des appareils pour
réduire les fractures du fémur et débrider les hernies étranglées ; les artistes
dessinent l’homme avec précision, donnant aux sciences des modèles plus vrais,
plus réels. Léonard de Vinci ne fut-il pas non seulement l’un des premiers grands
anatomistes, mais aussi physicien, mathématicien, technicien, ingénieur,
géomètre ?
En médecine, les dissections sont autorisées et renversent nombre de
connaissances fausses héritées de l’Antiquité. L’homme de la Renaissance
découvre ainsi un monde étrange à l’intérieur de lui-même ; voyageur dans son
propre corps, il pénètre dans le mystère de sa propre fabrication. Il n’est que de
voir le fœtus que Vinci dessine avec précision. Ainsi le chimiste Paracelse,
nommé professeur de médecine à Bâle en 1526, y attaqua violemment la
médecine traditionnelle et brûla publiquement les œuvres de Galien ; Vésale
fondait l’anatomie moderne, dans son grand ouvrage le De Corporis Humani
fabrica (1543) ; Ambroise Paré profita de son expérience de chirurgien à l’armée
; ne sachant pas le latin, il put, par sa seule pratique, faire progresser la
thérapeutique en substituant par exemple la ligature des artères à la cautérisation
au fer rouge.
Le monde de la Renaissance connaît ainsi une double révolution : celle du
cosmos opérée par Copernic, celle de l’homme qui se cherche moins dans les
étoiles et dans le ciel infini et commence à se regarder lui-même, contemplant,
curieux et humble, le sperme, mystère de ses origines, « cette goutte d’eau,
comme l’appelle Montaigne, où loge-t-elle ce nombre infini de formes ? »
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
22
HM –Réformes et guerres de religion au XVIe siècle
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
À son avènement en 1519, Charles Quint était pressenti comme l'empereur d'une
Chrétienté unie et bientôt étendue au monde. C'était compter sans la volonté
d'affirmation des États, qui a pris appui sur des Églises "nationales".
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Arlette Jouanna (dir.), Histoire et dictionnaire des guerres de religion, 1559–1598, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1998
Olivier Christin, Les Réformes, Luther, Calvin et les protestants, « Découvertes Gallimard » 1995. (remarquable, en particulier,
pour l’intérêt du dossier iconographique).
EL KENZ, David, GANTET, Claire, Guerres et paix de religion en Europe aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Armand Colin, «
Cursus », 2008 (2e éd.). (un manuel avec l’essentiel des problématiques de la question : les troubles confessionnels et les
tentatives de pacification dans l’ensemble de l’Europe. Les deux auteurs ont aussi intégré les apports fondamentaux de
l’historiographie internationale (notamment la notion de confessionnalisation – Konfessionalisierung, Wolfgang Reinhard et
Heinz Schilling).
DELUMEAU, Jean, WANEGFFELEN Thierry, Naissance et affirmation de la Réforme, Paris, PUF, coll. "Nouvelle Clio", (1965)
1997. (ce volume a été réactualisé en 1997 par Thierry Wanegfellen).
Jean Delumeau, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, 6e édition refondue, avec la collaboration de Monique Cottret, Paris,
PUF, 1996 (une étude fondamentale)
Histoire du christianisme, les tomes VII, VIII et IX: De la Réforme à la Réformation (1450-1530), Letemps des confessions
(1530-1620), L’Âge de raison (1620-1750), sous la direction de Marc Venard, J.-M. Mayeur, A. Vauchez, Ch. et L. Pietri,
Desclée, 1992, 1994, 1997.
SAUPIN Guy, Naissance de la tolérance en Europe aux Temps modernes : XVIe-XVIIIe siècles, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 1998.
Jean-Marie Constant, Les Français pendant les guerres de Religion, Hachette Littératures, 2002
Denis Crouzet, Dieu en ses royaumes : Une histoire des guerres de religion, Champ Vallon, Paris, 2008 (spécialiste du XVIe
siècle, de la violence et des troubles de religion au 16è siècle et de l 'histoire des mentalités de l'imaginaire)
Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (v. 1525–v. 1610), Champ Vallon, collection
« Époques », 2005 (1re édition 1990)
L. Febvre, Le Problème de l’incroyance au XVIe siècle : la religion de Rabelais, Albin Michel, Paris, 2003.
M.Venard, dir., De la Réforme à la Réformation (1450-1530). Histoire du christianisme, t. 7, Desclée de Brouwer, Paris, 1992.
M.Venard, dir., Le Temps des confessions (1530-1620). Histoire du christianisme, t. 8, Desclée de Brouwer, Paris, 1994.
LIVET Georges, Les guerres de religion, Que sais-je?, 2002, 124 p
CHAUNU Pierre, Le Temps des Réformes, Paris, Fayard, « Pluriel », 1996 [1975].
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Catholiques, protestants, la fracture (Joël Cornette) dans Les Européens d'Hérode à Erasmus / Collectif, in LES COLLECTIONS
DE L'HISTOIRE, N° 41, Hors-Série, Octobre-Décembre 2008
Violence au nom de Dieu : Les guerres de religion, / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série trimestriel
N° 17, Octobre 2002
Les guerres de religion, TDC, N° 754, du 15 au 30 avril 1998
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
La définition géographique de l’Europe ne pose pas de problèmes majeurs sauf
sur ses marges orientales, fluctuantes et constamment disputées aux XVIe et
XVIIe siècles, notamment en raison de la pression de l’Islam : si la Russie (la
Moscovie plutôt) est éloignée de notre problématique, sont évidemment inclus la
Bohême, la Hongrie, la Pologne, la Transylvanie, les pays nordiques (notamment
la Suède et le Danemark), les confins orientaux…
L’affrontement concerne des oppositions non sanglantes, des oppositions
verbales, doctrinales. Et, puisqu’il s’agit de religion, il va de soi que cette notion
englobe l’ensemble des débats, des affrontements théologiques en Europe, du
début du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle : la dispute (disputatio), issue de
la tradition universitaire, est à l’origine même de la Réforme. Du reste, toute la
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : « Humanisme, Renaissance,
Réformes (6 à 8 heures)
À partir de textes et d’oeuvres d’art, les
élèves perçoivent le renouvellement des idées
et des formes. Ils étudient les Réformes
protestante et catholique, manifestations
d’une crise religieuse et réponses à l’exigence
du salut.
• Cartes : les divisions religieuses de l’Europe
à la fin du XVIe siècle.
• Repères chronologiques : les thèses de
Luther (1517) ; Calvin à Genève (milieu du
23
période est jalonnée de débats, de controverses, de colloques, à l’exemple du
colloque de Poissy, en septembre et octobre 1561, qui fut la dernière tentative
d’accord entre catholiques et protestants avant l’affrontement sanglant de la
première des huit guerres de Religion (1562-1598).
Denis Crouzet, La Genèse de la Réforme française, 1520-1562, Paris, Sedes,
1996, 620 pages.
Ce gros livre, dont la problématique dépasse largement le seul cadre français, est
nourrie de l’immense historiographie, plurielle, française et étrangère, qui
cherche à élucider les comportements individuels et collectifs en matière de
croyance. Cette dernière approche fait la part belle aux interprétations et aux
thèses souvent contradictoires des historiens. Car il faut savoir que l’histoire de la
Réforme est l’enjeu de nombreux et fructueux débats, portant, en particulier, sur
le choix religieux : qui devient luthérien, puis calviniste ? Pour quelles
motivations et quels enjeux ? Denis Crouzet multiplie les indices documentaires,
sous la forme de larges extraits d’auteurs contemporains, des plus connus à
l’"infra littérature" des occasionnels, anonymes le plus souvent, en passant par les
livres de raison. Tous ces textes, ici associés, témoignent de la puissance d’un
imaginaire passionnel, eschatologique et panique. Nous pouvons ainsi observer,
de l’intérieur, en quelque sorte, les rythmes et les expressions d’écriture des
cultures de la Renaissance. Loin des stéréotypes d’un "beau XVIe siècle"
optimiste et conquérant, cette immersion dans les manières de dire et d’écrire
permet de prendre la mesure des incertitudes, des angoisses, aussi, exprimées par
nombre de contemporains des réformateurs de Wittenberg et de Genève, qui ont
vécu dans la hantise du péché et du Jugement de Dieu. Car c’est bien dans le
vivier de cette force émotionnelle partagée, que le luthéranisme, puis le
calvinisme, ont puisé l’essentiel de leur énergie
XVIe siècle) ; le concile de Trente (milieu du
XVIe siècle).
BO 5e futur : « La crise religieuse remet en
cause l’unité du christianisme occidental
(Réformes) au sein duquel les confessions
s’affirment et s’affrontent (catholiques,
protestants) ;
L’étude est conduite à partir d’exemples au
choix qui sont replacés dans le contexte
général de l’histoire de l’Europe et du monde.
La crise religieuse de la chrétienté :
− un personnage lié aux Réformes ou un
événement ;
− une carte de l’Europe en 1648.
Connaître et utiliser les repères suivants :
− Le siècle des Réformes et des guerres de
religion : XVIe siècle
Raconter un épisode significatif des
Réformes (dans les vies de Luther, de Calvin
ou d’un réformateur catholique…) et
expliquer ses conséquences »
BO 2nde : « Humanisme et Renaissance
– Une nouvelle vision de l'homme et du
monde
– La Renaissance artistique
Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se
produit une modification profonde de la
vision de l'homme sur sa condition et sur le
monde, ainsi que la naissance d'un esprit
scientifique. Dans le même temps, se
transforment les rapports de l'homme avec la
religion (les Réformes). Ces
bouleversements sont facilités par les
mutations importantes des moyens de
communication et de diffusion des idées et
des savoirs : invention de l'imprimerie,
multiplication des universités, collèges et
académies. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
24
HM – Calvin
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Yves Krumenacker, Calvin. Au-delà des légendes, Editeur / Edition : Bayard, 2008
Jean-Luc Mouton, Calvin, Folio biographie 2009.
Denis Crouzet, Jean Calvin. Vies parallèles, Fayard, 2000
COTTRET Bernard, Calvin, Paris, « Petite bibliothèque Payot », 1998 [Lattes, 1995].
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Le mystère Calvin, L'HISTOIRE N°340, mars 2009
Violence au nom de Dieu: Les guerres de religion, / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série trimestriel
N° 17, Octobre 2002
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
A l'heure où le pouvoir urbain décline face aux monarchies, Calvin parvient à
faire de Genève une ville qui continue à compter ; soucieux de n'être que la voix
de Dieu, il met en place une nouvelle confession chrétienne qui, malgré les
transformations, existe toujours aujourd'hui.
Calvin, un des personnages les plus connus de l'histoire. Le second père de la
Réforme protestante, après Luther. Un homme qui libéra la chrétienté du joug de
Rome, mais un homme austère, dur, qui s'imposa comme le "pape de Genève".
Autant de clichés qui montrent que, si Calvin est très connu, il reste aussi très mal
connu.
Il faut aller au-delà des légendes, utiliser toutes les sources disponibles et se
fonder sur l'ensemble des écrits de Calvin, notamment sa correspondance et ses
sermons, au lieu de se restreindre, comme c'est souvent le cas, à ses oeuvres
théologiques.
La revue "L'Histoire" du mois de mars 2009 publie un excellent dossier Jean
Calvin (1509-1564) avec les contributions d'historiens spécialistes de la Réforme
protestante en Europe pour le 500è anniversaire de sa naissance. Calvin n'est pas
l'inventeur du protestantisme mais il le fait entrer dans une phase décisive au
milieu du XVIè siècle. Méconnu et malconnu, sa mémoire souffre d'une
mauvaise répution que les auteurs s'efforcent de rétablir à la vue des faits.
Yves Krumenacker dresse le portrait d'un homme timide, angoissé, qui trouve son
salut en Dieu. Il replace l'homme dans son époque troublée, au coeur des conflits
religieux, politiques et sociaux.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 5e actuel : « Humanisme, Renaissance,
Réformes (6 à 8 heures)
À partir de textes et d’oeuvres d’art, les
élèves perçoivent le renouvellement des idées
et des formes. Ils étudient les Réformes
protestante et catholique, manifestations
d’une crise religieuse et réponses à l’exigence
du salut.
• Cartes : les divisions religieuses de l’Europe
à la fin du XVIe siècle.
• Repères chronologiques : les thèses de
Luther (1517) ; Calvin à Genève (milieu du
XVIe siècle) ; le concile de Trente (milieu du
XVIe siècle).
BO 5e futur : « La crise religieuse remet en
cause l’unité du christianisme occidental
(Réformes) au sein duquel les confessions
s’affirment et s’affrontent (catholiques,
protestants) ;
L’étude est conduite à partir d’exemples au
choix qui sont replacés dans le contexte
général de l’histoire de l’Europe et du monde.
La crise religieuse de la chrétienté :
− un personnage lié aux Réformes ou un
événement ;
− une carte de l’Europe en 1648.
Connaître et utiliser les repères suivants :
− Le siècle des Réformes et des guerres de
religion : XVIe siècle
Raconter un épisode significatif des
Réformes (dans les vies de Luther, de Calvin
ou d’un réformateur catholique…) et
expliquer ses conséquences »
BO 2nde : « Humanisme et Renaissance
– Une nouvelle vision de l'homme et du
monde
Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se
produit une modification profonde de la
25
vision de l'homme sur sa condition et sur le
monde, ainsi que la naissance d'un esprit
scientifique. Dans le même temps, se
transforment les rapports de l'homme avec la
religion (les Réformes). Ces
bouleversements sont facilités par les
mutations importantes des moyens de
communication et de diffusion des idées et
des savoirs : invention de l'imprimerie,
multiplication des universités, collèges et
académies. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Jean Calvin (Noyon, 10 juillet 1509 - Genève, 27 mai 1564)
Né à Noyon en 1509, Jean Calvin (nom tiré de la forme latine Calvinus, qui
transcrit le français Cauvin) est une figure majeure de la seconde génération (qui
succède à celle de Martin Luther) de la Réforme protestante du XVIe siècle.
Ce Picard, issu d’une famille en voie d’ascension sociale, poursuivit ses études à
Paris à partir d’une date incertaine (environ 1520-1523). Destiné initialement à
l’état ecclésiastique, Calvin fut placé au collège de Montaigu, où il se prépara aux
grades de la Faculté des arts, mais il n’entama pas ensuite d’études de théologie.
Il commença en effet, à partir de 1527 (ou de 1525-1526) un cursus de droit à
Orléans et à Bourges et s’initia aux méthodes de la philologie humaniste sous
l’influence indirecte de Guillaume Budé. Il publia en 1532 un commentaire latin
du traité De clementia de Sénèque, qui traite de cette vertu royale dans le
contexte de l’affirmation de la monarchie absolue.
Sa « conversion » à l’évangélisme militant date de 1533-1534. Les motifs
déterminants de cette orientation semblent être le choc provoqué par les
persécutions exercées en France contre les évangéliques (issus de l’humanisme
chrétien comme de la Réforme luthérienne), la découverte de nouvelles méthodes
(dans le sillage d’un Jacques Lefèvre d’Étaples et d’un Érasme) d’interpréter la
Bible, et les réflexions inspirées par les œuvres des Pères de l’Église éditées par
Érasme. Calvin fit alors le choix d’une réforme radicale de l’Église et d’une
rupture avec les formes traditionnelles du christianisme occidental. Au nom d’un
Évangile libérateur, conçu, à la manière de Luther, comme le message opposant
de manière inconditionnelle la grâce d’un Dieu de miséricorde aux efforts
impuissants et vains de l’homme pour se justifier lui-même, Calvin se lança alors
dans une reformulation de la vision chrétienne du monde, qu’il synthétisa dans la
première version de l’Institution de la religion chrétienne, publiée en latin à Bâle
(Christianae religionis institutio) en 1536.
Les nombreux déplacements de cet exilé le conduisirent la même année à
Genève, où il fut retenu par Guillaume Farel pour prendre en main la réforme
locale, appuyée par les autorités civiles. Suite à un désaccord avec celles-ci, il
s’installa à Strasbourg de 1538 à 1541. Il y compléta sa culture théologique au
contact du réformateur local, Martin Bucer. Rappelé à Genève, il y resta jusqu’à
la fin de sa vie, sauf quelques voyages, sans revoir la France. Genève l’avait
choisi pour ses compétences exceptionnelles, dans le but de doter la cité des
structures (église, école, institutions de charité, création de la future université,
etc.) et des valeurs dont elle avait besoin pour affirmer son indépendance
politique, toute récente. Calvin accepta cette mission en y discernant une vocation
divine, et afin de faire de Genève, placée aux portes de la France, une place forte
de la propagande protestante. Ses fonctions locales de prédicateur placé à la tête
de la compagnie des pasteurs ne lui donnaient pas d’autre pouvoir que celui que
le Magistrat voulait bien lui reconnaître. Mais l’autorité que lui valait sa
supériorité intellectuelle, et la victoire en 1555-1556 d’un parti prenant appui sur
les nombreux réfugiés d’origine française, lui permirent de mettre à peu près en
pratique ses vues en matière de discipline ecclésiastique.
26
Français devenu genevois, Calvin étendit à l’ensemble de l’Europe ses vues et le
prestige de sa parole (ou, inversement, l’animosité que celle-ci suscitait chez ses
adversaires). Ses conceptions religieuses connurent une immense diffusion par
divers canaux. Calvin a exploité de manière systématique l’art de l’imprimerie
(sous le contrôle du Magistrat genevois) pour diffuser ses livres ou les ouvrages
inspirés de ses conceptions (comme le Psautier huguenot, promis à une carrière
internationale jusqu’à nos jours) ; ses impressions genevoises étaient vendues,
souvent de manière clandestine, dans l’Europe entière en de multiples éditions.
Les fréquents sermons de Calvin, ainsi que ses cours d’exégèse, attiraient un
auditoire, abondant et souvent distingué, de nombreux pays. Par sa
correspondance, il orientait les esprits qui se tournaient vers lui : communautés
réformées en France ou en exil ; églises réformées cherchant à se structurer en
Europe centrale ; dames et princes attirés par la Réforme ; réseau de personnalités
ignorant les frontières politiques et soucieuses d’affermir la Réforme à une
époque où celle-ci commençait à refluer ou bien à affronter ses propres
dissidences. À cet égard, le calvinisme est moins un ensemble précis de doctrines
qu’un réseau consciemment transnational, décidé à opposer à la Contre-réforme
catholique un christianisme alternatif, assez structuré pour affronter la terrible
lutte confessionnelle commencée dans les années 1540, assez souple pour
s’adapter à des contextes aussi différents que l’Angleterre anglicane, la France et
les Pays-Bas des guerres de Religion, ou les terres multiconfessionnelles
d’Europe centrale.
Calvin, écrivain latin et français, est un des auteurs les plus remarquables de son
siècle, par la clarté efficace de son style, imité par ses disciples et par ses
adversaires. Traducteur de lui-même avec l’Institution française, dont la première
version, celle de 1541, est, selon Gustave Lanson, « le plus grand monument de
notre prose dans la première moitié du XVIe siècle », avec l’œuvre de Rabelais, il
est aujourd’hui un des auteurs français les plus traduits dans le monde.
Considéré depuis le XIXe siècle comme un des fondateurs de la civilisation
moderne, sa figure échappe désormais aux enjeux confessionnels.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
27
HM – Les guerres de religion en France et l’Édit de Nantes
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Il y a quatre cents ans, l’édit de Nantes mettait un terme à plusieurs décennies de
guerres qui enflammaient le royaume de France. Le XVIe siècle humaniste ne
devait donc pas s’achever dans le bruit et la fureur. De l’expérience de la haine et
de la guerre civile, une nation chrétienne tirait les enseignements de la raison
d’État, de la tolérance et du compromis religieux. Un apprentissage de la
modernité.
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
J. Garrisson, «Royauté, Renaissance et Réforme, 1483- 1559 », Nouvelle histoire de la France moderne, vol. 1, Le Seuil, Paris,
1991.
J. Garrisson, «Guerre civile et compromis, 1559-1598 », Nouvelle histoire de la France moderne, vol. 2, Le Seuil, Paris, 1991.
J. Garrisson, L’Édit de Nantes et sa révocation, Le Seuil, Paris, 1985.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Les guerres de religion, Un royaume, deux Églises, LOÏC JOFFREDO, TDC, N° 754, du 15 au 30 avril 1998
« Les guerres de religion », L’Histoire, n° 215, nov. 1997.
Violence au nom de Dieu : Les guerres de religion, / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série trimestriel
N° 17, Octobre 2002
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
À partir de l’exemple d’une « force centrifuge », la division religieuse de la
France face aux réformes protestantes, on veut montrer que le royaume a su
sauvegarder son unité. Les guerres qui opposent catholiques et protestants
opposent deux conceptions de l’homme et de l’autorité ; elles conduisent au
compromis religieux et au-delà politique.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 5e actuel : « Le Royaume de France au
XVIe siècle : la difficile affirmation de
l’autorité royale (2 à 3 heures)
Il s’agit seulement de montrer comment la
monarchie française s’efforce d’asseoir son
autorité et d’unifier le royaume en dépit des
multiples forces centrifuges qui l’affectent
• Carte : le Royaume de France au XVIe
siècle.
• Repères chronologiques et documents :
l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) ;
l’édit de Nantes (1598). »
Socle. Ajout aux repères :
La Saint Barthélemy (1572).
BO 4e futur : « L’ÉMERGENCE DU « ROI
ABSOLU »
La monarchie française subit une éclipse dans
le contexte des conflits religieux du XVIe
siècle, à l’issue desquels l’État royal
finit par s’affirmer comme seul capable
d’imposer la paix civile (1598).
Les rois revendiquent alors un « pouvoir
absolu » qui atteint son apogée avec Louis
XIV et se met en scène à Versailles.
L’étude qui est conduite à partir d’exemples
au choix :
- de la vie et l’action d’un souverain
- d’un événement significatif
Connaître et utiliser les repères suivants
− L’Édit de Nantes, 1598 »
28
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Imagine-t-on aujourd’hui la France de 1560 en passe de devenir protestante ? À
l’époque pourtant, se multiplient les témoignages les plus alarmistes des progrès
foudroyants de la « secte ». Quand l’ambassadeur de Venise constate qu’« il n’y a
pas de province qui ne soit infectée, et [qu’]il y en a où la contagion est répandue
même dans les campagnes, comme la Normandie, la Bretagne, la Touraine, le
Poitou, la Guyenne, la Gascogne, une grande partie du Languedoc, du Dauphiné,
de la Provence, de la Champagne, ce qui fait presque les trois quarts du royaume
», le tableau est à peine exagéré. Le mal semble gagner tous les sujets du roi, «
même les ecclésiastiques, poursuit le diplomate, les prêtres, les moines, les
religieuses, les couvents presque entiers, ... les évêques ». Il aurait pu ajouter les
plus grands noms de la cour, les Bourbon, les Châtillon-Coligny, la reine de
Navarre, comme les plus humbles du peuple ! En 1560, en ce royaume de France,
fille aînée de la Sainte Église catholique, les sujets du roi Très Chrétien sont
malades, de la pire des maladies : la Réforme.
UNE RÉFORME TANT ATTENDUE
Avant les protestants, il y eut la « protestation ». Celle de chrétiens indignés par
l’état de leur Église. Partout, le clergé est décrié : curés ivrognes et concubins,
moines avares et pillards, prélats négligents, plus attentifs à percevoir les
indulgences, qui ouvraient les portes du Ciel moyennant finances, qu’à entretenir
leurs établissements. L’autorité civile semble même cautionner ces abus, liée
qu’elle est au fonctionnement de l’Église par un Concordat, amenée donc à
désigner aux plus hautes charges « celui qui était le meilleur compagnon, qui
aimait le plus les garces, les chiens et les oiseaux, qui était le meilleur biberon,
bref qui était le plus débauché, afin que, l’ayant fait leur abbé ou prieur, il leur
permît toutes pareilles débauches, dissolutions et plaisir. »
Mais ces tares ne sont en fait que la face visible de la crise de l’Église. Au plus
profond des convictions religieuses, le doute s’installe : les clercs sont-ils
capables d’apaiser l’extraordinaire soif de spiritualité des fidèles ? Quand la piété
devient de plus en plus intérieure, personnelle, dominée par un puissant sentiment
d’insécurité face à la mort et de culpabilité, l’Église est-elle d’un grand secours ?
La foi officielle se révèle trop souvent un amalgame de vérités rabâchées,
incomprises de fidèles qui n’entendent pas le latin, de cultes anciens et de
pratiques superstitieuses, propres, croient-ils, à conjurer leur peur de l’au-delà et
leur assurer le salut éternel.
Des chrétiens exigeants fustigent cette foi. Humanistes, lecteurs d’Érasme, ils
sont convaincus que le royaume doit redevenir terre de mission. Un mot d’ordre :
le retour à l’Évangile. Si les fidèles se détournent de la vraie foi, c’est qu’ils n’y
ont pas vraiment accès. Il faut donc mettre à leur portée « les précieuses
marguerites de l’Écriture sainte », comme s’y emploie Lefèvre d’Étaples qui, en
1523, traduit le Nouveau Testament pour la première fois en français. Il faut
former de nouveaux clercs, rebâtir les liens qui unissent l’Église à ses ouailles :
une entreprise ambitieuse que, presque expérimentalement, l’évêque Briçonnet
met en place en son diocèse de Meaux, attirant à lui tous les théologiens
contestataires pour former un groupe de réflexion.
Ces chrétiens, cependant, sont de doux évangélistes, convaincus que si réforme
de l’Église il doit y avoir, elle ne peut être menée qu’en son sein. Or, ce n’est pas
l’avis d’autres « rebelles » de la foi : ceux-ci, prédicateurs sillonnant la province
ou clercs officiant dans les villes, mènent un combat plus radical, mettent en
doute le purgatoire, remède de bonne femme pour calmer l’angoisse de la mort,
condamnent le culte idolâtre des saints et réfutent l’autorité d’un pape qualifié d’«
Antéchrist ». Ces « protestants » furieux se sont trouvé un maître à penser :
Luther, qui a naguère dû rompre avec Rome et dont les écrits, prohibés dans toute
la chrétienté, circulent sous le manteau et s’importent en France, cachés dans des
tonneaux de sel. Les prêches violents, les libelles diffusés par centaines affirment
tous la nécessité d’une réforme, imposée de l’extérieur celle-là.
Le roi de France, jusqu’alors occupé à mener la guerre aux frontières, n’avait pris
garde à cette « protestation ». Mais quand cette dernière s’affiche insolemment
jusque sur la porte de ses appartements mêmes et dénonce « cette pompeuse et
orgueilleuse messe papale, par laquelle le monde est et sera totalement désolé,
perdu, ruiné et abîmé », cette fois, la coupe est pleine. L’affaire des Placards, en
1534, marque un nouveau tournant dans la répression. La loi du roi et celle de
l’Université, c’est-à-dire de l’Église, sont alors indissociables. La traque des
DES MOTS ET DES CAUSES
Sous l’impact de la Réforme, les chrétiens
catholiques (du grec katholikos, « universel
») ont englobé ceux qui demeurent unis à
Rome par opposition à l’hérésie croissante.
Leurs adversaires les surnommaient aussi
papistes du fait de leur fidélité au pape.
Les protestants sont parfois dénommés
luthériens, quand bien même ils
n’appartiennent pas à l’Église de Luther.
Outre les qualificatifs péjoratifs de tutoyeurs
de Dieu ou hypocrites, l’appellation la plus
courante est celle de huguenots, déformation
du mot allemand Eidgenossen (« confédérés
»). Le terme protestant lui-même, qui vient de
l’attitude « protestante » de princes
germaniques devant la politique religieuse de
Charles Quint, n’est guère utilisé en France
avant la fin du XVIIe siècle, comme le
sobriquet de parpaillot (d’un mot occitan
désignant le papillon, car les Camisards
cévenols portaient d’amples chemises). Dans
les textes de l’époque, l’Église calviniste est
dénommée par les siens Église chrétienne
réformée (dénomination la plus courante),
Église réformée évangélique ou encore Église
de Dieu et Église sur l’ordre de Dieu. Mais
les documents officiels, dès 1562, parlent de
ceux de la religion, sous-entendu la Religion
prétendue réformée (abrégée en RPR), car, la
religion catholique ayant entrepris sa réforme
avec le concile de Trente, il ne pouvait y
avoir d’autre religion réformée que la sienne !
Aujourd’hui, le terme de Réformés désigne
spécifiquement ceux qui suivent les idées de
Calvin, ou calvinistes, tandis que la Réforme
recouvre toutes les formes de protestantisme.
La Réforme et le livre
« L’imprimerie est l’ultime don de Dieu et le
plus grand », aurait déclaré Luther. Une
assertion qui traduit l’importance du livre
dans la nouvelle religion. La Réforme a en
effet largement pris pied là où il y a des
officines typographiques : dans les pays
germaniques bien sûr, mais aussi dans les
grandes villes françaises comme Paris et
Lyon. La répression à l’encontre des
imprimeurs et libraires du royaume se faisant
plus violente (en 1546, Étienne Dolet est
brûlé vif place Maubert à Paris), la
production d’ouvrages se réfugie à Genève et
profite des progrès du calvinisme en France :
en 1533-1540, 42 ouvrages sortent des
presses ; en 1550-1560, ils seront 527 ! Parmi
ceux-ci, l’Institution de la Religion
chrétienne, de Calvin, fait l’objet de 25
rééditions, dont 16 en français. Mais on
trouve également un grand nombre de livres
de piété, de psautiers, d’ouvrages didactiques
ou théologiques plutôt destinés aux élites
29
hérétiques est menée comme une affaire de police : lorsque l’un d’eux est
conduit, par les rues, vers le bûcher, c’est marqué au fer rouge d’une fleur de lys
au front.
LA « CONTAGION »
Ce n’est pas la première fois que l’Église a maille à partir avec l’hérésie : Wycliff
en Angleterre, Jan Hus en Bohème, Savonarole à Florence se sont jadis élevés
contre l’autorité de Rome. À chaque fois la tumeur avait été éradiquée. Mais cette
fois, le mal est d’une autre ampleur : les idées séditieuses de Luther essaiment à
l’échelle de l’Europe entière. Et quand, en France, on parvient à enrayer leur
diffusion en contrôlant étroitement leurs foyers proches du royaume, Strasbourg
et Metz, une autre « infection » se déclare qui va propager l’hérésie depuis un
autre pôle. Depuis les années 1540 en effet, les partisans de la réforme « dure » se
sont trouvé une nouvelle capitale, Genève, un nouveau catéchisme, l’Institution
de la Religion chrétienne, un nouveau chef religieux, Jean Calvin. Pour cet
humaniste picard qui a fui la répression, il ne peut y avoir de réforme sans rupture
: il faut « sortir de Babylone ».
Aux yeux des catholiques, la Réforme est une épouvantable maladie qui ronge le
royaume : une « contagion », une « pestilence » ; les Réformés sont déclarés «
mal sentans de la Foy ».
La propagation du mal est prodigieusement rapide. Elle atteint plus facilement les
zones affaiblies du royaume, ces régions périphériques plus récemment soumises
au roi, mais porteuses encore de traditions de résistance à l’État central : depuis le
Dauphiné, par la vallée du Rhône, puis le Languedoc cathare, elle s’insinue
jusqu’en Poitou et dans la vallée de la Loire, formant un arc de cercle qui
s’appuie sur de puissants bastions (Lyon et ses imprimeries, La Rochelle, le
Béarn dont la reine, Jeanne d’Albret, a embrassé la Réforme).
Le mode de propagation de l’épidémie est toujours le même : des colporteurs
ouvrent la voie et diffusent œuvres de propagande et écrits de Calvin en français ;
des prédicateurs, formés à Genève à la théologie et à la pédagogie, leur emboîtent
le pas ; puis les communautés, révélées à la « vraie foi », décident, en assemblée,
presque à mains levées, de « dresser » une Église, de se doter de statuts et de
nommer un « ministre » parmi les leurs. En 1560, ces « églises dressées » sont
près de 1 400.
Toutes les catégories de la population sont « touchées ». Du prince de Condé au
plus humble curé. Les « gens de métiers », bourgeois artisans et commerçants des
villes, voient dans le calvinisme une façon de marquer leur réussite sociale en se
démarquant de la tradition sclérosante du culte officiel ; les étudiants turbulents y
trouvent un espace de contestation ; les clercs constituent un vivier lettré de futurs
pasteurs ; les femmes, elles aussi, se rallient en grand nombre à une foi simple et
vertueuse. Au total, en 1560, sont dénombrés deux millions de calvinistes : un
Français sur dix !
ENTRE HÉRÉSIE ET RÉBELLION
L’image du corps étranger qui mine le royaume est omniprésente.
Le calvinisme, rappelons-le, est d’abord un scandale contre la doctrine même de
l’Église. Se réformer, c’est avant tout rompre. Avec les sacrements, qu’on ne
respecte plus, ni à la messe, ni au mariage, ni même au seuil de la mort. Avec le
culte des saints et de la Vierge, source d’idolâtrie. Avec la liturgie de la messe et
ses superstitions. Pour l’homme protestant, seule compte la parole de Dieu. C’est
dans l’Écriture qu’on trouve la Révélation ; c’est par sa connaissance qu’on
accède à la grâce, et non par ces œuvres et ces gestes rituels, dons, reliques,
achats de messes ou pénitences, censés racheter l’âme pécheresse. Cette nouvelle
chrétienté exemplaire instaure un rapport nouveau, plus direct, avec Dieu, qui
passe outre l’autorité des clercs et se fonde sur la liberté de l’homme.
La révolution protestante est aussi une révolution des mœurs religieuses. Le culte
est rendu autant dans le temple qu’en famille, avec ou sans pasteur : on y prie en
commun, on y chante des psaumes, on y lit et commente la Bible dans une langue
intelligible par tous. L’austérité et l’ordre sont de mise, comme la tenue noire des
hommes ou celle, « décente », des femmes. Une assemblée de fidèles, nommée
consistoire, veille au respect des bonnes mœurs et blâme les déviances, les
carnavals, les jeux et les réjouissances populaires. Le mode de vie de ces «
tutoyeurs de Dieu » apparaît tout aussi choquant aux catholiques que leurs prises
de position théologiques.
C’est enfin l’organisation des communautés réformées qui fait scandale. Elles
postulent en effet qu’aucun chrétien n’est supérieur à un autre, donc que nul ne
peut s’arroger le droit de détenir une autorité sacrée et d’accéder aux mystères de
religieuses, voire de pamphlets anti-papistes,
fort prisés. Si ces livres ont tant de succès,
c’est pour trois raisons. D’abord, parce qu’ils
sont souvent plus « pratiques » : imprimés sur
du papier bon marché, dans un petit format
qui ne nécessite plus de lutrin, ils comportent
des images pour les analphabètes ou se
présentent sous forme d’abécédaires pour les
enfants. Ensuite, ces ouvrages sont lisibles en
langue vernaculaire, comme la Bible, connue
en français en 1535 grâce à la « translation »
du grec et de l’hébreu effectuée par Olivétan.
Enfin, la nouvelle religion est un retour au
texte originel : l’enseignement du Christ
s’adresse donc à tous et la pratique de la
lecture, généralement à haute voix, est
encouragée. Cependant, Calvin et les
autorités religieuses veillent à ce que le fidèle
ne s’approprie pas le livre de manière trop «
exclusive » : la censure met bon ordre dans la
profusion des imprimés, et la prédication (la
« Bible de l’oreille ») l’emporte encore sur
l’écrit (la « Bible de l’œil »).
Huit « guerres de religion »
Après l’échec du colloque de Poissy (octobre
1561), les violences se multiplient entre les
deux communautés. L’édit de Saint-Germain,
qui accorde aux protestants un droit de culte
limité, déclenche les fureurs catholiques.
1562-1563 : première guerre. Un massacre
de huguenots à Vassy pousse les armées
protestantes à entrer en guerre et à s’emparer
de nombreuses villes. Mais Catherine de
Médicis, après l’assassinat de François de
Guise, impose à tous l’édit d’Amboise.
1567-1568 : deuxième guerre. Face à la
menace d’une alliance franco-espagnole, les
protestants reprennent les armes. À
Longjumeau sont réaffirmées les dispositions
de l’édit d’Amboise.
1568-1570 : troisième guerre. Charles IX et
la reine-mère veulent porter un coup fatal aux
protestants. Vaincus à Jarnac, ceux-ci
obtiennent pourtant des conditions
avantageuses et des places de sûreté à la paix
de Saint-Germain.
1572-1573 : quatrième guerre. Les massacres
de la Saint-Barthélemy éprouvent le parti
protestant et radicalisent ses positions
antimonarchiques.
1574-1576 : cinquième guerre. À la mort de
Charles IX, les « malcontents » catholiques et
les huguenots se dressent contre le roi Henri
III et le poussent à convoquer les états
généraux.
1576-1577 et 1579-1580 : sixième et
septième guerres. Des opérations militaires
confuses épuisent le royaume, compliquées
par la formation d’une ligue catholique par
les Guise en 1576.
1585-1598 : huitième guerre. L’armée royale
vaincue par Henri de Navarre à Coutras
(1587), Paris soulevée par la Ligue appuyée
par les Espagnols, le roi est aux abois. Il fait
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la Foi. Le pasteur, laïc, est issu de leurs rangs, désigné par tous, et les églises sont
toutes égales entre elles. Seule leur représentation au sein de synodes,
provinciaux puis nationaux, a autorité pour définir le dogme.
Voilà bien une organisation qui, horizontale, « démocratique » dirait-on, contredit
le fonctionnement vertical de l’institution catholique et la toute-puissance du
pape. Mais, plus grave, la monarchie, qui revêt un caractère sacré et tient son
pouvoir de Dieu, ne saurait admettre cette contestation de la hiérarchie et de la
préséance. D’ailleurs, ces « huguenots », qui, ici ou là, refusent de payer la dîme
et perturbent le « repos public » en suscitant des « tumultes », ne mettent-ils pas
en danger la société en offensant Dieu et donc le roi, ne se comportent-ils pas
comme des « étrangers » séditieux qui s’excluent de ce fait du royaume de France
?
En 1559, tandis que s’est systématisée la persécution des hérétiques, se tient –
comble de l’intolérable ! – le premier synode national des églises réformées, à
Paris même.
LA PRISE D’ARMES
Les protestants formaient des églises, ils vont former un parti. Et prendre les
armes.
En 1560, leur importance est devenue telle qu’elle met en péril l’unité du
royaume. Mais ce constat ne suffit pas à expliquer les « troubles de religion » qui
vont bouleverser le pays durant quatre décennies. D’autres facteurs, tant
politiques que sociaux, prédisposent au passage de la confrontation religieuse au
conflit militaire. À la mort de Henri II en 1559, le pouvoir est fragile : son
premier fils, François, malade, ne règne que quinze mois ; le second, Charles, qui
n’a qu’onze ans, laisse sa mère Catherine de Médicis, l’« Italienne », haïe de la
Cour, régenter le royaume. En outre, la paix avec l’Espagne, signée à CateauCambrésis, libère des dizaines de milliers de soldats en nombreux chefs
politiques de leurs occupations guerrières. Le pouvoir royal affaibli suscite les
convoitises des grandes familles princières qui rivalisent entre elles : les Guise,
imprégnés de tradition catholique, nourrissent leur rêve féodal de voir la grande
noblesse occuper la meilleure place auprès du roi ; les Bourbon-Condé, eux,
devenus huguenots par opportunisme autant que sous l’influence de Jeanne
d’Albret, veulent faire valoir leur rang de princes du sang.
Des partis se constituent peu à peu autour des positions religieuses. Par fidélité
vassalique au prince, les gentilshommes épousent tantôt une cause, tantôt l’autre ;
le jeu des solidarités et des clientèles rallie bourgeois et classes populaires sous la
bannière de leurs seigneurs. Le protestantisme sorti de la clandestinité et le
catholicisme intransigeant deviennent de puissants instruments de conquête du
pouvoir. Les partis décident de lourds impôts, mettent à contribution les églises,
recherchent des appuis à l’étranger (les protestants chez les Anglais, les
catholiques chez le roi d’Espagne), lèvent en masse des troupes qui deviennent
bien vite des armées, où s’agglomèrent les bandes démobilisées et leurs
capitaines impétueux pour lesquels la religion n’est plus qu’un prétexte qui
justifie l’aventure.
La haine fanatique des uns pour les autres fait le reste : la guerre est déclarée. Ou
plutôt les guerres, huit en tout, entrecoupées de périodes de rémission durant
lesquelles les camps fourbissent leurs armes et ourdissent des complots. Ces
affrontements prennent plusieurs formes. La plus classique est la campagne
militaire : les armées veulent prendre possession de territoires, s’emparent de
villes, qu’elles pillent soigneusement, ou engagent des batailles rangées dans
lesquelles les forces alignées ne sont pas considérables (20 000 hommes
maximum de part et d’autre à Jarnac ou Coutras) et où l’esprit chevaleresque
n’est plus la règle. Les mercenaires, lansquenets allemands ou suisses du côté
huguenot, piquiers espagnols du côté papiste, s’y distinguent et horrifient les
populations par leurs exactions.
Ce conflit est également marqué par le crime politique. Songeons qu’en peu de
temps, François de Guise et Louis de Condé sont traîtreusement occis sur le
champ de bataille, Coligny massacré durant la Saint-Barthélemy, Henri de Guise
et Henri III poignardés ; Henri de Navarre échappera, lui, à près de vingt attentats
avant de périr, plus tard, sous les coups de Ravaillac ! Par l’assassinat, les
meurtriers d’un camp (ou leurs commanditaires) éliminent physiquement et
symboliquement le champion de l’autre camp, détruisent son effigie lors de
violentes propagandes qui ne sont qu’appels au crime et, une fois celui-ci
commis, accomplissent un rituel de purification : le duc de Guise n’a pas le droit
à une sépulture chrétienne, son cadavre, plongé, dit-on, dans la chaux vive est
assassiner à Blois le duc de Guise (1588),
mais est tué à son tour par le moine Clément
(1589). Henri de Navarre, roi de France
huguenot, conquiert son royaume, assiège
Paris (1590-1594), abjure sa foi protestante
(1593), repousse les armées espagnoles et
donne un statut à ses anciens coréligionnaires
à Nantes (avril 1598).
La Ligue
Les succès du parti protestant et le
comportement tolérant du roi poussent très
tôt les catholiques intransigeants à s’unir sous
la bannière du duc de Guise. En 1584,
l’impopularité de Henri III fait grandir
l’aspiration des nobles au « droit de révolte »
et la mort de son dernier frère, François
d’Alençon, laisse Henri de Navarre seul
héritier du trône. Appuyée par les Espagnols,
une Ligue plus radicale que les précédentes
rassemble alors les plus farouches antiprotestants et, par le manifeste de Péronne,
veut « s’opposer à ceux qui par tous les
moyens s’efforcent de subvertir la religion
catholique et l’État ». C’est à Paris que la
Ligue se révèle un parti révolutionnaire,
proche, par certains aspects, des institutions
de la Terreur en 1794.
Révolutionnaire, elle l’est par ses idées. Sa
conception d’un gouvernement dominé par
des représentants du peuple réunis en états et
non plus par le roi (« Vox populi, vox Dei »),
sa vision théocratique de la société, son rêve
de rassembler les « frères catholiques » dans
une grande Internationale soumise au Pape ne
font toutefois pas l’unanimité.
La Ligue est également révolutionnaire dans
son organisation. Son assise est
essentiellement populaire, regroupée par
quartiers, mais son encadrement reste dominé
par des notables et ecclésiastiques. Au plus
fort des tensions, ceux-ci forment un comité
secret (les « Seize ») qui s’empare des
pouvoirs épurés de la capitale et s’appuie sur
une active milice bourgeoise. Elle l’est enfin
par ses actions : une violente propagande
régicide par le pamphlet et la prédication ;
des serments d’engagement et des
processions fanatiques ; de régulières chasses
aux suspects et des procès sommaires ; des
soulèvements anti-royalistes durant lesquels
sont érigées des barricades, à vrai dire autant
pour contenir les pillages que pour faire
obstacle aux soldats.
Minés par les divisions, orphelins du duc de
Guise assassiné en 1588, les Ligueurs ne
résisteront pas à la conquête du pouvoir par
Henri IV.
L’édit de Nantes signé le 30 avril 1598
BNF, Paris.
Un édit de tolérance ?
L’édit signé à Nantes en 1598 met un terme
définitif aux guerres de religion. Le royaume
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dispersé dans la Loire afin « qu’il n’en reste ni relique, ni mémoire ».
LA RAGE DE TUER
Les violences commises durant les troubles de religion frappent les esprits
contemporains autant qu’elles exciteront les imaginations des littérateurs futurs,
Dumas et Michelet en tête. Leurs explosions brutales ont été en effet
abondamment décrites et amplifiées. Qu’une ville soit prise par un camp ou un
autre, ce sont alors des notables qu’on « branche », des curés ou des pasteurs
qu’on « compote », des puits qu’on « pollue » en les engorgeant de cadavres, des
corps qu’on mutile. Les « Saint-Barthélemy » de 1572 ont ici valeur de symbole :
peut-être dix mille huguenots passés au fil de l’épée, un traumatisme pour le parti
protestant. Pourquoi ces massacres inouïs ? Il faut épouser un instant la mentalité
des populations du XVIe siècle. La violence la plus brutale ne leur est pas
étrangère : la guerre, la persécution religieuse dont sont victimes sorcières, juifs
ou hérétiques, sont dans l’ordre des choses. Et puis, les Français de l’époque sont
jeunes : adolescents en quête d’un nouveau mode de vie, membres de sociétés
festives où les esprits sont échauffés, ces produits des « baby booms » de la
première moitié du siècle s’enflamment pour toutes les aventures. L’absence de
pouvoirs locaux, le rôle des agitateurs et des propagandes les autorisent à tous les
débordements. Il y a plusieurs types de violences. Les unes peuvent être
spontanées, à l’occasion de cultes ou de processions par exemple : un échange
d’insultes dégénère rapidement en prise d’armes. D’autres peuvent être
pédagogiques, organisées alors par les religieux : les protestants brisent images
pieuses et statues de saints, molestent les prêtres au moment où ils célèbrent
l’eucharistie dans l’église ; les catholiques surgissent dans les temples et
violentent à leur tour les scandaleux « hommes noirs de Genève ». D’autres
obéissent à des motifs plus sociaux : les révoltes de croquants en Dauphiné, dans
le Limousin ou la Saintonge revêtent une apparence franchement antinobiliaire et
opposent des classes sociales autant que des partis religieux. Enfin, il y a une
violence d’État, celle exercée à l’occasion de la Saint-Barthélemy par une
monarchie qui, pour « extirper l’hérésie », n’a pas trouvé d’autres solutions que
de supprimer ses chefs.
Mais toutes ces violences ont une caractéristique commune : elles se veulent
purificatrices. L’iconoclasme protestant comme la fureur papiste s’accompagnent
de discours justificateurs et de gestes rituels : les catholiques se flagellent dans
d’interminables « processions blanches », prédisent la fin du monde si celui-ci
n’est pas lavé de la souillure huguenote. Quand ils accomplissent meurtres et
massacres avec force mutilations, ce sont souvent à des enfants, êtres sans
péchés, que l’on fait porter le coup de grâce à l’hérétique. Dans les deux camps,
c’est un Dieu terrible et vengeur qui est à chaque fois invoqué.
L’ÉTAT EN QUESTION
Le grand perdant de ces guerres de religion est le gouvernement royal lui-même.
Discrédité par les uns parce qu’il fut l’instigateur de la Saint-Barthélemy,
vilipendé par les autres parce qu’il n’a su mettre un terme définitif aux
agissements des hérétiques ou parce qu’on le soupçonne de pactiser avec ces
derniers, le roi est la cible des plus vives attaques. Celles-ci sont bien entendu
orchestrées par ceux qui ont le plus à y gagner. Les nobles protestants, certes,
réclament un roi puissant qui, à l’instar du souverain anglais, serait le chef d’une
religion nationale réformée. Les Guise ultracatholiques exigent un retour au
premier plan des grandes familles et la soumission du roi aux décisions d’états
généraux en toutes choses. Les Jésuites, eux, ces nouveaux « soldats de Dieu » du
camp catholique, colportent partout que « la monarchie n’est pas autorité, mais
brigandage » et arment volontiers les bras assassins.
Après la religion, c’est donc la monarchie elle-même qui ploie sous la violence
d’un vent de réforme. L’idée du roi-nation, incarnée par François Ier, défenseur
du seul intérêt commun, est mise en question. Des écrits politiques divers
véhiculent des pensées presque « révolutionnaires » qui touchent le peuple.
Écoutons Théodore de Bèze, successeur de Calvin à Genève : le roi, affirme-t-il,
ne peut être que le produit du consentement populaire. Lisons encore les
Vindiciae contra Tyrannos (Revendications contre les Tyrans) : si le roi ne
respecte pas la mission qui lui a été confiée par Dieu, alors le peuple, au nom de
Dieu, a le devoir de se révolter contre le tyran ! D’autres libelles enfin, en grand
nombre, prônent la nécessité du régicide : leur influence est immense. Si la
monarchie est affaiblie, elle n’en est pas pour autant résignée. Malgré l’erreur
politique de la Saint-Barthélemy, la recherche du consensus a été permanente.
Catherine de Médicis n’est pas la comploteuse machiavélique, ni la froide
n’entre pas pour autant, immédiatement, dans
une époque de tolérance. L’édit établit le
principe d’une concorde entre les confessions
protestante et catholique. Il proclame la
liberté de conscience définie de manière
négative, la reconnaissance d’une liberté de
culte restreinte et contrôlée pour
les huguenots. À bien le lire, l’idée ressort
aussi que l’existence de deux confessions en
un seul royaume ne peut être que transitoire.
Le jour viendra du triomphe de la « vraie
religion ». Édit d’attente ? Édit de compromis
? Il a pris avec le temps une valeur
symbolique de paix et de tolérance.
Œuvre collective, l’édit de Nantes (30 avril
1598), s’il a permis la pacification du
royaume, a aussi contribué au renforcement
du pouvoir royal et à l’autorité de l’État.
Comme l’explique l’historien Joël Cornette,
l’État conçu comme absolu et arbitral, fortifié
par les événements, s’est dorénavant situé audessus de tous les partis, les confessions et les
particularismes. L’État apparaît comme le
garant de l’intérêt commun vis-à-vis des
factions et des opinions. Pour lui, l’édit de
Nantes marque une étape importante dans
l’histoire de la distinction entre le citoyen,
sujet politique obéissant à la loi, et le croyant,
libre de ses choix religieux privés.
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empoisonneuse que la légende a peint d’elle. Dans un grand souci de calmer le
jeu, elle a suscité dès 1561 le colloque de Poissy et donné la parole aux réformés,
suspendu les armes par des édits de tolérance, multiplié les rencontres avec les
chefs des deux partis, organisé pour son fils Charles IX et tout le gouvernement
un incroyable périple de plusieurs mois (entre 1566 et 1568) pour aller à la
rencontre des sujets traumatisés par la guerre ; elle a orchestré enfin le
malheureux mariage de Henri de Navarre et de sa fille Marguerite de Valois qui
devait sceller l’amitié entre catholiques et huguenots.
En vain. Dans les années 1580, la nation semble irrémédiablement divisée.
Comme aux pires moments de la guerre de Cent ans, le royaume lui-même est
coupé en deux : au sud règne Henri de Navarre qui a rallié à lui les trois quarts
des gentilshommes de langue d’oc ; au nord les Guise et leurs alliés mettent en
coupe réglée les pouvoirs provinciaux et attisent les passions de la Ligue (voir
encadré ci-dessous) ; un peu partout enfin des bandes armées sèment la terreur,
tandis qu’aux frontières piaffent d’impatience les armées prédatrices des
royaumes voisins, prêtes à la curée.
Au comble des troubles, en 1589, l’assassinat de Henri III par le moine ligueur
Clément porte un roi huguenot sur le trône de France !
VERS LA RAISON D’ÉTAT
La légitimité d’Henri IV semble incontestable. Elle est cependant assez largement
contestée : aux yeux des Ligueurs, un roi membre de l’« Internationale
protestante » ne pouvait décemment pas régner. La légende déjà vive du « bon roi
Henry » ne suffit pas à expliquer le ralliement massif de ses sujets durant les
années 1590. Il faut chercher ailleurs des explications.
La première tient à l’émergence, entre ultracatholiques et protestants radicaux, de
nouveaux penseurs marqués par l’influence de l’humanisme, en quête d’une
troisième voie. Le diagnostic du royaume qu’ils établissent est édifiant : plus d’un
million et demi de morts dont « 50 000 gentilshommes », déplore l’un d’eux, le
président Pasquier. « Pour pacifier tous ces troubles, affirmait déjà ce
parlementaire à Henri III, il n’y a pas de moyen plus prompt et expéditif que de
permettre en votre République deux Églises, l’une des Romains, et l’autre des
Protestants ». Ce « Politique » (car tel est le nom, encore péjoratif à l’époque,
qu’on donnera à ces modérés), catholique fervent pourtant, avance ici une idée
tout simplement inimaginable : un royaume dans lequel seraient distincts les
domaines politique et religieux et caduc le vieil adage « Une foi, une loi, un roi ».
Le souverain, sans lien (« ab-solutus »), serait au-dessus des Églises et, au nom
de la concorde civile, garantirait le droit, la raison et la tolérance. Cette dernière
notion, prenons-y garde, n’a évidemment pas le contenu philosophique et moral
que lui a assigné le siècle des Lumières : elle traduit au XVIe siècle une pensée
pragmatique du compromis qui n’a pour but ultime que la paix. Le monarchisme,
avec les « Politiques », l’emporte sur les passions religieuses. Henri IV s’appuie
sur cette évidence de la raison d’État. Il le fait avec d’autant plus d’habileté qu’il
se pose aussi en roi patriote. L’extraordinaire propagande qui le sert en fait l’«
Anti-Espagnol », « né au vrai parterre des fleurs de lys de France, jeton droit et
verdoyant du tige de Saint Louis », mais aussi un « Français » (le terme est
constant), débonnaire et déjà « vert-galant » ! Elle flatte ainsi le sentiment
patriotique de sujets violemment hostiles à l’impérialisme espagnol, au Pape, aux
Italiens du Conseil ou aux Guise, dont l’origine est lorraine. En outre, le roi
renoue, dans les récits colportés mais aussi dans les faits, avec cette image du
chevalier courtois, protecteur des libertés paysannes et plein de mansuétude à
l’égard des vaincus.
Henri est avant tout réaliste, calculateur. Il connaît avec exactitude l’état de son
royaume. Il sait que les réformateurs catholiques, en réplique à la révolution
protestante, ont entrepris, sur la base du Concile de Trente, une vigoureuse
reprise en main du clergé, une « reconquête des âmes » par la prédication et
l’éducation prodiguées notamment par les Jésuites. Un catéchisme simplifié, des
processions spectaculaires, un nouveau culte dévot et baroque de la Vierge et des
Saints regagnent à la foi catholique un grand nombre de fidèles qui s’étaient mis à
douter. Et puis la majorité paysanne du royaume (85 % des sujets) demeure
résolument ancrée dans une solide foi du charbonnier, rétive aux aménités du
protestantisme. Ce dernier a atteint ses limites en France : exténués par les
guerres, les massacres, les abjurations forcées, les huguenots ne sont guère plus
d’un million en 1590 !
C’est donc toujours au nom de la très réaliste raison d’État que le roi accomplit
en trois temps le « saut périlleux » attendu de tous : à Saint-Denis, près de la
33
nécropole royale, il embrasse la foi catholique (pour la troisième fois !) et accepte
de « manger le pain des prêtres » ; à Chartres, il se fait sacrer dans la cathédrale
dédiée à la Vierge ; à Paris, il renoue en roi avec son peuple et désamorce le
mouvement ligueur, non sans avoir versé d’amples pots-de-vin à ses chefs !
Épilogue de cette longue conquête du royaume qui s’est faite autant par la
diplomatie que par les armes, l’édit de Nantes, en avril 1598, rétablit enfin la
paix. En réaffirmant que le catholicisme est la seule religion d’État et la seule
religion publique, en accordant places de sûreté, libertés et lieux de culte à ses
anciens coreligionnaires, le roi ménage toutes les susceptibilités. Il ne contente
peut-être personne d’autre que sa souveraineté elle-même, quasi absolue. Les
guerres de religion ne sont pas terminées : Richelieu, dans les années 1620,
reprendra les armes contre les huguenots, et Louis XIV révoquera avec fracas
l’édit de son aïeul. Mais la monarchie, elle, aura franchi une étape nouvelle de
son histoire.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
34
HM – Le « roi absolu » en France jusqu'en 1789
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Fanny Cosandey, Robert Descimon, L’Absolutisme en France. Histoire et historiographie, Seuil, 2002.
J. Cornette, L’affirmation de l’État absolu, 1515-1562, Hachette, « Carré Histoire », 1993.
J. CORNETTE, Absolutisme et Lumières (1652-1783), Hachette, « Carré-Histoire », Paris, 1993.
E. Le Roy Ladurie, L’État royal. 1460-1610, Hachette, 1987.
E. LE ROY LADURIE, L’Ancien Régime (1610-1789), Hachette, Paris, 1991.
D. ROCHE, La France des Lumières, Fayard, Paris, 1993.
O. CHALINE, La France du XVIIIe siècle (1715-1789), Belin, « Sup », Paris, 1996.
P. GOUBERT, M. DENIS, 1789, les Français ont la parole, Gallimard, « Archives », Paris, 1973.
H. MÉTHIVIER, La Fin de l’Ancien Régime, PUF, « QSJ », Paris, 1974.
M. VOVELLE, La Chute de la monarchie (1787-1792), Seuil, « Points », Paris, 1972.
A. DE TOCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856 (nombreuses rééditions).
P. GOUBERT, D. ROCHE, Les Français et l’Ancien Régime, Armand Colin, Paris, rééd. 1991.
J. Garrisson, Henri IV, le roi de la paix, collection « la France au fil de ses rois », Tallandier, 2000.
J.-M. Apostalides, Le roi machine, Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Éditions de Minuit, 1981.
F. Bluche (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard 1990.
N. Élias, La société de cour, Flammarion, 1985.
P. Goubert., Louis XIV et vingt millions de Français, Fayard, 1966, rééd. 1993.
J.-F. Solnon, La cour de France, Fayard, 1987.
Documentation Photographique et diapos :
La monarchie absolue, De la Renaissance aux Lumières - n° 8057 (2007) / Joël Cornette
« Naissance de l’État moderne », La Documentation photographique n° 6069, La Documentation française, 1984.
« Le règne de Louis XV », La Documentation photographique n° 5274, La Documentation française, 1967.
« Le règne de Louis XVI », La Documentation photographique n° 5294, La Documentation française, 1969.
Revues :
Les campagnes en 1789, TDC, N° 892, du 15 au 31 mars 2005
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
L'Absolutisme en France. Histoire et historiographie
Fanny Cosandey et Robert Descimon, Seuil, 2002, 320 p., 7,80 €.
* L'absolutisme dans l'histoire et l'historiographie
L'ABSOLUTISME : LE TRAVAIL THEORIQUE DE LA MONARCHIE SUR
ELLE-MEME
* L'absolutisme comme théorie du pouvoir législatif
* L'absolutisme comme " constitution " ; Lois fondamentales et coutumes
* Le droit divin et la raison d'Etat
L'ABSOLUTISME : LE TRAVAIL PRATIQUE DE LA MONARCHIE SUR
ELLE-MEME
* Un roi qui gouverne en se passant de la consultation des états
* Les moyens de l'absolutisme : la construction d'un appareil d'Etat et la
centralisation
* Les oppositions à l'absolutisme
L'ABSOLUTISME : UN MYTHE ?
* Les rives chronologiques de l'absolutisme
* L'absolutisme n'a jamais existé
* L'absolutisme n'est pas un totalitarisme
* Vers une relecture du concept d'absolutisme
Faut-il renoncer au concept d'absolutisme ? Cette notion a pu sembler une
étiquette trop commode pour rendre compte de toutes les évolutions
institutionnelles et politiques en France entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Ne fautil pas plutôt tenter de retrouver la cohérence d'un système dont la logique nous est
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 5e actuel : « Le Royaume de France au
XVIe siècle : la difficile affirmation de
l’autorité royale (2 à 3 heures)
Il s’agit seulement de montrer comment la
monarchie française s’efforce d’asseoir son
autorité et d’unifier le royaume en dépit des
multiples forces centrifuges qui l’affectent
• Carte : le Royaume de France au XVIe
siècle.
• Repères chronologiques et documents :
l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) ;
l’édit de Nantes (1598). »
Socle. Ajout aux repères :
La Saint Barthélemy (1572).
BO 5e futur :
« L’ÉMERGENCE DU « ROI ABSOLU »
La monarchie française subit une éclipse dans
le contexte des conflits religieux du XVIe
siècle, à l’issue desquels l’État royal
finit par s’affirmer comme seul capable
d’imposer la paix civile (1598).
Les rois revendiquent alors un « pouvoir
absolu » qui atteint son apogée avec Louis
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cachée par la Révolution et ses conséquences ? L'histoire longue de l'Etat en
France ne doit-elle pas prendre en compte l'expérience de la monarchie absolue
dans l'affirmation de la République ? Fanny Cosandey et Robert Descimon
tentent de répondre à ces questions, en soulignant les enjeux du débat autour d'un
des concepts majeurs de l'historiographie moderniste.
Et si l'absolutisme n'avait jamais existé en France ? Et s'il n'était qu'un leurre
fabriqué par la monarchie d'Ancien Régime pour donner l'illusion d'une toutepuissance qu'elle était incapable d'exercer ? Et si ce leurre n'avait été repris après
la Révolution française que pour mieux dénoncer le « despotisme » des rois ?
On ne peut bien sûr pas nier que les rois de France ont régulièrement essayé de
renforcer leur administration aux dépens des pouvoirs locaux, ni que cette montée
en puissance du pouvoir royal a connu son apogée sous Louis XIV. Mais, dans le
même temps, force est de constater que la monarchie, loin de lutter constamment
contre les puissances seigneuriales ou urbaines qui pouvaient contester sa
volonté, dut recourir à leurs services pour gouverner, quitte à leur accorder plus
d'indépendance. Plutôt que de parler d'un absolutisme monarchique, c'est ainsi la
pratique d'une collégialité dans la direction des affaires provinciales qui pourrait
peut-être être mise en avant. A moins qu'il ne faille maintenir que la monarchie
était intrinsèquement absolue même si elle n'a pas pu complètement se réaliser.
Ces débats montrent qu'une réflexion sur le concept d'« absolutisme » passe par
une analyse de l'écart qui a pu exister entre le discours que la monarchie tenait sur
elle-même et le fonctionnement effectif de l'Etat. Plus encore, par une
interrogation sur les diverses présentations de l'absolutisme qui ont été faites
depuis la fin du xviiie siècle tant celles-ci orientent encore, souvent malgré nous,
nos différentes approches du problème. D'où l'intérêt de ce livre, dont les auteurs
développent une analyse à la fois historique et historiographique du concept d'«
absolutisme ». Aucune réponse n'est donnée à la question de savoir s'il faut ou
non renoncer à ce concept, mais une multitude d'analyses souligne la portée du
problème, et de nombreuses pistes de réflexion sont proposées.
C'est donc moins un livre à thèse qui nous est ici offert qu'une synthèse critique
des diverses approches de l'évolution institutionnelle et politique en France entre
le XVIe et le XVIIIe siècle.
L’approche du sujet est résolument politique. Il s’agit d’étudier les origines et les
fondements de la monarchie absolue, construction politique que l’on retrouve
dans la majeure partie des États européens à l’époque moderne et dont le
royaume de France est le modèle.
Ce sont d’abord les fondements et les origines de la monarchie absolue de droit
divin qui sont définis. Élu de Dieu, le roi ne partage pas son autorité, seulement
limitée par les commandements de Dieu et les lois fondamentales du royaume.
On propose une définition des principes de l’autorité absolue du roi à un moment
où, avec le règne de Louis XIV (1661-1715), elle semble incontestée. Ensuite,
c’est l’organisation de l’État, issue de cette conception du pouvoir, qu’il convient
d’expliquer. C’est à partir de Versailles que le roi gouverne son royaume avec
l’aide des ministres, des secrétaires d’État et des conseils spécialisés. Dans les
provinces, le roi est représenté par les intendants. On insiste sur le caractère «
moderne » des rouages administratifs et gouvernementaux. Enfin, cette
conception du pouvoir s’accompagne d’une conception de la société : il faut
montrer le caractère inégalitaire d’une société fondée sur la naissance et
majoritairement rurale. C’est l’occasion d’aborder les tensions au sein de la
société française et l’aspiration à la mobilité sociale.
Comprendre la notion complexe d’absolutisme :
Louis XIV est le roi qui a porté ce système à son point d’achèvement le plus
complet. L’absolutisme est religieux (monarque de droit divin qui défend une
seule foi), politique (le roi est délié des lois de ses prédécesseurs, passage de
l’État féodo-vassalique à l’État moderne), économique (dirigisme) et militaire (la
politique extérieure comme miroir de la puissance royale). L’absolutisme de droit
divin se cristallise à Versailles, instrument au service du pouvoir absolu et chefd’oeuvre de l’art classique.
XIV et se met en scène à Versailles.
L’étude qui est conduite à partir d’exemples
au choix :
- de la vie et l’action d’un souverain
- d’un événement significatif
Le château de Versailles et la cour sous Louis
XIV, et une œuvre littéraire ou artistique de
son règne au choix sont étudiés pour donner
quelques images du « roi absolu » et de son
rôle dans l’État.
Connaître et utiliser les repères suivants
− L’Édit de Nantes, 1598
− L’évolution des limites du royaume, du
début du XVIe siècle à 1715
− 1661-1715 : le règne personnel de Louis
XIV
Raconter une journée de Louis XIV à
Versailles révélatrice du pouvoir du roi »
BO 4e actuel :
La monarchie absolue en France (3 à 4
heures)
L’étude de la monarchie française permet de
montrer comment le principe du droit divin
légué par la tradition se combine avec la
création de structures étatiques modernes.
Parallèlement est rappelé le principe de
l’organisation de la société en trois ordres.
Il s’agit, sans étudier les événements des
révolutions anglaises du XVIIe siècle et de la
Révolution américaine, de montrer que
l’existence de régimes tels que la monarchie
limitée en Angleterre et la république
américaine et des aspirations politiques liées
à la philosophie des Lumières mettent en
cause les principes de la monarchie absolue.
D’autres modèles politiques sont ainsi
proposés à une société française en crise.
• Repères chronologiques : règne personnel
de Louis XIV (1661-1715) ; Déclaration des
Droits (1689) ; l’Encyclopédie (milieu du
XVIIIe siècle).
• Documents : Versailles ; Molière : extraits
du Bourgeois gentilhomme ; préambule de la
Déclaration d’indépendance des États-Unis »
Socle : Nouveau commentaire
« L’étude de la monarchie absolue, centrée
sur le règne de Louis XIV, insiste sur les
pouvoirs du roi, à partir d’exemples
significatifs. On présente une société fondée
sur la division en trois ordres. Cette étude de
la monarchie absolue en France doit
permettre de transmettre des notions
politiques nécessaires aux élèves pour
comprendre l’ampleur de sa remise en cause
à partir du XVIIIe siècle.
Ajout aux repères : La révocation de l’édit de
Nantes (1685). »
Au XVIIIe siècle, l'entreprise absolutiste semble s'être imposée aux Français avec
l'appui d'une administration de plus en plus efficace. Toutefois, la monarchie
connaît une crise d'autorité, que la faiblesse souvent évoquée des souverains ne
suffit pas à expliquer. Le régime est confronté à des évolutions sociales qui
36
accentuent les antagonismes dans une conjoncture économique qui se dégrade
pendant le règne de Louis XVI. La diffusion des Lumières a accéléré la
maturation politique des nouvelles élites et a contribué à la corrosion de l'ordre
traditionnel. Le système politique anglais offre à l'opinion publique « éclairée »
un contre-modèle à l'absolutisme de droit divin, celui d’une monarchie tempérée
et respectueuse des libertés. La révolution américaine propose ensuite un autre
modèle, celui d’une république. La crise de l’absolutisme est un phénomène
complexe, difficile à expliquer sans schématisme. On peut par exemple montrer
que les parlementaires, qui défendent avant tout leurs privilèges, apparaissent
néanmoins aux yeux de l’opinion publique comme les défenseurs de la liberté
face au « despotisme ministériel » (c’est-à-dire aux ministres réformateurs
comme Turgot) et qu’ils sont finalement à l’origine de la convocation des états
généraux.
L'étude des « dernières années de l'Ancien Régime » vise à faire comprendre aux
élèves la rupture que constitue la Révolution française. Cette présentation de
l'histoire nationale s'inscrit dans une conception héritée des révolutionnaires qui
ont inventé l'expression « Ancien Régime » pour désigner les « temps anciens »
et pour stigmatiser l'ordre politique et social existant avant 1789. Cette téléologie
a suscité de fortes objections logiques et chronologiques, dont celles de P.
Chaunu : « Dans cette perspective, la modernité tout entière est devenue un
Ancien Régime. Le mot traduit l'aliénation. Il aboutit à définir un existant, un
présent, un réel, par un futur. Toute historiographie qui accepte la notion
d'Ancien Régime s'installe délibérément dans l'anachronisme. » On pourrait
appliquer la critique de P. Chaunu aux notions d'Antiquité, de Moyen Âge, mais
cette diatribe vise essentiellement à nier l'origine révolutionnaire de la France
contemporaine. Il n’en reste pas moins qu’il ne faut pas analyser tous les
phénomènes du XVIIIe siècle comme conduisant inéluctablement à la
Révolution.
Les journalistes et historiens libéraux de la génération romantique (Guizot,
Thiers) ont repris le terme pour combattre la politique réactionnaire de la
Restauration. Avec la publication en 1856 de L’Ancien Régime et la Révolution,
l'expression employée par Tocqueville perd de son caractère polémique pour
désigner un système socio-politique. Les historiens républicains de la fin du XIXe
siècle ont repris la définition essentiellement politique et juridique donnée par les
constituants qui insistait sur l'absolutisme politique et les privilèges. S'inscrivant
dans le projet d'une « histoire totale » défini par les Annales, des historiens ont
depuis un demi-siècle considérablement élargi le champ de la recherche en
définissant un Ancien Régime économique, démographique, mental…
Synthétisant ces travaux, P. Goubert et D. Roche s'interrogent sur les ruptures
successives, échelonnées, vives ou lentes, qui permettent de comprendre l'Ancien
Régime autrement que « par opposition à ce qui l'a suivi ».
BO 4e futur « LES DIFFICULTÉS DE LA MONARCHIE SOUS LOUIS XVI
Trois aspects sont retenus : les aspirations à des réformes politiques et sociales,
l’impact politique de l’indépendance américaine, l’impossible réforme financière.
L’étude est conduite à partir d’images au choix (tableaux, caricatures), de
quelques extraits de la constitution américaine, d’un exemple de cahier de
doléances
Connaître et utiliser les repères suivants
− Le règne de Louis XVI : 1774 – 1792
− La Révolution américaine : 1776 – 1783
Décrire et expliquer les principales difficultés de la monarchie française à la
veille de la Révolution et quelques unes des aspirations contenues dans les
cahiers de doléances.
Accompagnement 4e : « Aborder en trois ou quatre heures l’étude de la remise en
cause de l’absolutisme suppose de s’en tenir à quelques idées essentielles, en
s’appuyant sur les exemples de l’Angleterre et des États-Unis et sur l’analyse de
la philosophie des Lumières sans pour autant conduire un récit événementiel.
Ainsi, l’approche des «libertés anglaises», à partir de documents comme l’Habeas
corpus (1679) ou la Déclaration des droits (1689), suffit à mettre en évidence un
exemple de limitation à l’absolutisme. De même, sans étudier la révolution
américaine, il est possible de faire réfléchir les élèves à la portée de l’événement
où une nation s’affirme en se libérant de la tutelle de sa métropole européenne et
37
se donne la première constitution écrite de l’histoire, librement discutée et
acceptée par les citoyens, s’inspirant des principes puisés dans le «droit naturel».
Les idées qui remettent en cause les principes de l’absolutisme sont celles d’une
minorité cultivée. Elles rencontrent en 1789 une conjonction de mécontentements
qui s’expriment dans la réunion des États généraux et débouchent sur une
révolution. L’état de la France à la veille de la Révolution se lit dans les
événements de 1789 et non dans un tableau préalable. »
BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851
– Ruptures avec l'Ancien Régime
Cette question est délibérément centrée sur la France avec l’objectif de faire
percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ;
Le programme invite à organiser cette étude autour de quelques axes privilégiés :
afin de comprendre la rupture que constitue la Révolution française, il est
nécessaire de commencer par une rapide présentation de la France en 1789 pour
souligner les pesanteurs du système politique et social de l'Ancien Régime, alors
qu'émergent des idées nouvelles exprimées par les philosophes des Lumières et
lors des révolutions anglaise et américaine. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
I. L’émergence du « roi absolu » (XVIe-XVIIe s.)
Il faut remonter à la période suivant la fin du Moyen Âge et surtout à la
Renaissance pour trouver les fondements de l'absolutisme en France. Le pouvoir
royal a en effet renforcé sa légitimité et son administration à partir de la fin de la
guerre de Cent Ans. Ainsi François Ier peut imposer son autorité sur les domaines
religieux et financiers. Ainsi, le concordat de Bologne est imposé malgré
l'opposition du Parlement. En ce qui concerne l'impôt, le roi de France arrive à se
passer de l'avis des contribuables, même en pays d'États. Les villes ou l'Église
sont obligés de payer, de consentir des prêts jamais remboursés. Il soumet aussi
les parlements à son autorité supérieure. François Ier se considère bien comme un
monarque « absolu » mais il n'est pas assez puissant pour remettre en cause les
privilèges médiévaux. L'apparition d'une bureaucratie « d'offices » caractérise
aussi la mise en place de l'absolutisme durant cette période. Les officiers servent
« à retenir les peuples dans leur devoir » dira Richelieu.
La miniature représentant François Ier paré
des symboles de la royauté, si elle illustre le
gouvernement monarchique de la France,
témoigne aussi de l’attachement des rois à
leurs pouvoirs. C’est le sacre qui, dès les
Capétiens, confère au roi son caractère
religieux. À l’occasion du sacre, les rois
arborent les insignes de leurs pouvoirs :
– le sceptre (pouvoir de commander) ;
– la main de justice (pouvoir de rendre la
justice) ;
– la couronne;
– le collier de l’ordre du Saint-Esprit.
Le roi de France, roi « très chrétien », n’est
pas seulement un chef d’État, il dispose aussi
du pouvoir religieux.
La France, dans la première moitié du XVIe siècle, est l’État d’Europe qui offre
le meilleur exemple d’une évolution vers l’État-nation et la monarchie absolue.
La personnalité de François Ier, le développement de l’administration, le
rayonnement culturel et politique de la cour et l’enrichissement du royaume en
sont à la fois les facteurs et les manifestations.
L’expansion territoriale du royaume
Elle s’effectue au XVIe s par une politique d’habiles mariages. Anne de Bretagne
épouse successivement Charles VII et Louis XII. Avec ce dernier, elle a une fille
Claude de France qui épouse François Ier en 1514. Cependant, ce sont la guerre
et les ambitions extérieures des rois qui vont jouer un rôle essentiel dans la
construction de la France : les guerres d’Italie, la guerre contre l’empereur
Charles Quint apportent les territoires de Calais, Metz, Toul et Verdun. Henri de
Navarre, sous le nom de Henri IV, incorpore ses possessions au royaume. Il
obtient plus tard la Bresse et le Bugey.
L’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539)
Ordonnances et édits sont au XVIe siècle ce que nous appelons aujourd’hui des
lois (textes en provenance du pouvoir législatif) et des règlements (textes du
pouvoir exécutif). Au XVIe siècle, l’activité législative de l’État royal est intense.
Parmi les milliers de textes recensés, certains se distinguent par leur importance.
C’est le cas de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, conçue par le chancelier Poyet
et signée par François Ier en août 1539. Elle se compose de 192 articles à portée
générale, recouvrant une grande diversité de domaines.
Les articles 50 à 54 sont à l’origine de la tenue des registres paroissiaux,
sollicitant des curés l’enregistrement des baptêmes (art. 51) ; il est fait mention
ailleurs des décès. L’ordonnance commande également, en particulier aux
notaires, de rédiger les documents officiels (actes, contrats, arrêts…) en français
Le roi Henri IV touche les écrouelles BNF,
Paris.
La réputation de guérisseur par le toucher des
rois n’est pas nouvelle. C’est Philippe Ier
(1052-1108) qui exerce le premier ce pouvoir
que l’on pourrait qualifier, à la suite
de M. Bloch, de thaumaturgique (capable de
produire des miracles) et propre à faire naître
la vénération. Le rite des « escrouelles » est
renouvelé les jours de sacre et de fêtes
religieuses. Il illustre les pouvoirs quasi
divins du roi.
Louis XIV en costume de sacre, Rigaud,
1701
Cette huile sur toile, conservée au Louvre, est
la plus célèbre représentation de Louis XIV.
Peinte par Hyacinthe Rigaud (1659-1743),
elle symbolise la majesté d’un souverain
absolu de droit divin. Réalisé en 1701,
l’oeuvre devait être offerte au petit-fils de
Louis XIV, Philippe V d’Espagne, mais elle
ne quitta jamais Versailles. Placé dans la
chambre du roi, au centre du palais à partir de
1701, le portrait est ensuite exposé dans la
salle du trône. Tourner le dos au portrait était
38
(art. 111). Cette décision est à mettre en relation avec un souci de rationalité et
d’unification qui transparaît bien dans les art. 110 et 111 (« afin que l’on ne
puisse se tromper », « qu’il ne puisse y avoir aucune ambiguïté ou incertitude »)
Cette ordonnance « sur le fait de la justice », datée de 1539, est d’abord destinée à
clarifier l’interprétation des arrêts des cours souveraines statuant en dernier
ressort (Grand Conseil, chambre des comptes, cour des aides, cour des monnaies,
parlements) et des cours subalternes (bailliages, sénéchaussées, présidiaux). Elle
rend obligatoire l’enregistrement des sépultures, la tenue de registres des
baptêmes par les prêtres, et l’utilisation du français dans les actes officiels en
remplacement du latin. C’est la naissance de ce que nous appelons aujourd’hui
l’état civil. Mais c’est surtout la substitution du français au latin dans les actes
notariés et les arrêts de justice qui constitue une étape très importante dans
l’unification linguistique du royaume. Le français, parler de l’Île-de-France et
d’une partie du Bassin parisien, contribue ainsi à renforcer l’emprise de
l’administration royale dans les provinces et à forger l’unité nationale. Le combat
sera encore long pour que le français s’impose chez les savants et les
universitaires, malgré les efforts du groupe de la Pléiade : la Défense et
illustration de la Langue française de Joachim Du Bellay paraît en 1549.
L’ordonnance de 1539 s’en prend surtout au latin. Langues, dialectes et patois
locaux reculent lentement devant le français, devenu progressivement langue de
culture du XVIe au XVIIIe siècle, langue de l’épopée révolutionnaire (de l’abbé
Grégoire), puis langue de l’École républicaine (Jules Ferry). L’État s’impose sur
son territoire grâce à son administration, son armée qui s’organise
progressivement en armée nationale, mais aussi grâce à la diffusion de la langue
du pouvoir central sur l’ensemble du territoire.
Le pouvoir royal vu par un ambassadeur vénitien au XVIe siècle
L’ambassadeur vénitien parle du roi en ces termes : il dispose d’une « entière et
suprême autorité », « tout dépend de lui », il est « le roi et le maître absolu ». Ce
texte accrédite l’idée de l’émergence d’un pouvoir royal absolu. Le souverain
apparaît ainsi comme le premier, « primus inter pares », après Dieu, dans la
hiérarchie des puissances. Il est « empereur en son royaume », n’admettant aucun
supérieur temporel.
Au XVIe siècle, les ouvrages des juristes témoignent d’une augmentation
constante des prérogatives du roi. Si certains juristes comme Claude de Seyssel
défendent une souveraineté limitée (pour éviter la dérive tyrannique), d’autres
comme Guillaume de Budé prônent l’absolutisme. Malgré ce net renforcement de
l’autorité royale, les souverains doivent affronter de nombreux obstacles. Le
Parlement a la possibilité d’exercer un certain contrôle. Composé de magistrats, il
est le gardien des lois fondamentales et de la jurisprudence du royaume. Si le roi
détient seul le droit de faire des lois, elles doivent être enregistrées par le
Parlement qui peut lui présenter d’éventuelles « remontrances ». Ces dernières
peuvent déboucher sur de longs conflits que le souverain peut régler en tenant un
« lit de justice ». Cette cérémonie exceptionnelle lors de laquelle le roi vient en
personne au Parlement lui permet de réaffirmer son autorité en procédant à
l’enregistrement autoritaire de son texte. Il doit également composer avec les
privilèges de ses sujets, avec les assemblées locales et les États généraux. Autre
obstacle, le roi, malgré le développement de l’administration, dispose de moyens
insuffisants pour assurer l’unité d’un grand royaume-mosaïque autour de la
couronne. La loi du roi, souvent mal transmise, est aussi fréquemment mal
admise. Les dernières lignes du texte illustrent les conséquences du Concordat de
Bologne (août 1516) qui accorde au roi le droit de nommer aux principales
fonctions ecclésiales et lui donne ainsi la possibilité de contrôler l’Église.
Au XVIe siècle, Jean Bodin est un des premiers théoriciens de l'absolutisme.
Dans les Six livres de la République (1576), il construit une théorie de la «
république », dans le sens romain de la « chose publique », c'est-à-dire de l'État.
Pour lui, la république est la communauté humaine où apparaît la souveraineté.
La souveraineté implique nécessairement le pouvoir de faire la loi, tous les autres
pouvoirs découlant de celui-ci. La monarchie de droit divin est la meilleure
incarnation de la souveraineté. Jean Bodin distingue l'absolutisme de la tyrannie.
Il critique ceux qui veulent faire de l'État la propriété du monarque. Il voit deux
limites à la monarchie absolue : à l'intérieur, le respect des lois fondamentales ; à
l'extérieur, le respect des traités conclus et le droit commun à l'ensemble des
hommes.
un délit au même titre que tourner le dos au
roi. Membre de l’Académie royale de
peinture et de sculpture, portraitiste de
renom, Hyacinthe
Rigaud réalise cette oeuvre avec le concours
de son atelier. La tête, esquissée par un de ses
élèves, a été peinte sur une toile indépendante
avant d’être fixée sur la grande toile. Le roi
n’eut pas à subir de fastidieuses séances de
pose en costume de sacre : l’habit et les
accessoires furent d’abord composés et
peints d’après nature ; les jambes fines et
musclées sont celles d’un jeune modèle. Le
portrait eut tant de succès que les commandes
affluèrent, officielles pour la plupart. De
nombreux insignes royaux sont représentés.
La couronne fermée, en or, assortie de fleurs
de lys, ornée de 48 pierres précieuses dont un
rubis au centre, symbolise le caractère absolu
et universel de l’État royal. Les lys, symboles
de pureté, sont employés dans toutes les
décorations et les armes (souvent en
association avec le bleu azur) pour souligner
la protection que la Vierge accorde au roi de
France. Le sceptre, bâton de vie et de mort,
tenu à l’envers comme une canne, prolonge la
main droite du roi qui, comme celle de Dieu,
est
redoutable. La main de justice, bâton d’or
surmonté d’une main d’ivoire, symbolise
l’autorité et la clémence royale. Elle est ici
posée. L’épée Joyeuse, l’épée de
Charlemagne, aurait été remise par Dieu aux
rois qu’il choisit pour accomplir sa justice. Le
roi est vêtu d’un grand manteau d’apparat aux
couleurs royales, bleu et blanc, reproduisant
la voûte céleste qui symbolise la puissance du
roi sur l’univers. On peut aussi distinguer sur
la poitrine, le collier de l’ordre du SaintEsprit créé par Henri III en 1578 pour
fortifier la foi et la
religion catholiques. C’était la plus haute
distinction que l’on puisse recevoir à
l’époque.
Ce portrait est une véritable effigie officielle.
Le sacre se réfère à l’histoire mythique de la
royauté puisque chaque
insigne remis au roi est porteur d’un souvenir
fabuleux de la fondation du royaume.
Toutefois, le tableau est moins traditionnel
qu’il n’y paraît au premier abord. Il constitue
un habile compromis entre idéalisation et
détails réalistes, roi symbolique et personne
physique. Ce portrait donne une impression
de majesté : Louis XIV apparaît comme un
personnage imposant mais Louis XIV
apparaît vieilli. Ce tableau représente tous les
insignes royaux mais le roi s’appuie sur le
sceptre et porte l’épée de justice comme s’il
s’agissait d’objets ordinaires et non comme
des objets sacrés. Enfin, Louis XIV est vêtu à
la mode du XVIIe siècle. Mais ses détails
réalistes viennent renforcer l’image de
puissance de Louis XIV : s’il tient ses
insignes avec négligence, c’est parce que son
39
Un roi tout-puissant
Plusieurs théoriciens politiques ont justifié le pouvoir royal. Après Jean Bodin
(fin du XVIe siècle), Jacques Bénigne Bossuet réaffirme la toute puissance du
monarque. Dans sa Politique tirée de l’Écriture sainte (1677), Bossuet établit un
parallèle entre les pouvoirs détenus par Dieu sur le monde et ceux du roi en son
royaume. À l’image de Dieu, le roi est le seul détenteur de tous les pouvoirs qu’il
incarne. Le glissement est ainsi facilité vers l’affirmation du principe le plus fort
de la monarchie française : le droit divin, selon lequel le roi ne tient sa couronne
que de Dieu.
Le collège des notaires et des secrétaires du roi. Miniature du XVIe siècle,
bibliothèque de l’Arsenal, Paris.
Dans la France du XVIe siècle, magistrats et conseillers divers exercent des
fonctions qui font de la France un État moderne certes, mais ils les exercent au
nom du souverain. Le roi est ainsi considéré comme un personnage sacré.
Ce collège des notaires et secrétaires du roi a été créé en 1365 par Charles V. Ses
membres, placés sous l’autorité du roi, jouissent de privilèges étendus (noblesse
personnelle et exemption de toutes charges fiscales).
À partir du XVIIe siècle, on assiste à l'épanouissement de l'absolutisme. Dans la
première moitié du XVIIe siècle, les périodes de régence constituent des
moments difficiles pour le pouvoir royal. Il faut l'action énergique d'un Richelieu
pour mater les pouvoirs féodaux. En 1614, à la demande des États Généraux, le
principe du pouvoir de droit divin entre parmi les lois fondamentales du royaume
de France. Le roi détient une puissance parfaite et entière qu'il ne partage avec
personne. L'absolutisme est, au sens strict, pour cette période, la négation de la
féodalité.
L'un des théoriciens de l'absolutisme est alors Pierre de Bérulle. Dans la dédicace
de son Discours de l'État et des grandeurs de Jésus, adressée à Louis XIII en
1623, il écrit : « un monarque est un Dieu selon le langage de l'écriture : un Dieu
non par essence mais par puissance ; un Dieu non par nature mais par grâce ; un
Dieu non pour toujours mais pour un temps. Un Dieu non pour le Ciel mais pour
la Terre. Un Dieu non subsistant, mais dépendant de celui qui est le subsistant par
soi-même ; qui étant le Dieu des Dieux, fait les rois Dieux en ressemblance, en
puissance et en qualité, Dieux visibles, images du Dieu invisible. » Les doctrines
de l'absolutisme servent, au XVIIe siècle surtout, à expliquer et justifier la
pratique de l'État autoritaire.
Richelieu est un des grands penseurs de l'absolutisme. Sa pensée est
essentiellement fondée sur l'idée que la puissance est la seule chose nécessaire à
l'État. Et comme la personne du roi se confond avec l'État, celui-ci, d'une part, ne
doit supporter aucune opposition et, d'autre part, ne doit partager son pouvoir
avec personne. Le seul motif à l'action du roi est la raison d'État ; l'intérêt de
l'État prime tous les autres. « La puissance étant une des choses la plus nécessaire
à la grandeur des Rois et au bonheur de leur gouvernement, ceux qui ont la
principale conduite d'un État sont obligés particulièrement de ne rien omettre qui
puisse contribuer à rendre leur Maître si autorisé, qu'il soit, par ce moyen,
considéré de tout le monde... ». Le seul devoir du roi est de suivre ce qui est
raison pour l'État. Richelieu comprend bien que de tels principes ouvrent la voie à
des abus. Mais c'est un moindre mal car les abus d'un pouvoir fort ne font souffrir
que des particuliers, alors que c'est l'ensemble d'une société que met en danger un
pouvoir faible. Cependant, l'idée de raison d'État n'a pas été inventée par
Richelieu, mais semble avoir été mise au jour par un juriste italien, Botero, dans
son œuvre Della ragione di Stato publiée en 1589 et traduite en français dès 1599.
Pendant la minorité de Louis XIV, c'est le cardinal de Mazarin qui affronte le
soulèvement de la Fronde : les Condé attisent la révolte et le peuple parisien
s'agite. Le jeune Louis XIV doit subir l'humiliation de la fuite dans la nuit (« la
nuit des rois »). Il gardera toute sa vie un profond ressentiment contre la noblesse
frondeuse. Il fut aussi éduqué par Mazarin dans l'idéologie absolutiste selon
laquelle le pouvoir ne se partage pas. Omer Talon, qui fut avocat général au
parlement de Paris pendant la Fronde (1648-1652) se considère comme le grandprêtre d'une religion royale dont il se voulut le plus fidèle serviteur. Lors du lit de
personnage seul suffit à imposer le respect. Si
il est vêtu à la mode de son temps c’est qu’il
n’est
pas nécessaire de l’identifier à un héros du
passé, sa gloire personnelle suffit.
Louis XVI en habit de sacre. Huile sur toile
de Joseph-Siffred Duplessis (1725-1802),
réplique d’une oeuvre perdue exposée au
Salon de 1777, 256 x 174 cm. Paris, musée
Carnavalet.
Cette toile de Duplessis appartient à une série
de portraits officiels effectués à la demande
du roi pour rappeler à ses sujets l’étendue de
ses pouvoirs. Elle perpétue une tradition de
mise en scène du pouvoir royal déjà forte
sous Louis XIV et Louis XV. Très
didactique, ce tableau réaffirme, en 1777, que
le pouvoir du roi de France est absolu. Louis
XVI arbore ici la plupart des ornements du
sacre, dits regalia :
– Le grand manteau de sacre, manteau de
brocart de velours bleu semé de fleurs de lis
dorées et doublé d’hermine mouchetée,
évoque le manteau du Grand Prêtre dans
l’Ancien Testament ;
– Les gants blancs, qui sont des attributs de
l’évêque, rappellent également combien le roi
est proche de l’Église ;
– Le grand collier de l’ordre du Saint-Esprit
(le plus prestigieux des ordres de chevalerie),
figurant une colombe au centre de la croix,
réaffirme que le roi est au sommet de la
pyramide féodo-vassalique ;
– Le sceptre d’or symbolise le pouvoir de
commandement ;
– La couronne, surmontée également d’une
fleur de lis, fait référence au droit divin (le
sacre) et à la tradition (le couronnement de
Charlemagne).
Louis XVI ne porte pas ici la main de justice
(symbole du pouvoir judiciaire) ni l’épée
(pouvoir militaire), mais le tableau réaffirme
qu’il est « le lieutenant de Dieu sur terre ».
Une lettre de cachet
Les lettres de cachet sont des lettres fermées,
signées par le roi, utilisées à des fins
particulières (ordre individuel d’exil,
d’emprisonnement ou d’internement). Elles
permettent d’arrêter rapidement un suspect,
de réprimer un délit de presse (Voltaire),
mais aussi de mettre à l’écart un fils de
famille indigne ou débauché (le marquis de
Sade). On enfermait généralement dans les
prisons (Bastille, donjon de Vincennes,
maisons de force), dans les établissements
hospitaliers, dans les communautés
religieuses et dans les dépôts de mendicité.
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justice du 18 mai 1643, qui inaugure le règne de Louis XIV, Omer Talon déclare,
agenouillé devant le jeune roi : « Sire, le siège de votre majesté nous représente
le trône du Dieu vivant. Les ordres du royaume vous rendent honneur et respect
comme à une divinité visible. »
La conception de Louis XIV est inspirée de celle de Richelieu mais s'en distingue
cependant car, pour Richelieu, le roi doit être entouré par une équipe de
gouvernement homogène, dirigée par un principal ministre que le roi doit soutenir
contre tous. Louis XIV, lui, pense que le roi incarne seul le pouvoir et doit donc
seul l'exercer. « C'est à la tête seulement qu'il appartient de délibérer et de
résoudre, et toutes les fonctions des autres membres ne consistent que dans
l'exécution des commandements qui leur sont donnés ». Il est le seul à connaître
la raison d'État, à laquelle il obéit. En effet, la raison d'État est un « mystère divin
» ; seul le roi peut la connaître parce qu'il y a un « mystère de la monarchie ».
C'est la forme la plus pure de l'absolutisme. Cependant, il faut préciser que Louis
XIV n'aurait jamais dit « L'État c'est moi » et que cette formule lui aurait été
attribuée pour condamner sa volonté de gouverner seul.
Louis XIV revendique le pouvoir absolu au nom du droit divin. C’est parce qu’il
est le représentant de Dieu sur Terre qu’il considère son autorité comme absolue
et sans remise en cause possible. Dans la pratique, le roi gouverne seul. Dès les
débuts du règne, Louis XIV prend l’habitude de se passer de premier ministre.
S’il s’entoure de ministres et de conseillers, qu’il nomme et révoque selon son
bon vouloir, il est toujours le seul à décider en dernier ressort. Le tableau
présentant Louis XIV présidant le Conseil des Parties (1672), représente
symboliquement la volonté royale d’être le coeur d’une monarchie centralisée. Le
geste de la main que fait le roi est représentatif de ce mode de gouvernement qui,
à partir de Versailles, entend faire rayonner la puissance du roi dans l’ensemble
du royaume et de l’Europe.
Toutefois, à partir des années 1690, on voit apparaître des critiques et des remises
en cause. Des personnalités comme Saint-Simon, Vauban ou encore Fénelon
remettent en cause un roi qui a trop fait la guerre et surtout une monarchie qui
appauvrit les sujets et le royaume. Le texte de Fénelon nous permet de
comprendre que, dans le contexte politique de 1695, le royaume commence à
connaître de nombreuses difficultés. La situation internationale est alors moins
favorable pour la France alors que les sujets du royaume connaissent de réelles
difficultés liées aux guerres, à la forte pression fiscale qui en découle et à de
mauvaises récoltes entraînant famines et disettes.
La France s’est considérablement agrandie et peu à peu l’hexagone commence à
apparaître. Il y a trois étapes à cette extension. Le traité des Pyrénées (1659) offre
le Roussillon et confirme l’annexion de la plus grande partie de l’Alsace. La
guerre de Dévolution (1667-1668) permet de gagner de nombreuses places dans
le Nord, dont Lille. La guerre de Hollande (1672-1678) aboutit à l’annexion de la
Franche-Comté.
– Le concept de « ceinture de fer » théorisé par Vauban (1633-1707), ingénieur
de Louis XIV, est à mettre en rapport avec les fortifications construites ou
modernisées tout le long des frontières pour protéger le royaume des invasions.
– La carte permet aussi de visualiser le découpage administratif du royaume avec
les généralités des intendants, créées en 1542, et les sièges des Parlements. La
dynamique de centralisation versaillaise est symbolisée par un pictogramme
représentant le château.
– On peut enfin insister sur les résistances populaires face à la construction de
l’État moderne et aux politiques mises en oeuvre par le Roi-Soleil. Le règne de
Louis XIV a connu de grandes révoltes comme celle des Bonnets-Rouges en
Bretagne (1675), ou celles des Camisards dans les Cévennes (1702-1703).
Bossuet fonde sa théorie de la monarchie absolue à la fois sur la théologie et sur
le pragmatisme. Dans sa Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte
(III, 3e proposition), il explique qu'« il y a quelque chose de religieux dans le
respect qu'on rend au prince. Le service de Dieu et le respect pour les rois sont
choses unies [...]. Aussi Dieu a-t-il mis dans les princes quelque chose de divin. »
Ceci signifie que quelle que soit la forme du gouvernement, elle est bonne ; et le
prince est ministre de Dieu pour le bien. Toute révolte contre le souverain est
donc une révolte contre Dieu lui-même même si le prince n'est pas chrétien car
toute autorité vient de Dieu. De plus, selon lui, l'essence du pouvoir est d'être
41
autoritaire.
II. L’âge d’or de l’absolutisme (XVIIIe s.)
Louis XV rappelle à l’ordre le parlement de Paris
Le 3 mars 1766, Louis XV réagit à la fronde parlementaire qui agite les députés
de Paris, solidaires de ceux de Rouen et de Rennes, en réaffirmant le caractère
absolu de son pouvoir lors de la séance dite de la « flagellation» (en raison du
calendrier). S’il veut bien reconnaître aux parlements une fonction législative,
elle se limite à « l’enregistrement, à la publication, à l’exécution de la loi », mais
en aucun cas «à la formation ». Autrement dit, les magistrats ne doivent pas
s’opposer aux volontés royales, mais se contenter de les entériner. Ce discours est
l’occasion pour Louis XV de réaffirmer sa conception d’un pouvoir absolu («
c’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine »), et sans partage
(« c’est à moi seul qu’appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans
partage »).
L'absolutisme défini par Louis XV
Le 3 mars 1766, Louis XV tient un lit de justice. C’est la séance dite de la «
Flagellation » (du nom de la fête du jour). Selon la tradition, le roi vient s'asseoir
à l'angle des deux bancs d'en haut de la Grand Chambre du Parlement de Paris sur
un siège en forme de cube, symbole de la stabilité, sous un dais fleurdelisé. Il fait
prononcer un discours qui affirme les principes de l'absolutisme. Cette journée est
un épisode de la révolte des parlementaires contre l'autorité royale qui culmine
lorsque les magistrats de Paris et de Rouen se solidarisent avec le parlement de
Rennes dont la fronde est dirigée par son procureur général, La Chalotais.
La France compte alors treize parlements et quatre conseils supérieurs détenant
les mêmes attributions dans les provinces nouvellement acquises. Par son
prestige, son ancienneté et l'étendue de son ressort (environ un tiers du royaume),
le Parlement de Paris détient une large prééminence. Les parlements sont d'abord
des cours de justice, surtout d'appel. Mais ils détiennent aussi droit
d'enregistrement des actes royaux et le droit de remontrances, c’est-à-dire le droit
de formuler des critiques ou de proposer des amendements avant d’enregistrer
une loi. En utilisant ces droits, les parlements auraient pu transformer le régime
en une monarchie contrôlée (sur le modèle anglais). Riches et considérés, les
parlementaires se dressent contre les réformes et utilisent chaque mesure fiscale
pour adresser des remontrances et apparaître à l'opinion publique comme les
défenseurs des sujets écrasés par le « despotisme ministériel » (alors que les
parlementaires sont d’abord des privilégiés défendant… leur exemption fiscale
contre des ministres réformateurs !). C'est l'autorité de l'administration royale qui
est en jeu, car les remontrances des parlements sont imprimées, discutées ; la
publicité de ces affaires dépasse le cercle des hommes du pouvoir et des
magistrats. Le roi Louis XV ne l’entend pas de cette oreille et les institutions lui
permettent d’avoir le dernier mot : c’est la procédure solennelle du lit de justice,
par laquelle le roi oblige le Parlement à enregistrer un acte malgré ses
remontrances. Ce texte est une proclamation des principes de la monarchie
absolue. Louis XV affirme que le monarque absolu est législateur « sans
dépendance et sans partage », car il incarne la souveraineté. Il est le garant de «
l'ordre public » et des « droits et intérêts de la Nation ». Il refuse les prétentions
des magistrats qui veulent contrôler la politique de l'État et les rappelle à leurs
devoirs de « bons et utiles conseillers ». Pour affirmer son autorité, Louis XV
déclare : « C'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine. » Il
parle à la première personne (« moi seul », « en mon nom », « en mes mains ») et
rejette l'idée que cette autorité puisse être partagée avec des « conseillers » (on
pense à la célèbre formule prêtée à Louis XIV : « L’État c’est moi »).
III. Les difficultés de la monarchie sous Louis XVI
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
42
HM – François 1er
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Éminemment mobile, sorte de « fourre-tout social », spectaculaire miroir d’une
violence encore débridée mais aussi d’une volonté de raffinement, la cour du roi
François Ier est un véritable microcosme, le creuset où s’élaborent un nouveau
mode de gouvernement et un nouvel art de vivre.
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Sylvie Le Clech, François Ier, le roi chevalier, collection « la France au fil de ses rois », Tallandier, 1999.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
La cour de François Ier, Gouverner autrement, Gérald CHAIX, TDC, N° 707, du 1er au 15 janvier 1996
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 5e actuel : « Le Royaume de France au
XVIe siècle : la difficile affirmation de
l’autorité royale (2 à 3 heures)
Il s’agit seulement de montrer comment la
monarchie française s’efforce d’asseoir son
autorité et d’unifier le royaume en dépit des
multiples forces centrifuges qui l’affectent
• Carte : le Royaume de France au XVIe
siècle.
• Repères chronologiques et documents :
l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) ;
l’édit de Nantes (1598). »
Socle. Ajout aux repères :
La Saint Barthélemy (1572).
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
I.
Les comptes somptueux de la cour
En 1532-1535, d’après les Comptes royaux,
les officiers et domestiques ordinaires de
l’Hôtel coûtent 210 000 livres tournois par an
; les cent gentilshommes de l’Hôtel, 43 000
livres ; les archers de la garde, 29 000 livres.
Les « menus plaisirs » sont taxés à 24 000
livres, et le roi reçoit en plus 120 000 livres
pour ses besoins personnels. Au chapitre des
pensions, l’ambassadeur de Venise parle de
quelque 600 000 livres, mais pour être
complet, à ces dons d’argent, il faut ajouter
les dons d’office, prodigués quelquefois par
centaines dans une seule année. Benvenuto
Cellini dans ses Mémoires nous en fournit un
bel exemple : « Donnez-lui donc la première
abbaye vacante, et si elle ne rapporte pas
deux mille écus de rente, donnez-lui en deux
ou trois », s’exclame le roi, enthousiasmé par
le travail d’orfèvrerie de l’artiste. Il
II. La cour de François 1er
La cour ? Utiliser le terme au singulier est à la vérité trompeur : à côté de la cour
royale, il en existe d’autres, autonomes, subordonnées ou concurrentes. Certes,
par le nombre de ses courtisans, par les moyens financiers dont elle dispose, par
le pouvoir politique et symbolique qu’elle représente, la cour du roi bénéficie
d’une incontestable prééminence. Mais elle n’a pas pour autant éclipsé la cour de
la reine, celle de la reine-mère, ni celle des enfants royaux, qui gravitent autour
de la cour royale. Pas plus qu’elle n’a fait disparaître les cours périphériques qui
rappellent tantôt la puissance des grands (comme celle du connétable de Bourbon,
à Moulins), tantôt l’existence de territoires échappant à la souveraineté royale
(telle la cour de Nérac, animée par Marguerite d’Angoulême, devenue reine de
Navarre). Cette pluralité exprime une diversité de pouvoirs qui s’équilibrent,
s’affrontent, parfois s’opposent.
Néanmoins, la suprématie de la cour du roi repose sur la multiplicité et sur la
magnificence des résidences royales. Elle se fonde également sur l’importance de
la Maison du roi, qui organise la vie quotidienne de la cour, ainsi que sur les
personnes et les organes de gouvernement qui accompagnent le souverain. Elle se
manifeste enfin par un art de vivre qui tend à policer les comportements des
43
courtisans et à s’imposer comme modèle.
UNE COUR EN PERPETUEL MOUVEMENT
« Mon ambassade dura quarante-cinq mois ; j’ai été presque toujours en voyage
», note en 1535 l’ambassadeur de Venise, Marino Giustiniano. Tous les
témoignages confirment cette extrême mobilité de la cour de François Ier. En fait,
cette mobilité a ses rythmes propres : la cour voyage surtout en été et à
l’automne, elle tend à se sédentariser en hiver et au printemps, quand les aléas
climatiques rendent les déplacements plus difficiles. En 1516-1517, par exemple,
elle reste à Amboise du 25 octobre à la mi-janvier, si l’on excepte un bref séjour à
Blois au moment des fêtes de Noël. Elle se rend ensuite à Paris, après un court
passage à Romorantin, et y séjourne jusqu’au 19 mai. De là, le « train du roi »
chemine en longue troupe et à petites journées, ne faisant guère plus de trois ou
quatre lieues (une douzaine de kilomètres) par étape, en Picardie et en
Normandie. Le 10 décembre, après un détour par Moulins, où l’attend le
connétable de Bourbon, la cour est de retour à Amboise, où elle va demeurer
jusqu’au 2 juin.
Cette itinérance permet au roi de mieux connaître son royaume, d’une
connaissance visuelle, physique, plus que livresque ou administrative. Elle lui
permet également d’affirmer son pouvoir par sa seule présence. C’est notamment
le cas lors des « entrées » solennelles dans les villes qui jalonnent ces
pérégrinations. De magnifiques spectacles sont alors organisés, qui mettent en
scène le roi et sa cour d’un côté, les habitants de la ville de l’autre. C’est aussi le
moment, pour le roi, de promettre le respect des libertés urbaines et, pour la ville,
de jurer obéissance.
Cette mobilité, qui permet de répartir sur l’ensemble du royaume l’énorme poids
du ravitaillement de la cour, ne pose pas moins d’importants problèmes
logistiques. Outre le déplacement des courtisans, il faut prévoir le transport du
mobilier, des tapisseries, de la vaisselle, sans oublier les victuailles, car la plupart
des châteaux royaux sont des cadres vides. Présent à l’arrivée de la caravane
royale à Bordeaux, en 1526, l’ambassadeur anglais note que les écuries ont été
prévues pour 22 500 chevaux ! Exagération sans doute, mais qui exprime bien les
permanentes difficultés rencontrées par les fourriers pour faire face aux besoins
quotidiens de ce formidable caravansérail.
DU CAMPEMENT A L’« ENCASTELLEMENT »
Cette cour campe donc presque aussi souvent qu’elle ne réside. Le roi peut
s’installer dans l’un de ses châteaux ou accepter l’hospitalité que lui offre un
courtisan, trouver asile dans une abbaye ou recourir à une auberge, tandis que le
reste de la cour s’égaille dans les environs. Parfois cependant, il faut se résigner,
ainsi que le déplore Benvenuto Cellini dans ses mémoires, à « dresser des
baraques en toile, comme les bohémiens, et souvent on avait beaucoup à souffrir
».
Ce nomadisme se conjugue tout naturellement avec l’entretien de multiples
résidences royales et la construction de nouveaux châteaux « semés comme des
reposoirs ». Au château de Blois, qui appartient à sa première femme, Claude de
France, François Ier fait ajouter une aile, dès les premières années du règne. Non
loin de là, au cœur d’une région giboyeuse, il entreprend également la
construction du château de Chambord. Interrompus pendant la captivité
madrilène du roi, ces travaux reprennent de plus belle à son retour. De nouveaux
chantiers sont ouverts : à partir de 1528, plus modeste, mais très original par sa
décoration de faïences, le château de Madrid, en bordure du bois de Boulogne, à
une lieue seulement de Paris, et, à partir de 1532, le château de Villers-Cotterêts.
Quelques années plus tard, en 1539, commence la reconstruction du château de
Saint-Germain. Mais le grand chantier est celui de Fontainebleau, qui devient
l’une des résidences privilégiées de la monarchie. Une galerie, longue d’une
soixantaine de mètres, réunit le vieux château aux bâtiments nouveaux. Moins
que l’architecture, très disparate, c’est la décoration intérieure qui donne à
Fontainebleau son originalité et l’impose rapidement comme modèle.
Outre l’influence italienne qui va pénétrer largement en France par leur
truchement, on note le déplacement du centre de gravité des résidences royales :
primitivement ancrée dans le val de Loire, la cour tend à se rapprocher de Paris à
partir des années 1530. Le 15 mars 1528, le roi a fait connaître son désir de «
dorénavant faire la plupart de notre demeure et séjour en notre bonne ville ».
Cette fréquentation accrue n’exclut pas des relations tendues, voire conflictuelles,
avec les bourgeois de Paris, si l’on se reporte au Journal tenu par l’un d’eux. Les
Parisiens goûtent peu les agissements par trop cavaliers du souverain et des
conviendrait encore d’évaluer les privilèges
et les exemptions de toutes sortes : les «
marchands et artisans suivant la Cour », par
exemple, ne payent pas les droits d’octroi
dans les territoires et villes traversés.
Enfin s’ajoutent les dépenses extraordinaires :
cérémonies, entrées princières et autres
festivités. Au total, en ajoutant encore les
constructions, estimées à quelque 80 000
livres tournois annuelles, l’historien Philippe
Hamon aboutit aux chiffres suivants : 1
million 500 000 livres vers 1516 et un peu
plus de 2 millions en 1546, soit à peu près 30
% des dépenses globales de la monarchie. Il
est difficile d’établir des comparaisons avec
notre temps. Pour se faire une idée, on estime
qu’un manœuvre parisien, au milieu du
siècle, gagnait une quarantaine de livres
tournois par an. La réception de Charles
Quint, en 1540, aurait représenté le salaire
annuel de plus d’un millier de manœuvres
parisiens.
Une musique de divertissement
À la cour, la musique est considérée comme
un des agréments essentiels. Elle est
organisée en trois formations : la chapelle
royale, l’écurie et la musique de chambre. La
première, composée de chantres, mais aussi
de chanteurs (ténors, contre-ténors et basses)
capables d’exécuter des œuvres
polyphoniques (messes, motets), soutient les
offices religieux.
De la seconde, formée pour l’essentiel d’une
douzaine de trompettes, on attend, lors des
grands rassemblements, des « messages »
musicaux qui poussent à l’attention et à
l’action. Quant à l’ensemble de la musique de
chambre, il anime les fêtes données à la cour.
Ce sont ses musiciens, pour la plupart
d’origine italienne, qui assurent le succès de
danses venues d’outre-Alpes, telles la pavane
ou la gaillarde. À eux d’accompagner les
chansons à quatre voix, très prisées dans la
seconde moitié du règne, mais on attend
également de ces instrumentistes qu’ils
puissent jouer en solo. Cette musique à la
cour devient musique de cour : à travers la
découverte d’une païenne joie de vivre, la
musique profane se développe au détriment
de la musique religieuse.
Les instruments à corde inaugurent un
nouveau répertoire, les instruments à vent
figurent davantage : flûte, hautbois,
trompette, cornet et sacqueboute (sorte de
trompette à quatre branches). Il faut dire que
plusieurs instruments avaient bénéficié de
progrès techniques : vers 1520, le violon
prend sa forme moderne, l’épinette et les
orgues se perfectionnent. Dans cette
ambiance de joie, la chanson va s’épanouir,
elle sera d’inspiration multiple, allant de la
galanterie la plus courtoise aux plus grosses
truculences : l’homme de la Renaissance est à
44
courtisans : « Le Roy et aucuns jeunes gentilshommes de ses mignons et privés
ne faisaient quasi tous les jours que d’être en habits dissimulés et bigarrés, ayant
masques devant leurs visages, allant à cheval parmi la ville et allaient en aucunes
maisons jouer et gaudir, ce que le populaire prenait mal à gré. » Mais cette «
petite bande » ne constitue pas toute la cour.
UN FOURRE-TOUT SOCIAL
De quoi se compose donc cette cour, que l’on appelait aussi en ce temps-là la «
compagnie » du roi ? La cour de France compte d’abord des invités permanents,
qui sont les princes du sang, ceux des « maisons étrangères », les princes de
l’Église, les ambassadeurs et leurs suites. La cour étant le siège du gouvernement,
le souverain y est accompagné en permanence des membres des Conseils et des
officiers de la couronne : le chancelier, chef de la magistrature, le connétable, les
maréchaux de France et l’amiral. Mais au-delà de ces hôtes illustres, qui sont
donc les gens qui gravitent autour du monarque ?
Le terme de « maison du roi » sert plus précisément à désigner l’ensemble des
services organisés pour pourvoir aux besoins du souverain (les membres de la
famille royale ont leurs propres maisons, plus réduites). À la vérité, la distinction
n’est pas encore clairement tracée entre rôles domestiques et fonctions politiques,
domaine privé et service public. Servir le roi, c’est aussi servir l’État.
Sous l’autorité du grand-maître de la Maison du roi se rangent les services de la
Chapelle, de l’Hôtel et de la Chambre. L’Hôtel regroupe six services traditionnels
depuis le XIIIe siècle : la paneterie, l’échansonnerie, la cuisine, la fruiterie,
l’écurie et la fourrière (cette dernière est sous les ordres du maréchal des logis,
qui a la tâche redoutable d’organiser les déplacements de la cour). Trois autres
services s’y sont développés : l’argenterie, la vénerie et la fauconnerie, ces deux
derniers services rivalisant et gagnant encore en importance sous le roi François.
Quant au service de la Chambre, dirigé par le grand chambellan, il s’occupe de
tous les moments de la journée royale ayant lieu dans la chambre du roi ou ses
annexes : lever et coucher, toilette et vêtements, et par extension, tapisserie et
mobilier, mais encore travail avec les secrétaires (ce qu’on appelle « les affaires
»). L’office de « gentilhomme de la chambre », créé par François Ier en 1515, va
transformer considérablement la vie de la cour : désormais, le roi est
constamment entouré d’un groupe de seigneurs appartenant à la meilleure
noblesse. L’office de premier gentilhomme est ainsi un des plus grands honneurs
qui soient dans la maison du roi, souligne Brantôme, « pour ce qu’il est auprès de
lui à son lever et son coucher, si bien qu’il a l’oreille du roi ».
Si l’on tient compte encore, d’une part, de la maison militaire, constituée par les
régiments des gardes et, d’autre part, de cette autre troupe que forment les
artisans et commerçants « suivant la cour », c’est une véritable petite ville de
plusieurs milliers d’habitants qui accompagne le souverain. Ce nombre est, il est
vrai, réduit par le renouvellement des desservants. Seuls les grands officiers ne
quittent guère le souverain : la plupart des gentilshommes ne servent que par
quartier – quatre mois par an – et retournent en leurs demeures le reste du temps.
Ce système de noria présente l’avantage de multiplier les offices, c’est-à-dire
d’élargir le réseau de la clientèle royale et, en même temps, d’augmenter les
revenus de la couronne. Les plus importants sont certes réservés aux membres de
la haute noblesse, mais on trouve également des gentilshommes de moindre rang
et certains offices sont accessibles aux roturiers. Qu’il s’agisse des offices les
plus humbles, comme tonneliers, rôtisseurs, pâtissiers, etc., ou bien du titre plus
honorifique de « valet de chambre », porté par le poète Clément Marot ou par le
peintre Jean Clouet... On peut donc vraiment parler, dit l’historien Jean-François
Solnon, d’un « véritable fourre-tout social ».
NOBLESSE ET DOMESTICITE
Sans que l’on puisse encore parler d’une noblesse de cour, l’essor de la cour
conduit un nombre croissant de nobles à y séjourner plus ou moins longuement,
esquissant ainsi un clivage qui ne sera clairement affirmé qu’un siècle plus tard
au sein de ce groupe social. Cette présence témoigne d’une volonté de profiter
des faveurs royales, afin sans doute de pallier, au moins partiellement, l’érosion
de revenus fonciers, mis à mal par la hausse des prix. Elle témoigne en même
temps du rôle croissant joué par un foyer où se prennent désormais les grandes
décisions, où se déroulent les carrières, où se tissent les patronages. Rien
d’étonnant à ce que les portraits des courtisans, dessinés notamment par Jean et
François Clouet (et leurs élèves), nous soient parvenus en de multiples recueils :
leurs dessins, réalisés en série à la demande des courtisans, représentent
précisément l’importance prise par cette présence à la cour.
l’image de Rabelais. Avec La Bataille de
Marignan, Clément Janequin nous offre un
charivari musical où les voix se superposent
et s’entrecroisent dans un joyeux cliquetis :
Suivez François la fleur des lys,
Suivez la couronne !
Tricque, brique, chipe, chope,
Torche, lorgne !
Ces dames de la cour
À la cour, la femme est reine : « Cour sans
dames, printemps sans roses », dit l’ardent
monarque. La présence féminine n’est pas
une nouveauté : Anne de Bretagne déjà avait
aidé Charles VIII à transformer la cour, en
groupant près d’elle un cercle de neuf dames
et trente-cinq à quarante filles d’honneur.
Mais avec François Ier, c’est tout un essaim
qui est rassemblé dans les maisons de sa
mère, Louise de Savoie, de sa sœur,
Marguerite de Navarre, et de la reine
(d’abord Claude de France, puis Éléonore
d’Autriche), sans oublier celle de la
dauphine, Catherine de Médicis. Les plus
grands noms de France figurent sur ces listes,
où se dissimulent souvent les maîtresses du
roi et des princes. Mieux vaut cette galanterie
polie, soutient Brantôme, que les mœurs du
temps jadis, quand on admettait au palais des
femmes qui faisaient métier de débauche. En
fait, cette catégorie de pensionnaires n’a pas
disparu : à la date du 30 juin 1540, on trouve
encore un ordre de paiement de 45 livres
tournois à Cécile de Viefville, « dame des
filles de joye suivant la cour ».
On peut penser que François Ier a pu
apprécier l’intelligence de deux maîtresses
femmes, sa mère et sa sœur : la première se
montra un véritable « homme d’État » ; la
seconde, un immense esprit, passant du
Miroir de l’âme pécheresse aux contes de
L’Heptaméron... Si cette présence féminine
n’implique nullement une égalité des sexes,
impensable pour l’époque, elle tend
cependant à modifier les comportements dans
le sens d’une plus grande civilité. L’influence
féminine est double : elle polit, affine, exige
le courage masculin... ou elle démoralise et
favorise l’esprit d’intrigues. Dans son Amye
de Court (1542), Bertrand de la Borderie fait
la satire de la coquette dressée à tous les
manèges de l’amour, habile en l’art de
dissimuler ses sentiments. Et l’amer Montluc
de conclure : « Les dames peuvent tout, elles
tiennent les rois... Peu sert de savoir les
batailles et assauts, qui ne sait la cour et les
dames. »
À la cour d'un roi lettré
Dans le Livre du courtisan, l’un des
participants ayant fustigé le mépris des
Français pour les lettres, s’attire comme
réplique :
45
À CHACUN SA PLACE
Dans cette « cohue bigarrée, où les espèces sociales les plus diverses se côtoient
», pour reprendre une expression de l’historien Gaston Zeller, l’étiquette reste
encore fort simple. Mais s’esquissent déjà des stratégies de distinction, qui
permettent d’affirmer son rang en dépit du brassage social. Ou plutôt à cause de
ce brassage même, car il convient de se faire remarquer à sa juste valeur. En
témoigne le caractère désormais péjoratif de l’expression « valets de la chambre
», après que François Ier ait placé des « gentilshommes de la chambre » audessus d’eux. Surtout après la mort de la reine-mère, Louise de Savoie, en 1531,
des clans se forment, des cabales se nouent et les tensions s’exacerbent dans la
dernière décennie du règne, qui est aussi celle où se précisent les clivages
confessionnels.
Cette « distanciation », on la repère également dans l’organisation même de
l’espace : un registre de comptes, dressé peu après la mort de François Ier, nous
renseigne avec précision sur l’occupation du château de Saint-Germain et la
répartition spatiale des hiérarchies de la cour. Le château comprend alors
cinquante-huit « logis » : seize au rez-de-chaussée et autant au premier étage, huit
au second, onze au troisième et quatre sur une mezzanine. À ce total de quatrevingts logements s’ajoutaient une salle de bal, sept chapelles, une cuisine, huit
offices... et une prison !
Les appartements royaux se trouvaient au deuxième étage, de manière que
personne ne loge au-dessus du roi, sinon sa progéniture. Le premier étage était
dévolu aux courtisans les plus importants et à leurs épouses, le rez-de-chaussée
accueillait des personnes d’un moindre rang, ainsi qu’un dortoir pour les « filles
de la reine ». Les cinq corps de bâtiments bordant la basse-cour abritaient au rezde-chaussée un ensemble de cuisines et de pièces de service ; à l’étage, on
trouvait plusieurs pièces servant de dortoirs, ainsi qu’une trentaine de logis, plus
petits que ceux du château et où les occupants étaient socialement plus mélangés :
des cardinaux, des grands du royaume, des favoris, des conseillers de finances, le
concierge, le jardinier. On accédait à l’appartement du roi, et à celui quasiment
symétrique de la reine, par un escalier à rampe, qui conduisait à une salle de
réception, suivie d’une chambre, d’une garde-robe isolée par un couloir et d’un
cabinet. Cette enfilade établissait d’emblée une distance entre le souverain et les
visiteurs. On retrouve une organisation similaire à Blois, à Fontainebleau et au
Louvre : même succession de pavillons et de corps d’hôtels, même distinction
entre appartements royaux et appartements ordinaires. À Fontainebleau, la
distinction était accentuée par la galerie François Ier, qui complétait la suite
royale. En revanche, dans les châteaux de Chambord ou de Madrid, tous les
appartements étaient similaires et les salles occupaient la place centrale : comme
si, dans ces demeures de plaisance, le souci d’établir des distances et de souligner
des hiérarchies avait été moindre. De toute façon, quel que soit le lieu, la facilité
d’accès au palais est étonnante : un édit de novembre 1530 ne reconnaît-il pas
qu’il suffit d’être bien vêtu ou de prétendre connaître un familier du palais pour
entrer partout ? On comprend mieux, dans ces conditions, qu’en 1534, à
Amboise, des réformés aient pu venir apposer des placards jusque sur la porte de
la chambre du roi.
Et toujours règne une familiarité qui ne laisse pas de surprendre les ambassadeurs
et les hôtes italiens, habitués à une étiquette plus rigide. On aime à l’expliquer par
le fait que le lien personnel qui unit le prince et ses sujets est, dans le royaume de
France, fondé sur l’amour et non sur la crainte, ainsi que le rappelle, dans son
préambule, une ordonnance d’avril 1523, évoquant « ce lien de pur amour, de
pure dévotion, de cordiale harmonie et d’affection intime existant entre le roi de
France et ses sujets ».
UNE AUTRE FAÇON DE GOUVERNER
Assez paradoxalement, nous sommes mal renseignés sur l’organisation de la cour
de François Ier, ce qui témoignerait en faveur de la flexibilité déjà notée. Nous
disposons heureusement d’une lettre de 1563, où Catherine de Médicis rappelle à
Charles IX le cérémonial ordinaire du temps de son grand-père. La journée
commence – plutôt tard – par le lever du roi en présence des membres de la cour,
avec lesquels le roi s’entretient. Une fois habillé, le roi va entendre la messe,
accompagné par la cour. Après une promenade, voire une courte partie de chasse,
le roi dîne. Sobrement et seul. Tout en conversant avec ceux qui, debout,
l’entourent, ou en écoutant une lecture. Vers deux heures de l’après-midi, le roi
part souvent pour la chasse, à courre ou au vol. De retour, il joue encore
volontiers à la paume. Puis vient le temps du souper. Les dames, dont le roi
« Si la bonne fortune permet que
Monseigneur d’Angoulême succède à la
couronne, j’estime que, de même que la
gloire des armes fleurit et resplendit en
France, de même celle des lettres devra y
fleurir avec un éclat incomparable. » Devenu
roi, François ne décevra pas cet augure.
Réalisée vers le milieu du règne, la miniature
que nous avons reproduite en couverture de
ce dossier nous le montre assis dans sa
grande chaire et devant sa table, entouré de
ses trois fils, qui apprennent ainsi leur métier
sur le tas, et de plusieurs grands courtisans.
Parmi eux, au fond, mais au centre, le
personnage tout de noir vêtu n’est autre que
le grand humaniste Guillaume Budé, à qui le
roi a confié la direction de sa bibliothèque.
Au premier plan, Antoine Macault lit au roi
sa traduction des Trois Premiers Livres de
Diodore de Sicile. L’image est certes d’une
composition conventionnelle, mais elle
correspond à une certaine réalité. Cette
pratique de la lecture publique à haute voix –
c’est de la même façon que le Gargantua de
Rabelais se familiarise sans peine avec les
textes – est permanente à la cour : « il ne s’est
point passé de jour, écrit Robert Cenal, que
vous n’ayez écouté, oreilles pointées, quelque
érudicte lecture au cours de votre dîner, tous
vos familiers et serviteurs autour de vous,
debout et faisant grand silence. »
La cour apparaît ainsi comme « une vraie
école » (Brantôme), où s’effectue la difficile
éducation des courtisans. Et aussi des poètes,
s’il faut en croire Clément Marot, quand il
édite François Villon : « Je ne fais doute qu’il
n’eût emporté le chapeau de laurier sur tous
les poètes de son temps, s’il eût été nourri en
la cour des rois et des princes, là où les
jugements s’amendent et les langages se
polissent. »
François Ier, protecteur des lettres
Miniature, vers 1532. Musée Condé,
Chantilly.
François Ier apparaît comme le prince idéal
de la Renaissance française. Roi chevalier,
vainqueur à Marignan, il protège aussi
savants et artistes dans sa cour. François Ier
est placé au centre de la miniature, dans une
attitude solennelle, derrière une tenture
fleurdelisée qui symbolise la majesté royale.
Il écoute la traduction de Diodore de
Sicile, établie par Antoine Macault.
Les personnages, hauts dignitaires du
royaume et peut-être quelques humanistes,
semblent attentifs à la lecture,
mais aussi à la moindre réaction du roi (tous
leurs regards convergent vers le souverain).
La cour permet ici de mettre en scène la
figure du prince mécène, du roi protecteur
des arts et des lettres.
L’instauration du dépôt légal en France par
François Ier
46
voulait peupler sa cour, à en croire Brantôme, font alors leur apparition. Le temps
est venu des concerts, des chansons et des danses. Vers minuit ou au-delà, le roi
regagne sa chambre.
Cette organisation laisse apparemment peu de temps à l’examen des affaires
politiques. Les ambassadeurs vénitiens dénoncent à l’unisson ce que nous
appellerions un manque de professionnalisme. En 1537, Francesco Giustiniano,
n’hésitant pas à lui opposer son adversaire Charles Quint, écrit : « Le Roi TrèsChrétien n’aime pas les affaires ni le souci de l’État, mais plutôt la chasse et les
plaisirs. » Même reproche, en 1539, de la part de l’évêque de Saluces : « Cette
cour n’est pas comme les autres. Ici, nous sommes complètement coupés des
affaires et si d’aventure certaines se présentaient, il n’est pas assuré qu’on y
consacrerait une heure, un jour ou un mois. On n’y pense qu’à la chasse, qu’aux
femmes, qu’aux banquets... »
Unanime, le jugement est cependant excessif. Analysant la politique financière
menée durant le règne de François Ier, l’historien Philippe Hamon a montré que,
même s’il ne maîtrise pas les techniques financières, le roi ne se désintéresse pas
des affaires et sait en apprécier l’importance. Sans s’estimer lié par leurs avis, il
sait écouter les « gens du Conseil ». Le système fonctionne parce que le lien qui
les unit est avant tout affectif. C’est un lien de confiance réciproque. La surprise
des Italiens témoigne surtout du décalage entre les pratiques politiques de la
péninsule et celles de la cour de France, où persiste un idéal chevaleresque, plus
enclin à la prouesse qu’à l’étude.
LA DIFFICILE MAITRISE DE LA VIOLENCE
Cet idéal chevaleresque accorde une large place aux prouesses physiques. Celles
de la chasse et des conquêtes féminines, celles des tournois et de la guerre.
Guerre réelle ou guerre jouée : en avril 1518, à Amboise, à l’occasion du baptême
du dauphin et du mariage de Laurent de Médicis et de Madeleine de la Tour
d’Auvergne, six cents hommes, conduits par le roi en personne et par le duc
d’Alençon, défendent une ville en bois, entourée d’un fossé et équipée de canons,
face aux assauts d’une troupe d’égale importance, conduite par les ducs de
Bourbon et de Vendôme. Au prix de nombreux blessés et de quelques morts, ce
qui n’empêche pas le simulacre d’un nouveau siège à Romorantin, en 1521, lors
des fêtes de l’Épiphanie. Quotidiennes, les parties de chasse ne sont pas moins
dangereuses, où l’on risque toujours de s’éborgner aux branches d’arbre, de se
briser un membre en chutant de cheval, de se retrouver face à un animal furieux.
Plus ou moins provoqué, le spectaculaire affrontement à Amboise entre le roi et
un sanglier pris au piège est dans toutes les mémoires. Cette exaltation de la force
physique explique le maintien de conduites de violence. Violence des paroles,
comme en témoigne, en 1541, la surprise du nonce Dandino, l’envoyé du pape,
confronté aux écarts de langage et aux accès de colère du roi. Violence des
gestes, comme l’éventuel recours aux coups de bâton, pour frayer un chemin au
roi parmi la masse des courtisans.
UN ART DE PARAITRE
Pourtant, si la prouesse physique reste l’une des qualités essentielles du
gentilhomme, lecteur du célèbre roman de chevalerie Amadis de Gaule, elle ne
suffit plus. S’inspirant du livre de Baldassar Castiglione, Il libro del Cortegiano
(« Le Manuel du Courtisan »), publié en 1528 et traduit à la demande du roi en
1537, l’homme de cour doit aussi faire preuve d’esprit et cultiver « la science des
lettres ». Cet idéal de politesse sociale trouve en la personne même du monarque
son premier adepte. Le roi se montre ami des Lettres et des Arts. C’est lui, on l’a
vu, qui invite en France les artistes italiens appelés à travailler sur les chantiers
lancés par la monarchie : Léonard de Vinci, Rosso, Primatice, Benvenuto Cellini
; lui qui fait de Fontainebleau un véritable foyer d’art qui rayonne bientôt au-delà
des frontières du royaume. Sans jouer lui-même d’un instrument, le roi est
amateur de musique (voir encadré supra « Une musique de divertissement »).
Frotté de poésie, encouragé par sa sœur Marguerite d’Angoulême, il se montre
également favorable aux poètes. On sait la protection qu’il assure à Clément
Marot. Dans le domaine des « humanités », il apporte son soutien aux humanistes
Guillaume Budé, Étienne Dolet et Jacques Lefèvre d’Étaples et, en 1530, il fonde
le Collège des lecteurs royaux, chargé, hors du cadre universitaire, de dispenser
des cours publics largement ouverts à la culture humaniste. On lui doit aussi
d’avoir développé les collections royales et, avant tout, sa riche Bibliothèque. Au
début du règne, celle-ci est installée à Blois et sur les 1 626 volumes qu’elle
renferme alors, on ne trouve que 41 volumes en grec, 4 en hébreu et 2 en arabe.
François Ier fait acheter ou copier de nombreux manuscrits : à la fin du règne, on
Le dépôt légal, instauré par François Ier en
1537, à Montpellier (grand centre
universitaire disposant de plusieurs
ateliers typographiques), est un geste
éminemment politique. Cette ordonnance
rend obligatoire le dépôt gratuit d’un
exemplaire imprimé dans la « librairie »
(bibliothèque) du roi. Celle-ci est transférée
de Blois à Fontainebleau en 1544. Le
principe du dépôt légal existe toujours
aujourd’hui ; il concerne les imprimés de
toute nature (du livre à la carte postale), les
médailles, les œuvres musicales,
cinématographiques, photographiques,
phonographiques. Le roi présente son action
comme une sorte de « devoir de mémoire » :
l’État doit assurer la conservation de toutes
les oeuvres importantes. Mais l’édit a aussi
une finalité politique. Le roi veut contrôler la
production intellectuelle. François Ier a été
échaudé par « l’affaire des placards »
(octobre 1534 : des feuillets, exprimant
une violente diatribe contre le roi et le pape,
sont affichés dans plusieurs villes de France,
et à Amboise, jusque sur la porte de la
chambre du roi). Le 11 janvier 1535, le roi
interdit même, pour quelque temps, toute
nouvelle publication. Ainsi, en 1537,
réaffirme-t-il sa volonté de contrôler les
éditions imprimées afin de mieux lutter
contre la division qui menace le royaume.
Mais dans le même temps, il se substitue au
rôle traditionnellement dévolu à l’Église. On
sait que la bibliothèque de Blois, puis celle de
Fontainebleau, devient un foyer de rencontres
entre les érudits et le milieu de la Cour. La
création du dépôt légal contribue à renforcer
l’autorité royale. La « restauration des bonnes
lettres » fait référence au mouvement
humaniste en général et en particulier à la
création, sept ans plus tôt, du Collège des
lecteurs royaux (actuel Collège de France).
Cette institution permet à des professeurs,
rétribués par le roi, de fixer
eux-mêmes le contenu de leur enseignement,
sans subir la censure de la Sorbonne.
L’enseignement du grec (autour de
Guillaume Budé) et de l’hébreu (autour de
Vatable), interdits par la faculté de théologie,
profite pleinement de cet esprit de liberté. Les
premiers lecteurs ayant fait porter leurs
leçons sur les Livres saints, la Sorbonne les
censure les jugeant « téméraires,
scandaleuses et suspectes de luthéranisme ».
Château de Blois, aile François Ier, façade sur
cour
L’influence de la Renaissance italienne est
profonde en France. Certes, entre 1480 et
1520, la tradition gothique l’emporte encore,
dans l’architecture religieuse et civile, dans
les arts décoratifs, dans la sculpture, mais
l’influence italienne commence à se faire
sentir avec les décorateurs appelés par
Charles VIII et Louis XII. Ils empruntent des
47
compte ainsi 560 manuscrits grecs. Par ailleurs, en 1537, l’ordonnance de
Montpellier prescrit que tous les imprimeurs et les marchands-libraires doivent
déposer un exemplaire de toute publication nouvelle.
Enfin, comme le courtisan idéalisé par B. Castiglione, François Ier aime à user
d’éloquence. Une éloquence familière, apte à établir sans difficulté un lien avec
son interlocuteur. Sa prestance physique exprime ainsi « tout naturellement » les
qualités de son esprit, ce dont témoigne le portrait du roi, dressé en 1546 par
l’ambassadeur vénitien Marino Cavalli : « Son maintien est entièrement royal, si
bien que même si on ne l’a jamais vu physiquement ou en portrait, on se dit, au
premier coup d’œil : c’est le roi ! Chacun de ses mouvements est si noble et
majestueux qu’il n’y a pas de prince comme lui. »
UN ART DE VIVRE... OU DE DISSIMULER ?
Gravitant autour du souverain, la cour a pris désormais un nouveau visage. Au
chevalier qui venait rendre le service féodal s’est désormais substitué le courtisan.
Le seigneur réside maintenant à la cour ; quand il retourne dans sa province, ses
séjours ne se prolongent jamais trop, il en profite d’ailleurs pour transformer sa
demeure à l’image des demeures royales. Pour obtenir une faveur du monarque, il
faut être vu. Brantôme le souligne : doté d’une excellente mémoire, le roi « savait
et connaissait la plupart des gentilshommes de bonne maison de son royaume et
en disait très bien leurs races et généalogies. Et de ceux-là qu’il savait être
devenus pauvres, en avait commisération et les assistait... ». Car la vie à la cour
est dispendieuse, et en quelques occasions ruineuse : par exemple, lors des fastes
du Camp du Drap d’or, où plusieurs, rapporte Martin du Bellay dans ses
Mémoires, « portèrent leurs moulins, leurs forêts et leurs prés sur leurs épaules ».
Le rôle croissant de la cour entraîne aussitôt des réactions de défiance. À l’instar
de la cour romaine, que dénoncera Joachim du Bellay dans Les Regrets
(LXXXVI), on voit en elle une école de la dissimulation. À l’idéal de la cour,
dénoncé comme artificiel, s’oppose alors l’exaltation de la « nature », chantée par
Ronsard : « Je n’avais pas quinze ans que les monts et les bois / Et les eaux me
plaisaient plus que la Cour des rois. »
Instrument du pouvoir royal, la cour de François Ier en manifeste par son éclat la
puissance. Par le nombre toujours croissant des offices qu’elle offre, les faveurs
qu’elle permet d’espérer, les carrières qu’elle accélère, elle attire auprès du roi un
nombre toujours plus grand de gentilshommes. Permettant au souverain à la fois
de trouver en son sein les hommes dont il a besoin pour asseoir son autorité, et de
les inscrire dans une relation de fidélité ou de clientèle, elle soutient la noblesse
en même temps qu’elle la domestique. Organisée autour de la personne même du
roi, elle tend à faire du souverain le centre d’un système politique, social et
culturel, dont les valeurs s’imposent progressivement à l’ensemble du royaume et
rayonnent au-delà des frontières.
éléments à l’architecture antique (pilastres,
frises, arabesques), qui apparaissent
notamment à Amboise, à Blois.
Avec François Ier, l’italianisme se renforce.
Les travaux de construction de l’aile François
Ier du château de Blois débutent en juin 1515
et se terminent en 1524. La façade
sur ville, formée de quatre étages de loggia,
et l’utilisation de la pierre et de l’ardoise,
contrastent nettement avec l’aile Louis XII.
L’originalité réside surtout dans l’escalier
extérieur de la façade sur cour : à double-vis
(véritable prodige technique) élevé à partir
d’un projet de Léonard de Vinci, il rompt
avec le style gothique ; sur la terrasse,
lucarnes, cheminées et lanternes sont
caractéristiques des motifs italianisants (voir
aussi le château de Chambord). Ce « style
composite » (gothique flamboyant mêlé aux
décors italiens renaissants) domine dans les
châteaux de la Loire (Chenonceaux, 15131521 ; Villandry, après 1532), puis se diffuse,
avec le déplacement de la cour, de
la Loire vers l’Île-de-France. L’École de
Fontainebleau élabore de nouvelles formules
décoratives et devient, à partir de 1540, un
modèle.
Le château de Chambord
Si Léonard de Vinci apporte La Joconde avec lui en 1516 (sans doute pour la
terminer), il ne semble pas qu’il ait peint en France : dans la dernière période de
sa vie (il meurt en mai 1519), il s’intéresse surtout à l’architecture et aux plans de
ville. François Ier lui commande alors la transformation de ce pavillon de chasse.
Le projet primitif de 1519 comprend un donjon et une enceinte rectangulaire. Le
donjon présente huit appartements par étages et quatre dans les tours angulaires.
Ils sont distribués par une vis centrale à quatre montées entrelacées. Toute
circulation horizontale étant impossible, les plans sont fortement remaniés à partir
de 1526 par Domenico da Cortona : la vis est réduite à deux montées pour
permettre une circulation horizontale autour de l’escalier sans se rencontrer Les
travaux se poursuivent jusqu’aux années 1550. Le chantier mobilise 1 800
ouvriers pendant vingt ans. Mais quand le château est terminé, il est déjà démodé.
Les seigneurs, invités à Chambord, viennent surtout chasser. La cour fait quinze
visites, de courte durée « chez moi », comme se plaisait à dire François Ier. Il y
reçoit avec faste Charles Quint en 1539. La disposition « politique » des
appartements du roi, sur le même niveau que la chapelle, mais à l’opposé, «
semble inscrire dans l’architecture, non sans audace, un dialogue d’égal à égal
entre le pouvoir spirituel et temporel » (Joël Cornette, Chronique de la France
moderne : le XVIe siècle, SEDES, Paris, 1995, p. 70). Chambord constitue
l’archétype des châteaux de la Renaissance française : son style hybride emprunte
à l’Italie tout en conservant la structure médiévale (le donjon, les tours
angulaires). Les ouvertures, plus nombreuses, montrent bien que le château perd
sa fonction défensive. En plus de l’escalier à double-vis, des apports nouveaux se
48
remarquent sur la terrasse : les lanternes à l’italienne entourent une grande
lanterne de 32 mètres de hauteur, soutenue par huit arcs-boutants. Les proportions
du château sont énormes pour l’époque : une enceinte de 153 mètres de long sur
117 mètres de large ; percée de 365 fenêtres, le donjon fait 47 mètres de côté. En
tout 440 pièces, 13 escaliers principaux et 70 secondaires.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
49
HM – Richelieu
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Françoise Hildesheimer, Richelieu. Flammarion, 2004
Françoise HILDESHEIMER. Richelieu : une certaine idée de l'Etat ; préface de Roland Mousnier ; Paris : Publisud, 1985 ; in-8°,
144 pages.
Roland Mousnier (1907-1993), L'Homme rouge ou La vie du Cardinal de Richelieu (1585-1642). Robert Lafont/Bouquins, Paris
1992
François Bluche, Richelieu, Éditions Perrin, 2003, 468 pages.
Jouhaud (Christian), la Main de Richelieu ou le Pouvoir cardinal, Paris, Gallimard, collection « L’un et l’autre », 1991, 687 pages
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
Françoise Hildesheimer, conservatrice en chef aux archives nationales s’est
depuis longtemps consacrée à l’étude de Richelieu et de ses écrits, dont elle
réédite une partie (ex. son Testament Politique en 1995). Le cardinal n’a pas
séduit que les romanciers et compte déjà un certain nombre de biographes, dont le
principal, Roland Mousnier, n’a rien perdu de son actualité. Peu de temps après
François Bluche (Perrin, 2003), Françoise Hildesheimer nous invite à découvrir
elle aussi son Richelieu en se fondant pour une large part sur les textes du
cardinal lui-même, en dépit de leur dimension apologétique.
Incontestablement, l’auteur est parvenue à échapper au piège de la séduction à
l’égard de son sujet et tente de nous montrer un homme beaucoup moins assuré
que ses mémoires ne le suggèrent. Au contraire, l’idée est de nous présenter
l’apprentissage et l’exercice laborieux d’une survie politique et d’un pouvoir
régulièrement menacé par les cabales fomentées de près ou de loin par Marie de
Médicis et Gaston d’Orléans. Le livre fait effectivement ressortir la fragilité de
l’homme, fragilité physique d’un corps malade et souffreteux, affective, causée
par l’inquiétude permanente que lui cause le souvenir du sort de Concini et
l’influence que ses ennemis lui disputent en permanence auprès du roi. A cette
fragilité, à ces incertitudes d’une information rarement assurée, s’oppose la
vigueur de la politique entreprise au service du royaume et l’image de la toute
puissance dénoncée par ses détracteurs.
Car là réside probablement la principale difficulté de la biographie d’un tel
homme, caché derrière l’envergure exceptionnelle de l’homme d’Etat. Certes,
l’auteur nous propose un découpage en quatre chapitres sur l’ascension (15851624), la métamorphose (1624-1630), l’empire de la raison (1631-1635) et
l’histoire inachevée (1636-1642), mais le fil conducteur reste bien celui de la
politique étrangère de la France, d’une guerre qui pèse sur les sujets, et cette
histoire de Richelieu rejoint alors celle d’une histoire politique générale bien
connue, excessivement événementielle, très peu culturelle.
En revanche, l’analyse de la pensée politique de Richelieu, ses rapports avec la
religion, offrent quelques aspects neufs que l’on lira avec profit : premièrement,
la raison qui commande l’action politique n’est pas celle de Machiavel, le
Testament politique manifestant au contraire l’hostilité envers une raison d’Etat
dont le cardinal est généralement présenté comme le théoricien (cf. Etienne
Thuau). L’un de ses préceptes n’était-il pas que les « rois doivent observer les
traités avec religion » ? Certes, modération et prudence politique sont aussi une
image largement recomposée, à destination de la postérité. Situé, en matière de
religion, dans la voie moyenne tracée par le concile de Trente, Richelieu apparaît
également comme le théologien d’une foi ordinaire, restaurateur de la discipline
50
ecclésiastique dans ses domaines mais partisan d’une conversion douce des
protestants à un catholicisme de raison.
Mais en dehors des écrits de Richelieu, on trouvera peu de références à des
sources de première main et aux travaux d’érudition. Les zones d’ombre
demeurent comme cette ascension rapide auprès de Marie de Médicis, et quelques
erreurs ne laissent pas de nous surprendre, telle cette assemblée des notables qui
exclue le tiers état (p.174), le « massacre » des fonctionnaires impériaux lors de la
défénestration de Prague, ou bien cette anachronique « guerre éclair » de la
France en 1635.
Malgré cela, l’une des réussites du livre vient de la qualité d’un récit qui s’efforce
de montrer au mieux les interactions entre les complots à l’intérieur et la guerre
extérieure ; la fin de l’ouvrage, avec l’affaire Cinq-Mars, la guerre en Catalogne
et la dégradation de sa santé, révèle un pouvoir plus fragile que jamais, et une
relation usée, emplie de défiance avec le roi.
Ce livre est donc aussi l’histoire d’un couple que seule la raison réunit : après
avoir capté la plus grande partie de sa fortune personnelle, le roi lui fait d’ailleurs
un bel hommage posthume en assurant son héritage politique entre les mains de
Mazarin.
On ne présente plus François Bluche. Le Dictionnaire du Grand Siècle (Fayard,
1990) qu’il a dirigé est devenu un ouvrage de référence quant au règne personnel
de Louis XIV ; si elle n’a pas fait l’unanimité parmi les historiens modernistes, sa
biographie du Roi-Soleil (Fayard, 1989) est un succès de librairie. Habitué du
Grand Siècle et du Siècle des Lumières, il est cependant plus rare de voir l’auteur
du Despotisme éclairé s’aventurer avant l’avènement de Louis XIV (1643).
Pourtant ce n’est pas tant cette avancée dans le premier XVIIe siècle sous la
forme d’un ouvrage biographique du cardinal de Richelieu, ni même,
contrairement aux craintes de l’auteur lui-même (p.11), la parution d’un énième
livre consacré au ministre de Louis XIII, qui surprendra le lecteur.
Assurément l’ouvrage est original par plus d’un point. Loin de prétendre à être
exhaustif, le Richelieu de François Bluche se présente comme un essai, en
hommage à Édouard Balladur, destiné à éclairer sous un jour nouveau ou à
rappeler à ses lecteurs quelques «points délicats (...) trop fréquemment simplifiés
par l’historiographie» (p.11). Il en résulte un certain nombre de choix comme les
nombreuses annexes (17 en tout) qui occupent avec la chronologie, un index et,
fait rarissime mais dispensable, un glossaire, pas moins de 135 des 458 pages
imprimées du livre.
Dans leur globalité, ces annexes s’avèrent intéressantes, à défaut d’être utiles
dans le cadre d’un essai biographique, à l’instar des atermoiements
confessionnels d’Henri IV (p.349). Le glossaire vise surtout à suppléer à
l’absence de notes qui seraient destinées en majeure partie au lecteur profane en
l’Ancien Régime, qui s’y risquerait ici pour la première fois, ou même à un
lecteur à la culture lacunaire qui, ayant sans doute acheté ce livre lors d’un
égarement passager et n’ayant pas de dictionnaire, s’interrogerait sur la définition
de mots tels que barbon, droit privé ou nonce.
Le choix le plus marquant se révèle être cependant le découpage de l’œuvre en 72
chapitres. Si l’on se réfère à l’activité intense et diverse de l’Homme rouge, une
telle profusion se justifie amplement et, de fait, François Bluche n’entend
négliger aucune dimension du personnage, de l’évêque comme du ministre, du
père de la marine comme de celui des arts. Il s’agit de prendre la mesure du grand
homme, d’en brosser un portrait sans concession aucune en le resituant dans son
époque.
En fait de concession, l’auteur ne saurait être taxé d’admiration béate pour son
sujet. Il reconnaît volontiers l’importance de l’œuvre du cardinal-ministre dont le
règne suivant bénéficie, mais souligne les travers de la personnalité de l’homme,
en particulier sa sévérité excessive pour un prêtre tout en reconnaissant celle plus
grande du roi (p.97). Dans un autre registre, François Bluche juge telle sa soif
d’honneurs et de charges – il est vrai considérable tant pour lui que pour sa
famille - qu’il la qualifie de mégalomanie, «affection des génies politiques»
(p.208), tare dont furent exempts nombre de grands hommes d’État, tel Louis
XIV, constructeur de Versailles. Il est vrai cependant que l’auteur a vu dans le
roi-soleil un introducteur d’une part assez remarquable de démocratie dans son
règne en 1709 (cf. François Bluche, Louis XIV, chapitre XXVII).
Sur de nombreux points, l’essayiste de Richelieu rejoint et dépasse le biographe
51
de Louis XIV dans une certaine facilité d’images et d’expressions. Peut-être estce à des fins de démonstration ou de pédagogie toujours pour le même lecteur
égaré ? Quel intérêt, autre qu’un trait d’humour, que de parler d’un «top five»
(p.13) des grandes figures de l’histoire de France, fruit d’un hypothétique
sondage réalisé auprès des Français ? (A noter que les quatre autres lauréats sont
saint Louis, Jeanne d’Arc, Louis XIV et Napoléon, autant pour Henri IV, sa poule
au pot et l’édit de Nantes !)
De même, sans doute, est-ce un trait d’humour noir que le «who’s who de
l’échafaud» (p.97). De ces effets de manche, à l’emporte-pièce, Richelieu en
recèle sans qu’ils apportent beaucoup à la réflexion parce qu’ils manquent parfois
d’explications, à l’image du tableau de l’âge comparé de personnages notables,
tableau riche d’enseignements qui demeurent attendus, ou du sibyllin encart sur le
rationalisme et la raison comparés de Richelieu et Colbert (p.200).
Il n’en demeure pas moins que, par sa vision synthétique et globale de la vie de
Richelieu dans son contexte, une perception originale de la carrière et de l’œuvre
du cardinal-duc, éclairée par un point de vue personnel, s’il n’est toujours
pertinent dans sa formulation, ce Richelieu peut faire figure d’une bonne
introduction au personnage pour le profane que pourraient rebuter la densité de
L’Homme rouge de Roland Mousnier ou du Richelieu de Michel Carmona, et la
spécialisation du Richelieu. Une certaine idée de l’État de Françoise
Hildesheimer (Publisud, 1985) ou du Pouvoir et fortune de Richelieu de Joseph
Bergin (Laffont, 1987).
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
52
HM – Mazarin
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Claude Dulong, Mazarin, Perrin 1999, 417 pages
Claude DULONG, La Fortune de Mazarin, Paris, Librairie académique Perrin, 1990.
Pierre Goubert, Mazarin (Paris, Fayard, 1990, Livre de Poche 1993)
Isabelle de Conihout, Patrick Michel, Mazarin : les Lettres et les Arts, Éditions Monelle Hayot, 2006
Simone Bertière, Mazarin : le Maître du jeu, Éditions de Fallois, 2007
Hubert CARRIER, Les Mazarinades. 1 : La Conquête de l'opinion, Genève, Droz, 1989.
Hubert CARRIER, Les Mazarinades. 2 : Les Hommes du livre, Genève, Droz, 1991.
Hubert CARRIER, Les Muses guerrières : les mazarinades et la vie littéraire au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1996.
Georges DETHAN, Mazarin, un homme de paix à l'âge baroque, Paris, Imprimerie nationale, 1981.
Madeleine LAURAIN-PORTEMER, Études mazarines, Paris, de Boccard, 1981.
Madeleine LAURAIN-PORTEMER, Une tête à gouverner quatre empires ; études mazarines 2, Paris, chez l'auteur (distribué par
Jacques Laget, Librairie des Arts et Métiers), 1997.
Patrick MICHEL, Mazarin, prince des collectionneurs : les collections et l'ameublement du cardinal Mazarin (1602-1661) ;
histoire et analyse, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1999.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
La commémoration du IVe centenaire de la naissance du Cardinal (1602-1661) a
permis de faire le point sur l’état actuel des « études mazarines », mais aussi de
présenter un tableau de la France culturelle et artistique pendant la période, mal
aimée et peu étudiée, qui s’écoule entre la mort de Richelieu, celle de Louis XIII
(1642-1643) et le début du gouvernement personnel de Louis XIV (1661).
L’ouvrage réunit, sous l’impulsion scientifique de Patrick Michel et d’Isabelle de
Conihout, des études dues aux meilleurs spécialistes français et étrangers. Il
privilégie deux passions du « prince des collectionneurs », les livres et les arts.
La troisième partie, consacrée à l’image du cardinal auprès de ses contemporains
et de la postérité, permet d’ajouter le point de vue des historiens. Par la qualité et
la pertinence de l’abondante illustration, le souhait des auteurs est de rendre
agréablement accessible l’ensemble des études réunies dans ce volume.
C'est Pierre Goubert qui, en 1963, a mis fin à l'expression voltairienne de " siècle
de Louis XIV " : ne sous-entendait-elle pas, en effet, que ce monarque seul - au
demeurant roi de plein exercice à partir de 1662 seulement - a édifié un
monument équivalent à ce qu'ont fait Périclès à Athènes et Auguste à Rome ? Il
s'en faut, pourtant... Louis XIV et vingt millions de Français a montré une fois
pour toutes qu'au XVIIe, siècle les misères l'ont plus d'une fois emporté sur les
splendeurs et aussi qu'il est de la plus élémentaire équité d'associer vingt millions
de sujets aux heurs et malheurs du royaume. En 1990, le même historien a mis en
évidence le legs décisif fait à son pays d'accueil par un étranger, le complexe et
fastueux Mazarin : le cardinal n'a-t-il pas rétabli la paix civile et placé aux
commandes la quasi-totalité du personnel politique qui précisément a permis à
Louis XIV de faire de son règne un épisode grandiose ? Ce n'est pas là diminuer
les mérites du Grand Roi, mais tout simplement dresser du XVIIe, siècle un bilan
équilibré.
Pierre Goubert : "En dehors de souvenirs d'enfance liés à d'Artagnan et quelques
autres, le personnage m'a toujours fasciné, pour deux raisons.
" D'abord, l'extraordinaire habileté avec laquelle il s'était hissé au pouvoir et s'y
était maintenu, malgré une conjonction ahurissante, mais désordonnée,
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Né et baptisé à Pescina - une petite ville des
Abruzzes alors sous domination espagnole Giulio Mazzarino passa son enfance et son
adolescence à Rome puis, après deux années
d'études à l'Université d'Alcalá de Henares,
revint en Italie.
Tour à tour au service des Colonna, des
Saccheti et du cardinal Antoine Barberini, il
se fit remarquer par son audace lors du siège
de Casal en octobre 1630 et devint le légat du
pape Urbain VIII, à Paris, de 1634 à 1636.
L'estime que lui manifesta très vite Richelieu
- rencontré dès 1630 à Pignerol - puis la
confiance que lui accordèrent le roi de France
et plus encore Anne d'Autriche permirent à
Mazarin, élevé à la dignité de cardinal en
1641, d'accéder aux plus hautes charges de
l'État : après la disparition de Louis XIII (14
mai 1643) et celle de son principal ministre,
mort quelques mois plus tôt, Mazarin
gouverna la France, jusqu'à son dernier
souffle, aux côtés de la régente.
À l'intérieur du royaume, Mazarin dut faire
face à la Fronde qui fut sans nul doute " la
plus profonde dépression politique du siècle
", " un fléchissement simultané de l'État, de
l'économie et de la société " (H. Méthivier) ;
de 1648 à 1653, sur une toile de fond aux
couleurs sombres où la famine, la misère et la
maladie projetaient le spectre de la mort, des
troubles éclatèrent, dans la capitale et en
53
d'inimitiés, de jalousies, de complots, de calomnies, de brutalités, d'échecs
apparents ou momentanés; spectacle saisissant d'une intelligence, surtout
politique, qui surclassait tout ce qu'on pouvait observer à son époque, et à
beaucoup d'autres.
"Le second titre de séduction découlait sans doute du précédent, mais allait plus
loin encore [...], " On constate tout naturellement qu'à la mort de Richelieu
(décembre 1642) puis à celle de Louis XIII (mai 1643) ni la guerre contre
l'Espagne ni la guerre contre l'Empire n'étaient achevées [...].
La double victoire fut l'œuvre de Mazarin et de son équipe [...], et c'est grâce à lui
qu'en 1648, puis en 1659, l'Alsace, l'Artois, le Roussillon, la Cerdagne, le sud du
Luxembourg et quelques autres lieux furent réunis au royaume [...].
Il faut fermement observer, et publier, que sans l'italien il n'y aurait pas eu
d'œuvre de Richelieu - les affaires protestantes exceptées. Et soutenir aussi
fermement qu'il n'exista pas un " grand cardinal ", mais bien deux : sans le
second, le premier eût-il laissé un tel souvenir ?
" D'autre part, faut-il rappeler que ce ne furent pas les assez pâles précepteurs de
Louis XIV qui le formèrent, mais, outre sa vigilante mère, son parrain (père
spirituel) le Cardinal qui lui apprit, dans le secret de son propre cabinet, avec les
intrigues de Cour, l'Europe des princes et des diplomates, des intrigues à démêler,
des consciences à acheter et que tout homme, fût-il roi, est vénal ? [...] Plus
évident encore, le legs à son royal filleul de la totalité de son personnel
gouvernemental [...]."
Professeur de littérature, Simone Bertière a d’abord publié une Vie du cardinal de
Retz et une édition commentée de ses Mémoires, avant de se lancer dans le récit
d’une vaste fresque sur l’histoire des Reines de France des Temps Modernes. Le
dernier volume de la série, intitulé Marie-Antoinette, l’insoumise, lui a valu le
Prix des Maisons de la Presse, le Prix des Ambassadeurs et le Grand Prix de la
Biographie historique de l’Académie Française.
Mazarin le maître du jeu retrace l’extraordinaire destin de cet Italien de petite
extraction et sans fortune qui meurt à 69 ans au sommet de la gloire : il est à la
tête de la France et il est devenu l’arbitre de l’Europe.
Si cette biographie s’inscrit dans la tradition des historiens qui ont travaillé à la
réhabilitation de Mazarin, tels que Mmes Claude Dulong et Madeleine LaurainPortemer ou encore Georges Dethan et Pierre Goubert, elle innove par l’intérêt
apporté aux années italiennes de Mazarin.
Né le 14 juillet 1602 dans Les Abruzzes, Giulio Mazarini révèle très vite ses dons
de jeune prodige. Une très bonne mémoire, des études brillantes chez les jésuites,
doué pour la musique, passionné par les arts et de surcroît une fière allure, voilà
le jeune homme qui s’engage dans les troupes pontificales. Rapidement, il sait se
rendre indispensable. Mieux, le pape Urbain VIII remarque son adresse dans les
négociations diplomatiques. Il sera son messager de la paix. En intervenant dans
l’affaire de Casal, il évite un affrontement entre la France, l’Espagne et
l’Autriche. Mais dans ce cas, il agit en prenant le parti de la France, de ce jour
date sa rencontre avec Richelieu.
En 1640, il quitte définitivement l’Italie pour la France. Dans l’ombre de
Richelieu, il devient son élève et son successeur ; mieux, Richelieu le
recommande à Louis XIII qui, se sentant mourir, prépare la Régence. Louis XIII
en fait le parrain du Dauphin et lui confie la Reine, Anne d’Autriche et le petit
Louis XIV en lui demandant de continuer l’œuvre de Richelieu.
A l’extérieur, Mazarin va devoir combattre les ennemis de la France et à
l’intérieur il va devoir faire face à une Fronde des parlements et des princes.
Après maints rebondissements, et avec la complicité de la Reine et de Louis XIV,
il en sort vainqueur… mais épuisé. Il meurt le 9 mars 1661 à Vincennes.
Ce Mazarin si bien évoqué par Simone Bertière a été aussi un grand
collectionneur et un grand bâtisseur. Il a fait ériger le Collège des Quatre Nations
où se situe la magnifique bibliothèque qui porte son nom et où siège l’Institut de
France.
Infortuné Mazarin ! La légende, propagée par les mémorialistes - intéressés - de
l’époque, en fit un être digne du plus grand mépris, cupide, prévaricateur, retors,
et pour couronner le tout, italien. Bref, un « fantôme de Richelieu », selon
l’expression d’Alexandre Dumas dans Vingt ans après, traduisez : une pâle copie
du précédent cardinal. Et pourtant. Ainsi que l’écrivait l’un de ses biographes,
Pierre Goubert, « il faut fermement observer, et publier, que sans l’Italien, il n’y
province, à l'instigation des grands seigneurs
toujours prêts à " fronder " et du Parlement,
jaloux de son pouvoir et de ses prérogatives.
Mais ni les uns ni les autres, malgré l'appui
du peuple, ne formèrent de véritables
coalitions ; à l'évidence ils supportaient mal
un absolutisme qu'exacerbaient les nécessités
de la guerre, et stigmatisaient de façon
unanime le ministre étranger qui cristallisait
tous les mécontentements.
Les quelque 5500 mazarinades publiées au
cours de cette période témoignent de la haine
suscitée par Mazarin qui fit néanmoins son
entrée solennelle à Paris le 3 février 1653,
une fois la Fronde vaincue. Le titre du bel
ouvrage de Georges Dethan (" Un homme de
paix à l'âge baroque ") résume admirablement
la politique étrangère du cardinal Mazarin qui
poursuivit avec fermeté la lutte contre
l'Espagne engagée par son prédécesseur mais
qui voulut aussi, de toutes ses forces, mettre
un terme aux conflits armés qui dévastaient
alors l'Europe.
Le brasier de la Guerre de Trente Ans
s'éteignit en 1648 avec les traités de
Westphalie, heureux aboutissement des
négociations auxquelles participèrent avec
opiniâtreté les diplomates français sous
l'autorité du premier ministre ; la guerre avec
l'Espagne connut son dénouement sur les
rives de la Bidassoa, le 7 novembre 1659,
grâce au traité des Pyrénées dont une clause
prévoyait le mariage de Louis XIV et de
l'infante Marie-Thérèse, célébré l'année
suivante à Saint-Jean-de-Luz.
Véritable arbitre de l'Europe, il avait su
préparer l'avènement du Roi-soleil et mourut
à Vincennes, le 9 mars 1661.
Les études récentes sur Mazarin refusent de
privilégier l'homme public au détriment de
l'homme privé et nous renvoient un portrait
du cardinal moins manichéen que celui
auquel nous avait habitué l'historiographie
traditionnelle, en exaltant non seulement les
mérites du stratège et du négociateur mais
aussi les qualités exceptionnelles d'un homme
qui avait de l'esprit, du cœur, une grande
force d'âme et un goût artistique très sûr.
Trois siècles et demi après sa mort, un lieu de
mémoire perpétue le souvenir du cardinal
Mazarin : ce sont les bâtiments de l'ancien
Collège des Quatre-Nations, édifiés à partir
de 1662, conformément au vœu testamentaire
du cardinal, sous la direction de l'architecte
Le Vau ; ils constituent aujourd'hui le Palais
de l'Institut de France - dont la chapelle abrite
le tombeau du cardinal - et la Bibliothèque
Mazarine, destinée à accueillir les ouvrages
rassemblés, sa vie durant, par le plus grand
collectionneur de son temps.
54
aurait pas eu d’œuvre de Richelieu - les affaires protestantes exceptées. Et
soutenir aussi fermement qu’il n’exista pas un « grand cardinal », mais bien deux
: sans le second, le premier eût-il laissé un tel souvenir ? » La Fronde, cette «
crise de croissance » de l’Etat absolutiste, avait déchaîné contre lui les passions,
empreintes d’un certain racisme. Mais Mazarin sut éviter le sort d’un Concini. Et
pour cause : son intelligence exceptionnelle lui assura une survie physique et
politique que nul ne jurait acquise. Cette intelligence, il eut le bon goût de la
mettre au service de la France.
Encore faut-il poursuivre l’œuvre de réhabilitation. Il est heureux en ce cas que
Simone Bertière, dont la saga sur les reines de France était un enchantement tant
historique que littéraire, se soit attelée à cette tâche. En résulte une superbe
biographie doublée d’une grande leçon de politique. Mais après tout, et de la part
de cette historienne, le contraire eût été étonnant.
Simone Bertière le revendique sans fard : « J’y prends ouvertement la défense de
Mazarin, comme l’impose l’honnête examen des faits ». L’ouvrage n’en est pas
pour autant une plaidoirie. Sympathique à l’égard de l’homme, Mme Bertière est
sans complaisance sur le politicien. Simplement, elle le restitue dans son
contexte, et lui redonne vie. S’en dégage le portrait d’un être brillant, chaleureux,
ouvert, esthète et séducteur. Dans sa carrière, un fil conducteur : le souci de la
performance. Issu d’un milieu modeste, il intégra l’administration pontificale et
sut se faire bien voir du Pape Urbain VIII, qui lui confia d’importantes missions
diplomatiques en cette période troublée par la Guerre de Trente ans et la rivalité
franco-espagnole, lesquelles n’étaient pas sans conséquences sur la stabilité de la
péninsule italienne. En 1630, il rencontra Richelieu pour la première fois,
événement qui allait le pousser à rallier par la suite les intérêts de la France pour
damer le pion aux ambitions des Habsbourg sur cette Italie qu’il aimait tant.
Séduit par le personnage, le sombre Cardinal en fit progressivement son hommelige. Louis XIII y ajouta le statut de parrain du Dauphin.
A la mort de ce duo, Mazarin parvint à se maintenir au sommet de l’Etat. Avec la
reine Anne d’Autriche, il réussit à nouer un partenariat qui tint de la tendre
amitié, sans pour autant aller jusqu’à la relation physique que se complaisaient à
dénoncer hypocritement les adversaires de ce nouveau Cardinal. Anne était
consciente de sa propre incapacité à gouverner : habilement, mais avec estime,
Mazarin lui devint vite indispensable, ce d’autant qu’en sa qualité d’Italien il lui
devait tout. Mieux encore, il entretint avec le Dauphin, traumatisé par la Fronde,
une relation de maître à élève, presque filiale par substitution, et sut parfaitement
l’éduquer à ce qu’allait être son métier de Roi.
On loue Richelieu et on rit de Mazarin, souligne Mme Bertière, mais c’est oublier
que Richelieu n’avait atteint, des trois objectifs qu’il s’était fixés - l’écrasement
des protestants, l’obéissance des grands du royaume, la victoire contre l’Espagne
- que le premier d’entre eux, les deux autres étant remis en cause par sa
disparition. Mazarin réussit, envers et contre tout, envers et contre tous, non
seulement à consolider les acquis, mais à transformer l’essai de son prédécesseur.
En ce sens, il revenait de loin. La mort de Louis XIII lui laissait un pays en guerre
avec l’Espagne, certes sauvé de peu par la victoire de Rocroi, mais handicapé par
une quasi-faillite financière et un peuple écrasé d’impôts - sans compter les
revendications politiques du Parlement de Paris et des nobles, qui se traduisit par
l’épreuve de force de la Fronde. Conciliateur et diplomate, Mazarin ne réussit pas
toujours à échapper à la confrontation armée, mais parvint savamment à vaincre
ses adversaires, même lorsque tout paraissait perdu. Il restaura l’autorité de l’Etat,
assainit ses finances, ramena l’ordre intérieur, et imposa à l’Espagne en 1659 la
paix des Pyrénées, fortifiée par le mariage de Louis XIV et Marie-Thérèse
d’Autriche. Un exploit titanesque, qui lui coûta sa santé - en d’autres termes, la
vie.
Assurément, et grâce à Simone Bertière, l’homme - quoique profiteur (parce que
prévaricateur) à sa manière, pour consolider son pouvoir - suscite l’attachement.
Son intelligence était telle qu’il sut la dissimuler pour mieux tromper ses ennemis
et imposer sa politique. A la finesse et un indéniable sens de l’humour
s’ajoutaient un remarquable esprit de synthèse, une admirable capacité empirique - à analyser les faits et les gens (sans les juger), une immense capacité
de travail, une parfaite maîtrise de soi. Sur le plan diplomatique, il restait fidèle à
son tempérament de conciliateur, recherchant l’équilibre européen pour éviter de
futures guerres, n’hésitant pas à interrompre une offensive victorieuse pour
faciliter les négociations de paix en s’abstenant d’humilier l’adversaire, écartant
ainsi toute perspective de revanche. La paix des Pyrénées, que l’on présente à tort
55
comme un résultat mitigé de sa stratégie, ouvrit une longue ère d’entente francoespagnole. Ainsi, à la mort de Mazarin, la France apparaissait à tous points de
vue comme une grande puissance. Louis XIV pouvait sans risques amorcer son
règne personnel, instruit en cela par ce cardinal revenu de tout. Avec un tel
mentor, l’élève ne pouvait être qu’un grand Roi. Il le fut.
On s’y attendait, mais il est juste de le reconnaître : Simone Bertière commet là
l’une de ses plus belles biographies. Capable de lier le style à l’analyse, elle mène
tambour battant son étude de l’un de nos plus grands hommes d’Etat, celui qui fit
primer le réel sur l’idéal, le pragmatisme sur l’idéologie, la raison sur les passions
humaines, la conciliation sur le conflit. Espérons que grâce à elle - sans oublier
ses prédécesseurs, de Georges Dethan à Madeleine Laurain-Portemer, de Pierre
Goubert à Claude Dulong - les faits l’emporteront enfin sur une calomnie qui n’a
que trop duré.
Claude Dulong, Mazarin, Perrin 1999, 417 pages
Le plus souvent, les "grands hommes" - Alexandre, César, Richelieu, Louis XIV,
Napoléon, Hitler, Staline, De Gaulle - sortent de l'humanité. Dans l'Antiquité, on
les appelait demi-dieux, incompréhensibles qu'ils deviennent aux simples
mortels. Selon le mot de Bonaparte, ils sont "des météores destinés à brûler la
terre".
Le cardinal Mazarin n'est pas de cette race-là. En ce XVIIe siècle, tout rempli de
héros et de saints, sa silhouette insinuante dépare quelque peu parmi tant
d'altières statures. Les contemporains l'ont vivement senti. Et le temps écoulé n'y
fait rien. Des deux grands cardinaux-ministres de l'ancienne monarchie, Mazarin
est celui que l'historiographie et la mémoire collective ont considéré avec le
moins d'admiration. Malgré les années, il n'a jamais tout à fait cessé d'être le
"gredin de Sicile" vomi par les pamphlets de la Fronde. Après le Mazarin de
Pierre Goubert, publié en 1990, il n'était donc pas inutile de revenir à cet Italien
mal-aimé des Français.
Élevé au pouvoir par Richelieu, Mazarin en demeura l'admirateur sincère, mais
n'imita point son style de gouvernement. Quelle différence de l'un à l'autre ! Avec
sa verve coutumière, Retz a bien résumé le contraste des deux ministres : "L'on
voyait sur les degrés du trône, d'où l'âpre et redoutable Richelieu avait foudroyé
plutôt que gouverné les humains, un successeur doux, bénin, qui ne voulait rien,
qui était au désespoir que sa dignité de cardinal ne lui permettait pas de s'humilier
autant qu'il l'aurait voulu devant tout le monde, qui marchait dans les rues avec
deux petits laquais derrière son carrosse".
Vient la Fronde. Mme Claude Dulong nous montre un Mazarin moins habile
qu'on le croyait et qu'on le croit encore. Elle s'attache particulièrement au "couple
inattendu" formé par Mazarin et Anne d'Autriche pendant ces années difficiles.
Malgré d'infinis obstacles ou grâce à eux, leur amour peu commun semble croître
avec les années. L'expression en est précieuse chez le cardinal, passionnée chez la
reine, autant qu'on en puisse juger par les lettres d'affaires et d'amour conservées,
parsemées de signes cryptiques et de phrases romanesques, que Mme Dulong met
sous nos yeux.
En dépit de la charge de l'auteur contre la "nouvelle histoire", elle nous donne là
une source extraordinaire pour l'histoire des mentalités. Trop souvent, les
correspondances et écrits intimes des hauts personnages sont dédaignés par les
chercheurs spécialisés dans cette partie. On regrettera d'ailleurs que, fidèle à
l'historiographie traditionnelle, l'auteur ne se risque pas sur ce terrain, laissant au
lecteur le soin de pousser ses propres observations psychologiques. La provende
est pourtant fort riche et fort instructive. Ainsi voit-on Mazarin avouer, sur son lit
de mort, qu'il n'avait auparavant "jamais entendu la messe suivant les véritables
intentions de l'Église"... Nous voilà bien loin du siècle des saints !
La moindre surprise de l'ouvrage n'est pas de découvrir un Mazarin peut estimé
de ceux qu'il cotoie le plus près et auxquels il a rendu les plus signalés services.
Colbert, sa créature, qu'il place au sommet de l'État, le méprise pourtant
cordialement : "il est encore pis qu'il n'était, écrit le futur ministre de son patron ;
il ne pensait jamais au lendemain : mais à présent il ne pense pas du matin à midi
et raisonne toujours sur de faux fondements".
Pour le roi, les choses sont plus complexes. Les relations entre le ministre et son
souverain sont celles de maître à écolier. Le cardinal suit avec attention et
affection les progrès du jeune Louis XIV dans l'art de régner, et le P. Paulin lui
rapporte avec gourmandise que "le roi croît en sagesse et en dissimulation". Mais
le ministre fait parfois la leçon assez rudement à son pupille. Quand le roi se
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refuse à rompre avec Marie Mancini et lui assure que sa passion est irrépressible,
Mazarin lui rétorque : "C'est proprement parler pour ne rien dire". On peut
imaginer quelle blessure cette réponse fut pour l'orgueil du futur roi-soleil !
Plus tard, Louis XIV se souvenant de Mazarin, louera, "un ministre rétabli malgré
tant de factions, très habile, très adroit, qui m'aimait et que j'aimais, qui m'avait
rendu de grands services, mais dont les pensées et les manières étaient
naturellement très différentes des miennes". Sans doute le roi-soleil ne pardonnait
pas à son mentor ses airs de polichinelle, si éloignés de l'aisance marmoréenne
dont le monarque fit un des plus efficaces instruments de son règne.
Il est vrai que le cardinal n'affectionne guère les poses héroïques et la fermeté
d'âme chères à son époque. C'est la scène fameuse, rapportée par Brienne où
Mazarin, près de mourir, arpente sa galerie : "Hélas, il faut quitter tout cela (...)
Adieu, chers tableaux. Je ne les verrai plus où je vais".
Spécialiste des finances et de la diplomatie au XVIIe siècle, Mme Dulong avait
plusieurs titres à donner un Mazarin. Objet principal de ses recherches, la fortune
mal acquise du cardinal n'a plus de secret pour elle. Elle a donné sur ce sujet un
livre et plusieurs articles, dont les conclusions sont résumées à la fin de la
biographie. Épouse d'un ancien ministre du général de Gaulle, elle a eu aussi cette
chance, trop rare pour les historiens, de parcourir les allées du pouvoir. Les
"gaullologues" reconnaîtront d'ailleurs ici la plume alerte et l'ironie de l'auteur de
la Vie quotidienne à l'Élysée au temps du président de Gaulle.
D'une indifférence impériale à l'égard des questionnements nouveaux sur l'art
biographique, Mme Dulong, tout en campant le Mazarin intime, l'homme de
trafics et d'intrigues, peint le serviteur de l'État pénétré de la grandeur de sa tâche,
qui écrit, d'un ton très gaullien : "pour porter les affaires de la France au plus haut
point qu'elles aient été, une seule chose est nécessaire: que les Français soient
pour la France". C'est donc en son genre une réussite que ce Mazarin qui atteint le
rare bonheur d'attraper la ressemblance du héros et d'être, comme lui, plein
d'esprit, de vie et d'italianità.
Aussi ne peut-on fermer ce livre sans repenser au parallèle de Richelieu et de
Mazarin. Rien ne le fait mieux sentir que la distance qui sépare les tombeaux des
deux cardinaux-ministres. Sur le premier, ouvrage de Girardon, un Richelieu
surhumain s'offre avec assurance au jugement du Ciel. Avec le second, au
contraire, Coysevox montre un Mazarin égaré dans le royaume des morts, l'oeil
plein d'inquiétude, humain, irrémédiablement humain. De cette humanité qui,
justement, nous le fait comprendre et aimer davantage peut-être que son superbe
et terrible devancier.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Mazarin présente les intérêts de la France
Jules Mazarin, de son vrai nom Giulio Mazarino (1602-1661), est un diplomate et
un homme politique d’origine italienne au service du pape puis des rois de
France. Il succède à Richelieu à la mort de celui-ci en 1642. Ce texte, rédigé en
1646 alors que la guerre face à l’Espagne a repris depuis trois ans, permet de
comprendre la politique extérieure du royaume de France au XVIIe siècle. Il
s’agit de briser l’encerclement de la France par les Habsbourg. La Catalogne,
dont il est question ici, fait l’objet d’une tentative d’échange avec les Pays-Bas
car Mazarin y voit l’occasion de renforcer les frontières du Nord-Est et le rôle de
Paris et de rivaliser avec l’Angleterre grâce à un accès plus important à la mer du
Nord. Hommes et territoires sont totalement assujettis aux seuls intérêts de la
couronne et non à des principes nationaux. Les échanges de territoires issus de
guerres ou des alliances entre les dynasties européennes sont nombreux et
entraînent tensions et conflits.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
57
HM – Vauban
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
2007 Année Vauban
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
De Vauban, voici quelques ouvrages que l’on peut se procurer en librairie, récemment édités :
* Description géographique de l’élection de Vézelay, prés. J.-F. Pernot, Ass. des amis de la maison Vauban, 1986.
* Écrits divers sur la religion, texte de prés. J.-R. Armogathe, E. Larousse, J.-F. Pernot, Ass. des amis de la maison Vauban, 1992.
* La Dîme royale, prés. E. Le Roy Ladurie, Paris, Impr. nat., 1992, coll. : « Acteurs de l’Histoire » ; et prés. et commentée J.-M.
Daniel, Paris, L’Harmattan, 2004, coll. : « Finances publiques ».
* Mémoire pour le rappel des huguenots, Cause, 1985.
* Projet d’une dîme royale, prés. J.-F. Pernot, Ass. des amis de la maison Vauban, 1988 et Atenco, 1970.
* Nouveau traité de géométrie et fortification, Latour-Ollé, 2002, coll. : « Rediviva ».
* Lettres de Vauban (1633-1707), éd. G. Monsaingeon, Scala, 2006, coll. : « Mémoires illustrés ». (Il s’agit d’un choix d’environ
150 lettres).
Ouvrages généraux :
Anne Blanchard, Vauban, Fayard (1996) 2007, 686 pages (Biographie chronologique axée sur la carrière militaire de Vauban.
Une nouvelle édition, sans réel changement, est parue en 2007)
Michèle VIROL, Vauban : de la gloire du roi au service de l’État, Champ Vallon, (2003) 2007, coll. : « Époque » (Biographie
intellectuelle axée sur la pensée de Vauban, organisée de façon thématique. Complète utilement l'ouvrage d'Anne Blanchard).
Thierry Sarmant Martin Barros Nicole Salat, Vauban. L'intelligence du territoire, Ed. Nicolas Chaudun 2006, 175 pages
(L'œuvre de Vauban sous l'angle essentiellement architectural. Catégorie « beaux livres »)
Michel PARENT, Vauban : un encyclopédiste avant la lettre, Paris, Berger-Levrault, 1985, coll. : « Illustres inconnus ».
Bernard PUJO, Vauban, Paris, Albin Michel, 1991.
Daniel Halévy, Vauban, De Fallois, 2007 (Réimpression de l'édition de 1924)
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Cornette, Joël, « Vauban : soldat du roi et philosophe ». L'Histoire, 1994, février, n° 174, p. 28-36
Cornette, Joël, « Feuilleton : 2007, année Vauban : [feuilleton mensuel sur la vie et l'œuvre de Vauban]». L'Histoire, 2007,
Février, n° 317, « Le génie du grand siècle »
Mars, n° 318, « Coup de foudre royal »
Avril, n° 319, « Lille, la plus belle citadelle »
Mai, n° 320, « Les 13 jours de Maastricht »
Juin, n° 321, « La ceinture de fer »
Septembre, n°323, « Mont-Dauphin ou Le désert des Tartares »
Octobre, n° 324, « Le baptême du feu du Grand Dauphin »
Novembre, n° 325, « Des remèdes aux souffrances du royaumes »
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
En cette année 2007, Sebastien Le Prestre plus connu sous le nom de Vauban est
à l’honneur. On commémore en effet le tricentenaire de sa mort et la France a
choisi de présenter la candidature du réseau Vauban pour l’inscription au
patrimoine mondial de l’Unesco. Ce réseau regroupant 14 sites majeurs de
Vauban entend montrer son œuvre dans sa diversité, en mettant l’accent sur la
capacité de l’homme à s’adapter aux contraintes des lieux. Compte-rendu établi
par Jean-Pierre Costille, professeur d’histoire-géographie au lycée Jules Haag à
Besançon, responsable du domaine Patrimoine à l’Action culturelle de Besançon.
Autant dire que cette conjonction de raisons donne lieu à une production
éditoriale déjà très nombreuse et qui ne va faire que s’accélérer. Plusieurs
biographies existaient déjà sur le personnage, toutes datant de moins de vingt ans
: il y eut celle de Bernard Pujo, d’Anne Blanchard ou de Michèle Virol. Les deux
dernières se révèlent assez complémentaires car à une biographie classique et
chronologique (celle d’Anne Blanchard) s’ajoute un travail sur l’œuvre
intellectuelle de Vauban (Michèle Virol).
Pele-mêle, on pourra découvrir aussi cette année une sélection de la
correspondance de Vauban présentée par Guillaume Monsaingeon et cela ira
jusqu’à la consécration du personnage avec la publication de l’ensemble de ses
oeuvres baptisées « Oisivetés » et cela sous la direction de Michèle Virol à
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Dans l'imaginaire collectif, le nom de
Sébastien Le Prestre, seigneur, marquis de
Vauban (1633-1707), premier militaire du
Génie promu maréchal de France en 1703 trop tardivement à son goût au regard des
services qu'il estimait avoir rendus - reste
principalement attaché à la gloire militaire du
règne de Louis XIV, par les sièges victorieux
auquel il a participé et surtout l'empreinte
architecturale - ses fortifications - qu'il a
laissée aux frontières du pays.
Pourtant, Vauban n'est pas seulement
l'homme qui a conduit avec méthode et
succès l'ouverture de la tranchée dans près de
50 sièges. Il n'est pas seulement l'homme qui
a remodelé les murailles de plus d'une
centaine de forts et villes ou construit ex58
l’automne prochain.
Daniel Halévy n’y croyait pas : « L’édition nationale de ses écrits, jadis souvent
proposée, projetée, n’a jamais été qu’un rêve, et ce rêve même, nous ne le
formons plus. » Cette étrange formule est tirée de son livre "Vauban". Elle
s’explique par le fait que le livre de Daniel Halévy date de plus de quatre-vingt
ans ! On pourrait donc s’étonner de la republication de ce livre paru pour la
première fois en 1923. Ainsi, les sources utilisées sont moins fournies que dans
beaucoup d’ouvrages actuels sur Vauban. L’apport de Daniel Halévy est peut-être
ailleurs. Rappelons qu’il vécut de 1872 à 1936. Il fut historien et philosophe et
écrivit sur Péguy ou sur Degas..
La maison d’édition ne manque pas de couvrir son livre d’un élégant bandeau «
2007 année Vauban ». Avant de parler du fond, remarquons que pour le lecteur
non avisé, rien dans la quatrième de couverture ne lui indique qu’il s’agit d’une
réédition d’un livre vieux de plus de quatre vingt ans. Voilà pour la forme.
Le fond s’avère plus intéressant. En effet, on ne peut juger de la qualité d’un livre
uniquement par la date de son copyright. En un peu plus de 160 pages, Daniel
Halévy dresse un portrait de Vauban fort attachant. C’est peut-être là d’ailleurs la
force et la faiblesse de cet ouvrage car on sent une certaine empathie du
biographe pour l’homme. Cela donne lieu à d’élégantes formules et de beaux
morceaux écrits : « Vauban le maçon sent le plâtre et la terre. Il est toujours au
loin, dans la neige, dans la boue ; s’il ne combat pas, il construit, voyage et lève
des plans. Vauban s’est dévoué à son œuvre, il y a disparu. »
L’ouvrage est composé de six chapitres. Dans chacun, Daniel Halévy truffe son
propos d’extraits de lettres écrites par Vauban, nous donnant mieux à voir
l’homme, derrière la figure un peu monolithique du fortificateur. Tous ces
morceaux choisis agrémentent de façon très plaisante le livre. En effet, et là n’est
pas la moindre des qualités de cet ouvrage, l’auteur, dès 1923, dessine le portrait
d’un homme qui fut bien plus qu’un militaire. En cette année 2007 beaucoup
d’ouvrages insistent sur ses différentes facettes , mais beaucoup sont déjà
présentes dans ce livre. Notons cependant que le portrait offert ici de Vauban
s’apparente davantage à une peinture par petites touches, quasi impressionnistes.
L’ordre chronologique est respecté,mais là n’est pas la vraie articulation du livre.
Il vise davantage à présenter l’homme dans ses différentes facettes. on sent bien
que là n’est pas la principale préoccupation de l’auteur. Il évoque le Vauban
contestant la révocation de l’édit de Nantes en citant là encore des lettres
d’époque : « Que le Roi donc, tandis qu’il possède encore la plénitude de sa force
et se liberté, donne ce que demain on lui arrachera ; qu’il rappelle, qu’il rallie ces
sujets naguère fidèles ; qu’il rétablisse l’Edit de Nantes, qu’il restitue les temples,
annule les confiscations... »
Il évoque également le Vauban qui s’intéressa à l’impôt à travers son projet de
Dîme royale. Daniel Halévy insiste aussi sur combien l’homme fut de plus en
plus sensible au mieux être des troupes. Il met aussi en avant sa compassion : à
propos d’un soldat déserteur, voici ce qu’écrit Vauban : « C’est un misérable qui
a cinq ou six petits enfants qui meurent de faim, et qui me fait compassion. » et
Daniel Halévy d’ajouter : « Compassion : c’est un mot dont on n’use guère dans
les années, et qui peint l’homme. ». De la même façon il résume en quelques
formules le personnage : « Vauban n’a pas l’ame féodale, il est dévoué à l’Etat, il
aime le Roi en qui l’Etat s’incarne. »
Parfois, la marque de 1923 semble se dessiner dans le texte comme en filigrane :
« Qu’ont-ils enfin voulu ces grands serviteurs dont il est le dernier ? Une France
unie, dévouée, forte ; féconde en blé, en viande, en vin, nombreuse en ses
familles, généreuse en son peuple, glorieuse en ses chefs et retranchée contre ses
ennemis par les trois mers, les monts et le Rhin qui la couvrent. » N’y a t il pas là
une phrase qui sent les lendemains de guerre ? Et même si tel est le cas, peu
importe, car on sait bien que l’historien est toujours fils de son temps. De temps à
autre on sent que l’auteur s’aventure dans une histoire psychologique qui est
peut-être la contrepartie d’une certaine empathie pour l’homme qu’il présente.
Au final cet ouvrage n’est pas à situer sur le même plan que d‘autres biographies
qui paraitront ou reparaitront cette année. Il n’est pas non plus un éclairage sur un
angle de l’œuvre de Vauban comme il en en a surgi et en surgira encore en 2007.
Il nous permet peut-être, comme une fresque, de découvrir un personnage en son
siècle, le tout écrit avec un souffle certain. Il n’est nullement une somme, mais
peut-être finalement une introduction à , incitant le lecteur à aller plus loin.
L’ouvrage de Daniel Halévy montre déjà cet homme multiple qui n’attendait
pourtant « qu’un peu d’encens de la postérité ».
nihilo plus d'une trentaine de places (dont 9
villes neuves). Il ne s'est pas seulement limité
à l'art qui était le sien, l'architecture militaire,
pour s'intéresser à l'architecture civile
(aqueduc de Maintenon, ports et phares…),
l'urbanisme, l'hydraulique (remodelages de
canaux, comme le Canal du Midi)…
Parcourant plus de 2000 kilomètres par an
dans le cadre de ses fonctions de commissaire
général des fortifications, Vauban est sans
doute l'homme qui a connu le mieux son
pays. Et par là, sa réelle situation économique
et sociale, qu'il voyait se dégrader au fur et à
mesure de guerres qu'il finissait par juger
désastreuses. Loyal à son souverain, il n'en
n'était pas moins homme à exprimer ce qu'il
ressentait, ce qui pour lui était une façon de le
conseiller.
Dans l'art qui était le sien, attaquer et
défendre des villes, il n'eut comme unique
préoccupation que la santé et la vie des
soldats et ouvriers qui étaient sous ses ordres
- « la sueur épargne le sang », disait-il. De
même, il n'eut de cesse de vouloir plus de
bien-être et de richesse pour l'ensemble des
habitants du royaume. A partir des années
1690, sa plume se fit plus critique envers la
politique fiscale et militaire de Louis XIV,
réclamant beaucoup plus d'équité devant
l'impôt, prenant la défense des protestants
après la révocation de l'édit de Nantes,
regrettant l'acceptation de la succession
d'Espagne par Louis XIV, y voyant un piège
de ses ennemis et une nouvelle guerre
ruineuse à venir.
Vauban travailla dès lors sans relâche à
vouloir apporter des solutions aux maux du
royaume, dans des mémoires qu'il appela ses
« Oisivetés », réfléchissant sur tous les sujets
possibles - mais, dans sa pensée utilitariste,
tout est lié -, de l'élevage des cochons à la
fiscalité, en passant par les colonies
d'Amérique. C'est ainsi, par ex., qu'il fut le
précurseur du recensement de la population,
qu'il inventa la statistique, qu'il s'enquit d'une
bonne exploitation des forêts sur le long et
non le court terme, ou qu'il émit l'idée d'une
monnaie commune à l'ensemble des états de
la chrétienté en Europe. Voilà une vie bien
remplie pour « un homme qui n'avait pas
grand-chose à faire » - pour reprendre partie
du titre d'un de ces recueils où il rassemblait
ses réflexions !!!
En somme, lire Vauban, lire sur Vauban,
est un bon moyen d'approcher au plus juste et
au plus près le règne de Louis XIV. Puisse la
bibliographie - forcément sélective rassemblée ici vous aider à mieux
appréhender l'ensemble de l'œuvre et de la
pensée de cet homme empreint d'humanisme,
déjà porteur des valeurs des Lumières.
59
Anne Blanchard, Vauban, Fayard 2007, 686 pages
2007, année Vauban ? Si le nom est connu, si nombre de forteresses françaises
peuvent s’enorgueillir de cette sorte d’AOC militaire, l’architecte semble, lui,
écrasé par cette renommée. Qui connaît encore Vauban, au-delà du bâtisseur ?
Les amateurs d’histoire et de grande biographie disposent pourtant, avec
l’ouvrage d’Anne Blanchard - publié une première fois en 1996 et réédité pour
l’occasion – d’un travail de référence, biographie classique due à la plume d’une
spécialiste universitaire, professeur à l’université Paul Valéry, décédée depuis
lors. Entre histoire militaire et histoire des élites, la biographie de Vauban
s’inscrit dans ce courant historiographique qui s’intéresse aux élites techniciennes
de l’ancien régime et cherche, hors de Versailles, les voies d’une histoire de la
modernisation de l’Etat royal.
Car on ne saurait réduire Sébastien le Prestre, sieur de Vauban (1633-1717), au
seul architecte militaire révolutionnant la poliorcétique : figure de noble crotté en
quête d’ascension et de reconnaissance, de l’honnête homme industrieux, du
serviteur zélé de la monarchie louis-quatorzienne, Vauban trace un sillon depuis
son Morvan natal jusqu’au sommet de l’Etat, où ses talents, ses connaissances,
son habileté le désignent aux bons soins de la fortune. Certes, l’armée et la guerre
le révèlent : au service du pré carré et de sa défense, il démarre tout jeune une
carrière militaire en 1651, mais ce n’est qu’en 1655 qu’il accède à la charge
d’ingénieur, première marche jusqu’à la dignité de maréchal. Avec cette
biographie, on découvre déjà un tableau de l’histoire militaire de la France en
guerre sous le règne de Louis XIV, avec quelques gloires, comme Turenne ou
Louvois – protecteur encombrant de Vauban. Car Vauban est de toutes les
campagnes, et comme commissaire général aux fortifications, il lui incombe
autant de protéger le royaume que d’assiéger ses ennemis. C’est également un
précieux travail en histoire de l’Etat et de son administration, consacré à un corps
en devenir, celui du Génie - et à une fonction qui se développe, celle d’ingénieur
- et qui, bientôt, passe de la tutelle du ministère de la Guerre à une relative
autonomie au sein d’un département des fortifications.
Depuis la fin du moyen-âge et les guerres d’Italie, l’artillerie s’est imposée sur le
champ de bataille comme face aux villes, les fortifications ont évolué selon une
«trace italienne» qui suppose, tant du côté des défenseurs que des assiégeants, des
spécialistes rompus à la sape, la contre sape, l’édification de bastion… Devenu,
très officieusement, «chef des ingénieurs» du royaume, Vauban forme des
ingénieurs, parcourt le royaume, consolide les places fortes et sa position sociale.
Evoluant au sein des réseaux aristocratiques, il mène de front son ascension dans
les honneurs, via mariage, parentèles… et sa carrière professionnelle dans une
époque fertile en conflits, au service d’un roi guerrier.
Mais comme serviteur de l’Etat monarchique, l’homme sait mettre également son
esprit pratique au service du nerf de la guerre, cet argent qui fait constamment
défaut au monarque comme à ses grands commis (les fortifications coûtent fort
cher…) : c’est le projet de dixme royale, pour le soulagement des peuples et des
dettes, mémoire achevé dès 1700, publié en 1706… et censuré dès 1707.
Réformateur (il rédige nombre de mémoires, plutôt techniques, consacrés à la
gestion des forêts, à la circulation fluviale…), Vauban se heurte, comme tant
d’autres, à l’inertie de l’Etat. Nul n’est prophète hors de son domaine. Mais il est
intéressant d’évaluer, en ce domaine comme dans le domaine militaire, les freins
qui bloquent, par endroit, le char de l’Etat et le font verser.
L’ouvrage est d’une facture classique, universitaire et incontestablement efficace
: un style sobre au service d’une érudition impeccable, un appareil de notes, une
bibliographie et des sources, un index, des cartes et quelques documents annexes
– les «preuves» dit-on parfois – témoignent de la solidité d’une biographie très
réussie, celle d’un commis de l’Etat qui sillona plus souvent les chemins du
royaume que les couloirs des palais. C’est donc avec confiance qu’il faut se
laisser guider par Anne Blanchard dans ce destin : le plan déroule
chronologiquement le cours d’une existence riche et heurtée, de l’enfance à la
vieillesse, existence scandée par les guerres et les grades, avec, en toile de fond,
ce «Grand siècle» qui ne se reflète pas, cette fois, dans les glaces de Versailles,
mais plutôt dans le tumulte de la guerre.
60
Thierry Sarmant Martin Barros Nicole Salat, Vauban. L'intelligence du
territoire, Ed. Nicolas Chaudun 2006, 175 pages
Trois auteurs, trois spécialistes, livrent un Vauban sous-titré l’intelligence du
territoire. Nicole Salat, historienne et archiviste de l’arme du génie, scrute le
Vauban architecte. Martin Barros, historien des fortifications, dévoile le Vauban
maître de la poliorcétique. Thierry Sarmant, conservateur du patrimoine et
historien du Grand Siècle, étudie le Vauban administrateur, le Vauban politique
et le Vauban de la légende. En cinq chapitres («Vauban dans la monarchie du
Grand Siècle» ; «Le preneur de villes» ; «La ceinture de fer» ; «De l’ingénieur au
politique» et «L’invention du grand homme»), cette biographie se veut neuve
dans son appréhension du personnage. Et sans attendre, disons le, cet essai est
une réussite.
Loin d’ériger un nouveau monument à la gloire du grand homme, les auteurs ont
pour but de montrer Vauban dans son monde et dans son temps, au travail et avec
ses chefs, ses collaborateurs, ses secrétaires, ses plans et ses papiers. Le célèbre
ingénieur ne s’est pas fait tous seul, il a servi un roi, une administration, une
politique. Ce «Vauban au travail» vient compléter les quelques ouvrages qui,
depuis une dizaine d’années, ont renouvelé son historiographie scientifiquement
et ont tordu le coup à la légende. L’œuvre, les correspondances, les écrits et les
plans de Sébastien Le Prestre sont le socle de l’étude, qui, par ailleurs, ne néglige
pas les écrits de Louis XIV, de Colbert et de Louvois.
Si peu de choses sont connues de l’enfance de Sébastien Le Prestre de Vauban,
ses carrières de militaire, d’ingénieur et d’écrivain ont constitué une masse
d’archives, fruit d’un homme qui, sans clientèle et sans argent, a fait carrière dans
l’Etat monarchique. Baptisé en 1633, le jeune Vauban entra en 1651 comme
cadet dans le régiment d’infanterie du prince de Condé, chef du parti frondeur.
Comme beaucoup de Bourguignons de sa génération, Vauban fut en enfant de la
Fronde. Ses compétences techniques furent utilisées par ses chefs. Ils le
chargèrent de réparation d’ouvrages, puis en 1652 il fut envoyé au siège de SaintMénehould. En 1653, il rallia les royaux et au côté du chevalier de Clerville,
ingénieur du roi, il assiégea à nouveau Saint-Ménéhould, mais cette fois-ci pour
le roi. Après la capitulation de la place, Vauban fut nommé lieutenant au
régiment de Bourgogne appelé aussi «régiment des repentis». Placé à la suite de
Clerville, il participa les années suivantes à pas moins de six sièges. Nommé
capitaine, puis ingénieur ordinaire en 1655, ses responsabilités s’accrurent et il
conduisit lui-même trois sièges lors de la guerre contre l’Espagne en 1658. La
paix signée, Sébastien Le Prestre resta au service de Clerville qui fut nommé
commissaire général des fortifications en 1659. Vauban, homme de la génération
du roi Louis, de Louvois, de Le Peletier de Souzy et d’autres grands commis, fut
d’abord employé en Lorraine, puis en Alsace pour diriger des travaux, où il fut
certes remarqué comme bon ingénieur sans néanmoins apparaître comme le
meilleur.
Le tournant de sa carrière date de 1667 lors de la guerre de Dévolution. Reconnu
pour sa bravoure, il reçut une lieutenance au régiment des gardes françaises. De
cette époque date sa rencontre décisive avec François-Michel le Tellier, marquis
de Louvois, jeune secrétaire d’État de la Guerre. Ce dernier préféra le projet de
Vauban à celui de Clerville, membre de la clientèle des Colbert, pour la nouvelle
citadelle de Lille. L’année 1667 vit donc Sébastien Le Prestre entrer dans la
clientèle de Louvois. Nommé en 1668 gouverneur de la citadelle, nouvelle étape
de son ascension, Vauban devint le conseiller privilégié de Louvois pour tout ce
qui concernait la fortification. Il lui fut complètement soumis aux volontés du
secrétaire d’État de la Guerre. Cependant, la franchise était de mise entre les deux
hommes, comme le montre toute leur correspondance, largement exploitée ici.
C’est durant la guerre de Hollande, au siège de Maëstricht de juin 1673, que
Vauban gagna une reconnaissance européenne. La prise de Maëstricht en treize
jours apporta à l’ingénieur célébrité et fortune. Les sièges qui suivirent assirent
cette gloire, à tel point que Colbert et Seignelay lui donnèrent pratiquement la
même position dans leur département de la Marine que celle qu’il tenait dans le
département de la Guerre. En 1674, ce «meilleur ingénieur de ce tems» accédait
au grade de brigadier d’infanterie, en 1676 devenait maréchal de camp et en 1678
succédait à Clerville dans la charge de commissaire général des fortifications.
Quand s’acheva la guerre de Hollande, Vauban avait acquis un droit de regard sur
toutes les fortifications du royaume. Durant dix années, il entreprit des travaux
sur toutes les frontières du territoire et acquit un ascendant sur tous les ingénieurs
du royaume. A côté de ces travaux techniques, Vauban donna à Louvois dès 1673
61
des avis intéressant la politique générale, ne s’attirant pas toujours les bonnes
grâces de son protecteur. Dans ces écrits, Vauban traita entre autres de haute
stratégie, de la défense de Paris, des huguenots, de la bonne administration, de la
fiscalité… En 1688, à l’approche d’un conflit européen, il fut nommé lieutenant
général des armées du roi. La guerre de siège reprit et à nouveau Sébastien Le
Prestre se distingua. En 1690, à la mort de Seignelay, Louvois devint le seul
maître des fortifications du royaume et Vauban le confident indispensable. Mais
le 16 juillet 1691, Louvois mourut, laissant le précieux conseiller et le meilleur
ingénieur sans relais pour être écouté du roi.
Vauban ne trouva pas la même connivence avec ses successeurs. Quelques jours
après la mort de Louvois, le roi détacha les fortifications du département de la
Guerre et créa un département des Fortifications à la tête duquel il plaça Michel
Le Peletier de Souzy, avec le titre de directeur. Si la collaboration du directeur
des fortifications et du commissaire général fut sans heurt, elle n’attint jamais
celle de Vauban avec Louvois. L’administrateur réussit néanmoins à amadouer le
technicien et leurs rapports furent toujours cordiaux. Il n’en fut pas de même
entre Vauban et le nouveau secrétaire d’État de la Guerre, Barbezieux, fils de
Louvois, qui conservait dans ses prérogatives le contrôle des opérations
militaires. Ainsi Vauban s’éloigna de la famille Le Tellier pour nouer de liens
avec d’autres grandes familles ministérielles, et en particulier les Pontchartrain.
Louis Phélypeaux de Pontchartrain, contrôleur général des Finances en 1689,
succéda à Seignelay comme secrétaire d’Etat de la Maison du roi et de la Marine.
Même si il avait perdu ses prérogatives en matière de fortifications des places
maritimes, Pontchartrain ne pouvait s’en désintéresser complètement. C’est ainsi
qu’il correspondit avec Vauban à sujet. Par la suite, il envoya son fils auprès du
commissaire général pour le former. Le lien fort qui s’établit entre le père et le
fils d’un côté et Vauban de l’autre ne se démenti jamais et ce jusqu’à la mort de
ce dernier. A la mort de Barbezieux en 1701, Michel Chamillart devint à son tour
secrétaire d’État de la Guerre. Ses rapports avec Vauban furent plus chaleureux
que ceux de son devancier.
De 1691 à 1707, année de sa mort, Vauban continua ses activités de guerrier et de
bâtisseur. En 1694, il reçut pour la première fois le commandement militaire de
troupes de manœuvre, celles de Basse-Bretagne, et avec elles repoussa un
débarquement anglais à Camaret. En 1697, il redevint ingénieur de tranchée.
Dans le même temps il continua à bâtir. Dans les années 1690, la position de
Vauban dans la société et dans l’État s’était considérablement élevée. Fait grandcroix de l’ordre de Saint Louis en 1693, membre de l’Académie des sciences en
1699, maréchal de France en 1703 et chevalier de l’ordre du Saint-Esprit en 1705,
il obtint tous les honneurs. Et depuis 1691, il correspondait directement avec le
roi. Il était conseiller du prince, mais un conseiller parmi d’autres. Sa voix
n’avait-elle pas plus de poids lorsqu’elle était l’écho de celle de son maître
Louvois ? Les auteurs de l’ouvrage le soulignent. Si certains avis furent mal
reçus, d’autres, notamment, malgré la légende, ceux en matière fiscale reçurent
un bon accueil du roi.
Cet ouvrage déroule donc sous nos yeux la carrière exceptionnelle de Vauban.
Bien sûr, la technicité de ses fonctions fut un frein à sa nomination comme
maréchal de France, qu’il obtint tardivement, mais elle fut aussi essentielle à la
formation du philosophe et du conseiller qu’il devint. Agrémenté d’illustration de
plans et d’élévations souvent inédits, doté d’un glossaire technique, d’une
chronologie de l’homme et de sa légende, d’un état des sources ainsi que d’un
état des sièges où l’ingénieur fut présent, Vauban : l’intelligence du territoire
marquera sans nul doute l’historiographie du grand homme par l’approche qui y
est faite de sa carrière. Derrière la légende il y avait un ingénieur au travail,
derrière le mythe il y a un technicien rigoureux devenu un penseur insatiable. On
regrettera l’absence de notes de bas de pages… mais beau livre oblige !
62
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
On connaît Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707) pour ses très nombreux
travaux de fortifications. On lui doit la création ou l’élargissement de plus de 160
forteresses et l’invention d’un véritable système de défense et d’architecture qui
porte son nom. Entré au service du roi dès l’âge de 20 ans, il connaît une
remarquable carrière qui le conduit à la fonction de maréchal de France.
Cependant, Vauban a aussi été un homme de réflexion sur la société de son
temps. Il s’est intéressé à la démographie et à la prévision économique. En 1689,
il rédige un Mémoire sur le rappel des Huguenots exhortant Louis XIV à revenir
sur la révocation de l’édit de Nantes. Vauban s’est également préoccupé de la
réforme des impôts, en publiant un ouvrage intitulé La Dîme royale (1707). Il y
propose de remplacer les impôts existants par un impôt unique de 10 % sur tous
les revenus, sans exemption pour les ordres privilégiés. Cette activité est la
principale cause de sa disgrâce.
Les difficultés des Français à la fin du règne de Louis XIV
Le classement que Vauban propose de la société est fondé sur la richesse et
l’aisance de différents groupes sociaux. Ainsi, il met la noblesse, le clergé et la
bourgeoisie dans la même catégorie (aisée). Le constat de Vauban quant à l’état
général de la population est très sombre puisque, selon lui, 9/10e de la société
française connaît de graves difficultés de subsistances. Cette situation doit être
mise en relation avec l’état du royaume à la fi n du règne de Louis XIV. Les
nombreuses années de guerre, la forte pression fiscale mais aussi le train de vie
de l’État sont responsables de l’appauvrissement général du royaume.
Sébastien Le Prestre de Vauban
Saint-Léger de Foucheret [auj. Saint-Léger-Vauban (Yonne)], 15 mai 1633 –
Paris, 30 mars 1707
Ingénieur militaire et homme intègre, Commissaire général aux Fortifications,
Maréchal de France, il a présidé à la construction de plus de 130 places fortes ou
villes fortifiées. Curieux de tout, ses « oisivetés » sont des mémoires aux vues
souvent prospectives quant à l’économie, l’agriculture, aux voies de
communications, etc.
Il est mort il y a trois cents ans, à la fin du règne de Louis XIV. Il est célèbre : on
ne compte pas les places, les rues, les avenues, les lycées qui portent son nom.
Dans l’esprit du public, il apparaît avant tout comme un bâtisseur. Si on distingue
les remparts du Moyen Âge des architectures bastionnées, toutes les architectures
militaires de défense du XVIe siècle au XIXe siècle lui sont attribuées.
DEBUTS DE VAUBAN
Voici comme il se présente lui-même à la fin de sa vie : « Mon nom est Sébastien
Le Prestre, chevalier, seigneur de Vauban, qui est une maison de noblesse du
Nivernais, dans lequel est située la petite seigneurie de Vauban appartenant à
cette famille depuis deux cents ans et plus. Il a commencé à servir dès l’année
1651, âgé de dix-sept ans. Il a été assez heureux pour continuer depuis ce tempslà jusqu’à aujourd’hui sans aucune interruption et sans avoir été une seule année,
soit en paix soit en guerre, qu’il n’ait été employé utilement hiver comme été ».
Morvandiau de naissance, il restera très attaché à sa terre natale. Il y passera ses
premières années. Par la suite, ce sera avant tout un voyageur. La plus grande
partie de son existence, il la passera à sillonner le royaume d’un siège à l’autre,
d‘une place à l’autre, restant parfois plusieurs années sans pouvoir revenir voir
son épouse, ses deux filles et le château de Bazoches qu’il a acquis. Il est de
petite noblesse. Par sa naissance, il ne fait pas partie des grands du royaume. Bien
vite, on décèlera chez lui des capacités exceptionnelles. Mais, pour franchir les
étapes de la carrière militaire jusqu’au sommet, il lui faudra attendre plus que
d’autres, qui n’avaient ni son talent ni son mérite.
INGENIEUR MILITAIRE
Il est ingénieur militaire. Son activité est double : en été, il participe, voire dirige,
des sièges ; c’est l’attaquant, le preneur de places qui n’a pas son égal pour
analyser le terrain, les faiblesses des défenses adverses et qui met au point, avec
les tranchées parallèles, un système efficace pour obtenir la chute de la place au
moindre coût humain. Tandis que la campagne d’été terminée les militaires vont
63
se reposer, Vauban va être occupé tout l’hiver à concevoir, diriger et contrôler les
travaux de fortifications ; c’est le défenseur qui est d’autant plus savant pour
améliorer les systèmes de défense qu’il connaît parfaitement les défauts qui ont
permis de faire céder l’adversaire. Intelligence des lieux, pragmatisme (certes on
a parlé de ses systèmes, mais Vauban n’a pas l’esprit de système, il s’adapte au
terrain. Au fil des ans et de l’expérience, il améliore ses méthodes), bravoure sans
témérité (l’ingénieur militaire est à cette époque très exposé dans le combat et
Vauban sera blessé à plusieurs reprises), indépendance d’esprit. Avant tout, il se
montre humain dans la préparation et la conduite des campagnes militaires avec
le souci permanent d’économiser le sang des troupes.
HOMME POLITIQUE
Serviteur fidèle, il respecte l’autorité mais il sait que le grand commis n’est pas
celui qui attend et applique des instructions mais qui suggère, propose, défend ses
idées parfois âprement et applique loyalement les décisions lorsqu’elles sont
prises. Heureux lorsqu’il a su convaincre. Il est aussi un homme intègre. Sans
cesse en contact avec des entrepreneurs sur des chantiers, il défend les seuls
intérêts de l’État. Il pourra écrire : « La Fortune m’a fait naître le plus pauvre
gentilhomme de France ; mais en récompense elle m’a honoré d’un cœur sincère,
si exempt de toutes friponneries qu’il n’en peut même souffrir l’imagination sans
horreur ». Vauban, c’est aussi un homme curieux de tout. Au cours de ses longs
périples, il observe la société, il réfléchit. Au risque de déplaire, il n’hésitera pas à
faire connaître ses désaccords sur la révocation de l’édit de Nantes, il appellera
l’attention du Roi sur la misère du peuple et proposera des solutions pour
améliorer et rendre plus équitable la recette fiscale.
L’INTELLECTUEL
Il est à l’origine de multiples inventions dans les domaines civil et militaire et
peut traiter de sujets aussi divers que la démographie, l’économie,
l’horticulture… De ce qu’il appellera avec humour « ses oisivetés », douze
volumes de mémoires sur les sujets les plus divers, qui en font un précurseur des
Encyclopédistes (Michel Parent), il écrira « mes oisivetés, un ramas de plusieurs
mémoires sur des sujets divers… Pensées d’un homme qui n’avait pas grandchose à faire ». Cette année 2007 sera l’occasion de multiples célébrations, pour
la plupart coordonnées par la très dynamique association Vauban. Elle sera aussi,
on l’espère, celle d’une étape décisive dans l’avancement du dossier de
classement des principaux sites Vauban au titre du patrimoine mondial de
l’humanité de l’UNESCO.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
64
HM – Versailles
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Le palais de Versailles fut l’instrument de la grandeur du prince. Il constitue le
livre d’images de l’absolutisme et son plus spectaculaire fondement.
Selon un mot de la princesse Palatine : « il n’y a pas un endroit à Versailles qui
n’ait été modifié dix fois », c’est avec prudence, et nuances, qu’il convient
d’aborder cet espace saturé de signes. Mieux vaudrait dire, en effet, « les
Versailles » pour qualifier ce lieu en perpétuelle métamorphose. Les étapes, les
transformations, les retournements, les repentirs de ce royal chantier traduisent
les évolutions, les affrontements esthétiques et quelques-uns des enjeux politiques
qui ont marqué le Grand Siècle.
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
SABATIER Gérard, Versailles ou la Figure du roi, Paris : Albin Michel, 1999.
TIBERGHIEN Frédéric, Versailles, le chantier de Louis XIV, 1662-1715, Perrin, 2002.
BEURTHERET Vincent, Symbolique de Versailles : à la lumière des jardins, Paris : Huitième jour, 2002.
CORNETTE Joël, Versailles, le palais du roi Louis XIV, Paris : Sélection du Reader's Digest, 1999.
GARRIGUES Dominique, Jardins et jardiniers de Versailles au Grand siècle, Seyssel : Champ Vallon, 2001.
BARIDON Michel ; LEROUX Jean-Baptiste, Jardins de Versailles, Arles : Actes Sud, 2001.
LABLAUDE Pierre-André, Les Jardins de Versailles, Paris : Scala, 1998.
BOUCHENOT-DÉCHIN Patricia, Henry Dupuis, jardinier de Louis XIV, Paris : Perrin Versailles : Château de Versailles, 2001,
(Collection coll. « Les métiers de Versailles »).
BAJOU Thierry, La Peinture à Versailles, XVIIe siècle, Paris : Buchet-Chastel/RMN, 1999.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Versailles : Le pouvoir et la pierre / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, supplément trimestriel de la revue
"L'Histoire", N° 2, juillet 1998
Louis XIV et Versailles, TDC, N° 850 du 15 au 28 février 2003 (et 1995)
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Versailles, le pouvoir de la pierre, présenté par Joël Cornette, éditions Tallandier.
Voilà bienvenue une compilation d’articles, parus dans la revue l’Histoire, qui
sont consacrés à Versailles. Mais dans cet ouvrage en 4 parties, présenté par
l’éminent spécialiste de la période qu’est Joël Cornette, la dernière est composée
d’inédits dont le propos est de montrer la puissance du modèle versaillais. Dans
un avant-propos, J.Cornette rappelle que Versailles fut conçu afin d’exprimer la
puissance du roi, Louis XIV en l’occurrence.
La première partie s’intéresse à un château dont J.Cornette rappelle qu’il fut
voulu comme un manifeste de pierre glorifiant le roi absolu ; il décrit ainsi le
grand appartement dont le programme iconographique, fait d’images de divinités
et de héros antiques, dessinait le portrait d’un roi parfait donc du "plus grand roi
du monde". Mais avant Versailles, le roi de France, comme le souligne Philippe
Hamon, n’avait pas une résidence fixe jusqu’à ce que Louis XIV, désireux de
s’éloigner de Paris, choisisse le pavillon de chasse construit par Louis XIII. Ce
départ de Louis XIV n’est pas sans rappeler celui de Philippe II d’Espagne
quittant l’Alcazar de Madrid pour faire édifier l’Escorial ; toutefois Joseph Perez
identifie deux différences notables entre ces deux souverains : l’un construisit
pour la gloire de Dieu, l’autre pour la sienne et l’Escorial ne devint jamais le
centre du royaume d’Espagne, contrairement à Versailles. Sur le temps long des
transformations apportées par Louis XIV à Versailles, Vaux-le-vicomte, le joyau
de Fouquet, retentit chez le roi comme un défi, un aiguillon, un modèle. C’est
pour cette raison, et Jean-Christian Petitfils le signale bien, qu’après la disgrâce
de Fouquet, les réalisateurs de Vaux-le-vicomte furent embauchés pour le
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4e actuel : « La monarchie absolue en
France (3 à 4 heures)
L’étude de la monarchie française permet de
montrer comment le principe du droit divin
légué par la tradition se combine avec la
création de structures étatiques modernes.
Parallèlement est rappelé le principe de
l’organisation de la société en trois ordres.
• Documents : Versailles »
BO 5e futur :
« L’ÉMERGENCE DU « ROI ABSOLU »
La monarchie française subit une éclipse dans
le contexte des conflits religieux du XVIe
siècle, à l’issue desquels l’État royal
finit par s’affirmer comme seul capable
d’imposer la paix civile (1598).
Les rois revendiquent alors un « pouvoir
absolu » qui atteint son apogée avec Louis
XIV et se met en scène à Versailles.
L’étude qui est conduite à partir d’exemples
au choix :
- de la vie et l’action d’un souverain
- d’un événement significatif
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chantier versaillais. C’est ainsi que Le Nôtre réalisa ce qui reste considéré comme
Le jardin à la française qui a pour caractéristiques essentielles : son aspect
géométrique mais ponctué de « surprises » (fontaines), sa subordination aux
bâtiments du château. Tout cela fit de Versailles, et ce avant le décès de Louis
XIV, un modèle imité, en Espagne comme en Russie, mais Etienne François
insiste sur ce point : pas une imitation stricte mais associée à d’autres influences.
Cette partie est conclue par Dominique Poulot pour qui Versailles est un lieu de
mémoire car il donne une image homogène de la monarchie d’Ancien Régime.
Dans la seconde partie, le roi est, pour contredire une affirmation de Ponce Ludon
de Malavoie, un "sujet"... d’étude. Joël Cornette revient sur la phase
d’apprentissage du métier de roi dans laquelle l’aspect militaire est primordial,
primauté relevée dans les nombreux traités d’éducation destinés aux princes. Les
deux articles suivants présentent des personnages proches du roi : Marie du bois,
un de ses valets de chambre qui a laissé des mémoires très intéressantes
concernant le quotidien du roi puisque cet office lui permettait d’avoir accès au
monarque tous les jours ; dans l’autre, Guy Chaussinand-Nogaret mentionne
l’absence de toute représentation de la famille royale à Versailles car le roi ne
peut partager sa puissance et la reine n’a qu’un rôle : perpétuer la dynastie. Elle
partage, de plus, les attentions royales avec une ou plusieurs favorites publiques
dont les enfants se verront reconnaître par Louis XIV la possibilité de lui
succéder. D’autant plus proche du roi que les finances vont devenir une des
préoccupations majeures du règne, Colbert, dont l’ascension irrésistible pour
André Zysberg, ne fut pas celle d’un personnage de modeste extraction mais celle
d’un homme issu d’une famille de riches marchands-boutiquiers et qui eut la
volonté d’accumuler un maximum de richesses pour lui comme pour sa famille.
Les énormes besoins d’argent de la monarchie peuvent expliquer l’importance
qu’il prit ainsi que celle de ses successeurs : face à une monarchie aux abois
financièrement, il fallut avoir recours aux impôts mais aussi aux avances que les
Grands lui accordèrent pour financer les guerres causes d’un déficit structurel
jamais épongé jusqu’en 1789. Ces problèmes financiers hantèrent, d’après
François Lebrun, Louis XIV lors de ses derniers jours qui le virent s’inquiéter de
l’état dans lequel il laissait le royaume à un dauphin de 5 ans.
Le château de Versailles et la cour sous Louis
XIV, et une œuvre littéraire ou artistique de
son règne au choix sont étudiés pour donner
quelques images du « roi absolu » et de son
rôle dans l’État.
Connaître et utiliser les repères suivants
− L’Édit de Nantes, 1598
− L’évolution des limites du royaume, du
début du XVIe siècle à 1715
− 1661-1715 : le règne personnel de Louis
XIV
Raconter une journée de Louis XIV à
Versailles révélatrice du pouvoir du roi »
La cour, dans la troisième partie, et ses dessous, sont dévoilés à partir d’optiques
variés. Les mémoires de Saint Simon et de Louis Nicolas le Tonnelier, baron de
Breteuil, introducteur des ambassadeurs et princes étrangers, permettent
d’appréhender et sous différentes facettes le système curial : chez le premier, E.
Le Roy Ladurie identifie comme essentiel les hiérarchies au sein de la cour ; pour
le second, c’est l’étiquette, comme instrument de pouvoir, qui est capitale.
Ensuite, Frédéric Garrigues et Philippe Gillet mettent en avant les aspects
alimentaires du phénomène versaillais. F.Garrigues rappelle d’abord qu’il y avait
des milliers de personnes à nourrir quotidiennement au château et que pour cela,
il a fallu une « administration » qui passait des contrats avec des marchands sur
plusieurs années. Pour ceux-ci, l’affaire n’était rentable qu’à condition que le roi
paie en retard et avec intérêts. Ce roi dont le repas était entouré d’un cérémonial
particulier et précis affirmant le caractère sacré de sa fonction mais dont les
menus versaillais étaient plutôt monotones même si Philippe Gillet note une
évolution culinaire : fin des cuisines très épicée, importance donnée à la fraîcheur
des aliments et à la juste cuisson.
La dernière partie intitulée, Versailles, le chantier de l’historien, est entièrement
inédite. Elle permet à Joël Cornette de revenir sur certains points essentiels :
La force d’attraction du modèle versaillais, ce jusqu’à Washington dont les
avenues convergent vers le Capitole comme celles qui se rejoignent au château de
Versailles.
Les sources et notamment les plus importantes : Saint Simon dont J.Cornette
relève la fascination pour Versailles, Louis XIV lui-même dans « Mémoires pour
l’instruction du dauphin ».Vient ensuite, toute une série de contemporains : des
très connus comme La Fontaine qui donne une description de la grotte de Thétis
détruite en 1684 à d’autres moins : Félibien, historiographe du roi et de ses
bâtiments qui confirment une certaine programmation des travaux à Versailles.
Enfin, à signaler, Jules Guiffrey qui, fin XIXème, évaluer le coût des travaux à
Versailles à 82 millions de livres de 1661 à 1715.
Enfin, un retour sur la masse bibliographique disponible et un accent mis sur le
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renouvellement des problématiques. J.Cornette rappelle que la rencontre entre
Versailles et les historiens fut tardive, le château n’intéressait pas ; il note que
dans les deux dernières synthèses consacrées à Louis XIV, peu de pages sont
consacrées par exemple au programme iconographique de Le Brun. Toutefois,
depuis une dizaine d’années, il y a eu une multiplication des travaux sur
Versailles. Gérard Sabatier dans son « Versailles ou la figure du roi » présente le
château comme le centre décisionnel de l’état absolu, un instrument de
gouvernement. Avec « Versailles, le chantier de Louis XIV », Frédéric
Tiberghien présente le château comme le plus grand chantier de l’Europe du
XVIIème, exceptionnel par son coût, le nombre d’ouvriers mais ordinaire par les
techniques utilisées. D’autres historiens ont insisté sur les habitants de Versailles
(les valets du roi avec Mathieu da Vinha), l’occupation du château avec William
Richtey Newton reconstituant l’occupation de tous les logements permettant
d’identifier des hiérarchies. Enfin J.Cornette signale deux études tendant à
relativiser la puissance de Versailles : celle de Marc Fumaroli décrivant La
Fontaine comme un résistant, un de ces princes de l’esprit qui tel Pascal,
écrivirent loin de la cour ; celle de Katia Béguin qui centre son travail sur la
reconstitution par les princes de Condé d’un réseau de clientèle et donc d’un
espace d’influence fonctionnant à partir de Chantilly comme une contre-cour.
Gérard Sabatier, Versailles ou la figure du roi, Albin Michel - Bibliothèque des
idées 1999, 701 pages
"Il était une fois un roi
Le plus grand qui fût sur la terre;
Aimable en paix, terrible en guerre;
Seul enfin comparable à soi.
Ses voisins le craignaient,
Ses États étaient calmes,
Et l'on voyait de toutes parts
Fleurir à l'ombre de ses palmes
Et les vertus et les beaux-arts."
Le début du conte de Peau d'Ane pourrait servir d'exergue aux belles années du
règne personnel de Louis XIV. C'est le temps où le roi-soleil fit de Versailles le
"palais enchanté" qui allait devenir le principal monument de sa gloire.
L'entreprise a réussi en ce que le château a donné naissance à une science, la
"versaillogie", qui étudie successivement le palais monarchique, le musée de la
peinture française, le musée de l'histoire de France et cet "Art français" qui serait
pour une bonne partie un art de Versailles. Désireux de faire rentrer dans le
domaine des historiens ce qui fut trop longtemps l'apanage exclusif des historiens
d'art, M. Gérard Sabatier se place dans cette lignée et entreprend d'en critiquer les
faiblesses.
Après avoir retracé l'histoire de la science versaillologique, M. Sabatier affiche
son ambition, qui est de donner une nouvelle interprétation de Versailles. La
nouveauté de sa démarche tient à ce qu'il n'entend oublier aucun des acteurs : le
roi et ses ministres, les architectes, les artistes, les savants et le public. Pour ce
faire, il se livre à un examen critique des anciennes descriptions de Versailles,
prises non plus comme source de renseignements factuels mais comme traduction
d'une idéologie.
L'auteur s'attaque d'abord à la question du "palais cosmique". Le soleil est la
"devise" de Louis XIV, l'emblème qui fut choisi pour lui dès l'enfance. Il servit de
thème aux réjouissances monarchiques depuis la fin de la Fronde. Les Plaisirs de
l'Ile enchantée (1664) l'installèrent à Versailles. M. Sabatier rejette pourtant l'idée
selon laquelle tout ferait sens dans un "palais mystique" ordonné autour du thème
de l'Apollon-soleil et d'une cosmogonie. Pour lui, Versailles n'est point le palais
du soleil. Le programme apollinien n'est qu'un bref moment de la construction du
château. Ainsi les salons des planètes ont-ils donné lieu à bien des délires dont M.
Sabatier s'attache à détruire les ingénieuses constructions.
De même, à partir des années 1680, les jardins deviennent un musée de la
sculpture classique, sans qu'on puisse y reconnaître un parcours général. Latone
n'est que Latone et le dragon qu'un simple reptile. L'auteur pense que dans les
jardins comme dans les bâtiments, s'il y avait des thèmes iconographiques, il n'y
avait pas de thématique générale.
M. Sabatier montre enfin que le thème du roi-soleil, soleil de la France et du
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monde, est ancien, général et banal. L'appartement des planètes reprend et
amplifie des formules expérimentées à Saint-Germain et Fontainebleau, au palais
Pitti de Florence comme au palais du Quirinal à Rome.
Pour M. Sabatier, Versailles n'est pas le palais du soleil mais le mémorial du roi.
Louis est partout. On ne voit que lui, entouré d'Olympiens réduits à des
pictogrammes. Les dieux et les héros de l'Antiquité ne sont que pâles reflets d'un
roi de France qui les surpasse et les contient tous. C'est pourquoi le sens exact des
mythologies et des allégories importe assez peu. L'étude de l'escalier des
ambassadeurs le démontre, où l'allégorie et la réalité se mêlent pour peindre un
roi parfait. Cette louange du roi est d'ailleurs sans originalité aucune. Elle reprend
le portrait du souverain idéal, tel qu'il est tracé dans toute l'Europe depuis plus de
deux siècles.
Quelques années plus tard, la grande galerie (notre galerie des glaces) ne sera ni
galerie d'Apollon, ni galerie d'Hercule, mais galerie du roi : l'histoire remplace la
mythologie. Dès 1671, Pellission écrivait à Colbert : "Entre tous ces caractères,
celuy de Sa Majesté doit éclater. Il faut louer le roy partout, mais pour ainsi dire
sans louange, par un récit de tout ce qu'on luy a vu faire, dire et penser". Le
Versailles des années 1680 raconte donc l'histoire du roi à la façon d'un
médaillier. Les tableaux de la grande galerie sont accompagnés d'inscriptions
lapidaires, telles que le fameux "Le roi gouverne par lui-même", et forment une
somptueuse bande dessinée. La galerie est une défense et illustration du
monarque, roi de paix et roi de guerre. L'auteur replace magistralement le
programme de la galerie dans le contexte politique national et international des
années 1680: puissance de Louvois, affaires protestantes, rivalité avec l'Empire.
S'intéressant à la réception de ces grands ensembles décoratifs, M. Sabatier
montre que l'effet recherché fut en partie manqué, parce que Versailles venait
trop tard. Les visiteurs du temps ne s'intéressaient guère à la signification
politique des décors. Ils admiraient la beauté des oeuvres d'art, la richesse et la
profusion des ornements, l'étendue des jardins et des bâtiments. Sans doute le
vocabulaire mythologique et allégorique ne leur était-il pas inaccessible :
l'enseignement des collèges, la vente d'estampes (ainsi les planches du Cabinet du
roi), l'édition de guides explicatifs leur faisaient connaître ce langage. Mais là
n'était pas leur souci principal.
Les grands cycles figuratifs n'avaient d'ailleurs pas un rôle de propagande, mais
d'affirmation, de proclamation. C'est ce qu'explicite le parallèle de Versailles avec
la colonne Trajane, dont les bas-reliefs sont invisibles au spectateur, mais dont
l'étendue et la taille impressionnent. À Rome comme à Paris, l'intention
informative existe, mais n'est que secondaire. En fait, l'iconographie de Versailles
fut davantage lue et commentée que regardée: c'est ainsi que les intellectuels
d'État se mirent à broder sur le thème apollinien.
Sous Louis XIV, Versailles était déjà un musée de la statuaire antique et
moderne, de la peinture italienne et française. Au cours du XVIIIe siècle, le sens
du message politique s'estompa davantage encore, l'intérêt pour l'allégorie décrut
; celui pour l'art augmenta. Quant à la force du jardin, elle vient du mouvement,
celui des eaux, celui de la déambulation du promeneur, non d'un parcours réfléchi
et figé.
Dans sa conclusion, M. Sabatier rattache ces évolutions à celle que connaissent
alors les arts, la philosophie et la politique. Après un long combat, le coloris
triomphe du dessin. À la recherche des clefs, à l'ingéniosité succèdent le primat
de l'esthétique, du sensible, du plaisir. Avec l'intégration des principes cartésiens,
le monde n'est plus considéré comme un système d'analogie, mais comme une
mécanique. C'est le "désenchantement du monde", qui présage la crise de la
monarchie.
Fruit d'un double refus, celui de la rupture entre l'histoire et l'histoire de l'art,
d'une part, celui des grands systèmes interprétatifs, de l'autre, Versailles ou la
figure du roi est appelé à faire date. Les conclusions de M. Sabatier donneront
sans doute lieu à de vives discussions entre connaisseurs. Sans entrer dans ces
débats, on saluera la méticulosité de la démonstration, servie par un très riche
illustration de plans de tableaux, de dessins et d'estampes. Si les thèses de l'auteur
trouveront des contradicteurs passionnés, ceux-ci ne pourront cependant se
dispenser de garder son ouvrage à portée de main.
Le simple curieux retire de ce livre le sentiment que l'effet, positif ou négatif
selon les cas, produit par Versailles tient surtout à l'ampleur des moyens mis en
oeuvre, à la dépense, au caractère grandiose de l'ensemble. Dans ses Pensées,
Montesquieu ne dit pas autre chose: "Ce qui me déplaît dans Versailles, c'est une
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envie impuissante qu'on voit partout de faire de grandes choses. Je me
ressouviens toujours de dona Olympia qui disait à Maldachini, qui faisait ce qu'il
pouvait : Animo ! Maldachini. Io ti faro cardinale. Il me semble que le feu roi
disait à Mansard : Courage ! Mansard : je te donnerai cent mille livres de rentes.
Lui, faisait ses efforts: mettait un aile ; puis, une aile; puis une autre. Mais, quand
il en aurait mis jusques à Paris, il aurait toujours fait une petite chose".
Ce que Montesquieu ne pouvait sentir encore, ce que M. Sabatier a laissé de côté,
car ce n'était pas de son sujet, c'est la poésie propre de Versailles, cette poésie du
temps qui passe: les ors se ternissent, les marbres se détachent, les arbres
croissent, le jardin redevient forêt. Voilà le paradoxe du palais enchanté :
message de Louis XIV à la postérité, Versailles nous conserve l'image de sa
puissance et de sa gloire et, dans le même temps, témoigne combien sont vaines
les grandeurs dont le roi s'était enivré.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Le « château de cartes » d’un roi chasseur épris de défis
À l’origine, dans les années 1620, Versailles ne fut, suivant le mot d’un
contemporain, qu’un « chétif château, de la construction duquel un simple
gentilhomme ne voudrait pas prendre vanité ». Dans ce modeste pavillon, situé à
quelques lieues du Louvre seulement, venait s’abriter, l’espace d’une nuit, Louis
XIII, ce roi cavalier et mélancolique, qui préférait aux intrigues de la cour la
solitude et les grandes chevauchées dans les forêts giboyeuses de l’Île-de-France.
Entre 1631 et 1634, l’architecte Philibert Le Roy est chargé de rendre le bâtiment
plus accueillant : il agrandit légèrement le corps de logis, ajoute deux ailes en
retour d’équerre, quatre pavillons d’angle. Ce sont les couleurs du bâtiment,
briques roses, pierres blanches, ardoises de la toiture, évoquant le dos des cartes à
jouer, qui ont fourni à Saint-Simon l’heureuse image du « petit château de cartes
».
Louis XIV découvrit Versailles pour la première fois le 18 avril 1651. Il avait
alors 12 ans et, comme son père, il venait y chasser. Dix ans plus tard, le 9 mars
1661, mourait Mazarin, cardinal et « principal ministre ». Cette année-là, qui
marque le début du long « règne personnel », le jeune souverain – il a alors 23
ans – décide de transformer et d’agrandir le pavillon de chasse. Désormais, et en
fait jusqu’à la Révolution, le palais ne cessera d’être l’objet de multiples
aménagements.
La motivation essentielle qui préside à la création de Versailles, c’est sans doute
et avant tout « ce plaisir superbe de forcer la nature » (Saint-Simon). Mais on
trouverait bien d’autres raisons. D’abord, le souvenir des temps troublés de sa
jeunesse : nous savons que le jeune roi n’a pas supporté son départ forcé de la
capitale pour Saint-Germain par une nuit glacée de l’hiver 1649. Il garde aussi un
souvenir amer de la révolte d’une partie des grands dans les années 1649-1652.
Versailles, préservé de la versatilité de la foule parisienne, Versailles, qui
accueillera près de six mille courtisans empressés, n’est-il pas une réponse
éclatante à ce double affront ? L’historiographie traditionnelle a souvent évoqué,
en l’exagérant, un autre affront : celui de Vaux-le-Vicomte, cette sorte de crime
de « lèse-majesté » commis par Fouquet, quand il osa l’inoubliable et
dispendieuse fête du 17 août 1661. Il faudra donc concevoir un Vaux-le-Vicomte
encore plus réussi. Pour cela, le roi eut la chance de trouver là, déjà constituée,
l’équipe de talents qui, avec lui, ont « fait » Versailles : Le Nôtre, dessinateur des
jardins, l’architecte Le Vau, le peintre Le Brun et Molière.
Mais pourquoi vouloir bâtir précisément en ce site ingrat ? Par piété filiale, par
volonté aussi d’affirmer la continuité dynastique, contre tous les avis, le roi
refusera de détruire le modeste château de Louis XIII. Il accepte seulement que
des bustes antiques soient placés sur la façade en guise de parure, et que la cour
soit dallée de carreaux de marbre noirs et blancs.
Le jardin baroque d’un « roi-machine » amateur de musique
Le premier Versailles de Louis XIV fut d’abord et surtout un grand jardin, un
immense théâtre d’eau et de verdure, que le roi se plaisait à faire visiter. Plus tard,
il rédigea un itinéraire, maintes fois remanié au rythme des aménagements
successifs. Rien n’est ici tout à fait gratuit, car le jardin est aussi conçu comme
une parabole de l’autorité royale : au centre du grand bassin qui porte son nom,
Apollon, le dieu du Soleil, jaillissant de l’onde sur son impétueux quadrige, attire
tous les regards. Comment ne pas voir, dans l’image de ce dieu éclatant de
Les musiciens du Soleil
Bals, ballets, concerts, réceptions, collations,
feux d’artifice, etc. Comme l’écrit l’historien
Roland Mousnier, « la cour vit sur fond
sonore ».
Louis XIV tient de son père un goût
particulier pour la musique. Il joue du
clavecin et de la guitare « mieux qu’un maître
», affirme la princesse Palatine. C’est l’amour
du jeune roi pour les ballets qui explique la
fulgurante carrière de Jean-Baptiste Lully
(1632-1687). Grâce à ses qualités de danseur,
il gagne la faveur royale et exerce sur la
musique une tutelle comparable à celle de Le
Brun sur les beaux-arts. Homme d’affaires
redoutable, il obtient le privilège de l’opéra
en France. D’autres musiciens importants
travaillent pour la cour : Henri Dumont
(1610-1684), Marc Antoine Charpentier
(1643-1704), Michel Delalande (1657-1726),
André Campra (1660-1744), François
Couperin (1668-1733), chargé d’organiser,
chaque dimanche après-midi, un concert pour
le roi et la cour.
Versailles, modèle européen ?
Le style versaillais a envahi les cours
d’Europe, témoigne de l’influence française à
l’époque classique. Versailles, modèle
européen ? Voilà qui mérite une enquête
attentive.
Quel Versailles doit-on rechercher dans la
liste confuse des Schönbrunn, Caserte, La
Granja, Queluz, Het Loo, Potsdam, Peterhof
(actuellement Petrodvorets), Drottningholm,
Charlottenburg, Hampton Court et tant
d’autres ? Observons l’original : Versailles,
quoi qu’on en dise, est baroque, malgré
l’intervention de Jules Hardouin-Mansart.
Celui-ci apporta des traits particuliers qui
accentuent le classicisme, développant sur les
jardins une longue façade régulière et
donnant la prééminence aux lignes
horizontales. Versailles se distingue par le
rétrécissement des cours, côté ville, qui
conduit le regard jusqu’à la Chambre du roi,
au centre de tout ; la distribution symétrique
et claire des appartements royaux ; la galerie
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jeunesse et de beauté, l’affirmation du pouvoir personnel et rayonnant, assumé
pour Louis XIV, le lendemain même de la mort de Mazarin ?
Commencée en 1665, la grotte de Téthys complète le symbole. Dans cette
rocaille à l’italienne, à l’intérieur entièrement couvert de coquillages, de coraux,
de miroirs et de pierres polychromes, les eaux jaillissaient de toutes parts,
retombaient de vasque en vasque ; et, passant à travers un orgue hydraulique,
parachevaient la magie de ce lieu, censé représenter la retraite sous-marine où le
dieu du Soleil vient se reposer pendant la nuit.
Empruntés, comme les grottes, à la tradition italienne par les derniers Valois, les
bosquets sont des salons ou cabinets de verdure où la cour s’assemble pour les
festivités les plus diverses. « Tous les jours, les bals, les ballets, les comédies, les
musiques de voix et d’instruments de toute sorte, les violons, les promenades, les
chasses et autres divertissements ont succédé les uns aux autres », déplore
Colbert, inquiet pour ses finances. La plus célèbre de ces réjouissances, Les Fêtes
des Plaisirs de l’île enchantée, données en l’honneur de Mlle de La Vallière, se
déroule du 7 au 12 mai 1664 devant six cents courtisans. La fête s’ordonne autour
d’un thème inspiré de Orlando Furioso (« Roland furieux ») de l’Arioste. Les
acteurs sont les courtisans et le roi lui-même, revêtus de costumes
resplendissants. Dans une île au milieu du rondeau des Cygnes s’élève le palais
d’Alcine, qui retient prisonnier de ses enchantements le chevalier Roger ; mais, le
dernier jour, Roger est délivré tandis que le palais de la magicienne s’abîme dans
les eaux au milieu des crépitations d’un formidable feu d’artifice. Au milieu de
ces féeries, Molière fait jouer La Princesse d’Élide, Les Fâcheux et aussi les trois
premiers actes de son sulfureux Tartuffe, au grand scandale des dévots qui
entourent la reine mère, Anne d’Autriche. Lully accompagne la fête par sa
musique, Benserade par ses madrigaux et ses sonnets. Louis XIV a évoqué dans
ses Mémoires ce qu’il appelle la « société de plaisirs », en soulignant leur
fonction politique : « Les peuples se plaisent aux spectacles, et, au fond, on a
toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir
que nous aimons ce qu’ils aiment ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là, nous
tenons leur esprit et leur cœur, plus fortement peut-être que par les récompenses
et les bienfaits... »
Friand de ballets, de théâtre, d’opéra, le jeune roi monte lui-même sur scène,
incarnant tour à tour des personnages historiques, mythologiques et fabuleux. Il
est ainsi empereur romain, Hercule, Alexandre. En 1669, il interprète Apollon
dans Le Ballet de Flore : il y apparaît comme le « roi-machine » d’une nature
idéale dont il ordonne le mouvement. Ce sera néanmoins son ultime apparition
sur la scène, car certains proches, paraît-il, firent comprendre au souverain que la
dignité royale était peu compatible avec de telles démonstrations. Désormais, la
majesté royale n’admettra plus que d’être spectatrice de sa propre gloire, ne
voudra plus tenir qu’un seul rôle : le sien propre, au centre de son palais.
Le livre de pierre et d’images d’un roi absolu
Instrument de la grandeur royale, Versailles s’offre à nous comme un livre de
pierre et d’images de l’absolutisme. Les sculptures, les bas-reliefs, les peintures
forment un langage. À cette époque, l’élite utilise couramment les images de la
mythologie classique et celles de l’allégorie comme grille d’interprétation du
monde. Ce langage, l’Italien Cesare Ripa en avait rédigé le code dans son
Iconologia, dès 1593, et l’ouvrage, traduit en français en 1644, est bien connu
dans l’enseignement, en particulier chez les jésuites. Les fils de l’aristocratie et
des classes dirigeantes des principales villes du royaume sont formés aux
subtilités de cette « rhétorique muette » : composition d’énigmes et de devises,
initiation à l’art des emblèmes. L’art officiel peut donc utiliser, pour la plus
grande gloire de la monarchie, ce langage où l’objet allégorique désigne une idée
par elle-même invisible. On parvient ainsi, sans verser dans le sacrilège, à
concilier les mythes païens et la foi chrétienne, à exprimer la transcendance et le
sacré auxquels le pouvoir royal participe pleinement. Car le sacre ne fait-il pas du
roi de France « l’oint du Seigneur » ? Son autorité, la majesté qui l’entoure et
qu’il incarne ne tiennent-elles pas aussi du « mystère » et du merveilleux ?
Conçu par Charles Le Brun, le Grand Appartement (1671-1681), « où le roi
reçoit, mais ne vit pas », est composé d’une enfilade de salons, dédiés chacun à
l’une des sept planètes alors connues qui gravitent autour du Soleil. Tous
comprennent un système décoratif élaboré sur le même modèle. Au centre du
plafond, un motif mythologique est lié aux dieux correspondant à la planète
concernée : Mercure, Apollon, Mars... Sur les quatre voussures, des tableaux
représentent tel ou tel prince de l’Antiquité en action de gloire ou de guerre dont
des Glaces, intégrée à la circulation ; le
théâtral escalier des Ambassadeurs ; un décor
tout entier à la gloire du souverain, servi par
une peinture et une sculpture classiques
dirigées par Le Brun ; les décors blanc et or
des boiseries et des plafonds, apparus dès les
années 1680 et magnifiés par le style rocaille
sous Louis XV ; le parquet « à la Versailles »
; les arcades des grandes fenêtres du premier
étage ; la multiplication des glaces ; le
Trianon de marbre et surtout les jardins, chefd’œuvre inégalé du style « à la française »,
associé à Le Nôtre.
Des « jardins de plaisir » plébiscités par
l’Europe entière
Chacun peut reconnaître l’influence des
jardins de Versailles, mais aussi de ceux de
Marly, sur l’Europe. Le modèle du « jardin
régulier » a dominé jusque dans les années
1760. On retrouve les grandes perspectives,
les parterres de broderie, les bosquets ou la
présence d’un grand canal dans une multitude
de palais. Les princes d’Europe ont demandé
à Le Nôtre des dessins (Greenwich, en
Angleterre) ; ils ont fait venir ses élèves ou,
plus généralement, des architectes français.
Ainsi Leblond (1679-1719), formé par Le
Nôtre, crée les jardins de Peterhof et du palais
d’Été de Saint-Pétersbourg pour Pierre le
Grand qui, à l’instar de Louis XIV, s’attache
au moindre détail de leur réalisation. Philippe
V, petit-fils de Louis XIV, parvenu au trône
d’Espagne, fait venir dès 1721, au palais de
La Granja, une équipe entièrement française :
architecte, jardinier, fontainiers, sculpteurs.
Ils exécutent un « jardin de Versailles à la
montagne » doté d’une cascade inspirée de
celle de Marly et orné de sculptures
allégoriques qui, souvent, reprennent des
dessins de Le Brun. À Drottningholm,
l’architecte suédois Nicodemus Tessin, dit le
Jeune, qui a vu Versailles, ordonne le jardin
autour d’un axe principal de plusieurs
kilomètres, obligeant « à vaincre la nature ».
Il affirme que « tout ce qui regarde le
jardinage et la fontainerie ne s’apprend nulle
part mieux qu’en France ».
Versailles, c’est aussi une architecture
Le palais, en effet, ne se réduit pas à ses
jardins. Il faut cependant être un fin limier
pour reconnaître l’influence versaillaise au
milieu de la surenchère expressive des décors
ou des façades de ces palais d’Europe,
construits ou reconstruits, pour la plupart,
entre 1680 et 1750. Autant que française,
l’Europe de ce temps a bien l’air d’être
italienne, sans compter que les caractères
locaux résistent également avec force.
Cependant, l’attrait versaillais fut
incontestable : architectes, peintres et
sculpteurs français furent, après les Italiens,
ceux qui travaillèrent le plus hors de leurs
frontières. Tout en se pliant au goût local, ils
ont participé à la diffusion des solutions
françaises.
70
Alexandre, qui chasse le lion ou se fait livrer des animaux pour L’Histoire
naturelle de son maître, Aristote, et Auguste, qui reçoit une ambassade des Indes
ou fait construire le port de Misène. Il s’agit là d’un véritable « traité du bon
gouvernement » en images, à lire en transparence, car, ainsi que l’explique
Charles Perrault, l’auteur des Contes, qui fut aussi un écrivain dévoué à la gloire
du roi, ces actions « sont tellement semblables à celles de Sa Majesté que l’on y
voit en quelque sorte l’histoire de son règne sans que sa personne y soit
représentée ».
Le microcosme d’un roi ordonnateur du monde
Décidé au lendemain de la paix de Nimègue (1678) qui mettait fin à la guerre de
Hollande, le projet pictural de la galerie des Glaces va constituer une véritable
révolution dans la représentation du roi. Pour sacraliser ce que l’entourage du
prince considère comme une victoire, une séance du Conseil secret décide de
modifier le projet que Charles Le Brun avait initialement prévu (un cycle sur le
thème d’Apollon ou d’Hercule). Si l’on en croit son élève Nivelon, Le Brun
réagit avec une rapidité foudroyante, réalisant en seulement deux jours le projet
complet de la voûte, conçue comme un parcours initiatique à la gloire du prince.
Exaltant les hauts faits du roi lors des guerres de Dévolution (1667-1668) et de
Hollande (1672-1678), l’histoire officielle du royaume se condense dans la seule
action du souverain, représenté non plus par la médiation de l’histoire ancienne,
de la mythologie ou de l’allégorie, mais sous ses traits véritables : un roi de
guerre et de triomphe, terrassant, par sa seule présence, tous ses ennemis.
Le « système Versailles » sera pleinement constitué lorsqu’en 1701, au premier
étage, flanquée de la salle du Conseil – espace de décision politique de l’État
royal – la chambre de Louis XIV se retrouve au centre du palais. Elle est, d’une
certaine façon, le cœur du royaume, l’autel et le sanctuaire de la royauté :
l’espace royal est séparé du reste de la chambre par une balustrade, comme l’autel
dans une église. Elle abrite le culte quotidien des deux corps du roi : le roi
physique, objet de la dévotion apparente des courtisans, en particulier au moment
des levers et des couchers, minutieusement ritualisés, mais aussi le roi
symbolique, qui incarne en sa personne le principe de l’État. C’est dans ce lieu
d’intimité publique que Louis aime recevoir les ambassadeurs des principales
puissances de l’Europe, afin de leur faire mesurer la grandeur et la majesté de son
pouvoir. Le lit, placé exactement au centre du palais, est tourné vers la ville, très
précisément dans le prolongement de l’axe central : la cité neuve de Versailles,
décidée par Louis XIV en 1671, s’ordonne à partir de trois grandes et larges
avenues – une rareté pour le temps – qui se rejoignent à l’entrée de la grille du
château, face au regard du prince. Dans le parc, le Roi-Apollon surgissait de l’eau
comme pour domestiquer la nature ; dans le château placé en prééminence, le
Roi-Homme, du centre de son palais, ordonne toute la société.
Un maître de l’étiquette et des comportements
Le sociologue Norbert Elias a montré comment un « système de cour », mis en
place bien avant Louis XIV (Henri III, en 1585, tenta d’imposer un premier
règlement), a atteint alors sa perfection de fonctionnement. Ce fut à la fois un
outil politique de domination sociale des gentilshommes autrefois « malcontents
», et une « mécanique », suivant l’expression de Saint-Simon, une mécanique
réglée sur l’emploi du temps du roi. Ce rituel était chargé de manifester à tous
moments, par des actes symboliques, une situation de prestige ou de soumission.
Ainsi, l’honneur de tenir le bougeoir, lors du coucher, était-il une faveur
particulièrement recherchée et remarquée. Cette entière soumission à la volonté
royale concernait autant les aristocrates de la cour que les ambassadeurs et les
plénipotentiaires des puissances étrangères. Tous savaient que chaque détail
d’une cérémonie était la marque d’une faveur. Ainsi, lors d’une audience
publique et solennelle, les huissiers ouvraient-ils les portes des appartements du
palais à un ou deux battants selon le rang de celui qui était reçu par le roi. Dans
l’ordre plus quotidien de la vie de cour, ambassadeurs et courtisans n’ignoraient
pas que le droit au fauteuil, à la « chaise à dos » ou au tabouret était strictement
codifié : à la fin du règne, le privilège de « femme assise » au souper du roi (après
la mort de la reine, en 1683) n’était accordé qu’aux duchesses. De même, les
vêtements à porter en fonction des lieux (Versailles en habits d’apparat, Marly en
habits plus simples), suivant les heures de la journée ou selon les événements (un
deuil, par exemple), les gestes à observer en toutes circonstances, tous ces détails
obéissaient à un code rigoureux de civilité et de bienséance : ôter son chapeau, le
remettre, se lever, s’asseoir, se mettre à genoux – c’est dans cette position que les
représentants des villes haranguaient le roi –, s’avancer de quelques pas, faire une
Où trouver les harmonies horizontales des
façades versaillaises ? À Peterhof, en Russie,
malgré la forme contournée des fenêtres et le
crépi jaune typique du baroque d’Europe de
l’Est, ou à Charlottenburg, le palais berlinois
construit par Eosander von Göthe, qui a
étudié en Italie et en France.
Et les cours en rétrécissement ? En
Angleterre, dans le Blenheim Palace de
l’architecte John Vanbrugh, ou à Potsdam,
près de Berlin, que le Français Jean de Bodt
modifia dès 1700 pour le futur Frédéric Ier de
Prusse.
L’escalier des Ambassadeurs, détruit par
Louis XV pour la commodité de ses
appartements, eut un très grand succès : imité
à Het Loo, dans les Provinces-Unies (partie
septentrionale des Pays-Bas), par le Français
Daniel Marot pour Guillaume d’Orange, futur
roi d’Angleterre, pourtant ennemi de Louis
XIV, à Beloeil, en Belgique, pour le prince de
Ligne ; ou encore dans l’anachronique
Herrenschiemsee, construit en 1878. Quant
au Trianon de marbre, sa disposition en rezde-chaussée, ponctuée de portes-fenêtres,
avait séduit Frédéric II de Prusse qui, avec
son architecte Knobelsdorf, a dessiné et
construit Sans-Souci (1745-1747), dans le
parc de Potsdam, le rythmant d’atlantes très
baroques.
Un concept plus qu’un recueil stylistique
Certes, on retrouve Versailles ici et là, mais
pas à la hauteur de l’aura qu’on lui prête. En
fait, pour bien en comprendre l’influence, il
faut troquer la loupe contre un satellite et la
grammaire des styles contre un traité des
usages.
On voit alors que, loin d’être un recueil
stylistique dans lequel l’Europe serait venue
puiser, Versailles est un concept, une idée, un
principe, une volonté mise en œuvre avec
méthode et réussite. C’est là sa force et son
originalité, et Versailles apparaît bien alors
comme la référence à l’aune de laquelle se
sont mesurés chacune de ces demeures
européennes et chacun de ces souverains.
Versailles est l’incarnation de la monarchie
absolue. À partir d’une feuille blanche, Louis
XIV a pu organiser l’administration,
soumettre les grands du royaume en les
tenant à la cour, accroître, par la domination
des éléments, le caractère divin et
incontestable de son autorité, et conforter
ainsi l’unité de la nation. On comprend alors
le succès du modèle dans le Saint Empire,
agrégat de multiples principautés en
compétition, ou bien, en Suède, où la position
du roi est affaiblie par un régime
parlementaire, ou encore en Russie, où le tsar
veut imposer un nouvel élan paneuropéen.
L’Espagne étant politiquement plus solide et
l’Italie l’étant culturellement, l’influence
versaillaise y fut principalement le fait de
l’accession au trône des Bourbons, à Madrid,
à Naples et à Parme.
71
ou plusieurs révérences, baiser avec déférence la robe d’une duchesse avant de lui
adresser un compliment...
Ce système de la cour était fondé sur la manipulation des hommes par le roi, à
partir d’un jeu de jalousies, d’amour-propre, de devoirs réciproques, de
compétition que le souverain, seul gestionnaire des faveurs et des pensions,
pouvait d’un mot, d’un geste, d’un silence, perturber. La force du pouvoir royal a
tenu en partie à cette capacité de maintenir l’équilibre des ambitions des grands
par l’aiguillon de l’honneur, « maître universel » dont le souverain était le
distributeur. Nuançons toutefois cette « réduction à l’obéissance » : on peut
évaluer à deux cent mille environ le nombre des nobles dans le royaume. Louis
XIV a tout au plus « déraciné » à Versailles 2 à 3 % de la noblesse.
Un pouvoir entre la Terre et le Ciel
Dédiée à saint Louis, la Grande Chapelle, achevée et consacrée en 1710, est
excentrée par rapport au palais. Avec son grand vaisseau blanc et or, elle exprime
le goût nouveau s’imposant à la fin du règne. Il se développera dans les
appartements privés de Louis XV et de Louis XVI. L’ostentatoire cède devant
une discrétion et une sobriété imposées par les malheurs du temps, de la guerre à
la famine, en passant par la faillite financière. La pierre blanche des carrières de
Créteil a été préférée aux marbres de couleur qui décoraient le Grand
Appartement ou la galerie des Glaces.
Lors des offices, qui ont lieu tous les matins, le roi assiste, impassible, aux
célébrations, le plus souvent seul sur la tribune située de plain-pied avec le Grand
Appartement, alors que les courtisans sont massés dans la nef. Rien d’original,
sans doute : à Aix-la-Chapelle, Charlemagne se tenait déjà à mi-distance entre la
voûte où le Christ – comme à Versailles – est représenté, et le rez-de-chaussée, où
se plaçaient les assistants. Le pouvoir politique apparaît comme un intermédiaire
entre les hiérarchies terrestres et célestes. Placé comme en suspension entre la
Terre et le Ciel, le Roi Très-Chrétien n’a de comptes à rendre qu’à Dieu seul : la
disposition des participants, lors des offices, renvoie au fondement même de
l’absolutisme de droit divin.
Si Versailles exerça un tel pouvoir de séduction auprès des aristocraties de toute
l’Europe, c’est que jamais sans doute modèle politique n’avait trouvé traduction
architecturale et esthétique aussi cohérente : l’intégration dans un même
ensemble d’une ville neuve, d’un château aux dimensions inédites, de jardins et
de dépendances, le tout conçu pour la seule gloire du prince. Tout cela constituait
un modèle capable de « dire » le pouvoir, précisément à un moment où un peu
partout en Europe, en Allemagne en particulier, se construisaient des États où le
monarque voulait et pouvait affirmer son autorité. Nombre d’artistes, d’artisans et
de décorateurs formés dans les ateliers versaillais et parisiens du palais du RoiSoleil et de ses successeurs allaient vendre leurs talents aux cours et aux
mécénats en Europe et au-delà : on retrouve ainsi à Turin, à Madrid, à Bonn et
jusqu’à Constantinople, aujourd’hui Istanbul, la trace de Robert de Cotte,
architecte et beau-frère de Mansart, qui dessinait de Versailles et de Paris, pour
les souverains étrangers, des plans qu’exécutaient ensuite ses élèves. À dire vrai,
nulle « copie conforme » n’a été tentée, sauf peut-être à la fin du XIXe siècle, par
Louis II de Bavière, que ses contemporains déclarèrent fou. À Herrenchiemsee, il
fit édifier un extravagant Versailles, un peu plus petit que l’original. Dans la
galerie des Glaces, dans la Chambre du roi, dans les Grands Appartements ainsi
transportés sur une petite île d’un lac de l’Allemagne du Sud, un prince
mélancolique put se croire, pendant un court instant, le maître d’un royaume sans
sujets.
Les fontaines : un miracle renouvelé
Objets d’admiration pour les visiteurs, les fontaines furent en leur temps –et
encore aujourd’hui– une prouesse technique sans équivalent dans le monde.
Prenons un point haut dominant quelques marécages, considérons les collines
alentour pour constater que de leurs flancs, comme du haut de notre point de
vision, aucune rivière ne coule, et proclamons enfin que c’est ici que naîtra le
plus bel et le plus ambitieux ensemble de fontaines que le monde ait connu.
Seul Louis XIV pouvait prétendre vouloir résoudre une telle équation et
nombreux sont ceux qui tentèrent de l’en dissuader « pour aller bâtir dans un
terrain plus heureux ». Mais y parvenir était pour le jeune roi un moyen sûr de
marquer de sa supériorité l’Europe tout entière et il suivit personnellement et de
fort près l’évolution de ces travaux.
Le rêve d’un parc aux fontaines éternelles
Le premier geste fort tient donc dans la
création d’une ville à la campagne, villerésidence à quelques lieues de la capitale
historique. Schönbrunn est construit à
quelques kilomètres de Vienne pour Léopold
Ier par Fischer von Erlach, qui le rêvait un «
plus beau Versailles ». Potsdam est près de
Berlin, Karlsruhe, près de Mayence,
Drottningholm, près de Stockholm, Caserte,
près de Naples, etc.
Versailles ordonne pour la première fois
autour de la résidence royale, siège du
pouvoir central, l’ensemble des dépendances,
des ministères, des services et des
populations indispensables. Si la réussite
fonctionnelle du plan en trident appliqué à la
ville est douteuse, sa portée symbolique est
très forte. À Saint-Pétersbourg, nouvelle
capitale de la Russie en 1712, on retrouve
ainsi un trident dont la perspective Nevski
forme l’axe central et qui aboutit à
l’Amirauté, incarnation de l’ouverture de la
Russie sur l’Europe. Le tsar, qui avait fait le
voyage en France en 1717, voulait
ouvertement rivaliser avec Versailles. Mais
plus qu’une solution urbanistique, c’est l’idée
d’une organisation nouvelle qui a surtout été
retenue. Le plan de Karlsruhe, créé en 1715
par le margrave Charles-Guillaume de BadeDurlach, démontre une réflexion théorique
plus profonde : s’il conserve trois axes forts,
émanant du palais vers la ville, il combine de
multiples perspectives rayonnantes et un
schéma concentrique (comme la propagation
d’une onde sur l’eau), qui annonce les
Lumières. Un chef-d’œuvre concerté de tous
les arts
La soumission des arts et leur organisation
ont été admirées de tout le continent : à
Stockholm, le prestige de Tessin le Jeune fit
qu’on lui accorda le titre, très français, de
surintendant. Il fit part, dans une lettre à
Hardouin-Mansart, de son émotion de se voir
ainsi distingué comme l’équivalent suédois
du maître français. Frédéric-Auguste Ier de
Saxe, devenu, en 1697, le roi Auguste II de
Pologne, avait créé, la même année, une
Académie des beaux-arts et un poste d’«
ordonnateur de cabinet », équivalent de la
surintendance, détenu par un architecte
français, Raymond Le Plat. Comme bine des
princes allemands, il avait adopté, dans son
château royal de Dresde, les cérémonies du
Lever et du Coucher auxquelles il avait pu
assister à Versailles.
Mais celui qui, le plus minutieusement, copia
la cour de France fut, sans conteste, Gustave
III de Suède. Il fut également le dernier. Très
francophile et quoique marqué par les
Lumières, il voyait dans la monarchie absolue
le moyen de développer son pays
politiquement, économiquement et surtout
culturellement. Il a donc introduit, dès 1771,
à Drottningholm, le cérémonial versaillais,
menant sa journée en public, distribuant les
72
En l’absence de rivière, la difficulté consiste à accumuler une forte quantité d’eau
à une hauteur dépassant le premier étage du château, afin d’obtenir, par
gravitation, des jets qui répondent aux ambitions du « plus grand monarque de la
Terre ».
Seule ressource à proximité, mais en contrebas, l’étang de Clagny fournissait
faiblement l’eau au relais de chasse de Louis XIII. Cette solution est tout d’abord
optimisée en construisant une tour-réservoir alimentée par deux manèges à
chevaux, puis par des moulins à vent. Cette tour à deux niveaux emplit, par le
système des vases communicants, les réservoirs de glaise (5 500 mètres cubes),
bâtis au nord du château, et le petit réservoir en plomb (580 mètres cubes) de la
grotte de Téthys, destiné aux fontaines les plus hautes. L’eau est ainsi élevée de
32 mètres et l’on parvient à animer – ô merveille ! – jusqu’au bassin de la
Terrasse du premier étage (abandonnée pour la galerie des Glaces).
C’est cependant trop timide pour soutenir le développement considérable des
fontaines du Jardin1 qui, dès 1674, auront leur étendue maximale et réclameront
plus de 12 000 mètres cubes d’eau par jour pour un spectacle limité à trois heures.
À Chantilly, le Grand Condé voit vivre ses fontaines jour et nuit !
Versailles a soif. Alors, les réservoirs se multiplient, tels les très beaux « sousterre » du parterre d’eau (3 400 mètres cubes) ; des moulins à vent portent vers
Clagny l’eau des marais et les moindres sources des coteaux alentour ; un moulin
de retour récupère même le trop-plein du Grand Canal. Mais il faut vite se risquer
à plus de hardiesse et trois chantiers, dont l’ambition est à l’extrême limite des
connaissances du temps, sont engagés.
La nature tout entière mise à contribution
Le premier chantier est simple affaire de drainage. Toutefois, l’ampleur et la
complexité des réseaux de rigoles, de fossés et d’étangs endigués sont inégalées.
De plus, seule l’invention du niveau topographique à lunette de l’abbé Picard, à la
précision millimétrique, a révélé que deux plateaux proches surplombaient
Versailles : le plateau de Saint-Quentin, où les 34 kilomètres du réseau des étangs
supérieurs aboutissent en souterrain aux nouveaux réservoirs de la butte de
Montbauron (50 000 mètres cubes), et le plateau de Saclay, où pour le réseau des
étangs inférieurs sont créées les arcades de Buc et la première conduite en fonte,
plus résistante et moins chère que le plomb. Le deuxième projet est une prouesse
mécanique dont l’évocation est encore aujourd’hui synonyme de gigantesque
performance : la Machine de Marly. Venant de Liège, Arnold de Ville et le
charpentier René Sualem, dit Rennequin, réalisent sur la Seine, de 1681 à 1684,
une machine hydraulique qui fonctionnera cent trente-trois ans. C’est un énorme
moulin à eau, doté de 14 roues et de 250 pompes, qui élève l’eau à 160 mètres, en
trois étapes, vers un aqueduc d’où elle s’écoule vers Montbauron. Malgré un bruit
assourdissant, le débit n’est que de 3 000 mètres cubes par jour. Au bout de six
mois, la Machine n’alimente plus que le parc de Marly.
En 1684, ultime projet, le fantasme de faire naître une rivière semble devoir se
concrétiser. Puisque la Loire est trop basse, détournons l’Eure ! À 110 kilomètres
de là, elle domine Versailles et seules deux vallées la séparent des étangs
supérieurs. Le chantier n’aboutira pas. Au prix de quatre ans d’efforts et
d’innombrables vies, la troupe employée pour édifier l’immense aqueduc de
Maintenon achève à peine le premier niveau d’arcades avant d’être rappelée à son
destin par la guerre.
L’eau devra donc rester rare, mais la richesse d’invention des plus illustres
fontainiers, les frères Francine (en italien, Francini), masque merveilleusement
cette pauvreté.
Une dynastie de virtuoses pour façonner le cristal liquide
L’art des fontaines est italien. Tomaso Francini servit Henri IV et Louis XIII. Le
Nôtre et Mansart ont exigé de ses fils, François et Pierre, des prodiges pour faire
oublier Rome. Ils calculent la pression, les frottements, la résistance de l’air,
raffinent les ajustages et combinent les différentes hauteurs de bassins
d’approvisionnement pour créer plus de deux mille effets.
Ils sculptent l’eau en nappes régulières (bosquet des Rocailles), en jets puissants
(Dragon, Obélisque, Encelade), en alignements parfaits (allée des Marmousets,
Colonnade), en berceaux sous lesquels on peut parfois passer au sec (Berceau
d’eau), en bouillons, en fleur de lys (Char d’Apollon). Ils la font même siffler à
l’imitation des oiseaux (grotte de Téthys) ou tonner (aux Trois Fontaines, certains
jets simulaient des coups de fusil par l’introduction d’air). À Versailles, plus
qu’ailleurs, on contemple les jets pour eux-mêmes.
Ces fontaines qui sont l’âme du jardin renaissent peu à peu au rythme des
hautes charges de cour, les emplois de
chambellans, de gentilshommes de la
chambre, et se montrant très strict sur le
respect de l’étiquette et de la préséance. Pour
domestiquer sa noblesse, il fit en sorte,
comme Louis XIV, de l’attacher à sa cour, en
créant des ordres de chevalerie, en les incitant
au jeu, en les entraînant dans des fêtes
somptueuses et très dispendieuses, pour eux
comme pour l’État. Mais la Suède n’était pas
riche et, dans l’esprit comme dans les
moyens, le modèle français ne pouvait
convenir. Il ne convenait d’ailleurs plus à la
France de 1789, au grand effarement de
Gustave III. Son assassinat fut comme un
écho au Versailles déserté de 1792 et la fin
d’un modèle, mais pas d’une légende.
Car l’aura de Versailles, chef-d’œuvre
concerté d’architecture, de paysage, de
peinture, de sculpture, où la vie du monarque
était mise en scène et où la musique et le
théâtre tenaient une place si haute, procède
peut-être du mythe, si cher aux wagnériens,
de la Gesamtkunstwerk, l’œuvre d’art totale.
73
restaurations. Mais le recours aux pompes électriques pour assurer un
fonctionnement en circuit fermé s’est révélé vain : l’eau s’évapore, l’eau fuit... Le
projet est lancé pour rétablir les réseaux de Saclay et de Saint-Quentin qu’une
autoroute, une ville nouvelle et une trop grande confiance en la modernité ont
coupés.
Certes, les fontaines ne vivent que par intermittence et l’impossible équation n’est
pas formellement résolue. Mais la folle prétention de Louis XIV aura atteint son
but : le monde s’émerveille, depuis plus de trois siècles, du miracle des eaux de
Versailles.
Le parc : entre érudition et séduction
La beauté exceptionnelle du parc de Versailles tient à la fois à une exigence
scientifique et à une approche esthétique et sensuelle d’un lieu pourtant réputé
ingrat.
Le plus ancien sujet du parc de Versailles est un modeste chêne planté sous Louis
XV : des dix mille arbres tombés le 26 décembre 1999, combien faut-il en
regretter ? Car Versailles, haut lieu de la mesure et de la démesure, en laissant
croître sans contrôle sa structure végétale, avait perdu le sens de l’une et la force
de l’autre.
De fait, pour Le Nôtre, architecte du paysage, les arbres étaient des matériaux de
construction : il avait donc recours à des essences indigènes qu’au besoin il
taillait strictement en palissage vertical et en plafonnement horizontal afin de
marquer les perspectives. Mais contraindre la nature est un combat quotidien.
Déjà Louis XV avait cédé en oubliant les plafonnements, donnant ainsi aux
encadrements des allées une forme en marquise, plus mélancolique. La mode du
retour à la nature, les replantations courageuses mais peu scrupuleuses de 1775 et
de 1875, ainsi que les idées romantiques avaient achevé de brouiller la puissance
du dessin premier.
La renaissance des perspectives d’autrefois
Les vents se sont chargés de rappeler, dès 1990, quels étaient les devoirs des
protecteurs du parc de Louis XIV. Car c’est toujours le sien : jamais ses
successeurs n’ont porté atteinte au cadre du jardin « à la française », cantonnant
leur action à l’intérieur des bosquets ou au nord du Trianon de marbre, et c’est
cette construction que l’on restaure peu à peu avec intelligence et dévotion,
restituant les vues, les palissages et les décors végétaux.
Au lointain, où de la terrasse le regard se pose à nouveau, les carrés et les massifs
arborés sont peuplés de chênes, d’érables champêtres, de marronniers, de hêtres,
de charmes, de merisiers et de frênes.
Les perspectives renaissent au rythme des replantations et sous l’action des
grandes barres de coupe à guidée laser. Choisies pour leur développement et la
qualité de leur feuillage, les essences d’origine reviennent dans les alignements.
Seul l’orme, menacé par l’incurable graphiose, due à un champignon parasite, ne
peut retrouver sa place. Des charmilles, strictement taillées, constituent les
palissades des bosquets où tilleuls, sorbiers et merisiers se déploient derrière un
écran végétal de noisetiers.
Dès Louis XV, sous l’influence des botanistes voyageurs et du Siècle des
lumières, on s’intéressa davantage aux essences exotiques. Le jardin botanique de
Trianon, où Bernard de Jussieu élabora son système de classement, comptait plus
de quatre mille variétés. Sous Louis XVI, dans une ambiance préromantique, la
science le céda au plaisir des yeux : pour la création du Bosquet de la reine et
surtout du jardin anglais de Trianon ont été disposés, de façon bucolique,
Juniperus, tulipiers de Virginie, noyers noirs d’Amérique, séquoias de Californie,
cèdres du Liban et tilleuls argentés des Balkans. L’arbre avait acquis une valeur
individuelle nouvelle et c’est bien la disparition de quelques individus qui a rendu
la récente tempête cruelle.
Dans le cadre puissant des jardins de Le Nôtre, le décor végétal apportait
l’essentielle touche de vie et d’exubérance : les sapins, les ifs, les buis et les
épicéas, arbustes à feuilles persistantes, taillés en topiaire, reviennent peupler le
Jardin et répondre aux statues. Armés de cisailles, suivant un gabarit, les
jardiniers retrouvent la grande audace des formes d’autrefois. De même, les
broderies de buis sont patiemment entretenues et remodelées et les broderies de
gazon, déployées au parterre de l’Orangerie, ont été récemment rendues à la vue
du promeneur.
Un certain enthousiasme pour l’exotisme
L’attrait végétal le plus divertissant était produit par les fleurs. Loin des
74
compositions colorées auxquelles nous sommes habitués, elles étaient présentées
dans un arrangement savant au regard de l’amateur qui, outre l’aspect, en
admirait le parfum et la prouesse d’acclimatation. Elles se développaient surtout
dans les parterres, situés aux abords du château, et resplendissaient
particulièrement à Trianon. Ne pratiquant pas encore de croisements, on
s’enthousiasmait pour les nouveautés importées des contrées les plus lointaines.
Certains bulbes étaient achetés à prix d’or.
Tubéreuses, vivaces, grandes vivaces et arbustes à fleurs étaient disposés entre les
volutes et les bordures de buis, étagés du centre jusqu’aux bords, en veillant à
l’alternance des floraisons, souvent courtes. Les fleurs les plus rares pouvaient
être présentées en vase ou, comble du luxe, alignées en pleine terre comme de
véritables collections. Beaucoup plus présent qu’aujourd’hui, le parfum des
tubéreuses enivrait parfois jusqu’à faire défaillir. Ultime raffinement, à Trianon,
des orangers et des citronniers étaient élevés en pleine terre, protégés de l’hiver
par une serre démontable.
Les orangers, auxquels on s’intéressait depuis la Renaissance et les guerres
d’Italie, avaient été rassemblés à Versailles dans une collection sans égale (près
de deux mille caisses) pour laquelle fut bâti un monument immense et ingénieux :
à demi enterré, avec des murs extrêmement épais et des fenêtres équipées, déjà,
de double vitrage pour maîtriser la température.
Jean de La Quintinie créa le Potager du roi en 1679, véritable laboratoire
expérimental où furent testées des techniques destinées à créer des microclimats
afin d’obtenir des primeurs et des productions hors saison. Pour des fruits comme
les pommes Calville blanc et les poires d’hiver Bon-Chrétien, on recherchait de
nouvelles variétés, soumettant la nature par la taille et la greffe. À Versailles,
l’agrément a toujours rejoint la science.
Louis XIV avait voulu contraindre la nature, ses héritiers ont desserré cette
étreinte et la République l’a laissée aller. Rappelés à l’ordre par la nature ellemême et confiants dans les techniques modernes, les paysagistes d’aujourd’hui
ont entrepris de retourner aux sources du chef-d’œuvre. Souhaitons que ceux qui
viendront sachent entretenir avec constance et sagesse cette nature apprivoisée.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
75
HM – Le jansénisme
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Le jansénisme est un mouvement religieux, puis politique, qui se développa aux
XVIIe et XVIIIe siècles, principalement en France, en réaction à certaines
évolutions de l'Église catholique, et à l'absolutisme royal.
Né au cœur de la Réforme catholique, il doit son nom à l'évêque d'Ypres
Cornelius Jansen, auteur de son texte fondateur l'Augustinus, publié en 1640. Le
jansénisme prit son essor sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV et
demeura un courant important sous ceux de leurs successeurs. Ce fut d'abord une
réflexion théologique centrée sur le problème de la grâce divine, avant de devenir
une force politique qui se manifesta sous des formes variées, touchant à la fois à
la théologie morale, à l'organisation de l'Église catholique, aux relations entre foi
et vie chrétienne, à la place du clergé dans la société et aux problèmes politiques
de son temps.
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
Cognet, Louis : Le jansénisme. - P.U.F., Que sais-je ? N° 960, (1967) 1991.
Cottret, Monique : Jansénisme et Lumières. - Albin Michel, 1998.
Marie-José Michel, Jansénisme et Paris, Klincksieck, 2000.
Delumeau, Jean : Le catholicisme entre Luther et Voltaire. - Paris : P.U.F., 1977.
Hildeheismer, Françoise : Le jansénisme en France au XVIIe et XVIIIe siècles. - Publisud, 1994.
René Taveneaux, La Vie quotidienne des jansénistes aux XVIIe et XVIIIe siècles, Hachette, 1985.
Le Roy Ladurie : Saint-Simon ou le système de la Cour. - Paris : Fayard, 1997.
Maire, Catherine : De la cause de Dieu à la cause de la Nation. - Gallimard, 1998.
Jansénisme et Révolution. - Chroniques de Port-Royal, Bibliothèque Mazarine, 1990.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I- Origine du jansénisme
Le jansénisme plonge ses racines dans la pensée de Saint Augustin. Il a été
développé "théologiquement" par Cornélius Jansen (1385-1638) dit Jansénius,
évêque d'Ypres qui reprend dans un ouvrage, « L'Augustinus », publié, après sa
mort, en 1640, des thèses déjà présentées par Michel Baïus (1513-1589),
professeur à l'université de Louvain. Le jansénisme s'inscrit en réaction contre
l'humanisme et le molinisme.
Le jansénisme a été diffusé en France par Jean Duvergier de Hauranne, abbé de
Saint- Cyran, disciple de Jansénius. Il se développa d'abord au couvent de PortRoyal, où il fut introduit par la mère Angélique Arnauld. Il se répandit ensuite
dans d'autres milieux ecclésiastiques, gagna la haute société parisienne, puis les
villes de province.
II- Le jansénisme : les données d'une hérésie
Le Jansénisme revêt une forme doctrinale, celle de Jansénius, et une forme
appliquée, celle de Port-Royal, et en cela il fait partie de la Réforme catholique
française. C'est une réaction à la vision optimiste de l'homme et de ses capacités.
1°- L'homme est totalement déchu par suite du péché originel, il tend vers la mal
de façon naturelle. Cette vision de l'homme est proche de la vision "calviniste" de
l'homme.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
Activités, consignes et productions des élèves
:
Jansénisme, mouvement de réforme
religieuse interne à l’Église catholique, qui
s’est développé aux XVIIe et XVIIIe siècles
en France.
Le mouvement doit son nom au théologien
flamand et évêque d’Ypres Cornélius Jansen,
dit Jansenius, dont la pensée se trouve
résumée dans l’Augustinus (1640).
S’appuyant sur une interprétation rigoureuse
de la philosophie de saint Augustin, Jansenius
défendit la doctrine de la prédestination
absolue. Il estimait que tout individu peut
pratiquer le bien sans la grâce de Dieu, mais
que son salut ou sa damnation ne dépend que
de Dieu. Jansenius affirmait de plus que seuls
quelques élus seraient sauvés. À cet égard, sa
doctrine s’apparente au calvinisme, de sorte
que Jansenius et ses disciples furent-ils très
vite accusés d’être des protestants déguisés.
Cependant, les jansénistes ont toujours
proclamé leur adhésion au catholicisme
romain et soutenu qu’aucun salut n’est
76
2°- Seule la grâce de Dieu (grâce efficace, en opposition à la grâce suffisante,
prônée par les jésuites), peut le pousser vers le bien, le pousser vers la «
délectation céleste » et le détourner de la « délectation terrestre ». Cette grâce est
efficace car elle guérit nécessairement ceux à qui Dieu l'accorde, il constitue un
petit groupe d'élus. Cela rejoint l'idée de prédestination de l'homme développée
par Calvin.
3°- Cette grâce exige de ceux qui la reçoivent, une foi à toute épreuve et un
combat quotidien contre le mal : « à la morale de l'honnête homme, les
jansénistes oppose celle de la sainteté » (René Taveneaux).
4°- Les jansénistes exigent de leur pénitent, une contrition parfaite (et non pas la
simple attrition : regret des fautes par peur de l'enfer), pour leur donner
l'absolution. On retrouve ici l'idéal d'intransigeance de Calvin, dans la pratique de
la foi.
Néanmoins le jansénisme n'est pas une doctrine statique, il s'est uni à des
influences diverses. Il existe, en fait non pas un jansénisme mais des jansénismes,
tous issus d'un même tronc commun mais différents en fonction de l'attitude face
au monde. Il y a, ceux qui refusent toute participation à l'action temporelle
(Martin de Barcos, 1600-1678), ceux qui ne font aucune concession et luttent
pour le triomphe de leurs idées (Guillaume Le Roy, 1610-1684), enfin ceux qui à
l'image d'Antoine Arnauld (1612-1694) acceptent la possibilité du compromis.
III- Le jansénisme, la papauté et le Roi Très Chrétien de 1640 à 1715
Durant tout le XVIIe siècle, les relations, entre le jansénisme, ou ses acteurs, la
papauté et la monarchie seront basées sur l'affrontement. On peut distinguer trois
phases dans ces relations.
1°- Premières condamnations et résistance 1638 -1669
En effet le jansénisme est vite apparue comme un mouvement suspect voire
d'opposition, cela engendra des sanctions politiques de la part de Richelieu, mais
très vite, il est également condamné par Rome, du fait de l'action conjointes des
Jésuites et de la politique française, c'est la bulle « In eminenti » en 1643,
renforcée par la bulle « Cum occasione » qui déclare comme hérétiques ou
fausses, cinq propositions de Jansénius. A cette date le jansénisme fut sauvé de
deux manières, d'abord par la tactique d'Antoine Arnauld qui faisait la distinction
entre le droit, les cinq propositions sont hérétiques, et le fait, les cinq propositions
ne se trouvent pas dans l'Augustinus et également par l'action de Blaise Pascal qui
dans ses « Provinciales » faisait passer le débat du plan de la théologie à celui des
comportements éthiques. Néanmoins en 1657, le pouvoir tentait une dernière
manoeuvre, en faisant prescrire, par l'assemblée du clergé, la signature, par tout
ecclésiastique, d'un formulaire désavouant les thèses de l'Augustinus. Cette
obligation fut confirmée par l'arrêt royal du 13 avril 1661. Les jansénistes
opposèrent un refus obstiné, la communauté de Port-Royal quant à elle, subit plus
de quatre ans d'emprisonnement dans leur abbaye, privée des sacrements. Rome,
qui craignait un schisme et Louis XIV tout occupé à ses préparatifs de guerre
avec la Hollande, souhaitèrent traiter. Le pape Clément IX reconnut la distinction
du droit et du fait, ce fut la paix clémentine en 1669.
2°- La paix clémentine 1669 - 1700
Cette période fut une trêve brillante et féconde, durant laquelle Port-Royal devint
le lieu de rassemblement de la haute société parisienne. Elle connut une floraison
littéraire, avec les « Pensées » de Pascal publiées en 1670. Pasquier Quesnel
publie en 1668 « Nouveau testament en français avec des réflexions morales sur
chaque verset », cet ouvrage joua un rôle capital dans l'évolution du jansénisme.
Tout ceci déplaisait fort, à Louis XIV, il croyait à l'existence d'une cabale. Le
jansénisme, de par son individualisme apparaissait comme un danger pour
l'autorité de l'Etat. Quand le roi s'engagea à l'intérieur comme à l'extérieur, dans
une politique d'impérialisme confessionnel, il déclara leur perte.
3°- La fin de Port-Royal 1700 -1713
En 1679, les confesseurs, les pensionnaires et les novices furent expulsées de
Port-Royal, le monastère était voué à l'extinction. En 1701, l'affaire dite « du cas
de conscience », entraîna la reprise des persécutions. Louis XIV demanda alors
au pape une nouvelle condamnation, ce fut l'objet de la bulle « Vineam Domini »
en 1705. Puis Louis XIV décida d'agir par la contrainte, les principaux chefs
jansénistes furent emprisonnés, éloignés. En octobre 1709, les religieuses de PortRoyal qui avaient refusé de signer la bulle « Vineam Domici » furent dispersées
possible hors de l’Église catholique.
Lorsque le jansénisme pénétra en France, en
particulier grâce à un ami de Jansenius, Jean
Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran,
il imposa d’abord une forme de piété austère
et une stricte moralité. Il se situait par là à
l’opposé d’une morale plus tolérante et d’un
cérémonial religieux surchargé, qui avaient
souvent les faveurs de l’Église de France, en
particulier dans l’ordre des jésuites.
À partir de 1640, le centre spirituel du
jansénisme se transporta au couvent de PortRoyal-des-Champs, près de Paris, où de
nombreux nobles, magistrats, écrivains et
savants, qui sympathisaient avec le
mouvement, vinrent effectuer des retraites et
débattre de questions philosophiques et
religieuses. Mme de Sévigné contribua elle
aussi à l’élaboration du mythe de Port-Royal,
qu’elle qualifia de « vallon affreux, tout
propre à inspirer le goût de faire son salut ».
Dès son apparition, le jansénisme avait
suscité l’hostilité, non seulement des jésuites,
mais aussi du pouvoir royal, qui l’associait
aux divers mouvements politiques
d’opposition. En 1642 puis à nouveau en
1653, cinq propositions extraites des écrits de
Jansenius et relatives à la prédestination
furent condamnées par le pape. Les
jansénistes, avec Antoine Arnauld et Blaise
Pascal, réagirent vigoureusement et
affirmèrent que les cinq propositions ne se
trouvaient pas dans les traités de Jansenius ;
simultanément, ils lancèrent la controverse
contre les jésuites ; les Provinciales de Pascal
témoignent de cette polémique. Mais Louis
XIV, poussé par les jésuites, fit expulser les
religieuses de Port-Royal en 1709 et raser le
couvent l’année suivante. Finalement, en
1713, à la suite de pressions exercées par le
Roi-Soleil, cent une propositions tirées des
Réflexions morales du janséniste français
Pasquier Quesnel (1634-1719) furent
condamnées par la bulle papale Unigenitus.
Tout au long du XVIIIe siècle, le jansénisme
continua d’influencer une bonne partie du
clergé paroissial français. Des centaines
d’ecclésiastiques, les « appelants », refusèrent
d’accepter la bulle Unigenitus et en
appelèrent à un concile contre Rome. Le
mouvement s’étendit à d’autres régions
d’Europe, dont l’Espagne, l’Italie et
l’Autriche. À la cour de France, les
jansénistes s’allièrent aux gallicans, qui
s’opposaient également aux jésuites et
refusaient l’intervention du pape dans les
affaires de l’Église de France (voir
Gallicanisme). Certains tribunaux civils
défendaient les droits des jansénistes, tandis
que des évêques, soutenus par le pouvoir
royal, tentaient de leur refuser les derniers
sacrements. Les parlements et le pouvoir
s’affrontèrent à ce sujet au cours des années
1750. La faction janséniste-gallicane connut
son plus grand succès en 1762 avec
77
par la police. Deux ans plus tard, le monastère était rasé. Mais Louis XIV, alla
plus loin, et demanda une bulle de condamnation globale du jansénisme tel qu'il
s'exprimait dans l'oeuvre du chef du parti, Pasquier Quesnel. Le roi insista de telle
façon que Clément XI exprima sa sentence dans la bulle « Unigenitus » le 8
septembre 1713. Cette dernière condamne les thèses augustiniennes sur la grâce,
mais elle affirme également, même indirectement la prééminence de Rome sur
l'Eglise de France, mais aussi le droit de contrôle du Saint-Siège sur les princes.
Cette bulle qui devait en principe mettre fin au jansénisme allait lui rendre un
nouvel élan en associant sa cause à celle du gallicanisme, fortement mal mené
durant toute cette période.
l’expulsion des jésuites hors de France.
Par la suite, l’importance du mouvement
déclina, bien que de petits groupes jansénistes
aient subsisté jusqu’aux XIXe et XXe siècles.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
78
HM – L’Europe moderne (XVIIe-XVIIIe s)
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
L’Europe connaît alors l’achèvement de la mise en place des États territoriaux qui
provoque un réel morcellement politique. La plupart des États européens sont des
monarchies absolutistes. Si les relations entre les rois stimulent la création
culturelle, elles sont aussi à l’origine de nombreux conflits.
À cette organisation politique s’ajoute le contexte religieux issu de l’éclatement
de la chrétienté latine au XVIe siècle. Dans une Europe où le sentiment religieux
imprègne les mentalités, le lien nation- religion s’est renforcé. Cette situation est
source de tensions et de conflits entre les États et à l’intérieur de ceux-ci.
Pourtant, ces contrastes et ces conflits ne remettent pas en cause le
développement économique du continent. L’Europe moderne voit émerger villes
et régions dynamiques et elle est le lieu d’une intense et diverse production
artistique au service des puissants. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, structures et
permanences, issues des siècles précédents, organisent toujours les sociétés mais
sont remises en cause. Ces deux siècles posent les bases des mutations qui
annoncent de l’Europe du XIXe siècle.
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
J.-P. Bois, De la paix des rois à l’ordre des empereurs (1714-1815), Éditions du Seuil, 2003.
J.-P. Bois, L’Europe à l’époque moderne, Armand Colin, 1999.
B. et M. Cottret, Histoire politique de l’Europe : XVIe-XVIIe-XVIIIe siècle, Ophrys, 1996.
C. Gantet et M.-K. Schaub, De la guerre de Trente Ans à la fin de la guerre de Succession d’Espagne (1618-1714), Éditions du
Seuil.
A. Hugon, Rivalités européennes et hégémonie mondiale, XVIe-XVIIIe siècle, Armand Colin, 2002.
P. Bonafoux, Rembrandt, le clair, l’obscur, Gallimard, coll. « Découvertes », 1990.
Y. Bottineau, L’Art baroque, Mazenod, 2005.
P. Cabanne, L’Art classique et le baroque, Larousse, 1999.
C.-G. Dubois, Le baroque en Europe et en France, PUF, 1995.
V.-L. Tapié et M. Fumaroli, Baroque et classicisme, Hachette, 2005.
Documentation Photographique et diapos :
J.-P. Wytteman, « L’Europe baroque », La Documentation Photographique, n° 8 030, décembre 2002.
Revues :
« Le baroque », TDC, n° 909, février 2006.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
BO 4e actuel : « Présentation de l’Europe
moderne (3 à 4 heures)
À partir de cartes, le professeur met en
évidence les contrastes politiques,
économiques, sociaux, culturels et religieux
de l’Europe.
• Cartes : les États européens aux XVIIe et
XVIIIe siècles ; économie et populations de
l’Europe moderne.
• Repères chronologiques : début de la
croissance démographique (milieu du XVIIIe
siècle). »
Socle : Nouveau commentaire
« On présente des traits communs de
l’Europe moderne (la monarchie absolue, des
courants artistiques). On met en évidence des
divisions religieuses et linguistiques et une
première opposition économique et sociale
entre Europe occidentale (plus peuplée et
plus dynamique) et Europe orientale. L’étude
des traites négrières est intégrée à la
présentation du grand commerce européen. »
79
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
On insiste sur les contrastes entre l’Europe traditionnelle et l’Europe porteuse des
évolutions à venir. Il s’agit d’identifier :
– Les contrastes politiques : il faut mettre en évidence la domination du système
politique monarchique, malgré l’opposition entre une Europe des monarques et
une Europe des républiques. Le déclin des États méditerranéens et la montée en
puissance de certains États d’Europe du Nord-Ouest, du Centre et de l’Est comme
le Royaume-Uni, la France, les Provinces-Unies, l’Autriche, la Prusse ou la
Russie sont également à mettre en lumière. Cette évolution favorise notamment
un certain équilibre des puissances au 18e siècle.
– Les contrastes économiques et sociaux : on montre le glissement de la
Méditerranée à l’Atlantique favorable à l’Europe du Nord-Ouest qui devient le
nouveau centre de gravité économique et démographique. On souligne aussi la
domination écrasante de l’Europe des campagnes sur l’Europe des villes dont
l’essor s’accélère au 18e siècle.
– Les contrastes religieux, culturels et plus précisément artistiques : il convient de
rappeler l’existence des divisions religieuses en insistant sur l’opposition entre
catholiques et protestants, caractéristique de l’Europe moderne. L’objectif de la
partie sur les aspects artistiques est de montrer la domination et la coexistence des
tendances baroque et classique ainsi que l’émergence d’un courant artistique plus
autonome symbolisé par la peinture de Rembrandt. Les aires artistiques doivent
être mises en relation avec les évolutions parallèles de l’époque moderne. Le
caractère éducatif de l’art baroque au service du catholicisme romain, l’utilité
politique de l’art classique ainsi que le lien entre l’art de Rembrandt et
l’émergence de la bourgeoisie peuvent, par exemple, être soulignés.
Cette séquence peut éventuellement être traitée ainsi :
1 : Une Europe divisée
2 : Les contrastes économiques et sociaux
3 : Les contrastes artistiques
La Ronde paysanne de Peter Paul Rubens
Rubens, le plus important peintre flamand du
XVIIe siècle, nous donne un aperçu du
programme baroque. Péjorative jusqu’au
début du XXe siècle, l’expression « baroque
» est utilisée par les tenants d’un art
classique, puisant aux sources antiques, pour
dénoncer ce qu’ils considèrent comme
extravagant et capricieux. On comprend, à y
regarder de plus près, que cette façon de
peindre et de concevoir l’art a pu surprendre :
une forte impression de mouvement, dans les
corps et l’action des personnages, qui dissout
les lignes ; des couleurs riches, vives et
chatoyantes ; des contrastes de lumière
accentués. Tout cela contribue à faire entrer
le spectateur dans la scène, il s’agit de parler
à la sensibilité du plus grand nombre.
2. Un art européen : l’art baroque
Quel que soit les domaines dans lesquels il s’exprime, le baroque recherche le
mouvement : « L’homme n’est jamais plus semblable à lui-même que lorsqu’il
est en mouvement », dit le Bernin. Il est aussi l’art du spectacle et de l’ostentation
d’où le souci du décor. Enfin, si il est incontestablement un art religieux, lié à la
réaction de l’Église catholique après les Réformes du XVIe siècle, le baroque se
diffuse également dans l’ensemble de la société et donne lieu à de nombreuses
réalisations civiles.
Après le concile de Trente (1545-1563), lors duquel l’Église réaffirme ses
doctrines traditionnelles et s’engage dans une intense activité missionnaire, le
baroque devient une véritable arme pour renforcer ses positions et tenter la
reconquête des territoires perdus face aux protestantismes. Ce courant artistique
devient le média privilégié par lequel l’Église développe les thèmes du Christ et
de sa Passion, de la Vierge et des saints. Avec le baroque, l’Église va opposer des
représentations sacrées, grandioses et pathétiques à la prohibition des images
prônée par les ministres du culte réformé. Le réalisme et la vraisemblance que les
artistes baroques prêtent à leurs représentations du ciel et des saints concourent à
cette pédagogie esthétique, tout comme les cadres pompeux dans lesquels les
placent les architectes.
L’art baroque en Europe à l’époque moderne
Le contexte de Contre-Réforme catholique, dont le point de départ est le concile
de Trente (1545-1563), ainsi que la situation de rivalités dans l’Europe des rois,
est à l’origine d’une véritable émulation créatrice qui favorise la diffusion
européenne de l’art baroque. Apparu à Rome au début du XVIIe siècle, le
baroque fait sentir ses influences en Espagne, aux Pays-Bas catholiques, en
Allemagne, en Autriche et en France ainsi qu’en Europe centrale et en Amérique.
Si les résistances sont plus fortes dans les pays acquis à la Réforme, l’influence
baroque est réelle sur l’ensemble du continent.
Le baroque s’épanouit particulièrement en Italie, en Espagne et dans certains pays
germaniques. Dans les sociétés de l’Europe du Nord, en particulier dans les pays
gagnés par la Réforme, il ne se développe que dans l’architecture civile : les
architectes baroques conçoivent de somptueux palais pour les monarques
Le palais de Tsarkoïe Selo en Russie réalisé
par Rastrelli
Ce palais est l’oeuvre de Rastrelli, fils d’un
sculpteur florentin né à Paris en 1700. On lui
doit de nombreux châteaux dans les pays
germaniques. Néanmoins, c’est à SaintPétersbourg, nouvelle capitale des tsars
depuis 1703, que Rastrelli donnera toute sa
mesure. Le palais est achevé en 1751. On voit
ici la façade longue de 300 mètres où la
variété est créée par l’abondance du décor.
Les colonnes blanches se détachent sur un
fond bleu turquoise qui est la couleur préférée
de la tsarine Élisabeth Ire (1741-1762).
L’argent et l’or sont imités sur les toits, les
chapiteaux corinthiens ou les motifs des
fenêtres. Ce palais se veut une preuve de
l’entrée de la Russie dans l’Europe. C’est
aussi un témoignage d’un art qui ne se veut
pas uniquement religieux et dont l’influence
est réelle jusque dans le monde orthodoxe.
L’Extase de sainte Thérèse par Le Bernin
C’est dans une des chapelles latérales de
l’église Sainte-Marie-de-la-Victoire à Rome
que le Bernin produit son chef-d’œuvre le
plus important en 1652. S’appuyant sur
l’autobiographie de sainte Thérèse d’Avila,
réformatrice espagnole de l’ordre des
Carmélites, morte en 1582, le sculpteur
évoque l’instant où un ange armé d’une
flèche d’or lui aurait percé le coeur à coups
répétés. Au sourire de l’ange, messager de
l’amour divin, répond la pâmoison de la
sainte : « Un corps de femme, dont les formes
se révèlent jeunes et belles (…) devient le
lieu d’un miracle, d’une fugitive et
douloureuse rencontre entre la matière
vivante et l’esprit de Dieu. Scène d’amour,
scène de souffrance (…) l’une et l’autre
ensemble » (V.-L. Tapié). On retrouve ses
sentiments partagés dans l’expression du
visage de sainte Thérèse. Le mouvement est
80
européens qui, réformés ou non, entendent marquer leur puissance par leur
magnificence.
rendu par les gestes de l’ange et les plis
indéfinis du vêtement que porte la sainte.
3. La prospérité de l’Europe occidentale
L’économie de l’Europe moderne reste majoritairement rurale et agricole et est
une économie de subsistance. Toutefois, les XVIIe et XVIIIe siècles sont
marqués par un réel dynamisme. Face à une Europe rurale traditionnelle, héritée
de la période médiévale, une Europe dynamique et ouverte sur le monde se
développe surtout au XVIIIe siècle. Cette partie a pour objectif de faire saisir les
moteurs de ce dynamisme et de faire le lien avec la découverte du monde par
l’Europe.
La descente de Croix peinte par Pierre-Paul
Rubens en 1614
C’est une commande de la corporation des
arquebusiers afin de décorer un retable de la
cathédrale d’Anvers qui avait été saccagé lors
de la révolte des Pays-Bas en 1566.
La scène se situe après la crucifixion et la
mort de Jésus. Deux hommes détachent la
dépouille qui glisse en direction de l’apôtre
Jean, aidé par deux amis, Joseph d’Arimathie
et Nicodème. Debout au pied de la croix, la
mère de Jésus, accablée de douleur, exprime
sa tendresse en compagnie de deux jeunes
femmes. La partie du tableau la plus éclairée
est le corps de Jésus, lumière du Monde. Un
mouvement est donné par la ligne ondulante
qui serpente de haut en bas en suivant le
corps de Jésus. Il règne une atmosphère
pathétique.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
81
HM – L’Europe et les tensions politiques et religieuses aux XVIIe-XVIIIe s
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
La situation religieuse de l’Europe accentue les tensions entre les rois ou à
l’intérieur des royaumes où domine le plus souvent le principe « tel prince, telle
religion ».
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
EL KENZ, David, GANTET, Claire, Guerres et paix de religion en Europe aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Armand Colin, «
Cursus », 2008 (2e éd.). (un manuel avec l’essentiel des problématiques de la question : les troubles confessionnels et les
tentatives de pacification dans l’ensemble de l’Europe. Les deux auteurs ont aussi intégré les apports fondamentaux de
l’historiographie internationale (notamment la notion de confessionnalisation – Konfessionalisierung, Wolfgang Reinhard et
Heinz Schilling).
Histoire du christianisme, les tomes VIII et IX: Le temps des confessions (1530-1620), L’Âge de raison (1620-1750), sous la
direction de Marc Venard, J.-M. Mayeur, A. Vauchez, Ch. et L. Pietri, Desclée, 1994, 1997.
SAUPIN Guy, Naissance de la tolérance en Europe aux Temps modernes : XVIe-XVIIIe siècles, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 1998.
Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (v. 1525–v. 1610), Champ Vallon, collection
« Époques », 2005 (1re édition 1990)
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Guerres et paix de religion en Europe, 16e-17e siècles
Paris, Armand Colin, Cursus, 182 p.
La collection cursus des éditions Armand Colin propose ici un ouvrage de
synthèse à l’usage des étudiants sur un sujet vaste et difficile à manier dans sa
globalité malgré l’apparente simplicité et cohérence du thème : les guerres de
religion en Europe entre 1520 et 1660. Il est bien difficile de ne pas s’enliser dans
l’évocation de ces réalités nationales complexes où s’imbriquent confusément
considérations politiques et religieuses ; aussi, les auteurs ont-ils pris le parti
d’allier la simplification à la précision chronologique et de privilégier une
approche très évènementielle.
En sept chapitres, David El Kenz, spécialiste des guerres de religion dans la
France du XVIe siècle (thèse sur les martyrs en 1995), maître de conférences à
l’Université de Dijon et Claire Gantet, auteur d’une thèse sur les discours et
images de la paix en Allemagne du Sud aux XVIIe et XVIIIe siècles (1999) et
d’une étude sociale de la paix de Westphalie (Belin, 2001), maître de conférences
à Paris I, proposent d’aborder successivement les pratiques de la violence et de la
paix religieuses, les guerres de religion dans l’Empire, dans le reste de l’Europe,
en France, puis aux Pays-Bas. Le dernier chapitre est consacré au déchirement de
l’Europe, de la Guerre de Trente ans à la Glorieuse Révolution de 1688 qui a vu
le renversement des Stuart. Une telle ampleur ne permet naturellement pas un
approfondissement qui n’est de toutes manières pas la vocation de la collection.
A l’usage des étudiants ou des enseignants non spécialistes, l’ouvrage propose
une mise au point comportant à chaque chapitre une introduction
historiographique et quelques indications bibliographiques récentes. L’ensemble
est agrémenté de chronologies et d’un dossier cartographique offrant une vue
synthétique des conflits.
Le premier chapitre aborde les pratiques de manière transversale : celles de la
communication tout d’abord : la parole, qui précède et accompagne les violences
physiques ; celle des prédicateurs comme des laïcs, pour qui les textes sacrés
servent de levier à la justification de la violence : en témoigne le chant des
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4e actuel : « Présentation de l’Europe
moderne (3 à 4 heures)
À partir de cartes, le professeur met en
évidence les contrastes politiques,
économiques, sociaux, culturels et religieux
de l’Europe.
• Cartes : les États européens aux XVIIe et
XVIIIe siècles ; économie et populations de
l’Europe moderne.
• Repères chronologiques : début de la
croissance démographique (milieu du XVIIIe
siècle). »
Socle : Nouveau commentaire
« On présente des traits communs de
l’Europe moderne (la monarchie absolue, des
courants artistiques). On met en évidence des
divisions religieuses et linguistiques et une
première opposition économique et sociale
entre Europe occidentale (plus peuplée et
plus dynamique) et Europe orientale. L’étude
des traites négrières est intégrée à la
présentation du grand commerce européen. »
82
psaumes entonné par les soldats huguenots avant la charge ; plus pacifiques mais
duels oratoires quand même, les disputes, à l’origine du choix de la Réforme par
les communautés urbaines helvétiques ou allemandes.
L’imprimé ensuite, vecteur privilégié de la Réforme, dont la puissance semble
bien comprise par Luther à partir de 1518. A ce sujet, les auteurs soulignent que
la légende de l’affichage des thèses sur la porte de l’église de Wittenberg,
question très débattue, a été inventée par Melanchthon peu après la mort de
Luther (alors qu’elles avaient été envoyées, en latin, à l’archevêque de Mayence).
Une chose est sûre, c’est qu’elles étaient destinées à être publiées : imprimées à la
fin de l’année, elles furent source de ruptures.
L’image enfin, un art de combat au service de la Réforme, à l’exemple des
gravures de Cranach l’Ancien.
Autres pratiques, celles d’une guerre civile plus ou moins permanente menée par
des mercenaires : les règles de la chevalerie s’effacent devant une violence
omniprésente comme en témoignent les nombreux massacres urbains, du XVIe
au XVIIe siècle. On pourra préciser cette évocation des rapports entre la violence
et le sacré avec René Girard ou Denis Crouzet. Attentats ratés et tyrannicides
achèvent le tableau des violences qui mêlent rivalités confessionnelles et
contestations politiques.
Le deuxième chapitre est consacré à la naissance de la Réforme dans le SaintEmpire, où les contestations sociales et politiques servent de levier à la
propagande luthérienne. Beaucoup croient alors que les autorités temporelles
doivent s’incliner devant celle de l’Evangile. Les auteurs apportent d’utiles
précisions sur cette méconnaissance du message uniquement spirituel de Luther
ainsi que sur les motivations de la guerre des chevaliers et des paysans,
impuissantes à créer un nouvel ordre social et politique, et dont l’échec discrédite
quelque peu les réformateurs : condamnation de la rébellion et
institutionnalisation du mouvement apparaissent aussi comme la condition de la
survie.
Le chapitre suivant mêle histoire politique et culturelle et aborde le difficile
avènement du compromis confessionnel dans ce « laboratoire des paix de religion
» qu’est alors le Saint-Empire. Le livre montre bien l’intrication des divergences
à la fois politiques et théologiques qui rendent impossible l’alliance évangélique
au sein des Etats allemands ; la confession d’Augsbourg est loin de faire
l’unanimité. Contestée, la constitution traditionnelle de l’Empire se montre
impuissante à rétablir la paix confessionnelle et provoque la Protestation publique
de 14 villes et princes hostiles à la règle de la majorité pour les questions
religieuses : le protestantisme est né, accompagnant l’ébauche d’une théorie du
droit de résistance.
Après le temps de l’unité progressivement constituée au sein de la Ligue de
Smalkalde dans les années 1530, vient celui de la contre-offensive catholique
(Concile de Trente, 1545) et impériale (Mühlberg, 1547). Les auteurs montrent
notamment comment la tentative de compromis impérial produit chez les
protestants une effervescence eschatologique. Après l’abdication de Charles
Quint, la Paix d’Augsbourg suspend les hostilités mais n’apaise pas pour autant
les tensions confessionnelles.
Les auteurs proposent ensuite un petit tour d’horizon de l’établissement du
pluralisme religieux dans le reste de l’Europe, faisant ressortir les motivations
particulières à chaque Etat, souvent plus politiques que fondamentalement
religieuses comme en Suède, où l’adoption de la réforme conforte l’identité et
l’indépendance nationale, contre l’hégémonie danoise, ou bien l’Angleterre, où
les résistances populaires à la Réforme furent nombreuses : contre une politique
d’Etat qui s’oriente vers le protestantisme, les révoltes témoignent d’une lente
adoption de la Réforme dans les consciences des sujets anglais. A la mort
d’Elisabeth en 1603, l’ensemble du royaume semble cependant acquis à la
Réforme, pour le plus grand profit économique et politique des élites locales.
Les auteurs soulignent ensuite la singularité de la Pologne, « asile des hérétiques
», attirés par la politique de tolérance de Sigismond II (1548-1572), dernier des
Jagellons. Le principe de la liberté religieuse est ensuite imposé par la noblesse à
la monarchie élective. Toutefois, l’existence de minorités religieuses a
probablement constitué l’une des principales faiblesses de la Pologne face aux
agressions extérieures.
Inversement, en Russie, l’Etat a dû intervenir dans les affaires religieuses, mais
83
n’a pas été affaibli par la querelle des rites et le schisme de l’Eglise orthodoxe de
1666, malgré l’esprit de résistance des raskolniki, persuadés de vivre sous le
règne de l’Antéchrist.
Le chapitre 5 est consacré aux guerres de religion en France, sujet sur lequel les
ouvrages de synthèse ne manquent pas. Un tableau synthétique accompagne le
résumé des temps forts d’un affrontement qui conduit au morcellement territorial
et s’internationalise. L’événementiel étant bien connu, il aurait été intéressant que
soient plus poussées les allusions aux lectures plurielles qu’en font les historiens,
ainsi qu’à l’évolution historiographique récente réhabilitant les derniers Valois.
Néanmoins, l’exposé démontre clairement l’évolution vers la
déconfessionalisation partielle de l’Etat et la marginalisation de la R.P.R. face au
catholicisme d’Etat.
Paradoxalement, après la violence des attaques contre la monarchie (pour une
étude de la violence à travers les pamphlets, on se reportera aux travaux d’Annie
Duprat ou bien à l’édition récente de La vie et faits notables de Henry de Valois
de Jean Boucher établie par Keith Cameron), les auteurs estiment que les guerres
de religion ont débouché sur un renforcement de l’autorité royale.
Le chapitre suivant aborde la révolte des Pays-Bas, mouvement de dissidence
calviniste dirigé contre l’Espagne qui aboutit, comme on le sait, à la rupture entre
le Nord et le Sud. La férocité de la répression menée par le duc d’Albe heurte une
aspiration profonde à la liberté religieuse et précipite les Nassau dans le camp
d’une opposition tendue et divisée. Il apparaît alors que le choix républicain des
Provinces-Unies résulterait moins d’une éthique protestante que d’une réalité
pluriconfessionnelle. En revanche, les Pays-Bas du Sud deviennent une terre
d’élection de la contre-Réforme, sous la dépendance de l’Espagne.
Evaluant les conséquences de la guerre, les auteurs évoquent l’exil de 150 000
habitants du Sud vers le Nord, dont près d’un quart d’Anversois, ce qui ajouterait
alors au déclin de l’un des ports les plus riches du XVIe siècle.
Le dernier chapitre propose un regard sur les révoltes européennes du XVIIe
siècle, encore très marquées par les rivalités confessionnelles. Claire Gantet
revient sur les origines de la Guerre de Trente ans, dernière guerre de religion en
Europe centrale. Contre la menace pour tout l’Empire que représente la Lettre de
Majesté de 1609 qui accorde la liberté religieuse en Bohême, Ferdinand II lance
une contre-offensive catholique animée par les jésuites. L’intransigeance
impériale dont témoigne l’Edit de restitution de 1625 représente une menace à la
fois religieuse et politique pour les princes allemands qui basculent à leur tour
dans la guerre. Avec l’irruption de la Suède dans le conflit, la propagande
protestante dénonce l’absolutisme impérial et entend prendre la défense des
libertés accordées en 1555.
Les auteurs évoquent ensuite la paix de Westphalie, en vigueur jusqu’en 1806,
l’un des « premiers essais de tolérance d’Etat » où l’emportent enfin les
considérations politiques. Le thème de l’angoisse suscitée par le déchaînement de
la violence (anthropophagie) et son interprétation aurait mérité d’être un peu plus
approfondi.
Les auteurs en viennent ensuite à la rébellion et à la résistance des huguenots, des
guerres du duc de Rohan dans les années 1620 à la guerre des Camisards dans les
Cévennes. Ils insistent sur la dimension religieuse, prophétique et eschatologique
d’une sédition contestée par la notabilité protestante du « refuge ». Le loyalisme
monarchique des réformés est effectivement un des acquis de l’historiographie
récente.
Le chapitre se termine sur le cas anglais, soumis à une profonde révision
historique qui place la défense des libertés parlementaires en arrière-plan, derrière
les affrontements confessionnels. Contrairement à ce qu’affirment nos manuels
scolaires, la guerre menée contre Charles Ier ne serait pas la « première
révolution européenne, mais la dernière des guerres de religion » (John Morril),
manifestation du refus des puritains de se soumettre à la politique épiscopalienne
du roi. L’exécution de Charles Ier est précédée d’une intense propagande
puritaine qui dénonce un roi Antéchrist, rappelant la situation de la France à la fin
du XVIe siècle, à la veille de l’assassinat de Henri III. Victoire religieuse plus
que politique, suivie d’un regain du millénarisme dont témoigne le mouvement
des Quakers de George Fox. On retrouve ce messianisme anti-catholique lors de
la Glorieuse Révolution.
84
En conclusion, les auteurs proposent une explication à la disparition des guerres
de religion à la fin du XVIIe siècle : la dissociation partielle du politique et du
religieux, l’évolution des mentalités vers l’idée de tolérance et la culpabilisation
de la violence, l’intériorisation du pluralisme religieux, etc. pallient le
durcissement des identités confessionnelles.
Au final, sur un thème difficile, on pourra toujours regretter ça et là un manque
d’approfondissement thématique comme les thèmes de la propagande religieuse
et leur signification concernant la conception du pouvoir. Mais l’ouvrage offre
une bonne intelligibilité de la période et séduit par la qualité de ses enchaînement
factuels. Il constitue un premier instrument de travail fournissant les
indispensables bases événementielles ; l’interprétation qu’il en donne, appuyée
sur une bonne connaissance de l’évolution de l’historiographie, infirme certaines
idées encore très répandues dans les manuels du secondaire.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. Tensions politiques et religieuses en Europe au début du XVIIe s
1. Une Europe politique morcelée
Cette partie met en évidence la domination de la monarchie (héréditaire ou
élective) absolutiste. Elle montre également que l’Europe est un lieu
d’affrontement entre les rois qui veulent affirmer leur domination et leur
supériorité ; le continent connaît un état de guerre quasi permanent. En filigrane,
on évoque la transition que représente ces deux siècles qui connaissent le déclin
de la puissance habsbourgeoise.
Le XVIIIe siècle ne propose pas une simplification de la carte politique de
l’Europe. La domination des Habsbourg est brisée mais les guerres incessantes
ont provoqué des modifications territoriales importantes. Après la domination des
Habsbourg puis l’hégémonie française, de 1660 à 1691, l’Europe du milieu du
XVIIIe siècle présente un nouvel équilibre où aucun État ne parvient à imposer sa
suprématie. On distingue trois types de situation :
– L’Europe du Nord-Ouest, composée de la France, des Provinces-Unies et de
l’Angleterre, en plein essor économique. Depuis 1715, la France a sécurisé ses
frontières et brisé l’encerclement des Habsbourg avec l’installation d’un Bourbon
sur le trône espagnol (1700). Toutefois, la France paie encore les guerres
incessantes menées depuis le XVIIe siècle (45 années de guerre pour le seul
règne de Louis XIV). Les Provinces-Unies, protestantes, sont apparues en 1579
(Union d’Utrecht) au terme d’une longue guerre contre les Habsbourg. Elles ont
su profiter de la trêve de douze ans arrachée à l’Espagne (1609) et de la fermeture
du port d’Anvers, pour devenir la première puissance commerciale et financière
de l’Europe. Toutefois, le dynamisme des Provinces-Unies contrarie les intérêts
de l’Angleterre, qui est devenue une puissance de premier plan.
– Des États puissants en déclin. L’Espagne ne contrôle plus le Portugal depuis
1640 et le changement dynastique de 1700 a entraîné la perte de l’héritage
bourguignon (Pays-Bas, Franche-Comté) et des possessions italiennes (Milanais,
Naples, Sardaigne, Sicile) au profit de la branche cadette des Habsbourg.
L’Empire ottoman montre des signes de décadence.
– L’Europe centrale et orientale est caractérisée par trois États en pleine
ascension : la Prusse, la Russie, l’Autriche. La Prusse occupe une place
dominante sur les États allemands et la Russie commence a s’ouvrir sur l’Europe.
Cependant ce ne sont pas encore des puissances. Les Habsbourg de Vienne ont la
dignité impériale mais l’Empire est divisé en plusieurs centaines d’États dont les
princes se considèrent comme indépendants : le titre impérial apporte plus de
prestige que de pouvoir réel. En revanche, la monarchie autrichienne a tiré de ses
victoires sur l’Empire ottoman et sur l’Espagne des acquis territoriaux
considérables et a décuplé la superficie de ses États. La Hongrie et la plus grande
partie de l’Europe danubienne sont libérées de la domination ottomane par
l’Autriche (1699-1718). Les Habsbourg de Vienne dominent désormais l’État le
plus vaste et le plus peuplé d’Europe.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Activités, consignes et productions des élèves
:
L'éclatement de la chrétienté
Le 24 mai 1453, le sultan Mehmet prend
Constantinople : l’empire chrétien d’Orient
disparaît, il n’y a plus d’Empire romain ; les
Turcs continuent leur avancée, bientôt
maîtres de la Méditerranée orientale et de
l’Europe des Balkans. L’Europe chrétienne
tient, sur une ligne symbolisée par le Danube,
Belgrade et Rhodes. La chrétienté s’effrite,
elle éclatera avec la rupture de la Réforme
protestante. En attendant, l’idée de l’unité
chrétienne demeure. L’unité du monde
médiéval avait été assez puissante pour que le
sentiment d’appartenir à une civilisation
commune demeurât ineffaçable, pas assez
cependant pour créer une force politique
agissante, capable de dépasser la sphère
d’intérêt des États particuliers. La chrétienté
éclate, tandis que les États séculiers, les
nationalismes se développent, s’équipent de
langues nationales et d’un outillage juridique
et administratif moderne.
Le rêve d’un empire universel chrétien
s’éteindra peu à peu, laissant l’Europe divisée
entre protestants et catholiques et donnant
tort à la métaphore de la robe sans couture du
Christ. Mais le motif de l’empire continue
d’alimenter les guerres de la première moitié
du XVIe siècle. François Ier rêve de recevoir
le titre d’empereur du Saint-Empire romain
germanique, d’être ainsi l’héritier de
Charlemagne, et, plus haut encore, des Césars
de Rome... La rivalité de la France et de
l’Espagne de Charles Quint divisera la
première moitié du XVIe siècle. Mais l’Italie
ne sera pas unifiée, la France devra affronter
le désastre de Pavie (1525), Rome enfin subit
la mise à sac par les mercenaires luthériens le
5 mai 1527. Pendant une semaine, la ville
sainte est mise à feu et à sang, tandis que le
pape Clément VII, réfugié au château SaintAnge, contemple le désastre symbolique des
passions qui allaient bientôt envahir l’Europe
chrétienne pour la diviser définitivement.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
85
HM – Les traites négrières et l’esclavage au XVIIIe s.
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, Essai d'histoire globale, éd. Gallimard, 2004
Serge DAGET, La traite des noirs, Ouest-France, 1990.
Jean MEYER, Esclaves et négriers, Gallimard, « Découvertes », Paris, 1986.
P. PLUCHON (dir.), Histoire des Antilles et de la Guyane, Pivat, 1982.
L. SALA-MOLINS, Le Code noir ou le Calvaire de Canaan, PUF, Paris, 1987.
P. VILLIERS et J.-P. DUTEIL, L’Europe, la mer, les colonies, Hachette, Paris, 1997.
Y. BENOT, La Révolution française et la fin des colonies, La Découverte, Paris, 1987.
L. ABENON, J. CAUNA, L. CHAULEAU, Antilles 1789, la Révolution aux Caraïbes, Nathan, Paris, 1989.
J. METELLUS, M. DORIGNY, De l'esclavage aux abolitions, Éd. Cercle d'art, 1998.
Documentation Photographique et diapos :
Les traites négrières - n° 8032 (2003) / Olivier Pétré-Grenouilleau
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Les traites négrières, également appelées traite des Noirs, désignent des
commerces d'esclaves dont ont été victimes des millions de Noirs africains durant
plusieurs siècles. Pour la définir, il faut associer et combiner les six éléments
suivants :
* les victimes étaient des Noirs ;
* les traites supposaient des réseaux d’approvisionnement parfaitement
organisés et intégrés ;
* les populations serviles n'étaient pas suffisamment fécondes pour se
renouveler ;
* l'endroit où l’être humain était capturé et le lieu de sa servitude étaient
éloignés l’un de l’autre ;
* si ceux qui utilisaient les esclaves pouvaient être également producteurs
d’esclaves, la plupart du temps, il y avait des producteurs et des acheteurs, la
traite correspondant à un échange tributaire ou commercial ;
* la traite étant essentiellement une activité marchande, les entités politiques
des différentes civilisations approuvaient ce commerce et en retiraient des
bénéfices substantiels.
Cependant, la traite doit être distinguée de l'esclavage qui consiste à exercer sur
une personne l'un quelconque ou l'ensemble des pouvoirs liés au droit de
propriété. La traite est automatiquement liée à l’esclavage. Elles se renforcent
mutuellement. Mais la réciproque est fausse. Il existe des systèmes esclavagistes
dans lesquels la traite n’est pas présente, comme les États du sud des États-Unis
au XIXe siècle. La traite doit aussi être distinguée de la notion contemporaine de
Trafic d'êtres humains.
Il y a eu trois traites négrières : la traite orientale, la traite occidentale et la traite
intra-africaine. Celles-ci ont été un phénomène historique de très grande ampleur
en raison du nombre de victimes, de sa durée, de la multitude de producteurs et
d'acheteurs aux cultures et aux motivations différentes, des nombreuses méthodes
d'asservissement, des multiples opérations de transports sur de très longues
distances et de la réduction de ces êtres humains en esclaves et en main d'œuvre
servile.
Olivier Pétré-Grenouilleau, dans Les Traites négrières, Essai d'histoire globale est
l'historien qui met le plus l'accent sur la traite orientale, la plus difficile à chiffrer
en raison de sources dispersées sur une période de temps plus ancienne. Il estime
à 42 millions le total de victimes pour trois traites négrières :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Socle : Nouveau commentaire
« On présente des traits communs de
l’Europe moderne (la monarchie absolue, des
courants artistiques). On met en évidence des
divisions religieuses et linguistiques et une
première opposition économique et sociale
entre Europe occidentale (plus peuplée et
plus dynamique) et Europe orientale. L’étude
des traites négrières est intégrée à la
présentation du grand commerce européen. »
BO 4e futur :
« La traite est un phénomène ancien en
Afrique. Au XVIIIe siècle, la traite atlantique
connaît un grand développement dans le
cadre du « commerce triangulaire » et de
l’économie de plantation.
La traite atlantique est inscrite dans le
contexte général des traites négrières.
L’étude s’appuie sur un exemple de trajet de
cette traite.
Raconter la capture, le trajet, et le travail
forcé d’un groupe d’esclaves
86
* la traite orientale, faite par les Arabes : 17 millions de personnes, mais
d'autres historiens citent un chiffre deux fois inférieur.
* la traite intra-africaine: 14 millions de personnes, dont une partie est ensuite
revendue à des européens ou des arabes.
* la traite atlantique, faite par les Européens et les Américains : 11 millions de
personnes, dont l'essentiel à partir de la fin du 17ème siècle.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I.
Le terme « traite » désigne le transport et le commerce des esclaves, depuis les
lieux où les esclaves sont capturés, jusqu’aux lieux où ils sont exploités. Ce
témoignage montre bien que l’esclave est considéré comme une marchandise,
dont la valeur se discute selon les lois du marché : « Les Nègres étaient plus ou
moins chers suivant la concurrence et la défectuosité ». Les esclaves adultes en
âge de travailler et en bonne santé sont les plus chers : «Un beau Nègre pièce
d’Inde […] bien fait, sans infirmité, ayant toutes ses dents […] s’achetait, en
1777, 50 pièces ».
Le Code noir (1685)
Les soixante articles du Code noir, préparés par les services de Colbert, sont
promulgués deux ans après sa mort. Ils codifient l'esclavage dans les colonies
antillaises de la France, alors que se développe une économie de plantation
fondée sur l'exploitation d'une main-d'oeuvre servile d'origine africaine. Après
avoir imposé la religion catholique comme unique religion dans les possessions
françaises (1685 est aussi l'année de l'abrogation de l'édit de Nantes), le Code noir
définit les règles du mariage entre esclaves, précise que l'enfant suit la condition
de sa mère, interdit aux esclaves de s'assembler, de porter des armes, de faire du
commerce, prévoit les châtiments « pour voies de fait, crimes, vols, marronages »
(le marronage est le fait pour un esclave de fuir la plantation et de vivre dans une
liberté clandestine) et envisage les conditions d'un éventuel affranchissement.
L'esclave qui est défini comme un « bien meuble » (art. 44) ne jouit d'aucun droit
: il ne peut ni être propriétaire, ni ester en justice, ni porter témoignage contre son
maître. Cet édit reçoit les signatures de Louis XIV, Le Tellier et la signature
posthume de Colbert. Abrogé en février 1794, ce code esclavagiste est restauré
par Bonaparte en 1802. Il est définitivement aboli en 1848. Ce texte est un édit,
soit un acte législatif émanant du roi. Les esclaves n'ont aucun droit et sont
soumis à des châtiments : le fouet, la marque au fer rouge, la mutilation, la mort.
L’esclave est défini, dans l’article 44 du Code noir, comme un bien « meuble »,
qui comme tel doit « entrer dans la communauté, n’avoir point de suite par
hypothèque, se partager également entre les cohéritiers ». Il ne jouit donc d’aucun
droit. Le maître doit instruire ses esclaves dans la religion catholique (art. 1), les
nourrir, vêtir et entretenir sous peine de poursuites (art. 22, 26). Les « traitements
barbares et inhumains» sont également poursuivis. Toutefois, l’esclave ne
pouvant ni ester en justice, ni témoigner contre son maître, ces obligations sont
très théoriques.
II. Un combat pour la liberté : la remise en cause de l’esclavage
Un philosophe contre l'esclavage
L’abbé Raynal (1713-1796) a quitté les Jésuites en 1747 et est devenu l’un des
membres les plus avancés du « parti philosophique ». Dans L’Histoire
philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens
dans les deux Indes (publié à l’étranger en 1770, en France en 1772), auquel
Diderot a collaboré, il affiche ses positions anti-absolutistes, anti-cléricales et
anti-colonialistes. Raynal ne partage pas le point de vue de Snelgrave. Il oppose
au plaidoyer favorable aux négriers des arguments moraux en dénonçant la
brutalité et la cupidité des esclavagistes et des arguments économiques en
expliquant que l'abolition de l'esclavage ne ruinerait pas le commerce colonial,
car il serait possible de faire cultiver les plantes tropicales par des hommes libres.
Les principales productions des colonies esclavagistes sont le sucre de canne, le
café et le cacao. Raynal propose de développer la culture de ces produits
tropicaux en Afrique ou aux Antilles en faisant appel à une main-d'oeuvre libre :
« Ces denrées pourraient être cueillies par des mains libres, et dès lors
Activités, consignes et productions des élèves
:
Un négrier justifie la traite
Snelgrave utilise des arguments «
philanthropiques » : la traite permettrait de
sauver la vie des prisonniers de guerre et la
déportation dans les colonies améliorerait les
conditions de vie des Africains. Il utilise
aussi des arguments économiques : la traite
profite aux colonies et à leurs métropoles, en
fournissant une main-d'œuvre « adaptée » au
climat tropical.
Les arguments du négrier mêlent en fait
mensonges et cynisme. Le développement de
la traite a entraîné la multiplication des
guerres et des razzias encouragées par les
négriers, qui fournissent des armes en
échange de leur approvisionnement en chair
humaine. La traite a, certes, procuré
d'importants profits à ceux qui investissaient
dans le commerce triangulaire, mais a
durablement affaibli les sociétés d'Afrique
noire. Des récits de voyage, les écrits des
abolitionnistes européens et de rares
témoignages d'esclaves publiés (La Véridique
Histoire par lui-même d'Olaudah Equiano,
Londres, 1789, réédition par les Éditions
caribéennes en 1987 ; La Véritable Histoire
de Mary Prince, esclave antillaise racontée
par elle-même, Londres, 1831, rééditée par
Albin Michel, 2000) infirment les écrits
lénifiants de Snelgrave. La lecture du Code
noir met en évidence la déshumanisation dont
étaient victimes les esclaves. Les travaux des
historiens évaluent la réalité de la mortalité
causée par la traite (S. Daget, La Traite des
noirs, Éditions Ouest-France, 1990) et
montrent la faiblesse de l'espérance de vie
des esclaves ainsi qu'un taux de mortalité très
supérieur au taux de natalité ce qui profitait
aux négriers, fournisseurs de main-d'oeuvre
servile aux plantations.
La gravure de Jean-Michel Moreau le Jeune
montre la dureté des conditions de travail des
esclaves. À l’arrière-plan, un esclave dénudé
dont les bras sont fixés au sol est fouetté par
un contremaître, tandis qu’au premier plan,
une esclave, dont la tête est prise dans une
cangue de bois, travaille la terre, entourée de
ses enfants (elle porte le plus jeune sur son
dos).
87
consommées sans remords. »
Dans son Voyage à l’Île de France, publié en 1773 après son séjour à l’île
Maurice, Bernardin de Saint-Pierre condamne l’égoïsme et la légèreté des
Européens, qui n’ont pas hésité à « dépeupler » l’Amérique et l’Afrique pour
planter du café et du sucre. Il dénonce également l’hypocrisie du Code noir, censé
protéger les esclaves mais quotidiennement et impunément bafoué par leurs
maîtres.
« Ne suis-je pas un homme et un frère ? ». Huberside, Wilberforce House
Museum.
Ce tableau représente un homme noir enchaîné, agenouillé et implorant : « Ne
suis-je pas un homme et un frère ? » Il a servi de modèle au sceau de la Société
des Amis des Noirs fondée en 1788 à Paris par Brissot sur le modèle anglais. La
Fayette, Condorcet, Mirabeau, l'abbé Grégoire, notamment, adhèrent à la Société
qui se fixe comme premier objectif l'abolition de la traite. Le slogan du
mouvement abolitionniste français, repris du mouvement anglais, signifie que les
esclaves sont des êtres humains comme les autres et que tous les hommes sont
frères. La Société des Amis des Noirs affirme ainsi que l’abolition de l’esclavage
est une conséquence logique des idéaux des Lumières.
La première abolition de l'esclavage dans les colonies
La Convention a aboli l'esclavage sans indemnité des propriétaires le 16 pluviôse
an II (4 février 1794) alors que les Assemblées précédentes avaient fini par céder
aux pressions du « lobby » esclavagiste. La situation est alors confuse dans les
colonies françaises des Antilles : à Saint-Domingue (Haïti), les esclaves insurgés
ont imposé leur émancipation lors de l'été 1793, alors qu'à la Guadeloupe et à la
Martinique les colons ont fait appel aux Anglais pour maintenir l'ordre
esclavagiste. Il est impossible en quelques lignes de faire le point sur la question
coloniale pendant la Révolution. Le livre d'Y. Bénot, La révolution française et la
fin des colonies (La Découverte, Paris, 1988) le fait avec précision. Le roman
d'Alejo Carpentier, Le siècle des Lumières (Gallimard) évoque l'histoire des
Antilles et de la Guyane à la fin du XVIIIe siècle à travers le personnage de
Victor Hugues, commissaire de la Convention, qui reconquit la Guadeloupe et y
fit appliquer le décret d'abolition. Ce décret confère la citoyenneté française aux
anciens esclaves des colonies.
Napoléon a entrepris une expédition contre Toussaint-Louverture
Sous le Consulat, le 20 mai 1802, Napoléon rétablit l’esclavage dans les colonies.
Il entreprend de lutter contre Toussaint-Louverture. Ce dernier, depuis 1801, a
pris la tête d’une insurrection contre les Espagnols et les Anglais qui se
partageaient le contrôle de Saint-Domingue et a même établi sur la partie
française de l’île la République indépendante d’Haïti. Aux yeux de Napoléon, ces
actions mettent non seulement en péril les intérêts économiques français, mais ils
peuvent aussi conduire Espagnols, Anglais et Noirs à unir leurs forces contre la
France. Napoléon fait envoyer, sous le commandement du général Leclerc (marié
avec Pauline Bonaparte), 79 vaisseaux de guerre et 22 000 soldats qui matent la
rébellion.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
L’esclavage s’est développé principalement pour des raisons économiques, et au
XVIIIe siècle encore, le commerce triangulaire permet à l’Europe de conserver et
d’exploiter son empire colonial. La traite des esclaves africains assure
l’enrichissement des dynasties marchandes de la façade atlantique, et l’Europe
peut consommer des produits tropicaux à bon prix. L’esclavage est
institutionnalisé par l’État (Code noir de 1685) et il est souvent justifié avec
hypocrisie par les contemporains, qui sont sensibles à son intérêt économique.
Cependant, à la fin du XVIIIe siècle, des voix s’élèvent pour condamner cette
institutionnalisation de l’esclavage : le Code noir est remis en cause, l’esclavage
est dénoncé pour ce qu’il est, une exploitation des êtres humains contraire aux
principes d’égalité et de liberté chers aux philosophes des Lumières. La Société
des Amis des Noirs est créée en 1788 pour demander l’abolition de l’esclavage.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
88
HM – L’Europe des Lumières
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Les Lumières françaises se sont affirmées comme un modèle. Mais il s'est agi dès
l'origine d'un phénomène totalement européen qui s'est nourri d'échanges
intellectuels, commerciaux, migratoires...
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Catalogue de l’exposition Lumières ! Un héritage pour demain dirigé par Yann Fauchois, Thierry Grillet et Tzvetan Todorov,
éditions Bibliothèque nationale de France, 2006.
Ouvrages généraux :
Paul Hazard, La Pensée européenne au XVIIIe siècle de Montesquieu à Lessing, Paris, Boivin, 1946, réédition Fayard, 1963.
Pierre Chaunu, La Civilisation de l’Europe des Lumières, Flammarion, 1971, Flammarion/Champs, 1997.
Franco Venturi, L’Europe des Lumières, Paris / La Haye, Mouton / EHESS, 1971.
DELON Michel (dir.), Dictionnaire européen des Lumières, PUF, 1997.
René Pomeau, L'Europe des Lumières, Hachette/Pluriel, (1991)1995
Tzvetan Todorov, L'Esprit des Lumières, Paris, Robert Laffont, 2006.
FERRONE Vincenzo (dir.) et ROCHE Daniel, Le monde des Lumières, Fayard, (1999) 2005.
D. Roche, La France des Lumières, Fayard, Paris, 1994.
D. ROCHE, Les Républicains des lettres, Fayard, Paris, 1988.
Michel Vovelle, L’Homme des Lumières, Le Seuil, Paris, 1996.
Michel Vovelle et Guy Lemarchand, Le Siècle des Lumières (coffret deux volumes), PUF/Peuples et civilisations, 1997
Alphonse Dupront, Qu'est ce que les Lumières ?, Gallimard/Folio histoire, 1996
Jean-Marie Goulemot, Adieu les philosophes ! Que reste-t-il des Lumières ?, Seuil/L'avenir du passé, 2001
Peter Gay, The Enlightenment: An Interpretation, New York, A. A Knopf, 2 vol., 1967 et 1969.
Robert Darnton, Pour les Lumières : défense, illustration, méthode, Presses universitaires de Bordeaux, 2002
R. Darnton, L’Aventure de l’Encyclopédie, 1775-1800, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1992.
JOURDAN Annie, La Révolution, une exception française ?, Flammarion, 2004.
PROUST Jacques, Diderot et l’Encyclopédie, Albin Michel, Bibliothèque de l’évolution de l’humanité, 1995.
VIGUERIE J., Histoire et dictionnaire du temps des Lumières, Laffont, coll. Bouquins, 1995.
B. Darbeau, Les Lumières, Anthologie, coll. « Étonnants classiques », Flammarion, Paris, 2002.
R. CHARTIER, Les Origines culturelles de la Révolution française, Seuil, Paris, 1990.
D. POULOT, Les Lumières, PUF, « Premier cycle », Paris, 2000.
F. Moureau, Le Roman vrai de l’Encyclopédie, Gallimard, coll. « Découvertes », n° 100.
Documentation Photographique et diapos :
HINCKER François, « L’Europe des Lumières », La Documentation photographique n° 7006, La Documentation française, 1991.
Revues :
La révolution des Lumières (Daniel Roche) dans Les Européens d'Hérode à Erasmus / Collectif, in LES COLLECTIONS DE
L'HISTOIRE, N° 41, Hors-Série, Octobre-Décembre 2008
« Liberté ! La révolution des Lumières », dossier dans L’Histoire, n° 307, mars 2006.
L’esprit des Lumières, Un héritage à éclipses, Jean M. GOULEMOT, TDC, N° 716, du 15 au 31 mai 1996
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
BO 4e actuel : « La remise en cause de
Il s’agit de mettre en valeur l’influence de la pensée des Lumières dans les
l’absolutisme (3 à 4 heures)
systèmes politiques et le rôle joué par les révolutions dans une société d’Ancien
Il s’agit, sans étudier les événements des
Régime en crise à l’origine d’une nouvelle Europe.
révolutions anglaises du XVIIe siècle et de la
L’esprit des Lumières est avant tout un esprit qui synthétise les idées nées depuis
Révolution américaine, de montrer que
l’Antiquité. Sa nouveauté réside dans la combinaison qui s’opère à cette époque
l’existence de régimes tels que la monarchie
pour transformer la société et combattre le despotisme, l’obscurantisme et
limitée en Angleterre et la république
l’intolérance religieuse. Cette lecture dynamique des révolutions est complexe. Il
américaine et des aspirations politiques liées
s’agit d’intégrer à la fois le thème de la circulation des idées dans les livres ou
à la philosophie des Lumières mettent en
gazettes mais aussi celui de la circulation des hommes (philosophes, savants,
cause les principes de la monarchie absolue.
militaires…). Seule une minorité cultivée est concernée par ces idées nouvelles.
D’autres modèles politiques sont ainsi
Cependant, l’unité de l’Europe du XIXe siècle prend ici son sens en créant un
proposés à une société française en crise.
homme plus libre et une société nouvelle qui s’affirment différemment face au
• Repères chronologiques : Déclaration des
monde. Ce n’est plus seulement une Europe unie par une histoire romaine ou une Droits (1689) ; l’Encyclopédie (milieu du
XVIIIe siècle).
religion catholique dominante (Todorov).
• Documents : préambule de la Déclaration
d’indépendance des États-Unis ; extraits de
89
La question des Lumières anglo-françaises du XVIIIe siècle, de leur rôle dans la
préparation du processus révolutionnaire de 1789 a été reprise et débattue par
Daniel Chartier dans un brillant ouvrage novateur et discuté, paru en 1990, Les
origines culturelles de la Révolution française, qui prend le contre-pied (quelque
peu excessif) de Daniel Mornet (Les Origines intellectuelles de la Révolution
française, 1932, rééd. 1969), en insistant sur le divorce entre culture des élites et
culture du peuple au XVIIIe siècle. L’argumentation de cet historien du livre
renoue en partie avec de plus anciennes mise en cause des limites des Lumières
par Jean-Marie Goulemot et ses disciples, sinon avec la contestation des
Lumières elles-mêmes comme matrice des totalitarismes enfantés par les
révolutions contemporaines, un thème déjà ancien (« la faute à Voltaire, la faute à
Rousseau »), repris sous de nouveaux oripeaux par Régis Debray, avec ses
contestables Aveuglantes Lumières, Journal en clair-obscur (2006). Pour cet
auteur, les Lumières, en dépit de notre triomphalisme et de notre ethnocentrisme
glorieux, ont des zones d'ombre capitales : le religieux, l'imaginaire, le sentiment
du collectif, notre rapport à la mort, à l'animalité…Il y a aussi un fanatisme des
Lumières, qui a produit par bien des côtés l'oppression coloniale…
Une époque d’intense bouillonnement à l’échelle de l’Europe
Le XVIIIe siècle voit l’épanouissement d’idées apparues au fil des siècles depuis
l’Antiquité ; il absorbe les mouvements idéologiques antérieurs, les réexamine,
les remet en question et les synthétise. Les philosophes des Lumières sont les
héritiers de Galilée, Pascal, Leibniz. Ils se différencient de Descartes en
postulant, dans le sillage de Locke, que la connaissance n’est pas innée, mais
procède de l’expérience. Leur quête de la connaissance passe par la remise en
cause des idées reçues, l’ouverture à tous les domaines du savoir, l’exaltation des
sciences (la science est regardée comme le moyen de libérer l’humanité des
superstitions et de l’obscurantisme) et la foi inébranlable dans le pouvoir de la
raison. La pensée doit être libre et non plus soumise à l’autorité et aux schémas
antérieurs reposant sur une interprétation chrétienne de l’univers. À la suite de
Pierre Bayle (Dictionnaire historique et critique, 1695), les penseurs doutent des
doctrines théologiques et métaphysiques. La devise des Lumières : « Sapere aude
! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » est énoncée par Kant
(Qu’est-ce que les Lumières ?, 1784). L’individu doit être autonome pour
conquérir sa liberté. Mouvement intellectuel d’origine anglaise qui s’est répandu
dans toute l’Europe, constitué de courants parfois contradictoires, les Lumières
contribuent à l’histoire des civilisations. Les révolutionnaires français s’en sont
prévalus et elles inspirèrent la déclaration d’indépendance des États-Unis
d’Amérique (4 juillet 1776), dont la Constitution (1787) reprend des principes
inspirés de Montesquieu (séparation des pouvoirs législatif, exécutif et
judiciaire). Qu’en est-il aujourd’hui de l’esprit des Lumières, face à la
mondialisation, dans une Europe constituée de pays qui n’ont plus de frontières
matérielles et d’où la monarchie absolue a disparu ? Que reste-t-il de cet héritage
complexe dans les débats de notre société sur la laïcité, les dérives de la science,
les moeurs, la solidarité… ?
Kant donne une définition du philosophe des Lumières : ce dernier poursuit trois
démarches fondamentales :
1) l’émancipation de la pensée de l’homme grâce à la connaissance pour accéder
à la critique ;
2) l’acceptation de la pluralité des idées pour nourrir le monde ;
3) la remise en question des idées reçues de son temps pour faire évoluer la
société.
Le siècle des Lumières débute traditionnellement avec la mort de Louis XIV en
1715 et s’achève avec le coup d’État du 18 Brumaire An II (9 novembre 1799).
Louis XIV a encouragé la société à une certaine légèreté, au goût des fêtes et au
luxe. Après des années de guerre, les écrivains remettent en cause l’Ancien
Régime. Ils publient leurs œuvres à l’étranger (souvent à Amsterdam) pour
contourner la censure royale. Comme à la Renaissance, l’Antiquité est donnée en
exemple de rigueur et d’équilibre et plus particulièrement la République romaine
: c’est ce que rappelle le portrait de Montesquieu ou encore l’allusion à Minerve,
déesse de la Sagesse, des Arts et des Sciences (Athéna pour les Grecs).
L’expansion économique favorise la bourgeoisie d’affaire tandis que l’autorité
royale réagit difficilement face aux crises financières qui semblent impossibles à
résoudre. Des philosophes tels que Montesquieu dans les Lettres Persanes
philosophes du XVIIIe siècle (Montesquieu,
Voltaire, Rousseau). »
BO 4e futur : « L’Europe des Lumières.
Au XVIIIe siècle, les philosophes et les
savants mettent en cause les fondements
religieux, politiques, économiques et sociaux
de la société d’ordres.
La France est au centre de cette étude qui est
menée à partir de la vie et de l’oeuvre d’un
philosophe des Lumières ou d’un savant au
choix.
Connaître et utiliser le repère suivant
- L’Encyclopédie, milieu du XVIIIe siècle
Raconter quelques épisodes de la vie du
philosophe ou du savant étudié, et expliquer
en quoi ils sont révélateurs du siècle des
Lumières.
Accompagnement 4e : « Aborder en trois ou
quatre heures l’étude de la remise en cause de
l’absolutisme suppose de s’en tenir à
quelques idées essentielles, en s’appuyant sur
les exemples de l’Angleterre et des ÉtatsUnis et sur l’analyse de la philosophie des
Lumières sans pour autant conduire un récit
événementiel. L’analyse d’extraits de textes
des philosophes du XVIIIe ou de planches de
l’Encyclopédie aide à cerner quelques idées
fondamentales développées par la
philosophie des Lumières. On peut partir des
philosophes (la pensée politique de
Montesquieu, l’esprit critique de Voltaire, le
contrat social de Rousseau) ou mettre en
évidence quelques notions fondamentales et
nouvelles (liberté, égalité, nature, tolérance,
etc.).
Ces idées qui remettent en cause les principes
de l’absolutisme sont celles d’une minorité
cultivée. Elles rencontrent en 1789 une
conjonction de mécontentements qui
s’expriment dans la réunion des États
généraux et débouchent sur une révolution.
L’état de la France à la veille de la
Révolution se lit dans les événements de
1789 et non dans un tableau préalable. »
BO 2nde : « La Révolution et les expériences
politiques en France jusqu'en 1851
– Ruptures avec l'Ancien Régime
Cette question est délibérément centrée sur la
France avec l’objectif de faire percevoir la
rupture fondamentale représentée par cette
période ;
Le programme invite à organiser cette étude
autour de quelques axes privilégiés :
afin de comprendre la rupture que constitue la
Révolution française, il est nécessaire de
commencer par une rapide présentation de la
France en 1789 pour souligner les pesanteurs
du système politique et social de l'Ancien
Régime, alors qu'émergent des idées
nouvelles exprimées par les philosophes des
Lumières et lors des révolutions anglaise et
américaine. »
90
dénoncent les cadres politiques français, proposant la séparation des pouvoirs,
influençant les rédacteurs de la Constitution américaine. Voltaire, de son vrai
nom François Marie Arouet, s’est réfugié en Angleterre d’où il rentre séduit par
la monarchie parlementaire. L’appui de la bonne et haute société permettait
aux hommes de lettres d’obtenir financements et aides sans lesquels il ne leur
était pas possible d’écrire. C’est ce même lien de protection typique de l’Ancien
Régime que l’on retrouve dans la présence des philosophes auprès des despotes
éclairés. L’autocensure était de rigueur pour les Lumières, mais leur présence,
pensaient-ils, pouvait également faire avancer les idées de tolérance religieuse.
Leur présence dans les cadres politiques et sociaux est manifeste grâce aux
Académies et sociétés qui, même censurées, existent et contournent les poids qui
pèsent sur elles. À la Convention, Robespierre condamnera les Encyclopédistes
comme « fiers dans leurs écrits et rampants dans les antichambres ».
Diderot et l’Encyclopédie
Pour reprendre une citation de Jacques Proust, historien de l’Encyclopédie,
Diderot est le « premier homme de lettres qui ait considéré la technologie comme
une partie de littérature. » Il invite le lecteur à la démarche philosophique. Cet
ouvrage rassemble les domaines les plus variés y compris ceux issus de la
tradition artisanale. Il permet des renvois multiples pour construire sa pensée
selon le principe de l’arbre des connaissances de Francis Bacon. Les dessins de
L.-J. Goussier publiés en grandes planches gravées, offrent à voir les activités
humaines à l’égal des sciences. Le grand nombre d’auteurs qui y ont collaboré,
reflète la diversité des idées au XVIIIe siècle.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Petit éclairage lexical
Dans de nombreuses langues européennes un mot désigne la philosophie
militante du XVIIIe siècle : Lumières (français), Illuminismo (italien),
Enlightenment (anglais, de création récente), Aufklärung (allemand). En espagnol
et en portugais, à côté de Ilustracion et Ilustraçao, on peut employer El Siglo de
las Luces et A filosofia das Luzes. L’opposition lumières / ténèbres a pris très tôt
une valeur morale. On la trouve dans la Bible et chez les théologiens du XVIIe
siècle.
Plus largement, le mot lumière conserve une connotation religieuse même si l’on
évoque les lumières naturelles ou les lumières de l’esprit. Il faut s’interroger pour
« Philosophie des Lumières » sur ce passage d’un sens empreint de religiosité à
celui, laïcisé, confondant les Lumières avec l’esprit critique, le rejet des préjugés
et des superstitions. L’évolution fut lente, ponctuée d’émergences fugaces comme
cet « âge de lumière » de Fontenelle. Jusque vers 1750, les Lumières n’ont pas
vraiment de connotation antireligieuse mais, au-delà, non seulement l’expression
est commune mais elle se charge de toutes les valeurs modernes. L’Encyclopédie
en abuse. On la trouve même chez les adversaires des philosophes qui prétendent
défendre les « vraies lumières ». Le règne de Louis XV est souvent appelé «
règne éclairé ». Cette unanimité lexicale cache des opinions divergentes. À partir
des années 1760, Jean-Jacques Rousseau, en critiquant la notion de progrès moral
et social, les philosophes athées, pour qui le combat essentiel contre la religion
reste à mener, la dénoncent avec véhémence. Les Lumières appartiendraient à
l’avenir ou seraient une illusion. Ces divergences montrent qu’on aurait tort de
prêter à ce mot commode et imagé un seul et unique sens au XVIIIe siècle.
L’oeuvre qui aura le plus de répercussions sur le siècle, révolutionnant la
physique, est : Philosophiae naturalis principia mathematica (1687). Newton y
développe sa théorie de l’attraction universelle. Sa vision, remettant en cause la
physique de Descartes, soulève des polémiques parmi les savants français en
majorité cartésiens, mais est soutenue par Maupertuis qui rédige un Mémoire
sur Newton à l’Académie des sciences de Paris. Voltaire, qui avait déjà parlé
du savant britannique dans ses Lettres philosophiques, participe à la diffusion
de ses idées en publiant Élémens de la Philosophie de Neuton (1738), fruit d’un
travail en commun avec Madame Du Châtelet, authentique savante passionnée de
physique : elle a installé un cabinet de physique dans son château de Cirey, où se
retrouvent les partisans de Newton, Maupertuis, Clairaut, Bernouilli. Elle traduira
les Principes mathématiques de la Philosophie de Newton, lui adjoignant son
propre Commentaire.
Activités, consignes et productions des élèves
:
Les combattants de la liberté
Cette gravure de 1790 juxtapose trois figures
emblématiques des Lumières (de gauche à
droite) :Voltaire (1694-1778), Jean-Jacques
Rousseau (1712-1778) et Benjamin Franklin
(1706-1790). Ils se sont rencontrés lors du
séjour de Franklin à Paris, de 1776 à 1783.
L’inscription «le flambeau de l’univers»
insiste sur le rôle majeur de ces trois
hommes, acteurs, par leurs publications
comme par leurs actes, des transformations
intellectuelles et politiques de la seconde
moitié du XVIIIe siècle.
Un fait de mémoire
Les Lumières ont été une culture vivante au
XVIIIe siècle et au début du XIXe. Leurs
acteurs étaient encore présents. À partir des
années 1830, la situation change : les
Lumières sont un fait de mémoire, un
ensemble d’idées triées, construites et
déconstruites, valorisées ou rejetées, au gré
des événements et des idéologies. On aurait
tort de croire qu’il existe une vérité des
Lumières, dont les Républicains, par
exemple, seraient les détenteurs. Encore
fortement imprégnés de la pensée religieuse,
les hommes de 1848 rejettent l’athéisme d’un
d’Holbach ou le matérialisme d’Helvétius,
idéologie pour eux d’une bourgeoisie contre
laquelle ils luttent. Les Lumières se
construisent à partir des discours
institutionnels : politiques et religieux que
l’on tient sur elles, sans que les lignes de
partage soient parfaitement et clairement
délimitées. Par ailleurs, on lit les textes plus
facilement accessibles peut-être
qu’aujourd’hui. Ainsi, la dernière édition de
91
Locke, le précurseur anglais
Théoricien du libéralisme politique, John Locke (1632-1704) a fortement
influencé les hommes des Lumières. Ses oeuvres, écrites durant son exil en
France et en Hollande, sont publiées à son retour en Angleterre, après la
révolution de 1688, dont il se fait le chantre dans ses Deux Traités sur le
gouvernement (1689). Il s’oppose à la monarchie de droit divin et prône une
société civile libérale. Il défend l’idée que, les hommes naissant libres et égaux, la
société est instituée pour défendre leurs droits naturels (droit de propriété, droit à
la liberté personnelle, droit de punir…). Le gouvernement doit être élu et établi
par un pacte social qui impose des limites à sa souveraineté, « le peuple est le
juge suprême de la façon dont les gouvernants remplissent leur mission ». Locke
préconise une séparation entre les pouvoirs législatif, exécutif et confédératif
(relations avec l’extérieur). Son Essai sur l’entendement humain (1690) est l’un
des livres fondateurs des Lumières et une référence constante de l’Encyclopédie.
Locke pose la question de l’origine des idées. Il distingue les « idées de sensation
» et les « idées de réflexion », l’ensemble constituant l’expérience dont dérivent
nos connaissances. Il remet en cause Descartes et réfute la théorie innéiste qui,
selon lui, conduit au fanatisme. Il réclame pour chacun le droit d’exercer le culte
de son choix et de discuter les sujets théologiques (Lettre sur la tolérance, 1690).
Il prétend que la tolérance est l’essence même du christianisme et postule que
l’existence de Dieu peut être démontrée, le monde ne pouvant être compris qu’en
référence à une cause créatrice. Pour lui, l’existence de Dieu est le fondement de
la conduite morale. À cette époque, le déisme s’étend en Angleterre. Locke a
également exposé ses principes sur l’éducation (De l’éducation des enfants,
1693). Ses idées dans ce domaine comme dans les autres ont été reprises ou
discutées par les philosophes des Lumières, Jean-Jacques Rousseau le tout
premier, Montesquieu et les encyclopédistes
.
I.
François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778), est l’ardent défenseur du
modèle anglais en France. Dans ses Lettres anglaises, écrites après son séjour sur
l’« île de la Raison » (de 1726 à 1728), il exprime toute l’admiration qu’il
éprouve pour la nation anglaise, la seule en Europe « où le peuple partage le
gouvernement sans confusion ».
Éloge des libertés anglaises
Voltaire séjourne en Angleterre de 1726 à 1729. Il s’est exilé après avoir été
bastonné par les domestiques du duc de Rohan (cf. l’allusion dans le texte à un
pays « où les seigneurs sont grands sans insolence »). Ce séjour inspire les Lettres
philosophiques (ou Lettres anglaises), publiées clandestinement en 1734 et
immédiatement condamnées. En affirmant son admiration pour la monarchie
tempérée de l’Angleterre, Voltaire critique implicitement l’absolutisme français.
En Angleterre, le prince « a les mains liées pour faire le mal », parce qu’il est
forcé de respecter la Constitution non écrite dont le Parlement est le gardien (cf.
le Bill of rights).
II.
III. Un héritage à éclipses
Les Philosophes, ayant tout observé, tout décrit, tout classé, ayant touché à tout et
abordé toutes les disciplines, ont nourri depuis deux siècles, et encore
aujourd’hui, notre réflexion, nos débats et nos idéaux en matière de liberté, de
bonheur, de justice, de progrès, d’éducation... Et la philosophie des Lumières,
tour à tour eau vive ou dormante, au gré des soubresauts de l’Histoire, occupe une
place centrale dans notre conception de l’homme et du monde.
Montesquieu est mort en 1755. Voltaire et Jean-Jacques Rousseau meurent en
1778. Denis Diderot, ancien directeur de l’Encyclopédie et auteur dramatique (Le
Fils naturel, 1757 et Le Père de famille, 1758), disparaît en 1784. Peu connu du
grand public comme philosophe, il laisse des fidèles qui vont publier ses œuvres
inédites et conserver pieusement sa mémoire. Une époque semble désormais
close. Les frères ennemis Rousseau et Voltaire, à en croire les gravures qui
circulent alors, se réconcilient dans la mort. Si l’on a conscience que le combat
n’est pas fini – à la veille de sa mort, Voltaire lutte encore pour la réhabilitation
du chevalier de La Barre condamné au bûcher pour impiété en 1764 –, on
demeure persuadé que les Lumières gagnent du terrain.
l’Histoire des établissements des Européens
dans les deux Indes de l’abbé Raynal date de
1821, et l’ouvrage, dès lors, ne sera plus
réédité. S’il existe des histoires de la
littérature et de la pensée au XVIIIe siècle
comme celle de Noël et Place, pour la
majorité, le XVIIIe siècle est autodidacte. La
création d’un enseignement gratuit et
obligatoire, le développement de
l’enseignement secondaire et universitaire,
une meilleure connaissance des œuvres –
celle de Diderot qu’on découvre peu à peu –,
une abondance de témoignages sur le siècle,
la montée du socialisme, le gouvernement des
Républicains, autant de facteurs qui vont
permettre que se constitue
institutionnellement, par le discours politique
et l’école, une image des Lumières commune
à partir de laquelle s’organiseront les
oppositions, les acceptations et les rejets.
Quand une philosophie devient credo
Dans la France libérée, les communistes
dominent et veulent démontrer qu’eux seuls
défendent le patrimoine culturel du pays. Pas
un anniversaire oublié dans La Pensée, Les
Lettres françaises, ou La Nouvelle Critique.
Naissance de Voltaire, publication de l’Esprit
des lois, ou de l’Encyclopédie..., à chaque
fois, l’occasion est bonne pour dénoncer la
trahison de la bourgeoisie qui brade sa culture
et affirmer que les philosophes seraient
aujourd’hui communistes. Le XVIIIe siècle
des grands écrivains est récupéré, mais peu à
peu prennent forme des Lumières plus
progressistes encore constituées des penseurs
matérialistes, annonciateurs d’une société
plus égalitaire : d’Holbach, Meslier,
Helvétius. Comme saisie de fringale, la
presse communiste ne cesse de commémorer
: après Voltaire, Chamfort, Bernis, Chénier
(pourtant victime de la Révolution), Laplace,
Beaumarchais, Rameau, Rousseau... Diderot
devient une référence constante : matérialiste,
réaliste et fondateur de la critique d’art,
préfiguration du poète communiste Aragon.
Car il est essentiel de démontrer en toutes
circonstances la filiation. La référence au
matérialisme des Lumières a pourtant ses
limites, puisque le matérialisme dialectique
lui est supérieur. Les Lumières ici exaltées
servent surtout à prouver qu’elles conduisent
à la Révolution. Toutes distances gardées, on
tente de les modeler sur l’image que le parti
communiste donne de lui-même : défenseur
de la morale (d’où la condamnation de Sade),
de la liberté et de la raison.
Se constitue peu à peu un rituel des Lumières
avec ses incantations, ses rapprochements et
ses jugements inévitables. C’est un credo,
éloigné des Lumières par essence critiques,
sans tenir compte ici de la contradiction entre
les mots et les pratiques, comme on allait
l’apprendre à la mort de Staline en 1953.
92
TRIOMPHE DES LUMIERES ?
Les philosophes dominent à l’Académie française. Leur discours sur la tolérance,
la raison, le progrès est désormais dominant. Le pouvoir, rallié sur ce point aux
idées philosophiques, réforme la justice et abolit la question utilisée pour
déterminer l’innocence ou la culpabilité. Grâce à Malesherbes, on prépare un édit
de tolérance pour faciliter le retour des familles protestantes émigrées depuis la
révocation de l’édit de Nantes (1685). Les techniques et les idées nouvelles se
diffusent. La presse périodique (plusieurs centaines de titres à la veille de la
Révolution) est lue avec passion dans toute l’Europe. Par leurs informations, par
l’intérêt porté à la vie intellectuelle, aux mœurs et aux techniques, tous ces
journaux, fussent-ils opposés aux idées des philosophes comme Les Mémoires de
Trévoux inspirés par les Jésuites, illustrent l’influence réelle des Lumières sur
l’opinion. L’hommage public rendu à Voltaire, à son retour à Paris en 1778,
qu’on salue comme le défenseur des Calas, la diffusion du rousseauisme dans les
pratiques éducatives (les mères allaitent, libèrent le corps des nourrissons,
refusent la mise en nourrice), les sensibilités nouvelles (exaltation des émotions,
goût de la nature parfois caricatural quand on pense au Hameau de MarieAntoinette à Versailles), les mythologies de l’écrivain et de l’écriture (marginalité
du créateur et vertus de l’écriture qui seule et mieux que le raisonnement parvient
à la vérité, confusion entretenue depuis Jean-Jacques Rousseau entre la moralité
de l’écrivain et sa possibilité d’accéder à la vérité, accent mis sur le moi et la
subjectivité), tout cela fait croire à une unité et à un triomphe des Lumières. Leur
vocabulaire est partout : dans les périodiques, les salons, les discours, quelle que
soit parfois la cause défendue. Elles ont conquis l’Europe : des rois-philosophes
gouvernent en Espagne, au Portugal, en Prusse, en Autriche et en Russie. On
réforme, on entreprend. Avec le recul, le paysage philosophique du siècle
s’unifie. On confond un peu vite les derniers combats des Philosophes avec un
lent processus qui s’étend sur plus d’un siècle, du Dictionnaire critique de Pierre
Bayle (1694) au tout début des années 1780.
AU-DELA DES APPARENCES
Ainsi perçues, les Lumières semblent constituer un bloc homogène. En réalité,
que de différences ! Alors que l’opinion est largement rousseauiste et admire
Voltaire, patriarche de Ferney, défenseur des Calas, Voltaire n’a pas épargné
Jean-Jacques, et le clan philosophique tout entier n’a cessé de le persécuter.
Rousseau, accusé de refuser le progrès, de douter de la raison, de dénoncer la vie
sociale et même de prétendre aux vertus de l’émotion religieuse, est persécuté et
par les autorités civiles et religieuses et par ses amis d’hier. Sous l’unanimité de
surface, dans l’armée philosophique règne le désordre. Si tout le monde use des
mots « raison », « bonheur », « Lumières », si, dans certains almanachs des
années 80, les noms de Voltaire et de Rousseau remplacent avec les mots « raison
» et « Lumières » les saints du calendrier, on demeure malgré tout en pleine
ambiguïté.
La décennie qui précède la Révolution est marquée, comme aurait dit Freud, par
« le retour du refoulé ». Les romans sont volontiers fantastiques et font appel aux
puissances infernales, à la magie noire ou blanche. L’irrationnel triomphe dans la
fiction (Cazotte, Le Diable amoureux, 1772 ; et, plus tard, Ducray-Duminil,
Victor ou l’enfant de la forêt, 1797, Potocki, Le Manuscrit trouvé à Saragosse,
1805), on fait un succès aux romans gothiques d’Ann Radcliffe comme L’Italien
(1797). Le monde romanesque est régi par des forces obscures. On ne joue plus
sur les sentiments du lecteur, on s’efforce de lui faire peur. On a oublié le goût
pour les sciences exactes. On se presse autour du baquet magnétique de Mesmer
qui prétend guérir par le fluide. Cagliostro, le charlatan, triomphe. Les aventuriers
de tout poil battent le pavé de Paris. Les théories théosophiques sont à la mode.
Claude de Saint-Martin, dit « Le philosophe inconnu », est devenu « Le mystique
pour gens du monde ». Le bel optimisme des Lumières triomphantes est mis à
mal. On éprouve des nostalgies sans fin pour un monde originel, aboli, comme le
démontrent Court de Gébelin dans Le Monde primitif (1773-1782) et la
condamnation de la culture et de la civilisation, au nom du primitivisme, que
contient Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre (1788). Si l’optimisme
historique formulé par Voltaire (Essai sur les mœurs, 1756) continue à être de
mise – Condorcet ne rédige-t-il pas, sur le point d’être arrêté et exécuté,
l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1794) ? –,
l’époque doute et s’interroge sur le sens du monde, la réalité de la vertu, la
possibilité de la morale, ainsi que le prouve la philosophie du marquis de Sade,
qui exalte la violence et le règne des maîtres affranchis de toutes contraintes pour
Lumiere et religion
La révocation de l’édit de Nantes (1685)
par Louis XIV a ravivé les querelles
religieuses, et un grand nombre de
protestants furent contraints à l’exil.
Ceux qui restent se réunissent en secret
pour célébrer leur culte. En 1724, Louis
XV remet en vigueur une répression
particulièrement féroce contre les
assemblées clandestines : les femmes
sont enfermées dans des couvents,
les hommes condamnés aux galères
et les pasteurs exécutés.
Le catholicisme lui-même est déchiré
par la question janséniste. La bulle
Unigenitus (1713) condamnant le
jansénisme est devenue loi d’État en
1730. Les jansénistes soutenus par une
partie du clergé et des magistrats du
Parlement s’opposent à la monarchie
absolue, ce qui les rapprocherait des
Lumières, mais, tout comme les jésuites,
ils en condamnent l’esprit irréligieux ;
ils attaquent ainsi les principes énoncés
par Montesquieu dans l’Esprit des lois,
et l’Encyclopédie.
L’intolérance religieuse sévit sous
couvert de sauver ceux qui sont dans
l’erreur. Les philosophes dénoncent,
derrière cette attitude hypocrite, les
intérêts temporels et les pouvoirs
exorbitants de l’Église. Pour acquérir la
liberté de penser, l’esprit doit s’affranchir
de la tutelle des autorités religieuses.
Les philosophes sont plutôt déistes ; ce
n’est pas tant la croyance en Dieu qui est
combattue — bien qu’il existe un courant
matérialiste et athée important
représenté par Holbach et Helvétius —
que le fanatisme dont les manifestations,
comme celles des convulsionnaires du
cimetière Saint-Médard, sont critiquées
par les philosophes, (notamment
Voltaire) : de 1727 à 1732, la tombe du
diacre François de Pâris, janséniste, avait
en effet été le lieu de rassemblement
d’une foule en quête de guérisons
miraculeuses et le siège de transes
collectives. Après la fermeture
du cimetière par ordonnance royale,
les convulsionnaires continuèrent
à se réunir dans la clandestinité pour
revivre la Passion du Christ et s’infliger
les supplices des martyrs.
Chronologie des oeuvres marquantes hors de
France jusqu’à la Révolution française
1687 Philosophiae naturalis principia
mathematica, Newton.
1689-1690 Deux Traités sur le gouvernement
; Lettre sur la tolérance ; Essai sur
l’entendement humain, John Locke.
1704 Nouveaux Essais sur l’entendement
humain, Leibniz.
1726 Les Voyages de Gulliver, Jonathan
93
mieux satisfaire leurs caprices et leur quête du plaisir.
LUMIERES ET REVOLUTION : LE GRAND MALENTENDU
C’est dans ce contexte que survient la Révolution. Se cherchant des pères
fondateurs, elle les trouvera chez les hommes des Lumières. Voltaire est le
premier grand homme conduit au Panthéon (1791). On se réclame de Rousseau,
autodidacte et marginal, obstiné à vivre de son travail de copiste, fuyant les
honneurs de la cour et le service humiliant des grands. La fête révolutionnaire lui
emprunte ses modèles et, dans les jeux de cartes, en compagnie de Voltaire, il
remplace les rois honnis. La volonté générale, volonté du peuple souverain, qu’il
a définie dans Le Contrat social (1762), est à la mode chez les partisans comme
chez les adversaires de la Révolution. Dans la lutte contre les privilèges, on se
souvient qu’il a montré le caractère illégitime de l’inégalité (Discours sur les
fondements de l’inégalité entre les hommes, 1754). On fait aussi grand usage des
théories de Montesquieu, baron de la Brède, de son analyse de la constitution
anglaise et de la nécessaire séparation des pouvoirs (De l’esprit des lois, 1748).
Robespierre emprunte aux philosophes déistes le culte de l’Être suprême. Mais, là
encore, l’unanimité de surface est trompeuse. Robespierre n’aime guère les
Encyclopédistes accusés, non sans raison, d’avoir persécuté le pauvre JeanJacques Rousseau et rejette l’athéisme d’un d’Holbach. Marat dénonce les
prétentions aristocratiques de Montesquieu. Si l’on excepte Condorcet, et
l’exception est de taille, pas un des philosophes encore vivants ne participe à la
Révolution. Morellet se cache, l’abbé Raynal auteur de la célèbre Histoire des
établissements des Européens dans les deux Indes (1770 et 1781), qui avait
souffert les rigueurs de l’exil sous l’Ancien Régime, adresse en 1791 une lettre au
président de l’Assemblée nationale pour dénoncer les violences de la Révolution.
La Harpe, disciple de Voltaire, d’abord enthousiaste, au point d’arborer le bonnet
phrygien, se désolidarise ensuite. Il échappera à la guillotine, se convertira au
catholicisme et dénoncera avec violence les abus jacobins dans De la guerre
déclarée par les derniers tyrans à la raison, à la morale, aux lettres et aux arts
(1796) et Du fanatisme dans la langue révolutionnaire (1797).
C’est dire la coupure qui existe entre les représentants des Lumières et cette
révolution qui se réclame de leur philosophie. S’il est certain que la Révolution
aurait effrayé les philosophes, il est tout aussi certain qu’ils n’auraient pas
reconnu comme leur œuvre ces Lumières dont se réclame cette même Révolution.
En 1789 commence le grand malentendu entre les Lumières et leurs postérités.
La stabilisation du processus révolutionnaire marque une mise en sommeil de la
référence aux Lumières. Elles sont pourtant dénoncées comme responsables des
abus de la Révolution par La Harpe dans le Cours de littérature (Philosophie du
XVIIIe siècle) et parfois même comme organisatrices d’un complot qui en serait
à l’origine dans les Mémoires pour l’histoire du Jacobinisme (1797-1799) de
l’abbé Barruel. La pensée contre-révolutionnaire est violemment et résolument
hostile aux Lumières accusées de tous les maux passés, présents et à venir comme
chez Louis de Bonald (1754-1840) et Joseph de Maistre (1753-1821). On
continue pourtant à publier les grands textes de la philosophie : Voltaire,
Montesquieu, Rousseau, mais aussi Raynal et Helvétius, lus dans les cercles néojacobins, nostalgiques de la Révolution et volontiers comploteurs. Le retour à la
foi religieuse – la publication du Génie du christianisme de Chateaubriand date de
1802 –, le ralliement au Consulat et à l’Empire de la majorité du personnel
révolutionnaire (Tallien, Talleyrand, Fouché, David) semblent marquer un total
effacement des Lumières.
ADHESION PUIS REJET SOUS L’EMPIRE ET LA RESTAURATION
Apparence plus que réalité. Le mouvement philosophique se survit. Dans le cadre
de l’Institut de France fondé en 1795 pour remplacer les académies supprimées
par la Révolution, les Idéologues (Cabanis, Volney, Destutt de Tracy) continuent
l’œuvre de réflexion entreprise par leurs aînés. Grâce à eux, l’anthropologie,
l’ethnologie, émergentes avec les Lumières, deviennent des sciences. À bien des
égards, l’œuvre administrative entreprise par Napoléon, le code civil représentent
l’accomplissement des Lumières. La mise en place d’un droit valable pour tous et
partout répond aux vœux qu’après le Traité des délits et des peines de Beccaria
(1764) Voltaire lui-même avait formulés. Le système éducatif napoléonien
poursuit l’œuvre révolutionnaire, liée elle-même aux projets pédagogiques des
Lumières. Au-delà de ses aspects guerriers, l’Empire n’est pas sans évoquer
l’absolutisme éclairé russe, prussien ou autrichien qui fascinait tant les
Philosophes. On peut l’interpréter comme un pouvoir fort, imposant des réformes
rationnelles et nécessaires, souvent rendues impossibles par le débat
Swift.
1748-1749 Essais moraux, David Hume.
1758 De l’esprit, Helvétius.
1764 Des délits et des peines, Cesare
Beccaria.
1770 Système de la nature, baron d’Holbach.
1776 Recherche sur la nature et les causes de
la richesse des nations, Adam Smith.
Déclaration d’indépendance des États-Unis,
Thomas Jefferson.
1779 Nathan le Sage, Lessing.
1781 Critique de la raison pure, Kant.
1786-1787 Les Noces de Figaro ; Don
Giovanni, Mozart.
David Hume (1713-1776)
"Il n'est pas contraire à la raison de préférer la
destruction du monde entier à une égratignure
de mon doigt." Historien et philosophe
empiriste, l'Écossais David Hume a été un
ferme défenseur de la tolérance et de la
liberté de pensée. L'Histoire naturelle de la
religion est une histoire des origines et du
développement du sentiment religieux.
Contrairement au discours qui domine son
époque, Hume pense que la forme première
de la religion est le polythéisme et non le
monothéisme, dont il déteste l'intolérance et
le dogmatisme, et il fait résulter la foi des
impressions qu'inspire l'expérience. Ce
sceptique s'oppose ainsi à la tradition mais
aussi à un rationalisme exagéré dans son
"désir excessif de rechercher des causes".
Gothold Ephraim Lessing (1729-1781)
"Si Dieu tenait dans sa main droite toute la
vérité, et dans sa gauche, la seule quête
inlassable de la vérité, et me disait : "Choisis
!", je me précipiterais humblement vers sa
gauche et dirais : "Père, donne ! Car la vérité
pure est pour toi seul !" "
Écrivain allemand, auteur d'essais (Laokoon,
Dramaturgie de Hambourg) et de pièces de
théâtre (Nathan le Sage).
Pour une totale liberté créatrice
Dans le domaine de l'esthétique, Lessing
rompt avec le classicisme académique en
distinguant les arts plastiques ou visuels des
arts littéraires : pour figurer la beauté, les
premiers déploient leurs signes dans l'espace
tandis que les seconds utilisent la dimension
temporelle. Cette idée originale de frontière
différenciant peinture et poésie apparaît déjà
dans sa correspondance avec Mendelssohn
dès 1755. Dans l'essai qu'il consacre au chefd'œuvre de la statuaire antique Laokoon
(1766), Lessing va encore plus loin en
évacuant de l'œuvre d'art ce qui excède l'idéal
esthétique, revendiquant pour l'artiste une
totale liberté créatrice, loin des contraintes
didactiques ou fonctionnelles des commandes
religieuses par exemple.
Portrait de Benjamin Franklin
Un message de tolérance religieuse
Avec ses comédies et tragédies bourgeoises,
94
démocratique, contre les pesanteurs et les archaïsmes sociaux.
Louis XVIII et Charles X sont violemment hostiles aux Lumières. Ils les accusent
d’avoir été les fourriers de la Révolution, dont ils ont souffert et qui les a
contraints à l’exil et à l’errance. Malgré la Charte qui joue le rôle de constitution,
la politique tend à restreindre les libertés publiques. Durant la Terreur blanche,
juste après la chute de Napoléon, alors que les Bourbons rentrent en France, les
éléments royalistes les plus intransigeants (« ceux qui n’ont rien appris et rien
oublié ») font la chasse à ceux que l’on soupçonne de sympathie pour la
Philosophie. Du côté républicain ou bonapartiste, faute de pouvoir exalter la
République ou l’Empire déchu, on se rabat sur les Lumières, qui incarnent la
liberté de penser, l’esprit critique, la foi en l’homme et en sa raison, la lutte pour
la tolérance. Dans le cadre de l’Institut, les héritiers des Philosophes comme
Damiron se font les défenseurs de la Philosophie. L’anticléricalisme voltairien
rallie les républicains hostiles à l’ordre noir des cléricaux. On cherche chez
Montesquieu, alors très lu, les moyens de fonder une monarchie constitutionnelle.
Les sociétés secrètes, francs-maçons et carbonari, utilisent la littérature du XVIIIe
siècle comme base de leur réflexion. Les esprits les plus libres – pensons à
Stendhal – relisent libertins et philosophes en réaction contre le conformisme
ambiant. L’œuvre de Sade, officiellement condamnée, est lue dans le secret par
Balzac, à qui elle inspire le cynisme de Vautrin (Le Père Goriot, Les Illusions
perdues et Splendeurs et misères des courtisanes), et même par Lamartine (elle
influence La Chute d’un ange, 1838). Malgré les saisies de la police, de
nombreuses éditions de textes philosophiques interdits circulent sous le manteau.
Ce cheminement secret se révélera lors des événements révolutionnaires de 1848.
L’EMPEREUR-PHILOSOPHE ET LES REPUBLICAINS DES LUMIERES
Oublions un instant le coup d’État, les attaques de Victor Hugo contre Napoléon
le petit, la censure, l’autoritarisme du pouvoir. Par sa politique de grands travaux,
le rôle dévolu à l’enseignement, le paternalisme envers les associations ouvrières
(le gouvernement finance le voyage de la délégation française au congrès de
l’Internationale ouvrière à Londres), les encouragements apportés aux Lettres, par
le biais de la princesse Mathilde (elle reçoit Flaubert, George Sand, les frères
Goncourt, Sainte-Beuve...) et aux Arts par les commandes d’État, la politique de
Napoléon III se rapproche, comme celle de son oncle, de l’absolutisme éclairé.
Pour la première fois peut-être, l’économisme des Lumières, ce goût de Voltaire
pour l’activité commerciale, a trouvé sa traduction historique. Le voltairianisme,
réduit à quelques formules anticléricales et à un positivisme un peu court, devient
le mode de pensée de la petite bourgeoisie, dont Homais dans Madame Bovary
est une caricature significative. Souterraine, l’influence des Lumières s’exprime
aussi bien dans le style des attaques de l’opposition contre l’Empire (Henri de
Rochefort, Victor Hugo, Jules Vallès) que dans la pratique du pouvoir. La
Commune (1871) n’y fera guère référence. De nouveaux modèles s’offrent à elle,
et son refus des valeurs bourgeoises l’en éloigne.
L’avènement de la République, après la défaite de la Commune, marque le
triomphe des Lumières. Dans le camp républicain, elles représentent l’idéologie
officielle. C’est à elles qu’on se réfère pour légitimer la constitution, le droit de
vote, les libertés publiques, la laïcité, les lois scolaires. En 1878, la municipalité
de Paris commémore officiellement et avec éclat le premier centenaire de la mort
de Voltaire. Les Lumières occupent à nouveau le devant de la scène. Du côté des
loges maçonniques, on aime Voltaire au point de vouloir lui consacrer rues et
boulevards. À l’incitation de nombreux conseils municipaux radicaux, on
inaugure des rues « consacrées » au chevalier de La Barre, situées en général près
de la cathédrale (à Paris près du Sacré-Cœur). À droite, on continue à dénoncer
en Voltaire le prussien, le courtisan, et on reprend le procès des Lumières
responsables de la Révolution, de la Commune, de la dégradation des mœurs, de
l’état d’avilissement moral et physique du prolétariat.
L’extrême gauche socialiste, à l’exemple de l’Histoire de la Révolution du
républicain de 1848 Louis Blanc, se déclare paradoxalement hostile aux
Lumières. Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, affirme que les communistes
n’ont rien en commun avec des philosophes analysés comme des idéologues de la
bourgeoisie. Et pourtant, c’est bien aux valeurs de justice, de vérité, de tolérance
des Lumières que les défenseurs du capitaine Dreyfus, accusé injustement de
trahison, dégradé et condamné à la déportation, se réfèrent (voir TDC « L’affaire
Dreyfus », n° 676 du 15 mai 1994). Zola s’inspire des textes de Voltaire
consacrés aux Calas pour écrire son célèbre J’accuse en faveur de Dreyfus. La
droite nationaliste dénonce le cosmopolitisme des Lumières et, lors de
Lessing a été le premier grand dramaturge
allemand. Incarnation de l'esprit critique, il
décide, pour faire suite aux polémiques qu'il a
eues avec un intolérant pasteur
hambourgeois, de délivrer un message de
tolérance et un appel à faire le bien avec sa
dernière pièce, Nathan der Weise (1779), où
la sagesse s'incarne dans le personnage du
juif Nathan, figure que lui inspire son ami
Moses Mendelssohn. La pièce est devenue
depuis un grand classique du théâtre
allemand.
Emmanuel Kant (1724-1804)
"Agis de telle sorte que tu traites l'humanité
toujours en même temps comme une fin, et
jamais simplement comme un moyen."
Philosophe allemand. Sa philosophie, le
criticisme, renouvelle la théorie de la
connaissance (Critique de la raison pure), de
la morale (Métaphysique des mœurs), de
l'expérience esthétique (Critique de la faculté
de juger).
"Qu'est-ce que les Lumières ?"
À cette question, la réponse fameuse de Kant
définit autant une ambition qu'elle résume les
efforts déjà accomplis dans le siècle pour y
répondre.
Kant caractérise le mouvement des Lumières
comme l'émancipation de la personne
humaine par la connaissance, comme
l'acquisition par l'homme de son autonomie
intellectuelle – une rupture avec l'autorité des
traditions : oser penser par soi-même et se
libérer des vérités imposées de l'extérieur qui
maintiennent l'humanité en tutelle. Il s'agit
d'une dynamique, une "marche", dirait Kant.
Cette idée de cheminement vers la clarté ou
la lumière présente dans le terme utilisé en
Allemagne, Aufklärung, n'apparaît pas dans
le terme français, Lumières, qui vient plutôt
jeter de l'ombre sur la lumière illuminatrice
de la grâce divine.
Des usages publics et privés de la raison
Cette pratique de l'esprit critique corrélative
de l'émancipation de l'individu, Kant la situe
dans la société : la diffusion des Lumières
requiert la liberté "de faire un usage public de
sa raison dans tous les domaines". En
distinguant un usage public de la raison d'un
usage privé, il pose aussi la question de
l'émancipation de la société tout entière, ce
qui souligne le travail de sape de la structure
organiciste de la société de son temps par
l'individualisme.
L'usage privé de la raison, Kant l'explicite en
prenant l'exemple du fonctionnaire qui,
investi de sa charge, ne parle qu'au nom d'une
communauté, si importante soit-elle, et non
de l'universel. La communauté à laquelle
renvoie l'usage public de la raison est une
communauté de débat, entre des hommes
égaux en droits, qui pensent par eux-mêmes
et communiquent avec les autres, leurs
semblables. Ce ne sont pas les membres d'un
95
l’inauguration, en 1912, de la statue de Jean-Jacques Rousseau place du Panthéon
à Paris, le député nationaliste et écrivain Maurice Barrès interpelle le
gouvernement pour dénoncer la reconnaissance officielle apportée à un fauteur
d’anarchie. Mais c’est pourtant à Voltaire que pensent Tristan Tzara et ses amis
dadaïstes, joyeux iconoclastes, peu respectueux de la littérature et des valeurs
bourgeoises, quand, à Zurich, ils inaugurent en pleine guerre le Cabaret Voltaire.
Et l’on sait que les pacifistes regroupés durant le conflit en Suisse rendront
hommage aux projets de paix de l’abbé de Saint-Pierre (1658-1743) et à la
dénonciation voltairienne de l’esprit de conquête. On ne s’étonnera pas outre
mesure de ces visages contrastés de Voltaire, mis en même temps au service de
l’ordre républicain et de l’anarchisme dadaïste.
Dans l’enseignement républicain, les Lumières nourrissent la morale laïque (voir
TDC « La laïcité », n° 703 du 1er novembre 1995), puis vont servir à légitimer la
séparation de l’Église et de l’État, dont Pierre Bayle (1647-1706) et Voltaire
s’étaient faits, en leur temps déjà, les défenseurs. Les Lumières sont alors pour
l’essentiel réduites à leur plus petit commun dénominateur : un peu de Voltaire
anticlérical et croyant au progrès historique, beaucoup de vertu et un brin de
sensibilité. Une foi sans limites dans l’éducation, dans la démocratie, la
méritocratie, une certaine dignité attribuée à la culture. Par souci de morale et de
bienséance, on se garde bien de présenter des Lumières leur face d’ombre et leur
radicalisme philosophique ou moral. Ni les matérialistes, comme d’Holbach,
Meslier, La Mettrie ou même Diderot réfléchissant sur la matière n’ont droit de
cité. Sade est relégué dans l’Enfer des bibliothèques, malgré la défense qu’en
présente à la veille de la guerre de 1914 le poète Guillaume Apollinaire (18801918). On affadit Rousseau ou on livre son œuvre à la psychiatrie naissante. On
aime les Lumières parce qu’elles marquent le triomphe des intellectuels, la
possibilité d’agir sur les hommes et les événements comme le prouve, pense-t-on,
la Révolution. Chaque instituteur en blouse grise se sent l’héritier des Lumières,
le continuateur de leur œuvre, investi de la mission de veiller à leur
accomplissement par la diffusion du savoir. La Belle Époque, qui ne le fut pas
pour tous – la misère ouvrière est encore très grande et les attentats anarchistes
ensanglantent la fin de siècle – croit retrouver parfois la douceur de vivre du
XVIIIe siècle.
UN SYSTEME DE VALEURS SOUMIS AUX SOUBRESAUTS DE
L’HISTOIRE
Les millions de morts de la Grande Guerre ont mis à mal le bel optimisme hérité
des Lumières. Peut-on, au retour des tranchées, croire encore à la vertu naturelle
de l’homme, à la pédagogie, au progrès continu des mœurs, ou même à la raison
humaine ? Allant plus loin, certains commencent à les rendre responsables du
désastre général : dans l’Italie préfasciste, l’Allemagne ruinée par la guerre,
libéraux et hommes de gauche, intellectuels critiques sont dénoncés puis
pourchassés. La droite nationaliste en France, par la plume de Charles Maurras et
de Léon Daudet, dénonce les Lumières négatrices et cosmopolites. Voltaire n’a
plus guère d’admirateurs. L’époque qui s’interroge lui préfère Jean-Jacques
Rousseau. Les surréalistes exaltent l’œuvre du marquis de Sade dont, après
Guillaume Apollinaire, ils font un esprit souverainement libre. Dans Le Clavecin
de Diderot (1932), René Crevel s’enthousiasme pour ce philosophe arraché au
discours universitaire et rendu à son imagination intuitive et à sa pensée
radicalement novatrice. Les communistes, réconciliés avec la culture du passé au
point de n’en plus faire table rase, consacrent aux philosophes du XVIIIe siècle
de nombreuses études dans Commune ou Monde. Dans les manifestations du
Front populaire, sur les pancartes brandies, les noms de Diderot, de Voltaire et de
Rousseau voisinent avec ceux de Marx et de Lénine. En URSS, on le commente
et on l’analyse. Parfois non sans risques, le livre de I.K. Luppol, consacré à
Diderot et publié en 1924, puis 1934, lui vaut d’être condamné lors d’un des
tristement célèbres procès de Moscou en 1936-1937.
DE LA DEFAITE A AUJOURD’HUI
L’Histoire semble se répéter. Après la défaite de 1940, les Lumières sont mises à
nouveau en accusation. Si l’on excepte Voltaire rameuté au service de la
propagande antisémite et Rousseau à qui on fait prêcher le retour à la terre, la
Collaboration les condamne. Seule exception, d’Holbach, que son nom allemand
préserve des rigueurs de la censure des autorités d’occupation. Ainsi, pendant la
guerre, peut se publier sans encombre l’ouvrage P. Thiry d’Holbach et la
philosophie scientifique au XVIIIe siècle, du surréaliste et marxiste Pierre
Naville. On rend les philosophes responsables de la défaite. Pour les Résistants,
club ou d'une confrérie, d'un café ou d'un
parti, qui sont toujours des "réunions de
famille" et donc particulières, mais des
lecteurs puisque l'écrit reste le vecteur
privilégié de la communication. Avec ce
public de lecteurs éclairés, qui exercent leur
esprit critique d'abord dans l'intimité
sécularisée et silencieuse d'un espace de
lecture autonomisé des hiérarchies avant de le
constituer en espace public par l'échange et la
confrontation, Kant souligne que les
Lumières sont un mouvement, un effort à
accomplir génération après génération. Il
entérine des pratiques des Lumières qui ont
transformé le visage de la société du siècle :
l'essor de l'écriture et de la lecture, le
débridement de la liberté d'expression, la
multiplication des formes de l'imprimé et de
la sociabilité, la croissance des circulations et
des communications, la naissance de
l'opinion publique.
Critique de la faculté de juger
Avec la Critique de la faculté de juger (1790),
Kant intègre à sa réflexion l'irrationnel en
tant que tel : quelles que soient la diversité et
l'irréductibilité d'aspects du réel, la singularité
des individus ou l'originalité des œuvres d'art,
il est possible de les penser sans éclipser la
raison. Refusant de réduire le réel à un tout
rationnel, Kant trouve dans l'esthétique le
terrain idéal pour résoudre la question de la
subjectivité et de l'intersubjectivité puisque
avec le jugement de goût on attribue à son
sentiment particulier une valeur universelle.
Pour Kant, toujours à la recherche de l'accord
de la liberté et de l'ordre, il s'agit de penser
par soi-même en se mettant à la place de tout
autre.
Giambattista Vico (1668-1744)
"Il est impossible à l'homme d'être à la fois
poète et métaphysicien sublime : alors que la
métaphysique s'élève aux idées universelles,
la faculté poétique s'attache aux cas
particuliers."
Pour l'historien et philosophe italien
Giambattista Vico, l'histoire procède du
questionnement plutôt que de l'observation.
C'est une "science nouvelle" qui se déploie à
travers trois âges (l'âge des brutes, l'âge des
héros et celui des savants), selon un rythme
propre à chaque nation, sans finalité obligée
désignée à l'avance. Domaine de l'instable,
l'histoire peut balbutier, "se recourber" sur
elle-même, comme le montre l'exemple
athénien. Chaque époque, chaque société,
chaque culture, possède sa cohérence et doit
être jugée à l'aune de ses propres critères.
La connaissance des cultures ne suit pas les
mêmes chemins que celle de la nature : "Les
hommes peuvent connaître le monde civil des
nations parce qu'ils l'ont fait." Vico considère
la poésie, celle d'Homère notamment, comme
un mode de connaissance approprié aux
sociétés anciennes.
96
au contraire, les Lumières incarnent des valeurs que bafouent le nazisme et l’État
français. En appeler à Rousseau, à Voltaire, à Diderot, c’est en appeler à la
France éternelle et aux valeurs de liberté. On imite Voltaire pour se moquer de la
Collaboration et des Allemands. On cite volontiers Rousseau qui affirmait que «
l’homme libre est partout dans les fers ». Les Lumières sont résolument du côté
du maquis et de l’Homme. Elles inspirent non seulement la haine de la barbarie,
mais aussi les principes de la société que l’on se propose de construire dans la
France libérée. On reparle de la séparation des pouvoirs, de la tolérance, du refus
de la torture, du droit au bonheur, de la dignité humaine.
Pourtant, au retour des déportés, des intellectuels comme Raymond Queneau
(1903-1976) s’interrogent sur l’intérêt troublant porté à la face sombre des
Lumières, et plus particulièrement à Sade. Lors du deux cent cinquantième
anniversaire de la naissance de Voltaire, Valéry médite sur l’impuissance des
intellectuels à s’opposer à la barbarie nazie. Qu’on est loin alors du militantisme
heureux de Voltaire ! Mais ces doutes sont bien vite effacés. Sartre, intellectuel
engagé, se réclame de Voltaire et les Lumières sont l’objet de vives disputes entre
ceux qui se prétendent leurs héritiers : les libéraux, démocrates, ou les
communistes qui se posent en philosophes des temps nouveaux. À en croire ces
derniers, les idéaux des Lumières se seraient incarnés dans la « patrie du
socialisme ». Les démocraties bourgeoises les auraient trahis. À tel point que les
communistes se font dès lors les propagandistes forcenés des Lumières.
Généralement référence de gauche, les Lumières, posées comme une archéologie
du progressisme, comme elles ont justifié avec Jules Ferry au nom du progrès la
colonisation, serviront aussi à légitimer les engagements d’une génération contre
les guerres coloniales et l’affirmation répétée de la laïcité. 1968 n’en appelle pas
aux Lumières, si ce n’est à Jean Meslier (1664-1729), prêtre, athée et
communiste, qui fournira quelques slogans aux murs de la Sorbonne. Le
bicentenaire de la mort de Voltaire et de Rousseau en 1978, occasion d’une
rencontre internationale de chercheurs, est dépourvu d’enjeux politiques. La
disparition des régimes communistes dépolitise un peu plus encore la référence
aux Lumières, malgré la montée de l’intolérance.
Et pourtant, au-delà des références vagues et inévitables des hommes politiques,
les Lumières, largement reconstruites et triées, servent encore de modèles à des
engagements au service des grandes causes : la faim, l’éducation, la culture, la
santé, la paix et, bien sûr, la tolérance.
Johann Wolfgang Goethe (1749-1832)
"La nature semble agir pour elle-même,
l'artiste agit en tant qu'homme, pour le bien
des hommes."
Écrivain allemand, Goethe commence son
activité au siècle des Lumières. Auteur de
poèmes, romans (Werther), drames et
souvenirs, il fonde la littérature allemande
moderne et promeut en même temps
l'ouverture à l'universel.
Du génie gothique
Quand Goethe séjourne en Alsace en 17701771 pour finir ses études de droit, il a vingt
et un ans. Le 2 avril 1770, il arrive à
Strasbourg, découvre la cathédrale gothique
et reste subjugué. Il la visite inlassablement.
Elle est pour lui l'incarnation du génie
germanique et devient sa muse pour le traité
De l'architecture allemande (1773), hymne à
la gloire d'un des artisans de sa construction,
Erwin von Steinbach, et sorte de manifeste du
mouvement littéraire préromantique allemand
Sturm und Drang. Dans son texte, Goethe
exalte l'art gothique, dont les Allemands
doivent être fiers : cette architecture, un art
véritable, leur est propre et ils n'ont pas à se
soumettre à des idéaux imposés de l'extérieur.
Au beau objectif, éternel et intemporel, il
oppose la subjectivité ; avant d'être beau, l'art
est déjà créateur :
L'art caractéristique est le seul art véritable
[…]. Peu importe qu'il soit né d'une âpre
sauvagerie ou d'une sensibilité cultivée."
Benjamin Franklin (1706-1790)
"Le culte le plus agréable à Dieu est de faire du bien aux hommes."
Homme politique et savant américain, auteur de nombreux pamphlets et de
Mémoires. Ami des philosophes anglais et français, auteur d'expériences sur
l'électricité, Franklin constitue le trait d'union vivant entre révolution américaine
et révolution française.
Portrait de Benjamin Franklin
"La personnification des Lumières américaines"
Quinzième fils d'une famille de dix-sept enfants dont le père est un modeste
artisan, fabricant de chandelles et de savons, Franklin, pour des raisons propres
au dynamisme de la société coloniale américaine, réussit à devenir imprimeur,
puis directeur de journaux et d'almanachs, investisseur, banquier, ministre des
Postes, représentant de la colonie de Pennsylvanie auprès du gouvernement
anglais, élu du parlement de Pennsylvanie, délégué du Congrès continental auprès
de la cour de Versailles où il négocie l'achat d'armes, l'octroi de subventions et la
signature d'un traité d'alliance avec la France de Louis XVI. Suffisamment riche
pour prendre sa retraite à quarante-deux ans, le simple commoner, l'ancien
apprenti imprimeur, est enfin devenu un gentleman disposant de loisirs suffisants
pour parfaire sa culture d'autodidacte et se livrer à des expériences scientifiques
sur l'électricité qui allaient faire de lui un savant parmi les plus grands.
C'est pourquoi Franklin incarne si bien les Lumières américaines. D'abord parce
qu'il démontre qu'un apprenti peut s'élever par le simple usage de sa raison, en se
livrant à la lecture des plus grandes œuvres de l'époque. Ensuite parce qu'il
contribue, par ses activités d'imprimeur et de journaliste, à diffuser les Lumières
européennes aux États-Unis. Enfin parce qu'il obtient la reconnaissance
nécessaire à la diffusion de ses propres idées en accédant à des loges
maçonniques et à des sociétés de pensée. Il est ainsi membre de la plus ancienne
des loges maçonniques américaines, la loge Saint-John, avant d'en devenir maître,
Adam Smith (1723-1790)
"Ce n'est pas de la bienveillance du boucher,
du brasseur ou du boulanger que nous
attendons notre dîner, mais de leur souci de
leur intérêt propre. "
Philosophe et économiste écossais, Adam
Smith met à jour la valeur du travail et défend
la libre circulation des biens.
Fondateur de l'économie comme domaine
spécifique, auteur de la Théorie des
sentiments moraux, Adam Smith appartient
fondamentalement aux Lumières – écossaises
d'abord, car ce sont les réflexions de Hume et
Hutcheson sur la morale qui lui permettent de
penser le monde des passions comme celui
des intérêts et de concilier les intérêts
particuliers avec l'intérêt de la société. Partant
du désir qu'a chacun d'améliorer sa condition,
il légitime la recherche du profit individuel :
la liberté laissée à chacun de poursuivre son
intérêt particulier favorise le progrès matériel
de l'ensemble de la société. Adam Smith
inaugure donc le libéralisme économique en
l'inscrivant dans l'esprit des Lumières : les
lois économiques, purement humaines, qu'il
met en évidence, ont pour but la recherche du
bonheur, individuel mais aussi collectif. Il
souligne ainsi que, l'esprit commercial
entraînant un rétrécissement des intelligences,
97
puis grand-maître de toutes les loges de la Pennsylvanie. En France, il est
accueilli en 1777 dans la loge des Neuf Sœurs, l'une des plus renommées, dont il
deviendra grand-maître. Admis à la Royal Society de Londres en 1756 à cause de
la qualité de ses travaux scientifiques, Franklin est reçu en 1778 à l'Académie des
sciences, où il est invité à participer à une séance mémorable le réunissant à
Voltaire, qu'il embrasse publiquement, donnant ainsi l'impression, selon un
témoin de l'époque, "d'un Solon embrassant un Sophocle" !
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
il convient à la nation d'y remédier en ne
négligeant pas l'instruction.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
98
HM – Voltaire
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
2006, année Voltaire en France
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
René Pomeau, La Religion de Voltaire, Paris, Colin, 1956 (2e éd. 1969)
René Pomeau, Politique de Voltaire, Paris, Colin, 1963 (3eéd. 1994)
René Pomeau (dir.), Voltaire en son temps, Paris, Fayard, 1995 (2 vol.)
Pierre Milza, Voltaire, Perrin, 2007
Pierre Lepape, Voltaire le conquérant : naissance des intellectuels au siècle des Lumières, Paris, Seuil, 1997
GOLDZING Jean, Voltaire, La légende de Saint Arouet, Découvertes Gallimard, 1989.
Jean Goulemot, André Magnan, Didier Masseau (dir.), Inventaire Voltaire, Paris, Gallimard, 1995 (coll. "Quarto")
Guy Chaussinand-Nogaret, Voltaire et le siècle des Lumières, Bruxelles, Éditions Complexe, 1994
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Voltaire, intellectuel moderne
Pierre Milza consacre une biographie somptueuse à l'exilé de Ferney. C'est son
engagement permanent dans les débats de son temps qui fait de Voltaire un phare.
Avec Mahomet, charge frontale contre la religion musulmane, du moins en
apparence, Voltaire - dont l'historien Pierre Milza signe une nouvelle et palpitante
biographie intitulée sobrement Voltaire - a rencontré un succès particulièrement
retentissant dès la première représentation de la pièce. C'était, bien sûr, l'Eglise
catholique et le fanatisme qui étaient les premiers visés par l'écrivain. Voltaire
s'est d'ailleurs immédiatement retrouvé dans la ligne de tir des dévots, qui ne s'y
sont pas trompés. Il a aussi été attaqué en justice pour impiété et scélératesse. Et
il a dû retirer sa pièce. Quand on prétend comme Voltaire devenir académicien,
cela fait un peu désordre dans le paysage de l'époque, monarchique de droit divin.
Pour laver la tache, il invente un stratagème à la fois grotesque et
magnifiquement audacieux: grâce à des intermédiaires, il s'adresse directement au
pape Benoît XIV pour qu'il approuve son Mahomet, qui, écrit-il, était bien dirigé
contre les musulmans. Pour faire bonne mesure, il lui demande qu'il le
reconnaisse comme «sujet très chrétien du roi de France». Pas dupe, le Saint-Père
le félicite pour une autre oeuvre qu'il lui avait transmise: le Poème de Fontenoy.
Qu'à cela ne tienne: l'écrivain falsifie le document pour y faire figurer Mahomet
et c'est muni de ce faux qu'il fait sa campagne pour son élection à l'Académie!
Cette succession de rebondissements révèle une partie des défauts et qualités de
François-Marie Arouet: la ruse, la flagornerie, la rouerie, l'hypocrisie, mais aussi
l'intelligence politique, l'audace, le réalisme, le courage. Pour Voltaire, qui a été à
l'école des jésuites, la fin justifie l'utilisation de certains moyens contestables,
dans ce cas pour satisfaire son orgueil. Mais ses ruses, il les mettra aussi au
service des persécutés, au détriment de sa tranquillité, voire de sa liberté. Il a été
courtisan. Mais pouvait-il en être autrement, si l'on veut apporter des idées
neuves dans des régimes ne tolérant guère la liberté de pensée? Voltaire aurait-il
pu être Voltaire sans la protection d'amis puissants? C'était, avec son immense
popularité, un bouclier contre ses nombreux ennemis. C'était une couverture sous
laquelle il a pu saper les fondements de l'Eglise et de la monarchie de droit divin,
préparant, sans doute plus qu'aucun autre penseur des Lumières, l'avènement de
la République, même si Voltaire n'a jamais appelé de ses voeux la démocratie. Il
a surtout, sous l'influence anglo-saxonne, professé un libéralisme en toutes
matières. La biographie de Pierre Milza est exemplaire. Par son contenu
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4e actuel : « La remise en cause de
l’absolutisme (3 à 4 heures)
Il s’agit, sans étudier les événements des
révolutions anglaises du XVIIe siècle et de la
Révolution américaine, de montrer que
l’existence de régimes tels que la monarchie
limitée en Angleterre et la république
américaine et des aspirations politiques liées
à la philosophie des Lumières mettent en
cause les principes de la monarchie absolue.
D’autres modèles politiques sont ainsi
proposés à une société française en crise.
• Repères chronologiques : Déclaration des
Droits (1689) ; l’Encyclopédie (milieu du
XVIIIe siècle).
• Documents : préambule de la Déclaration
d’indépendance des États-Unis ; extraits de
philosophes du XVIIIe siècle (Montesquieu,
Voltaire, Rousseau). »
BO 4e futur : « L’Europe des Lumières.
Au XVIIIe siècle, les philosophes et les
savants mettent en cause les fondements
religieux, politiques, économiques et sociaux
de la société d’ordres.
La France est au centre de cette étude qui est
menée à partir de la vie et de l’oeuvre d’un
philosophe des Lumières ou d’un savant au
choix.
Connaître et utiliser le repère suivant
- L’Encyclopédie, milieu du XVIIIe siècle
Raconter quelques épisodes de la vie du
philosophe ou du savant étudié, et expliquer
en quoi ils sont révélateurs du siècle des
Lumières.
99
historique, mais aussi par sa dramaturgie et la limpidité de la langue. Il faut dire
que l'auteur, qui est un spécialisted'histoire contemporaine, n'en est pas à son
coup d'essai. Il a déjà signé un Mussolini et un Napoléon III. Que retenir de
Voltaire en 2007? Pierre Milza rappelle que son oeuvre théâtrale, sa poésie et ses
traités philosophiques n'ont pas passé à la postérité. Il n'en va pas de même des
contes - surtout Candide et Zadig - et d'une partie de sa correspondance - où
s'exprime la force vitale et la passion politique. Somme toute, ce n'est pas
beaucoup pour une si longue carrière. Que lui vaut donc sa renommée intacte?
Pour le biographe, son retour triomphal à Paris à la fin de sa vie donne la clef:
«De son vivant déjà, un transfert a commencé à s'opérer dans l'image que les
Français se font de leur grand homme. Sur la route qui le conduit de Ferney à
Paris, puis dans les rues de la capitale [...], les vivats de la foule parisienne vont
moins à l'écrivain célèbre qu'au défenseur des droits de l'homme et à l'«ami de
l'humanité». C'est le symbole des Lumières que l'on salue.» Pour Milza, Voltaire
a fondamentalement été un «intellectuel» tel qu'on l'entend aujourd'hui, quelqu'un
qui fait usage des talents qui lui ont été donnés pour enrichir les débats de son
temps. Et ce qui est merveilleux chez l'homme de Ferney, c'est qu' il est toujours
parmi nous, que son oeuvre apporte toujours des contributions aux débats
contemporains, notamment face à la montée de l'intolérance et du fanatisme.
Voltaire en pleine lumière
Un professeur de la Sorbonne révèle : pour écrire les portraits de Candide,
Pangloss et Cunégonde, le philosophe (auquel deux essais sont aujourd’hui
consacrés) s’est inspiré de personnages réels et pittoresques, rencontrés en
Allemagne.
« Je combattrai toujours vos idées ; mais je me ferais tuer pour que vous ayez le
droit de les exprimer. » On connaît le mot attribué à Voltaire. Depuis l’affaire
Calas, le patriarche de Ferney est vénéré comme le symbole même, avec Zola, du
triomphe de la vérité et de la justice. Dès qu’une tentative pour bâillonner la
liberté d’expression se fait jour (comme récemment l’interdiction des caricatures
de Mahomet), on réveille ses mânes. Son nom sert de symbole, parfois même de
culte. Comme le remarquait Thomas Carlyle, « les Français, par ailleurs si
sceptiques, croient en leur Voltaire ». Dès lors, l’exercice est périlleux pour
l’historien, surtout quand il se fait biographe, de nous dévoiler celui dont la vie
finit par disparaître derrière la légende. Qui était vraiment M. de Voltaire ?
Deux biographies récentes viennent briser ce silence. Pour intéressantes qu’elles
soient, aucune n’évite cet écueil que Tocqueville évoquait déjà à propos de la
Révolution française : on ne peut bien la comprendre si on la méprise ou si on
l’idolâtre. La première est l’oeuvre d’un grand spécialiste de l’Italie et du
fascisme, historien reconnu de l’époque contemporaine. Cette fois-ci, il pousse un
peu plus loin la machine à remonter le temps et propose une biographie
documentée et abondante de Voltaire. La facture est classique (on prend Voltaire
du biberon jusqu’à sa panthéonisation), le style agréable et l’inspiration honnête.
L’auteur a raison de préciser que le message de Voltaire reste plus que jamais
d’actualité (cf. Salman Rushdie). Est-ce pour cette raison que l’historien semble
comme effrayé par son sujet ? Il ne cache pas certaines « contradictions et
faiblesses de l’homme», mais lorsqu’il ouvre une trappe qui pourrait se révéler
nauséeuse, il s’empresse de la refermer. Son Voltaire rassure. À une époque où
l’historiographie se plaît tant à revenir sur nos mythes (colonisation, esclavage,
traîte triangulaire, etc.), faut-il laisser Voltaire à l’extérieur de cette revisitation de
l’histoire ?
Pour les adeptes de la « transparence » sans obstacle, l’autre biographie, celle de
Xavier Martin, est là pour nous en offrir jusqu’à plus soif. M. Martin est l’opposé
de M. Milza. Professeur d’histoire du droit, c’est un de nos meilleurs spécialistes
des idées du XVIIIe siècle sur lequel il a écrit depuis longtemps de très puissants
ouvrages. Il n’a pas les honneurs médiatiques car il a un tort au pays de la
tolérance affichée : il n’aime pas le siècle des Lumières. C’est une faute
impardonnable. Il le connaît trop bien pour ignorer ce qui en fait toute la «
modernité », le sectarisme que cache le grand discours sur la tolérance, les poses
et les mots d’ordre de ces « philosophes » à la solde du grand homme. Peut-être à
force de traquer les faux-semblants de ce siècle raffiné et venimeux, Martin finitil par perdre de vue la force de son message ?
Un ignoble pamphlet contre Rousseau
Mais, après tout, il est historien, pas philosophe. Son Voltaire méconnu fascinera
tous ceux qui sont avides de découvrir des détails nouveaux. Un exemple tiré de
Accompagnement 4e : « Aborder en trois ou
quatre heures l’étude de la remise en cause de
l’absolutisme suppose de s’en tenir à
quelques idées essentielles, en s’appuyant sur
les exemples de l’Angleterre et des ÉtatsUnis et sur l’analyse de la philosophie des
Lumières sans pour autant conduire un récit
événementiel. L’analyse d’extraits de textes
des philosophes du XVIIIe ou de planches de
l’Encyclopédie aide à cerner quelques idées
fondamentales développées par la
philosophie des Lumières. On peut partir des
philosophes (la pensée politique de
Montesquieu, l’esprit critique de Voltaire, le
contrat social de Rousseau) ou mettre en
évidence quelques notions fondamentales et
nouvelles (liberté, égalité, nature, tolérance,
etc.).
Ces idées qui remettent en cause les principes
de l’absolutisme sont celles d’une minorité
cultivée. Elles rencontrent en 1789 une
conjonction de mécontentements qui
s’expriment dans la réunion des États
généraux et débouchent sur une révolution.
L’état de la France à la veille de la
Révolution se lit dans les événements de
1789 et non dans un tableau préalable. »
100
ce véritable réquisitoire dont on ne ressort pas indemne : quand Voltaire, jaloux,
écrit le plus ignoble de ses pamphlets contre Rousseau, ce « sentiment du citoyen
» qui sent son délateur, l’auteur du Traité sur la tolérance ne se contente pas de «
balancer » Jean-Jacques, en révélant qu’il vient d’abandonner ses enfants à
l’Assistance (comme on dirait aujourd’hui). Martin nous montre qu’il va
beaucoup plus loin : il invite les autorités suisses à brûler le livre de Rousseau, et,
pour finir, il suggère de pendre « ce séditieux »... Faut-il prendre ce dernier terme
au sens propre, comme le fait M. Martin, ou au figuré, ce que nous serions plus
enclins à faire en songeant à l’esprit persifleur du grand écrivain ? Toujours est-il
qu’en lisant M. Milza, la question ne se posera pas puisque cet épisode de la
menace de mort n’est tout simplement pas évoqué. Peut-être faut-il seulement
être un spécialiste de la période, comme M. Martin, pour s’intéresser à ces «
détails » ? Concluons. La solution la plus sage serait de se procurer les deux
ouvrages, l’un pour ne pas sombrer dans le culte de la personnalité, l’autre pour
rester compréhensif, même à l’égard des grands hommes. Après tout, n’est-ce pas
Diderot qui nous a appris que tout homme, célèbre ou ignoré, « est un composé
de hauteur et de bassesse » ?
Voltaire de Pierre Milza Perrin, 913 p.
Voltaire méconnu. Aspects cachés de l’humanisme des Lumières de Xavier
Martin Dominique Martin Morin, 351 p.
Il y a bien eu un siècle de Voltaire comme il y a eu un siècle de Louis XIV. Le
Régent ? Louis XV ? Louis XVI ? Effacés. Réduits à des seconds rôles. Devant la
postérité, le vrai roi de son siècle, c’est lui, le poète, le dramaturge, le philosophe,
François-Marie Arouet, devenu M. de Voltaire (1694-1778). Malgré les déboires,
les humiliations, les disgrâces, en dépit de ses innombrables ennemis, des
bastonnades et des autodafés, c’est lui qui sort vainqueur de son siècle. C’est lui
qui donnera à son siècle son nom. Telle est la leçon du grand livre de Pierre
Milza, une biographie d’historien plus haletante que le meilleur des romans :
Voltaire.
Nous sommes le 30 mars 1778. Les manuels scolaires ont omis d’en faire une
date de l’histoire de France. Et pourtant ? L’atmosphère de cette journée anticipe
celle du printemps 1789. Peut-être même est-ce la première fois que cette
atmosphère est perceptible avec autant d’évidence ? Aux portes de la mort, qu’il
franchira dans quelques semaines, rentré de Ferney, Voltaire traverse Paris en
carrosse pour se rendre à l’Académie. La foule – le peuple de Paris - le reconnaît,
l’acclame ; l’attelage ne se fraye un passage qu’avec peine au milieu de
l’enthousiasme populaire. Des gens montent sur la galerie de la voiture afin de
voir le héros. Les acclamations, les cris de joie n’ont fait que s’amplifier tout au
long de la journée. Evénement immense, dont les funérailles d’Hugo seront un
écho : pour la première fois un écrivain est fêté par une foule aussi nombreuse
qu’admirative, pour la première fois une marée humaine acclame un écrivain. Ou
plutôt : ce n’est pas autour de l’écrivain qu’elle se presse, mais de l’écrivain
devenu intellectuel, le défenseur de Calas, du chevalier de La Barre, le
pourfendeur des injustices et des barbaries. Le roi, ce n’est pas Louis XVI, le roi,
pour cette foule, c’est Voltaire ! Toute une vie pour en arriver là. Toute une vie
pour cette apothéose. Né sous Louis XIV, Voltaire s’éteint à la veille de la
Révolution : son nom, ce printemps de 1778 le laisse deviner, va peser sur
l’histoire.
Nul n’est plus méconnu que Voltaire. L’ouvrage de Pierre Milza restitue
l’écrivain dans sa complexe vérité : il y a loin en effet entre le poète mondain,
dévoré par un insatiable besoin de reconnaissance, une ambition le traînant de
cour en cour, et le premier intellectuel de l’histoire, celui qui tracera la voie à
Hugo, à Zola et à Sartre. « L’intellectuel, a écrit Sartre, est quelqu’un qui se mêle
de ce qui ne le regarde pas ». A savoir : le pouvoir. Exactement ce que sera le
dernier Voltaire : quelqu’un qui se mêle du pouvoir. Le poète mondain des débuts
n’aspirait qu’à briller devant le pouvoir, obtenir les faveurs des Princes, attirer le
regard des monarques et de leurs favorites, fasciner Louis XV et Frédéric II
jusqu’à prendre le risque d’être leur bouffon. L’intellectuel des dernières années,
l’avocat des persécutés, au contraire, affronte directement le pouvoir. Milza en
signale la grandeur : « ce qui fait sa grandeur (…) c’est le caractère solitaire de
son entreprise Aucun parti, aucune force politique, aucune coterie derrière lui, pas
même la maçonnerie ». L’affaire Calas fut un combat solitaire comme le sera,
deux siècles plus tard, celui de Soljenitsyne. Les philosophes – Diderot, Rousseau
101
– ne se sont pas rangés à son côté. Qu’à cela ne tienne ! Il s’appuiera sur
l’opinion publique, que, de fait, il invente, et qu’il définit comme la voix publique
: « je parle de cette voix, de toutes les honnêtes gens réunis qui réfléchissent, et
qui, avec le temps, portent un jugement infaillible ». Appuyé sur l’opinion
publique il obtient la réhabilitation de Calas.
Rien de plus romanesque que sa vie ! Un trait, aux yeux de Milza, la caractérise :
lorsqu’il est parvenu à son ambition, entrer dans l’intimité des Rois, briller à la
cour du plus bel éclat, il commet invariablement quelque imprudence qui le
précipite dans la disgrâce. C’est le ressort du roman, non ? Boudé, en représailles
à ses incartades, par Louis XV, qui le fit auparavant officier de la chambre du roi
et historiographe officiel, il se précipite à la cour du roi-philosophe, « le Salomon
du Nord », Frédéric II de Prusse. Là, comme partout, il aurait pu jouir de sa
situation, d’autant plus que le monarque lui vouait une amitié sincère. Il en arrive
cependant à changer ce roi en ennemi. Avant de finir symbole pour toujours de la
liberté d’expression, Voltaire aura tout été : brillant élève des jésuites à Louis-leGrand, clerc de notaire, libertin dévergondé, courtisan à Versailles, tragédien aux
succès instables, premier historien moderne, chambellan de Frédéric II, financier
de haute volée, hobereau à Ferney, patriarche du parti des philosophes. Il aura
tout connu : la gloire et l’infortune, l’exil et l’errance, l’amitié et la trahison,
l’amour d’une femme qu’il tenait, non sans raisons, pour supérieure à lui, Emilie
du Châtelet. Jusqu’aux guet-apens dignes de films de cape et d’épée commis par
des coquins sur commande de nobles seigneurs, le chevalier de Rohan ou
Frédéric II lui-même. Il aura été aimé, admiré, jalousé et haï comme personne. Il
aura montré les mille facettes, dont certaines particulièrement déplaisantes, de sa
personnalité. On le découvre à chaque page de cette biographie : autant qu’un
siècle, Voltaire aura été un roman !
« Ecraser l’infâme » - cette formule revenant souvent sous sa plume constitue le
fil rouge de sa vie. L’infâme : l’alliance despotique du trône et de l’autel, de la
superstition et de la barbarie, dont le règne social passe par l’intimidation et la
terreur. L’infâme : tout ce qui, issu du christianisme fait obstacle au progrès de
l’humanité. Le chevalier de La Barre s’était rendu coupable d’abominables
crimes : blasphème et impiété. Il fut condamné à avoir la langue coupée, la tête
tranchée, le corps mutilé brûlé en même temps que le Dictionnaire Philosophique
de Voltaire, œuvre diabolique qui avait été retrouvée dans son appartement. La
France du siècle des Lumières est bien ce pays où l’infâme pousse à commettre
de sang-froid « des barbaries qui feraient frémir des sauvages ivres ». L’infâme
qui, à travers quelques prêtres sans scrupules, travaillèrent en vain à arracher au
Voltaire à l’article de la mort une rétractation de ses impiétés et une profession de
foi. Ne concluons pas cependant à l’athéisme de l’auteur de Candide. Adversaire
des religions révélées, pourfendeur des fétichismes, Voltaire, ce qui l’opposait à
Diderot, croyait sincèrement en Dieu – un Dieu horloger. En déiste, sans croire la
Bible, ni l’Evangile.
Voltaire n’a rien été de moins qu’un tournant de l’histoire. Avec lui commencent
l’intellectuel et l’opinion publique. Partout dans le monde, il se dit : Voltaire,
c’est la France. La France libératrice, la France émancipatrice, la France étendard
des droits de l’homme. L’encre de Voltaire fut le berceau du message de la
France au monde. Au-delà de l’hexagone, le mythe de la France et le mythe de
Voltaire correspondent. Ainsi, au terme de son parcours, une mue intérieure
suivie pas à pas par Milza, Voltaire était devenu plus que l’homme-siècle :
l’homme, pour toujours et à tout jamais, au-delà de sa propre mort, symbole
universel de la liberté. Les fanatismes égorgeurs trouveront toujours le souvenir
de Voltaire sur leur route. Milza fait bien d’approuver, à la dernière ligne de son
livre, l’appréciation d’Hugo : Voltaire, « l’homme qui est mort le 30 mai 1778 est
mort immortel ».
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Il fut à la fois écrivain, conteur de tragédie, spéculateur, propagandiste, conseiller
du Prince, seigneur au sens féodal et bien évidemment philosophe ; attraction des
salons dans sa jeunesse pour devenir ensuite le rendez-vous incontournable de la
haute société européenne, embastillé par deux fois…. Nous connaissons de lui
Zadig et Candide parce que nous avons étudié ces œuvres sur les bancs de nos
écoles mais, au fond, connaissons-nous réellement Voltaire ? Existe t’il un
Voltaire ou bien plusieurs figures de ce philosophe dont le nom est inscrit dans le
François Marie Arouet, dit Voltaire (16941778)
"Si vous avez deux religions chez vous, elles
se couperont la gorge ; si vous en avez trente,
elles vivront en paix."
Écrivain français, auteur de poèmes, de récits,
de tragédies, d’ouvrages historiques et
102
siècle des Lumières au même titre que celui d’un Rousseau, qu’il détestait, et
d’un Diderot dont il critiquait l’athéisme ?... Qui fut donc François Marie Arouet
dit Voltaire et le connaît-on véritablement ?
I.
Depuis sa retraite de Ferney, près de Genève, Voltaire se passionne pour la cause
de Jean Calas : il rassemble toutes les informations sur l’affaire et rencontre la
famille Calas. En décembre 1763, il publie son Traité sur la tolérance à l’occasion
de la mort de Jean Calas, qu’il avait commencé à écrire en 1762 et qui s’ouvre sur
deux chapitres racontant l’affaire. Mais le propos de l’ouvrage est plus large :
c’est un vaste réquisitoire contre le fanatisme religieux et donc un fervent
plaidoyer pour la tolérance. «Ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et
créatures du même Dieu ?». D’abord interdit, l’ouvrage a un retentissement
considérable. Le 4 juin 1764, le Conseil du roi casse enfin les jugements
prononcés contre les Calas et le 9 mars 1765, le parlement de Paris réhabilite Jean
Calas à l’unanimité tandis que le roi Louis XV lui-même indemnise sa famille.
Voltaire jubile : « Nous versions des larmes d’attendrissement, le petit Calas et
moi. Mes vieux yeux en fournissaient autant que les siens. C’est pourtant la
philosophie toute seule qui a remporté cette victoire. Quand pourra-t-elle écraser
toutes les têtes de l’hydre du fanatisme ?». L’affaire Calas marque la première
intervention des « philosophes » (aujourd’hui, on dirait « intellectuels ») dans les
affaires judiciaires et politiques.
II.
Contre l'intolérance et la torture
Voltaire s'engage dans la défense des victimes du système judiciaire de son temps
: Calas, Sirven, le chevalier de La Barre. Ce dernier, âgé de dix-neuf ans, est
condamné en février 1766 par le tribunal d'Abbeville à avoir le poing coupé, la
langue arrachée avant d'être brûlé vif. Le condamné fait appel devant le
Parlement de Paris qui lui accorde d'être décapité avant que son corps ne soit jeté
sur le bûcher. La sentence est exécutée le 1er juillet 1766. L'affaire fait scandale
dans les milieux éclairés. La même année, la publication en français du Traité des
délits et des peines de l'Italien Beccaria alimente un débat sur la nécessité de
réformer la justice. Beccaria se prononce en faveur de l'égalité de tous devant la
justice, de l'abrogation des infractions en matière religieuse et de la suppression
de la torture judiciaire, « le plus sûr moyen d'absoudre des scélérats robustes et de
condamner des innocents faibles ». Il propose un système où les peines sont
proportionnelles aux délits. Certaines de ses idées reprises par Voltaire sont
retenues par le pouvoir royal qui abolit en 1780 la question préparatoire (torture
lors du déroulement du procès) et en 1788 la question préalable (torture infligée à
un condamné à mort). Il est reproché au chevalier de La Barre d'avoir chanté des
chansons impies et de ne s'être pas découvert au passage d'une procession. Il est
accusé, sans preuves, d'avoir mutilé un crucifix (cette dernière accusation n'est
pas citée dans le texte). Voltaire oppose le raffinement de la culture française du
siècle des Lumières à la barbarie des traitements infligés aux accusés. Il met en
perspective les « crimes » dont est accusé le chevalier de La Barre et le verdict du
tribunal. La seule énumération des mauvais traitements infligés au jeune homme
équivaut à une condamnation des pratiques judiciaires « moyenâgeuses » de son
temps. Voltaire remet ainsi en cause l'institution judiciaire et l'Église, qui exerce
un rôle public comme garant d’une morale fondée sur la religion.
philosophiques, Voltaire combat le
cléricalisme et l’intolérance religieuse, et
défend le droit des hommes au bonheur.
"Écrasez l’Infâme"
La célèbre formule conclut les lettres de
Voltaire au fidèle Damilaville (1723-1768) à
l’époque de l’affaire Calas. Pour le
philosophe, "l’Infâme", désigne aussi bien les
calvinistes que les catholiques : n’a-t-il pas
été en butte aux tracasseries du consistoire de
Genève à propos des représentations
théâtrales des Délices ? Et le sort du pasteur
Rochette, pendu à Toulouse en février 1762,
ne l’a pas particulièrement ému. Pourtant il a
pris fait et cause, après un examen attentif des
faits, pour la "malheureuse famille Calas",
victime emblématique d’un fanatisme qu’il
n’a cessé de dénoncer depuis son séjour en
Angleterre. De ce combat qui passionne
l’Europe éclairée, et qui ne sera relayé dans
l’inconscient collectif que par l’affaire
Dreyfus, naît le Traité sur la tolérance, qui
commence alors à circuler et dont Voltaire
écrit : "Ce sera un secret entre les adeptes. Il
y a des viandes que l’estomac du peuple ne
peut pas digérer, et qu’il ne faut servir qu’aux
honnêtes gens." Au même moment paraissait,
en réponse aux condamnations de l’Émile, la
Lettre à Mgr Christophe de Beaumont de
Rousseau, ennemi déclaré de Voltaire depuis
1759.
III. Un héritage controversé
En 1878, pour consolider la République, à la demande des journaux républicains
(et particulièrement Le Bien public du chocolatier Menier), on décide de
commémorer le centenaire de la mort de Voltaire en même temps que
l’Exposition universelle. Participeront à cette cérémonie la Société des gens de
Lettres avec Victor Hugo et le conseil municipal de Paris. L’exemple fut suivi par
les municipalités de Nantes, Bordeaux, Versailles, Amiens... La presse
républicaine lance des invitations à l’étranger. On s’organise dans un Comité du
centenaire qui décide de publier une édition de textes choisis de Voltaire
présentant un Voltaire militant, défenseur des droits de l’homme, apôtre de la
tolérance, homme des Lumières. Les cérémonies ont lieu le 30 mai. Il y a des
discours dont celui de Victor Hugo. Le soir, un banquet se déroule à l’Hôtel de
ville. Dans les rues éclairées par les feux d’artifice défilent les retraites aux
103
flambeaux. On célébra aussi Voltaire en province et à l’étranger : en Italie
surtout.
La droite monarchiste s’opposa à la commémoration. Mgr Dupanloup, sénateur,
académicien, évêque d’Orléans, rédigea Dix Lettres à messieurs les membres du
conseil municipal de Paris sur le centenaire de Voltaire, dans lesquelles, jouant du
contexte nationaliste et républicain, il dénonçait l’aristocrate courtisan, ami de la
Prusse, hypocrite, ennemi de la religion. Il y eut un contre-centenaire, et on
opposa Jeanne d’Arc, patriote, française et chrétienne, dressée contre
l’envahisseur, à Voltaire. Les autorités n’avaient pas voulu commémorer le
centenaire de la mort de Rousseau. Ce fut l’affaire des républicains d’extrême
gauche. La cérémonie, modeste, fut animée par Louis Blanc, avec la participation
des chambres syndicales de Paris. On acclama le philosophe fils du peuple et on
réclama l’amnistie pour les déportés communards.
Cette double commémoration illustre l’héritage divisé des Lumières et les
hostilités diverses qu’elles provoquent.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
104
HM – Montesquieu
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Les œuvres complètes de Montesquieu sont publiées par la Société Montesquieu.
Ouvrages généraux :
P. BARRIÈRE, Montesquieu un grand provincial, Bordeaux, éd. Delmas, 1946.
Robert Shackleton, Montesquieu, biographie critique, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1977
Pierre Gascar, Montesquieu, Paris, Flammarion, 1988
Georges BENREKASSA, Montesquieu la liberté et l’histoire, Paris, LGF, 1987, coll. : « Le livre de poche, biblio essais », 4067.
Jean STAROBINSKI, Montesquieu, Paris, éd. du Seuil, 1989, coll. : « Points-Essais », 201.
Louis Desgraves, Montesquieu, Paris, Fayard, 1998
Jean Ehrard, L'Esprit des mots, Genève, Droz, 1998.
A. JUPPÉ, Montesquieu le moderne, Paris, Perrin-Grasset, 1999.
Denis de Casabianca, Montesquieu, L'Esprit des lois, Paris, Ellipses, 2003
Louis Althusser, Montesquieu, la politique et l'histoire, Paris, PUF, 2003
Jean LACOUTURE, Montesquieu les vendanges de la liberté, Paris, éd. du Seuil, 2003.
Jacques de Saint-Victor, Les Racines de la liberté - Le débat français oublié, 1689-1789, Paris, Perrin, 2007. Un essai sur les
origines du discours de la liberté lors du siècle avant la révolution et l'histoire des intellectuels (Fénelon, Boulainvilliers, SaintSimond, Montesquieu, Turgot, Mably).
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Une contreverse a eu lieu dans les années 1970 : Montesquieu pré-révolutionnaire
ou vrai réactionnaire ??
C'est le philopohe communiste Althusser qui a estimé (avec de fort bons
arguments) que Montesquieu était le porte-parole de la noblesse parlementaire et
aspirait au rétablissement d'un régime de type féodal dans lequel le pouvoir du
Roi est limité par celui des grands. Les reproches adressés à Montesquieu par
Condorcet sont les mêmes que ceux d’Althusser. Mirabeau accusait la pensée de
Montesquieu de «justifier ce qui est», c’est-à-dire précisément l’ordre féodal.
L’idée de l’uniformité des lois de la nature aboutit d’une part à un éternalisme de
la règle de justice, et d’autre part à un relativisme sociologique, dans la mesure où
les causes morales sont tributaires des causes physiques. C’est cette contradiction
ou cette tension que l’on peut dire toujours actuelle.
La postérité a pu identifier Voltaire, Rousseau ou Diderot par quelque trait de
caractère (le sarcasme, la retraite mélancolique ou l'enthousiasme contagieux) et
les enrôler dans une croisade contre l'Ancien Régime. Montesquieu devrait être le
quatrième du quatuor, mais sa dignité de président au parlement de Bordeaux, son
titre de baron et son château de La Brède, sa fidélité à la foi chrétienne et sa fin
édifiante brouillent son image. Où le situer ? Jean Lacouture répond sans
hésitation : au milieu de ses vignes, dans le terroir bordelais, dans ce coin de
France marqué par la présence anglaise et le sens des libertés locales. Les livres
savants ne manquent pas sur l'auteur de L'Esprit des lois et ses exégètes font
autorité, de Jean Starobinski à Louis Althusser, de Robert Shakleton à Jean
Ehrard. Rompu aux secrets de la biographie, Jean Lacouture s'attache à restituer
un seigneur-paysan, un notable qui connaît chacun de ses arbres et de ses
coteaux, se soucie de ses ceps et n'oublie pas de recompter ses sous.
«Je me connais assez bien. Je n'ai presque jamais eu de chagrin et encore moins
d'ennemi. Ma machine est si heureusement construite que je suis frappé par tous
les objets assez vivement pour qu'ils puissent me donner du plaisir, pas assez
pour me donner de la peine...» Montesquieu fait presque figure de cas
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4e actuel : « La remise en cause de
l’absolutisme (3 à 4 heures)
Il s’agit, sans étudier les événements des
révolutions anglaises du XVIIe siècle et de la
Révolution américaine, de montrer que
l’existence de régimes tels que la monarchie
limitée en Angleterre et la république
américaine et des aspirations politiques liées
à la philosophie des Lumières mettent en
cause les principes de la monarchie absolue.
D’autres modèles politiques sont ainsi
proposés à une société française en crise.
• Repères chronologiques : Déclaration des
Droits (1689) ; l’Encyclopédie (milieu du
XVIIIe siècle).
• Documents : préambule de la Déclaration
d’indépendance des États-Unis ; extraits de
philosophes du XVIIIe siècle (Montesquieu,
Voltaire, Rousseau). »
BO 4e futur : « L’Europe des Lumières.
Au XVIIIe siècle, les philosophes et les
savants mettent en cause les fondements
religieux, politiques, économiques et sociaux
de la société d’ordres.
La France est au centre de cette étude qui est
menée à partir de la vie et de l’oeuvre d’un
philosophe des Lumières ou d’un savant au
choix.
Connaître et utiliser le repère suivant
- L’Encyclopédie, milieu du XVIIIe siècle
105
pathologique dans la littérature française, ce pays peuplé de génies aigris,
paranoïaques, angoissés chroniques ou désespérés. On a même un peu de mal à
croire qu'un homme supérieurement intelligent ait pu écrire sans plaisanter: «Je
m'éveille le matin avec une joie secrète; je vois la lumière avec une espèce de
ravissement. Tout le reste du jour je suis content.» Le défi relevé par Jean
Lacouture consiste donc à expliquer comment un grand écrivain peut nager sa vie
durant dans le bonheur.
Au fond, la réponse est assez simple: quand on a tout pour être heureux, pourquoi
irait-on pleurnicher? Montesquieu est noble, très riche et «président à mortier au
Parlement de Bordeaux». Sa femme et ses enfants lui donnent toutes
satisfactions. Son château de La Brède est magnifique, ses terres immenses. Des
femmes charmantes le trouvent à leur goût; quand il n'a pas le temps de leur faire
la cour ou qu'il est en voyage, les bordels lui ouvrent leurs portes. Même sa santé
est robuste, si l'on excepte la cataracte qui l'obligea à recourir aux yeux des autres
pour continuer à lire jusqu'à la fin.
Un gentleman-farmer heureux. Quant à sa vanité d'auteur, elle est largement
flattée par deux succès retentissants: Les lettres persanes, qui le rendent illustre à
l'âge de trente-deux ans, et L'esprit des lois, commenté et admiré par l'Europe
entière. Le plus beau dans ce conte de fées, c'est que la postérité sera aussi
bienveillante que ses contemporains. L'esprit des lois, qui fut le livre de chevet de
Raymond Aron, apporte toujours des arguments au camp des réalistes contre les
utopistes: plutôt que de faire table rase pour construire un Eden hypothétique, les
disciples de Montesquieu préfèrent croire avec humilité que «la planète des
hommes peut être raisonnablement habitable».
En brossant ce portrait plein de vie, Lacouture met l'accent sur l'activité d'un
gentleman-farmer qui n'eut de cesse d'agrandir son domaine, de produire un
excellent vin de graves et de le vendre à bon prix. Il insiste aussi sur les
nombreux points communs entre Montesquieu et Montaigne: deux Bordelais,
deux magistrats, deux modérés, deux grands voyageurs, deux châtelains qui
eurent une bibliothèque en guise de chapelle. Et il nous rappelle cet aveu d'un
autre écrivain du bonheur, Stendhal: «Ce n'est pas précisément de l'amour que j'ai
pour Montesquieu, c'est de la vénération.»
Raconter quelques épisodes de la vie du
philosophe ou du savant étudié, et expliquer
en quoi ils sont révélateurs du siècle des
Lumières.
Accompagnement 4e : « Aborder en trois ou
quatre heures l’étude de la remise en cause de
l’absolutisme suppose de s’en tenir à
quelques idées essentielles, en s’appuyant sur
les exemples de l’Angleterre et des ÉtatsUnis et sur l’analyse de la philosophie des
Lumières sans pour autant conduire un récit
événementiel. L’analyse d’extraits de textes
des philosophes du XVIIIe ou de planches de
l’Encyclopédie aide à cerner quelques idées
fondamentales développées par la
philosophie des Lumières. On peut partir des
philosophes (la pensée politique de
Montesquieu, l’esprit critique de Voltaire, le
contrat social de Rousseau) ou mettre en
évidence quelques notions fondamentales et
nouvelles (liberté, égalité, nature, tolérance,
etc.).
Ces idées qui remettent en cause les principes
de l’absolutisme sont celles d’une minorité
cultivée. Elles rencontrent en 1789 une
conjonction de mécontentements qui
s’expriment dans la réunion des États
généraux et débouchent sur une révolution.
L’état de la France à la veille de la
Révolution se lit dans les événements de
1789 et non dans un tableau préalable. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
I. Montesquieu (1689-1755), baron de la Brède, fait partie du Parlement de
Bordeaux.
Charles de Secondat, baron de Montesquieu (1689-1755), développe dans ses
Lettres persanes et dans De l’Esprit des lois ses idées politiques libérales. Il met
en avant un principe fondateur: la séparation des pouvoirs. En aucun cas les
pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ne doivent être exercés par une
seule personne, cela afin d’éviter toute tyrannie («Tout serait perdu »).
Dans De l’esprit des lois, le philosophe, par ailleurs grand voyageur, passe en
revue les régimes politiques possibles. Il plaide pour la séparation des pouvoirs,
souhaitant notamment que le pouvoir exécutif soit exercé par quelqu’un ne
disposant ni du pouvoir législatif ni du pouvoir judiciaire. Il reprend ces idées
dans les fameuses Lettres persanes où il condamne le despotisme de l’empereur
ottoman, ne pouvant, pour cause de censure, attaquer directement le roi de
France.
Né le 18 janvier 1689 au château de La Brède, près de Bordeaux, Montesquieu
descend d'une famille de parlementaires bordelais et sera élevé de manière très
simple, parmi les paysans du bourg de la Brède. Entre 1700 et 1705, il étudie
chez les oratoriens, au collège de Juilly, puis à Bordeaux, où il est reçu avocat en
1708. Après un premier séjour à Paris, il revient à Bordeaux en 1713 et est
nommé conseiller au Parlement de la ville en 1714. Deux ans plus tard, à l'âge de
vingt-sept ans, il est reçu à l'Académie de Bordeaux et hérite de son oncle la
charge de président à mortier du Parlement. Désormais, Montesquieu partage sa
vie entre Paris et Bordeaux, et mène des recherches sur les sciences physiques et
naturelles, sur lesquelles il écrit plusieurs Mémoires.
Mais c'est surtout l'homme et la société qui intéressent Montesquieu. En 1721
paraissent à Paris, sans nom d'auteur, les Lettres persanes, qui connaissent un
rapide et vif succès. Montesquieu réside le plus possible à Paris et mène une vie
mondaine, sans pourtant jamais abandonner l'administration de ses terres. Il est
élu à l'Académie française une première fois en 1725, mais le rois réfuse son
Charles-Louis de Secondat, baron de La
Brède et de Montesquieu (1689-1755)
"Je suis nécessairement homme et je ne suis
Français que par hasard."
Écrivain et philosophe français, Montesquieu
est l'auteur des Lettres persanes et de L'Esprit
des lois. On doit tenir compte de l'infinie
variété des climats et des mœurs, mais la
tyrannie est à condamner sous tous les cieux
et l'idée de justice est commune à tous les
hommes.
Observateur critique de la société de son
temps
En 1721, Montesquieu publie, sous
l'anonymat, les Lettres persanes. C'est le récit
épistolaire de la découverte de l'Occident par
deux Persans, Usbek et Rica, le récit de leurs
surprises, leurs étonnements qui peu à peu
s'effacent pour faire place à une critique
moins systématique des moeurs et des
institutions politiques et religieuses.
Parsemé d'allusions à la vie de l'auteur, ce
roman revêt avant tout un aspect politique
dont le "libéralisme" découle de la
condamnation du "despotisme" de Louis
XIV. Si l'absolutisme constitue une menace
contre le statut social de l'aristocratie, les
Lettres persanes révèlent aussi les formes
nouvelles de la puissance économique et le
106
entrée à l'institution sous le prétexte que sa charge de parlementaire lui empêche
de résider en permanence à Paris. Il réussit toutefois à vaincre l'opposition royale
et rejoint l'illustre compagnie en 1728. En réalité, Montesquieu a vendu sa charge
de parlementaire en 1726, ce qui lui permet de s'installer à Paris et même de
voyager, ce qu'il fait aussitôt son élection à l'Académie confirmée. Montesquieu
entreprend alors un long périple qui le conduira de l'Autriche à l'Angleterre, en
passant par l'Italie et l'Allemagne, et qui ne s'achevera qu'en 1732. Durant son
voyage, Montesqueiu s'intéresse à tout ce qui concerne les mœurs des européens,
mais surtout aux fonctionnements des institutions politiques des différents états
qu'il visite. à son retour, Montesquieu commence à préparer ce qui sera son
œuvre la plus importante, l'Esprit des Lois, publiée en 1748, et qui connaîtra un
succès remarquable. Entre temps, il fait paraître plusieurs monographies, dont les
Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence,
publiées en 1734.
II. La participation de Montesquieu
Oeuvre de toute une vie, De l’Esprit des lois paraît à Genève, anonymement, en
1748. Immédiatement attaqué par les jésuites comme par les jansénistes,
Montesquieu rédige en réponse une Défense de l’esprit des lois (1750), sans effet
sur l’Église qui inscrit l’ouvrage à l’Index (1751). Dans cet énorme ouvrage de
trente et un livres groupés en six parties, qui recense les lois de toutes les sociétés
connues, Montesquieu élabore une théorie du droit public et privé et une analyse
sociologique qui vont dominer le siècle et inspirer les écrivains du XIXe siècle
(Benjamin Constant, Tocqueville). Il caractérise trois types de gouvernement :
républicain (subdivisé lui-même en « démocratie » et « aristocratie »),
monarchique et despotique. Il en définit la « nature » (structure) et les « principes
» (ressorts). Il distingue les causes morales (entre autres : instinct de conservation
et de paix) des causes physiques (géographie, climat), qui, d’après lui, fondent les
lois ; le despotisme s’appuie sur la crainte, la monarchie sur l’honneur, le régime
démocratique sur la vertu. « Les causes morales forment plus le caractère général
d’une nation et décident plus de la qualité de son esprit que les causes physiques.
» La corruption des gouvernements commence par celle des principes : « La
démocratie a donc deux excès à éviter : l’esprit d’inégalité, qui la mène à
l’aristocratie, ou au gouvernement d’un seul ; et l’esprit d’égalité extrême, qui la
conduit au despotisme d’un seul, comme le despotisme d’un seul finit par la
conquête » (Livre VIII). Il dénonce le despotisme et ne croit pas au « despotisme
éclairé » que Voltaire et Diderot ont vu un temps incarné respectivement par
Frédéric II et Catherine II de Russie, avant d’être l’un et l’autre déçus.
Montesquieu prône un gouvernement modéré, seul garant de la liberté politique
(« le droit de faire tout ce que les lois permettent »). Il pose le principe de la
séparation des pouvoirs : « Il n’y a point de liberté si la puissance de juger n’est
pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. » Il imagine pour ce
faire un dispositif complexe fondé sur un équilibre et un contrôle mutuel des
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire — équilibre qu’il voit assuré dans la
Constitution anglaise. Il accorde un rôle capital aux Parlements et aux corps
intermédiaires et demande que les ministres rendent compte de leur gestion
devant « un conseil populaire ». De l’Esprit des lois fonde en Europe la
sociologie, le droit public comparé, la géographie politique et humaine, et le
libéralisme politique.
Sa collaboration avec l'Encyclopédie se réduit pourtant à une seule contribution,
un Essai sur le goût, qu'il n'aura pas le temps de corriger et qui deviendra l'article
“Goût”. D'Alembert lui avait pourtant demandé d'écrire les articles “Despotisme”
et “Démocratie”, mais il avait courtoisement refusé, en raison d'une perte presque
totale de la vue.
Les dernières années de sa vie Montesquieu mène pourtant une vie très active,
entre Bordeaux, La Brède et Paris, où il meurt finalement le 10 février 1755.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
rêve d'une solution de compromis conduisant
à un accord souhaité entre la terre et l'argent,
le mérite et le sang.
Entre 1728 et 1731, Montesquieu voyage en
Autriche, en Italie, en Allemagne, aux PaysBas et en Angleterre. Recueillant des
observations sur les constitutions des pays où
il réside, sur les moeurs des habitants,
rencontrant des personnalités intellectuelles,
politiques et religieuses, il accumule notes de
lectures et de conversations. De retour en
France, il écrit les Considérations sur les
causes de la grandeur des Romains et de leur
décadence (1734) et se consacre à la
préparation de son grand œuvre : De l'Esprit
des lois (1748).
Fondateur de la science politique moderne
Travail d'une trentaine d'années, De l'Esprit
des lois recense les lois de toutes les sociétés
connues et les situe par rapport aux "causes
physiques et morales" : climat, terrain,
population, formes de commerce et de
religion. L'ensemble, où tout se tient, forme
"l'esprit général" de chaque nation.
Montesquieu distingue trois formes de
gouvernement, selon les degrés de liberté
qu'ils comportent : la république (démocratie
et aristocratie), la monarchie et le despotisme.
L'opposition entre tyrannie et modération
fonde cette nouvelle typologie des régimes
politiques, la modération étant définie par le
maintien du pluralisme : "Il faut que, par la
disposition des choses, le pouvoir arrête le
pouvoir." Seuls les régimes modérés
protègent la liberté des individus :
Montesquieu apporte ainsi une contribution
décisive à la doctrine du libéralisme
politique.
Malgré son succès, De l'Esprit des lois, après
une longue querelle où interviennent le
fermier général Dupin, les jésuites et les
jansénistes, est mis à l'Index le 29 novembre
1751 et condamné par la Sorbonne.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
107
HM – Les acteurs de la Révolution
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
L’histoire de la Révolution se révèle être une succession d’événements
révolutionnaires, qui se mettent en place à partir de la matrice de 1789,
empruntant différentes voies, s’éloignant ou se rapprochant de leur idéal, faisant
de cette décennie un formidable laboratoire politique.
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
BIANCHI Serge, La Révolution et la Première République au village, Paris : CTHS, 2003.
Serge Bianchi, Des révoltes aux révolutions, Presses universitaires de Rennes, 2004.
Michel Biard et Pascal Dupuy : La Révolution française. Dynamiques, influences, débats, 1787-1804. 2004 (un excellent manuel
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La Révolution française: La liberté et la terreur / LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 25, Octobre-Décembre 2004
De Bonaparte à Napoléon, TDC, N° 722, du 15 au 31 octobre 1996
TDC « Le directoire » (n° 447), « Chouans et Vendéens » (n° 469), « Les états généraux » (n° 484), « La prise de la Bastille » (n°
489), « Le procès du roi » (n° 510), « La république a deux cents ans » (n° 625), « Le système métrique décimal, la révolution des
mesures » (n° 781).
Carte murale :
Enjeux didactiques (repères, notions et
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
méthodes) :
savoirs, concepts, problématique) :
BO 4e actuel : « Les grandes phases de la
« Tout problème authentiquement historique, même s'il concerne le plus lointain
période révolutionnaire en France, de 1789 à
passé, est bien un drame qui se joue dans la conscience d'un homme d'aujourd'hui 1815 (7 à 8 heures)
: c'est une question que se pose l'historien, tel qu'il est, “en situation”, dans sa vie, Un récit synthétique permet de présenter les
son milieu, son temps » (H. I. Marrou, De la connaissance historique, Seuil, Paris, épisodes majeurs et les principaux acteurs de
1954). Cette citation rappelle que « toute histoire est contemporaine » (B. Croce). la période révolutionnaire et impériale en
Celle de la Révolution française n'échappe pas à cette règle.
insistant sur la signification politique et
Au coeur de l'événement, des témoins ont écrit sur la Révolution soit pour la
sociale de chacune des phases retenues. Les
condamner (Burke, Barruel), soit pour en approuver les principes (Kant), soit
événements extérieurs ne font pas l’objet
pour se justifier et comprendre (Barnave). Le XIXe siècle perçoit son histoire
d’une étude exhaustive, mais sont évoqués à
comme la « reprise » des événements révolutionnaires. Les vainqueurs de 1830 « l’aide de cartes.
refont » 1789, les militants de 1848 et de la Commune « revivent » 1793. La
• Repères chronologiques : prise de la
troisième République utilisa la légende révolutionnaire pour unifier et renforcer le Bastille (14 juillet 1789) ; abolition des
parti républicain. L'histoire de la Révolution fut servie (et souvent utilisée) par
privilèges (4 août 1789 ; Déclaration des
des hommes dont certains eurent un rôle de premier plan dans la vie politique :
droits de l’homme et du citoyen (26 août
Thiers, Guizot, Lamartine, Louis Blanc, Michelet, Tocqueville, Taine, Jaurès…
1789) ; chute de la monarchie (10 août 1792)
La création en 1866 d'une chaire d'histoire de la Révolution française à la
; chute de Robespierre (9 Thermidor an II Sorbonne marque symboliquement le développement d'une historiographie
27 juillet 1794) ; Consulat (1799-1804) ; le
universitaire de la période révolutionnaire. Le premier titulaire de cette chaire, A. Franc germinal (1803) ; le Code Civil (1804)
Aulard, prétendit rompre avec une tradition polémique pour imposer une histoire
; Empire (1804 - 1815).
scientifique fondée sur les méthodes de l'érudition positiviste. Toutefois, la
• Documents : Déclaration des droits de
Révolution n'est pas devenue un « objet froid » comme en attestent les querelles
l’homme et du citoyen ; carte des
historiographiques qui se poursuivent au XXe siècle.
départements français en 1791 ; David : le
Depuis deux siècles, la Révolution a fait l’objet de diverses interprétations,
Sacre de Napoléon »
chaque époque y projetant ses propres questionnements :
– Un courant contre-révolutionnaire est lancé très tôt par Burke (1790), repris par Socle : Nouveau commentaire
Taine (1875), vulgarisé par Gaxotte (1929) : il reproche à la Révolution d’avoir
« Les grandes phases de la Révolution et de
été sanglante et autoritaire et rejette l’essentiel de ses principes.
l’Empire sont présentées à partir des
– Un courant libéral, représenté par Constant (1797) et Tocqueville (1856),
événements fondateurs, des principaux
revivifié récemment par Furet et Richet (1965-1966), affirme que la Révolution a acteurs et des grandes figures. On insiste sur
renforcé le centralisme de l’Ancien Régime et que 1793 fut un dérapage
des points clés de la période : la chute de
empêchant les réformes nécessaires.
l’Ancien Régime politique et social en 1789,
– L’historiographie républicaine du XIXe siècle, à la suite de
l’accélération des événements et des
l’oeuvre monumentale de Jules Michelet (Histoire de la Révolution française,
expériences politiques entre 1792 et 1794, les
1847), insiste sur l’apport politique et intellectuel de la Révolution : l’avènement
réformes de Napoléon Bonaparte.
de la liberté, de la démocratie et de la laïcité.
L’évocation des guerres de la Révolution et
– À partir de la fin du XIXe siècle, sous l’impulsion de la pensée sociale et de
de l’Empire à partir de cartes doit surtout
Jean Jaurès, l’accent a été mis sur ses avancées et même, ses anticipations
introduire à la présentation des
sociales. Le rôle des classes populaires y a été progressivement valorisé par
bouleversements induits en Europe. »
rapport à celui de la bourgeoisie.
– Au XXe siècle, la gauche socialiste et communiste a mis en avant les
BO 4e futur : LES TEMPS FORTS DE LA
transformations économiques (émergence du capitalisme) et sociales
RÉVOLUTION
(émancipation de la paysannerie qui accède à la propriété, rôle accru des classes
« L’accent est mis sur trois moments :
populaires urbaines, etc.). Cette interprétation a ensuite été développée par les
- 1789-1791 : l’affirmation de la souveraineté
historiens Ernest Labrousse et Albert Soboul.
populaire, de l’égalité juridique et des libertés
109
– Un courant révisionniste soutient que de toutes façons, des dynamiques
profondes étaient à l’œuvre depuis bien avant 1789 et que les changements se
seraient de toutes façons opérés ; d’où la question : n’aurait-on pas pu faire
l’économie de la Révolution avec son cortège d’horreurs ?
Le courant de révision « néo-libérale » contredisant la lecture marxiste de la
Révolution française avait largement précédé 1989 : il remontait en France au
tournant des années 1960, avec la première édition de La Révolution française de
F. Furet et D. Richet (Larousse, 1965), suivi de Penser la Révolution (1978)
synthèse majeure du seul Furet, auquel tenta de répondre Comprendre la
Révolution d’A. Soboul en 1981, un an avant la précoce disparition, à 68 ans du
directeur de l’Institut d’Histoire de la Révolution de Paris I, la « maison » du
courant Mathiez-Lefebvre. Mais ce sont les événements internationaux de 19891991, coïncidant fortuitement avec le bicentenaire français de 1789 qui, par une
sorte de pied de nez de l’histoire, ont représenté le vrai triomphe de la nouvelle
lecture critique de la Révolution (comme l’indique bien le titre du Dictionnaire
critique de la Révolution française (1988) réalisé par F. Furet, M. Ozouf et leurs
disciples de l’E.P.H.E.S.S.), « nouvelle vulgate », selon Michel Vovelle, prenant
la place de l’ancienne version « jacobino-marxiste » dominante, désormais en
déroute, comme le marxisme lui-même et le parti communiste s’en réclamant.
Point d’orgue de ce grand retournement : la publication du dernier grand ouvrage
de F. Furet sur le communisme en France, ayant pour sous-titre Le Passé d’une
illusion, en 1995, peu avant la non moins précoce disparition de son auteur à 70
ans, en 1997.
Au cours de la décennie suivante, le courant néo-libéral de Furet a été porté et
illustré par ses proches et disciples, Mona Ozouf (avec un énième ouvrage sur la
fuite de Varennes, 2005), auquel on préférera sensiblement Le Roi s’enfuit de
Timothy Tackett (2004), Ran Halévy et surtout Patrice Gueniffey, déjà auteur
d’une thèse sur les élections sous la Révolution française, publiée en 1993 sous le
titre Le nombre et la Raison, La Révolution française et les élections, dont la
synthèse majeure, opus perfectus de la vulgate furétienne a paru en 2000 : La
Politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Fayard.
Allant bien plus loin que F. Furet, P. Gueniffey a en effet développé la thèse à
mon sens excessive d’une Terreur consubstantielle à la révolution elle-même, dès
ses débuts en 1789, indépendante des circonstances, en particulier de la contrerévolution et de la guerre ; d’où le portrait caricatural de Robespierre, précurseur
de Lénine et Staline, brossé par P. Guenniffey, ou par M. Ozouf.
Cette vision idéologique unilatérale renouant d’ailleurs largement avec le vieux
répertoire contre-révolutionnaire de Taine et Gaxotte, a été combattue par
d’autres courants historiographiques. En tout premier lieu par celui se réclamant
de la tradition jacobine et marxiste, en partie repeinte aux couleurs des Droits de
l’Homme, qui s’efforce de maintenir son cap dans de cadre de la Société des
études robespierristes.
– Au lendemain du bicentenaire de 1789, de nouvelles approches ont été
privilégiées : l’histoire sociale, insérée dans l’histoire économique, prolongée par
l’histoire des mentalités et des idéologies ; l’histoire dite «culturelle» (notamment
la culture politique révolutionnaire); enfin l’observation du jeu des
représentations.
– On note actuellement une réelle internationalisation de la recherche. De
nombreuses études hors de France ont également apprécié le bouleversement
révolutionnaire à l’aune de leur propre histoire, notamment dans les pays qui
furent entraînés dans le sillage de l’aventure révolutionnaire, puis impériale,
française de 1792 à 1815.
Avec la comparaison entre révolution française et américaine, la première étant à
la fois fille et concurrente de la seconde, nous prenons un champ salutaire à
l’égard du cas français et de la vision par trop franco-française d’un événement
que la tradition nationale tend souvent à présenter trop abusivement comme un
modèle exclusif, la matrice des temps contemporains, ce qui ne laisse pas d’irriter
nos collègues anglo-saxons et étrangers d’une manière plus large.
À cet égard, le livre d’Annie Jourdan, La Révolution une exception française?
(Flammarion, 2004), représente une autre voie du renouvellement
historiographique de cette dernière décennie, qui renoue d’ailleurs pour une part
avec un grand débat des années 1950, celui des « révolutions atlantiques », alors
porté par Jacques Godechot et l’historien américain Robert R. Palmer, lequel fit
individuelles ;
- 1792-1794 : la République, la guerre et la
Terreur ;
- 1799-1804 : du Consulat à l’Empire.
On renonce à un récit continu des événements
de la Révolution et de l’Empire ; l’étude se
concentre sur un petit nombre d’événements
et de grandes figures à l’aide d’images au
choix pour mettre en mettre en évidence les
ruptures avec l’ordre ancien.
Connaître et utiliser les repères suivants
− La Révolution française : 1789 – 1799.
Prise de la Bastille : 14 juillet 1789 ;
Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen : août 1789 ; proclamation de la
République : septembre 1792
− Le Consulat et l’Empire : 1799 – 1815.
Napoléon Ier, empereur des Français : 1804
Raconter quelques uns des événements
retenus et expliquer leur importance
BO 2nde : « La Révolution et les expériences
politiques en France jusqu'en 1851
– Ruptures avec l'Ancien Régime
– Mise en oeuvre des principes
révolutionnaires
– Héritages conservés, héritages remis en
cause
Cette question est délibérément centrée sur la
France avec un triple objectif :
– faire percevoir la rupture fondamentale
représentée par cette période ;
– évoquer les grands repères chronologiques,
les moments forts et les acteurs de cette
période ;
– dégager un bilan des bouleversements
provoqués, en particulier dans les domaines
politiques et sociaux.
Le programme invite à organiser cette étude
autour de quelques axes privilégiés :
. Il faut mettre en valeur les principes qui
fondent la Révolution française (droits de
l'homme, égalité civile, liberté, nation, etc.)
en s'appuyant sur les textes fondamentaux de
la période (Déclaration des Droits de
l'homme et du citoyen, Constitutions, Code
civil) et sur une chronologie montrant
comment et par quelles forces sociales ces
principes sont mis en oeuvre. Au travers des
interrogations sur qui vote, légifère et
gouverne, les mots clefs du vocabulaire
politique sont contextualisés (suffrage
censitaire et universel, souveraineté
nationale, séparation des pouvoirs,
assemblée, etc.).
Une attention particulière est accordée à
l'exclusion persistante des femmes de la vie
politique et à la difficile abolition de
l'esclavage. »
Accompagnement 4e : « Les idées qui
remettent en cause les principes de
l’absolutisme sont celles d’une minorité
cultivée. Elles rencontrent en 1789 une
conjonction de mécontentements qui
110
couler beaucoup d’encre, en suscitant bien des controverses en pleine période de
guerre froide : à l’époque G. Lefebvre et A. Soboul s’étaient élevés non sans
excès ni mauvaise foi contre une manœuvre historiographique jugée « atlantiste »
sinon manipulée par la CIA ! Il s’agissait aussi de mettre en exergue la spécificité
et avant tout la prétendue « supériorité » de la Révolution française, dont
l’importance dans le temps et l’espace – une bonne décennie – et l’extension à
l’ensemble européen occidental, par la voie des guerres révolutionnaires – autant
que la radicalité faisaient à leurs yeux un modèle « unique » et irréductible,
matrice des futures révolutions des XIX et XXe siècles, fourriers de la modernité
politique et de l’époque contemporaine.
Si la querelle s’est en partie apaisée trente ans plus tard, elle a connu un nouvel
avatar et d’autres aliments dans le livre controversé d’A. Jourdan, qui s’offre
d’abord comme une réponse à un colloque du bicentenaire de la République,
coordonné par M. Vovelle à Paris I-Sorbonne en 1992, sous le titre « La
République, une exception française ». Il s’agit bien d’une nouvelle mise en
cause de la prétendue « voie française » mise en avant par la tradition marxojacobine, dont M. Vovelle, successeur d’A. Soboul à la tête de l’IHRF de Paris I
entre 1984 et 1993, se voulait l’héritier et l’ombrageux défenseur. Mais cette fois
l’argumentation et l’angle d’attaque se sont quelque peu déplacés, A. Jourdan
insistant non seulement sur l’antériorité et le rôle de déclencheur de la Révolution
d’indépendance américaine, mais aussi en tant qu’historienne néerlandaise, sur
les mouvements européens précurseurs de la décennie 1780, en particulier la
première « révolution batave » de 1783-1787 aux Provinces-Unies, mouvement
certes non abouti, mais comportant des innovations intéressantes en matière de
projets constitutionnels, en attendant le relais des propositions de la plus ambiguë
révolution (ou pour d’aucuns contre-révolution) brabançonne de 1787-1789, ou la
Constitution américaine de 1787, définitivement adoptée en 1789, soit presque à
la même époque que l’adoption de la Déclaration des droits française d’août
1789.
L'optique largement franco-française du programme, si elle peut s’expliquer par
des raisons pédagogiques et civiques, paraît aller néanmoins à contre-courant de
la tendance actuelle à l’élargissement de l’historiographie dans une perspective
européenne et mondiale, accordant leur place relative aux événements français.
Par ailleurs l’historiographie des révolutions atlantiques s’était, dès avant A.
Jourdan, enrichie d’une dimension caraïbe et partant africaine par le biais de la
traite transatlantique, volet curieusement absent des synthèses de Palmer et
Godechot, et qui a été mis en œuvre à la suite du renouveau des travaux sur SaintDomingue et la révolte des esclaves de 1791, débouchant une décennie plus tard
sur la création d’Haïti, première République noire, après l’échec de la reconquête
de Bonaparte, restaurateur en 1802 de l’esclavage dans les colonies française,
aboli par la Convention en février 1794. Toussaint-Louverture, le Robespierre ou
le Bonaparte noir, dont Victor Schoelcher et Aimé Césaire avaient été les
biographes précurseurs1, la révolution noire de Saint-Domingue furent à nouveau
mis à l’honneur par l’historien et journaliste Yves Benot (1920-2005), récemment
disparu et ses nombreux émules.
En insistant sur 1789 comme « Révolution des Droits de l’Homme », le courant
historiographique jacobino-marxiste s’est efforcé de redonner des couleurs, plus
tricolores que rouges, à la tradition révolutionnaire française, quitte à oublier un
peu vite que cette « rupture » de 1789 avait été largement préparée par les siècles
précédents de l’Humanisme, des Réformes, de Machiavel, Hobbes, Spinoza,
Locke, comme le soulignent les travaux des historiens modernistes là aussi anglosaxons.
s’expriment dans la réunion des États
généraux et débouchent sur une révolution.
L’état de la France à la veille de la
Révolution se lit dans les événements de
1789 et non dans un tableau préalable.
L’étude des grandes phases de la Révolution
française, en sept à huit heures, doit donner
une vision de l’ensemble de la période. Il
importe avant tout que les élèves soient
capables d’identifier et de caractériser trois
moments essentiels : 1789, 1793 et la
dictature impériale. Plusieurs solutions sont
possibles, étant entendu que le «récit
synthétique» ne peut se réduire, ni à une
chronique linéaire, ni à une épure théorique
de la Révolution.
La première solution propose une approche
chronologique. On peut distinguer un premier
temps (1789), celui de la révolution politique
et juridique, un second moment (1790-1792),
tentative d’une monarchie constitutionnelle
qui échoue avec la chute de la monarchie et la
proclamation de la République, un troisième
temps (1793-1794) avec une République
menacée à l’intérieur comme à l’extérieur,
qui adopte des mesures d’exception et met en
place la Terreur, puis (1794-1799), la
recherche d’une stabilisation et les dérives de
la guerre, et enfin (1799-1815) le Consulat et
l’Empire qui jettent les bases de la France
contemporaine dans le cadre d’un régime
autoritaire.
La deuxième solution est plus ambitieuse. Le
professeur peut d’abord proposer (en deux
heures) un panorama de la période en
dégageant les principales phases, quelques
événements porteurs de sens. Puis, quelques
aspects importants sont approfondis avec le
recours possible à des documents locaux : les
premiers acquis (nuit du quatre août,
Déclaration des droits de l’homme, les
départements, le système métrique), la
question religieuse (de 1789 au Concordat, en
montrant la division des Français à partir de
la Constitution civile du clergé), une journée
révolutionnaire (comme le dix août 1792, où
seraient mis en évidence le rôle du roi et celui
des sans-culottes), les différentes formes du
pouvoir de 1789 à 1815, la Terreur, l’oeuvre
du Consulat et de l’Empire (à la fois
centralisation administrative et dictature
autoritaire). Quelle que soit la solution
retenue, il est indispensable de proposer les
portraits de quelques-uns des principaux
acteurs de la Révolution qui caractérisent ou
symbolisent un des moments de la période
étudiée (Lafayette, Danton, Robespierre,
Bonaparte). Quelques articles de la
Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, de portée universelle, méritent
d’être mémorisés par les élèves.
L’établissement d’un bilan permet de montrer
la mise en place d’une nouvelle organisation
politique et sociale dans laquelle se fondent
l’héritage du passé et les conquêtes
111
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. Une révolution urbaine ?
On doit d’abord distinguer les populations agricole et rurale dans l’ensemble des
campagnes, qui comprennent 84 % des Français, soit près de 23,5 millions
d’habitants sur 28 millions au total. Cette population rurale comprend les
agriculteurs, ceux qui travaillent et exploitent la terre, mais également les ruraux
non-agriculteurs qui vivent à la campagne : artisans, commerçants, hommes de
loi et de plume, curés et recteurs, nobles et seigneurs – il existe des seigneurs
ecclésiastiques et des bourgeois détenteurs de fiefs –, domestiques. Ainsi, les
paysans représentent à la veille de la Révolution près de 18 millions de
personnes, soit moins de 4 millions de familles, alors que les villes (16 % de
l’ensemble) ne regroupent que 4,5 millions d’habitants, pour 750 localités
abritant plus de 2 000 habitants agglomérés.
L’entrée des campagnes dans le processus révolutionnaire de 1788-1789 ne peut
surprendre que les profanes. Les campagnes connaissent des crises différenciées
et inégales, mais convergentes : de l’élevage depuis 1785, de la vigne dont les
prix s’effondrent depuis 1786, des subsistances après l’orage du siècle de juillet
1788. Les doléances vont constituer un temps fort, un révélateur de ces capacités
communautaires de contestation qui l’emportent un moment sur les clivages et
tensions internes des sociétés rurales.
Le temps des doléances
Certes, les élus aux États généraux ont été massivement des gens des villes, des
hommes de loi, des négociants, en dehors d’une quarantaine venus des
campagnes, comme le père Gérard, député breton remarqué par le roi pour sa
mise « rustique » le 4 mai 1789 ou Lepoutre, député du Nord (Jean-Pierre
Jessenne). Certes, les cahiers ont souvent été présidés, voire rédigés par des
intermédiaires venus de la ville (procureurs, juges royaux et seigneuriaux,
notaires). Ils correspondent alors peu ou prou aux modèles des cahiers urbains
comme Les Charges d’un bon citoyen de campagne (cahier de doléances
d’origine nantaise), reprises par 44 % des paroisses de la sénéchaussée de
Rennes. La plupart des cahiers « des champs » s’affirment loyalistes (envers le «
père », le « bon roi » plus qu’envers son entourage), respectueux des fondements
catholiques et du clergé séculier. Mais les voix paysannes se font entendre dans
des milliers de cahiers sur l’essentiel : l’accord avec le Tiers urbain sur un
programme politique minimal, la critique de la corvée et de la milice; le désir
d’une profonde réforme fiscale sur l’égalité des contribuables et la fin des abus de
la fiscalité indirecte (la ferme) ; la haine générale contre les privilèges de la
chasse et de tous ses détenteurs ; une critique « violente » (au-delà des mots) des
abus de la féodalité, partout où elle se fait plus pesante. Les principes du droit
naturel gagnent les campagnes, où ils étaient latents. On le voit dans de
nombreuses régions au printemps 1789 : un front du Tiers (unissant villes et
campagnes, cas de la Bretagne) étant contre les privilèges, voire contre
l’absolutisme, développe un programme de réforme bien plus radical qu’en 1588
ou 1614. À cet égard, la mobilisation provoquée par la campagne nationale et par
le vote des paroisses (pour l’élection des délégués et les délibérations) est
décisive dans la contestation qui débouche durant l’été 1789 sur une véritable «
révolution paysanne ». Catherine II, tsarine philosophe, avait arrêté en 1767 un
mouvement où elle encourageait des doléances du peuple russe, en constatant les
risques d’une telle contestation. Louis XVI n’a pas pu ou pas voulu l’endiguer,
ouvrant une brèche où l’opinion publique s’est engouffrée, avant de se répandre
dans la majeure partie des campagnes du royaume.
La Grande Peur
On parle souvent d’une Révolution bourgeoise et de « journées urbaines » alors
que la France est un pays rural et que les paysans représentent les deux tiers des
Français regroupés en près de 40 000 communautés rurales et villageoises. La
place et le rôle des campagnes dans la Révolution ont longtemps été sousestimés, interprétés en termes de retards culturels et politiques. Or cette place est
capitale dès la Grande Peur de l’été 1789, au point que des historiens (Anatoli
révolutionnaires. La diffusion et l’importance
du message révolutionnaire en France et en
Europe s’apprécient aussi par les
transformations politiques, sociales et
idéologiques qu’il amorce. »
Activités, consignes et productions des élèves
:
Le premier vote français
Les campagnes n’ont pas participé à un vote
national depuis 1614, la dernière réunion des
États généraux. En 1788, le Tiers sait qu’il
aura un nombre de députés double de celui de
chaque ordre privilégié. Le 24 janvier, un
règlement électoral fixe les conditions d’un
vote large et indirect des campagnes. Chaque
paroisse rurale doit élire au moins deux
délégués et plus au-delà de 200 feux (900
habitants). Tous les chefs de famille de plus
de 25 ans payant un impôt quelconque, dont
quelques veuves, peuvent voter. Les délégués
vont rejoindre les élus des villes au chef-lieu
de bailliage ou de sénéchaussée
(circonscriptions judiciaires) pour élire les
députés du Tiers (600 au total). Reflet des
traditions régionales, la participation sera
inégale. Supérieure à 60 % en Alsace et en
Bourgogne, proche de 50 % en Provence, de
30 % en Bretagne et dans le Bassin parisien,
elle a permis à près de 2 millions de
personnes de voter. Les élus paroissiaux sont
souvent à l’image de la population aisée des
villages. Mais les élus à Versailles sont à plus
de 90 % des élus des villes, hommes de loi,
gens à talents et commerçants. Une
quarantaine de députés des campagnes (le
père Gérard, Lepoutre) représentent mal la
voix paysanne, laissant entier le problème de
la représentation réelle des campagnes.
Cependant, l’élection et la délibération de 40
000 paroisses a conduit à une mobilisation
exceptionnelle des campagnes en ce
printemps 1789.
Les arbres de mai
À la fin de l’année 1789, l’agitation
paysanne, un moment suspendue après les
décrets d’août, reprend dans les campagnes
du Périgord, du Quercy et de Bretagne. L’une
des manifestations les plus spectaculaires est
la plantation par les villageois d’arbres dits de
mai. Ancienne tradition des campagnes (de
France, d’Écosse), cet arbre est un symbole
de réjouissance pour le village. À l’occasion
de révoltes, il devient un signe de
contestation du pouvoir du seigneur. Planté
face à la potence ou aux fourches symbolisant
l’autorité du seigneur, il signifie que les
paysans ne paieront plus les redevances. Les
communautés se portent garantes de ce
pouvoir paysan, menaçant de punir ceux qui
manqueraient à cet ordre. Le pouvoir paysan
est un pouvoir en armes (fourches, faux,
haches, fusils), mobilisant de véritables
foules (cinq mille hommes dans le Périgord),
112
Ado, Georges Lefebvre) ont pu parler d’une « révolution paysanne » autonome,
avant l’été 1793, puis de contre ou d’antirévolution paysanne, à partir des
insurrections de l’Ouest. Échappant un moment aux contraintes des écoles
historiographiques, il paraît logique de s’interroger dans un premier temps sur
l’ampleur et les enjeux des mouvements paysans, avant de tenter une typologie
politique et économique des campagnes françaises en République. De 1788 à
l’été 1793, les historiens de tous bords (de Taine à Ado) recensent des vagues
successives de révoltes paysannes, dirigées contre les autorités de tutelle
(seigneurs, autorités administratives), mobilisant des communautés ou des «
foules » contestataires et violentes, mais se réclamant des principes et d’un
approfondissement de la Révolution en cours, en vue de l’adaptation des réformes
à des besoins spécifiques aux populations des campagnes. Cette succession de «
jacqueries » ou révoltes, qualifiée de « révolution paysanne » quand elle atteint
ses objectifs à l’été 1793, surgit dans le processus révolutionnaire au moment de
la Grande Peur. Le maintien d’une contestation ample est conditionné par les
réponses législatives aux revendications essentielles des foules paysannes. Le 20
juillet débute aux environs de Nantes ce que les historiens (Georges Lefebvre dès
1930) ont qualifié de Grande Peur. Pendant deux semaines, une grande partie des
campagnes françaises est touchée par d’immenses jacqueries (le terme
remonterait à 1358), d’autant plus surprenantes que le XVIIIe siècle est réputé
calme, dans une historiographie classique des révoltes paysannes. La vitalité des
contestations communautaires dans la seconde moitié du siècle et l’ampleur de la
rébellion française montrent une mobilisation inégale des campagnes, révélée en
partie par la prise de parole paysanne au moment des doléances. Mais c’est lors
de la Grande Peur que les foules rurales entrent dans l’histoire politique dans des
conditions qu’il convient d’éclairer. La Grande Peur s’inscrit d’abord dans
l’espace et le temps. À partir de quelques centres principaux (Estrées, La Ferté,
Ruffec, Saint-Florentin, Louhans) la panique gagne des régions entières,
particulièrement dans l’ouest et dans l’est. Les deux tiers de la France sont
touchés entre le 20 juillet et le 6 août, dans des mouvements différents mais
simultanés et proches dans leurs pratiques. Dans ses mécanismes, la Grande Peur
comporte toujours trois temps. La Peur des paysans, la volonté défensive et la
réaction punitive. Après la prise de la Bastille et les révoltes municipales
urbaines, les campagnes sont touchées par des bruits et des rumeurs: autour des
menaces que représentent les brigands, les soldats, les étrangers, les aristocrates.
Les rumeurs sont propagées par les journaux, les colporteurs, les curés, les
commissaires; puis amplifiées, à partir d’un fondement limité. Quelques dizaines
deviennent des milliers. La volonté défensive suit la rumeur. Pour se défendre, les
communautés se regroupent et s’arment: armes paysannes, certes, mais dans le
cadre d’une défense collective, au son du tocsin et sous la direction des
municipaux ou d’intermédiaires auprès des paysans (curés, voire procureurs
fiscaux). Dans le Dauphiné, 5 000 paysans incendient des châteaux et brûlent des
archives entre le 29 et le 30 juillet, malgré l’intervention de dragons et de la
milice lyonnaise. En Normandie, de 600 à 2 000 « jacques » mettent le feu aux
archives d’une dizaine de châteaux entre le 27 juillet et le 2 août (Anatoli Ado,
Paysans en révolution, Société des études robespierristes, 1996). La Peur des
seigneurs et des villes (1788, téléfilm de Maurice Failevic, illustre ce moment) se
produit quand les paysans se retournent contre leurs adversaires (les seigneurs) et
passent à la volonté punitive. Elle peut être qualifiée selon ses acteurs, ses
mobiles, ses pratiques et comportements spécifiques, ouvrant une période de trois
années de révoltes (discontinues) des campagnes. La Grande Peur est un
prolongement des doléances. Elle touche les régions où le poids de la féodalité est
le plus fort, où les conflits et les procès avec les seigneurs se sont multipliés :
Bourgogne, Franche-Comté, Dauphiné. Elle a trait en particulier aux redevances
féodales et aux biens communaux. Dans sept régions éclate la « guerre aux
châteaux ». Les communautés exigent des seigneurs les titres de propriétés, les
terriers, les preuves de ce qu’il faut payer. Depuis les années 1760, les terriers,
réactivés dans les régions de forte pression seigneuriale, étaient devenus les
symboles d’une « réaction féodale » très ciblée. On les détruit par le feu. Les
autres revendications concernent la fin des privilèges (chasse, colombiers, la
récupération des biens communaux usurpés, des arbres plantés par les paysans
pour le seigneur). Les foules rurales sont désormais connues, à l’exemple des
foules urbaines (voir Georges Rudé, La Foule dans la Révolution française,
Maspero, 1982). Il s’agit souvent de groupes et de bandes de plusieurs centaines
(quelques villages), voire de milliers de paysans (Anatoli Ado, op. cit.) : 2 000 à
s’attaquant aux châteaux ou aux abbayes.
L’arbre deviendra progressivement le
symbole du processus révolutionnaire dans sa
traduction d’arbre de la liberté. La révolution
paysanne aura précédé la Révolution
générale, au moins au niveau du symbole.
Départ des trois ordres à la séance royale
d'investiture des états généraux à Versailles,
le 5 mai 1789. Gravure de Vion. B.N.F.,
Paris.
La gravure en couleurs de Vion met en scène
le départ des trois états pour Versailles. Le
carrosse est décoré de guirlandes à la mode
pompéienne en vogue à la fin du XVIIIe
siècle. Il est précédé par la Renommée aux
deux trompettes, l'une pour la vérité, l'autre
pour le mensonge.
Trois personnages ont pris place dans le
véhicule :
– un représentant de la noblesse, épée à la
main, soutient les armes fleurdelisées de la
monarchie française dont la gloire est
signifiée par les palmes et les lauriers. À ses
côtés, un lion symbolise la force ;
– un représentant du clergé est assis face au
noble. Sa main droite bénit ou bien évoque la
puissance divine. Il est aux côtés d'un tigre ;
– un représentant du tiers état est assis à la
place du cocher. Il est accompagné d'un
mouton, animal sans défense et destiné à être
tondu.
Cette gravure allégorique marque les
différences entre les trois ordres : places
occupées, costumes, animaux symboliques.
Les représentants des deux ordres privilégiés
siègent au-dessus des symboles du pouvoir
royal (regalia) : sceptre, couronne, main de
justice. Mais leur position dominante tient à
de fragiles ressorts et un cahot pourrait à tout
moment renverser l’équipage. Le tiers état est
en situation de domestique, mais c'est lui qui
conduit le char de l'État.
La Fayette
Le parcours du marquis de La Fayette est
atypique : tout le destine au départ à faire une
carrière militaire au service du roi de France,
et donc à rester vivre à la cour auprès des
aristocrates de son rang. Mais son
tempérament passionné et son adhésion aux
idées libérales ainsi qu’à la philosophie des
Lumières le poussent à prendre le large.
L’aventure américaine lui fournit un cadre
rêvé pour déployer toutes les facettes de sa
personnalité : il se bat à la tête des insurgents
et défend les idées libérales des colons
révoltés contre la monarchie anglaise.
Revenu en France, il se fait l’avocat des
droits de l’homme et cherche à appliquer à la
monarchie française la recette américaine du
bonheur. « Héros des deux mondes », il
apporte à la vieille Europe les leçons de la
jeune Amérique.
113
6 000 dans le Maine, 4 000 dans le Mâconnais et 6 000 en Franche-Comté, même
si 200 paysans suffisent pour se porter sur le château. Le pouvoir paysan
s’affirme quand les émeutiers se réclament du Tiers, expriment la légitimité de
leur pouvoir, au nom des doléances, des élections, de la coutume et du droit
communautaire. Ils placent le mouvement dans la lutte du Tiers, par des affiches
et des proclamations : « Il est permis de brûler ». Ainsi, en deux semaines, des
milliers de châteaux, sur plus de 60 000, ont été visités, 2 000 terriers au moins
ont brûlé, autour de Bourgoin, du Perche, du Vivarais : « Je vois, tout bien
considéré, que le métier de feudiste est perdu » (Babeuf, le 16 août 1789). La «
guerre paysanne » a dévasté une partie des campagnes.
Une nuit de dupes ?
La réponse des élites possédantes et de la bourgeoisie parlementaire est double :
réforme et répression. Elle est donnée dans la nuit du 4 août, rendue célèbre par
les descriptions des députés et des journalistes. Tous insistent sur les sacrifices
successifs des nobles et des seigneurs qui renoncent à leurs privilèges et à leurs
droits (le duc d’Aiguillon après le vicomte de Noailles), suivis du clergé, qui
renoncerait aux dîmes… Les décrets des 5-11 août proclament l’abolition de la
féodalité, c’est-à-dire de toutes les servitudes personnelles, le servage, la main
morte – survivance du servage qui touche près de un million de paysans et limite
la transmission de leurs biens –, les corvées, les justices seigneuriales, les droits
de chasse et de pêche, les privilèges honorifiques, les bancs, voire le cuissage.
L’espace rural sera transformé par l’abattage des potences et des fourches
patibulaires, symboles du pouvoir séculaire des seigneurs sur leurs tenanciers.
Une révolution des mentalités et des mœurs est ainsi programmée. Une version
officieuse, très différente, est donnée par les journalistes « démocrates » (voir
Marat dans son journal L’Ami du Peuple). Il s’agirait d’une nuit préparée : les
nouvelles les plus alarmantes ont poussé les députés à réagir, à se réunir la veille,
à mettre au point un scénario. On aurait décidé d’abandonner tout ce qui peut
l’être pour sauver les biens et les personnes. Les décrets permettront de trier les
concessions et le maintien des avantages. Il faut désamorcer le mouvement.
L’effet d’annonce le permet à partir du 6 août. La bourgeoisie constituante est
choquée dans ses principes, les atteintes aux contrats et aux propriétés. Si des
bourgeois, à titre personnel, ou obligés par des liens communautaires, ont pu
s’allier avec les révoltés, la plupart des témoins ont condamné les révoltes. Les
autorités urbaines et les gardes bourgeoises ont durement réprimé les
manifestations dans le Mâconnais et le Dauphiné, marchant contre les foules et
condamnant à mort les meneurs (32 en juillet, une centaine par la suite). Le front
commun entre les paysans et la bourgeoisie est fissuré sinon rompu, au-delà des
apparences. Le mouvement paysan vise désormais des objectifs différents de
ceux de la bourgeoisie constituante. La Grande Peur révèle ainsi un pouvoir et un
mouvement paysans autonomes, centrés sur des communautés encore homogènes
dans les revendications et les adversaires communs. Tant que ces revendications
ne seront pas satisfaites, une agitation endémique va parcourir les campagnes.
L’année 1789 n’est pas seulement celle d’une révolution parlementaire, où les
élites bourgeoises du tiers état substituent un régime parlementaire « moderne » à
l’absolutisme. Elle connaît les manifestations d’une « révolution paysanne » en
partie autonome, dans les doléances, les rébellions du printemps (troubles de
subsistances et marches de la faim), la Grande Peur. Elle se termine par une
reprise des jacqueries dans les régions de fortes tensions entre seigneurs et
communautés. Un « pouvoir paysan » s’est exprimé dans les cahiers, l’abolition
de fait des privilèges et des corvées, l’action de foules armées, la plantation des «
mais » (voir focus). L’année 1790 sera l’année de la mise en place des
municipalités et des gardes villageoises, porteuses d’un projet global (l’abolition
définitive de la féodalité) qui mobilisera les campagnes jusqu’à l’été 1793.
Vigoureusement réclamé par la pression constante des clubs et des sans-culottes,
le procès de Louis XVI s’ouvre à la Convention le 11 décembre 1792. Il constitue
le premier tournant capital de l’histoire de la République, au sens où il fait
apparaître, moins de six mois après la fondation du régime, une fracture majeure
entre les deux parties les plus importantes de l’opinion républicaine. D’un côté,
les girondins qui, issus de la bourgeoisie provinciale, souhaitent la condamnation
du roi mais redoutent les conséquences d’une exécution, moins par tiédeur
républicaine que par crainte des bouleversements intérieurs et extérieurs
qu’entraînerait inévitablement à leurs yeux la mort du roi. De l’autre, les
montagnards qui, proches des sans-culottes parisiens, considèrent que seule la
La Constitution de 1791
Cette Constitution, parue tardivement
(septembre 1791), présente des avancées
démocratiques. D’abord, par le fait qu’elle
officialise la monarchie constitutionnelle,
basée sur une séparation des pouvoirs et sur
le principe de la souveraineté de la nation. Le
roi devient « roi des Français ». Par contre, le
système censitaire, préféré au suffrage
universel par une assemblée de notables, va
décevoir les sans-culottes et les tenants d’une
véritable démocratie comme Robespierre,
puisqu’il s’oppose à l’égalité proclamée par
la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789, promulguée pourtant par la
même Assemblée. Ce suffrage masculin,
censitaire et indirect n’établit pas l’égalité
politique souhaitée pourtant en 1789.
La Constitution de 1791 respecte le principe
de séparation des pouvoirs cher à
Montesquieu en confiant le pouvoir exécutif
au roi, le législatif à l’Assemblée et le
judiciaire aux tribunaux. Le projet de
«monarchie contrôlée» (Voltaire) paraît ici
réalisé. Toutefois, cette Constitution
comporte une importante limite : la
distinction qui est établie entre les citoyens
passifs et les citoyens actifs limite fortement
la souveraineté nationale. Le suffrage
censitaire ne permet en effet qu’aux citoyens
les plus fortunés de participer à la vie
politique. L’Assemblée, censée représenter
toute la nation, n’est élue que par une
minorité de bourgeois et de propriétaires
terriens.
La loi Le Chapelier (14 juin 1791)
Voulant supprimer toutes les anciennes
entraves, la bourgeoisie constituante, dont la
théorie du libéralisme économique ne
reconnaît que l’individu, décide de supprimer
les corporations de maîtres et les coalitions de
compagnons pour permettre la liberté du
travail. Les articles 1 et 2 de la loi Le
Chapelier interdisent le rétablissement des
corporations, «sous quelque prétexte ou
quelque forme que ce soit ». En aucun cas les
citoyens d’une même profession ne doivent
se rassembler, ce qui revient à interdire les
syndicats.
L’article 8 interdit « tous attroupements
composés d’artisans, ouvriers, compagnons,
journaliers, ou excités par eux contre le libre
exercice de l’industrie et du travail »,
autrement dit toute initiative de grève.
Les sans-culottes sont les agitateurs parisiens
issus du petit peuple d’artisans, de
commerçants et d’ouvriers que la
Constitution de 1791 a classés parmi les
citoyens « passifs » (faute de payer assez
d’impôt, ils n’ont pas le droit de vote). Ils
affirment leur passion pour l’égalité par leurs
vêtements, qui ont une fonction symbolique :
– Le bonnet rouge, dit bonnet phrygien, est
114
mort de Louis XVI peut véritablement fonder la République.
Le 15 janvier 1793, 692 députés sur 721 présents reconnaissent la culpabilité de
Louis XVI. Le 17 janvier, 366 députés sur 721 votent sa mort.
Les montagnards et les girondins ne se distinguent pas par leur plus ou moins
grand attachement à la République, ni par leur plus ou moins forte hostilité à la
monarchie. Mais qu’il s’agisse de Grégoire ou de Robespierre, les montagnards
se définissent d’abord par leur radicalisme, par une volonté de rupture absolue
avec l’« ancien régime », tandis que les girondins, comme Roland ou Vergniaud,
sont davantage opportunistes, sensibles au poids des circonstances.
Les « journées » parisiennes du 31 mai et du 2 juin 1793 constituent les plus
parfaites illustrations de la pression permanente que les sans-culottes parisiens
exercent sur la Convention jusqu’en 1795. Choqués par les défaites des armées
révolutionnaires, scandalisés par la multiplication des révoltes contre la
République et scandalisés par la hausse continue du prix du pain, les Parisiens
viennent en force assiéger la Convention. Des députés sortent pour adjurer les
manifestants de se disperser, mais les sans-culottes menace de faire tirer au canon
sur l’Assemblée. Les députés s'inclinent, et après avoir repris place, votent la
mise en état d'arrestation de 29 députés girondins, ainsi que l'exigent les chefs de
l'insurrection.
II. Une révolution populaire ou bourgeoise ?
Le sans-culotte
Le groupe social désigné sous le terme de sans-culottes attira l'attention des
historiens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Après les polémiques
déclenchées par la publication en 1946 du livre de D. Guérin, La Lutte des classes
sous la première république. Bourgeois et « bras nus », Albert Soboul publiait en
1958 sa thèse, Les Sans-culottes parisiens en l'An II. Mouvement populaire et
gouvernement révolutionnaire. Critiquant la thèse de D. Guérin, qui voyait dans
la sans-culotterie et dans son action révolutionnaire un embryon de « révolution
prolétarienne », A. Soboul s'intéressa au caractère spécifique du mouvement
populaire urbain de « la boutique et de l'artisanat ». Selon cet historien, la sansculotterie a fourni à la bourgeoisie révolutionnaire les forces indispensables pour
abattre l'Ancien Régime et vaincre la contre-révolution.
L'auteur de ce texte exprime l'idéal social, politique et moral des sans-culottes. Il
trace le portrait « héroïque » du militant populaire en l'opposant implicitement
trait pour trait à « l'aristocrate », au « coquin ». Le sans-culotte est un homme
simple, père de famille, travailleur manuel et ardent patriote. L’aristocrate vit
dans le luxe, l’oisiveté, la débauche et la conspiration contre-révolutionnaire…
Qui sont les sans-culottes ?
La plume de Hébert a contribué à immortaliser le type du sans-culotte. Les sansculottes sont des hommes et des femmes qui le plus souvent vivent en ville : il
s’agit par exemple du peuple parisien (les sans-culottes « des faubourgs » dans La
Carmagnole). Le ou la sans-culotte travaille avec ses mains : « il sait labourer un
champ, forger, scier, limer, couvrir un toit, faire des souliers ». Il ne s’agit
cependant pas des Parisiens les plus pauvres, car beaucoup sont commerçants ou
artisans établis à leur propre compte (ce qu’a montré Albert Soboul en 1958 dans
Les sans-culottes parisiens en l’an II). Les sans-culottes sont des acteurs majeurs
de la Révolution, ils sont armés et prêts à en découdre : « verser jusqu’à la
dernière goutte de son sang pour le salut de la République ». Ils soutiennent les
Jacobins et ceux qui, à partir de 1793, mettent la Terreur à l’ordre du jour : « La
guillotine n’allait pas assez vite ». Le lieu où s’élaborent le programme et la ligne
de conduite des sans-culottes est la section, une assemblée qui couvre un
territoire strictement défi ni : « Le soir, il se présente à sa section (…) pour
appuyer de toute sa force les bonnes motions, etc. ». En son sein, la pratique de la
démocratie directe triomphe : débats publics, participation de ceux qui le
souhaitent, votes à main levée.
Comme l’indique le syntagme, les « sans-culottes » ne portent pas la culotte,
c’est-à-dire le pantalon long qui reste l’apanage des aristocrates. Ils sont à
l’occasion déguenillés et désargentés, mais ce n’est pas le cas de ceux qui sont
représentés sur cette gravure. Ces deux sans-culottes sont armés de sabres et d’un
fusil, l’homme est coiffé du bonnet phrygien (sur lequel il a accroché une
cocarde) et ne porte que les couleurs bleu, blanc et rouge. Il porte un pantalon
inspiré de celui des esclaves affranchis de
Phrygie (Asie Mineure), et veut sou ligner
leur parenté avec les démocrates de
l’Antiquité grecque ;
– La cocarde tricolore (le blanc, symbole de
la monarchie, encadré par le bleu et le rouge,
couleurs de la capitale) est devenue un
emblème national depuis le décret du 4 juillet
1792 ;
– La carmagnole, veste courte à gros boutons
(c’est aussi une chanson révolutionnaire très
populaire créée en 1792 lors de l’arrestation
du roi) ;
– Le pantalon de toile ou de bure, souvent
rayé, les distingue des aristocrates qui portent
des culottes de soie ;
– La pique rappelle qu’ils sont des citoyens
en armes.
Élue en septembre 1792, la Convention est
d’abord et avant tout une Assemblée
constituante, élue pour doter la France
d’institutions conformes au cours ouvert par
la révolution du 10 août. Reprenant une large
partie des idées montagnardes, cette
Constitution est précédée d’une Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 35
articles dont le contenu diffère nettement de
celui de la déclaration de 1789. Elle fut
approuvée lors du premier referendum de
l’histoire de France, mais son application fut
reportée à l’établissement de la paix. La chute
de Robespierre entraînera la rédaction d’une
autre Constitution, celle de 1795.
La déclaration de 1793 diffère sur de
nombreux points de celle de 1789. Les plus
significatifs sont la liste des droits de
l’homme (à laquelle l’égalité est désormais
ajoutée), la mention de nombreux droits
économiques et sociaux (là où la déclaration
de 1789 se bornait à l’énumération des droits
politiques) et la légitimation de l’intervention
populaire dans la conduite de l’État (aussi
bien par le droit de pétition que par le devoir
d’insurrection).
Composition de la Convention en septembre
1792
«Qui voyait l’Assemblée ne songeait plus à la
salle. Qui voyait le drame ne pensait plus au
théâtre. Rien de plus difforme et de plus
sublime. Un tas de héros, un troupeau de
lâches. Des fauves sur une montagne, des
reptiles dans le marais. À droite, la Gironde,
légion de penseurs; à gauche, la Montagne,
un groupe d’athlètes ». Victor Hugo, Quatrevingt-treize.
Les mesures prises pour faire face aux
menaces extérieures sont tout entières
définies par la Terreur mise à l’ordre du jour
le 5 septembre 1793 : le fonctionnement
normal des institutions est suspendu jusqu’à
la paix, tandis que des mesures d’exception
permettent de combattre l’ensemble des
115
court, des souliers, une chemise et un gilet. La femme, en sabots, porte une robe
simple et un tablier, elle arbore également sur sa coiffe la cocarde
révolutionnaire.
Que rejettent-ils ?
Le mouvement sans-culotte se construit en opposition à « l’aristocratie » et aux «
royalistes » (ce que dit La Carmagnole). L’identité sociale du groupe est très
importante : le sans-culotte « n’a point de millions », il abjure « le mot
“monsieur” ». Le mouvement se construit aussi en opposition aux ennemis du
dehors susceptibles de menacer la Révolution – les « Prussiens » et les «
Autrichiens » – ; en opposition également aux ennemis du dedans, en premier lieu
les Vendéens : « on le voit partir pour la Vendée ».
Quelles sont les grandes lignes de leur programme économique et politique ?
L’égalité des fortunes et des richesses est une revendication majeure du
mouvement sans-culotte : « Tout homme qui a au-delà de ses besoins, ne peut pas
user, il ne peut qu’abuser : ainsi, en lui laissant ce qui lui est strictement
nécessaire, tout le reste appartient à la République et à ses membres infortunés. »
Il s’agit donc d’aller au-delà de l’égalité des droits proclamée par la DDHC du 26
août 1789. Cela implique notamment de fixer un « maximum » des richesses et
d’encourager l’accès à la propriété : « croître le nombre des propriétaires », en
limitant les excès : « Que le même citoyen ne puisse avoir qu’un atelier, qu’une
boutique ». Afin d’améliorer le sort des plus démunis, il convient par ailleurs de
lutter contre les spéculateurs en fixant un prix pour « les denrées de première
nécessité ». De telles revendications sont défendues par les Jacobins, Marat
en tête. Ce dernier, par le biais de L’Ami du Peuple, peut passer pour un porteparole des sans-culottes. Les sans-culottes et Marat sont prêts à user de la force
pour imposer leurs idées.
De quels moyens d’action les sans-culottes disposent-ils ?
Les sans-culottes sont armés, et prompts à user d’une violence jugée légitime
pour faire aboutir leurs revendications (ce qu’ils font par exemple à l’occasion de
la prise des Tuileries le 10 août 1792, où lorsqu’ils font pression pour que les
Girondins jugés trop timorés soient arrêtés en juin 1793). Les sans-culottes
soutiennent la politique de la Terreur et assistent nombreux aux exécutions
des prétendus « traîtres ». Souvent membres de clubs et de sociétés populaires, ils
peuvent aussi faire pression sur l’Assemblée nationale. Rappelons ici que les
séances étaient publiques, qu’une foule nombreuse y assistait et manifestait son
point de vue par des applaudissements ou des cris.
Le tribunal révolutionnaire
La définition des « ennemis du peuple » est large : « ceux qui auront provoqué le
rétablissement de la royauté, ou cherché à dissoudre la Convention nationale et le
gouvernement révolutionnaire (…), ceux qui auront trahi la République dans le
commandement des places et des armées, entretenu des intelligences avec les
ennemis de la République ». Le tribunal révolutionnaire ne respecte pas les droits
des accusés : l’interrogatoire est public (« la formalité de l’interrogatoire secret
qui précède est supprimée comme superflue »), les témoignages ne sont pas
nécessaires (« s’il existe des preuves, soit matérielles, soit morales, il ne sera
point entendu de témoins »), l’accusé n’a pas d’avocat (« la loi donne pour
défenseurs aux patriotes calomniés des jurés patriotes : elle n’en accorde point
aux conspirateurs »). La seule peine envisagée est « la mort ».
ennemis de la République. Ces mesures sont
contraires aux principes républicains, dans la
mesure où elles bafouent l’ensemble des
droits de l’homme : la Terreur supprime
l’égalité entre les citoyens, elle prive de
liberté les ennemis, réels ou supposés, de la
République, elle place – arbitrairement – un
grand nombre de citoyens hors du corps
social et elle les prive de la protection de la
loi. Les excès du gouvernement
révolutionnaire sont d’abord justifiés par la
nécessité de sauver la patrie en danger :
seules des mesures d’exception peuvent sortir
la France du péril exceptionnellement grave
qui la menace au printemps et à l’été 1793.
Mais Robespierre et les montagnards veulent
aussi utiliser la Terreur pour transformer
radicalement la société française et, ainsi,
fonder la République sur des bases réellement
solides. Or, dès le printemps 1794, les
invasions extérieures sont partout repoussées
tandis que les insurrections intérieures sont
partout écrasées. La question de la légitimité
de la poursuite de la Terreur se pose donc
aussi bien dans les rangs montagnards
(Danton qui tente de l’arrêter est ainsi
exécuté sur ordre de Robespierre en avril
1794) que dans le reste de l’opinion
française, souvent déroutée par les
innovations qui sont alors imposées.
L’organigramme du gouvernement de la
Terreur est d’une grande simplicité.
L’ensemble des pouvoirs est entre les mains
de la Convention qui, par l’intermédiaire du
Comité de Salut Public, du Comité de Sûreté
générale et de leurs représentants, contrôle
toutes les autorités exerçant un pouvoir sur le
territoire français. Mais cette assemblée
toute-puissante subit elle-même la dictature
permanente et exigeante des républicains les
plus exaltés, enrôlés dans les sections de
sans-culottes ou membres du Club des
jacobins et de ses filiales.
La Constitution de 1795 préparée par la Convention thermidorienne prévoit que
dans les deux Assemblées du futur régime du Directoire, les Cinq Cents et les
Anciens, siègeront au minimum deux tiers d'anciens députés de la Convention.
Adoptée par referendum en septembre 1795, cette disposition arbitraire
permettant de garantir une majorité républicaine dans les deux Assemblées est
violemment contestée par les royalistes, dont les idées progressent alors
rapidement dans l'opinion. Le 4 octobre 1795, une insurrection est organisée
contre le palais des Tuileries où siègent la Convention et le Comité de salut
public. Barras, qui est l’ « homme fort » de la période thermidorienne charge le
jeune général Bonaparte (26 ans) de rétablir l'ordre. Connu et inquiété quelques
mois plus tôt pour ses idées jacobines, Bonaparte, qui s’est illustré en 1793 au
116
siège de Toulon, devient le sauveur de la République.
La République thermidorienne doit faire face à une double opposition : celle des
royalistes, d’abord, dont l’audience dans l’opinion croît au même rythme que le
discrédit dont souffre la République assimilée à la Terreur selon les uns et aux
privations selon les autres ; celles des « néojacobins » ensuite, dont les rangs sont
surtout composés d’anciens sans-culottes et de nostalgiques des mesures sociales
de l’an II. Ces deux oppositions sont d’autant plus dangereuses qu’elles ne se
contentent pas de contester la politique suivie par le régime : la République vit en
permanence sous la menace d’un coup d’État.
La conjuration des Égaux, qui regroupe un grand nombre d’anciens jacobins
hostiles au Directoire, est associée au nom de François Babeuf (1760-1796),
surnommé Gracchus en souvenir des deux chefs de la plèbe romaine qui, au IIe
siècle avant J.-C., tentèrent de soulever le peuple de Rome contre le pouvoir des
patriciens. Les idées de Babeuf ont été rassemblées dans le Manifeste des Égaux
rédigé par Sylvain Maréchal : une conquête du pouvoir par la force doit permettre
d’établir l'égalité réelle, c’est-à-dire le partage des propriétés, et d’appliquer enfin
la Constitution de 1793. Le coup d’État projeté par les babouvistes n’aura en fait
jamais lieu : les principaux chefs du mouvement sont arrêtés le 10 mai 1796.
Babeuf est, quant à lui, fusillé en septembre 1796. Ses idées prendront en
revanche une grande importance au XIXe siècle avec le développement du
mouvement ouvrier.
Pour se défendre, la République ne peut s’appuyer ni sur un crédit suffisant dans
l’opinion ni sur un enracinement profond dans le pays. Elle doit donc s’en
remettre à l’armée qui, entre 1795 et 1799, met fin à plusieurs tentatives de coup
d’État. Ce qui sauve le régime le met aussi de plus en plus à la merci d’un général
ambitieux.
Pour sauver le gouvernement du Directoire
désemparé par les difficultés économiques et militaires, et menacé par un coup
d’État royaliste, Sieyès convainc Napoléon Bonaparte de devenir le dictateur de
salut public dont la République française a besoin. Le 18 Brumaire de l’an VIII (9
novembre 1799), les deux Assemblées des Cinq-Cents et des Anciens,
transportées au château de Saint-Cloud, sont contraintes d’accepter une révision
de la Constitution et de nommer un gouvernement provisoire trois Consuls,
Bonaparte, Sieyès et Roger Ducos.
La Constitution de l’an VIII
Les institutions du Consulat sont organisées de manière à donner les plus grands
pouvoirs à Napoléon Bonaparte. Le pouvoir exécutif, en principe exercé par trois
consuls et des ministres, n’est détenu que par le Premier Consul. Le pouvoir
législatif est partagé entre quatre assemblées qui n’effectue chacune qu’une partie
de la fabrication de la loi et qui, toutes, sont nommées, directement ou
indirectement, par Bonaparte. Le suffrage universel, rétabli à partir de 1799 et
strictement encadré par le système des notabilités, permet au Premier Consul de
recevoir par plébiscite l’assentiment des Français.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
117
HM – Serment du Jeu de Paume, prise de la Bastille, Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, proclamation de la
République
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Accompagnement 4e : « L’étude des grandes phases de la Révolution française,
en sept à huit heures, doit donner une vision de l’ensemble de la période. Il
importe avant tout que les élèves soient capables d’identifier et de caractériser
trois moments essentiels : 1789, 1793 et la dictature impériale. Plusieurs solutions
sont possibles, étant entendu que le «récit synthétique» ne peut se réduire, ni à
une chronique linéaire, ni à une épure théorique de la Révolution.
La première solution propose une approche chronologique. On peut distinguer un
premier temps (1789), celui de la révolution politique et juridique.
La deuxième solution est plus ambitieuse. Le professeur peut d’abord proposer
(en deux heures) un panorama de la période en dégageant les principales phases,
quelques événements porteurs de sens. Puis, quelques aspects importants sont
approfondis avec le recours possible à des documents locaux : les premiers acquis
(nuit du quatre août, Déclaration des droits de l’homme, les départements, le
système métrique)… Quelle que soit la solution retenue, il est indispensable de
proposer les portraits de quelques-uns des principaux acteurs de la Révolution qui
caractérisent ou symbolisent un des moments de la période étudiée (Lafayette,
Danton, Robespierre, Bonaparte). Quelques articles de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen, de portée universelle, méritent d’être mémorisés par
les élèves. »
BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851
– Ruptures avec l'Ancien Régime
– Mise en oeuvre des principes révolutionnaires
Le programme invite à organiser cette étude autour de quelques axes privilégiés :
. Il faut mettre en valeur les principes qui fondent la Révolution française (droits
de l'homme, égalité civile, liberté, nation, etc.) en s'appuyant sur les textes
fondamentaux de la période (Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen,
Constitutions, Code civil) et sur une chronologie montrant comment et par
quelles forces sociales ces principes sont mis en oeuvre. Au travers des
interrogations sur qui vote, légifère et gouverne, les mots clefs du vocabulaire
politique sont contextualisés (suffrage censitaire et universel, souveraineté
nationale, séparation des pouvoirs, assemblée, etc.).
Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la
vie politique et à la difficile abolition de l'esclavage. »
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4e actuel : « Les grandes phases de la
période révolutionnaire en France, de 1789 à
1815 (7 à 8 heures)
Un récit synthétique permet de présenter les
épisodes majeurs et les principaux acteurs de
la période révolutionnaire et impériale en
insistant sur la signification politique et
sociale de chacune des phases retenues. Les
événements extérieurs ne font pas l’objet
d’une étude exhaustive, mais sont évoqués à
l’aide de cartes.
• Repères chronologiques : prise de la
Bastille (14 juillet 1789) ; Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen (26 août
1789) ; chute de la monarchie (10 août 1792)
• Documents : Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen »
Socle : Nouveau commentaire
« Les grandes phases de la Révolution et de
l’Empire sont présentées à partir des
événements fondateurs, des principaux
acteurs et des grandes figures. On insiste sur
des points clés de la période : la chute de
l’Ancien Régime politique et social en 1789,
l’accélération des événements et des
expériences politiques entre 1792 et 1794, les
réformes de Napoléon Bonaparte. »
BO 4e futur : LES TEMPS FORTS DE LA
RÉVOLUTION
« L’accent est mis sur trois moments :
- 1789-1791 : l’affirmation de la souveraineté
populaire, de l’égalité juridique et des libertés
individuelles…
- 1792-1794 : la République, la guerre et la
Terreur ...
On renonce à un récit continu des événements
de la Révolution et de l’Empire ; l’étude se
concentre sur un petit nombre d’événements
et de grandes figures à l’aide d’images au
118
choix pour mettre en mettre en évidence les
ruptures avec l’ordre ancien.
Connaître et utiliser les repères suivants
− La Révolution française : 1789 – 1799.
Prise de la Bastille : 14 juillet 1789 ;
Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen : août 1789 ; proclamation de la
République : septembre 1792
Raconter quelques uns des événements
retenus et expliquer leur importance
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
I. Le serment du Jeu de paume, Dessin de J.-L. David en 1791. Musée national du
château de Versailles.
Ce dessin réalisé à la plume et au lavis de bistre par Jacques-Louis David (17481826) en 1791 est conservé au musée du château de Versailles. Le 28 octobre
1790, les jacobins demandent à l'artiste de peindre une toile de grande taille
illustrant le serment prêté par les députés le 20 juin 1789. Le peintre n'a pas été
directement témoin de la scène, mais il se rend sur place et se renseigne sur le
comportement des acteurs. Il remplit plusieurs carnets de projets avant d'exposer
au Salon de septembre 1791 ce dessin. Il obtient la disposition d'une église
désaffectée pour y peindre une toile de grand format. Il fait poser l'abbé Grégoire,
prieur de la Marne et le père Gérard, mais, pour des raisons politiques liées à
l'évolution de certains acteurs de premier plan de la journée du 20 juin (Mirabeau,
Barnave, Bailly), le tableau n’est jamais achevé. L'auteur du Serment des Horaces
ne met plus au centre de la composition un faisceau d'armes mais la proclamation
lue par Bailly. L'axe de composition est souligné par la main levée du président
de séance vers laquelle converge le mouvement des bras tendus. Au premier plan,
une cinquantaine de députés sont identifiables. La disposition des figures évoque
une frise de bas-relief antique. Au centre, trois personnages se donnent l'accolade
: deux clercs (en noir, l'abbé Grégoire, en blanc, Dom Gerle) et le pasteur Rabaud
Saint-Étienne. Parmi les députés identifiables figurent notamment Sieyès,
Mirabeau, Robespierre, Barère… En haut, malgré un violent orage qui agite les
tentures, le peuple présent en spectateur exprime son soutien aux députés,
brandissant chapeaux et épées. Visible à l'arrière-plan à gauche, la chapelle du
château est zébrée par un éclair. David a composé son tableau pour « faire de
cette masse humaine non un portrait collectif, mais un ensemble de portraits
particuliers […] Le grand élan collectif est d'abord la décision de chaque volonté
particulière » (J. Starobinski, 1789. Les Emblèmes de la raison, Flammarion,
Paris, 1979). Il met en scène « une communion instauratrice […]. Or il faut qu'un
acte significatif marque la rencontre de ces foules d'un jour et des principes
éternels, qu'il marque le lien indissoluble que les hommes contractent entre eux et
dont ils feront le point de départ d'une nouvelle alliance. Cet acte, c'est celui du
serment. Acte ponctuel, événement bref, inscrit dans une minute passagère : il
engage un avenir et lie des énergies qui, sans lui, se disperseraient […] Il faut
opposer le serment à la cérémonie traditionnelle du sacre des rois de France. Le
sacre, cérémonie d'instauration, conférait au monarque, par une intervention d'en
haut, au nom d'un Dieu transcendant, les insignes surnaturels de son pouvoir. Le
serment révolutionnaire crée la souveraineté, alors que le monarque la recevait du
Ciel » (J. Starobinski). Avec un souci d'effet scénique et de pédagogie
révolutionnaire, le peintre a pris des libertés avec la réalité historique. Ainsi, c’est
Mounier et non Bailly qui lut la déclaration et il semble peu vraisemblable de
représenter l'orateur tournant le dos à la masse de son public. Mais David signifie
que le texte du serment s'adresse aussi au spectateur. Ce moment exprime l'unité
de la nation. L'unanimité du serment est renforcée par les scènes de fraternisation,
notamment celle des deux hommes de l'Église catholique et d'un pasteur
protestant. Le message renforcé par le jeu des lumières et la construction
géométrique de la toile est clair : la Révolution unifie la nation représentée par
ses députés avec le soutien du peuple dans toutes ses composantes (civils /
militaires, hommes / femmes, jeunes / vieux). « L'ensemble du tableau est
construit autour de la tension entre l'unité politique et morale qui fait de ces
centaines de députés une volonté unique et les particularités individuelles de
chacun d'entre eux, si précisément dessinées. Ce que David veut montrer, c'est
La fête de la Fédération (14 juillet 1790)
Gravure de David, 1790.
Le 14 juillet 1790, à Paris, les Français
commémorent en grande pompe le premier
anniversaire de la prise de la Bastille. Des
fêtes civiques spontanées organisées çà et là
dans les départements ont inspiré l’idée de
cette grande fête d’union nationale aux
députés de l’Assemblée constituante et au
marquis de La Fayette, homme de confiance
du roi. La fête de la Fédération se veut une
cérémonie de réconciliation entre le roi et les
membres de l’Assemblée nationale,
autrement dit les différents acteurs politiques
qui s’opposent depuis plus d’un an. Cette fête
est dite de la Fédération des Français car elle
réunit les représentants des 83 départements
créés par l’Assemblée nationale constituante,
les « Fédérés », rangés sous leurs bannières.
C’est donc un moment fort d’union nationale.
Après La Fayette et le président de
l’Assemblée, le roi prête à son tour serment
de fidélité aux lois nouvelles : « Moi, roi des
Français, je jure d’employer le pouvoir qui
m’est délégué par la loi constitutionnelle de
l’État, à maintenir la Constitution décrétée
par l’Assemblée nationale et acceptée par
moi et à faire exécuter les lois ». La reine, se
levant et montrant le dauphin: «Voilà mon
fils, il s’unit, ainsi que moi, aux mêmes
sentiments ».
Allégorie de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen. Gravure de Niquet
le Jeune, 1797. B.N.F., Paris.
Niquet le Jeune place le texte de la
Déclaration de 1789 au centre de sa gravure
dans un cadre agreste de fantaisie jouant du
contraste de l'ombre et de la lumière, du
passé et du présent. À gauche de la stèle sur
laquelle est gravée la Déclaration, l'homme
est seul, écrasé dans un environnement
hostile, obscur et violent. C'est le temps passé
des « droits féodaux et des privilèges
». La Révolution figurée par la Déclaration
ouvre une nouvelle ère représentée sur la
partie droite de la gravure. Les lumières ont
chassé l'obscurité et l'orage. Une femme tient
par la main un enfant, symbole de
l'avenir de l'humanité régénérée. Elle l'invite
119
l'unité d'un jour providentiel entre des individus désormais indépendants, libres
d'eux-mêmes […]. Une communauté d'individus fraternels communie dans un
acte identique par où elle fonde la volonté du peuple. Nulle représentation du roi,
nulle image du passé, nulle richesse ornementale. Tout juste une diversité
d'hommes transformée en unité de volonté. » (F. Furet)
Le Serment du Jeu de paume, le 20 juin 1789
Il s’agit de l’esquisse d’un tableau qui a été commandé à David par le club des
Jacobins en 1790. Faute d’argent, le tableau ne fut pas achevé par David mais par
d’autres peintres, ultérieurement.
Ce document est ce qu’il est convenu d’appeler un document patrimonial, pour
deux raisons :
– d’une part, il illustre un moment fort de la Révolution, celui qui marque sa
naissance en quelque sorte : le serment du Jeu de paume. À Versailles, le roi
ayant fait fermer leur salle de réunion, les députés du tiers état se retrouvent dans
la salle du Jeu de paume et prêtent, le 20 juin, serment de ne pas se « séparer
avant qu’une constitution du royaume soit établie ». La révolution politique est en
marche ; il s’agit d’un véritable coup de force contre le roi. L’idée de prononcer
le serment est défendue par l’abbé Sieyès, également par Mounié et Barnave,
députés du tiers état. Toutefois, c’est au président des députés du tiers, Bailly, que
revient l’honneur de prononcer le premier serment : il est représenté debout sur la
table au centre de l’esquisse. Au premier plan au centre, trois ecclésiastiques
(Dom Gerle, Rabaut de Saint-Étienne, l’abbé Grégoire) symbolisent la
réconciliation du clergé et l’onction divine donnée à l’événement. Les députés,
d’un commun élan, tendent les bras vers Bailly, à l’exception de Martin Dauch,
qui fut le seul à refuser de prêter serment (il est représenté à droite au premier
plan). En haut, une foule est venue nombreuse assister à la scène, l’idée d’une
concorde entre le peuple français et ses élus est mise en avant. Un vent de liberté
passe sur cette scène (voyez le rideau à la fenêtre) qui, de manière symbolique,
est ouverte sur le monde.
– D’autre part, cette oeuvre dont nous avons ici l’esquisse (réalisée au crayon et à
la plume) illustre le mariage de l’art et de la politique. Jacques-Louis David
(1748-1825), parisien d’origine bourgeoise, fait son apprentissage de peintre en
Italie. Dès 1789, il se passionne pour la Révolution. Élu député de Paris à la
Convention, il vote la mort du Roi. Proche de Robespierre qu’il admire, il devient
ensuite « ordonnateur et décorateur » des grandes fêtes de la République,
notamment celles de l’Être suprême. Peintre officiel de la Révolution, il
deviendra également peintre officiel de Napoléon. David n’a pas été témoin de la
scène qu’il représente ici ; sa représentation semble néanmoins fidèle car il a pris
le soin de rencontrer des témoins et des acteurs de l’événement. Réalisée en 1791,
cette esquisse a pour principal objectif de sacraliser l’événement, d’insister sur
l’élan commun et l’unité qui réunirent les députés en 1789 à une période, 1791,
où l’agitation gagne la rue et les clubs et où les divisions sont nombreuses dans la
classe politique.
à lire le texte qui met fin à l'Ancien Régime
et inaugure le nouvel ordre social. Au
deuxième plan, des hommes et des femmes
dansent autour d'un mât de la liberté
surmonté d'un bonnet phrygien.
Cette gravure exprime une vision optimiste,
sinon naïve, de l'histoire avec une mise en
scène unanimiste : la Révolution des droits
naturels ouvre une ère de paix et de bonheur
pour une humanité réconciliée. La stèle sur
laquelle figure la Déclaration marque la
rupture entre les temps anciens (à gauche)
pendant lesquels l'homme était écrasé par un
environnement hostile et les temps nouveaux
(à droite) durant lesquels triomphent les
lumières, la paix et la liberté.
La Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen du 26 août 1789 est l’un des textes
fondateurs de la démocratie. En présentant
d’une manière systématique les grands
principes du droit naturel issus de la
philosophie des Lumières, elle définit une
démocratie libérale, fondée sur les libertés
individuelles (dont la propriété) et l’État de
droit. Elle est complétée, dans le sens d’une
démocratie plus sociale, par la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen du 26
juin 1793. Ces textes ont inspiré le préambule
des constitutions françaises de 1946 (IVe
République) et de 1958 (Ve République) et la
Déclaration universelle des droits de
l’homme adoptée par l’ONU en 1948.
II.
La Prise de la Bastille, Jean Pierre Houel (1735-1813), aquarelle, 1789,
Bibliothèque nationale, Paris
Cette prise de la Bastille est le premier fait sanglant de la Révolution. La Bastille,
prison royale où l’on enferme sur lettre de cachet, apparaît comme le symbole de
l’arbitraire royal. Les faits sont bien connus : dans des conditions difficiles de
disette, le peuple parisien apprend le renvoi du ministre Necker, très populaire, et
constate l’arrivée de troupes qui entourent Paris. Dès le 13 juillet, Camille
Desmoulins encourage la foule à piller les boutiques d’armuriers et à passer à
l’action. Après les Invalides, où ils récupèrent un important stock d’armes, les
Parisiens se dirigent vers la Bastille où sont retenus sept prisonniers. Après un
essai de négociations avec le gouverneur de Launay, une fusillade atteint les
assaillants qui finissent par remporter l’assaut et massacrer la garnison. La
Bastille est aussitôt démantelée. Ce fait, immédiatement suivi d’un énorme
retentissement en France, permet aux députés, en révolte contre le roi à
Versailles, de pouvoir tenir bon, puisque Louis XVI retire ses troupes. Cette date
du 14 juillet sera choisie comme fête nationale en 1879 sous la IIIe République.
La prise de la Bastille (14 juillet 1789), Huile sur toile, 58 x 73 cm. Musée du
120
château de Versailles.
La Bastille est une forteresse construite sous Charles V de 1367 à 1380 pour
protéger la capitale. Richelieu l’a transformée au début du XVIIe siècle en prison
royale. La foule des assaillants est composée principalement d’artisans et de
boutiquiers du quartier du faubourg Saint-Antoine, rejoints par des bourgeois, des
soldats, ainsi que des femmes et des enfants. Le premier objectif des Parisiens est
de prendre possession des munitions stockées dans la prison (la veille déjà, ils se
sont emparés des armes entreposées aux Invalides), mais la dimension
symbolique est également présente (s’attaquer au despotisme). La journée du 14
juillet 1789 marque l’irruption du peuple dans le processus révolutionnaire. Si le
20 juin s’est déroulé dans le calme à Versailles, le 14 juillet est la première
journée parisienne au cours de laquelle la Révolution fait couler le sang.
Selon le texte, les assaillants de la Bastille sont des « bourgeois » et des soldats,
auxquels se mêlent des femmes et des enfants. Les travaux des historiens ont
démenti le mythe contre-révolutionnaire d'une foule de vauriens et de repris de
justice. Il y avait parmi les « vainqueurs de la Bastille » peu de bourgeois aisés et
une majorité d'artisans et de boutiquiers, dont bon nombre habitaient le faubourg
Saint-Antoine. La journée du 10 juin 1789, qui a comme acteurs les députés de
l'Assemblée, se déroule à Versailles sans violence physique. La journée du 14
juillet 1789, qui sauve la fragile révolution des députés, mobilise des foules
populaires et fait couler le sang : une centaine de patriotes tués et, dans le camp
adverse, le gouverneur de Launay, quelques hommes et le prévôt des marchands,
Flesselles, mis à mort par la foule. L'auteur de cet article est du côté des «
patriotes », comme l’indique le « on » et le vocabulaire employé (« l'affreux
despotisme », « le traître gouverneur », « le drapeau sacré de la patrie »). Son
récit est le témoignage engagé d'un acteur de la journée révolutionnaire.
III.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
C’est le premier texte du genre adopté en France. Ce n’est pas une loi, car elle ne
fixe pas de règles dans un domaine particulier, mais une déclaration de principes,
qui a une valeur universelle. Elle doit servir de préambule à la future Constitution
de 1791. Votée le 26 août 1789, elle est le fruit d’une réflexion qui a commencé
dès la convocation des États généraux, en décembre 1788, et qui s’est précisée au
cours de l’été 1789. C’est un texte collégial, auquel de nombreux auteurs ont
apporté leur contribution. La Fayette fut le premier à présenter un projet de
Déclaration (sur le modèle américain), Sieyès en fit autant, et de nombreux
députés dont Mirabeau, Mounier, Barnave, l’abbé Grégoire, etc., participèrent
aux discussions. L’absence de toute référence spatio-temporelle renforce la portée
universelle de ce texte, qui s’adresse certes au peuple français, mais plus
largement à toute l’humanité.
Depuis le 20 juin 1789, les députés se sont engagés par le serment du Jeu de
paume à donner à la France une nouvelle Constitution. Leur projet s’est précisé
au cours de la nuit du 4 août, car en abolissant les privilèges, ils ont établi de fait
l’égalité entre les citoyens. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
est nourrie d’une double inspiration :
– La forme s’inspire très directement des textes anglo-saxons (Habeas corpus de
1679, Bill of Rights de 1689, Déclaration d’indépendance des États-Unis
d’Amérique du 4 juillet 1776) ;
– Le contenu est très influencé par les idées des philosophes des Lumières
(Diderot, Rousseau, Montesquieu).
Dès les premières lignes, le préambule explique que la Déclaration veut combler
un vide juridique : « considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits
de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des
gouvernements», les députés entendent rappeler aux hommes « sans cesse leurs
droits et leurs devoirs ». Le texte doit servir de base à la future Constitution, en
énonçant « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme » qui devront à
l’avenir être garantis. Ces cadres serviront au futur gouvernement, «afin que les
actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque
instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés
». Pour ce faire, la Déclaration s’engage à établir « des principes simples et
incontestables », afin de garantir le « bonheur de tous ».
Le 26 août 1789, les députés des états généraux, réunis en Assemblée nationale
121
constituante, votent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il s’agit
donc de l’un des premiers textes issus de la Révolution, parfois qualifié d’« acte
de décès de l’Ancien Régime ». Pour les députés, il faut établir une déclaration de
« principes simples et incontestables » pour pouvoir servir de fondement à la
réorganisation du pays.
Il s’agit là d’un texte de référence, repris en partie dans la Déclaration universelle
des droits de l’homme de 1948, et dont le respect est réaffirmé dans les
Constitutions françaises de 1946 et de 1958. Pour les députés, il faut à la fois
prendre en compte les désirs exprimés par les Français dans les cahiers de
doléances, mais aussi mettre par écrit les grands principes sur lesquels ils
s’appuient pour mener la Révolution et réorganiser la France. Un nouvel ordre
politique est envisagé : la nation est souveraine, le pouvoir doit être exercé par
ses représentants. La Constitution garantit la séparation des pouvoirs. De
nombreux articles précisent les conditions d’exercice de la loi, pour effacer toute
justice arbitraire. Enfin, l’égalité entre les hommes, ainsi que les libertés
fondamentales, posent les bases d’un nouvel ordre social. On peut donc, à juste
titre, parler d’un « acte de décès de l’Ancien Régime ». Cette déclaration apparaît
comme le fondement de la démocratie moderne, puisqu’elle rappelle les droits
mais aussi les devoirs du citoyen.
La planche reproduite ici, sur le modèle des tables de la Loi, est une
représentation fréquente de cette Déclaration au 18e siècle. La Justice et la
Liberté qui brise ses chaînes encadrent cette déclaration, surmontée de symboles
d’origine maçonnique. L’oeil représente la vigilance ; inscrit dans le triangle qui
symbolise l’égalité,il symbolise la raison ;il irradie la lumière et s’associe à la loi.
Au centre, à la pointe de la lance, le bonnet phrygien, porté par les esclaves
affranchis sous l’Empire romain. Il surmonte un faisceau de verges, symbole de
l’autorité depuis la Rome antique.
Ce tableau peint sur bois est dédié « aux représentants du peuple français ». Le
préambule et les dix-sept articles sont gravés et dorés sur un monument dont la
forme évoque la représentation traditionnelle des Tables de la Loi. L'ensemble est
décoré de guirlandes et accompagné de divers symboles et allégories. Deux
personnages féminins dominent le texte. À gauche, une femme figure la France.
Elle est couronnée, vêtue d'habits tricolores et d'un manteau fleurdelisé. À droite,
une femme ailée figure la loi. Avec sa main droite, elle tient un sceptre qui
montre un oeil ouvert sur fond de soleil rayonnant : la Raison vigilante perce de
ses lumières les nuages de l'erreur. Avec sa main gauche, elle nous invite à lire la
Déclaration. Sous le rappel des dates des séances pendant lesquelles les droits de
l'homme et du citoyen ont été « décrétés » par l'Assemblée nationale, un serpent
qui se mord la queue signifie l'éternité des droits que rappelle le préambule. Entre
les Tables, un faisceau de verges liées symbolise l'union du peuple dans la nation,
la pique symbolise la force de la loi. L'ensemble est surmonté du bonnet phrygien
rouge, symbole de la liberté retrouvée. Le texte de la Déclaration est présenté
sous forme des nouvelles Tables de la Loi : la philosophie du droit naturel ouvre
une nouvelle ère et remplace les Dix Commandements transmis par Moïse.
La révolution du 10 août 1792 fonde la première république de l’histoire de
France, mais ébranle aussi l’ensemble de l’édifice politique et social établi en
1789. L’étude de la période ouverte par cet épisode majeur et close par
l’établissement du Ier Empire se fonde évidemment sur la succession des
gouvernements républicains – la Convention, le Directoire, le Consulat – mais
insiste surtout sur la très difficile mise en oeuvre des principes révolutionnaires
de la liberté, de l’égalité ou de la souveraineté nationale.
Pour quelles raisons l’histoire de la République est-elle celle d’un régime
constamment menacé ?
Le sujet impose de repartir du début de l’histoire de la République pour expliquer
ses premières faiblesses :
– c’est une révolution essentiellement parisienne qui provoque la chute de la
monarchie parlementaire en place depuis 1789 ;
– la République est certes proclamée le 21 septembre 1792 par une assemblée de
représentants de la France entière, mais celle-ci n’est élue que par 10% des
électeurs ;
– la République est, dès ses premières semaines, la visée des pressions des sansculottes.
Il faut ensuite mesurer l’importance du premier événement capital de l’histoire de
la République, l’exécution de Louis XVI :
122
– le procès et la mort du roi poussent toutes les monarchies européennes à entrer
en guerre contre la France ;
– pour repousser ces attaques, la Convention décide une levée en masse dans
toute la France, qui provoque à son tour de nombreuses révoltes notamment en
Vendée ;
– les montagnards accusent alors les girondins de trahir la République : leurs
chefs arrêtés, ces derniers entrent à leur tour en révolte contre la République.
Le deuxième tournant de l’histoire de la République est évidemment la mise en
place de la Terreur :
– la Terreur organisée par les montagnards en 1793-1794 sauve la République
mais reste pour longtemps la page la plus sanglante de l’histoire du régime ;
– elle transforme un régime démocratique en une tyrannie exercée par un parti ;
– non seulement elle échoue dans sa tentative de faire naître une France
régénérée, mais,avec cette dernière, elle éloigne encore davantage les Français de
la République.
Les expériences de la Convention thermidorienne puis du Directoire ne font que
confirmer un divorce croissant entre les Français et la République :
– régime bourgeois et conservateur, la République se prive du soutien des
catégories sociales les plus défavorisées ;
– elle a donc le plus grand mal à résister aux oppositions royaliste et néo-jacobine
qui la menacent constamment ;
– elle doit s’en remettre à l’armée, ce qui précipite le coup d’État du 18 brumaire.
Il faut enfin montrer comment toute l’histoire du Consulat est celle de la
disparition de la République :
– en principe républicain, le Consulat est tout entier organisé pour donner les plus
grands pouvoirs à Napoléon Bonaparte ;
– de plus en plus personnel, le gouvernement de ce dernier aboutit logiquement à
l’établissement de l’Empire en 1804.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
123
HM – Les femmes et la Révolution française
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Sujet différent de « Les femmes de la Révolution » et de « La Révolution et les
femmes ».
Définition de l’Encyclopédie : « Femme : c’est la femelle de l’homme. Voyez
homme, femelle, sexe »
Avec la Révolution française, les femmes font irruption sur la scène politique.
Elles font leur apprentissage politique, émettent leurs opinions, concourent aux
événements, interviennent dans les conflits, d’un côté ou de l’autre.
Prises de position et actions ne sont, évidemment, pas indépendantes du facteur
social : les femmes pendant la Révolution, pas plus qu’à d’autres périodes, ne
sont un groupe homogène.
La période de la Révolution française offre ainsi le paradoxe d’une nation
proclamant le droit naturel, et donc l’universalité des droits de l’être humain, et
qui exclut, dans le même temps, la moitié de la population de la citoyenneté en
violation du principe de l’égalité des droits.
Problématiques : participations et exclusions. Conséquences positives et
négatives.
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Cf au Primaire
Ouvrages généraux :
Jean-Clément Martin, Femmes dans la Révolution française et l'Empire, Paris, 2008.
Evelyne Morin-Rotureau, 1789-1799 : combats de femmes, Autrement, 2003
D. Godineau, Les femmes dans la société française, 16ème-18ème siècle, Paris, Armand Colin, 2003, p.196-236
GODINEAU Dominique, Les Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Aix-enProvence, Alinéa, 1988.
Paule-Marie Duhet, Les femmes et la révolution, 1789-1794, Archives Julliard, Paris, 1971
Y. Ripa, Les femmes actrices de l’histoire, 1789-1945, Campus Sedes, Paris, 1999.
BRIVE, Marie-France, dir., Les Femmes et la Révolution française , tome 1, Modes d’action et d’expression, nouveaux droits,
nouveaux devoirs, tome 2, L’Individuel et le social, apparitions et représentations, tome 3, L’Effet 89, 1991, Toulouse, Presses
Universitaires du Mirail, 1989, 1990,1991.
Olivier BLANC, dans Marie-Olympes de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIème siècle, Paris, Editions René Vienet, 2003
DUHET, Paule-Marie, éd., Cahiers de doléances des femmes en 1789 et autres textes, Paris, Des Femmes, 1981.
FRAISSE Geneviève, Muse de la Raison, la démocratie exclusive et la différence des sexes, Paris, Folio, 1995.
HUNT Lynn, Le Roman familial de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1995.
Colette CAPITAN, La nature à l’ordre du jour (1789-1793), Paris, Kimé, 1993.
Joan LANDES, Women in the Public Sphere in the Age of French Revolution, Ithaca, New-York, London, Cornell Univesity
Press, 1988.
Dorinda OUTRAM, The Body and the French Revolution ; sex, class and political culture, New Haven, Connecticut, Yale
University Press, 1989.
Olwen H. HUFTON, Women and the limits of citizenship in the French Revolution, Toronto, University of Toronto Press, 1992.
MARAND-FOUQUET Catherine, La Femme au temps de la Révolution française, Paris, Stock, 1989.
VEAUVY Christiane, PISANO Laura, Paroles oubliées. Les femmes et la construction de l’Etat-nation en France et en Italie,
1789-1860, Roma, Editori Rumiti, 1994, Paris, ArmandColin, 1997.
VIENNOT Eliane (dir.), La Démocratie « à la française », ou les femmes indésirables, Paris, CEDREF, Publications de
l’Université Paris 7- Denis Diderot, 1996.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
« La Révolution a-t-elle ignoré les femmes ? », Mona Ozouf dans Quand les femmes prennent le pouvoir / Collectif in, LES
COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série, N° 34, Janvier-Mars 2007
C. Marand-Fouquet, « Enseigner les femmes de la Révolution, dans le second degré » dans Les femmes dans l’histoire et le droit
au passé, CRDP, Marseille, 2001
Martine LAPIED, « Histoire du genre et Révolution », dans La Révolution en œuvre, sous la direction de Jean-Clément Martin,
Publications de l’Université de Rennes, 2004.
D. Godineau, « Filles de la Liberté et Citoyennes révolutionnaires », dans G. Duby et M. Perrot Histoire des femmes, t.IV, 1991,
chapitre 1.
D. Godineau « Citoyennes, boutefeux et furies de guillotine » dans Cécile Dauphin et Arlette Farge, « De la violence et des
femmes », A. Michel, 1997, P. 33-49.
Jacques Guilhaumou sur « L’exclusion des femmes du savoir politique pendant la Révolution française », in Le genre face aux
mutations. Masculin et féminin du Moyen-Âge à nos jours, sous la dir. de L. Capdevilla, S. Cassagnes, M. Cocaud, D. Godineau,
F. Bouquet et J. Sainclivier, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p. 265-278.
124
Dominique GODINEAU, « ‘Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ?’ Enjeux et discours opposés de la différence des sexes
pendant la Révolution française, 1789-1793 », dans La famille, la Loi, l’État, de la Révolution au code civil, Paris, Criv-CNRS,
1989 ; Dominique GODINEAU, « Histoire sociale, histoire culturelle, histoire politique : la question du droit de cité des femmes
», dans La Révolution française au carrefour des recherches, sous la direction de Martine Lapied et Christine Peyrard, Aix-enProvence, Publications de l’Université de Provence, Collection Le temps de l’histoire, 2003.
Jacques GUILHAUMOU et Martine LAPIED, « L’action politique des femmes pendant la Révolution française », pour
l’Encyclopédie politique et historique des femmes, op. cit, p. 139-168.
Dominique GODINEAU, « Privées par notre sexe du droit honorable de donner notre suffrage… Le vote des femmes pendant la
Révolution française », dans Eliane Vennot dir., La démocratie « à la française » ou les femmes indésirables, Paris, PU de Paris
VII, 1996, p. 199-211
Christine FAURÉ « Doléances, déclarations et pétitions, trois formes de la parole publique de femmes sous la révolution »,
Annales Historiques de la Révolution française, 344, 2006, p. 5-26. V
Jacques Guilhaumou, Martine Lapied, "Les femmes et la Révolution française : recherches en cours", Révolution-française.net
Carte murale :
Enjeux didactiques (repères, notions et
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
méthodes) :
savoirs, concepts, problématique) :
Traditionnellement orientée vers les faits politiques, l’histoire transmise aux
enfants, aux élèves comme aux étudiants, n’a longtemps retenu des années
révolutionnaires que les hommes politiques, l’évolution administrative, les faits
de guerre. L’introduction de l’histoire économique et sociale n’a guère changé la
donne : l’histoire enseignée au collège ou au lycée évoquait seulement quelques
figures emblématiques ; elle ne décrivait les groupes de femmes que lorsqu’ils
intervenaient à l’appui d’un événement politique ou dans un «fait-divers». On
pourrait résumer schématiquement la présence des femmes dans la période de la
Révolution française, telle que l’ont transmise longtemps les manuels, comme
ceci : - Marie-Antoinette, avec tous les clichés qu’elle véhicule, son image
maléfique de femme fatale, et punie.
- Les dames de la Halle, un glorieux moment d’action collective, un adjuvant
précieux à l’action masculine.
- Charlotte Corday, la meurtrière de Marat, la femme passionnée, jusqu’au crime.
Elle est punie.
- A l’arrière plan, les tricoteuses, archétypes de mégères.
- Joséphine, l’épouse de Bonaparte, la femme incarnant les plaisirs futiles du
Directoire. Femme légère, elle sera punie également : stérilité, répudiation.
Cette vision des choses, à peine caricaturale, reflète et prolonge en réalité
l’idéologie jacobine, produit de l’esprit des Lumières, telle qu’elle a sévi
politiquement contre les femmes sous la Révolution, et bien au delà. Elle tend à
renforcer des stéréotypes, qui sont partagés depuis plus de deux siècles par les
tenants de l’histoire universitaire officielle. En histoire comme dans les autres
sciences humaines, ce sont les années 1970 qui ont remis en cause les
représentations qu’elle transmettait jusqu’alors. Ces recherches nouvelles
correspondent à un moment où les féminismes renaissants interrogeaient la
légitimité des rôles sociaux. Un tel mouvement historiographique avait déjà été
esquissé dans les premières années du XXe siècle, lorsque les «suffragistes»
réclamaient le droit de vote. Mais si, au début du siècle passé, les recherches
menées sur les femmes de la Révolution n’ont pas trouvé de traduction dans les
programmes officiels, cela change aujourd’hui.
Ce nouvel intérêt porté à l’histoire des femmes dans la Révolution procède de
plusieurs courants. Le développement des recherches sur les femmes, depuis une
génération, après avoir trouvé ses porte-parole dans les mouvements féministes, a
peu a peu conquis les milieux universitaires. La période révolutionnaire en elle
même a suscité peu de recherches de ce type pendant longtemps dans la mesure
où les patrons de cette recherche, massivement marxistes, avaient tendance à
considérer tout ce qui sentait son féminisme comme entaché de bourgeoisie. Ils
prolongeaient ainsi d’une certaine manière l’antiféminisme jacobin. Mais l’étude
des milieux populaires féminins, par Dominique Godineau par exemple, a fait
justice de ce faux procès.
Entre récit de fermeture et récit d’ouverture
Dans un premier temps, la question posée, essentiellement par les historiennes
anglo-saxonnes de la Gender History, a été celle du refus des droits entraînant
une vision négative de la Révolution, considérée comme la défaite historique des
femmes. À tel point que certaines historiennes comme Joan B. Landes ont cru
BO 4e futur : LES FONDATIONS D’UNE
FRANCE NOUVELLE PENDANT LA
RÉVOLUTION ET L’EMPIRE
Les fondations, politiques, économiques,
sociales et culturelles d’une France nouvelle.
Une étude au choix parmi les suivantes :
- La Révolution et les femmes…
Raconter des événements, des épisodes de la
vie d’acteurs révolutionnaires (hommes et
femmes), des prises de décision et expliquer
leurs enjeux et leur importance historique
BO 2nde : « La Révolution et les expériences
politiques en France jusqu'en 1851
– Ruptures avec l'Ancien Régime
– Mise en oeuvre des principes
révolutionnaires
– Héritages conservés, héritages remis en
cause
Cette question est délibérément centrée sur la
France avec un triple objectif :
– faire percevoir la rupture fondamentale
représentée par cette période ;
– évoquer les grands repères chronologiques,
les moments forts et les acteurs de cette
période ;
– dégager un bilan des bouleversements
provoqués, en particulier dans les domaines
politiques et sociaux.
Une attention particulière est accordée à
l'exclusion persistante des femmes de la vie
politique et à la difficile abolition de
l'esclavage. »
En Seconde, c’est bien l’idée de nouveauté,
de modernisation qui prévaut. Comment
l’histoire des femmes et du genre peut-elle y
trouver sa place ? Elle dérange un peu, en ce
que la période apporte vraiment peu de
nouveautés, de modernisation. Entre la
condition de certaines privilégiées de
l’Ancien régime, et celle de toutes les
femmes de la période post révolutionnaire, on
peut même soutenir qu’il y a une forme de
régression politique : le pouvoir de diriger
l’État a disparu. La barrière du privé et du
public semble solidement fermée. On
125
pouvoir affirmer que « la République a été construite contre les femmes et pas
seulement sans elles ». Pour sa part, Dorinda Outram assimile la politique
culturelle révolutionnaire à une politique de développement du rationalisme mâle
contre la sensibilité féminine. La constitution de la « communauté des frères »,
après le meurtre du père, s’accompagnerait de l’exclusion politique des femmes.
Thèse radicale qu’il convient certes de resituer dans le contexte des luttes
féministes, mais qui tendait à considérer l’antiféminisme comme une condition
nécessaire à la formation de l’espace public bourgeois. Il est vrai que le discours
masculin dominant, tant du côté des philosophes que des législateurs, est le plus
souvent un discours d’exclusion politique à l’encontre des citoyennes, confinées
dans leur seule reconnaissance comme sujet civil. Cette analyse est renforcée par
l’idée que la Révolution française fait rupture avec un Ancien Régime où les
femmes jouent un rôle essentiel dans la sociabilité des salons au titre d’une
pratique d’hospitalité qui en définit l’espace propre. En effet, l’espace des salons
est un univers pour une part dévolu à l’action féminine, sans pour autant signifier
un retrait dans la sphère domestique, bien au contraire. Les « salonnières »
régissent les lois de l’hospitalité mondaine, et peuvent ainsi rendre
particulièrement visibles leurs actions au sein des salons. Et, en tant que femmes
de lettres pour nombre d’entre elles, elles participent aussi d’un savoir mis en
débat dans une véritable dynamique de genre. De telles analyses ont conduit,
notamment dans certains travaux anglo-saxons, à un questionnement sur la
démocratie en tant que régime d’accomplissement des droits. Le « récit de
fermeture » mettant l'accent sur l’exclusion des femmes de la vie politique est
donc bien discuté.
Une place particulière doit être accordée aux travaux de Dominique Godineau qui
s’est penchée non seulement sur les raisons de l’exclusion et ses contestations
mais aussi sur la façon dont elle fonctionne et les réponses que les femmes,
affirmant qu’elles appartiennent au Souverain, tentent d’y apporter. Ainsi, la
signification à donner à la fermeture des clubs féminins a-t-elle provoqué un
débat entre les historiennes qui, à l’exemple de Joan Landes, y voient une
véritable volonté d’interdire la politique aux femmes et celles qui, comme Olwen
Hufton), estiment qu’elle a été contingente aux événements et qu’elle visait avant
tout à réduire les tensions sur les marchés et briser le pouvoir des Enragés. Pour
Geneviève Fraisse, la république aurait été discriminante, mais non excluante car
elle n’énonce pas les règles de l’exclusion. Elle entend par là que les femmes ne
sont pas explicitement exclues, dans la mesure où il n’existe pas de règles
inaugurant leur exclusion économique et politique. Donc l’exclusion des femmes
est produite plus qu’énoncée, elle est fabriquée plus que théorisée. C’est dire
autrement que les citoyennes peuvent, par leurs pensées et leurs actions, contester
ce choix exclusif en faveur des hommes, et susciter ainsi une dynamique
démocratique d’intégration. « Récit d’exclusion » et « récit d’ouverture » peuvent
donc cheminer de concert.
De fait il est possible de montrer, malgré les interdits, que de multiples formes de
mixité politique apparaissent au sein de la société civile, alors même que se met
en place la dissociation entre une « école d’intelligence et de mœurs » à laquelle
participaient les femmes des salons et le savoir politique de la société des
hommes dont elles sont exclues. Une dissociation combattu par Robespierre dès
1787, dans sa réponse à Melle de Keralio, au sein de l'Académie d'Arras où elle
est admise comme membre honoraire. Présentant ce discours peu connu de
Robespierre, Florence Gauthier note que nous sommes déjà dans une perspective
de complémentarité entre les sexes, et non de hiérarchisation : c'est en commun
qu'hommes et femmes, dans les espaces littéraires, se chargent de "perfectionner
les facultés communes à toute la nature humaine".
Plus généralement, dans la belle synthèse présentée par Lynn Hunt au colloque
aixois sur La Révolution française au carrefour des recherches, illustrant le récit
des ouvertures politiques qui se met en place, l’historienne s’affirme « pour la
Révolution et pour les Lumières ». Elle analyse l’historiographie française et
l’historiographie américaine des femmes pendant la Révolution sous le signe de
Marx pour les travaux français et de Jürgen Habermas et Michel Foucault pour
les travaux américains, s’affirmant elle-même plus influencée par la
psychanalyse. Lynn Hunt remarque alors que les travaux américains récents en la
matière tendent à mettre en évidence « le portrait de femmes engagés à la fois par
leur propre intérêt et par la chose publique, au lieu de femmes limitées par le
discours et les décisions politiques des hommes » Ainsi se précise « un récit de
l’ouverture politique » dont rencontres et ouvrages récents témoignent.
pourrait, dans cette perspective, trouver une
analyse de l’établissement du divorce, de ses
limites.
Au niveau iconographique, les gouaches de
Le Sueur sont très utilisées, notamment la
vignette représentant « Un club patriotique de
femmes », largement diffusée lors du
Bicentenaire. Mais ces images ne permettent
pas souvent de dire beaucoup ; cf la
sempiternelle marchande de journaux à
propos de « la naissance d’une opinion
publique » ou la plantation de l’arbre de la
liberté à Mayence où les hommes dansent
avec…des femmes. Voir aussi les femmes
partant pour Versailles ; la fête de l’Être
Suprême ; Merveilleuses et Incroyables.
Les femmes en révolution
THÈME 1: LES FEMMES, ACTRICES DE
LA RÉVOLUTION
Les femmes participent aux événements
révolutionnaires de plusieurs façons :
– Elles sont physiquement actrices lors des
journées révolutionnaires, aux côtés des sansculottes, souvent armées et tout
aussi violentes que les hommes. Ce sont les
femmes qui ont l’initiative de la marche sur
Versailles des 5 et 6 octobre 1789, à l’issue
de laquelle la famille royale est ramenée à
Paris. L’historien Michelet a d’ailleurs
résumé cet épisode par la formule suivante :
«La révolution du 6 octobre […] appartient
surtout aux femmes, comme celle du 14
juillet appartient aux hommes. Les hommes
ont pris la Bastille, les femmes ont pris le roi
».
– Elles sont également intellectuellement
investies dans la vie politique qui s’anime en
1789. À l’instar des clubs masculins, des
clubs de femmes s’organisent : des lectures
publiques (ici, du Moniteur) et des débats
ont lieu, qui peuvent être houleux (comme en
témoigne la clochette brisée aux pieds de
l’oratrice). Les premières féministes font leur
apparition, et réclament dans leurs écrits une
égalité de droits pour le sexe féminin.
Les femmes qui ont participé à la Révolution
sont surtout des femmes du peuple : elles se
font appeler « citoyennes » dans la nouvelle
République, et portent fièrement les couleurs
nationales ou la cocarde à leur fichu. Les plus
instruites d’entre elles portent leurs
revendications par
écrit, comme Olympe de Gouges (fille d’un
boucher et d’une servante) ou Théroigne de
Méricourt (fille de paysans aisés).
THÈME 2: LE DÉBAT SUR L’ÉGALITÉ
DES SEXES
En 1789, la situation des femmes est la même
que sous l’Ancien Régime : elles sont
juridiquement mineures, c’est-à-dire qu’elles
sont tout au long de leur vie sous la tutelle
des hommes (leur père, puis leur mari).
126
L’importance de la présence des femmes dans la Révolution française était déjà
apparue lors du colloque international qui avait été organisé à Toulouse en 1989
par Marie-France Brive. Depuis cette date, en plus des recherches qui leur sont
spécifiquement consacrées, les femmes apparaissent de plus en plus dans
l’ensemble des travaux portant sur la Révolution, en particulier dans les thèses
soutenues depuis le Bicentenaire, qui, prenant en compte la dimension féminine,
nous apportent bien des renseignements.
Cette histoire a bénéficié aussi d’un « effet 89 », des échos du Bicentenaire et des
échanges d’idées qu’il a provoqué, avec un grand colloque à Toulouse, ainsi
qu’un très grand nombre de publications. La plupart des auteurs, français ou
étrangers, ont alors mis en rapport ce qu’on commençait à appeler le « retard
français » (la faible représentation des femmes en politique) avec les origines
mêmes de la démocratie française : la période révolutionnaire (sans oublier la loi
salique). La Révolution peut alors apparaître comme une occasion manquée pour
l’accession des femmes aux droits politiques. En effet, leur cas se sépare de celui
des hommes des catégories populaires puisqu’elles n’obtiennent à aucun moment
le droit constitutionnel de s’exprimer par le suffrage, ni celui d’exercer des
fonctions officielles de responsabilité mêmes locales et, le plus souvent, elles
n’ont même pas voix délibérative dans les assemblées. Les refus vont de la
privation du droit de vote à l’interdiction de défendre la Nation dans l’armée, le
30 avril 1793, et à la fermeture des clubs féminins, le 30 octobre 1793.
Il semble dorénavant qu’il ne soit plus possible d’occulter la présence des
femmes pendant la Révolution française.
En tout premier lieu, les travaux de Dominique Godineau ont montré la richesse
des actions concrètes et spécifiques menées par des femmes. Ses recherches ont
mis en valeur l’engagement des Parisiennes qui les place au cœur de certains des
événements fondamentaux de la Révolution. Mais dans les provinces aussi, les
archives montrent, comme pour les hommes, une diversité de l’engagement des
femmes pendant les différentes phases de la période révolutionnaire. En effet,
dans le nouvel espace public qui s’élabore pendant la crise révolutionnaire, les
pratiques politiques ne peuvent être restreintes à l’exercice du droit de vote. Selon
les périodes, les femmes disposent de certaines possibilités, tels le droit de
pétition, le droit de se réunir en sociétés, de participer à des assemblées…. La
sociabilité et la parole publique deviennent politiques, les femmes peuvent avoir
une influence dans la constitution de l’opinion publique, dans les stratégies et les
luttes pour le pouvoir. La Révolution provoque une politisation de l’espace privé
; des préoccupations considérées comme « légitimes » pour les femmes prennent
alors une connotation politique, tels les problèmes de subsistances, l’éducation,
les activités religieuses, la surveillance morale de la communauté…. Cette
imbrication de l’espace public et de l’espace privé permet aux femmes une
incursion dans le champ politique, dans les limites légales imparties par la
Constitution.
Nous le savons déjà, les femmes sont exclues légalement du droit de vote. Certes
on ne peut ignorer des tentatives de participations féminines au vote populaire de
1793 sur l’adoption de la Constitution. Des votes féminins se déroulent en
assemblées de citoyens largement communautaires et délibératives, et relèvent de
la continuité avec un mode de participation des veuves ou des fils célibataires au
vote dès la formation des Etats Généraux, donc sous l’Ancien Régime, en qualité
de contribuables. A ce titre, ce type de « vote féminin » fait débat dans sa
dispersion même : au-delà la présence explicite de femmes lors du premier vote
national direct de 1793, les femmes demeurent donc exclues du droit de vote par
la loi et les faits. Cependant les femmes peuvent jouer un rôle politique, avec des
formes d’interventions multiples dont certaines leur sont spécifiques, mais dont
d’autres les situent aux côtés des hommes dans le mouvement révolutionnaire ou
contre-révolutionnaire. Cet engagement marqué dans les deux camps ne
concerne, certes, qu’une minorité du sexe féminin mais il démontre que les
femmes peuvent, lors de périodes de crise, jouer un rôle dans l’espace public,
comme c’était le cas pendant l’Ancien Régime.
Dès 1996, une table-ronde organisée à l’initiative de Martine Lapied autour de
Dominique Godineau, Christine Peyrard et Michel Vovelle avait montré que
l’espace Paris-province était largement ouvert à un récit national de la politisation
féminine. A force d’examiner avec minutie les archives, il apparaît que les
endroits où les femmes sont absentes de la scène politique, voire muettes dans
l’événement, sont relativement rares. Qui plus, dans « le récit de fermeture », la
prise de parole publique des femmes n’est pas appréciée dans toute son ampleur :
Comme le décrit une rare femme auteur d’un
cahier de doléances, « la devise des femmes
est travailler, obéir et se taire». C’est
pourquoi elles commencent dès 1789 à
réclamer davantage de droits, notamment
pour certaines catégories d’entre elles : «
nous croyons qu’il est de toute équité de
permettre aux femmes veuves ou filles
possédant des terres ou autres propriétés, de
porter leurs doléances au pied du trône ». Ce
faisant, elles remettent en question la
traditionnelle représentation des femmes par
les hommes « étant démontré, avec raison,
qu’un noble ne peut représenter un roturier
[…] ; de même un homme ne pourrait, avec
plus d’équité, représenter une femme ».
Quelques hommes, comme Condorcet ou
Guyomar, se sont intéressés au sort des
femmes pendant la Révolution, poussant la
logique universaliste de 1789 jusqu’au bout.
« Ennemis jurés des despotes, des tyrans,
renonçons à cet empire odieux du plus fort
sur le plus faible ». En effet, au nom de
l’égalité, les femmes doivent bénéficier des
mêmes droits politiques que les hommes : «
Apôtres de l’égalité, traitons les femmes
égales, et marchons de front dans la carrière
politique ». La liberté doit également leur être
appliquée : « Défenseurs de la liberté,
proclamons celle des femmes, rendues à la
dignité humaine ». C’est au nom de ces
principes mêmes qu’Olympe de Gouges
décide de rédiger en 1791 une Déclaration
des droits de la femme et de la citoyenne,
version féministe de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen dans laquelle elle
remplace systématiquement le mot « homme
» par celui de «femme». Dans ce document,
Olympe défend l’égalité des femmes et
souligne leurs droits à la propriété, à la
sûreté, et à la résistance à l’oppression. Elle
soutient aussi les droits des femmes non
mariées, la liberté d’expression, et les droits
des citoyennes à participer à la politique aussi
bien que les hommes.
Citoyennes ?
L'exclusion de la moitié du genre humain
Condorcet défend le principe de l'égalité en
droits des individus, hommes ou femmes : «
Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de
véritables droits, ou tous ont les mêmes. »
Condorcet met en avant une conception
universelle de l'être humain, défini comme un
être sensible et doué de raison. Dès lors, ce
n'est ni la religion, ni la couleur de la peau, ni
le sexe qui détermine les droits, donc le droit
de cité. Dans le dernier paragraphe de
l'extrait, il manie l'ironie pour invalider les
thèses hostiles à la citoyenneté des femmes.
Les Droits de la femme et de la citoyenne
Olympe de Gouges se fait un nom dans les
milieux littéraires en composant des pièces de
théâtre. Elle rédige un Projet de Déclaration
127
elle est limitée aux citoyennes révolutionnaires des clubs jacobins avec la
perspective de la fermeture brutale de ces clubs à l’automne 1793. A l’encontre
d’une telle conception exclusive de la démocratie, la récente rencontre de la
Sorbonne du 11 décembre 2004 sur « La prise de parole publique des femmes
sous la Révolution française », sous l’égide de Christine Fauré et Annie Geffroy,
publiée dans les Annales Historiques de la Révolution française, et une étude,
disponible sur le Web, de Yann-Arzel Durel-Marc ont ouvert plus largement,
certes de manière différente, l’espace de visibilité politique des femmes, visibilité
insoupçonnée jusque là par les historiens pour les débuts de la Révolution
française. Qu’il s’agisse des doléances, des déclarations et des pétitions à
l’Assemblée Nationale, de figures militantes, d’écrivaines engagées dans le débat
politique, la parole des femmes apparaît tout à fait audible, voire visible, en
situation de crise révolutionnaire.
Au-delà de la scène parisienne, une exploration approfondie des archives permet
également de trouver des traces de la parole publique des provinciales, comme l’a
montré Martine Lapied dans le cas du Sud Est. Il se confirme que les femmes
s’expriment de façon privilégiée lorsque la patrie est en danger, si l’on considère,
à l’exemple des Marseillaises étudiées par l’historienne américaine Laura
Talamante et Jacques Guilhaumou, que « chaque individu(e) a le mérite et la
capacité de bien dire ». Tous les camps politiques sont concernés : après les
dames citoyennes de 1790, un groupe de jeunes citoyennes joue un rôle non
négligeable dans la mobilisation du mouvement sectionnaire en 1793 par le fait
d’intervenir dans les assemblées et de participer à la propagande. Donc, le « récit
d’ouverture » ne commence plus seulement en 1792, avec les premiers succès de
mouvement populaire soutenu par les Jacobins. Ainsi nous pouvons le mettre en
place dès 1789 par l’élucidation du geste militant de l’offrande patriotique, et
plus largement des diverses formes de la prise de parole publique des femmes,
tout cela précédant de bien loin les actions féminines de 1793, étudiées par
Dominique Godineau et les dons patriotiques de l’an II analysés par Catherine
Duprat. Ainsi que le souligne Christine Fauré, dans sa présentation du récent
numéro des Annales Historiques de la Révolution française à ce sujet, la prise au
sérieux de formes politiques, attestées dès 1789, où se précisent des modes
originaux de prise de parole publique des femmes nous permet de donner une
sens étendu à leur action révolutionnaire, et d'y introduire une continuité
significative.
Les textes en témoignent, mais aussi les images, à l'exemple de la représentation
iconographique des femmes au sein de la foule révolutionnaire, récemment
étudiée par Joan B. Landes. En effet, l'archive visuelle permet d'abord de
mesurer, certes partiellement, l'importance et la nature de la participation des
femmes à l'action des foules révolutionnaires; elle ouvre aussi des perspectives
sur la manière dont les contemporains de l'événement révolutionnaire réagissent,
positivement, négativement ou de manière ambiguë, à ce rôle grandissant des
citoyennes. Enfin elle permet d'apprécier le lien entre l'enthousiasme féminin et la
violence révolutionnaire. De fait, un tel acquis historiographique se retrouve
désormais dans les manuels d’enseignement secondaire pour la classe de seconde.
D’un manuel à l’autre, l’accent est mis sur la place des femmes dans la
Révolution française, soit par des textes, par exemple la Déclaration des droits de
la femme, soit pas des estampes à commenter, de la marche des femmes le 5
octobre 1789 à la représentation d’un club patriotique de citoyennes en passant
par les portraits d’une femme sans-culotte ou d’Olympes de Gouges. Nous
devons également à Geneviève Dermenjian deux très belles pages en la matière,
dans son Manuel de l’enseignement primaire niveau CM1, sous le libellé J’ai
vécu. Textes et estampes viennent préciser le positionnement d’une citoyenne qui
s’exprime, sous la plume de l’historienne, dans les termes suivants : « Je
m’appelle Mathilde. J’ai vécu le temps de la Révolution et de l’Empire. Ma vie,
comme celle des autres femmes de cette époque, a été remplie d’espoir, d’actions,
de réussites et finalement de déceptions ».
Voilà sans nul doute la preuve ultime d’une subversion du récit historique
classique par l’importance accordée au rôle politique des femmes dans la
Révolution. Cependant tout cela se termine par des déceptions, ce que le Manuel
Magnard du secondaire traduit, sur une période plus large, par l’intitulé d’une
double page « les femmes, toujours exclues » . Une fois de plus, « récit de
fermeture » et « récit d’ouverture » marchent de concert.
des droits de la femme et de la
citoyenne, dans lequel elle revendique, au
nom des principes du droit naturel exprimés
dans la Déclaration de 1789, l'émancipation
des femmes. Ce texte appelle à un nouveau
contrat social au nom de l'universalité du
droit naturel. La citoyenneté est une propriété
de l'être humain qui vit en société. Exclure un
être humain de la citoyenneté,
c'est lui refuser l'appartenance pleine et
entière au genre humain. « Le mouvement
des femmes de 1789 à 1795 mit en lumière le
despotisme patriarcal et marital et compléta
la théorie du despotisme commencée par la
philosophie des Lumières » (« Les
déclarations du droit naturel, 1789-1793 » in
L'état de la France pendant la Révolution, La
Découverte, Paris, 1988). D. Godineau a
montré l'importance de la composante
féminine du mouvement populaire et ses
aspirations à une citoyenneté démocratique
(Citoyennes tricoteuses, Alinéa, 1988). Peuton, dès lors, parler de suffrage universel
avant que
les femmes aient accès au droit de vote ? Elle
en conclut dans l'article 6 que les citoyennes
doivent participer à l'élaboration de la loi. La
sous-représentation des femmes
dans les lieux de pouvoir donne encore son
actualité à l'article 6 de la Déclaration d'O. de
Gouges : « Toutes les citoyennes et tous les
citoyens, étant égaux (…), doivent
être également admissibles aux dignités,
places et emplois publics, selon leurs
capacités, et sans autres distinctions
que celles de leurs vertus et de leurs talents.
». O. de Gouges se réfère à la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Dans l'article 3, qui n'est pas cité dans cet
extrait, O. de Gouges définit la nation comme
« la réunion de la Femme et de l'Homme ».
Elle revendique pour les femmes l'égalité en
droits avec les hommes, notamment la
plénitude des droits civiques.
Contre la citoyenneté des femmes
A. Amar est hostile à l'exercice des droits
politiques par les femmes. Il fonde son
argumentation sur la différence des sexes : «
Chaque sexe est appelé à un genre
d'occupation qui lui est propre. » Selon
Amar, qui partage les préjugés de la plupart
des ses contemporains, les femmes sont « par
nature » destinées aux tâches domestiques et
à l'éducation des enfants. Leur participation à
la direction des affaires publiques serait «
contre-nature » et aurait
des conséquences « funestes ». L’idée que le
sexe est une catégorie déterminante, qu’il
existe une « nature féminine » spécifique, est
à l’opposé des thèses de Condorcet ou
d’Olympe de Gouges, pour qui le genre
humain défini par le droit naturel est
indivisible.
« Les femmes n’ont pas le droit d’être citoyennes »
128
Les Révolutionnaires n’ont jamais accepté de considérer les femmes comme
citoyennes bien qu’elles aient participé aux journées révolutionnaires, aux
manifestations et aux discussions politiques. Encore faut-il nommer ces
personnalités certes peu représentatives de la majorité des femmes mais qui ont
eu le mérite de lancer les premières pierres dans les revendications de droits :
Louise de Kéralio (femme des Lumières, elle défend la participation active des
femmes au pouvoir mais refuse aux femmes qu’elles aient le pouvoir car c’est
contre nature), Olympe de Gouges (qui combat l’esclavagisme et ose une
déclaration des droits de la femme), Pauline Léon, Théroigne de Méricourt (qui
revendiquent, entre autres, le port des armes aux femmes), Charlotte Corday,
Manon Roland, Thérèse Figueur…
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Les femmes et les cahiers de doléances
Quelques (rares) cahiers de doléances, écrits pendant la préparation des États
Généraux par des femmes du Tiers-état, proposent des revendications féminines.
Certains de ces cahiers présentent des demandes corporatives, d’autres, en
abordant le statut des femmes dans la société et les doléances que suscite leur
condition, suggèrent le remède le plus efficace : la possibilité d’être instruite et de
ne plus étouffer dans le cocon de la «galanterie». Hors salons, quelques paroles
féminines existent donc à la veille de la Révolution.
Une composante de la foule révolutionnaire : les débuts
Dès les premières « journées », les femmes sont une composante visible de la
foule révolutionnaire. Elles participent à la prise de la Bastille et quelques unes
font partie de ces « héros d’en bas » qui viennent revendiquer un droit à la
gratitude nationale pour avoir collaboré à l’événement révolutionnaire. Le titre
de « Vainqueur de la Bastille » qui fait l’objet d’un examen en commission et
donne donc lieu à un diplôme à partir de mars 1790, ne fait qu’officialiser une
initiative immédiate de certains acteurs. On peut rebâtir son identité sur le « j’y
étais » de la participation, que l’on soit homme ou femme…
Pendant l’Ancien Régime, les femmes assument un rôle traditionnel de «
boutefeux » dans les émeutes frumentaires. Elles font naître la révolte de leurs
cris et interpellations ; ensuite les hommes interviennent, prennent la tête de
l’émeute et sont secondés par les femmes. Le mouvement populaire est
apparemment spontané, mais de fait, il y a une distribution sexuelle des rôles. En
octobre 1789, non seulement les femmes du peuple parisien sont inquiètes des
difficultés de ravitaillement mais elles dépassent leur rôle traditionnel. Elles sont
indignées d’avoir entendu dire que la cocarde tricolore a été foulée aux pieds par
des gardes royaux. Elles initient les regroupements au son du tocsin, s’emparent
de canons, et donnent à la marche sur Versailles un sens politique. Elles
impliquent les autorités de Paris, sont rejointes par des hommes de la garde
nationale, et obtiennent une victoire symboliquement forte : le retour de la famille
royale et de l’Assemblée nationale à Paris. Les femmes ont réagi par
l’interpellation du roi et des représentants du peuple.
Club patriotique de femmes. Gouache de Lesueur. Musée Carnavalet, Paris.
La gouache de Lesueur montre la participation des femmes à la vie politique. Le
club de femmes qu'il a représenté a une apparence très convenable : une dizaine
de femmes bien vêtues écoutent la lecture du Moniteur et participent à une
collecte. Toutefois, la présence d'une petite cloche sur la table, et surtout la
clochette brisée aux pieds de l'oratrice, peut laisser supposer que, comme dans les
clubs masculins, les débats sont parfois houleux. Des gouaches de Lesueur
exposées au musée Carnavalet montrent de façon très conventionnelle
des femmes dans leur rôle d'épouses et de mères. Mais elles montrent aussi que
les femmes ont fait la Révolution et ont participé aux journées révolutionnaires et
à l'effort de guerre. Contrairement à nombre de caricatures de l'époque, cette
gouache ne tourne pas en dérision les aspirations féminines à l'émancipation
politique.
Les femmes ont joué un rôle actif dans la
Révolution, notamment dans le milieu sansculotte parisien. Certaines ont fondé des clubs
et demandé l’égalité entre les sexes. La
Déclaration des droits de l’homme s’adresset-elle à l’homme dans son universalité ou
bien seulement au représentant du genre
masculin ? Malgré les revendications
féministes de Condorcet ou d’Olympe de
Gouges, les révolutionnaires sont restés
majoritairement prisonniers des stéréotypes
sexistes de leur temps : ils ont refusé aux
femmes le statut de citoyennes à part entière,
en les privant du droit de vote et de la
participation politique.
Activités, consignes et productions des élèves
:
LA MARCHE DES FEMMES DE PARIS
SUR VERSAILLES (5-6 OCTOBRE 1789)
Récit de Louise de Kéralio dans le Journal
d’Etat et du citoyen
Les femmes sont les « évidentes émeutières »
(Arlette Farge) de l’Europe moderne, souvent
pour des raisons alimentaires (émeutes
frumentaires). Pendant la Révolution, on les
retrouve donc à la tête de certaines
insurrections parisiennes, jouant leur rôle
traditionnel. De leurs gestes, de leurs
interpellations naît la révolte. Ensuite, quand
les événements se développent, il y a
inversion, les hommes passent au premier
plan, avec les armes. Hommes secondant les
femmes, puis femmes soutenant les hommes :
derrière la spontanéité de la foule, derrière
son apparent désordre, se dessine clairement
une distribution non égalitaire des rôles
sexuels, pensée par la population comme
l’une des données du mouvement populaire.
Mais, pendant la Révolution, il y a un plus à
la révolte alimentaire parisienne : la défense
du peuple souverain. Le 5 octobre 1789, les
femmes sont les premières à se regrouper, au
son du tocsin, avec des canons, pour marcher
sur Versailles chercher « le boulanger, la
boulangère et le petit mitron » en raison des
besoins de leurs maris et de leurs enfants.
Mais aussi parce qu’il y a danger pour la
Révolution du fait des régiments étrangers.
Elles ont impliqué les autorités parisiennes,
subi un affrontement meurtrier aux grilles du
château, interpellé les représentants du peuple
et le roi, obtenu le retour du roi et de
l’Assemblée à Paris.
Louise de Kéralio est directrice du Journal
d’Etat et du citoyen, journal patriote qui
paraît depuis le 13 août 1789. Il publie un
compte-rendu des séances de l’Assemblée
nationale, un récit des principaux
événements. Bien que dirigé par une femme
cultivée, il garde le silence sur les droits
politiques des femmes.
CONDORCET CONTRE L'EXCLUSION
POLITIQUE DES FEMMES : Une exception
129
Militantes en armes. Gravure allemande anonyme. Musée Carnavalet, Paris.
La gravure allemande intitulée « Poissardes parisiennes » montre des femmes
brandissant des piques et armées de sabres et de poignards. Une poissarde est une
femme du peuple (marchande aux halles), au langage grossier.
Ces images donnent deux visions différentes
de la participation des femmes à la vie politique de la Révolution. La première
met en scène des femmes bien mises, ayant une activité politique pacifique
(lecture d'un
journal, participation à une collecte), l'autre met en avant la violence du
mouvement populaire féminin.
La défense de la Révolution et de la patrie
- Un apprentissage politique par la sociabilité : tribunes, clubs et sociétés
Quelques femmes des milieux dirigeants prolongent les pratiques du XVIIIe
siècle et tiennent des salons qui sont désormais des lieux d’échange politique où
se rencontrent députés et journalistes : Mme de Staël, Mme Roland (qui souligne
qu’elle écoute mais n’intervient pas…). Dans cette période troublée, le rôle des
salons est cependant mineur. La Révolution se fait ailleurs.
Pour s’instruire, s’informer, s’ingérer et peser sur les décisions, progressivement
des femmes du peuple, à Paris, investissent les tribunes de l’Assemblée, puis du
Tribunal révolutionnaire, du Conseil de la Commune… On sait, par ailleurs, le
rôle très important joué par les clubs politiques, souvent masculins. Mais il est
possible aux non-inscrits d’assister aux séances : certaines vont écouter les
orateurs qui s’expriment aux Jacobins et aux Cordeliers. Il existe aussi des
sociétés politiques mixtes qui comprennent de 15 à 25% de membres féminins :
ainsi la très active Société Fraternelle des Patriotes des deux Sexes, dont fait
partie la femme de lettres Louise de Kéralio. Des femmes ressentent également le
besoin de créer leurs propres sociétés et clubs (souvent philanthropiques à
l’origine) : elles y apprennent à prendre la parole, se tiennent au courant des
décisions de l’Assemblée, des articles des journaux… En mai 1793, se crée la
société la plus radicale, la Société des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires
où on remarque Pauline Léon, une des fondatrices, et Claire Lacombe.
- Les hommes de la Révolution et les femmes
Si les droits civils des femmes sont reconnus (pour une courte période) et si elles
sont bénéficiaires de la loi sur le divorce comme de l’égalité successorale, il n’en
est pas de même pour les droits politiques.
- Le débat sur la citoyenneté
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a, en principe, un caractère
universel. Il apparaît cependant vite une dissymétrie citoyen/citoyenne. Pour une
écrasante majorité des députés et de l’opinion, la citoyenne est l’épouse du
citoyen ou l’habitante d’un pays mais il n’est pas question de lui accorder les
droits politiques inclus dans la citoyenneté masculine. Dès juillet 1789, Sieyès
propose de rattacher les femmes aux citoyens passifs et, pour Marat, la femme ne
doit prendre aucune part aux affaires, étant représentée par le chef de famille.
Talleyrand peut affirmer en 1791 que « l’exclusion de la moitié du genre humain
de toute participation au gouvernement » contredit le principe d’universalité des
droits mais que c’est justifié par le « bonheur mutuel » des deux sexes…
Quelques voix rompent, cependant, cette unanimité. Condorcet réfute ainsi,
notamment dans l’ « Essai sur l’admission des femmes au droit de cité » (1790),
toutes les objections opposées aux droits politiques des femmes, presque seul, au
cours de la période révolutionnaire, à théoriser un « féminisme ». Il n’y a pas, ditil, de différence naturelle qui fonde l’exclusion des femmes.
- Une femme théorise la revendication politique
L’autre texte exceptionnel, polémique et provocant, est produit par une femme
isolée, sans lien avec les groupes de femmes révolutionnaires, Olympe de
Gouges, qui publie en 1791 sa « Déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne ». En féminisant explicitement la Déclaration de 1789, en transposant
aux femmes les droits affirmés, elle insiste sur le caractère bisexué de la société
et souligne ce qu’il y a de trompeur dans un universalisme qui ne parle qu’au
masculin et ne s’interprète qu ‘au masculin. Cette provinciale, installée à Paris,
écrivaine prolixe malgré son manque d’instruction, « engagée » dans le combat
politique dès les années 1780 (contre l’esclavage des Noirs), très indépendante,
eut peu d’influence au moment même de la Révolution mais deviendra
Condorcet (1743-1794), mathématicien et
philosophe, neveu de Condillac et ami de
d'Alembert, est l'héritier des philosophes du
XVIIIe siècle. Sa rigueur intellectuelle le
conduit à réclamer l'égalité civile pour les
protestants, l'abolition de l'esclavage pour les
nègres et le droit de cité pour les femmes.
Son « Essai sur l'admission des femmes au
droit de cité » paraît en juillet 1790 au cours
des travaux de la Constituante. Condorcet
n’est pas député et ne défend donc pas ses
idées à la tribune. Ce premier texte de
théorisation «féministe» mérite l'attention par
son argumentaire incisif.
Les législateurs violent les principes de 1789
en excluant les femmes des droits politiques.
Appartenant à l'espèce humaine, les femmes
ont les mêmes droits naturels que les
hommes. Ont-elles les capacités permettant
d'exercer ces droits ? Condorcet réfute, avec
méthode, toutes les objections : fragilité
«naturelle», infériorité intellectuelle, absence
de «génie» et souligne que les différences
dont on tire argument contre les femmes
résultent de l'éducation. Il reprend l'argument
« historique » des exemples illustres. Il réfute
la crainte de l'influence sur les hommes
(stéréotype de l'Ancien Régime) qui n'est
exercée que parce qu'il y a oppression. Il
écarte enfin l'objection qui consiste à
supposer que, nanties du droit de cité, les
femmes « abandonneraient sur le champ leurs
enfants, leur ménage... ». Il montre toutes les
incohérences qui règnent dans les différentes
exclusions subies par les femmes.
Il termine par une revendication limitée : le
droit de vote pour les femmes possédant des
biens. Mais, au même moment, l'Assemblée
se prépare à opter pour un suffrage masculin
également censitaire.
OLYMPE DE GOUGES
La Déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne
Née à Montauban en 1748, fille officielle
d'un boucher, en réalité fille illégitime d'un
homme de lettres qui n'accepta jamais de la
reconnaître, celle qui prend plus tard le
pseudonyme flamboyant d'Olympe de
Gouges est donc, dès sa naissance, hors
norme. Mariée à 16 ans, mère et veuve à 17,
elle refuse de se remarier, malgré la rencontre
d'un entrepreneur de travaux militaires, aisé,
qui lui donne la possibilité de s’installer à
Paris. Femme « galante », femme de lettres à
partir de 1780, elle devient femme de combat
politique à l'approche de la Révolution. Elle
écrit et fait jouer plusieurs pièces de théâtre.
La première de ses oeuvres cible «
L'esclavage des noirs » et lui vaut un certain
nombre d'ennuis avec le « lobby » des colons.
Son premier texte politique « La lettre au
peuple » (1788) est une utopie sociale qui
propose l'ouverture d'une caisse patriotique et
s'intéresse à la condition féminine.
130
emblématique plus tard.
- L’action révolutionnaire des femmes
Dès 1790, des femmes tiennent à affirmer leur soutien à la Révolution lors des
fêtes civiques ou des journées révolutionnaires. De 1792 à 1795, il y a, à Paris,
une sans-culotterie féminine qui intervient dans les différents conflits et se
regroupe essentiellement, à partir de 1793, autour des Citoyennes Républicaines
Révolutionnaires. En mars 1792, Pauline Léon fait signer une pétition qui
réclame pour les femmes le droit de s’armer. Au printemps 1793, elles appellent
et participent au mouvement contre les Girondins et sont bruyantes aux tribunes
comme dans la rue. En juillet, certaines tiennent à informer les députés qu’elles
approuvent la Constitution : ces actes peuvent être vus comme des
réappropriations ou des revendications de citoyenneté. Il en est de même de la
pétition (septembre 1793) pour que soit obligatoire pour les femmes le port de la
cocarde, symbole de la citoyenneté. En leur cédant, la Convention leur reconnaît
(brièvement) une existence politique. Mais la multiplication des rixes à ce propos
fournit aux députés l’occasion de donner un coup d’arrêt à l’action des femmes,
ces « folles », ces« furies », ces « harpies » injuriées dans la presse, les
pamphlets, les caricatures depuis que leur image sur les canons d’octobre
contrevient aux assignations de douceur et de retrait qui conviennent à leur sexe.
L'Assemblée Constituante et la Législative n'ont pas donné de droits politiques
aux femmes, elles ont interprété au masculin « l'homme et le citoyen ». Mais la
question de principe n'a pas été posée. Condorcet a défendu, en 1790, «
l'admission des femmes au droit de cité » : il n'a recueilli que quelques échos. Au
printemps 1793, Pierre Guyomar fait figure d'exception en reprenant les idées de
Condorcet.
Or les femmes sont une composante du mouvement populaire, s'engageant
temporairement, au gré des journées révolutionnaires, sans-culottes anonymes
souvent. Certaines participent dès 1790 à des clubs qui acceptent la mixité (ce ne
sont pas les grands clubs...) ou créent des clubs féminins. Les plus cultivées
rédigent écrits et pétitions. Au printemps 1792, quelques unes ont demandé le
port d'armes, revendication qui équivaut à celle de la citoyenneté : demande
refusée... Des femmes sont très présentes également dans le mouvement
révolutionnaire populaire au cours du printemps (préparation des journées
insurrectionnelles de mai-juin). et de l'été 1793. En mai, Pauline Léon a fondé le
club des citoyennes républicaines révolutionnaires, ouvert à celles (ouvrières,
marchandes.) qui prêtent serment de « vivre pour la révolution et de mourir pour
elle ». Des liens forts l'unissent à la sans-culotterie parisienne et aux Enragés, il
regroupe les plus radicales des femmes révolutionnaires. La constitution de juin
1793 (an III) a supprimé les citoyens passifs mais les femmes sont exclues de la
citoyenneté : au cours de l'été, les femmes révolutionnaires sont nombreuses à
vouloir prêter serment à la constitution, refusant ainsi leur exclusion. Les
citoyennes républicaines révolutionnaires sont actives également dans la « guerre
des cocardes ». L'obligation de porter la cocarde tricolore avait été proclamée en
avril 1793, sans précision de sexe : elles réclament que cette obligation (symbole
de citoyenneté) s'étende aux femmes, et de véritables rixes éclatent. La
Convention cède (21 septembre) : aussitôt naît la rumeur que serait exigé
également le port du bonnet rouge. De nouveaux heurts se produisent entre
citoyennes républicaines révolutionnaires et dames de la Halle hostiles au port de
la cocarde.
- Le tournant de l’automne 1793
C'est l'occasion pour la Convention de définir explicitement sa position de fond
sur la participation des femmes au politique. Le 30 octobre 1793, le député Amar,
au nom du comité de Sûreté générale, fait un compte-rendu des troubles qui jette
la suspicion sur les intentions de femmes « soi-disant révolutionnaires » dont
certaines ont pu être égarées et beaucoup « conduites par la malveillance » afin de
provoquer des troubles dans Paris, au moment où se prépare le procès des
Girondins. Il passe ensuite à une théorisation des principes qui doivent guider la
Convention, lui faire adopter l'exclusion des femmes des droits politiques. Toute
l'argumentation repose sur la « nature » des femmes (leur faiblesse) et les tâches
qui leur reviennent non moins naturellement. Le député Amar veut fonder, dans
son rapport à la Convention, l’exclusion des femmes de la vie politique par des
arguments rousseauistes. Elles sont trop faibles, physiquement, moralement,
intellectuellement, leur exaltation serait funeste et elles sont destinées par la
nature à d’autres fonctions. Il est ainsi tout à fait représentatif d’une opinion
« La Déclaration des Droits de la Femme et
de la Citoyenne », parue dans une brochure
de septembre 1791 est le premier grand
manifeste féministe, certes peu représentatif
de l'opinion de la majorité des femmes de
l'époque, mais d'une exigence provocatrice
qui en fait l’annonce de bien des combats. En
féminisant explicitement la Déclaration des
droits de l'Homme et du Citoyen, en
transposant aux femmes les droits affirmés,
Olympe de Gouges insiste sur le caractère
bisexué de la communauté civile et met en
évidence ce qu'il y a de trompeur dans un
universalisme qui ne parle qu'au masculin et
ne s'interprète qu'au masculin. Le texte est
complété par diverses remarques («
postambule ») où elle souligne, en particulier,
l'appel à la ruse comme le recours (funeste)
des femmes contre la force. La brochure
comporte également un projet de réforme du
Mariage.
Olympe a peut-être connu Sophie de
Condorcet et lu les textes du philosophe. En
tous cas, on ne peut qu'être frappé, malgré la
différence des styles, par la proximité des
points de vue.
Elle a réclamé le bannissement du roi et n'a
pas caché son antipathie pour Robespierre.
Elle a su monter à la « tribune » de l'opinion
révolutionnaire, elle a le droit de monter à
l'échafaud (cf. art. X de sa Déclaration) le 3
novembre 1793, après Marie Antoinette et
avant Madame Roland. Le Moniteur du 19
novembre déclare « Elle voulut être homme
d’État, il semble que la Loi ait puni cette
conspiratrice d'avoir oublié les vertus qui
conviennent à son sexe ».
Olympe de Gouges reste inconnue de la
plupart des ouvrages jusqu’à une date toute
récente. Aussi ne faut-il pas s’étonner si, en
1989, lors qu’est lancée la pétition pour
l’entrée d’Olympe de Gouges au Panthéon,
certain secrétaire de mairie écrit pour
demander : «Mais qui est Olympe de
Gouges» ? La plupart des dictionnaires
l’ignorent tout bonnement. La première
édition du Dictionnaire critique de la
Révolution française, de Furet-Ozouf, ne
comprend pas d’entrée «femmes». Olympe
de Gouges ne s’y trouve pas, alors même
qu’une excellente biographie a été publiée
par Olivier Blanc chez Syros, en 1981,
deuxième édition revue et augmentée en
1989, sous le titre Une femme de libertés,
Olympe de Gouges.
Qui est-elle ? Une géniale précurseure des
féminismes des siècles ultérieurs, la
pertinente et spirituelle rédactrice de la
Déclaration des Droits de la Femme et de la
Citoyenne, en septembre 1791, une écrivaine
de talent, et «engagée» avant l’heure, qui
s’était attirée la hargne des planteurs pour
avoir écrit, en 1785, «Zamore et Mirza», une
pièce contre l’esclavage des Noirs ; une
partisane des idées de liberté, une penseuse
131
majoritaire.
Le 30 octobre 1793, les sociétés populaires et les clubs de femmes sont interdits.
Parallèlement sont exécutées trois femmes, Marie-Antoinette, Olympe de
Gouges, Mme Roland (16 octobre, 3 novembre, 8 novembre) explicitement
confondues par le Moniteur universel dans une même condamnation, le 19
novembre. « En peu de temps, le tribunal révolutionnaire vient de donner aux
femmes un grand exemple qui ne sera pas perdu pour elles… Marie-Antoinette,
Olympe de Gouges, la femme Roland… ». Toutes les trois ont péri pour avoir
failli à leur assignation maternelle. Sous la très prégnante influence du
rousseauisme, l’opinion est convaincue que dans une bonne répartition des rôles,
les hommes fabriquent les lois , et que les femmes sont responsables des mœurs.
L’automne 1793 marque ainsi une étape importante de la chronologie
révolutionnaire et un tournant pour les femmes militantes. Le mouvement
révolutionnaire des femmes est pratiquement mort.
- Une insurrection féminine massive en 1795
Elles réapparaissent cependant lors de la crise du printemps 1795. Dès l’hiver, les
sans-culottes avaient participé à une certaine résistance contre la Convention
thermidorienne. Au printemps la disette tue les pauvres, des rations dérisoires
sont distribuées et refusées tant elles sont insuffisantes. Le 1er Prairial, elles
sonnent le tocsin, appellent à l’insurrection, marchent nombreuses sur la
Convention tandis que d’autres manifestent déjà à l’intérieur. Elles sont rejointes
par les hommes qui poursuivent l’insurrection le lendemain. Leur révolte n’avait
pas la disette pour seule base : « Du pain et la Constitution de 1793 » est un mot
d’ordre qui a aussi un sens politique. L’échec de l’insurrection est suivi d’une
répression qui n’épargne pas les femmes. Certains décrets les concernent
spécifiquement : elles sont interdites de tribunes à la Convention et ne peuvent
plus assister à aucune assemblée politique, et tout rassemblement de plus de cinq
femmes devient illégal. Dès le 1er Prairial, celles qui avaient pénétré à la
Convention en furent chassées à coups de fouet. Prairial met un point final à
l’intervention des femmes du peuple dans la Révolution. Il ne restera dans
l’imaginaire masculin de tous bords, que des images d’hystérie, de furie démente,
matérialisées par les flots de caricatures, de pamphlets injurieux traînant dans la
boue les « tricoteuses de la Révolution ». Images prêtes à resurgir et qui
témoignent aussi de la peur de voir les femmes développer une parole politique.
Le décès du mouvement révolutionnaire des femmes est donc entériné au
printemps 1795, quand, poussées par la disette, de nombreuses femmes
redeviennent des émeutières de la faim.
Des femmes contre-révolutionnaires
Il y en eut aussi, et pas seulement dans l’ancienne noblesse. Certaines nobles
restent en France tandis que les hommes émigrent pour combattre. Elles
fournissent des renseignements, accueillent des clandestins, font circuler de faux
assignats. Elles s’occupent des affaires familiales, divorcent parfois pour sauver
le patrimoine quand les biens des émigrés sont confisqués. C’est toutefois
principalement la question religieuse qui pousse des femmes à refuser la
Révolution. Dès la Constitution civile du clergé, il en est qui manifestent leur
hostilité ; les prêtres réfractaires sont massivement soutenus par des femmes et
l’assistance aux cultes clandestins est majoritairement féminine. De même les
insurgés des régions soulevées (Vendée) peuvent-ils compter sur l’aide féminine
et quelques unes comptent parmi les combattants : Renée Bordereau, Marie
Boutin, Françoise Després… habillées en hommes et lancées dans les combats.
Ainsi naît une autre mauvaise réputation des femmes qui perdurera auprès des
républicains au cours de tout le XIXe siècle. Leur collusion avec l’Église justifie
pour eux leur exclusion politique, même si cette collusion leur assure un confort
moral certain.
Les répercussions à l’étranger
On sait que des étrangers ont suivi avec passion l’ébranlement révolutionnaire
français. Il peut être intéressant de faire connaître Mary Wollstonecraft, très
active dans un cercle de radicaux anglais, et très vigoureuse dans ses attaques du
rousseauisme et de l’attitude des révolutionnaires français vis-à-vis des femmes.
Le Consulat
La Révolution a permis et empêché l’entrée des femmes dans l’espace politique
comme dans la société civile. En revanche, le lendemain de la Révolution est sans
politique qui suggère une caisse patriotique
pour venir en aide aux pauvres, qui donne
l’exemple du don patriotique ; une idéaliste
qui pense que tout être humain a le droit
d’être défendu et se propose pour défendre
Louis XVI ; une femme ennemie de la
violence, une utopiste qui propose à
Robespierre de se sacrifier avec elle pour
mettre fin à la Terreur.
Il y aura bien un sacrifice, mais le «tempo»
sera différent. En juillet 1793, tout de suite
après l’assassinat de Marat, Olympe est
arrêtée pour avoir proposé, dans une affiche
intitulée Les Trois Urnes ou le salut de la
patrie, une sorte de referendum pour arrêter la
Terreur. La loi du 29 mars 1793 punissait de
mort quiconque tendrait en paroles ou en
écrits à rétablir un pouvoir autre que
Républicain et indivisible. Elle n’est toutefois
jugée qu’à l’automne, et guillotinée le 3
novembre, dans le mouvement de répression
qui s’abat sur les femmes qui ont osé se mêler
de politique.
Seule Mme Roland est reçue officiellement
comme femme de la Révolution. Ce
stéréotype trouve son écho dans le timbre
édité lors du Bicentenaire. Être femme de
ministre est un moyen d’accéder au statut de
personne politique.
Dans l’histoire du radicalisme anglais et dans
celle du féminisme, Mary Wollstonecraft
tient une place importante. Le problème de
l’égalité des sexes est au centre de sa
réflexion politique.
Elle appartient à la petite bourgeoisie
londonienne et doit tout d’abord gagner sa vie
comme demoiselle de compagnie. Elle ouvre
ensuite une école dans la périphérie de la
ville. Elle se lie rapidement à un groupe de
dissidents religieux, les « radical dissenters »
et est amenée à rédiger une partie importante
de la revue Analytical qui fait l’opinion
informée dans les années 1780. Ce cercle de
radicaux anglais accueille la Révolution
française avec enthousiasme.
Mary Wollstonecraft écrit alors ses deux
textes politiques principaux, « Défense des
droits des hommes» et « Défense des droits
des femmes » (1790 et 1791). La Révolution
française et les droits de l’homme suscitent
une vive controverse en Grande-Bretagne.
Mary Wollstonecraft critique la propriété
comme origine et but de toute république et
la famille comme lieu d’apprentissage de la
soumission, du respect des préjugés… Elle
voit le progrès comme discontinuité. La
Révolution est une interruption car elle ne
s’inspire pas des ancêtres mais de la justice.
Le progrès apparaît quand l’être humain «
s’arrache à l’autorité de l’usage » « à
l’automatisme de la coutume », capacité qui
se développe avec une formation éclairée.
Elle souligne le caractère construit de la
132
ambiguïté sur leur exclusion politique, doublée d’une sujétion civile.
Le code civil élaboré entre 1801 et 1804 sous l’influence de Napoléon Bonaparte
inscrit dans sa masse de granit l’infériorité féminine, conséquence de la faiblesse
du corps et de la raison des femmes. Il traduit, dit-on, les idées «méridionales» de
Napoléon Bonaparte. Mais ces idées sont dans l’air du temps, partagées par le
rédacteur principal, Jean Portalis (un Provençal, il est vrai !) et approuvées par le
Conseil d’État. Aux yeux de Napoléon, le Code civil devait consolider les acquis
de la Révolution et permettre leur transmission en Europe.
Légalement la femme ne peut exister que de façon relative à l’homme, seul
véritable sujet de droit ; elle est fille, épouse et mère. La suprématie maritale est
un hommage rendu par la femme « au pouvoir qui la protège ». Elle suit son mari,
lui doit obéissance ; son infidélité est considérée comme plus grave que celle de
son mari (lui, n’est coupable que s’il entretient une concubine au domicile
conjugal et il n’encourt pas la prison). Il a le droit et le devoir de surveiller sa
femme, son courrier, ses activités. Pas d’acte juridique, de travail salarié, de
jouissance du salaire, d’inscription à des cours ou à un examen, de gestion
d’argent, de biens ou de compte, d’obtention de papiers officiels sans son
autorisation. Il détient l’autorité paternelle.
Le célibat, en revanche, rend la femme civilement majeure… Une fille majeure,
une femme non mariée sont indépendantes. Mais la société complète l’œuvre de
la loi. Une femme n’est guère pensable hors du modèle d’épouse et de mère.
Libre et marginale, la femme seule est stigmatisée du «mademoiselle» de
l’enfance et de l’inachèvement. La «vieille fille» est un objet universellement
dénigré et caricaturé. Le mariage est la seule destinée possible.
Les femmes gardent donc, comme legs positif de la Révolution, l’héritage à parts
égales avec leurs frères et le divorce jusqu’en 1816.
En excluant les femmes de l’exercice de la citoyenneté et des droits civils, les
révolutionnaires et les législateurs du Consulat ont «protégé» le XIXe siècle de
«l’hystérie» qu’elles ne manqueraient pas de manifester sur la scène publique, de
leur collusion avec l’Église, de la rivalité néfaste et tueuse d’amour qui
s’instaurerait s’il y avait compétition avec les hommes sur les mêmes terrains…
Le code civil est pour les femmes une sévère mise en tutelle. Éternelles mineures,
circonscrites en principe dans l’espace domestique (la sphère privée),
infériorisées par de nombreux discours, elles sont assignées, au nom de la «
nature » à l’exclusive fonction maternelle et à « l’honneur de faire des hommes».
Mais la valorisation de ce rôle est profondément intériorisée par la plupart des
femmes qui acceptent comme «naturelles» complémentarité et protection. La vie
sociale n’a, de plus, pas la rigidité d’un code... il est difficile de faire une exacte
mesure des consentements, résistances et résignations.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
féminité (fragilité, sensibilité…). Le procès
qu’elle lui fait est celui d’un monde où les
bonnes manières sont préférées à l’esprit
civique.
« La Défense des droits des femmes »
s’ouvre par une lettre à Talleyrand dont le
projet de décret de 1791 avait exclu les
femmes de l’Instruction publique. Mary
Wollstonecraft associe la nécessité d’une
éducation solide, mixte et égalitaire et le droit
des femmes de juger par elles-mêmes de leur
propre bonheur. Dans la société présente, les
femmes ont les caractères des dominées :
servilité, ruse, conformisme… Le progrès
dépend de la transformation des deux sexes
par leur égale participation à l’instruction et
au gouvernement. La transformation des
hommes est également nécessaire car «
l’esclavage dégrade tout à la fois le maître et
son abject esclave ».
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
Après la « remise en ordre » effectuée par Napoléon qui veut et véhicule le Code
civil (pour consolider les acquis révolutionnaires…) on pourrait estimer mince le
bilan concret de la Révolution française pour les femmes et ne voir que leur
assujettissement renforcé : elles ne gardent que l’égalité successorale. Mais la
Révolution a posé le problème de la place des femmes et de leur rôle, elle s’est
inquiétée des rapports de sexe. L’universalité affirmée a semé des ferments de
revendication. Elles ont pénétré dans l’espace politique : d’après D. Godineau, on
pourrait dire que sur dix révolutionnaires ou contre-révolutionnaires engagés une
à deux sont des femmes. Des femmes ont donné vie au mot citoyenne.
133
HM – Paris et la Révolution
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Jean Tulard, Jean-François Fayard, Alfred Fierro, Histoire et Dictionnaire de la Révolution française 1789-1799, Robert Laffont
Bouquins, 1987
Alfred Fierro, Dictionnaire historique de Paris, Robert Laffont, 1996, 1580 p.
Laurent Turcot, Le promeneur à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 2007, 427 p.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Paris : La traversée des siècles / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors série N° 9, Octobre 2000 : La Bastille
est tombée ! (François Lebrun, C'est à Versailles que se déroule en mai et juin 1789 le premier acte de la Révolution française.
Mais c'est à Paris que se produit le 14 juillet, avec la prise de la Bastille, l'événement fondateur et irréversible qui confirme et
prolonge l'insurrection. Naissance d'un mythe politique), Visite du Paris révolutionnaire (Catherine Guigon, Sept itinéraires pour
évoquer le calendrier des événements qui, de 1789 à 1795, transformèrent le pays)
Carte murale :
Enjeux didactiques (repères, notions et
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
méthodes) :
savoirs, concepts, problématique) :
BO 4e actuel : « Les grandes phases de la
De nouveaux champs ont été défrichés depuis le bicentenaire comme les lieux de période révolutionnaire en France, de 1789 à
la Révolution, en particulier la relation Paris/province
1815 (7 à 8 heures)
Un récit synthétique permet de présenter les
C'est un sujet qui regorge d’idées reçues, héritage de Tocqueville. La principale
épisodes majeurs et les principaux acteurs de
tient au centralisme français vu comme une réalité continue, de l’absolutisme
étouffant les libertés provinciales au « centralisme jacobin » (presque un
la période révolutionnaire et impériale en
pléonasme), dont le préfet constitue l’archétype. Certes, il y a bien des tentatives
insistant sur la signification politique et
de décentralisation (les départements, les districts) mais qui n’ont pas fonctionné, sociale de chacune des phases retenues. Les
événements extérieurs ne font pas l’objet
d’où l’anarchie administrative jusqu’au Consulat.
Il en est découlé le thème récurrent de l’opposition irréductible entre les
d’une étude exhaustive, mais sont évoqués à
l’aide de cartes. »
Girondins « fédéralistes » et les Montagnards « centralistes et dirigistes » (la
preuve = les représentants en mission) : « Ce que veulent les Girondins, c’est
créer une société fédéraliste… La Convention décide alors de faire appliquer la
Socle : Nouveau commentaire
« Les grandes phases de la Révolution et de
centralisation « jacobine » par la Terreur … Des représentants en mission sont
l’Empire sont présentées à partir des
envoyés dans les départements pour y imposer la loi par la Terreur. … Pourtant,
événements fondateurs, des principaux
la chute de Robespierre ne va pas mettre fin à la Terreur ni au mouvement de
centralisation. La réalité du pouvoir ne sera pas entre les mains des cinq
acteurs et des grandes figures. On insiste sur
directeurs mais entre celles des commissaires du Directoire, nommés en grand
des points clés de la période : la chute de
nombre, qui renforcent le pouvoir de centralisation. Tout part de Paris ! Tout
l’Ancien Régime politique et social en 1789,
revient à Paris ! » extrait du cours de Jean Tulard à l’Ecole des Hautes Etudes en
l’accélération des événements et des
Sciences Sociales en 2003, (La province au temps de Napoléon, Paris SPM,
expériences politiques entre 1792 et 1794, les
réformes de Napoléon Bonaparte. »
2003)
Il est intéressant d’observer que cette idée reçue se trouve largement réactivée
dans les années 1980 marquées par le triomphe des logiques néolibérales pour
lesquelles l’Etat est, par nature oppresseur de libertés et par l’apologie de la
« proximité », du « terrain »…
Que nous disent les travaux les plus récents sur le fédéralisme girondin?
Tous les travaux sérieux entrepris dès les années 70 montrent l’anachronisme du
mot « fédéraliste » entendu dans le sens moderne de « décentralisation » : il
n’existe pas de projet de décentralisation des pouvoirs, notamment au profit des
communes chez les Girondins. Aucun d’entre-eux ne conteste le rôle de Paris
comme capitale de la Révolution et de la République. Ce qui les amène à prendre
la tête d’un conflit qui soulève 1/3 des départements, c’est la guerre qui les
oppose à la Commune de Paris depuis l’été 1792. Ils voient cette Commune
insurrectionnelle comme un coup de force contre la représentation nationale =>
l’insurrection fédéraliste n’est pas une réaction contre la Convention elle-même,
mais contre le contrôle que la Commune de Paris leur semble exercer sur cette
même convention en violation flagrante des institutions.
Vaincus par les Montagnards, écrasés par la Terreur et longtemps stigmatisés par
l’historiographie, les Girondins sont marqués par des clichés historiographiques
134
dans l’imagerie politique contemporaine. Fédéralistes, ils auraient souhaité
ménager les pouvoirs locaux afin de promouvoir un système plus décentralisé que
celui qu’imposent les Jacobins en l’an II. L’échec des Girondins s’explique sans
doute par de mauvais choix stratégiques en faveur des départements contre les
sans-culottes parisiens et des calculs politiques louvoyant qui nuisent à leur
crédibilité. Champions de la représentation nationale, les Girondins et leurs
partisans le sont certainement, mais quand cette posture sert leurs propres
desseins : figer la Révolution dans ses acquis, détruire l’influence des sansculottes et protéger le jeu légal des institutions, éviter le régicide et l’extension du
conflit à toute l’Europe, défendre leurs têtes, voire menacer leurs ennemis. Ils ne
sont pas d’inconséquentes girouettes, mais des hommes politiques pris dans un
conflit mortel. Ni fédéralistes, ni contre-révolutionnaires, mais modérés et
libéraux, ils rêvaient d’une République une et indivisible où chacun puisse jouir
paisiblement de ses droits, mais ne répugnèrent pas à descendre dans l’arène de
Convention, à s’y salir comme les autres députés par des tactiques inhérentes à
tout combat politique, et à y perdre leur vie pour la défense des droits de l’homme
contre la perspective de la Terreur.
Les travaux de Michel Biard ont permis de bien mieux connaître les représentants
de la Convention en mission (Michel Biard, Missionnaires de la République. Les
représentants du peuple en mission (1793-1795), Paris, CTHS, 2002) : portrait de
groupe des 426 conventionnels ayant effectué des missions à l’aide d’une
documentation massive dont le Recueil des actes du Comité de Salut public,
complété par des séries des Arch Nationales, jusqu’alors inexplorées. Longtemps
attachés à la légende noire de Carrier à Nantes qui les a fait voir comme des
brutes sanguinaires. C'est une étude globale qui a permis de mieux comprendre la
réalité de leurs fonctions qu’il faut voir comme un fil conducteur entre le pouvoir
législatif (ce sont des députés de la Convention) et les pouvoirs locaux : ils ne
sont en aucun cas à la solde du Comité de Salut public. Leurs activités sont très
variables en fonction de la situation locale, mais le plus souvent dominées par les
impératifs économiques et militaires. Nombre d’entre-eux ne sont pas des
Montagnards ; leurs missions ne sont pas destinées à durer => il est inexact de les
voir comme les ancêtres des préfets.
Paris et la révolution, Actes du Colloque de Paris (14-16 avril 1989), Publications
de la Sorbonne, 1989, 321 p.
Michel Vovelle, dans son Introduction, a bien mis en place ce Colloque organisé
par l'Institut d'histoire de la Révolution française dont il est le cinquième
directeur depuis sa création lors du Cent-cinquantenaire en 1939. Il se devait de
montrer que, malgré quelques retouches provinciales, la Révolution a été d'abord
un fait parisien. Dans le tableau qu'il a dressé de l'activité de VI.H.R.F., on lui
saura gré de n'avoir pas laissé de côté l'apport de Marcel Reinhard que certains
oublient, même parmi ceux qui s'étaient découverts adeptes de la démographie
historique lorsque ce maître dirigeait l'Institut. Il était bon enfin que le
présentateur présentât les apports plus récents, en insistant avec modestie sur
ceux de l'ère souboulienne plus que sur ceux de l'ère vovellienne. Saluons aussi la
reproduction du plan des Sections parisiennes extrait de la thèse d'Albert Soboul
et déjà reproduit dans le répertoire Soboul-Monnier. Retenons maintenant qu'il a
été tant et tant écrit sur Paris pendant la Révolution et, surtout, qu'on a durant si
longtemps, assimilé l'histoire de la Révolution à celle de cette histoire à Paris, vue
de Paris, faite par Paris, qu'il était moins facile qu'on eût pu le penser, de trouver
aujourd'hui quelques nouveautés intéressantes sur le rôle de la capitale pendant la
décennie révolutionnaire (et pas la décade, nous ne sommes pas encore tout à fait
Anglais ou Américains ?). A contrario, il ne fallait pas tomber dans l'excès
inverse, dans une sorte de girondinisme rebouilli ou céder à cette mode actuelle
de décentralisation réduisant derechef Paris à son 83e d'influence, sinon à son 95e
sans compter les D.O.M. ...
Le plan du recueil est simple et de bon sens : Paris et les Parisiens, Paris en
révolution, Paris lieu de perception et de diffusion des idées, Paris et la France
révolutionnaire, L'image de Paris dans la littérature. Ces titres se suffisent à euxmêmes, si certains esprits chagrins pourront discuter sur la dignification de la
copule et dans ce premier titre, sur le sens de en dans le second, si des passéistes
trouveront que le lieu de perception et de diffusion et que l'image leur
apparaissent trop modernistes et que ce dernier terme anticipe trop sur le thème
officiel du grand Congrès mondial triomphalement tenu en juillet suivant.
135
Si on voulait proposer un autre découpage, on trouverait à trier des
communications intéressant la démographie historique, l'histoire sociale stricto
sensu, l'histoire politique rentrée en grâce, l'histoire économique cette revenante
et quelques complexes : l'histoire socio-économique, l'histoire socioprofessionnelle — qu'un des auteurs a eu la franchise d'appeler par son nom — ,
l'historiographie, la biographie — en saluant comme il se doit celle des petits, des
sans grades, de ceux qui n'attireront jamais les éditeurs lorgnant sur leurs chiffres
de ventes comme les médias sur les sondages. Nous voyons aussi que la
chronologie reprend ses droits et que, du thématique triomphant, on revient même
à la datation puisque la troisième partie se tient — est-ce exprès je ne le sais ? —
à une expression près, dans les limites 1789-91. N'y avait-il plus à dire sur
l'après-91 ou, plus simplement et tout uniment, n'y avait-il pas de communiquants
intéressés par les années suivantes ? La quatrième partie, elle, sans que son titre
l'eût exigé, s'applique, à une exception près aussi, à la période de paroxysme 9394. Reste la cinquième partie, celle qui invite à voir Paris par les yeux des nonParisiens ; cette image de Paris vu du dehors est uniquement celle de nonFrançais : Britanniques, Italiens, Allemands. Les provinciaux sont-ils absents
parce que leurs témoignages n'ont pas trouvé d'amateurs ? Sur la dernière
communication quelque peu en marge, je reviendrai à la fin de ce compte-rendu.
Mon dernier point sera d'essayer de dire ce qu'on peut tirer de ce recueil si
passionnant :
1) Nous étions en 89 -1989. Donc, on peut penser — l'auteur de ce compte- rendu
en souffre — qu'il était légitime de ne pas traiter ou presque pas l'aprèsThermidor. Une seule communication sur le Babouvisme mais il est vrai que ce
thème a déjà été beaucoup traité depuis le Congrès de Stockholm en 1960 et qu'il
était prévu qu'un colloque babouviste se tiendrait à Amiens en décembre 1989 ; il
a eu lieu et fut remarquable; on y reviendra sûrement dans notre revue quand ses
Actes auront été publiés, le plus vite possible, espérons-nous.
2) Il est vrai que certaines communications transpériodiques s'appliquent à un
point particulier, intéressent un thème particulier s'étendant sur la décennie
révolutionnaire intégralement : l'achat et la vente des biens nationaux, les
combats parisiens pour la démocratie des journalistes de l'Ouest, les visiteurs
britanniques de 1789-1799, la vision de voyageurs allemands mais, au total, cela
ne fait pas beaucoup : 5 à 8 communication sur les 32 du recueil.
3) La communication en marge qui termine le recueil apporte un autre éclairage.
Elle apporte beaucoup mais son titre annonçait plus encore. Ce Paris
révolutionnaire des Mémoires d'outre-tombe, cette «scène prodigieuse» c'est celle
du Paris de 89-90 vu après coup (celle des chapitres 8 à 14 du Livre cinquième
des M. O. T.). On ne voit pas ou presque pas — et on revient à la remarque n° 1
— l'image du retour, celle de 1800 et des années suivantes (chapitre 3 et suivants
du Livre treizième). « C'était un dimanche après-midi (...) nous entrâmes à pied
dans Paris par la barrière de l'Étoile. Nous n'avons pas une idée aujourd'hui [vers
1810] de l'impression que les excès de la Révolution avaient faits sur les esprits
en Europe et, principalement parmi les hommes absents de France [sic] pendant
la Terreur ; il me sembla à la lettre que j'allais descendre aux enfers ... ». La page
est fameuse. L'enfer du vicomte se peupla vite de créatures agréables, propres à
lui faire voir la capitale de façon moins pessimiste. Peut-on penser que la relative
élision du second volet du tableau veut signifier qu'on attend le bicentenaire de
l'après-18 brumaire, en l'an 2000 pour insister sur cette partie non négligeable de
l'histoire de la Révolution ? Je veux bien que, à en croire les journaux, il y ait en
1990 plus de 5 000 centenaires en France et qu'il y en aura peut-être d'avantage
dans dix ans mais les anciens d'aujourd'hui seront-ils du nombre ? 4) Concluons :
Tel qu'il est, ce recueil est remarquable, cet attribut n'étant pas pris uniquement
dans son sens premier, étymologique, latin... U est si remarquable qu'il appelle un
autre colloque, un autre recueil — avant l'an 2000, s'il vous plaît ... — qui traitera
du Paris de la Terreur — pourquoi cacher ce tableau qu'on ne saurait voir ! — du
Paris de la fin de la période révolutionnaire qui ne soit pas que celui des
Muscadins et des Merveilleuses, du Paris du 18 brumaire et des années suivantes
qui ne soit pas vu seulement par les yeux de René ... Je terminerai en adhérant à
cette sorte de postface qui peut se lire sur la dernière page de la couverture du
recueil : « Loin de se cantonner dans l'histoire de la capitale, cette rencontre, tout
à la fois bilan et perspective, apporte des vues neuves sur la société parisienne,
sur son évolution et son rapport à la Révolution ... ». C'est ce que j'ai ressenti en
effet et c'est, je pense, ce que ressentiront tous les lecteurs de bonne foi.
J.-R. SURATTEAU.
136
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des élèves
:
I La Révolution française
C'est à Versailles que débute la Révolution française par la convocation des États
généraux puis le serment du Jeu de paume. Mais la volonté réformiste et
pacifique est rapidement mise à mal par les Parisiens, atteints par la crise
économique (prix du pain), sensibilisés aux problèmes politiques par la
philosophie des Lumières mais également par une rancœur à l'égard du pouvoir
royal qui a abandonné la ville depuis plus d'un siècle. C'est à Paris, à l'endroit où
la rue Saint-Antoine rejoint l'actuelle place de la Bastille que se déroule la prise
de la Bastille le 14 juillet 1789, symbole de l'absolutisme et du despotisme, avec
le soulèvement des ébénistes du faubourg Saint-Antoine. Le 15 juillet 1789,
l'astronome Jean Sylvain Bailly reçoit à l'hôtel de Ville la charge de premier
maire de Paris. Les 5 octobre, l’émeute se déclenche sur les marchés parisiens,
menée par les femmes. Le 5 au soir, la foule parisienne atteint Versailles et
arrache au roi la sanction des décrets (juges élus, égalité fiscale, suppression des
impôts indirects). Le 6 au matin, le château est envahi et le roi doit accepter de
venir résider à Paris au palais des Tuileries et d’y appeler l’Assemblée
constituante qui s’installe le 19 octobre dans le Manège des Tuileries. Les
constitutionnels sont les plus nombreux, les patriotes radicaux étant encore très
minoritaires. « Le boulanger, la boulangère et le petit mitron » ramenés de
Versailles deviennent de fait des prisonniers de la Révolution et n'y retourneront
plus jamais.
Le 14 juillet 1790 se déroule la fête de la Fédération sur le Champ-de-Mars mais
le même lieu est le théâtre de la fusillade du Champ-de-Mars le 17 juillet 1791.
Bailly rapidement mis en cause est finalement guillotiné pour avoir fait tirer sur
le peuple. Le couvent des Cordeliers et le couvent des Jacobins, occupés après la
mise en vente des biens nationaux à partir de mai 1790, constituent de hauts lieux
du Paris révolutionnaire ; ils marquent la toute puissance des clubs parisiens sur
le cours de la Révolution. Bousculant le pouvoir monarchique puis même
constitutionnel, ils mettent en place une dictature, fermement décidés à mettre en
place l'ordre nouveau : Liberté, Égalité, Fraternité.
Dans la nuit du 9 août, une nouvelle Commune révolutionnaire prend possession
de l'Hôtel de Ville de Paris, siège du gouvernement. Lors de la journée du 10 août
1792, la foule assiège le Palais des Tuileries avec le soutien du nouveau
gouvernement municipal. Le roi Louis XVI et la famille royale demandent le
soutien de l'Assemblée législative mais est finalement incarcérée à la tour du
Temple. Cet évènement marque la fin effective de la monarchie française (qui
sera restaurée en 1814). Du 2 au 7 septembre 1792 se déroulent un des épisodes
les plus sombres de la Révolution, les massacres de septembre. Lors des élections
de 1792 qui se déroulent dans un contexte tendu, la Commune de Paris joue un
rôle de radicalisation ; la Convention nationale est alors élue mais le groupe des
Girondins apportant l'opinion plus modérée de la bourgeoisie des provinces est
rapidement déconsidéré et écarté du pouvoir en juin 1793 par Robespierre.
L'hôtel de ville, le 9 Thermidor an II.
Les Parisiens vivent alors deux années de rationnement et de règne de la Terreur
sous la poigne du comité de salut public. Les policiers de Paris, sous l'autorité de
la mairie, s'emploient à incarcérer tout ce que la ville compte encore de nobles, de
riches bourgeois, de prêtres et d'intellectuels en général. C'est pourquoi le maire
de Paris est aujourd'hui encore le seul de France à être privé de tout pouvoir de
police. Le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné sur la place Louis XV,
rebaptisée « place de la Révolution » ; il est suivi sur l'échafaud en seulement
quelques semaines par 1 119 personnes, dont Marie-Antoinette, Charlotte
Corday, la comtesse du Barry, Danton, Lavoisier et finalement Robespierre et ses
partisans après le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794).
La Révolution n'est pas une époque de développement pour la ville et peu de
monuments sont édifiés ; seul le champ de Mars témoigne des célébrations
nationales. En revanche, de nombreux couvents et églises sont rasés. Ils laissent
place à des lotissements édifiés sans plan d'ensemble, ce qui aboutit à une
réduction des espaces verts de la ville et à une densification du centre. Sous le
Directoire, des immeubles de rapport, de style néo-classique, sont élevés.
Histoire du club des Jacobins
Un club parlementaire
A l'origine, dès mai-juin 1789, un certain
nombre de députés du Tiers État, d'abord
bretons puis « patriotes » sans origine
géographique particulière, décident de se
concerter sur la conduite à tenir avant les
séances de l'Assemblée en se réunissant au
café Amaury. De Versailles, le « club breton
» s'installe à Paris après le 6 octobre. Il siège
dans la bibliothèque du couvent des Jacobins
de la rue Saint-Honoré sous le nom de «
Société des Amis de la Constitution » mais
c'est l'appellation non officielle de club des
Jacobins qui s'impose. Il rassemble à peu près
200 parlementaires soucieux de défendre
l'ordre nouveau sur sa droite comme sur sa
gauche. Tout le gratin parlementaire s'y
retrouve : Mirabeau, La Fayette, Barnave,
Robespierre, etc.
Le club de la rue Saint-Honoré s'est entouré
très tôt en province de filiales qui lui donnent
un rayonnement exceptionnel : 152 clubs de
province en juillet 1790 ont reçu l'investiture
de la maison mère. Le Journal des amis de la
constitution rédigé par Choderlos de Laclos,
ainsi qu'un comité de correspondance
assurent les liens entre Paris et la province.
C'est aux Jacobins, le 2 mars 1791,
qu'Alexandre de Lameth détruit l'influence de
Mirabeau en l'accusant de collusion avec les
« aristocrates ». Par les Jacobins le triumvirat
asseoit ainsi son pouvoir provisoire sur Paris.
II. L'Empire
En 1799, le pouvoir politique n'appartient plus aux Parisiens mais à un jeune
Une machine politique
Varennes ouvre la crise du régime et divise
les Jacobins. Le 16 juillet 1791, Barnave
quitte le club avec la plupart des
parlementaires pour fonder le club des
Feuillants. Face à la rivalité du club des
Cordeliers, les restants avec Robespierre,
Condorcet et Brissot penchent vers l'alliance
avec le mouvement populaire parisien tout en
parvenant à conserver dans son orbite la
plupart des clubs provinciaux. Le club est
désormais contrôlé par des journalistes et
libellistes. Ce n'est plus un club de discussion
mais une machine politique au service d'une
deuxième révolution.
La cotisation annuelle reste élevée, les
membres restent des intellectuels et des
bourgeois mais le caractère public des
séances donnent un poids important aux
activistes parisiens. On y propose les décrets,
reçoit les pétitions, critique les ministres.
L'organisation est renforcée avec un comité
des rapports et un comité de surveillance. Le
comité de correspondance reste le plus
important où siègent les futurs Montagnards
comme les futurs Girondins, les futurs
Exagérés comme les futurs Indulgents. Le
club ne prépare plus les débats de
137
général corse, Napoléon Bonaparte. Le 18 mai 1804, à l’unanimité, le sénat vote
l’instauration du gouvernement impérial, le 2 décembre, Napoléon Ier est sacré
empereur par le pape Pie VII à la cathédrale Notre-Dame. Il décide d'établir à
Paris la capitale de son Empire. Il en fait la capitale de l'Europe, devant Rome,
deuxième ville de l'Empire, et Amsterdam, troisième. En 1801, Paris a récupéré
les pertes subies sous la Révolution et compte 546 856 habitants ; cette
progression est néanmoins surtout le fait de l'immigration provinciale, la natalité
restant faible. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, la ville est distancée par
Londres en pleine expansion économique et démographique qui atteint 1 096 784
habitants. Néanmoins, Paris reste une des plus grandes villes d'Europe, Moscou et
Amsterdam comptent chacune environ 200 000 habitants et Rome environ 150
000.
La ville est associée aux fastes impériaux et l'empereur s'intéresse de près à la
ville et à ses problèmes. Il veut de grands monuments à sa gloire de style romain,
l'arc de triomphe, l'arc de Triomphe du Carrousel, le pont d'Iéna, la Madeleine, la
Bourse et de nombreuses fontaines sont édifiées afin d'apporter l'eau aux
parisiens. La voirie est entièrement réorganisée, la numérotation des maisons est
créée, des quais, des égouts, des cimetières sont édifiés. L'approvisionnement en
eau est amélioré par la création du canal de l'Ourcq et l'adduction d'eau, un réseau
de marchés est mis en place ainsi que des abattoirs et la halle aux vins. Mais
Napoléon n'a pas le temps de créer de grandes percées ; seule celle est-ouest de la
rue de Rivoli est réalisée avec ses immeubles dessinés par les architectes Percier
et Fontaine.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
l'Assemblée, il devient une autre Assemblée
et peut-être une contre-Assemblée. C'est là
que Brissot et Robespierre s'affrontent sur la
nécessité de la guerre et de la croisade
émancipatrice.
Le club est le creuset où se forge l'esprit qui
va donner la journée du 10 août 1792 qui voit
tomber la monarchie : mélange de mépris des
lois et d'idéalisme républicain, de suspicion
généralisée et d'utopie égalitaire. Les
Jacobins se retrouvent aux postes de
commande après la chute des Tuileries.
Jusqu'au 13 mai 1793, le club est le siège du
conflit entre Girondins et Montagnards. Les
Jacobins parisiens deviennent une milice qui
s'est trouvé un chef, Robespierre.
Armée et Tribunal de la Révolution
Rebaptisés « Société des amis de la liberté et
de l'égalité », les Jacobins constituent une
armée de 100 à 200 000 militants qui
contrôlent plusieurs milliers de clubs locaux.
La Révolution populaire est morte, c'est
l'heure des petites oligarchies de l'activisme.
Or les Jacobins sont les mieux organisés et
les plus disciplinés. Brissot est exclu dès
octobre 1792 et dénoncé aux sociétés affiliés
comme un comploteur et un ennemi du
peuple. Michelet évoque « la fureur de l'esprit
de corps, le fanatisme monastique, l'ivresse
de confrérie s'animant à huis clos ». Le club
devient une machine à produire de
l'unanimité. Comme le note Augustin Cochin,
« le peuple a perdu le droit d'élire ses
magistrats aux dates et dans les formes
légales ; les sociétés prennent celui de les
épurer sans règle et sans cesse ». Le club
incarne le peuple unanime, en état d'autoépuration permanente pour purger le
souverain de ses ennemis cachés. De juin
1793 à juillet 1794, le club est maître de
l'appareil étatique.
Le club pouvait difficilement survivre à la
chute de Robespierre car il est trop identifié
au règne de la Terreur : la Convention décide
sa fermeture le 12 novembre 1794. Des clubs
d'esprit jacobin se recréent sous le Directoire
à Angers, Bordeaux, Toulouse, Montpellier,
Marseille, Toulon, Metz. A Paris, en juillet
1799, s'ouvre un succédané de club des
Jacobins dans la salle du Manège puis à
l'église Saint-Thomas d'Aquin. Fouché en
personne le ferme dès le 13 août suivant.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
138
HM – Les fondations d’une France nouvelle pendant la Révolution et l’Empire
Approche scientifique
Approche didactique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant,
spatiale) :
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Le bicentenaire du sacre de Napoléon et du Code civil en 2004 a ranimé les
débats historiographiques sur le bonapartisme.
BO 4e futur : LES FONDATIONS D’UNE FRANCE NOUVELLE PENDANT
LA RÉVOLUTION ET L’EMPIRE
Les fondations, politiques, économiques, sociales et culturelles d’une France
nouvelle.
Une étude au choix parmi les suivantes :
- L’invention de la vie politique.
- Le peuple dans la Révolution.
- La Révolution et les femmes.
- La Révolution, l’Empire et les religions.
- La Révolution, l’Empire et la guerre.
Raconter des événements, des épisodes de la vie d’acteurs révolutionnaires
(hommes et femmes), des prises de décision et expliquer leurs enjeux et leur
importance historique
BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851
– Ruptures avec l'Ancien Régime
– Mise en oeuvre des principes révolutionnaires
– Héritages conservés, héritages remis en cause
Cette question est délibérément centrée sur la France avec un triple objectif :
– faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ;
– évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de
cette période ;
– dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les
domaines politiques et sociaux.
Le programme invite à organiser cette étude autour de quelques axes privilégiés :
. Il faut mettre en valeur les principes qui fondent la Révolution française (droits
de l'homme, égalité civile, liberté, nation, etc.) en s'appuyant sur les textes
fondamentaux de la période (Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen,
Constitutions, Code civil) et sur une chronologie montrant comment et par
quelles forces sociales ces principes sont mis en oeuvre. Au travers des
interrogations sur qui vote, légifère et gouverne, les mots clefs du vocabulaire
politique sont contextualisés (suffrage censitaire et universel, souveraineté
nationale, séparation des pouvoirs, assemblée, etc.).
Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la
vie politique et à la difficile abolition de l'esclavage. »
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4e actuel : « Les grandes phases de la
période révolutionnaire en France, de 1789 à
1815 (7 à 8 heures)
Un récit synthétique permet de présenter les
épisodes majeurs et les principaux acteurs de
la période révolutionnaire et impériale en
insistant sur la signification politique et
sociale de chacune des phases retenues. Les
événements extérieurs ne font pas l’objet
d’une étude exhaustive, mais sont évoqués à
l’aide de cartes.
• Repères chronologiques : abolition des
privilèges (4 août 1789 ; Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen (26 août
1789) ; le Franc germinal (1803) ; le Code
Civil (1804).
• Documents : Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen ; carte des
départements français en 1791 »
Socle : Nouveau commentaire
« Les grandes phases de la Révolution et de
l’Empire sont présentées à partir des
événements fondateurs, des principaux
acteurs et des grandes figures. On insiste sur
des points clés de la période : la chute de
l’Ancien Régime politique et social en 1789,
l’accélération des événements et des
expériences politiques entre 1792 et 1794, les
réformes de Napoléon Bonaparte.
L’évocation des guerres de la Révolution et
de l’Empire à partir de cartes doit surtout
introduire à la présentation des
bouleversements induits en Europe. »
Accompagnement 4e : « L’étude des grandes phases de la Révolution française,
en sept à huit heures, doit donner une vision de l’ensemble de la période. Il
importe avant tout que les élèves soient capables d’identifier et de caractériser
trois moments essentiels : 1789, 1793 et la dictature impériale. Plusieurs solutions
sont possibles, étant entendu que le «récit synthétique» ne peut se réduire, ni à
une chronique linéaire, ni à une épure théorique de la Révolution.
La première solution propose une approche chronologique. On peut distinguer un
139
premier temps (1789), celui de la révolution politique et juridique, un second
moment (1790-1792), tentative d’une monarchie constitutionnelle qui échoue
avec la chute de la monarchie et la proclamation de la République, un troisième
temps (1793-1794) avec une République menacée à l’intérieur comme à
l’extérieur, qui adopte des mesures d’exception et met en place la Terreur, puis
(1794-1799), la recherche d’une stabilisation et les dérives de la guerre, et enfin
(1799-1815) le Consulat et l’Empire qui jettent les bases de la France
contemporaine dans le cadre d’un régime autoritaire.
La deuxième solution est plus ambitieuse. Le professeur peut d’abord proposer
(en deux heures) un panorama de la période en dégageant les principales phases,
quelques événements porteurs de sens. Puis, quelques aspects importants sont
approfondis avec le recours possible à des documents locaux : les premiers acquis
(nuit du quatre août, Déclaration des droits de l’homme, les départements, le
système métrique), la question religieuse (de 1789 au Concordat, en montrant la
division des Français à partir de la Constitution civile du clergé), une journée
révolutionnaire (comme le dix août 1792, où seraient mis en évidence le rôle du
roi et celui des sans-culottes), les différentes formes du pouvoir de 1789 à 1815,
la Terreur, l’oeuvre du Consulat et de l’Empire (à la fois centralisation
administrative et dictature autoritaire). Quelle que soit la solution retenue, il est
indispensable de proposer les portraits de quelques-uns des principaux acteurs de
la Révolution qui caractérisent ou symbolisent un des moments de la période
étudiée (Lafayette, Danton, Robespierre, Bonaparte). Quelques articles de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de portée universelle, méritent
d’être mémorisés par les élèves.
L’établissement d’un bilan permet de montrer la mise en place d’une nouvelle
organisation politique et sociale dans laquelle se fondent l’héritage du passé et les
conquêtes révolutionnaires. La diffusion et l’importance du message
révolutionnaire en France et en Europe s’apprécient aussi par les transformations
politiques, sociales et idéologiques qu’il amorce. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. Ce fut le 14 août 1800 que le Premier consul désigna une commission de
quatre éminents juristes : François Denis Tronchet, Félix Julien Jean Bigot de
Préameneu, Jean Étienne Marie Portalis et Jacques de Maleville pour rédiger le
projet de « Code civil des Français », sous la direction de Cambacérès.
Les quatre rédacteurs proviennent de lieux très différents; deux sont de pays de
droit écrit (Portalis et Maleville, deux de pays de coutumes (Bigot de Préameneu
et Tronchet). Leurs intentions sont le plus clairement exprimées dans le fameux
discours préliminaire prononcé par Portalis lors de la présentation du projet.
Le code reprend de nombreuses dispositions du code de Justinien à travers
l'influence de Pothier, il en reprend naturellement, sans qu'il y ait eu de
discussion, un plan similaire aux Institutes.
Le code Napoléon visait à unifier le droit en conciliant Révolution et Ancien
Régime. Cette volonté se traduit dans plusieurs objectifs:
1. que la loi fût écrite et qu'elle fût claire, afin que chacun connaisse son droit ;
2. la laïcité. L'état civil est tenu par les communes et non plus par les paroisses.
Le mariage relève de la loi civile ;
3. la propriété immobilière devient individuelle (toutes les communautés
institutionnelles de voisinage, de métiers ou autres ont été dissoutes, leurs biens
ont été liquidés).
4. l'engagement du personnel, appelé "louage d'ouvrage ou d'industrie", devient
absolument libre (les communautés de métiers et les syndicats d'ouvriers sont
interdits), la liberté du travail est totale ;
En unifiant les pratiques issues de l'Ancien Régime et en les modernisant suivant
les principes des Lumières, le code civil a fondé les bases du droit moderne, en
France et dans de nombreux autres pays de tradition romaine (par opposition aux
pays de common law).
Il faudra un siècle pour que son individualisme s'efface et que les associations et
syndicats puissent se constituer librement.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Activités, consignes et productions des élèves
:
Le Code civil est clairement le reflet d’une
conception libérale de la société. La loi doit
garantir l’égalité entre les citoyens et la
propriété privée, alors que dans la société
d’ordres l’individu était soumis à une
hiérarchie stricte et entravé dans ses
initiatives économiques. Le Code met en
avant une égalité purement civile, celle qui
garantit en théorie aux citoyens l’égalité des
chances. Il n’est pas question d’aller plus loin
: l’inégalité sociale est considérée comme
normale, puisqu’elle est le reflet de l’inégalité
naturelle. Les talents sont inégalement
répartis entre les hommes et
celui qui réussit, dont la propriété s’accroît, le
mérite. L’égalité politique n’est pas garantie
ici, puisque le libéralisme peut
considérer que le droit de vote est fondé sur
la richesse (le suffrage censitaire, qui fait des
propriétaires les seuls aptes à décider
du sort de la nation). Quant à l’égalité entre
les sexes, elle n’est nullement mise en
avant. Le Code civil reflète ici les préjugés
sexistes de son époque, en consacrant
l’infériorité de la femme (mariée).
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
140
HM – Napoléon et l'Europe
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Thierry Lentz, Benoît Yvert (dir.), Napoléon et l'Europe, Fayard, Regards d'historiens, 2005
S. Woolf, Napoléon et la conquête de l’Europe, Flammarion, Paris, 1990.
Raymonde Monnier (dir), Révoltes et Révolutions en Europe (Russie comprise) et aux Amériques de 1773 à 1802, Ellipses, 2004.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Napoléon, l'homme qui a changé le monde / Collectif in, LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série, N° 20, JuilletSeptembre 2003 : L'Europe française (E. François), Napoléon, père des nations ? (J.-M. Gaillard)
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Thierry Lentz, Benoît Yvert (dir.), Napoléon et l'Europe, Fayard, Regards
d'historiens, 2005
Une confrontation d’historiens européens autour de l’impact des guerres et de la
diplomatie napoléonienne sur les nations d’Europe
Cet ouvrage constitue les actes du colloque " Regards sur la politique européenne
de Napoléon ", organisé par la direction des Archives du ministère des Affaires
étrangères et la Fondation Napoléon, les 18 et 19 novembre 2004. L'idée de ces
journées fut lancée il y a trois ans par M. Dominique de Villepin, alors locataire
du Quai d'Orsay, dans le cadre du programme qu'il avait conçu pour améliorer la
connaissance de l'histoire de la politique extérieure de la France. Cinq thèmes
sont abordés par vingt-neuf spécialistes les précédents et les modèles, les
principes et les enjeux, les hommes et les instruments, les regards mondiaux sur
la postérité de la politique européenne de Napoléon.
Sous-titré Regards sur une politique, cet ouvrage constitue la publication des
actes du colloque organisé en novembre 2004 par la Fondation Napoléon et la
direction des archives du Ministère des Affaires étrangères, à l’initiative de
l’occupant d’alors du Quai d’Orsay, Dominique de Villepin. Il rassemble 29
communications souvent fournies et signées de l’ensemble des historiens
couvrant le champ de l’historiographique napoléonienne, de Jean-Paul Bertaud et
Jean Tulard (qui assure la conclusion) à Natalie Petiteau, en passant par JacquesOlivier Boudon, Annie Jourdan ou Thierry Lentz.
Les textes se répartissent équitablement entre les cinq parties qui composent
l’ouvrage et sont destinées à faire l’état des lieux de la politique et de la geste
napoléoniennes. La première (« Les précédents et les modèles ») et la dernière («
La postérité ») se répondent l’une l’autre en passant en revue les lectures de
Napoléon à l’aune de Charlemagne, Louis XIV, Guizot et Thiers, Napoléon III et
enfin de Gaulle, tout en offrant un tour d’horizon de la place de la France sur
l’échiquier international à la veille de la Révolution comme au lendemain de
Waterloo.
Les seconde et troisième parties, « Les principes et les enjeux » et « Les hommes
et les instruments », fonctionnent le plus souvent sur le mode interrogatif. De
manière implicite, avec un clair panorama de « L’Europe en 1800 » (J.-O.
Boudon), ou avec N. Petiteau qui revisite comme elle sait le faire les jugements
des contemporains et des historiens sur le rapport de Napoléon à la paix, entre «
mythes et réalités » ; de façon explicite avec Silvia Marzagalli qui se demande si
« Le Blocus continental pouvait réussir ? » pour conclure à l’échec d’une
politique imposée mais jamais acceptée par les administrés ni même
effectivement soutenue par les alliés de l’Empire, ou Pierre Branda qui tente de
déterminer si « La guerre a payé la guerre ? » pour arriver à une conclusion
comparable. S’y ajoutent des mises au point sur le personnel diplomatique,
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4e actuel : « Les transformations de
l’Europe (2 à 3 heures)
Une comparaison entre la situation de
l’Europe à la fin du XVIIIe siècle et celle de
1815 conduit à mettre en évidence les
transformations de tous ordres introduites par
la période révolutionnaire et impériale dans
les structures politiques et la société ainsi que
les aspirations nées des idées nouvelles.
• Cartes : l’Europe napoléonienne en 1811 ;
l’Europe en 1815.
• Documents : Goya : Dos de Mayo, Tres de
Mayo (2 mai, 3 mai 1808)
Socle : Nouveau commentaire
« L’évocation des guerres de la Révolution et
de l’Empire à partir de cartes doit surtout
introduire à la présentation des
bouleversements induits en Europe.
Modification du commentaire
(...) dans les structures politiques et la société,
les aspirations nées des idées nouvelles et les
résistances des tenants de l’ordre ancien.
Ajout aux repères
Le congrès de Vienne (1814-1815). »
141
Talleyrand en tête (Emmanuel de Waresquiel), l’armée ou encore les élites
(espagnoles et bataves).
Ces deux dernières communications sont d’ailleurs à associer à celles composant
la quatrième partie, consacrée aux « Regards mondiaux » et qui constitue
véritablement la valeur ajoutée du colloque. En premier lieu parce qu’on trouve là
l’occasion de lire, à côté de « signatures » reconnues (Jean-Paul Bled sur
l’Autriche ; Henry Laurens sur le monde arabe…), des historiens qu’on connaît
mal ou pas, venus des États-Unis, d’Italie, de Pologne ou encore (exotisme
suprême) du Danemark, en second lieu parce que leurs communications, à défaut
d’être les plus conséquentes, sont consacrées à des espaces géographiques qui
sortent des frontières de 1789 ou même de 1812, mobilisent des sources
méconnues (encore que la bibliographie, pour fournie qu’elle soit, tende
largement à supplanter les archives, mais c’est là une remarque générale), offrent
une démarche problématisée et des apports clairs.
Au total, un colloque et un ouvrage de qualité comme savent en produire la
Fondation Napoléon et les Éditions Fayard, une très utile mise au point, même si
l’on regrette parfois le manque de prise de risque dont les uns et les autres
semblent témoigner.
BO 4e futur : LA FRANCE ET L’EUROPE EN 1815
L’Europe, en 1815, donne l’illusion d’un retour à l’ordre ancien. Mais les guerres
révolutionnaires ont répandu les idées de la Révolution française et engendrent en
réaction le sentiment national.
L’analyse d’une carte de l’Europe en 1815 sert de support à l’étude. Les
témoignages sur l’affirmation du sentiment national sont mis en évidence
notamment au travers d’oeuvres artistiques au choix.
Connaître et utiliser le repère suivant
− Congrès de Vienne : 1815
Décrire les grandes transformations sociales, politiques et territoriales issues de la
période révolutionnaire en Europe
BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851
– Ruptures avec l'Ancien Régime
– Mise en oeuvre des principes révolutionnaires
– Héritages conservés, héritages remis en cause
Cette question est délibérément centrée sur la France avec un triple objectif :
– faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ;
– évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de
cette période ;
– dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les
domaines politiques et sociaux.
Les expériences politiques qui se suivent entre 1789 et 1851 ne doivent pas
donner lieu à une étude exhaustive, mais il convient de définir les principaux
régimes (monarchie constitutionnelle, république, empire) et d'amener les élèves
à réfléchir sur la façon dont les principes fondamentaux de la Révolution ont été
conservés ou remis en cause durant la première moitié du XIXe siècle.
Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la
vie
politique et à la difficile abolition de l'esclavage. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
En 1789 l’Europe était faite. C’était celle des Lumières. Voltaire avait conseillé
Frédéric II et Diderot la Grande Catherine. Les physiocrates recommandaient
l’abolition des barrières douanières et le traité de commerce entre la France et
l’Angleterre annonçait la victoire du libre-échange, la circulation sans entrave des
marchandises en Europe.
Les idées circulaient déjà et les académies s’ouvraient aux confrères étrangers.
Berlin accueillait Maupertuis et Lagrange. Né à Salzbourg, Mozart jouait à
Munich, Vienne, Bruxelles, Paris, Londres, Amsterdam, Genève puis en Italie, au
point qu’on ne savait plus quelle nationalité lui attribuer.
Et cette Europe - ou du moins ses élites - parlait une seule langue, le français,
dont Rivarol avait vanté l’universalité dans un discours couronné par l’Académie
de Berlin.
Activités, consignes et productions des élèves
:
La France est devenue un empire immense de
130 départements s’étendant de Hambourg à
Rome ; une grande partie de l’Europe est
placée sous la tutelle de Napoléon qui
remplace les princes vaincus par des
membres de sa famille. En Italie, il chasse la
dynastie des Bourbons de Naples et met à
leur place son frère Joseph puis son beaufrère Murat. Il devient lui-même roi d’Italie.
Dans la Confédération du Rhin (territoires
d’Allemagne du sud et de l’ouest), Napoléon
a le statut de « protecteur » : il dirige la
politique extérieure, commande l’armée, a
142
Cette Europe s’achève sur le champ de bataille de Valmy en 1798 lorsque les
soldats de Dumouriez, un homme des Lumières, qui affronte le duc de
Brunswick, initiateur d’une grande enquête sur les origines de la francmaçonnerie, crient : « Vive la nation ! » La nation, l’ennemie du cosmopolitisme,
un mot oublié lorsqu’on partage la Pologne. Ce mot qui reparaît, enterre les
espoirs d’une civilisation unique. L’Europe des Lumières est morte.
Vers 1811 l’Europe est faite. Et elle sera française ; c’est l’Europe de Napoléon.
Considérons la carte. La France proprement dite, notre Hexagone, est passée de
83 départements en 1790 à 130 en 1811. Aux départements initiaux la révolution
avait ajouté Avignon, Chambéry et Nice. La Belgique est annexée à la France et
découpée en départements au début d’octobre 1795. Le Luxembourg forme celui
des Forêts. À son tour la Hollande, en juillet 1810, devient française. La Hanse
suit. La rive gauche du Rhin a donné, des 1798, 4 nouveaux départements : ceux
de Trêves, Mayence, Coblence et Aix-la-Chapelle. Genève est française. Au-delà
des Alpes, la France s’est agrandie du Piémont (six départements), de Gênes, de
la Toscane, de Parme, des États romains en 1809. Ajoutons-y les provinces
illyriennes, Trieste et l’Istrie, la Croatie, la Dalmatie avec Raguse. Et la
Catalogne est détachée de l’Espagne, le 26 janvier 1812, pour former quatre
départements.
À cette date, Bruxelles, Amsterdam, Hambourg, Coblence, Genève, Turin,
Florence, Rome et Barcelone sont des villes françaises au même titre que
Perpignan, Lille ou Limoges. L’empire dépasse 750 000 km2 pour une
population de 45 millions d’habitants. Mais ce n’est pas tout. Napoléon est roi
d’Italie, un royaume qui comprend Milan et Venise et que gouverne un vice-roi,
Eugène de Beauharnais. Il est médiateur de la Confédération helvétique, ce qui
fait de la Suisse, en 1803, un État satellite de la France. Enfin Napoléon est
protecteur de la Confédération du Rhin qui regroupe la totalité des États
allemands, de la Saxe à la Bavière. L’Allemagne reste morcelée et n’a d’autre
unité que l’autorité qu’exerce sur elle Napoléon. Elle est surveillée en son coeur
par le royaume de Westphalie (cf. les fameux traités de 1648) confié au plus
jeune frère de Napoléon, Jérôme, établi à Cassel sur les ruines de la monarchie
prussienne. Cette Confédération du Rhin s’est substituée au Saint Empire Romain
Germanique brisé à Austerlitz. À cette confédération se rattache le duché de
Varsovie formé des parties prussienne et autrichienne des partages de la fin du
XVIIIe siècle. Si ce duché est placé sous la tutelle du roi de Saxe, Napoléon y
entretient un résident qui assure des contacts directs entre Varsovie et Paris.
Napoléon gouverne d’autres pays de l’Europe par de grands vassaux en théorie
indépendants, mais auxquels Napoléon impose ses ordres. C’est le cas de Joseph,
son frère aîné devenu roi d’Espagne en 1808 et installé à Madrid tandis que les
troupes françaises se battent au Portugal. C’est celui, dans le sud de l’Italie que
nous n’avons pas encore évoqué, de Murat, beau-frère de l’empereur, roi de
Naples, où il a succédé, par la volonté de Napoléon, à Joseph. C’est aussi celui du
roi du Danemark, Frédéric VI, qui règne également sur la Norvège. C’est un allié
fidèle de Napoléon ; il le paiera cher en 1815. Enfin la Suède a choisi en 1810,
par l’intermédiaire de la Diète, un maréchal français, Bernadotte, comme prince
héritier. Malgré d’anciennes tensions avec Napoléon (Bernadotte avait épousé
Désiré Clary à laquelle le jeune Bonaparte avait été fiancé et il avait intrigué sous
le Consulat contre son rival), ce n’en était pas moins l’influence française qui
pénétrait à Stockholm.
En 1810, en épousant Marie-Louise de Habsbourg, Napoléon devenait le gendre
de l’autre empereur, François II, devenu François Ier après la disparition du Saint
Empire Romain Germanique. François Ier régnait sur l’Autriche, la Hongrie, la
Tchécoslovaquie et une partie de la Roumanie. Enfin, depuis Tilsit, en 1807, le
troisième empereur, celui de Russie, était allié à la France.
N’échappent à Napoléon que les îles : la Grande-Bretagne (est-elle européenne
?), la Sicile (dont Murat a les moyens de s’emparer) et la Sardaigne (quelques
troupeaux de moutons...).
droit de veto. En Espagne, il chasse les
Bourbons et met à leur place son frère
Joseph. Le Grand Duché de Varsovie (qui
appartient à la confédération du Rhin) et la
Confédération helvétique sont également
devenus des satellites de l’Empire
napoléonien. D’autres États sont contraints de
s’allier diplomatiquement à la France
momentanément : c’est le cas de l’empire
d’Autriche et de l’empire de Russie. D’autres
États, menés par le Royaume-Uni, s’opposent
sur les marges de l’Europe à la puissance
napoléonienne (Royaume-Uni, royaume de
Suède, royaume du Portugal, royaume de
Sardaigne, royaume de Sicile), qui sont
soumis à un blocus économique.
Il ne suffit pas de dominer, il faut encore unifier. Construction empirique, née des
guerres de la Révolution et de l’Empire, l’Europe devient ou est destinée à
devenir une entité juridique, économique et artistique. Le modèle est romain : le
droit, la route, l’armée et la langue. Dans tous les nouveaux départements
(Belgique, Hollande, rive gauche du Rhin, Piémont, Rome...) se mettent en place
les structures administratives françaises (préfets, sous-préfets, maires).
Simplification et unification : la supériorité de l’administration française sur les
143
vieilles constructions féodales et ecclésiastiques est éclatante.
Les royaumes vassaux calquent leurs institutions sur la France : de façon totale
pour la Westphalie, un royaume nouveau, partiellement pour Naples et l’Espagne,
où il faut tenir compte du passé.
C’est surtout sur le plan juridique que doit s’opérer la fusion grâce au Code civil.
Napoléon entend l’imposer dans toute l’Europe. Le problème ne se pose pas en
pays annexé, mais ailleurs il y a des résistances, venant surtout de la noblesse qui
perd droits et privilèges et de l’Église. À Joseph, roi de Naples, Napoléon écrit, le
5 juin 1806 : « Établissez le Code civil à Naples ; tout ce qui ne vous êtes pas
attaché et va se détruira alors en peu d’années et tout ce que vous voudrez
conserver se consolidera. Voilà le grand avantage du Code civil. » Comme en
Italie, en Allemagne la bataille est rude. Napoléon ordonne à son ministre des
affaires étrangères : « Je désire que vous écriviez à M. Otto (ambassadeur à
Munich) et à mes chargés d’affaires près le Prince Primat (à Francfort) et les
grands ducs de Hesse-Darmstadt et de Bade, pour leur prescrire de faire des
insinuations légères et non écrites pour que le code Napoléon soit adopté comme
loi civile de leurs États en supprimant toutes les coutumes et en se bornant au seul
code Napoléon. »
Le Code civil, malgré les réticences d’un juriste germanique comme Karl von
Savigny, symbolise la liberté (partout où il est établi disparaît le servage),
l’unification (face aux innombrables coutumes émanant du droit romain, du droit
canonique et des usages féodaux), la clarté (le style) et la modernité (Karl Marx
avouera que le Code civil, là où il a été appliqué en Allemagne, a détruit la vieille
féodalité).
Le Code civil s’annonçait comme le nouveau droit européen. L’unification
économique de l’Europe est en marche à la faveur du blocus continental. En
1806, ayant brisé la Prusse à Iéna, Napoléon, qui n’est pas encore au sommet de
sa puissance (« l’âme du monde à cheval », dit alors Hegel), décidé de fermer par
le décret de Berlin l’Europe aux marchandises anglaises (produits coloniaux et
objets manufacturés). L’avance technique de l’Angleterre, qui a fait sa révolution
industrielle, lui permettait d’inonder de ses produits à bon marché de l’Europe et
d’y étouffer toute concurrence. Désormais, à l’abri d’une barrière douanière dont
l’efficacité sera progressive et qui s’étend à toutes les côtes, à tous les ports du
continent, on peut espérer voir se développer une industrie européenne. De plus,
la route, un des soucis de Napoléon, va permettre avec notamment la percée des
cols alpins, la circulation des marchandises. Certes il n’y a pas encore de monnaie
unique, mais Napoléon y songe car les opérations de change diminuent
sensiblement les énormes revenus que Napoléon a attribués à ses nobles en
Pologne et en Allemagne.
S’esquisse une unification intellectuelle et artistique. De cette volonté
d’unification, quelle meilleure preuve que le transfert des archives des pays
d’Europe à Paris sous le contrôle de Daunou, membre de l’Institut, au palais
Soubise, en attendant la construction d’un autre palais.
Les oeuvres d’art ont précédé les archives : au Louvre, sous Vivant Denon,
membre de l’Institut, affluent peintures et sculptures. En 1807, Berlin donne 54
tableaux. Denon procède dans le même temps à l’enlèvement à Kassel de 899
oeuvres dont les Rembrandt. Joseph est sommé d’alimenter le Louvre en peintres
espagnols. En 1810, le musée Napoléon possède la plupart des chefs-d’oeuvre
européens qu’il révèle aux yeux éblouis du jeune Delacroix.
Et dans le même temps où il prive l’Europe de ses oeuvres d’art, l’empereur
impose dans tous les palais du continent le « style empire », fait d’acajou et de
bronze, de sphinx et d’aigles, destinée à devenir le style européen.
Ne va-t-on pas, sur le plan spirituel, jusqu’à prévoir l’installation du pape à Paris
?
Et le français s’impose dans tous les textes administratifs à côté de la langue
locale, souvent en bilingue.
Enfin, étendue à tous les départements de l’empire, le système de la conscription
assure de vastes brassages de population. L’armée réunie pour envahir la Russie
en 1812 regroupe des soldats de toute l’Europe : Belges, Hollandais, Allemands
de la rive gauche du Rhin, Italiens du Piémont, considérés comme Français, mais
aussi Napolitains, Suisses, Danois, Allemands de la Confédération du Rhin,
Espagnols, Autrichiens, Prussiens, Croates etc.
Il y aura même une décoration européenne : l’ordre de la Réunion. Peut-on nier
que l’Europe était alors faite ou en voie de l’être ? Et pourtant cette construction
va s’écrouler en un an, la fatale année 1813 qui suit le désastre de Russie.
144
Comment expliquer cet effondrement ?
Mettons à part les problèmes religieux nés du conflit avec le pape.
L’excommunication de Napoléon ne fut pas connue et un accord avec Pie VII
aurait été trouvé sans la catastrophe de Russie.
L’Europe de Napoléon reposait sur la force et sur une édification empirique.
Lorsqu’il annexe, lorsqu’il impose, l’empereur ne fait jamais appel au
référendum, ce plébiscite dans l’utilisation duquel il était passé maître en France.
Le Grand Empire est d’abord une machine de guerre contre l’Angleterre : fermer
le continent aux marchandises anglaises pour ruiner son commerce et son
industrie et précipiter la chute de la livre sterling, condamnant ainsi « la perfide
Albion » à accepter la paix.
Mais le blocus continental a été une arme à double tranchant. En se fermant aux
exportations anglaises, l’Europe se prive de sucre, de café et de cacao. L’industrie
française, spécialisée dans le luxe, ne peut suppléer les manufactures
britanniques. Les privations - qui durent -, même tempérées par la contrebande,
facteur d’insécurité, créent un vif mécontentement. Même Hegel s’indigne du
mauvais café qu’il doit boire. Et le système continental avantage en Angleterre
les grands propriétaires, qui voient leurs récoltes favorisées par l’arrêt des
importations du continent. Or ce sont eux qui dirigent la vie politique, grâce aux «
bourgs pourris », et non les industriels et les négociants.
C’est l’affaire d’Espagne qui est à l’origine de la ruine de l’Europe
napoléonienne. Les Espagnols ont mal vécu la substitution à Charles IV de
Joseph Bonaparte. Elle ne s’imposait pas et allait à l’encontre du principe
proclamé par la Révolution française elle-même du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes. L’orgueil national a provoqué en Espagne une révolte,
immortalisée par le Dos de Mayo de Goya et par le Catéchisme espagnol :
D. Dites-moi, mon enfant, qui êtes-vous ?
R. Espagnol.
D. Que veut dire Espagnol ?
R. Homme de bien.
D. Combien y a-t-il d’obligations à remplir et quelles sont-elles ?
R. Trois : être chrétien, descendre sa patrie et mourir plutôt que de se laisser
vaincre.
La patrie. Voici que ressuscite le cri de « Vive la nation ! » Le sentiment national
s’exacerbe au Tyrol où Andreas Hofer refuse l’annexion de son pays à la Bavière.
Il se développe dans toute l’Allemagne déjà frémissante en 1809 lorsque Staps
tente d’assassiner Napoléon : « Vous tuer n’est pas un crime, c’est un devoir. »
Dès 1807, Fichte avait lancé ses Discours à la nation allemande et, en Italie,
tandis que Foscolo affirme qu’une nation ne saurait exister si elle ne jouit de la
liberté, Leopardi se prépare à donner à l’idée nationale la place d’honneur qu’elle
tiendra dans le romantisme italien.
Après la défaite de Leipzig en 1813, qui consacre la perte de l’Allemagne, une
réaction nationale se développe en Suisse, en Hollande, en Belgique. Vive la
nation ! Le Grand Empire est ramené en 1814 à notre hexagone. L’Europe
napoléonienne est morte.
En 1815 l’Europe était faite. Ce n’était plus l’Europe des Lumières, ni l’Europe
des baïonnettes, c’était l’Europe des diplomates, l’Europe du congrès de Vienne,
celle de Metternich, celle de l’équilibre réfléchi à l’inverse de l’empirisme
napoléonien. La Belgique était rattachée à la Hollande pour rassurer l’Angleterre,
la Pologne, indirectement, à la Russie, pour contenter le Tsar, et l’Italie retrouvait
les Bourbons de Naples, le pape et la maison de Piémont-Sardaigne. Les
souverains d’avant 1789 étaient restaurés et leur légitimité garantie par la Sainte
Alliance qui veillait sur le nouvel ordre européen. Metternich pensait avoir
construit définitivement l’Europe. Il avait oublié le principe de nationalité. En
1830, les cris de « vive la nation ! » chatouillèrent ses oreilles ; en 1848, il fut
emporté par eux.
Telle la tapisserie de Pénélope, l’Europe était une nouvelle fois à refaire.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
145
HM – Le Congrès de Vienne
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Georges-Henri Soutou, L’Europe de 1815 à nos jours, Nouvelle Clio, PUF, 2007
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Les concepteurs du Musée de l’Europe dans la capitale belge, qui vient juste
d’ouvrir ses portes, ont décidé de faire de l’année 1945, "l’année zéro" de
l’histoire européenne. 1945, année zéro ? Quand effectivement commence
l’Europe ? A partir de quelle date peut-on évoquer un "système" européen ou bien
un "ordre" européen ?
BO 4e futur : LA FRANCE ET L’EUROPE EN 1815
L’Europe, en 1815, donne l’illusion d’un retour à l’ordre ancien. Mais les guerres
révolutionnaires ont répandu les idées de la Révolution française et engendrent en
réaction le sentiment national.
L’analyse d’une carte de l’Europe en 1815 sert de support à l’étude. Les
témoignages sur l’affirmation du sentiment national sont mis en évidence
notamment au travers d’oeuvres artistiques au choix.
Connaître et utiliser le repère suivant
− Congrès de Vienne : 1815
Décrire les grandes transformations sociales, politiques et territoriales issues de la
période révolutionnaire en Europe
BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851
– Ruptures avec l'Ancien Régime
– Mise en oeuvre des principes révolutionnaires
– Héritages conservés, héritages remis en cause
Cette question est délibérément centrée sur la France avec un triple objectif :
– faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ;
– évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de
cette période ;
– dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les
domaines politiques et sociaux.
Les expériences politiques qui se suivent entre 1789 et 1851 ne doivent pas
donner lieu à une étude exhaustive, mais il convient de définir les principaux
régimes (monarchie constitutionnelle, république, empire) et d'amener les élèves
à réfléchir sur la façon dont les principes fondamentaux de la Révolution ont été
conservés ou remis en cause durant la première moitié du XIXe siècle.
Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la
vie
politique et à la difficile abolition de l'esclavage. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
9 juin 1815. L'Acte final du Congrès de Vienne
Le 9 juin 1815 est signé l'Acte final du Congrès de Vienne. Ce document de 300
pages en français (la langue universelle de l'époque) redéfinit les contours de
l'Europe après la chute de Napoléon 1er.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 4e actuel : « Les transformations de
l’Europe (2 à 3 heures)
Une comparaison entre la situation de
l’Europe à la fin du XVIIIe siècle et celle de
1815 conduit à mettre en évidence les
transformations de tous ordres introduites par
la période révolutionnaire et impériale dans
les structures politiques et la société ainsi que
les aspirations nées des idées nouvelles.
• Cartes : l’Europe napoléonienne en 1811 ;
l’Europe en 1815.
• Documents : Goya : Dos de Mayo, Tres de
Mayo (2 mai, 3 mai 1808)
Socle : Nouveau commentaire
« L’évocation des guerres de la Révolution et
de l’Empire à partir de cartes doit surtout
introduire à la présentation des
bouleversements induits en Europe.
Modification du commentaire
(...) dans les structures politiques et la société,
les aspirations nées des idées nouvelles et les
résistances des tenants de l’ordre ancien.
Ajout aux repères
Le congrès de Vienne (1814-1815). »
Activités, consignes et productions des élèves
:
Conséquences et inconséquences de Vienne
Si le congrès prend également la décision
importante de condamner la traite des Noirs
et qu’il accorde la liberté de navigation sur
146
Au Congrès de Vienne du 1er octobre 1814 au 9 juin 1815, faisant suite au traité
de Paris du 30 mai 1814 les pays vainqueurs de Napoléon adoptent le principe de
rendre aux pays leurs frontières d'avant la Révolution française de 1789 sauf
aménagements.
Le traité de Vienne permet également la discussion sur d'autres points comme la
libre circulation navale, l'abolition de la Traite des noirs (et non pas de
l'esclavage), qui persiste cependant, et la mise en avant de la neutralité de la
Suisse.
Les enjeux du Congrès.
La tâche primordiale dévolue au Congrès consiste à redistribuer les conquêtes de
la France révolutionnaire et impériale, et elles sont nombreuses: Espagne,
Portugal, Belgique, Hollande, Hambourg, Dantzig, rive gauche du Rhin, royaume
de Westphalie, Suisse, Piémont-Savoie, Italie (dans sa presque totalité), Istrie,
Dalmatie, Slovénie. Et il faut absolument restaurer une communauté d'intérêt
germanique, François I ayant renoncé, en 1806, à la couronne du Saint-Empire.
les fleuves traversant plusieurs États ou
constituant une frontière politique, son
principal souci a donc bien été un vaste
rééquilibrage des nations et empires
européens. Mais ce redécoupage, qui assure
la paix continentale à la vieille Europe
absolutiste pendant près de quarante ans,
nourrit en son sein sa propre dégénérescence.
En effet, toutes les tractations se font au
détriment et au mépris du droit des
nationalités ou des confessions. Ainsi en va-til du Schleswig intégré de force au
Danemark, de la soumission des catholiques
belges à un souverain hollandais protestant ;
ainsi en va-t-il également du partage italien et
de l’émiettement allemand.
Les divers appétits se font jour:
La Russie: elle entend bien reconstituer sous son autorité la Pologne toute entière:
gardant la partie gagnée sur la Prusse et obtenant l'ancienne partie autrichienne,
quitte à ce que ces deux puissances trouvent des compensations ailleurs (la Prusse
en Allemagne, l'Autriche en Italie).
La Prusse: tout en gardant sa partie de Pologne, elle aimerait bien de s'arrondir de
toute la Saxe. Si elle doit perdre des morceaux de Pologne, elle compte sur la
Russie pour obtenir de conséquents dédommagements.
L'Autriche: son but est de remettre la main sur l'Italie, sans pour autant perdre une
seule parcelle de Pologne (elle craint une Russie trop forte, aux desseins évidents
sur les Balkans).
L'Angleterre: son but est de brider la France, par exemple par la création d'un
royaume des Pays-Bas, agrandi de la réunion de la Belgique à la Hollande, et
l'établissement, sur le Rhin, d'une puissance allemande forte. Comme
Constantinople occupe les pensées du cabinet britannique, elle n'est pas décidée à
céder la Pologne à Moscou.
Les Quatres se réunissent à Londres, en juin 1814. Mais ils ne parviennent pas à
régler leurs différents et le traité de Londres (29 juin) se borne à préciser que le
Congrès ne sera ouvert que lorsque les Quatre Puissances se seront entendues.
Dans la coulisse, les jeux semblent déjà faits: Prusse et Russie se sont mis
d'accord: la première cède sa Pologne à la seconde, étant entendu qu'elle lui fera
donner toute la Saxe (sans préjudice d'autres acquisitions). De leur coté,
l'Autriche et l'Angleterre sont en principe d'accord pour refuser la Pologne à la
Russie, mais sont loin de s'entendre sur la Saxe.
On le voit, les jeux sont loin d'être faits !
Et la France ?
Louis XVIII n'a, c'est clair, rien à revendiquer pour la France. Après tout, le traité
de Paris lui a rendu la France à peu près dans l'état où il l'avait quittée en 1791. Il
donne à Talleyrand, son représentant, la tâche de tenter de regrouper, autour de
lui, les États "secondaires", d'agir en représentant du principe de "légitimité"
suivant lequel "la souveraineté ne pouvait être acquise par le simple fait de la
conquête, ni passer au conquérant si le souverain ne la cède". (Qu'on ait donné à
la France la Savoie va à l'encontre, selon lui, de ce principe de "légitimité",
puisqu'elle appartient "légitimement" à son beau-frère de Sardaigne).
Les dates
18 septembre 1814. Début du congrès lors d’une séance plénière, réunissant les
Quatre, Angleterre, Autriche, Prusse et Russie. (L'ouverture du Congrès avait en
fait été prévue pour le 1er août, mais elle sera retardée au 1er novembre). Il est
décidé que trois Comités vont s'occuper: des intérêts communs et de la politique
étrangère en Europe (la France et l'Espagne vont être invités); des affaires
allemandes (en font partie Autriche, Prusse, Hanovre, Bavière, Württemberg);
enfin des affaires suisses. Les Alliés auraient bien aimé mener seuls les
discussions: Talleyrand s'y oppose, aidé en cela par les représentants de
l'Espagne, du Portugal et de la Suède. C'est donc finalement un Comité des Huit
qui va être l'organe principal du Congrès.
147
31 octobre 1814. Séance de travail des "Six" (La France et l’Espagne ont été
conviées à se joindre aux discussions), le prince Metternich est élu président du
Congrès, sur proposition de Talleyrand et avec l’accord de l’empereur François.
1 novembre 1814. Ouverture solennelle du Congrès.
6 mars 1815. Le Congrès apprend le retour de Napoléon de l’île d’Elbe. Pour le
Congrès, le retour de Napoléon, et son rétablissement sur le trône de France sont
intolérables: il est proscrit, dans une proclamation que l'empereur François a
atténué, jugeant les termes proposés par Talleyrand trop brutaux.
8 juin 1815. Le Congrès adopte la fondation de la Confédération Germanique.
9 juin 1815. Signature de l’acte final du Congrès. C’est la fin officielle du
Congrès.
Le Congrès s'amuse
Les Alliés se réunissent à Vienne sous l'égide de l'empereur et de son chancelier
et ministre des Affaires étrangères, l'habile Metternich (42 ans), . La France se
fait représenter par le non moins habile Talleyrand (60 ans).
Talleyrand s'incline devant le partage du grand-duché de Varsovie (résurgence de
l'ancienne Pologne) mais se flatte de sauver le royaume de Saxe, traditionnel allié
de la France, sur lequel lorgnait la Prusse. Celle-ci se console en annexant la
Rhénanie !...
De la même façon que les Polonais sont assujettis à leurs voisins sans qu'on leur
demande leur avis, les Belges sont réunis à leurs frères ennemis du nord dans le
royaume des Pays-Bas. Les Anglais veulent ce faisant prévenir une nouvelle
annexion de la Belgique et surtout du port d'Anvers par les Français.
Les Italiens de Lombardie et de Vénétie sont quant à eux réunis dans un
«royaume lombardo-vénitien», partie intégrante de l'empire d'Autriche !
Les négociations sont houleuses mais n'empêchent pas les très nombreux
participants de s'amuser dans un tourbillon de fêtes qui ressuscitent pour un
temps l'art de vivre de l'aristocratie du XVIIIe siècle.
Négociateurs et fêtards sont à peine troublés lorsqu'ils apprennent quele 1er mars
1815, Napoléon, l'empereur déchu, a quitté son royaume d'opérette de l'île d'Elbe
et débarqué à Golfe-Juan en vue de reprendre sa place à la tête de la France.
Les anciens Alliés se remobilisent contre l'Usurpateur. La France, malgré les
efforts de ses représentants, ne peut éviter une remise en cause du traité de Paris.
Elle doit se préparer à la perte de quelques nouveaux territoires et à une
occupation militaire que consacrera un deuxième traité de Paris.
L'Acte final
Le congrès clôt ses travaux sans même attendre la défaite définitive de Napoléon
1er à Waterloo (18 juin 1815).
– La Russie s'accroît de la plus grande partie de l'ancien grand-duché de
Varsovie, transformé en un «royaume de Pologne» directement inféodé au tsar.
– La Prusse reçoit la Poméranie suédoise, la Saxe du nord et surtout la
Westphalie et la plus grande partie de la Rhénanie.
– L'Autriche met la main sur la Lombardie et la Vénétie, la côte adriatique (Illyrie
et Dalmatie), le Tyrol et Salzbourg.
– La mosaïque allemande est réduite de 350 États à seulement 39, réunis au sein
d'une Confédération germanique sans plus de pouvoir que l'ancien Saint Empire
romain germanique.
– La péninsule italienne n'est plus divisée qu'en sept États.
– L'Espagne et le Portugal retrouvent leurs souverains... mais voient leurs
empires coloniaux se disloquer peu à peu.
– La Suède enlève la Norvège au Danemark, tout enconcédant aux Norvégiens
une très large autonomie.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Dès 1823-1824, les intérêts divergents des grandes puissances montrent le
caractère artificiel du découpage de 1815, contre lequel les révolutionnaires et les
nationalistes de toute l’Europe, mais aussi Napoléon III, ne cessent bientôt de
lutter, jusqu’à favoriser un nouvel éclatement de l’Europe et la redistribution des
nationalités à la fin du xixe siècle, lors de l’autre grande conférence diplomatique
du siècle, le congrès de Berlin de 1878.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
148
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