Fiches réalisées par Arnaud LEONARD (Lycée français de Varsovie, Pologne) à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur » des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC) 1 HM – L'Europe et l'élargissement du monde XVe-XVIe s. Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Serge Gruzinski, Le Destin brisé de l’Empire aztèque, Gallimard, coll. «Découvertes », Paris, 1995. (Spécialiste de l'Amérique latine, des colonisations de l'Amérique et de l'Asie, notamment des métissages et des espaces hybrides). C. Bernard et S. Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, Fayard, Paris, 1991. Jean Meyer, L’Europe à la conquête du Monde, Armand Colin, coll. «U», Paris, 1990. (un des spécialistes de l'histoire maritime à l'époque moderne). Bartolomé et Lucile Bennassar, 1492 Un monde nouveau ?, Perrin, 1991, 273 pages Michel Chandeigne (dir), Lisbonne hors les murs. 1415-1580. L'invention du monde par les navigateurs portugais, Autrement, 1992, 285 pages Guy Martinière et Consuelo Varela (dir), L'État du monde en 1492, La Découverte, 1992, 638 pages J. Favier, Les Grandes Découvertes, Fayard, Paris, 1991. Pierre Chaunu, Conquête et exploitation des Nouveaux Mondes, PUF, Paris, (1969) 1991. (spécialiste de l'Amérique espagnole et de l’histoire sociale et religieuse de la France des XVIe-XVIIIe siècles). Michel Lequenne, Christophe Colomb amiral de la mer océane, Gallimard, coll. «Découvertes », Paris, 1991. Marco Polo, Le devisement du monde, Textes choisis, Bibliothèque Gallimard, rééd., 1998. Christophe Colomb, Journal de bord 1492-1493, Imprimerie nationale, 1992. Stephen GREENBLATT, Ces merveilleuses possessions : découvertes et appropriation du Nouveau Monde au XVIe siècle, Les Belles Lettres, Paris, trad. fr., 1996 Documentation Photographique et diapos : Civilisations amérindiennes - n° 7022 (1994) / Claude Baudez, Danièle Lavallée 1492 : les royaumes ibériques - n° 7011 (1992) / Bernard Vincent, Jean-Frédéric Schaub « Les grandes découvertes », n° 6075, février 1985. Revues : Histoire de l'Amérique latine , Dossier H&G, 371 juillet août 2000 et 374 mai 2001 2000 ans de mondialisation / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 38, Hors-Série, Janvier-Mars 2008 : - « L'Europe à la conquête du monde » (Joël Cornette) : L'expansion géographique des Européens, à la fin du XVe siècle, bouleverse l'histoire du monde. Désormais, tout communique, les frontières sont abolies, la Terre est unifiée. Et les monarques se reprennent à rêver d'empire universel - Un christ métis (Serge Gruzinski) : Les conquistadors voulaient christianiser l'Amérique pour mieux l'assimiler. Ils y parvinrent au prix de massacres et d'un long travail sur les esprits. Mais aussi d'un certain nombre de malentendus : en adoptant le catholicisme, les indigènes l'ont profondément transformé - Ces plantes venues du Mexique (Martine Pedron) : L'arrivée des conquistadors en Amérique latine à la fin du XVe siècle est le point de départ d'un authentique métissage culinaire. Les produits importés d'Amérique modifient en profondeur la gastronomie européenne Pierre Chaunu: "Colomb, ce fou..." dans L'Espagne / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 31, Avril-Juin 2006 L’Histoire, n° spécial 146 : «1492 : la découverte de l’Amérique », juillet-août 1991. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des Enjeux didactiques (repères, notions et savoirs, concepts, problématique) : méthodes) : BO 5e actuel : « L’Europe à la découverte du L’objectif est de montrer comment et pourquoi la découverte de nouveaux monde (3 à 4 heures) mondes a été rendue possible et comment la découverte a entraîné la colonisation Les grands voyages de découverte terrestres et l’exploitation, premier temps de la domination européenne sur le monde. et maritimes sont analysés à partir d’une Une étude sur Marco Polo permet de faire le lien avec le Moyen Âge et de carte. La destruction des civilisations montrer ce que les explorateurs des XVe et XVIe siècles doivent à leurs amérindiennes et la constitution des premiers prédécesseurs. Ce sujet s’articule autour d’un axe central : la conquête de empires coloniaux font l’objet d’une étude l’Amérique. synthétique. • Cartes : les grandes découvertes ; les BO futur 5e : « Les découvertes européennes et la conquête des empires ouvrent empires coloniaux. le monde aux Européens. • Repère chronologique : prise de Grenade, Ouverture au monde : Christophe Colomb en Amérique (1492). - un voyage de découverte et un épisode de la conquête ; • Documents : Marco Polo : le Livre des - une carte des découvertes européennes et des premiers empires. Merveilles ; une caravelle. » Connaître et utiliser les repères suivants : − Le premier voyage de Christophe Colomb (1492) ou le voyage de Magellan Socle. Ajout au commentaire (1519-1521) sur une carte du monde « Le Livre des Merveilles de Marco Polo sert 2 Raconter et expliquer un épisode des découvertes ou de la conquête de l’empire espagnol d’Amérique » BO 2nde : « Humanisme et Renaissance – Une nouvelle vision de l'homme et du monde Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se produit une modification profonde de la vision de l'homme sur sa condition et sur le monde, ainsi que la naissance d'un esprit scientifique. Ces bouleversements sont facilités par les mutations importantes des moyens de communication et de diffusion des idées et des savoirs : invention de l'imprimerie, multiplication des universités, collèges et académies. L'utilisation de cartes permet de prendre conscience de l'élargissement du monde (les grandes découvertes) et de localiser les exemples choisis. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : La partie 1 met l’accent sur les raisons des grands voyages et les découvertes territoriales qui s’en suivent. Elle est étroitement liée à l’étude de cas qui suit sur les conditions matérielles des grandes découvertes ; à travers celle-ci on peut envisager les progrès techniques qui ont permis aux Européens d’affronter la haute mer. La partie 2 constitue donc le point fort de l’étude de la conquête de l’Amérique. L’étude des civilisations amérindiennes laisse place à la notion de «rencontre » (premiers contacts, conquête et colonisation) des Européens avec les Indiens. Il faut donc terminer logiquement cette étude par la présentation des premiers empires coloniaux et l’idée de domination européenne (partie 3). 1. L’aventure des grandes découvertes Mais où sont les isles fortunées... Tandis que Constantinople tombe aux mains des Turcs, l’Europe s’ouvre aux terres inconnues. Le Vénitien Marco Polo avait déjà connu la Chine au XIIIe siècle, les voyageurs de la Renaissance firent plus : Sumatra en 1419, Le Caire, Calicut, l’Abyssinie en 1494 ; Damas, Goa, Malacca... On part chercher les pays merveilleux que les fables et les chroniques médiévales ont tant décrits : l’Inde où les pygmées luttent contre les grues, où les hommes ont des têtes de chiens ; le paradis terrestre que l’on croit en Asie, visité déjà par Alexandre, et où séjournent les deux géants Gog et Magog, non loin du tombeau de l’apôtre Thomas et du royaume légendaire du Prêtre Jean. Naviguant d’une île à l’autre des petites Antilles, Colomb croit voir les cinq mille îles fortunées dont parlait Jean de Mandeville au début du XIVe siècle. Le Rio d’Oro (Eldorado) que l’on croit d’abord en Afrique est localisé et cherché sans relâche au Venezuela. L’Europe part en quête de ses rêves, mais aussi de l’or, de l’argent, des épices et des parfums, pour combler des besoins que le luxe de la Renaissance et les expéditions guerrières nécessitent. Vers l’est d’abord avec les bateaux portugais, puis vers l’ouest, ce sont les Espagnols qui foulent une terra incognita, sans que l’on ait tout de suite compris que Colomb venait de découvrir un continent ; les Français, les Anglais cherchent une route vers l’Extrême-Orient qui ne fût pas contrôlée par les Ibériques : surgit la côte nord-américaine et les glaces de la baie d’Hudson. Avec les voyages commence la curiosité pour les « sauvages ». Dans la deuxième moitié du XVIe siècle se multiplient les récits sur les mœurs, les coutumes étranges. L’homme européen venait d’apercevoir un nouveau rêve : il existait des peuples nus qui ignoraient la pudeur et la religion... Quelles parties du monde sont découvertes par les Européens entre la fin du XVe siècle et le XVIe siècle ? Au cours des XVe et XVIe siècles, les Européens ont déplacé les limites du monde connu. Vers 1400, les terres connues se limitent à l’Europe occidentale, à une partie de l’Asie (notamment grâce aux routes de la soie, des épices, de la porcelaine et aux voyages de Marco Polo), ainsi qu’à une partie des côtes de l’Afrique et à la péninsule arabique. Vers 1500, les hommes, grâce à des expéditions comme celles de B. Diaz (1487-1488) et de Vasco de Gama (14971499), complètent leur connaissance du pourtour africain ainsi que d’une partie de l’Inde. L’Extrême-Orient est lui aussi peu à peu mieux connu, tandis que la nouveauté essentielle de la fi n du XVe siècle et du début du XVIe réside dans la découverte et la conquête progressive du nouveau continent américain. Le 12 de support à une évocation du monde chinois. On veille à l’articulation de la découverte du continent américain par les Européens avec celle de l’Amérique en géographie. » Activités, consignes et productions des élèves : Marco Polo raconte ses aventures dans Le Livre des merveilles On a pu recenser cent quarante trois manuscrits du Livre des merveilles. Écrit au départ en français, il en existe diverses traductions. Henri le Navigateur et Christophe Colomb en possédèrent chacun un exemplaire illustré. La double page vise à la fois à présenter les aventures de Marco Polo et à montrer en quoi leur récit, conjuguant le réel et le légendaire, ont fasciné et inspiré les grands explorateurs des XVe et XVIe siècles. L’élargissement du monde connu Lorsque Christophe Colomb arrive au terme de son voyage, les Européens connaissent déjà la Chine (le voyage de Marco Polo a lieu entre 1275 et 1291), l’Inde et le SudEst asiatique. En Afrique, seul le littoral est connu ; le continent reste mystérieux : les navires portugais ont découvert et colonisé les îles du Cap-Vert, Madère et les Açores. Au-delà, s’étend la « mer océane » dont on ignore les limites. Le Portugais Magellan franchit une étape cruciale en contournant le continent américain (1519) : il découvre l’océan Pacifique. Son équipage rentre à San Lucar en 1522 en ayant effectué le tour du monde en 1483 jours (Magellan est mort aux Philippines). Vasco de Gama contourne l’Afrique (14971498) en empruntant le cap de BonneEspérance (découvert dix ans plus tôt par Bartolomé Diaz) et longe les côtes orientales du continent. Il explore ensuite l’océan Indien et ouvre la route des épices jusqu’à Goa. Les explorations des Français et des Anglais sont mineures, comparées aux empires que se taillent les Espagnols et les Portugais. La découverte de Colomb n’est pas immédiatement perçue comme un événement important (le navigateur pense lui-même avoir débarqué en Asie). Les représentations géographiques évoluent lentement, a fortiori quand elles remettent en cause la Bible et les autorités antiques. Amerigo Vespucci affirme en 1503 qu’il s’agit bien d’un nouveau continent et 3 octobre 1492, le Génois Christophe Colomb, persuadé d’avoir atteint l’Inde par l’ouest, découvre les Antilles. La découverte des Amériques se poursuit ensuite grâce à divers explorateurs comme Vespucci, Cabot, Magellan, Verrazzano, Cartier. Les navigateurs, grâce à leur audace et aux progrès de la navigation, s’éloignent des côtes et complètent la connaissance des mers et des océans. Ainsi, entre 1519 et 1522, l’expédition menée par le navigateur portugais Magellan puis par son second, Elcano, réalise le premier tour du monde par voie maritime, en contournant l’Amérique par le sud. Cela amène les hommes à découvrir que le globe est beaucoup plus vaste et complexe que tout ce que l’on avait pu imaginer. L’espace géographique connu s’élargit donc et les Européens prennent conscience de leur capacité à le maîtriser. Le planisphère de Toscanelli au milieu du XVe siècle L’Amérique, l’Océanie et l’Antarctique ne sont pas représentés car encore inconnus. Les parties du monde les mieux connues et représentées sont l’Europe et une partie de l’Asie. Le reste de ce dernier continent est cependant encore fi guré de façon très imprécise et fautive de même que l’Afrique. En 1507, une carte laisse percevoir des progrès dans la représentation de l’Afrique et du continent asiatique même si ces derniers restent encore mal connus. L’Océanie et l’Antarctique n’y apparaissent pas. Le phénomène le plus remarquable est la représentation du continent américain nouvellement découvert. Ces améliorations sont le fruit des Grandes Découvertes, favorisées par une meilleure connaissance de la carte des vents et des courants, par les progrès dans le domaine de la navigation et l’utilisation d’instruments de mesure comme la boussole ou l’astrolabe. Ces Découvertes sont aussi le résultat des motivations politiques, religieuses et économiques des souverains européens. Ainsi, les Portugais contournent l’Afrique (Diaz, Vasco de Gama) ; les Espagnols traversent l’Atlantique (Colomb) et découvrent l’Amérique. En 1503, Amerigo Vespucci affi rme qu’il s’agit d’un nouveau continent et non d’une île. Cette idée est reprise ici par Martin Waldseemüller qui donne sur sa carte le nom du navigateur au continent. Uun monde nouveau… Gravure de Théodore de Bry, 1594. Paris, BN. Le XVIe siècle s’ouvre au monde lors des Grandes Découvertes. La gravure de Théodore de Bry représente l’instrument des voyages transocéaniques: les trois caravelles de Christophe Colomb abordent Hispaniola. La gravure prévoit ce que devint la colonisation espagnole du continent américain, puisqu’en arrière-plan on voit les sauvages fuir devant le débarquement espagnol. Ce document condense ainsi plusieurs aspects des Grandes Découvertes, la croix plantée sur la plage évoquant le formidable élan missionnaire qui anima les colons. Au premier plan, la représentation de Colomb et des Indiens témoigne de cette découverte de « l’autre» d’où naîtra le mythe du bon sauvage en Europe. La découverte du monde Les Grandes Découvertes ont considérablement élargi le monde connu, puisqu’à la fin du XVIe siècle, les Européens ont mis le pied sur la plupart des continents. Les conquêtes coloniales n’ont cependant pas encore permis l’exploration de l’intérieur de certains continents : c’est le cas de l’Amérique du Sud, notamment le coeur amazonien du Brésil, ainsi qu’une partie de l’actuelle Bolivie. La logique d’une colonisation de comptoirs, qui ponctuent les côtes africaines, a de la même manière retardé la découverte de l’Afrique intérieure. Une partie de l’Amérique du Nord est encore vierge, tout comme l’Australie. De même, les moyens de la colonisation restent trop rudimentaires pour que les Européens s’aventurent dans le Grand Nord canadien ou sibérien. Les commerces méditerranéen et hanséatique développés pendant la période médiévale sont désormais concurrencés en valeur par des flux transocéaniques : en provenance d’Asie en contournant la corne de l’Afrique, mais aussi à partir de l’Afrique de l’Ouest, axe qui servira plus tard au commerce triangulaire. Ce sont surtout les flux transatlantiques qui se développent et qui permettent notamment l’afflux des métaux précieux du Nouveau Monde dans la péninsule Ibérique. non d’une île « car il s’étend sur une très grande longueur de côtes ». Cette idée est reprise en 1507 par un éditeur installé à Saint-Dié, Martin Walseemüller qui propose de baptiser le « quatrième continent » du nom du navigateur « subtil » qui a vraiment pris la mesure de l’immensité du territoire. Les grandes découvertes L’humanisme symbolise d’abord l’ouverture de nouveaux horizons géographiques. Les grands voyages sont favorisés par les conditions techniques (invention de la caravelle…), économiques (besoin de métaux précieux et d’épices) et religieuses (la fermeture de la route commerciale entre l’Occident et l’Extrême-Orient par les Ottomans relance l’esprit de reconquête). Ce mouvement est impulsé par le Portugal : les souverains patronnent des expéditions maritimes vers l’Afrique dans le but de ramener de l’or (Soudan), du sel, du sucre… C’est aussi à ce moment que débute la traite des Noirs (milieu du xve siècle). En 1476, le Génois Christophe Colomb développe le projet d’aller aux Indes en naviguant vers l’ouest. Son objectif est d’atteindre le Japon, dont Marco Polo (marchand vénitien du xıııe siècle qui a résidé en Chine) a vanté les richesses. La reine Isabelle de Castille accepte de financer l’expédition de Colomb. 1492 voit le départ de trois caravelles qui découvrent les Bahamas, Cuba, Haïti, et la côte de l’Amérique Centrale au cours de quatre voyages. Mais Christophe Colomb est convaincu d’avoir trouvé la route des Indes. C’est Amerigo Vespucci, reprenant le même trajet, qui découvre, sur les côtes du Venezuela, que cette terre est un nouveau continent. Parallèlement, Vasco de Gama, soutenu par le roi du Portugal Manuel Ier, se rend en Inde. Le Portugal contrôle alors l’océan Indien. Une expédition menée par Alvarez Cabral vers l’Amérique permet aussi la découverte du Brésil. L’expédition de trois ans (1519-1522) du Portugais Magellan accomplit le premier tour du monde. La preuve est faite qu’il existe une route occidentale vers les Indes et que la Terre est une sphère. Deux grandes découvertes sont effectuées par les Européens : – l’existence d’un quatrième continent. Celuici prendra le nom du navigateur Amerigo Vespucci qui est le premier à affirmer l’existence de ce continent au début du XVIe siècle ; – la preuve que la Terre est une sphère, grâce au voyage de Magellan, confirmant ainsi la géographie de Ptolémée. 2. La conquête de l’Amérique L’Occident découvre une nouvelle plante 4 La rencontre entre Christophe Colomb et les Indiens. Cette épître, connue sous le nom de « lettre à Santangel », est sûrement assez semblable à celle que Colomb adresse au même moment aux souverains espagnols, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, mais qui n’est pas parvenue jusqu’à nous. Elle rapporte le succès de son entreprise. Il y fait état de ses bonnes relations avec les populations rencontrées (« sans rencontrer aucune opposition »). Dans ses écrits, Colomb fait souvent mention de l’accueil que les autochtones lui réservent et des cérémonies de don et de contre-don qui le caractérise. Il se livre ici à une description de l’aspect physique (« tout nus », « belle stature », « pas noirs ») et des traits de caractère de ces populations qu’il présente comme dociles, naïves et inoffensives. Le Génois en fait une sorte de peuple infantile. Leur innocence, décrite ici, commence alors à alimenter le mythe du bon sauvage. ! Le texte de Colomb fait écho aux légendes entretenues autour de la cruauté supposée des populations indiennes. En effet, les Européens ont assimilé le nouveau monde tantôt à l’enfer, tantôt au paradis. Et l’indigène a pris la forme soit du cannibale, soit du bon sauvage. Si Colomb insiste sur le caractère vertueux et pacifi que des Indiens, contredisant l’image qu’on leur prête depuis l’Europe (« je n’ai pas encore rencontré d’hommes monstrueux »), il écrit néanmoins : « j’ai pourtant entendu dire qu’il y a une île peuplée de gens très féroces qui mangent la chair humaine ». Ainsi, des récits du XVIe siècle nous rapportent le culte sanguinaire des Aztèques, la cruauté de certains Indiens Caraïbes (d’où vient le terme cannibale) qui apparaissent comme une résurgence des récits antérieurs comme ceux de Marco Polo décrivant les cynocéphales, ces hommes à tête de chien qui aboient au lieu de parler et se nourrissent de chair humaine. Si le portrait des Indiens tracé par Colomb est positif, il est aussi assez méprisant dans la mesure où, le caractère pacifique et la bonté qu’il dépeint sont jugés comme une faiblesse exploitable par les Européens. Son discours annonce les dérapages de la colonisation future. Il propose en effet d’assujettir les Indiens et d’exploiter les ressources nombreuses de leur territoire (or, épices, coton, mastic, bois d’aloès…). On retrouve aussi dans ce texte la mission d’évangélisation que se donne Colomb mandaté par les souverains espagnols : « je leur donnai mille jolies choses pour qu’ils nous prennent en affection ; ils seront ainsi attirés à se faire chrétiens ». En effet, la colonisation a d’abord un objectif religieux, dans le prolongement de la Reconquista qui vient de se terminer avec la prise de Grenade en 1492. On peut voir dans cette lettre les prémisses d’une domination fondée sur des rapports de force, de mépris, d’exploitation et d’acculturation des populations. La conquête du Nouveau Monde « Les Indiens sont propres à être commandés » Dans cet extrait de son Journal de bord, Christophe Colomb rend compte de son premier voyage, qui lui a permis de découvrir les « Indes occidentales ». Il s’adresse à ses commanditaires, les Rois catholiques (« Vos Altesses »), Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Colomb justifie son premier voyage comme une mission d’évangélisation : « convertir ces peuples à notre Sainte Foi ». La colonisation a d’abord un objectif religieux, dans le prolongement de la Reconquista (qui vient de se terminer, avec la prise de Grenade en 1492). Colomb décrit les Indiens comme des êtres dociles et inoffensifs (« gens très pauvres en tout », « nus », autrement dit à l’état sauvage, sans « aucun culte », « sans génie pour le combat », « peureux », « propres à être commandés »). Vus par un Européen, ils constituent une sorte de peuple infantile. Colomb fait miroiter des richesses qui pourraient renforcer la position de l’Espagne. Les terres sont « bonnes et fertiles » et il semble y avoir de l’or. Colomb se présente comme l’envoyé du roi et de la reine d’Espagne. Il s’adresse à eux avec déférence, tout en leur conseillant assez fermement la marche à suivre. Le 17 avril 1492, les « capitulations » signées par les Rois catholiques confèrent à Colomb les titres d’amiral, vice-roi et gouverneur « des îles et terre ferme » qu’il pourra découvrir. Christophe Colomb débarque à Hispaniola (Haïti) en octobre 1492. Gravure de Théodore de Bry, 1594. B.N.F., Paris. Cette gravure est postérieure de presque un siècle à l’événement relaté et elle est loin d’être une image neutre. Théodore de Bry, graveur et éditeur installé à Francfort, est spécialisé dans la publication et l’illustration d’ouvrages dénonçant Le voyageur français Jean de Léry livre en 1578 un véritable bréviaire d’ethnologie dans le récit de son voyage au Brésil. Il y étudie la peuplade des Indiens Toupinanbaou, et s’intéresse notamment à leur langage. Huguenot, il trouve dans les cannibales une métaphore des catholiques, dévoreurs du corps du Christ. Dans cet extrait, il fait la description du tabac, qui commence à être introduit en Europe et en Asie au XVIe siècle. Jean de Léry décrit ainsi la pipe rudimentaire qu’utilisent les indigènes pour fumer la plante à laquelle la médecine européenne prêtait des effets revigorants. Mais l’approche de Léry se veut aussi sociologique, puisque les dernières lignes montrent la fonction sociale qu’occupe le tabac, qui est un moyen d’échange entre individus. Les empires coloniaux Les empires coloniaux de l’Espagne et du Portugal sont de nature différente. Dans l’océan Indien, les Portugais ont développé un empire purement commercial qui repose sur une chaîne de comptoirs fortifiés, sur les côtes d’Afrique, d’Inde, jusqu’en Chine et au Japon. Ils colonisent aussi le Brésil. Pour prendre le contrôle de ce commerce, les Portugais s’efforcent de briser les échanges du monde musulman préexistants. Ils s’attaquent donc aux clés de l’océan Indien : Malacca (1511), Ormuz (1515). Pour payer les produits asiatiques, les Portugais exportent des produits européens comme le cuivre, le mercure, l’alun… mais les échanges sont déficitaires, ils doivent donc payer en or et en argent, en particulier d’Amérique. Les Espagnols conquièrent un immense territoire. Ils installent une administration et exploitent les richesses des territoires conquis (mines et plantations). Les produits expédiés vers l’Europe sont : la soie de Chine, les épices d’Inde, l’ivoire, les esclaves et l’or d’Afrique, le sucre et le bois du Brésil, le sucre des Antilles, l’argent du Mexique et des mines du Potosi dans l’actuelle Bolivie, et l’or de l’actuel Pérou. Vue de Séville au XVIe siècle. Tableau de Francisco Pacheco,musée des Amériques, Madrid. Ce tableau permet d’évoquer le développement, à partir des grandes découvertes, des ports de l’Atlantique, et en particulier Séville. On fera observer l’activité intense et fébrile qui semble y régner en faisant relever le nombre de navires à quai et les personnages qui s’activent pour embarquer ou débarquer des marchandises. Les bateaux arrivent du Nouveau Monde chargés d’or et d’argent et repartent avec des produits de la métropole : vin, huile, meubles, chaussures, draps et soieries… Séville reste 5 la brutalité de la conquête coloniale, comme ceux de Las Casas. Il travaille avec les protestants hollandais et les huguenots français qui utilisent une thématique anti-colonialiste dans leur combat contre l’Espagne catholique. Les trois caravelles de l’Amiral sont visibles : l’une vient de jeter l’ancre (l’équipage met pied à terre), les deux autres entrent dans la rade. Ce sont des vaisseaux d’une longueur de 30 mètres environ, dotés du gouvernail d’étambot, équipés de trois mâts portant cinq voiles, ce qui permet une meilleure utilisation du vent. Pacifiques (ils n’ont pas d’armes), les Indiens viennent à la rencontre des Européens en leur apportant des cadeaux (bijoux, coffre) : les colons semblent accueillis comme s’ils étaient « venus du Ciel » (Las Casas). L’image est divisée en deux plans distincts : de part et d’autre de la lance tenue par Colomb (qui se prolonge par l’un des mâts du bateau amarré). À droite, le monde sauvage où les colons viennent juste de débarquer. Dans un paysage peu réaliste, les indigènes sont nus. Au fond de l’image, certains s’enfuient à la vue des arrivants. À gauche, le monde de la civilisation, celui de la religion catholique et de la « modernité » technique (les bateaux, les armes). Nudité et docilité des indigènes contrastent nettement avec l’apparence des premiers conquistadores (richement vêtus, sûrs d’eux et de leur pouvoir). L’image cherche à accentuer le contraste entre le monde des « bons sauvages », celui de la nudité et de l’innocence, et le monde des conquistadores, à la violence sous-jacente (les deux soldats derrière Colomb ne sont guère avenants !). longtemps la seule ville autorisée par la couronne à commercer avec l’Amérique, d’où sa prospérité. La casa de contratacion ou chambre de commerce de Séville, fondée en 1503, organise le départ des flottes et s’occupe de toute l’administration du voyage. Elle assure aussi la formation des pilotes et perçoit les impôts sur les marchandises débarquées. L’évangélisation des Indiens. Illustrations de la Nueva Cronica y buen gobierno, rédigée vers 1613. Sur les différentes images, on peut voir : – un moine (reconnaissable à sa tonsure et à sa robe), qui semble superviser le travail des indigènes [vignette en haut à gauche] ; – un évêque (coiffé de sa mitre), qui bénit un mariage indigène [vignette en haut à droite] ; – un cardinal (coiffé de son chapeau caractéristique), qui bénit un colon (?) [vignette en bas à droite]. L’évangélisation se traduit concrètement dans la vie des Indiens. Le paysage se christianise, avec la construction d’églises [vignette en bas au centre] et l’organisation des « réductions » [vignette en haut au centre] : ces villages fortifiés mettent en commun, sous contrôle de l’Église, les terres, avec, en leur centre, l’église. Les Indiens travaillent (tissage) et adoptent les moeurs chrétiennes (mariage, dévotion et prières). Des millions de morts Fils d’un compagnon de Christophe Colomb, Las Casas (1474-1566) gagne Hispaniola en 1502 et y est ordonné prêtre. En prenant en charge l’encomienda familiale (vastes propriétés concédées aux grandes familles et aux conquistadores par la Couronne espagnole et où les propriétaires exercent des pouvoirs absolus), il s’insurge très vite contre le sort réservé aux indigènes. Dans son Mémoire pour la réformation des Indes (1516), il plaide pour la suppression de l’encomienda. Au Guatemala, le gouverneur lui attribue en 1540 une région entière « de vera paz » (terre de vraie paix) : aucun homme en arme ne peut y pénétrer et seuls les dominicains peuvent évangéliser les indigènes. Il est très contesté par les colons, mais bénéficie de l’appui de l’évêque de Mexico et devient lui-même évêque du Chiapas, au Mexique (1544). En 1542, il adresse ce mémoire à l’empereur Charles Quint. Son ouvrage est publié à Séville en 1552. Véritable réquisitoire contre la barbarie et la violence extrême des conquistadores, le récit en appelle aussi à la reprise en main par l’empereur lui-même de son autorité, diminuée outre-Atlantique par ces exactions, « commises en son nom et indignes d’un prince chrétien ». Las Casas participe à la Controverse de Valladolid, organisée en 1550 par l’empereur. Convaincu que « le lignage des hommes est un », il se prononce, contre Juan Gines de Sepulveda, en faveur d’une évangélisation pacifique et de traitements équitables pour ces « enfants de Dieu ». Las Casas compare les Espagnols à des bêtes fauves (« tels des loups, des tigres et des lions très cruels ») qui fondent sur la bergerie (les indigènes sont de « douces brebis »). Il assimile aussi implicitement les conquistadores à des créatures diaboliques, puisqu’il évoque les « actions infernales des chrétiens » et insiste sur leur cruauté gratuite à l’encontre d’êtres incapables de faire le mal. La mortalité des indigènes est évoquée dans la durée (« depuis quarante ans ») et chiffrée à « douze millions d’âmes ». La cause explicitement avancée par Las Cases est la violence (les « 6 tueries »). L’auteur fait indirectement référence à une autre cause de la mortalité : les maladies importées d’Europe qui ont frappé des organismes non préparés (« santé plus délicate »). L’effondrement démographique de l’Amérique indienne s’explique avant tout par les épidémies qui ont touché des populations sans défenses immunitaires appropriées (grippe, variole, rougeole, oreillons, typhus…). L’île d’Hispaniola est sans doute passée de 8 millions d’habitants en 1492 à 61 000 en 1508, le Mexique de 25 millions d’habitants en 1519 à 1 million en 1605 ! La controverse de Valladolid La question du droit des Indiens se posait dans le cadre d’un double contexte propre à la péninsule Ibérique : d’une part le développement d’une nouvelle scolastique à Salamanque plus favorable aux Indiens, d’autre part le questionnement sur l’existence d’un droit naturel qui aurait conféré aux chrétiens des droits particuliers. Ce droit naturel ayant été forgé par Dieu, la justification de la christianisation paraissait toute trouvée. C’est cependant lors de la controverse de Valladolid qu’elle fut tranchée de manière définitive, alors même qu’une partie du clergé catholique contestait les pratiques d’une colonisation atroce fondée sur le mécanisme de l’encomendia – tribut en travail payé par l’indigène. L’enjeu fondamental de la controverse était donc de savoir si la colonisation pouvait être justifiée par des impératifs religieux, une simple justification économique de la conquête se heurtant à certaines positions ecclésiastiques. À Valladolid, la colonisation retrouvait sa vocation missionnaire : nul doute que la pratique du cannibalisme fut sans doute l’un des éléments qui frappaient le plus les contemporains. 3. Les empires ibériques (XV-XVIe s) Cette leçon répond à trois objectifs : – montrer la naissance des empires coloniaux avec le partage du monde lors du traité de Tordesillas, et la mise en place d’une économie coloniale basée sur l’exploitation des richesses (mines et plantations), et l’asservissement des populations ; – faire remarquer simplement le passage de « l’économie-monde » (Braudel) de la mer Méditerranée vers l’Atlantique ; – mettre en lumière la catastrophe démographique qui a accompagné ces bouleversements, liée à l’asservissement dans le cadre des encomiendas et la diffusion des épidémies venues d’Europe. Quelle part pour la France ? Avec la célèbre bulle dite du partage du monde (4 mai 1493), le pape donne son assentiment au partage des territoires découverts. La condition pour cette dotation du pape Alexandre VI est que les bénéficiaires porteront partout la parole de Dieu. L’Espagne et le Portugal se partagent les terres découvertes et celles à découvrir le 7 juin 1494 par le traité de Tordesillas arbitré par Rome : ce qui se trouve à l’ouest du 47e méridien ouest sera pour l’Espagne, ce qui est à l’est pour le Portugal. Les deux puissances ont respecté le traité mais pour les autres nations laissées pour compte, il restera lettre morte. D’où les revendications de François Ier. La mine d’argent du Potosi. Gravure de Théodore de Bry, 1562. L’exploitation minière est l’un des piliers de l’économie de l’empire espagnol. Les métaux précieux forment environ 95 % des exportations américaines. Au début il s’agit de l’or. L’argent ne vient que plus tardivement avec l’ouverture des mines de la Nouvelle-Espagne (1530-1545) et la découverte du Potosi en 1545 dans l’actuelle Bolivie. En 1611, Potosi devient le premier centre de l’industrie minière au monde avec près de 150 000 habitants. La production de l’argent fait un bond entre 1560 et 1575 avec l’adoption de l’amalgame au mercure. Le système est rentable, mais le mercure est toxique pour les Indiens qui doivent le piétiner. Les conditions des mineurs, recrutés selon le système inca de la mita (sorte de corvée) dévoyé par l’exploitation coloniale, sont extrêmement pénibles à 4 000 mètres d’altitude sur l’altiplano bolivien. Les Indiens doivent travailler cinq jours et cinq nuits d’affilée et chaque mineur doit rapporter à la surface 25 paniers de 50 kg de minerai par journée de travail. Les Indiens travaillent avec des pioches et remontent le minerai sur leur dos. L’argent constitue l’essentiel de 7 la cargaison des galions de la fameuse « carrière des Indes ». Un cinquième de ce chargement revient directement au roi d’Espagne. L’évolution de la population amérindienne au XVIe siècle Ce graphique issu de l’ouvrage de P. Chaunu, Conquête et exploitation des Nouveaux Mondes, est intéressant parce qu’il met en évidence le cataclysme démographique qui a eu lieu au XVIe siècle (facilement repérable) sur lequel tous les historiens sont d’accord. Les nombres eux-mêmes sont sujets à de vives controverses car il est difficile de faire un réel bilan. Il n’existe évidemment pas de recensement couvrant l’ensemble du continent. Les sources sont d’origine coloniale souvent issue de documents fiscaux. Les hypothèses oscillent entre 12 et 100 millions d’habitants pour l’Amérique de 1492 ! Il faut bien souligner que cet effondrement démographique n’est pas dû aux actions meurtrières des conquérants, même s’ils ont souvent été d’une extrême cruauté. Les historiens retiennent surtout : – l’oppression coloniale et le travail forcé dans les mines et les plantations ; – l’effondrement des valeurs morales et religieuses des Indiens qui les poussent au désespoir : les sources témoignent de nombreux cas de suicides et d’infanticides ; – et comme principale cause les épidémies venues de l’Ancien Monde, la grippe, la variole, la rougeole, la peste pneumonique. Au XVIe siècle, la population indienne subit une chute vertigineuse puisqu’elle passe d’environ 26 millions en 1519 à un peu plus d’un million en 1605. C’est pourquoi de nombreux historiens ont pu parler de génocide. Le cataclysme se poursuit aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles et jusqu’à nos jours dans certaines régions. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Les Indiens sont perçus par les Européens comme une population « primitive », restée dans l’enfance de l’humanité. La colonisation doit donc leur apporter la civilisation, et d’abord la religion chrétienne. Mais l’évangélisation ne saurait cacher les autres motivations de la conquête du Nouveau Monde : le désir d’enrichissement et de pouvoir. La colonisation permet aux Espagnols de s’emparer des richesses de l’Amérique et elle se traduit par une tragique dépopulation, dénoncée par ceux qui refusent de considérer les indigènes comme des « sous-hommes ». Comment les Grandes Découvertes ont-elles transformé la vision européenne du monde ? En élargissant l’univers connu, les Européens, forts de leur supériorité technique, économique et militaire, se retrouvent au centre d’un monde aux larges potentialités. Les Grandes Découvertes font progresser la représentation cartographique. Les cartes deviennent ainsi plus précises et plus fiables. Bien qu’elles conservent des erreurs, elles développent la représentation mentale de l’espace géographique des hommes de la Renaissance. Les Européens, confrontés à de nouvelles civilisations, animés par un sentiment de supériorité, se proposent en modèle et prennent rapidement la mesure des bénéfices qu’ils peuvent tirer de l’exploitation des territoires découverts, tant sur le plan politique qu’économique avec la mise en place progressive d’empires coloniaux. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 8 HM – La Renaissance Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Faut-il parler d’une ou de plusieurs Renaissances ? Le terme de « Renaissance » peut être compris de deux manières : soit comme une révolution artistique en rupture totale avec l’art du Moyen Âge (« style gothique et barbare »), soit comme une période historique (dans ce cas, il faut s’interroger sur l’unité et l’homogénéité de cette période qui fait la transition entre le Moyen Âge et les Temps Modernes). L’affirmation de cette révolution artistique a d’abord nécessité une certaine unité (même si plusieurs foyers apparaissent dès le XVe siècle) permettant de définir une esthétique nouvelle, avant que les éléments de diversité ne finissent par l’emporter, les expressions nationales s’émancipant du modèle italien. Cette recherche de l’originalité, d’une « manière » propre à chaque artiste, conduit à la remise en cause de l’esthétique de la Renaissance à partir des années 1530 : c’est le début du maniérisme (cf. le Gréco). Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : Jacob Burckhardt (1818-1897) , La Civilisation de la Renaissance en Italie, t. I & II, (1860), Denoël, 1981 Jean DELUMEAU, La civilisation de la Renaissance, Arthaud, « Les grandes civilisations », 1973 (spécialiste du christianisme, en particulier de la période de la Renaissance) Jean DELUMEAU, Une histoire de la Renaissance, Perrin, 1999 André CHASTEL(1912-1990), Alexandre KOYRÉ, Lucien FEBVRE, Léonard de Vinci et l’expérience scientifique au XVIe siècle, CNRS/PUF, Paris, 1953 André CHASTEL et Robert KLEIN, L’humanisme. L’Europe de la Renaissance, Skira, 1995. John Hale, La civilisation de l'Europe à la Renaissance, Perrin, 1993, Paris, Le Seuil, 2002.(spécialiste de la Renaissance) John Hale, Dictionnaire de la Renaissance italienne, Thames et Hudson, Paris, 1997. Peter Burke, La Renaissance européenne, Seuil, coll. « Faire l’Europe », Paris, 2000 et coll. « Points Histoire », Paris, 2002. Daniel ARASSE, Le sujet dans le tableau, Flammarion, Paris, 1997. D. Arasse, Léonard de Vinci, Hazan, nouv. éd., Paris, 2003. E. 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La révolution humaniste, Un nouvel âge d’or, SOPHIE HOUDARD, TDC, N° 730, du 15 au 28 février 1997 Carte murale : 9 Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : L’humanisme est un mouvement culturel multiforme, à la fois philologique, philosophique, scientifique et artistique, puisqu’il constitue en quelque sorte le programme intellectuel de la Renaissance. Il est difficile de présenter simplement un mouvement aussi complexe. Cette période est aux origines de la « modernité ». En replaçant l’homme au centre de l’univers, en affirmant sa confiance dans les progrès de la connaissance, l’humanisme permet le développement du rationalisme scientifique, de l’individualisme. La découverte de nouveaux mondes contraint les savants à redéfinir les limites de l’humanité. Les conséquences religieuses de ce mouvement sont ambiguës, puisque l’humanisme prépare le terrain à la Réforme, tout en restant attaché au libre arbitre de l’homme que les protestants nient. Les conséquences esthétiques sont immenses : les grands artistes de la Renaissance, qui symbolisent par leur génie même le pouvoir créateur de l’homme, inventent un art nouveau. En parcourant l’Europe de la Renaissance, les élèves doivent comprendre comment cette culture moderne est née dans le « grand atelier » italien et comment elle s’est diffusée. L’usage du mot « Renaissance » commence avec les contemporains du phénomène : Vasari (1511-1574) appelle de ses voeux la « renaissance » de la civilisation antique. Dans ses Vies, il situe le début de cette période faste avec Giotto (1267-1337) et Masaccio (1401-1428) et la clôt à la mort de Michel-Ange (1564). Mais le concept de Renaissance est une création des historiens du XIXe siècle comme Jacob Buckhard dans la Civilisation de la Renaissance en Italie (1860). Le mot est alors lié à l’esprit positiviste naissant et au contexte politique et économique exaltant la bourgeoisie libérale et sa volonté de puissance. C’est bien le XIXe siècle qui, en inventant le Moyen Âge et la Renaissance, opposa ces deux périodes : aux temps « obscurs et barbares », succédait une période d’épanouissement éclairant les arts et l’individu. La Renaissance et l’humanisme furent donc identifiés à une période de rupture : leur programme culturel devint synonyme de libération de l’homme. Les historiens actuels, sans nier les facteurs de rupture, tendent à nuancer une vision trop simpliste. On sait aujourd’hui que le XIIe siècle inaugura des changements importants dans les mentalités, que la « révolution culturelle » s’épanouit dès le XIVe siècle en Italie et connut son essor véritable dès le Quattrocento (XVe siècle). Aujourd’hui, beaucoup d’historiens et d’historiens de l’art, dans la mouvance d’André Chastel, travaillent sur la transition lente entre l’art gothique et l’art renaissant (la continuité étant sans doute plus visible dans la peinture flamande et allemande que dans la peinture italienne). La notion même de Renaissance, si elle trouve son origine dans la pensée de certains auteurs du XVIe siècle, a essentiellement été forgée postérieurement, afin de donner corps à la supposée rupture avec le Moyen Âge qui intervient dans les années 1450, voire quelques décennies plus tôt pour certaines parties de l’Italie. Cette approche fondée sur une cassure nette entre le Moyen Âge et la Renaissance est fortement artificielle. Toute une partie de l’historiographie récente s’est attachée à démontrer comment la plupart des bouleversements du XVIe siècle plongent leurs racines dans l’Europe au sortir de la Grande Peste. Mais il est de grands évènements symboliques, de grands personnages, ou des accélérations brutales de l’histoire, comme la Réforme, qui contribuent à fortement individualiser cette période. Si le Quattrocento italien anticipe très certainement sur les évolutions artistiques postérieures, la période d’extraordinaire floraison artistique de la première moitié du XVIe siècle apparaît comme unique. Un tournant s’opère à la fin du XVe siècle. Les premières expériences italiennes se diffusent et se confrontent à d’autres foyers culturels pour former cette « civilisation de la Renaissance », concept élaboré par Jacob Burckhardt vers 1860. L’historiographie de la question a été profondément renouvelée dans les deux dernières décennies. Les grands travaux des années 1950-1980 ont défriché une large part de la question, dans des domaines aussi variés que l’histoire culturelle (P. Burke), l’histoire de la lecture (R. Chartier), ou l’histoire de l’art (A. Chastel). Les recherches actuelles vont dans deux directions. Elles ont ouvert des champs d’études nouveaux, partiellement délaissés jusque-là : c’est le cas de l’histoire des Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 5e actuel : « Humanisme, Renaissance, Réformes (6 à 8 heures) À partir de textes et d’oeuvres d’art, les élèves perçoivent le renouvellement des idées et des formes. • Cartes : les principaux foyers de l’humanisme et de la Renaissance • Repères chronologiques : la Bible de Gutenberg (milieu du XVe siècle) • Documents : extraits d’oeuvres de Rabelais ; la Chapelle Sixtine ; un château de la Renaissance. BO 5e futur : « La Renaissance renouvelle les formes de l’expression artistique ; Bouleversements culturels : − la vie et l’oeuvre, d’un artiste ou d’un mécène de la Renaissance ou un lieu et ses oeuvres d’art ; − une carte des foyers et de la diffusion de la Renaissance. Connaître et utiliser les repères suivants : − La Renaissance (XVe - XVIe siècle) et ses foyers en Europe Raconter un épisode de la vie d’un artiste ou d’un mécène ou décrire un monument ou une oeuvre d’art comme témoignages de la Renaissance. BO 2nde : « Humanisme et Renaissance – Une nouvelle vision de l'homme et du monde – La Renaissance artistique Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se produit une modification profonde de la vision de l'homme sur sa condition et sur le monde, ainsi que la naissance d'un esprit scientifique. Ces bouleversements sont facilités par les mutations importantes des moyens de communication et de diffusion des idées et des savoirs : invention de l'imprimerie, multiplication des universités, collèges et académies. Il s'agit de privilégier l'exploitation de quelques documents variés (extraits des grands auteurs de l'Humanisme, oeuvres d'art de la Renaissance) pour mettre en relation les différents domaines du sujet et faire apparaître ruptures et continuités. Entrées possibles : des personnalités (des écrivains, des artistes, des mécènes), des foyers de création (Florence, Rome, Flandres, etc.) ou des oeuvres emblématiques (peintures, sculptures, etc.). » UNE INVENTION DU XIXe SIECLE C’est pourtant le XIXe siècle français qui « inventa » le Moyen Âge et la Renaissance et décida ainsi, en opposant ces deux périodes, de donner à la notion d’humanisme, à ce qui fut un gigantesque mouvement intellectuel, le sens prestigieux qu’on lui accorde depuis. Après la Restauration, en effet, l’échec de la révolution de 1848 et la prise du pouvoir par 10 techniques en plein renouvellement. Parallèlement, on assiste au prolongement d’une démarche déjà initiée dans les années 1970, soit la remise en cause des modèles d’interprétation historique antérieurs. C’est ainsi que l’idée du « beau XVIe siècle» est de plus en plus critiquée, tout comme certaines interprétations d’une prestigieuse historiographie économique héritée de Braudel et de Chaunu. Tous ces travaux nuancent et complexifient à l’extrême le problème fondamental de cette période renaissante, qui explique qu’elle soit un « fondement du monde contemporain ». La Renaissance est perçue, dès le XIXe siècle, comme le synonyme de la modernité fondée sur la découverte du monde et de l’homme, alors que la Réforme est interprétée comme une première manifestation de la libération des individus vis-à-vis de l’Église. Cette grille d’analyse un peu romantique a été largement critiquée depuis. Mais toute schématique qu’elle soit, cette interprétation montre comment la Renaissance constitue une rupture pour l’Europe. S’ils ne naissent pas brutalement au XVIe siècle, de grands concepts et de nouvelles réalités s’y donnent désormais à voir à l’échelle européenne. L’État, l’individu, l’artiste sont autant d’exemples de ces grands piliers de la modernité que la Renaissance contribue à révéler. Ils connaîtront leur apogée aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais les fondements de ce monde moderne ne peuvent se déceler que pendant la période qui court du début du XVe au début des guerres de religion. En quoi les hommes de la Renaissance ont-ils voulu rompre avec le passé et bâtir un monde nouveau ? Dans une lettre du 26 février 1517, Érasme écrit pressentir « les approches d’un nouvel âge d’or » qui verrait la paix succéder à la guerre, le développement des lettres, des sciences, du droit et le renouveau de la piété succéder aux ténèbres de l’ignorance. L’Italien Vasari, dans ses Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes italiens (1550), utilise le mot rinàscita pour qualifier le renouveau des arts et appelle de ses voeux la « renaissance » de la civilisation antique. Mais le concept de « Renaissance » est une création des historiens du XIXe siècle comme J. Burckhardt et Jules Michelet qui, en inventant le Moyen Âge et la Renaissance, opposent ces deux périodes. Pour eux, la Renaissance est une rupture qui voit la fi n des temps « obscurs et barbares » laisser place à une période d’épanouissement éclairant les arts et les individus, et les libérant. Cette vision est désormais jugée trop simpliste par les historiens qui, sans nier les facteurs de rupture, montrent que le Moyen Âge n’est peut-être pas si radicalement coupé des siècles qui le suivent, pointant les archaïsmes des XVe et XVIe siècles. Ainsi, l’entreprise humaniste qui vise à revaloriser la nature humaine s’ancre dans la réflexion de Thomas d’Aquin sur les besoins spirituels de l’homme. Dans la mouvance d’André Chastel, beaucoup d’historiens et d’historiens de l’art travaillent désormais sur la transition lente entre l’art gothique et l’art renaissant. Si la continuité est plus visible dans l’art flamand et allemand que dans l’art italien, l’exemple des fresques de Benozzo Gozzoli dans la chapelle privée du palais des Médicis à Florence montre la pérennité du style gothique international. De même, les cérémonies civiques florentines, si elles se réfèrent à l’Antiquité, empruntent aussi largement au vocabulaire chevaleresque avec ses tournois et ses emblèmes. Cependant, l’époque correspond bien à un moment historique particulier, où, entre le XVe et le XVIe siècle, plusieurs générations d’artistes, d’intellectuels et de savants ont le sentiment que des temps nouveaux sont venus, marquant une rupture nette avec la période médiévale qualifiée avec mépris de « gothique » (Pétrarque). Ainsi, la conscience d’appartenir à un siècle unique est constitutive d’un renouveau culturel, partagé au moins par certaines élites. Louis-Napoléon Bonaparte qui en résulta, les historiens républicains – Jules Michelet d’abord – produisirent les images odieuses des abus féodaux et des superstitions religieuses. La Renaissance, perçue comme une époque de rupture avec le passé médiéval, et l’humanisme, son programme culturel, devinrent dès lors et pour longtemps synonymes de la libération de l’homme et du peuple des superstitions et des servitudes « moyenâgeuses ». Jacob Burckhardt (18181897), l’historien d’art suisse dont l’intérêt se porta sur la Renaissance italienne, y voyait quant à lui l’apparition de l’individualisme et de la modernité. On sait mieux aujourd’hui, grâce aux travaux des médiévistes, que le XIIe siècle inaugura ce changement des mentalités et élabora cette révolution culturelle qui devait s’épanouir aux XVe et XVIe siècles. La Renaissance des XVe et XVIe siècles ouvrit bien la carrière à une nouvelle sensibilité. Elle fut le cadre historique du renouveau culturel dont l’humanisme écrira dans les arts et dans les sciences les plus belles pages. Les deux notions appartiennent cependant encore trop souvent à nos croyances, à une mémoire idéologique et politique lourde des mythologies que les cultures construisent et défont dès qu’elles se contemplent et s’écrivent. Or, la Renaissance a beaucoup parlé d’elle-même, et bien avant le XIXe siècle, elle forgea le mythe de la lumière venant éblouir les ténèbres du Moyen Âge : du sud au nord, tous les humanistes disent ensemble le renouveau, le changement, le mouvement. On applaudit à la « novelté », au possible, à la curiosité et si, dans le détail, les objets ne sont pas vraiment nouveaux – le Moyen Âge a déjà beaucoup découvert –, les attitudes, la sensibilité se transforment ou plutôt aspirent à la transformation. Comment la vision du monde s’est-elle transformée à l’époque de la Renaissance ? La redécouverte des oeuvres de l’Antiquité, le développement des sciences, l’élargissement de la connaissance du monde grâce aux grands voyages de découvertes accouchent d’une nouvelle vision de l’homme et du monde. L’homme se découvre libre d’entreprendre, de raisonner, d’innover, de créer. L’art de la Renaissance met en place un nouveau système de représentation qui, par ses images, ses formes, ses volumes, exprime tout autant que les humanistes une nouvelle conception du monde et de l’individu, allant de pair avec la place grandissante de l’économie marchande, du développement des États et de la remise en cause de l’autorité de l’Église. 11 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Avec l’humanisme, l’homme devient comme l’un de ces géants de Rabelais, curieux, sûr de lui, découvreur de nouveaux mondes, mais aussi de livres, de formes artistiques et de sciences nouvelles. Les humanistes furent, à coup sûr, des géants qui mirent le monde à leur portée, et qui, sous le regard de Dieu, décidèrent d’arpenter l’univers avec confiance et optimisme. Dans une lettre enthousiaste du 26 février 1517, Érasme affirme pressentir « les approches d’un âge d’or » : au fer succéderait l’or de la paix, aux ténèbres de l’ignorance la lumière des lettres, des sciences et du droit, à la décadence des églises le renouveau de la piété. L’humanisme est né, c’est-à-dire cette foi en l’homme, cette conviction que l’esprit humain, le savoir, les arts, l’élégance des formes, alliés à la charité chrétienne, donneraient aux hommes une civilisation magnifique, pacifiée, éloignée de toute barbarie. Toute l’Europe a l’impression de participer au même mouvement de renouveau culturel, d’enthousiasme créateur. Le savoir sera la clé de ce rêve, car c’est par la culture que l’homme échappera à sa misère. LE BERCEAU ITALIEN C’est dans l’Italie du Quattrocento (XVe siècle), véritable berceau de l’humanisme, que puisèrent les autres pays. Les humanistes italiens furent les premiers, bientôt suivis par le reste de l’Europe, à penser l’homme et le monde en terme de rupture. Le mot même de Rinascità apparaît dans l’Italie du XVe siècle, accompagnant l’obscure conscience d’une fin. Car la Renaissance fut d’abord perçue comme la mort d’une époque, le deuil à faire d’une vision de l’homme et du monde sur lequel s’élèvent l’appel fervent à l’édification d’un monde neuf et la certitude que l’homme est capable de le reconstruire lui-même. L’humanisme est le mouvement littéraire, philosophique, artistique qui exalte cette dignité nouvelle de l’homme : il s’exprime dans les tableaux, les poèmes, la musique, les expériences médicales, où chacun a la certitude de faire revivre l’Antiquité comme un modèle à égaler. Tous les humanistes ont, en effet, conscience de rompre avec les temps obscurs et barbares qui les ont précédés : « Par la bonté divine, s’exclame le Gargantua de Rabelais, la lumière et dignité a été de mon âge rendue ès lettres... » Le poète italien Pétrarque (1304-1374) fut peut-être le premier à séparer l’époque ancienne (antiqua) – antérieure à l’adoption du christianisme par les empereurs romains – et la moderne (nova) qui dure depuis lors. Cet âge moderne, il le conçoit comme celui des « temps obscurs » de la barbarie. Longtemps, beaucoup d’écrivains chrétiens avaient défini ainsi l’époque antérieure au christianisme : Pétrarque déplaçait cette notion de l’antiquité païenne au Moyen Âge chrétien. L’Histoire se devait d’être italienne et de rénover l’âge antique ; c’est par l’Italie de ses contemporains, par le développement du volgare (langue italienne nationale distincte du latin) que Pétrarque attendait que refleurisse cette virtus romaine de l’antique république : l’énergie et la volonté d’être homme. La France du XVIe siècle se lancera avec quelque retard sur les mêmes traces : elle aussi développera la langue française, songera à l’illustrer comme on le fait d’un nom glorieux, et pour cela imitera les Anciens et rivalisera avec les Italiens. Car l’humanisme fut aussi le programme politique et culturel de nations souveraines qui entendaient se doter d’une culture bien à elles. Ainsi, si la période de la Renaissance évoque le formidable essor des arts, elle englobe bien plus qu’un courant artistique ou qu’une manière : l’humanisme fut son programme, c’est-à-dire celui des princes, des cours qui accueillirent des savants, des artistes qui travaillèrent à cet immense chantier culturel qui devait transformer radicalement l’expérience du monde et de l’homme. L’humanisme élabora ainsi, au carrefour des mentalités, des idées et des formes, un élan créateur dont les réalisations s’effectuèrent tant dans le domaine artistique que littéraire, tant du côté politique que religieux et scientifique. L’essor des villes italiennes comme Florence, l’émergence d’une première histoire laïque et républicaine en Italie, le développement parallèle des États séculiers et des théories politiques modernes, des grandes dynasties, les soubresauts d’une piété réelle et inquiète, la curiosité scientifique, le développement du livre, des collèges... autant de faisceaux apparemment divergents, en réalité absolument liés à la culture de la Renaissance, qui foisonnent du XVe siècle à la deuxième moitié du XVIe siècle environ. DES IDEES QUI IGNORENT LES FRONTIERES La Bible pour tous « L’Allemagne entière regorge de bibles », proteste Sébastien Brant dans sa Nef des fous (1494). Les humanistes veulent, en effet, deux choses : un texte biblique plus sûr, débarrassé des commentaires et des traductions jugées fausses, et un texte lisible par tous. Telle sera l’ambition des évangélistes et des protestants. La Bible qu’utilisent les chrétiens depuis le IVe s. ap. J.-C. est la Vulgate, c’està-dire la traduction latine que saint Jérôme avait élaborée à partir d’une version grecque des textes saints, dite des Septante, pratiquée au IIe siècle avant Jésus-Christ à Alexandrie. Imprimée pour la première fois en 1456 par Gutenberg, elle est vite suivie par d’autres éditions. Mais c’est en langue vulgaire que les éditions se multiplient : avant 1520 paraissent 22 bibles en allemand, 23 en français, 12 en italien, etc. Non seulement on rend le texte accessible à ceux qui savent lire, mais on cherche à produire un texte plus original. Entouré d’hellénistes, Luther traduit la Bible en se séparant de la Vulgate et bientôt les protestants ne suivront plus le même texte que les catholiques, les premiers choisiront pour l’Ancien Testament le texte que reconnaît la tradition hébraïque. Au Concile de Trente (1546), l’Église catholique devait réaffirmer la seule authenticité du texte de la Vulgate et faire interdire les bibles que les humanistes avaient fait circuler. 12 Promotion du savoir, de la curiosité, des lettres contre les armes, la Renaissance voit s’ouvrir un grand bouleversement européen où chaque nation donne et reçoit, profitant du latin, langue internationale des lettrés de tous les pays. Car l’humaniste est peut-être d’abord un voyageur : correspondances, voyages d’étudiants, convois de marchands, guerres même, voyages surtout, organisent un réseau dense de liens, d’échanges et d’émulation qui ont tôt fait de faire circuler les idées et les « nouveautés » que les autorités religieuses ou politiques ne verront pas toujours du meilleur œil. Ainsi naît une République des Lettres qui lie étroitement les lettrés de Pologne, du Danemark, d’Italie, d’Angleterre... Venise, Florence, Paris, Lyon, Cracovie... dessinent une carte de l’humanisme artistique, philosophique et scientifique. Aux Pays-Bas, en Rhénanie, en Angleterre, s’élève aussi un souci de renouveau de la piété et du christianisme : l’admiration des penseurs de l’Antiquité ne va pas sans un retour à la pureté du message évangélique et à l’Imitation du Christ. Les évangélistes, puis les réformés se tourneront bientôt vers une critique plus radicale des habitudes religieuses. Voyageur infatigable, l’humaniste se promène dans les livres comme dans les pays ; qu’il reste dans sa bibliothèque ou qu’il arpente l’Europe comme le fera Érasme de Rotterdam, il cherche, il édite, diffuse, traduit, explique le monde et lance sans cesse des appels au possible et au progrès. Une nouvelle lecture du temps s’affirme et avec elle l’idée que l’homme peut mieux faire, tant dans l’ordre moral que dans celui des sciences. IMPRIMERIE ET ENSEIGNEMENT : LES DEUX PILIERS DE LA CONNAISSANCE « En quoi cela nuit-il de toujours savoir et de toujours apprendre, fût-ce d’un sot, d’un pot, d’un broc, d’une moufle ou d’une pantoufle ? » : ce plaisant éloge de la connaissance et de la curiosité que prononce Pantagruel au Tiers Livre (1546) de Rabelais pourrait servir d’emblème à cette époque emportée par une immense envie de connaître. L’humaniste est d’abord un curieux, du monde, de la nature, de lui-même et de ce qu’il peut inventer, construire, créer. Grâce à l’imprimerie qui substitue le livre aux manuscrits lentement copiés, il se produit une inflation de choses à lire, à voir, à connaître. Quand paraît à Mayence en 1455 la célèbre Bible à 42 lignes, la difficulté technique posée par l’usage des caractères mobiles disparaît et l’Occident, disposant désormais de ce qu’il appelle un « art divin », peut se nourrir de millions de livres imprimés, de reproductions d’œuvres d’art, de canards (feuilles volantes racontant surtout des faits divers), de libelles, de placards (affiches). Entre 1450 et 1500, on évalue à plus de 30 000 titres les publications sorties des presses européennes et à plus de 15 millions le nombre d’exemplaires. Quant aux imprimeurs, ce sont souvent des humanistes et leurs ateliers sont des lieux de réflexion et de travail. C’est le cas d’Alde Manuce à Venise, de Josse Bade et Robert Estienne en France. Ce dernier rédige et publie d’ailleurs le premier dictionnaire latin-français de qualité. Si le livre fut le véhicule le plus important des idées de l’humanisme, c’est qu’il permit aussi des relations permanentes entre les hommes. Mais, à côté des liens que tissent les artistes, les enseignants, les médecins, les bourgeois enrichis, s’organise également un enseignement rénové. La croyance de l’humanisme dans la perfectibilité de l’homme suppose en effet la responsabilité de l’éducation, tant il est vrai que « gens libres, bien nés, bien instruits, ont par nature un instinct et aiguillon qui toujours les pousse à faits vertueux et les retire du vice » (Rabelais). Les petites écoles sont créées pour répondre à ce besoin, à côté d’un cycle moyen, destiné aux adolescents. Les programmes, selon l’âge, débarrassent l’apprentissage des textes des commentaires trop abondants, tout en continuant à faire de la récitation et de l’imitation (thème et versification) l’essentiel des exercices. Les collèges médiévaux sont réformés et certains sont créés par des humanistes avec l’appui des villes : tournés vers les laïques et plus seulement vers la formation des théologiens, des collèges s’ouvrent à Dijon, Bordeaux, Lyon, Angoulême. Les humanistes essaient de lutter contre la mauvaise réputation de ces « geôles » de la jeunesse comme les appelle Michel de Montaigne. Les Jésuites, dont la Compagnie est fondée en 1543, seront les premiers à organiser vraiment un enseignement qui laisse plus de place aux récréations et aux exercices du corps, éveille l’esprit par les « disputes », c’est-àdire des exercices oratoires où l’élève, dans une sorte de combat oral, tâche de soutenir une thèse. Quant à l’enseignement supérieur, il souffre de l’épouvantable réputation des universités que les humanistes ne cessent de railler. Quelques-unes seront réformées, comme celles de Vienne, de Cracovie ou de Florence. Ailleurs 13 on crée : l’université de Alcala de Henares en Espagne où rayonne l’humanisme d’Érasme ; le Collège trilingue à Louvain sous l’impulsion d’Érasme ; à Paris, Guillaume Budé élabore le cadre d’un enseignement libéré de la Sorbonne et de sa tutelle sur les idées nouvelles. En 1530, François Ier met en place un Collège pour lequel il sollicite Érasme qui refuse la place. La prestigieuse institution humaniste s’appelle tout d’abord, elle aussi, Collège des trois langues (latin, grec, hébreu), avant de devenir le Collège royal de France et, sous Louis XIII, notre actuel Collège de France. L’ANTIQUITE, UN MODELE A EGALER Par-delà le Moyen Âge « obscur », les humanistes, pleinement conscients de vivre un renouveau culturel intense, tournent le dos à ce passé si proche, pour s’inscrire dans l’histoire de l’Antiquité. Encore faut-il préciser que ces hommes de la Renaissance ne vivent pas l’Antiquité au passé, mais au présent. L’Occident se lance dans la recherche des manuscrits de l’Antiquité. Dès le XIVe siècle, la quête de l’héritage antique commence : Homère, Hérodote, les Tragiques sont ramenés à la lumière des traductions ; si les découvertes les plus considérables étaient déjà faites, le processus de recherches fut continué et organisé de manière plus systématique au XVe siècle. Et les exilés, qui fuient l’ancienne capitale de l’empire d’Orient, apportent en Italie et plus au nord quantité de trouvailles exceptionnelles. Aristote n’est plus seul à dominer science et philosophie : la grande découverte sera celle de Platon et des néo-platoniciens qui, avec les textes originaux de Pline, d’Euclide, transforment radicalement le paysage philosophique et technique, tout en engageant un dialogue de plus en plus critique des rapports entre les textes de la Révélation et ceux de la sagesse païenne. Les papes, les princes envoient leurs limiers en quête de manuscrits rares, chacun rêvant de faire de son pays, de sa ville la nouvelle Athènes et de concilier Platon avec le Christ. En Italie, l’humaniste Lorenzo Valla (1407-1457), Ange Politien (1454-1494), précepteur de Laurent de Médicis, et d’autres encore fouillent les grands établissements monastiques d’Italie et d’Espagne ; Jean Lascaris (1445-1535), érudit grec réfugié, accomplit deux expéditions en Orient pour le compte des Médicis ; il revient de la seconde en 1492 avec deux cents manuscrits grecs. Beaucoup des grandes bibliothèques d’Europe se constituèrent ainsi au XVe siècle. Des lettrés comme Pic de la Mirandole (1463-1494), des mécènes princiers comme les Médicis, et les ducs d’Urbino, mais aussi les lointains monarques de Hongrie et de Pologne amassent les trésors des textes. Quand le pape Nicolas V mourut en 1455, il y avait dans la bibliothèque vaticane presque douze cents volumes, dont trois ou quatre cents étaient en grec. Car on traduit du grec, mais aussi de l’hébreu dont on s’efforce de comprendre la Kabbale, cette mystique juive que les érudits chrétiens veulent concilier avec la tradition chrétienne et la Prisca Theologia, cette sagesse qu’on croit née dans l’ancienne Égypte. Le rêve des humanistes est aussi celui de la paix philosophique, de la concorde des savoirs et des religions. AFFIRMER LA DIGNITE DE L’HOMME En 1462, le jeune Marsile Ficin obtient de Cosme de Médicis une villa à Careggi près de Florence, une bibliothèque et un revenu pour traduire Platon et se consacrer à cette Académie platonicienne de Florence où il traduira sans relâche et donnera des banquets en mémoire du Banquet de Platon. Quant à Pic de la Mirandole, comte de Mirandole et de Concordia, il fréquenta plusieurs universités d’Italie – en particulier Bologne et Padoue – ainsi que Paris. Hébraïsant, helléniste, canoniste réputé dès l’âge de quatorze ans, Pic connaît aussi l’arabe et le « caldaïque » (sans doute l’araméen). L’introduction à ses neuf cents thèses, De la dignité de l’homme, passe pour être le premier manifeste de l’humanisme militant. Pic de la Mirandole y peint l’homme, au centre de la Création du Grand Artisan auquel il fait dire : « Je t’ai placé au centre du monde de sorte que de là tu puisses plus aisément observer ce qui est dans le monde. Tu ne participes ni des cieux ni de la terre, tu n’es ni mortel ni immortel afin que, te façonnant toi-même plus librement, tu puisses prendre la forme que tu préféreras. » Pic réunissait un programme de lecture vertigineux ; des plus anciennes aux plus récentes écoles de philosophie, il les unissait, les comparait, les additionnait, sans sectarisme. Car tout était là : « c’est assurément le fait d’un esprit étroit que de s’enfermer dans une seule école », écrivait-il, cherchant non pas une vérité, mais la vérité de tous, l’accord des savoirs, la concorde universelle de la pensée. Fort de ce rêve, l’humanisme fut un mouvement esthétique, philosophique et religieux qui supposait un effort à la fois social et individuel pour mettre en 14 valeur l’Homme. Il s’agissait par là même de mettre en pratique « un art de vivre par où l’être humain se rende éternel ». Tel est bien le message fascinant de Jean Pic de la Mirandole : l’homme est digne, parce qu’il est un microcosme, un petit monde, résumant en sa nature le ciel et les étoiles. Immortel par son âme et par sa raison, l’homme a le privilège d’être seulement ce qu’il devient et de devenir ce qu’il se fait. C’est cette liberté fondamentale qui garantit sa dignité. L’homme, dans cette belle perspective humaniste, est l’artisan de sa propre destinée. LE DOUBLE VISAGE DE L’HUMANISME L’humaniste, qu’il soit artiste, philosophe ou technicien, veut faire davantage qu’imiter la nature, il entend créer, inventer. En 1341, le poète italien Pétrarque est couronné. Drapé dans la pourpre royale du roi Robert de Naples, il reçoit la couronne de lauriers sur le Capitole romain, démontrant ainsi à l’univers que la connaissance et l’art pouvaient aller d’un pas égal avec la gloire des rois. La verdure éternelle du laurier se gagne par la guerre, mais aussi par le génie créateur. L’idée d’une immortalité conquise par les grands exploits comme par le talent intellectuel de l’homme était exprimée. Au XVe siècle, on qualifie le poète italien Dante de procreator, égal à Dieu, et la métaphore du creator pour parler des artistes est de plus en plus fréquente. Dürer lui-même explique que l’artiste a, comme Dieu, le pouvoir de créer dans son âme ce qui n’a jamais été conçu dans l’esprit d’autrui. L’humanisme crut pendant un temps que l’homme pouvait allier sagesse et génie ; il admit la capacité de certains hommes à changer le monde par leur énergie de caractère ou par leur art et leur inspiration divine. Exaltant la virtus chez les princes, les saints, les condottiere ou les artistes, la Renaissance fut sans doute l’époque où plus que jamais on loua dans l’homme sa capacité à transformer le monde et la matière, et à être, hors du commun, un abrégé glorieux de l’univers. Les Érasme, les Rabelais, ces voyageurs intellectuels, ces traducteurs infatigables, ces chrétiens sans fanatisme auraient-ils péché par optimisme et enthousiasme ? En effet, le rêve humaniste s’effrite dans la deuxième moitié du XVIe siècle, comme si la créature divine, attirée par le Beau, appelée à choisir librement le Bien grâce à sa raison, à son génie, devait être happée par la tourmente des conflits entre États, entre confessions. Le temps n’est pas loin qui verra la belle Renaissance ensanglantée par les terribles guerres de Religion, brûlante bientôt des bûchers allumés un peu partout pour les hérétiques. La paix et l’idéal chrétien de charité universelle se briseront avec les massacres (les journées sanglantes de la Saint-Barthélemy se déroulent en août 1572) et ne seront plus que rêves, vestiges nostalgiques d’un âge d’or terni. Tel est le double visage de l’humanisme : Janus confiant dans le génie de l’homme, souriant aux idées nouvelles, à l’essor des sciences et des techniques, doué d’une curiosité sans limite ; mais aussi, et bientôt, désabusé, sceptique. L’esprit de l’humanisme, que l’on peut bien appeler le génie de la Renaissance, proche de Dieu par son art et sa puissance créatrice exaltant l’homme universel, ne sera plus, sous la plume de Montaigne, qu’un « profond labyrinthe » dont la raison est bien vaine... La fin du siècle ouvre déjà sur un autre monde : fin de la Renaissance, préclassicisme, âge baroque, là encore les mots hésitent à formuler l’héritage ou la rupture, la continuité ou le divorce. La belle Renaissance s’achève dans un climat d’extrême violence où les programmes des humanistes n’ont plus cours : le temps est au secret, à la prudence, au repli national ou religieux. L’humanisme devient alors un legs du passé, un rêve. Mais sans doute s’agit-il de l’un des plus riches et des plus fascinants de l’Occident moderne. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 15 HM – Raphaël Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Daniel Arasse, Christophe Castandet et Stéphane Guégan, Les Visions de Raphaël, Éditions Liana Levi, Paris, 2004. Paul Joannides, Raphaël et son temps, aux Éditions Réunion des musées nationaux, 2002. Andre CHASTEL, La gloire de Raphaël ou le triomphe d’Éros, RMN, 1995 Dominique Cordelier et Bernadette Py, Raphaël, son atelier, ses copistes, en collaboration avec le Musée du Louvre et le département des arts graphiques du Musée d'Orsay, Éditions Réunion des musées nationaux, Paris, 1992. Henri Focillon, Raphaël, Éditions Presses Pocket, préface de Pierre Rosenberg, Paris, 1990. Christof Thoenes, Raphaël, Édition Taschen, Paris, 2005. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Raffaello Sanzio, plus connu sous le nom de Raphaël (Raffaello), (né le 6 avril 1483 à Urbin — mort le 6 avril 1520 à Rome[1]) est un peintre et architecte italien de la Renaissance. Il est aussi appelé Raffaello Santi, Raffaello da Urbino, Raffaello Sanzio da Urbino. Biographie Raffaello Sanzio ou Santi, dit Raphaël, peintre italien de la Haute Renaissance, est le fils du peintre Giovanni Santi, peintre et poète officiel de la cour de Frédéric III de Montefeltro, un des princes les plus célèbres et protecteur des arts de la Renaissance en Italie. Urbin est alors un foyer artistique réputé à l’aube du XVIe siècle. La vie de Raphaël peut être séparée en trois périodes : * La première, qui va de sa naissance à son départ pour Florence en 1504, est sa période de formation, à Urbin d’abord, où il naît en 1483, puis à Pérouse, où il travaille dans l’atelier du peintre le plus célèbre de l'époque, Pietro Vannucci, plus connu sous le nom de Pérugin. o Son père, Giovanni Santi, qui est lui-même peintre et qui jouit à la cour du duc d’Urbin, Frédéric III de Montefeltro, d’une certaine considération, est son premier maître. Celui-ci meurt cependant en 1494, trois ans après son épouse. Raphaël, qui n'a que onze ans, se retrouve orphelin. Après avoir suivi l’enseignement de divers peintres, il quitte sa ville natale et part étudier à Pérouse en Ombrie auprès du Pérugin. Celui-ci en vient cependant à imiter son disciple, de même que celui-ci imite et apprend du maître. Les deux s’entendent très bien et Le Pérugin restera un grand ami de Raphaël. o Dès 1500, à dix-sept ans, il commence à s’affirmer comme « magister ». Il n’est ainsi plus disciple d’un autre maître, mais maître lui-même. Cela lui confère le droit d'avoir un atelier, des aides et des élèves. Il peint le retable « le Couronnement du bienheureux Nicolas de Tolentino » pour l' église Sant'Agostino de Città di Castello, un tableau qu'il exécute avec l'aide d' Evangelista da Pian di Meleto, ancien assistant de son père. o Son premier chef d'œuvre peut être daté de l'année 1504 — Le Mariage de la Vierge — un tableau qu'il réalise avant de quitter Pérouse, alors qu'il est encore dans l'atelier du Pérugin, en traitant le même sujet que son maître, pour comparer les mérites respectifs de l'un et de l'autre. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Activités, consignes et productions des élèves : Comparer deux peintures Les deux oeuvres représentent la Vierge à l’Enfant. Plus de deux siècles séparent les deux oeuvres. Cimabue (1240-1302), dans l’attitude et les gestes de ses personnages, est encore influencé par la fixité des icônes byzantines ; les visages sont peu expressifs et assez proches les uns des autres. C’est cependant avec ce peintre du XIIIe siècle que commence (selon Vasari) le renouveau artistique. Cette oeuvre de Raphaël appartient à la « haute Renaissance » : elle est représentative de cette période (entre 1500 et 1510) car elle mêle harmonieusement le réel et l’idéal, associe les thèmes profanes et sacrés, le mouvement et le repos. La Vierge à la chaise de Raphaël est plus proche de la réalité : à l’intérieur d’un médaillon, le spectateur est associé à la scène, par la proximité avec les personnages, le jeu des regards, mais aussi par leur disposition « naturelle » (geste affectueux de la Vierge, abandon du Christ dans ses bras). Peu d’éléments de la vie quotidienne apparaissent dans le tableau de Cimabue car le Christ est en majesté, assis sur un trône, dans un fond doré. En revanche, la scène peinte par Raphaël présente une Vierge vêtue simplement, dans une scène de maternité presque ordinaire. Les signes religieux dans le tableau de Cimabue proclament la gloire du Christ : il tient ses deux doigts levés (comme le Christ Pantokrâtor des Byzantins) et tous les personnages sont auréolés. Dans l’oeuvre de 16 * Âgé de 21 ans, il quitte Pérouse pour Florence. o Le 1er octobre 1504, Giovanna Felicita Feltria della Rovere, épouse du duc d'Urbin, adresse à Pier Soderini, gonfalonnier de la République de Florence, une lettre de recommandation pour que Raphaël reçoive à Florence les commandes que son talent mérite. o La République florentine vient de rappeler Michel-Ange (1475-1564) et Léonard de Vinci (1452-1519). Raphaël va bénéficier de l’influence de ces deux grands maîtres, qui vont achever sa formation. Léonard de Vinci le reçoit dans son atelier. Il y découvre les chefs d'œuvre de la Renaissance florentine. Il réalise une série de Vierges et de Madones : la Vierge dans la prairie (1506), la Vierge au chardonneret (1507) la Belle Jardinière (1507) et aussi La Dame à la Licorne. o La période florentine de Raphaël, qui durera quatre ans, est la deuxième de sa vie. Bien qu’étant devenu un peintre indépendant, il continue d’étudier les méthodes d’autres grands maîtres, tels Léonard de Vinci, Michel-Ange ou encore Fra Bartolomeo. * Appelé à Rome par le pape Jules II, il quitte Florence en 1508. C’est ainsi que débute la troisième partie de sa vie, la période romaine. o Au Vatican, il est chargé de la décoration des salles du palais de Jules II, que celui-ci projette d’habiter pour ne pas subir la néfaste influence de la puissante famille Borgia. o C’est également à cette époque que Raphaël rencontre celle qui sera le grand amour de sa vie. La Fornarina, surnommée ainsi parce qu’elle est la fille d’un boulanger, restera son amante durant toute sa vie. Femme d’une grande beauté, elle est très courtisée, ce qui inquiète Raphaël qui, d’un naturel jaloux, n’hésite pas à interrompre son travail pour la rejoindre. o En 1513 le pape meurt. Sous son successeur Léon X — un Médicis — Raphaël voit croître ses responsabilités et son influence. En 1514, le pape lui confie le chantier de la basilique Saint-Pierre après la mort de Bramante et les fouilles d’antiquités à Rome. Cette dernière période de sa vie est caractérisée par une intense activité, qui, avec la malaria et les multiples crises de fièvre, aura raison de sa santé déjà fragile. C’est ainsi qu’il meurt à Rome en 1520 à l’âge de 37 ans seulement, après avoir exécuté son chef-d’œuvre absolu, La Transfiguration (1517-1520), résumé de toute son œuvre. o En son honneur, sont organisées de fastueuses funérailles. Raphaël repose au Panthéon de Rome. Succès Raphaël, a longtemps été considéré comme le plus grand peintre qui a jamais existé, et on le tient toujours pour l'artiste en qui la peinture aura trouvé son expression achevée. Ce mythe de Raphaël apparaît du vivant de l'artiste, et sa mort précoce, mettant fin brutalement à une activité marquée par la précocité, lui donne une singulière ampleur. En 1550, lorsqu'il publie ses célèbres Le Vite de' più eccellenti pittori, scultori e architettori, trente ans à peine après la mort prématurée de Raphaël, Giorgio Vasari, dans la biographie qu'il consacre au maître d'Urbin, attribue à la volonté divine la naissance de l'artiste : « On vit clairement dans la personne, non moins excellente que gracieuse, de Raphaël à quel point le Ciel peut parfois se montrer généreux et bienveillant, en mettant – ou pour mieux dire – en déposant et accumulant en un seul individu les richesses infinies ou les trésors de ses innombrables grâces, qui sont de rares dons qu'Il ne distribue cependant que de temps à autre, et encore à des personnes différentes. » Son art fait de mesure, de grâce et d'harmonie a profondément influencé la peinture occidentale jusqu'au XIXe siècle. Casanova disait qu' « aucun peintre n'a surpassé Raphaël dans la beauté des figures. » Delacroix affirmait que le simple nom de Raphaël « rappelle à l'esprit tout ce qu'il y a de plus élevé dans la peinture ». De même, Ingres vouait un véritable culte à Raphaël, tant dans son style dominé par un graphisme proche du maître de la Renaissance que d'hommages récurrents à son œuvre. Après trois siècles, la gloire de Raphaël s'estompe avec l'entrée en scène de tendances critiques et artistiques nouvelles, représentées notamment par les impressionnistes et les fauves. Technique Raphaël, aucun signe ni geste symbolique (sauf Jean-Baptiste suppliant) : seul le thème et le mystère qui se dégage du regard de la Vierge confèrent à l’oeuvre une dimension religieuse. L’oeuvre de Cimabue exprime davantage le sacré, tandis que l’oeuvre de Raphaël, plus proche de la démarche humaniste, témoigne de sentiments maternels. La Renaissance prolonge le mouvement humaniste parce que les artistes revalorisent aussi l’individu dans leurs oeuvres (tableaux, portraits, statues) : sa représentation est plus proche de la réalité (même si certains portraits sont parfois idéalisés), les sentiments sont exprimés, les attitudes et les gestes sont naturels. Le spectateur semble parfois associé aux scènes représentées, par un jeu habile dans la composition (les regards ou les gestes qui « l’introduisent » auprès du sujet). De la Vierge médiévale… La Vierge et l’Enfant en majesté entourés de six anges, tableau peint par Cimabue vers 1280, 4,27 x 2,80 m. Paris, musée du Louvre. … à la Madone de la Renaissance, La Madone du Belvédère, huile sur toile de Raphaël, 1506, 1,13 m x 0,88 m. Autriche, musée de Vienne. Les prémisses du Quattrocento sont déjà perceptibles dans l’oeuvre de Cimabue, artiste qui ouvre la série des Vies de Vasari. Son art emprunte encore largement à la tradition byzantine ou aux primitifs italiens toscans : utilisation du fond d’or, solennité de la représentation marquée par le hiératisme de la Vierge, rendu extrêmement schématique de l’anatomie, organisation de l’espace selon une stricte symétrie. Cette oeuvre n’en est pas moins une transition entre deux périodes. La Madone de Raphaël est à l’inverse une forme de couronnement d’une époque. Elle fait d’abord la synthèse de nombreuses techniques picturales propres à la Renaissance : Raphaël a organisé son tableau selon le principe du nombre d’or, tandis qu’il a emprunté à Léonard le procédé du sfumato pour réaliser cette nouveauté qu’est le paysage d’arrière-plan. Surtout, Raphaël essaie d’atteindre ici l’expression parfaite de la beauté féminine, conçue comme un nouveau moyen de représentation de la Vierge en majesté, incarnation d’un beau idéal. Portrait de Francesco Maria della Rovere, tableau peint par Raphaël, vers 1504. Florence, galerie des Offices. Le travail de Raphaël correspond à une volonté d’idéalisation de son modèle. Elle transparaît dans la pureté de l’ovale du visage, dans la douceur de la courbe des arcades sourcilières, ainsi que dans la finesse de l’arête du nez et dans le tracé excessivement fin de la bouche. Le regard du 17 Le style de Raphael se caractérise par une utilisation presque égale du dessin et de la couleur car, contrairement à un grand nombre de peintres, il ne laisse pas l'un dominer l'autre : il est aussi précis dans le trait que dans la répartition des teintes. Cela se doit à sa manière de travailler : imiter les artistes de son époque et ses prédécesseurs en choisissant ce qui pourrait lui être utile. Par exemple, il reprend la douceur des modèles de son maître le Pérugin et innove en y ajoutant un modelé des corps plus proche de celui de Michel-Ange. Raphaël utilise parfois le sfumato, inventé par Léonard de Vinci (technique qui estompe les contours) et presque exclusivement dans les toiles de sa période florentine (entre 1504 et 1508). Principales œuvres de Raphaël L’École d’Athènes, par Raphaël. Palais du Vatican, Rome. Dans un grand temple de marbre, L’École d’Athènes exalte la redécouverte de l’Antiquité par les humanistes et les artistes, et leur tentative de concilier cet héritage antique et la doctrine chrétienne. L’analyse des personnages permet de comprendre cette démarche. Au centre, entourés par deux statues (Apollon qui tient la lyre et Athéna qui tient l’égide à tête de Gorgone), Platon et Aristote s’entretiennent. Platon, à gauche, tient sous le bras le Timée et montre du doigt le ciel (sa philosophie est transcendantale). Aristote tient un exemplaire de l’Éthique et désigne le sol (les réalités terrestres). Divers sages et philosophes sont également représentés. Sous la statue d’Apollon, Socrate (dont la laideur est caractéristique) s’adresse à Alcibiade, vêtu en guerrier. Le personnage habillé à l’orientale (en bas à gauche) est Averroès. Zoroastre (en bas à droite) tient une sphère étoilée. Face à lui, Ptolémée de dos, la tête couronnée, tient un globe. La composition distingue trois zones : le registre central est animé par les deux philosophes et renvoie au domaine de la pensée, de la réflexion. Les registres de gauche et celui de droite sont complémentaires au premier, car ils représentent la pensée mise en action (expériences scientifiques, dessins, écrits). Pour que le lien soit plus fort avec le présent, Raphaël a représenté ces sages du passé sous les traits de ses contemporains : par exemple, Platon a les traits de Léonard de Vinci, Euclide (à droite, courbé et tenant un compas) ceux de Bramante et Héraclite (au premier plan, écrivant accoudé à un bloc de pierre) ceux de Michel-Ange… personnage répond moins ici à une volonté d’individualisation. L’homme est représenté de trois-quarts, innovation d’origine flamande mais ces derniers coupaient le corps assez haut, ce qui constitue l’une des grandes oppositions entre les deux traditions picturales. Dans ce cadre, le regard des personnages fait exister le spectateur en tant que tel, contrairement à une peinture médiévale contemplative. Pour l’arrière-plan de son tableau, Raphaël utilise les techniques du sfumato et de la perspective atmosphérique – introduites dans le portrait à partir de la seconde moitié du XVe siècle – pour créer un paysage caractéristique de la peinture italienne. L’École d’Athènes est doublement structurée. La scène est d’abord encadrée par une architecture figurée qui prolongeait l’architecture de la chambre de la Signature. Sous un plafond à caissons, se déploie une voûte puissante, redoublée dans le tableau par d’autres arcades qui mènent vers le ciel du dernier plan. Cette succession d’arcs en plein cintre s’organise selon une stricte perspective, avec un point de fuite qui met en valeur les deux personnages de Platon et d’Aristote, pères de la philosophie antique. Le décor architectural est le principal élément évoquant l’Antiquité. L’organisation en a probablement été inspirée par le projet de Bramante pour Saint-Pierre de Rome. Certains commentateurs considèrent que la pièce principale pourrait aussi évoquer des thermes. D’autres éléments du décor ont leur importance, comme la frise, qui supporte la scène, ponctuée de figures féminines antiquisantes, ou les médaillons qui encadrent la troisième arcade, et surtout les deux statues des dieux protecteurs des arts, Apollon et Minerve, qui occupent les grandes niches du deuxième plan. Les deux figures divines illustrent la prétention de cette oeuvre à l’universalité. Mais, surtout, chaque personnage évoque une branche du savoir. C’est d’abord la philosophie, avec Aristote, Platon et Héraclite, mais aussi le cynique Diogène. Averroès fut sans doute le principal philosophe musulman de l’Occident, et c’est comme tel qu’il est représenté ici, il était aussi médecin et juriste. À travers Pythagore et Euclide, ce sont l’arithmétique et la géométrie qui trouvent une incarnation. La représentation de l’artiste par lui-même ou d’humanistes de son temps est fréquente dans les oeuvres de la Renaissance. Raphaël représente ici deux des plus célèbres hommes universels de son temps, Léonard et Michel-Ange qui incarnent deux philosophes majeurs, Platon et Héraclite. Imitation de l’Antiquité, l’humanisme a pour but d’égaler ces modèles, voire de les dépasser : Raphaël exprime ainsi dans la représentation artistique cette volonté de fusion de deux époques, intégrées dans le même espace de la fresque. L’École d’Athènes est donc une oeuvre totale qui réalise l’ambition de la Renaissance de rejoindre ses modèles antiques au-delà du temps : les savoirs sont rassemblés pour donner une dimension universelle à la connaissance de l’homme. Elle est symbolisée par le double geste de Platon et d’Aristote, désignant l’un le ciel et l’autre la terre, 18 évoquant ainsi leurs philosophies respectives, et liant surtout les deux dimensions de l’Univers. Par le savoir, le dessein divin peut être accompli par l’homme Commandée par le pape Jules II, cette fresque fut réalisée pour la chambre de la Signature au Vatican par Raphaël, nommé peintre officiel de la papauté en 1508. Elle fait d’abord référence à la pensée antique : les statues d’Apollon (à gauche) et d’Athéna (à droite) encadrent cette assemblée de philosophes, de savants et d’artistes, dans un décor constitué d’une succession de grandes arcades à caissons inspirées de l’architecture antique. Au centre, Platon tient le Timée sous le bras gauche et pointe son doigt vers le ciel alors qu’Aristote porte l’Éthique à la main gauche et dirige son doigt vers la terre : ces gestes marquent l’opposition entre la conception platonicienne de l’Idée et la logique aristotélicienne (à la base de la pensée chrétienne médiévale de saint Thomas d’Aquin) qui se limite à la recherche des vérités terrestres. Le mariage de la Vierge, par Raphaël Huile sur toile peinte en 1504. Pinacothèque de Brera, Milan. La date inscrite en chiffres romains et la signature du peintre (Raphaël Sanzio, dit Raphaël, 1483-1520) sont inscrites aux tympans de l’arcade centrale du temple. Ce tableau est commandé par les Albizzini, riche famille ombrienne, pour l’église Saint-François de Città di Castello. Raphaël a 20 ans et il s’émancipe de l’influence de son maître, le Pérugin. L’influence de l’Antiquité est visible dans l’architecture (colonnes ioniques, arc de plein cintre, coupole) mais les innovations techniques (usage de la perspective) ou décoratives (lanterne de la coupole et paysage en arrière-plan) sont caractéristiques de la Renaissance. Le premier plan rassemble les trois moments du mariage de la Vierge. Selon la Légende dorée de Jacques de Voragine, les prétendants (à droite), descendants de David, sont convoqués par le grand prêtre du Temple de Jérusalem (au centre) ; tous sont porteurs d’un rameau ; l’heureux élu est Joseph, d’un âge avancé, dont le rameau s’est spontanément couvert de fleurs. Au centre, a lieu le mariage proprement dit ; il est encadré par les lignes du dallage. Le prêtre guide la main de Joseph pour passer l’anneau au doigt de Marie. L’anneau est au centre de la composition (le déhanchement du prêtre place l’objet précisément sur la ligne droite qui mène à la porte du Temple). À gauche, se trouve le cortège des vierges qui vont accompagner Marie, chez elle, à Nazareth. La composition distingue deux pôles : le mariage et le sanctuaire. Le temple, construit en position dominante, s’inspire du Tempietto de San Pietro in Montorio à Rome, construit par Bramante : plan polygonal (forme circulaire figurant l’harmonie divine), coupole (image même du Ciel). La ligne d’horizon sur laquelle se détache le temple correspond aux trois cinquièmes de la composition, soit le rapport de la consonance musicale de quinte, l’une des proportions harmoniques idéales, préconisées par Alberti en architecture. Au premier plan, le traitement humaniste du thème individualise les personnages (Joseph âgé), leur expression (le dépit d’un prétendant, la douceur des vierges). La perspective centrale, qui passe par l’anneau, relie le premier plan au second, en suivant les lignes du dallage. La centralité qui anime le premier plan – par les regards des personnages qui convergent vers l’anneau nuptial, les mains unies et le grand prêtre lui-même – contraste avec le vide de la place et, au second plan, avec le temple, symbole de plénitude et de perfection. La Renaissance devient classique Il s’agit de l’une des premières grandes oeuvres de Raphaël. Commandité par la famille Albizzini pour la chapelle Saint-Joseph de l’église Saint-François de Città di Castello (en Ombrie), ce tableau est inspiré de la Légende dorée de Jacques de Voragine (XIIIe siècle) reprenant des évangiles apocryphes. Au premier plan, de droite à gauche, sont représentés trois moments successifs : à droite, parmi les nombreux prétendants, Joseph est choisi en raison de la floraison miraculeuse de son rameau (à ses côtés, l’un des prétendants casse son rameau de dépit) ; au centre, le prêtre procède au mariage, Joseph passant l’anneau au doigt de Marie ; à gauche, les vierges ramèneront Marie à Nazareth. Au second plan, dominant cette scène, le temple a une architecture imitée de l’Antiquité. La ligne de dallage centrale renforce l’effet de perspective et joint symboliquement l’anneau au temple. Ce tableau de Raphaël (1483-1520) est caractérisé par l’attention portée à la composition, à l’harmonie et à l’équilibre. Le thème en est religieux. Selon la 19 Légende Dorée de Jacques de Voragine, le mariage de la Vierge aurait été célébré devant le temple de Jérusalem pour lequel le peintre s’inspire ici du Tempietto de San Pietro in Montorio à Rome, édifié par Bramante. Construit en position dominante, son plan polygonal le rapproche de la forme circulaire considérée par les contemporains de Raphaël comme la figure incarnant le mieux l’harmonie divine. La disposition des personnages au premier plan redouble l’espace circulaire du temple. Le premier plan rassemble les trois moments du mariage de la Vierge : les prétendants, à droite, convoqués par le grand prêtre, porteurs d’un rameau, dont se distingue Joseph, prétendant élu dont le rameau a fleuri spontanément ; au centre, le mariage et à gauche, le cortège des vierges qui vont accompagner Marie à Nazareth. On notera le traitement humaniste du thème qui individualise les personnages et leur expression (douceur des vierges, dépit d’un prétendant qui brise sa baguette…). Les regards convergent vers l’anneau nuptial. Le deuxième plan est presque vide, le troisième montre le temple et le ciel. L’axe de symétrie du tableau passe par l’alliance et la porte du temple. Les lignes formées par le dessin des dalles convergent vers la porte du temple et le cercle formé par le haut du tableau passe par l’alliance. La ligne d’horizon sur laquelle se détache le temple est fixée aux trois-cinquièmes du tableau, une des proportions harmoniques fondamentales (le quinte), préconisée par les grands théoriciens et architectes de la Renaissance. La composition de ce tableau est d’une précision scientifique et illustre une nouvelle vision du monde. L’opposition entre le premier et l’arrière-plan, séparés par un vide, crée une atmosphère intemporelle, incarnant la plénitude et la perfection. Les règles de la perspective évoquées par Léonard de Vinci sont parfaitement appliquées. La taille des personnages placés aux second et troisième plans respecte une règle harmonique de diminution. Le pavage de la place construit la profondeur par des lignes fuyantes convergentes aboutissant au centre du temple. Les couleurs et les contours du paysage au fond répondent aux règles de la perspective atmosphérique qui prend en compte l’épaisseur de l’air pour peindre les lointains. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 20 HM –La révolution de la pensée scientifique au XVIe s Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Koyré (Alexandre), La révolution astronomique : Copernic, Kepler, Borelli. Paris, Hermann, 1961. (Histoire de la pensée ; 1). Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 5e futur : « La révolution de la pensée scientifique aux XVIe et XVIIe siècles introduit une nouvelle conception du monde. L’étude est conduite à partir d’exemples au choix qui sont replacés dans le contexte général de l’histoire de l’Europe et du monde. L’évolution de la pensée scientifique : − aspects de la vie et de l’oeuvre d’un savant du XVIe siècle ou du XVIIe siècle. Raconter un épisode significatif des progrès ou débats scientifiques des XVIe et XVIIe siècles (Copernic ou Galilée…) et expliquer sa nouveauté » BO 2nde : « Humanisme et Renaissance – Une nouvelle vision de l'homme et du monde – La Renaissance artistique Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se produit une modification profonde de la vision de l'homme sur sa condition et sur le monde, ainsi que la naissance d'un esprit scientifique. Ces bouleversements sont facilités par les mutations importantes des moyens de communication et de diffusion des idées et des savoirs : invention de l'imprimerie, multiplication des universités, collèges et académies. » Activités, consignes et productions des élèves : LES REVOLUTIONS DU SAVOIR En février 1524, on assista à la conjonction de toutes les planètes sous le signe du Poisson, ce qui fut interprété comme le signe d’effroyables catastrophes et suscita de nombreux traités. Car le cosmos est encore perçu suivant le modèle antique : il est clos et harmonieusement ordonné, en cercles concentriques ; en son centre se trouve la terre soumise à l’influence des astres et des démons qui vont et viennent entre les hommes et les planètes. En 1543, Nicolas Copernic allait renverser cette image de l’univers et bouleverser toute la représentation que l’on se faisait alors du monde : il conçut l’univers comme un système où le soleil était central (héliocentrisme) et où la terre tournait autour de lui. Il faudra cependant attendre Galilée, au début du XVIIe siècle, pour que ce système soit prouvé et que l’astronomie nouvelle renverse l’ancienne cosmologie héritée de l’Antiquité. 21 L’homme, centre de la création, prenait ainsi peu à peu conscience de sa place dans un univers ouvert, infini, où son monde n’était peut-être pas le seul. Mais le système copernicien ne s’installe pas tout de suite dans les esprits et la nature continue d’être perçue comme un jeu d’influences astrales, tissu vivant de correspondances secrètes qui vont de l’homme aux plantes, aux astres, aux minéraux, et à toutes choses : les parties du corps correspondent aux signes du zodiaque, comme les tempéraments aux influences des planètes. Rabelais fera le catalogue des savoirs astrologiques de son temps dans le Tiers Livre : certes Panurge ne connaîtra jamais son avenir avec certitude « ni par catoptromantie, ni par astragalomantie, ni par capnomantie »... La liste rabelaisienne des savoirs magiques fait bien voir, par-delà la dérision de l’humaniste, ce désir des hommes de maîtriser toujours plus l’immense réservoir de la nature. Car la science telle que nous l’entendons aujourd’hui côtoie alors la magie naturelle, l’étude des secrets de la nature et des correspondances astrales. Le mage se donne d’abord comme celui qui maîtrise les secrets naturels et les humanistes savants se tournent toujours davantage vers cette nature dont les mystères cessent peu à peu d’être inexpliqués. Ainsi, l’arithmétique, fondamentale pour l’astrologie et la mystique des nombres, permettra à Kepler, puis à Galilée, de calculer les orbites planétaires. La Renaissance voit naître ensemble, souvent chez les mêmes individus, les premiers grands mathématiciens, anatomistes, physiciens, médecins, dessinateurs, architectes. Car tout est lié, on ne l’écrira jamais assez : Rabelais invente un géant qui se moque sans retenue de toutes les valeurs établies, mais il crée aussi des appareils pour réduire les fractures du fémur et débrider les hernies étranglées ; les artistes dessinent l’homme avec précision, donnant aux sciences des modèles plus vrais, plus réels. Léonard de Vinci ne fut-il pas non seulement l’un des premiers grands anatomistes, mais aussi physicien, mathématicien, technicien, ingénieur, géomètre ? En médecine, les dissections sont autorisées et renversent nombre de connaissances fausses héritées de l’Antiquité. L’homme de la Renaissance découvre ainsi un monde étrange à l’intérieur de lui-même ; voyageur dans son propre corps, il pénètre dans le mystère de sa propre fabrication. Il n’est que de voir le fœtus que Vinci dessine avec précision. Ainsi le chimiste Paracelse, nommé professeur de médecine à Bâle en 1526, y attaqua violemment la médecine traditionnelle et brûla publiquement les œuvres de Galien ; Vésale fondait l’anatomie moderne, dans son grand ouvrage le De Corporis Humani fabrica (1543) ; Ambroise Paré profita de son expérience de chirurgien à l’armée ; ne sachant pas le latin, il put, par sa seule pratique, faire progresser la thérapeutique en substituant par exemple la ligature des artères à la cautérisation au fer rouge. Le monde de la Renaissance connaît ainsi une double révolution : celle du cosmos opérée par Copernic, celle de l’homme qui se cherche moins dans les étoiles et dans le ciel infini et commence à se regarder lui-même, contemplant, curieux et humble, le sperme, mystère de ses origines, « cette goutte d’eau, comme l’appelle Montaigne, où loge-t-elle ce nombre infini de formes ? » Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 22 HM –Réformes et guerres de religion au XVIe siècle Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : À son avènement en 1519, Charles Quint était pressenti comme l'empereur d'une Chrétienté unie et bientôt étendue au monde. C'était compter sans la volonté d'affirmation des États, qui a pris appui sur des Églises "nationales". Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Arlette Jouanna (dir.), Histoire et dictionnaire des guerres de religion, 1559–1598, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1998 Olivier Christin, Les Réformes, Luther, Calvin et les protestants, « Découvertes Gallimard » 1995. (remarquable, en particulier, pour l’intérêt du dossier iconographique). EL KENZ, David, GANTET, Claire, Guerres et paix de religion en Europe aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Armand Colin, « Cursus », 2008 (2e éd.). (un manuel avec l’essentiel des problématiques de la question : les troubles confessionnels et les tentatives de pacification dans l’ensemble de l’Europe. Les deux auteurs ont aussi intégré les apports fondamentaux de l’historiographie internationale (notamment la notion de confessionnalisation – Konfessionalisierung, Wolfgang Reinhard et Heinz Schilling). DELUMEAU, Jean, WANEGFFELEN Thierry, Naissance et affirmation de la Réforme, Paris, PUF, coll. "Nouvelle Clio", (1965) 1997. (ce volume a été réactualisé en 1997 par Thierry Wanegfellen). Jean Delumeau, Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, 6e édition refondue, avec la collaboration de Monique Cottret, Paris, PUF, 1996 (une étude fondamentale) Histoire du christianisme, les tomes VII, VIII et IX: De la Réforme à la Réformation (1450-1530), Letemps des confessions (1530-1620), L’Âge de raison (1620-1750), sous la direction de Marc Venard, J.-M. Mayeur, A. Vauchez, Ch. et L. Pietri, Desclée, 1992, 1994, 1997. SAUPIN Guy, Naissance de la tolérance en Europe aux Temps modernes : XVIe-XVIIIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998. Jean-Marie Constant, Les Français pendant les guerres de Religion, Hachette Littératures, 2002 Denis Crouzet, Dieu en ses royaumes : Une histoire des guerres de religion, Champ Vallon, Paris, 2008 (spécialiste du XVIe siècle, de la violence et des troubles de religion au 16è siècle et de l 'histoire des mentalités de l'imaginaire) Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (v. 1525–v. 1610), Champ Vallon, collection « Époques », 2005 (1re édition 1990) L. Febvre, Le Problème de l’incroyance au XVIe siècle : la religion de Rabelais, Albin Michel, Paris, 2003. M.Venard, dir., De la Réforme à la Réformation (1450-1530). Histoire du christianisme, t. 7, Desclée de Brouwer, Paris, 1992. M.Venard, dir., Le Temps des confessions (1530-1620). Histoire du christianisme, t. 8, Desclée de Brouwer, Paris, 1994. LIVET Georges, Les guerres de religion, Que sais-je?, 2002, 124 p CHAUNU Pierre, Le Temps des Réformes, Paris, Fayard, « Pluriel », 1996 [1975]. Documentation Photographique et diapos : Revues : Catholiques, protestants, la fracture (Joël Cornette) dans Les Européens d'Hérode à Erasmus / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, N° 41, Hors-Série, Octobre-Décembre 2008 Violence au nom de Dieu : Les guerres de religion, / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série trimestriel N° 17, Octobre 2002 Les guerres de religion, TDC, N° 754, du 15 au 30 avril 1998 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : La définition géographique de l’Europe ne pose pas de problèmes majeurs sauf sur ses marges orientales, fluctuantes et constamment disputées aux XVIe et XVIIe siècles, notamment en raison de la pression de l’Islam : si la Russie (la Moscovie plutôt) est éloignée de notre problématique, sont évidemment inclus la Bohême, la Hongrie, la Pologne, la Transylvanie, les pays nordiques (notamment la Suède et le Danemark), les confins orientaux… L’affrontement concerne des oppositions non sanglantes, des oppositions verbales, doctrinales. Et, puisqu’il s’agit de religion, il va de soi que cette notion englobe l’ensemble des débats, des affrontements théologiques en Europe, du début du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle : la dispute (disputatio), issue de la tradition universitaire, est à l’origine même de la Réforme. Du reste, toute la Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Humanisme, Renaissance, Réformes (6 à 8 heures) À partir de textes et d’oeuvres d’art, les élèves perçoivent le renouvellement des idées et des formes. Ils étudient les Réformes protestante et catholique, manifestations d’une crise religieuse et réponses à l’exigence du salut. • Cartes : les divisions religieuses de l’Europe à la fin du XVIe siècle. • Repères chronologiques : les thèses de Luther (1517) ; Calvin à Genève (milieu du 23 période est jalonnée de débats, de controverses, de colloques, à l’exemple du colloque de Poissy, en septembre et octobre 1561, qui fut la dernière tentative d’accord entre catholiques et protestants avant l’affrontement sanglant de la première des huit guerres de Religion (1562-1598). Denis Crouzet, La Genèse de la Réforme française, 1520-1562, Paris, Sedes, 1996, 620 pages. Ce gros livre, dont la problématique dépasse largement le seul cadre français, est nourrie de l’immense historiographie, plurielle, française et étrangère, qui cherche à élucider les comportements individuels et collectifs en matière de croyance. Cette dernière approche fait la part belle aux interprétations et aux thèses souvent contradictoires des historiens. Car il faut savoir que l’histoire de la Réforme est l’enjeu de nombreux et fructueux débats, portant, en particulier, sur le choix religieux : qui devient luthérien, puis calviniste ? Pour quelles motivations et quels enjeux ? Denis Crouzet multiplie les indices documentaires, sous la forme de larges extraits d’auteurs contemporains, des plus connus à l’"infra littérature" des occasionnels, anonymes le plus souvent, en passant par les livres de raison. Tous ces textes, ici associés, témoignent de la puissance d’un imaginaire passionnel, eschatologique et panique. Nous pouvons ainsi observer, de l’intérieur, en quelque sorte, les rythmes et les expressions d’écriture des cultures de la Renaissance. Loin des stéréotypes d’un "beau XVIe siècle" optimiste et conquérant, cette immersion dans les manières de dire et d’écrire permet de prendre la mesure des incertitudes, des angoisses, aussi, exprimées par nombre de contemporains des réformateurs de Wittenberg et de Genève, qui ont vécu dans la hantise du péché et du Jugement de Dieu. Car c’est bien dans le vivier de cette force émotionnelle partagée, que le luthéranisme, puis le calvinisme, ont puisé l’essentiel de leur énergie XVIe siècle) ; le concile de Trente (milieu du XVIe siècle). BO 5e futur : « La crise religieuse remet en cause l’unité du christianisme occidental (Réformes) au sein duquel les confessions s’affirment et s’affrontent (catholiques, protestants) ; L’étude est conduite à partir d’exemples au choix qui sont replacés dans le contexte général de l’histoire de l’Europe et du monde. La crise religieuse de la chrétienté : − un personnage lié aux Réformes ou un événement ; − une carte de l’Europe en 1648. Connaître et utiliser les repères suivants : − Le siècle des Réformes et des guerres de religion : XVIe siècle Raconter un épisode significatif des Réformes (dans les vies de Luther, de Calvin ou d’un réformateur catholique…) et expliquer ses conséquences » BO 2nde : « Humanisme et Renaissance – Une nouvelle vision de l'homme et du monde – La Renaissance artistique Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se produit une modification profonde de la vision de l'homme sur sa condition et sur le monde, ainsi que la naissance d'un esprit scientifique. Dans le même temps, se transforment les rapports de l'homme avec la religion (les Réformes). Ces bouleversements sont facilités par les mutations importantes des moyens de communication et de diffusion des idées et des savoirs : invention de l'imprimerie, multiplication des universités, collèges et académies. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 24 HM – Calvin Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Yves Krumenacker, Calvin. Au-delà des légendes, Editeur / Edition : Bayard, 2008 Jean-Luc Mouton, Calvin, Folio biographie 2009. Denis Crouzet, Jean Calvin. Vies parallèles, Fayard, 2000 COTTRET Bernard, Calvin, Paris, « Petite bibliothèque Payot », 1998 [Lattes, 1995]. Documentation Photographique et diapos : Revues : Le mystère Calvin, L'HISTOIRE N°340, mars 2009 Violence au nom de Dieu: Les guerres de religion, / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série trimestriel N° 17, Octobre 2002 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : A l'heure où le pouvoir urbain décline face aux monarchies, Calvin parvient à faire de Genève une ville qui continue à compter ; soucieux de n'être que la voix de Dieu, il met en place une nouvelle confession chrétienne qui, malgré les transformations, existe toujours aujourd'hui. Calvin, un des personnages les plus connus de l'histoire. Le second père de la Réforme protestante, après Luther. Un homme qui libéra la chrétienté du joug de Rome, mais un homme austère, dur, qui s'imposa comme le "pape de Genève". Autant de clichés qui montrent que, si Calvin est très connu, il reste aussi très mal connu. Il faut aller au-delà des légendes, utiliser toutes les sources disponibles et se fonder sur l'ensemble des écrits de Calvin, notamment sa correspondance et ses sermons, au lieu de se restreindre, comme c'est souvent le cas, à ses oeuvres théologiques. La revue "L'Histoire" du mois de mars 2009 publie un excellent dossier Jean Calvin (1509-1564) avec les contributions d'historiens spécialistes de la Réforme protestante en Europe pour le 500è anniversaire de sa naissance. Calvin n'est pas l'inventeur du protestantisme mais il le fait entrer dans une phase décisive au milieu du XVIè siècle. Méconnu et malconnu, sa mémoire souffre d'une mauvaise répution que les auteurs s'efforcent de rétablir à la vue des faits. Yves Krumenacker dresse le portrait d'un homme timide, angoissé, qui trouve son salut en Dieu. Il replace l'homme dans son époque troublée, au coeur des conflits religieux, politiques et sociaux. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 5e actuel : « Humanisme, Renaissance, Réformes (6 à 8 heures) À partir de textes et d’oeuvres d’art, les élèves perçoivent le renouvellement des idées et des formes. Ils étudient les Réformes protestante et catholique, manifestations d’une crise religieuse et réponses à l’exigence du salut. • Cartes : les divisions religieuses de l’Europe à la fin du XVIe siècle. • Repères chronologiques : les thèses de Luther (1517) ; Calvin à Genève (milieu du XVIe siècle) ; le concile de Trente (milieu du XVIe siècle). BO 5e futur : « La crise religieuse remet en cause l’unité du christianisme occidental (Réformes) au sein duquel les confessions s’affirment et s’affrontent (catholiques, protestants) ; L’étude est conduite à partir d’exemples au choix qui sont replacés dans le contexte général de l’histoire de l’Europe et du monde. La crise religieuse de la chrétienté : − un personnage lié aux Réformes ou un événement ; − une carte de l’Europe en 1648. Connaître et utiliser les repères suivants : − Le siècle des Réformes et des guerres de religion : XVIe siècle Raconter un épisode significatif des Réformes (dans les vies de Luther, de Calvin ou d’un réformateur catholique…) et expliquer ses conséquences » BO 2nde : « Humanisme et Renaissance – Une nouvelle vision de l'homme et du monde Dans l'Europe du XVe et XVIe siècles se produit une modification profonde de la 25 vision de l'homme sur sa condition et sur le monde, ainsi que la naissance d'un esprit scientifique. Dans le même temps, se transforment les rapports de l'homme avec la religion (les Réformes). Ces bouleversements sont facilités par les mutations importantes des moyens de communication et de diffusion des idées et des savoirs : invention de l'imprimerie, multiplication des universités, collèges et académies. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Jean Calvin (Noyon, 10 juillet 1509 - Genève, 27 mai 1564) Né à Noyon en 1509, Jean Calvin (nom tiré de la forme latine Calvinus, qui transcrit le français Cauvin) est une figure majeure de la seconde génération (qui succède à celle de Martin Luther) de la Réforme protestante du XVIe siècle. Ce Picard, issu d’une famille en voie d’ascension sociale, poursuivit ses études à Paris à partir d’une date incertaine (environ 1520-1523). Destiné initialement à l’état ecclésiastique, Calvin fut placé au collège de Montaigu, où il se prépara aux grades de la Faculté des arts, mais il n’entama pas ensuite d’études de théologie. Il commença en effet, à partir de 1527 (ou de 1525-1526) un cursus de droit à Orléans et à Bourges et s’initia aux méthodes de la philologie humaniste sous l’influence indirecte de Guillaume Budé. Il publia en 1532 un commentaire latin du traité De clementia de Sénèque, qui traite de cette vertu royale dans le contexte de l’affirmation de la monarchie absolue. Sa « conversion » à l’évangélisme militant date de 1533-1534. Les motifs déterminants de cette orientation semblent être le choc provoqué par les persécutions exercées en France contre les évangéliques (issus de l’humanisme chrétien comme de la Réforme luthérienne), la découverte de nouvelles méthodes (dans le sillage d’un Jacques Lefèvre d’Étaples et d’un Érasme) d’interpréter la Bible, et les réflexions inspirées par les œuvres des Pères de l’Église éditées par Érasme. Calvin fit alors le choix d’une réforme radicale de l’Église et d’une rupture avec les formes traditionnelles du christianisme occidental. Au nom d’un Évangile libérateur, conçu, à la manière de Luther, comme le message opposant de manière inconditionnelle la grâce d’un Dieu de miséricorde aux efforts impuissants et vains de l’homme pour se justifier lui-même, Calvin se lança alors dans une reformulation de la vision chrétienne du monde, qu’il synthétisa dans la première version de l’Institution de la religion chrétienne, publiée en latin à Bâle (Christianae religionis institutio) en 1536. Les nombreux déplacements de cet exilé le conduisirent la même année à Genève, où il fut retenu par Guillaume Farel pour prendre en main la réforme locale, appuyée par les autorités civiles. Suite à un désaccord avec celles-ci, il s’installa à Strasbourg de 1538 à 1541. Il y compléta sa culture théologique au contact du réformateur local, Martin Bucer. Rappelé à Genève, il y resta jusqu’à la fin de sa vie, sauf quelques voyages, sans revoir la France. Genève l’avait choisi pour ses compétences exceptionnelles, dans le but de doter la cité des structures (église, école, institutions de charité, création de la future université, etc.) et des valeurs dont elle avait besoin pour affirmer son indépendance politique, toute récente. Calvin accepta cette mission en y discernant une vocation divine, et afin de faire de Genève, placée aux portes de la France, une place forte de la propagande protestante. Ses fonctions locales de prédicateur placé à la tête de la compagnie des pasteurs ne lui donnaient pas d’autre pouvoir que celui que le Magistrat voulait bien lui reconnaître. Mais l’autorité que lui valait sa supériorité intellectuelle, et la victoire en 1555-1556 d’un parti prenant appui sur les nombreux réfugiés d’origine française, lui permirent de mettre à peu près en pratique ses vues en matière de discipline ecclésiastique. 26 Français devenu genevois, Calvin étendit à l’ensemble de l’Europe ses vues et le prestige de sa parole (ou, inversement, l’animosité que celle-ci suscitait chez ses adversaires). Ses conceptions religieuses connurent une immense diffusion par divers canaux. Calvin a exploité de manière systématique l’art de l’imprimerie (sous le contrôle du Magistrat genevois) pour diffuser ses livres ou les ouvrages inspirés de ses conceptions (comme le Psautier huguenot, promis à une carrière internationale jusqu’à nos jours) ; ses impressions genevoises étaient vendues, souvent de manière clandestine, dans l’Europe entière en de multiples éditions. Les fréquents sermons de Calvin, ainsi que ses cours d’exégèse, attiraient un auditoire, abondant et souvent distingué, de nombreux pays. Par sa correspondance, il orientait les esprits qui se tournaient vers lui : communautés réformées en France ou en exil ; églises réformées cherchant à se structurer en Europe centrale ; dames et princes attirés par la Réforme ; réseau de personnalités ignorant les frontières politiques et soucieuses d’affermir la Réforme à une époque où celle-ci commençait à refluer ou bien à affronter ses propres dissidences. À cet égard, le calvinisme est moins un ensemble précis de doctrines qu’un réseau consciemment transnational, décidé à opposer à la Contre-réforme catholique un christianisme alternatif, assez structuré pour affronter la terrible lutte confessionnelle commencée dans les années 1540, assez souple pour s’adapter à des contextes aussi différents que l’Angleterre anglicane, la France et les Pays-Bas des guerres de Religion, ou les terres multiconfessionnelles d’Europe centrale. Calvin, écrivain latin et français, est un des auteurs les plus remarquables de son siècle, par la clarté efficace de son style, imité par ses disciples et par ses adversaires. Traducteur de lui-même avec l’Institution française, dont la première version, celle de 1541, est, selon Gustave Lanson, « le plus grand monument de notre prose dans la première moitié du XVIe siècle », avec l’œuvre de Rabelais, il est aujourd’hui un des auteurs français les plus traduits dans le monde. Considéré depuis le XIXe siècle comme un des fondateurs de la civilisation moderne, sa figure échappe désormais aux enjeux confessionnels. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 27 HM – Les guerres de religion en France et l’Édit de Nantes Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Il y a quatre cents ans, l’édit de Nantes mettait un terme à plusieurs décennies de guerres qui enflammaient le royaume de France. Le XVIe siècle humaniste ne devait donc pas s’achever dans le bruit et la fureur. De l’expérience de la haine et de la guerre civile, une nation chrétienne tirait les enseignements de la raison d’État, de la tolérance et du compromis religieux. Un apprentissage de la modernité. Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : J. Garrisson, «Royauté, Renaissance et Réforme, 1483- 1559 », Nouvelle histoire de la France moderne, vol. 1, Le Seuil, Paris, 1991. J. Garrisson, «Guerre civile et compromis, 1559-1598 », Nouvelle histoire de la France moderne, vol. 2, Le Seuil, Paris, 1991. J. Garrisson, L’Édit de Nantes et sa révocation, Le Seuil, Paris, 1985. Documentation Photographique et diapos : Revues : Les guerres de religion, Un royaume, deux Églises, LOÏC JOFFREDO, TDC, N° 754, du 15 au 30 avril 1998 « Les guerres de religion », L’Histoire, n° 215, nov. 1997. Violence au nom de Dieu : Les guerres de religion, / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série trimestriel N° 17, Octobre 2002 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : À partir de l’exemple d’une « force centrifuge », la division religieuse de la France face aux réformes protestantes, on veut montrer que le royaume a su sauvegarder son unité. Les guerres qui opposent catholiques et protestants opposent deux conceptions de l’homme et de l’autorité ; elles conduisent au compromis religieux et au-delà politique. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 5e actuel : « Le Royaume de France au XVIe siècle : la difficile affirmation de l’autorité royale (2 à 3 heures) Il s’agit seulement de montrer comment la monarchie française s’efforce d’asseoir son autorité et d’unifier le royaume en dépit des multiples forces centrifuges qui l’affectent • Carte : le Royaume de France au XVIe siècle. • Repères chronologiques et documents : l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) ; l’édit de Nantes (1598). » Socle. Ajout aux repères : La Saint Barthélemy (1572). BO 4e futur : « L’ÉMERGENCE DU « ROI ABSOLU » La monarchie française subit une éclipse dans le contexte des conflits religieux du XVIe siècle, à l’issue desquels l’État royal finit par s’affirmer comme seul capable d’imposer la paix civile (1598). Les rois revendiquent alors un « pouvoir absolu » qui atteint son apogée avec Louis XIV et se met en scène à Versailles. L’étude qui est conduite à partir d’exemples au choix : - de la vie et l’action d’un souverain - d’un événement significatif Connaître et utiliser les repères suivants − L’Édit de Nantes, 1598 » 28 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Imagine-t-on aujourd’hui la France de 1560 en passe de devenir protestante ? À l’époque pourtant, se multiplient les témoignages les plus alarmistes des progrès foudroyants de la « secte ». Quand l’ambassadeur de Venise constate qu’« il n’y a pas de province qui ne soit infectée, et [qu’]il y en a où la contagion est répandue même dans les campagnes, comme la Normandie, la Bretagne, la Touraine, le Poitou, la Guyenne, la Gascogne, une grande partie du Languedoc, du Dauphiné, de la Provence, de la Champagne, ce qui fait presque les trois quarts du royaume », le tableau est à peine exagéré. Le mal semble gagner tous les sujets du roi, « même les ecclésiastiques, poursuit le diplomate, les prêtres, les moines, les religieuses, les couvents presque entiers, ... les évêques ». Il aurait pu ajouter les plus grands noms de la cour, les Bourbon, les Châtillon-Coligny, la reine de Navarre, comme les plus humbles du peuple ! En 1560, en ce royaume de France, fille aînée de la Sainte Église catholique, les sujets du roi Très Chrétien sont malades, de la pire des maladies : la Réforme. UNE RÉFORME TANT ATTENDUE Avant les protestants, il y eut la « protestation ». Celle de chrétiens indignés par l’état de leur Église. Partout, le clergé est décrié : curés ivrognes et concubins, moines avares et pillards, prélats négligents, plus attentifs à percevoir les indulgences, qui ouvraient les portes du Ciel moyennant finances, qu’à entretenir leurs établissements. L’autorité civile semble même cautionner ces abus, liée qu’elle est au fonctionnement de l’Église par un Concordat, amenée donc à désigner aux plus hautes charges « celui qui était le meilleur compagnon, qui aimait le plus les garces, les chiens et les oiseaux, qui était le meilleur biberon, bref qui était le plus débauché, afin que, l’ayant fait leur abbé ou prieur, il leur permît toutes pareilles débauches, dissolutions et plaisir. » Mais ces tares ne sont en fait que la face visible de la crise de l’Église. Au plus profond des convictions religieuses, le doute s’installe : les clercs sont-ils capables d’apaiser l’extraordinaire soif de spiritualité des fidèles ? Quand la piété devient de plus en plus intérieure, personnelle, dominée par un puissant sentiment d’insécurité face à la mort et de culpabilité, l’Église est-elle d’un grand secours ? La foi officielle se révèle trop souvent un amalgame de vérités rabâchées, incomprises de fidèles qui n’entendent pas le latin, de cultes anciens et de pratiques superstitieuses, propres, croient-ils, à conjurer leur peur de l’au-delà et leur assurer le salut éternel. Des chrétiens exigeants fustigent cette foi. Humanistes, lecteurs d’Érasme, ils sont convaincus que le royaume doit redevenir terre de mission. Un mot d’ordre : le retour à l’Évangile. Si les fidèles se détournent de la vraie foi, c’est qu’ils n’y ont pas vraiment accès. Il faut donc mettre à leur portée « les précieuses marguerites de l’Écriture sainte », comme s’y emploie Lefèvre d’Étaples qui, en 1523, traduit le Nouveau Testament pour la première fois en français. Il faut former de nouveaux clercs, rebâtir les liens qui unissent l’Église à ses ouailles : une entreprise ambitieuse que, presque expérimentalement, l’évêque Briçonnet met en place en son diocèse de Meaux, attirant à lui tous les théologiens contestataires pour former un groupe de réflexion. Ces chrétiens, cependant, sont de doux évangélistes, convaincus que si réforme de l’Église il doit y avoir, elle ne peut être menée qu’en son sein. Or, ce n’est pas l’avis d’autres « rebelles » de la foi : ceux-ci, prédicateurs sillonnant la province ou clercs officiant dans les villes, mènent un combat plus radical, mettent en doute le purgatoire, remède de bonne femme pour calmer l’angoisse de la mort, condamnent le culte idolâtre des saints et réfutent l’autorité d’un pape qualifié d’« Antéchrist ». Ces « protestants » furieux se sont trouvé un maître à penser : Luther, qui a naguère dû rompre avec Rome et dont les écrits, prohibés dans toute la chrétienté, circulent sous le manteau et s’importent en France, cachés dans des tonneaux de sel. Les prêches violents, les libelles diffusés par centaines affirment tous la nécessité d’une réforme, imposée de l’extérieur celle-là. Le roi de France, jusqu’alors occupé à mener la guerre aux frontières, n’avait pris garde à cette « protestation ». Mais quand cette dernière s’affiche insolemment jusque sur la porte de ses appartements mêmes et dénonce « cette pompeuse et orgueilleuse messe papale, par laquelle le monde est et sera totalement désolé, perdu, ruiné et abîmé », cette fois, la coupe est pleine. L’affaire des Placards, en 1534, marque un nouveau tournant dans la répression. La loi du roi et celle de l’Université, c’est-à-dire de l’Église, sont alors indissociables. La traque des DES MOTS ET DES CAUSES Sous l’impact de la Réforme, les chrétiens catholiques (du grec katholikos, « universel ») ont englobé ceux qui demeurent unis à Rome par opposition à l’hérésie croissante. Leurs adversaires les surnommaient aussi papistes du fait de leur fidélité au pape. Les protestants sont parfois dénommés luthériens, quand bien même ils n’appartiennent pas à l’Église de Luther. Outre les qualificatifs péjoratifs de tutoyeurs de Dieu ou hypocrites, l’appellation la plus courante est celle de huguenots, déformation du mot allemand Eidgenossen (« confédérés »). Le terme protestant lui-même, qui vient de l’attitude « protestante » de princes germaniques devant la politique religieuse de Charles Quint, n’est guère utilisé en France avant la fin du XVIIe siècle, comme le sobriquet de parpaillot (d’un mot occitan désignant le papillon, car les Camisards cévenols portaient d’amples chemises). Dans les textes de l’époque, l’Église calviniste est dénommée par les siens Église chrétienne réformée (dénomination la plus courante), Église réformée évangélique ou encore Église de Dieu et Église sur l’ordre de Dieu. Mais les documents officiels, dès 1562, parlent de ceux de la religion, sous-entendu la Religion prétendue réformée (abrégée en RPR), car, la religion catholique ayant entrepris sa réforme avec le concile de Trente, il ne pouvait y avoir d’autre religion réformée que la sienne ! Aujourd’hui, le terme de Réformés désigne spécifiquement ceux qui suivent les idées de Calvin, ou calvinistes, tandis que la Réforme recouvre toutes les formes de protestantisme. La Réforme et le livre « L’imprimerie est l’ultime don de Dieu et le plus grand », aurait déclaré Luther. Une assertion qui traduit l’importance du livre dans la nouvelle religion. La Réforme a en effet largement pris pied là où il y a des officines typographiques : dans les pays germaniques bien sûr, mais aussi dans les grandes villes françaises comme Paris et Lyon. La répression à l’encontre des imprimeurs et libraires du royaume se faisant plus violente (en 1546, Étienne Dolet est brûlé vif place Maubert à Paris), la production d’ouvrages se réfugie à Genève et profite des progrès du calvinisme en France : en 1533-1540, 42 ouvrages sortent des presses ; en 1550-1560, ils seront 527 ! Parmi ceux-ci, l’Institution de la Religion chrétienne, de Calvin, fait l’objet de 25 rééditions, dont 16 en français. Mais on trouve également un grand nombre de livres de piété, de psautiers, d’ouvrages didactiques ou théologiques plutôt destinés aux élites 29 hérétiques est menée comme une affaire de police : lorsque l’un d’eux est conduit, par les rues, vers le bûcher, c’est marqué au fer rouge d’une fleur de lys au front. LA « CONTAGION » Ce n’est pas la première fois que l’Église a maille à partir avec l’hérésie : Wycliff en Angleterre, Jan Hus en Bohème, Savonarole à Florence se sont jadis élevés contre l’autorité de Rome. À chaque fois la tumeur avait été éradiquée. Mais cette fois, le mal est d’une autre ampleur : les idées séditieuses de Luther essaiment à l’échelle de l’Europe entière. Et quand, en France, on parvient à enrayer leur diffusion en contrôlant étroitement leurs foyers proches du royaume, Strasbourg et Metz, une autre « infection » se déclare qui va propager l’hérésie depuis un autre pôle. Depuis les années 1540 en effet, les partisans de la réforme « dure » se sont trouvé une nouvelle capitale, Genève, un nouveau catéchisme, l’Institution de la Religion chrétienne, un nouveau chef religieux, Jean Calvin. Pour cet humaniste picard qui a fui la répression, il ne peut y avoir de réforme sans rupture : il faut « sortir de Babylone ». Aux yeux des catholiques, la Réforme est une épouvantable maladie qui ronge le royaume : une « contagion », une « pestilence » ; les Réformés sont déclarés « mal sentans de la Foy ». La propagation du mal est prodigieusement rapide. Elle atteint plus facilement les zones affaiblies du royaume, ces régions périphériques plus récemment soumises au roi, mais porteuses encore de traditions de résistance à l’État central : depuis le Dauphiné, par la vallée du Rhône, puis le Languedoc cathare, elle s’insinue jusqu’en Poitou et dans la vallée de la Loire, formant un arc de cercle qui s’appuie sur de puissants bastions (Lyon et ses imprimeries, La Rochelle, le Béarn dont la reine, Jeanne d’Albret, a embrassé la Réforme). Le mode de propagation de l’épidémie est toujours le même : des colporteurs ouvrent la voie et diffusent œuvres de propagande et écrits de Calvin en français ; des prédicateurs, formés à Genève à la théologie et à la pédagogie, leur emboîtent le pas ; puis les communautés, révélées à la « vraie foi », décident, en assemblée, presque à mains levées, de « dresser » une Église, de se doter de statuts et de nommer un « ministre » parmi les leurs. En 1560, ces « églises dressées » sont près de 1 400. Toutes les catégories de la population sont « touchées ». Du prince de Condé au plus humble curé. Les « gens de métiers », bourgeois artisans et commerçants des villes, voient dans le calvinisme une façon de marquer leur réussite sociale en se démarquant de la tradition sclérosante du culte officiel ; les étudiants turbulents y trouvent un espace de contestation ; les clercs constituent un vivier lettré de futurs pasteurs ; les femmes, elles aussi, se rallient en grand nombre à une foi simple et vertueuse. Au total, en 1560, sont dénombrés deux millions de calvinistes : un Français sur dix ! ENTRE HÉRÉSIE ET RÉBELLION L’image du corps étranger qui mine le royaume est omniprésente. Le calvinisme, rappelons-le, est d’abord un scandale contre la doctrine même de l’Église. Se réformer, c’est avant tout rompre. Avec les sacrements, qu’on ne respecte plus, ni à la messe, ni au mariage, ni même au seuil de la mort. Avec le culte des saints et de la Vierge, source d’idolâtrie. Avec la liturgie de la messe et ses superstitions. Pour l’homme protestant, seule compte la parole de Dieu. C’est dans l’Écriture qu’on trouve la Révélation ; c’est par sa connaissance qu’on accède à la grâce, et non par ces œuvres et ces gestes rituels, dons, reliques, achats de messes ou pénitences, censés racheter l’âme pécheresse. Cette nouvelle chrétienté exemplaire instaure un rapport nouveau, plus direct, avec Dieu, qui passe outre l’autorité des clercs et se fonde sur la liberté de l’homme. La révolution protestante est aussi une révolution des mœurs religieuses. Le culte est rendu autant dans le temple qu’en famille, avec ou sans pasteur : on y prie en commun, on y chante des psaumes, on y lit et commente la Bible dans une langue intelligible par tous. L’austérité et l’ordre sont de mise, comme la tenue noire des hommes ou celle, « décente », des femmes. Une assemblée de fidèles, nommée consistoire, veille au respect des bonnes mœurs et blâme les déviances, les carnavals, les jeux et les réjouissances populaires. Le mode de vie de ces « tutoyeurs de Dieu » apparaît tout aussi choquant aux catholiques que leurs prises de position théologiques. C’est enfin l’organisation des communautés réformées qui fait scandale. Elles postulent en effet qu’aucun chrétien n’est supérieur à un autre, donc que nul ne peut s’arroger le droit de détenir une autorité sacrée et d’accéder aux mystères de religieuses, voire de pamphlets anti-papistes, fort prisés. Si ces livres ont tant de succès, c’est pour trois raisons. D’abord, parce qu’ils sont souvent plus « pratiques » : imprimés sur du papier bon marché, dans un petit format qui ne nécessite plus de lutrin, ils comportent des images pour les analphabètes ou se présentent sous forme d’abécédaires pour les enfants. Ensuite, ces ouvrages sont lisibles en langue vernaculaire, comme la Bible, connue en français en 1535 grâce à la « translation » du grec et de l’hébreu effectuée par Olivétan. Enfin, la nouvelle religion est un retour au texte originel : l’enseignement du Christ s’adresse donc à tous et la pratique de la lecture, généralement à haute voix, est encouragée. Cependant, Calvin et les autorités religieuses veillent à ce que le fidèle ne s’approprie pas le livre de manière trop « exclusive » : la censure met bon ordre dans la profusion des imprimés, et la prédication (la « Bible de l’oreille ») l’emporte encore sur l’écrit (la « Bible de l’œil »). Huit « guerres de religion » Après l’échec du colloque de Poissy (octobre 1561), les violences se multiplient entre les deux communautés. L’édit de Saint-Germain, qui accorde aux protestants un droit de culte limité, déclenche les fureurs catholiques. 1562-1563 : première guerre. Un massacre de huguenots à Vassy pousse les armées protestantes à entrer en guerre et à s’emparer de nombreuses villes. Mais Catherine de Médicis, après l’assassinat de François de Guise, impose à tous l’édit d’Amboise. 1567-1568 : deuxième guerre. Face à la menace d’une alliance franco-espagnole, les protestants reprennent les armes. À Longjumeau sont réaffirmées les dispositions de l’édit d’Amboise. 1568-1570 : troisième guerre. Charles IX et la reine-mère veulent porter un coup fatal aux protestants. Vaincus à Jarnac, ceux-ci obtiennent pourtant des conditions avantageuses et des places de sûreté à la paix de Saint-Germain. 1572-1573 : quatrième guerre. Les massacres de la Saint-Barthélemy éprouvent le parti protestant et radicalisent ses positions antimonarchiques. 1574-1576 : cinquième guerre. À la mort de Charles IX, les « malcontents » catholiques et les huguenots se dressent contre le roi Henri III et le poussent à convoquer les états généraux. 1576-1577 et 1579-1580 : sixième et septième guerres. Des opérations militaires confuses épuisent le royaume, compliquées par la formation d’une ligue catholique par les Guise en 1576. 1585-1598 : huitième guerre. L’armée royale vaincue par Henri de Navarre à Coutras (1587), Paris soulevée par la Ligue appuyée par les Espagnols, le roi est aux abois. Il fait 30 la Foi. Le pasteur, laïc, est issu de leurs rangs, désigné par tous, et les églises sont toutes égales entre elles. Seule leur représentation au sein de synodes, provinciaux puis nationaux, a autorité pour définir le dogme. Voilà bien une organisation qui, horizontale, « démocratique » dirait-on, contredit le fonctionnement vertical de l’institution catholique et la toute-puissance du pape. Mais, plus grave, la monarchie, qui revêt un caractère sacré et tient son pouvoir de Dieu, ne saurait admettre cette contestation de la hiérarchie et de la préséance. D’ailleurs, ces « huguenots », qui, ici ou là, refusent de payer la dîme et perturbent le « repos public » en suscitant des « tumultes », ne mettent-ils pas en danger la société en offensant Dieu et donc le roi, ne se comportent-ils pas comme des « étrangers » séditieux qui s’excluent de ce fait du royaume de France ? En 1559, tandis que s’est systématisée la persécution des hérétiques, se tient – comble de l’intolérable ! – le premier synode national des églises réformées, à Paris même. LA PRISE D’ARMES Les protestants formaient des églises, ils vont former un parti. Et prendre les armes. En 1560, leur importance est devenue telle qu’elle met en péril l’unité du royaume. Mais ce constat ne suffit pas à expliquer les « troubles de religion » qui vont bouleverser le pays durant quatre décennies. D’autres facteurs, tant politiques que sociaux, prédisposent au passage de la confrontation religieuse au conflit militaire. À la mort de Henri II en 1559, le pouvoir est fragile : son premier fils, François, malade, ne règne que quinze mois ; le second, Charles, qui n’a qu’onze ans, laisse sa mère Catherine de Médicis, l’« Italienne », haïe de la Cour, régenter le royaume. En outre, la paix avec l’Espagne, signée à CateauCambrésis, libère des dizaines de milliers de soldats en nombreux chefs politiques de leurs occupations guerrières. Le pouvoir royal affaibli suscite les convoitises des grandes familles princières qui rivalisent entre elles : les Guise, imprégnés de tradition catholique, nourrissent leur rêve féodal de voir la grande noblesse occuper la meilleure place auprès du roi ; les Bourbon-Condé, eux, devenus huguenots par opportunisme autant que sous l’influence de Jeanne d’Albret, veulent faire valoir leur rang de princes du sang. Des partis se constituent peu à peu autour des positions religieuses. Par fidélité vassalique au prince, les gentilshommes épousent tantôt une cause, tantôt l’autre ; le jeu des solidarités et des clientèles rallie bourgeois et classes populaires sous la bannière de leurs seigneurs. Le protestantisme sorti de la clandestinité et le catholicisme intransigeant deviennent de puissants instruments de conquête du pouvoir. Les partis décident de lourds impôts, mettent à contribution les églises, recherchent des appuis à l’étranger (les protestants chez les Anglais, les catholiques chez le roi d’Espagne), lèvent en masse des troupes qui deviennent bien vite des armées, où s’agglomèrent les bandes démobilisées et leurs capitaines impétueux pour lesquels la religion n’est plus qu’un prétexte qui justifie l’aventure. La haine fanatique des uns pour les autres fait le reste : la guerre est déclarée. Ou plutôt les guerres, huit en tout, entrecoupées de périodes de rémission durant lesquelles les camps fourbissent leurs armes et ourdissent des complots. Ces affrontements prennent plusieurs formes. La plus classique est la campagne militaire : les armées veulent prendre possession de territoires, s’emparent de villes, qu’elles pillent soigneusement, ou engagent des batailles rangées dans lesquelles les forces alignées ne sont pas considérables (20 000 hommes maximum de part et d’autre à Jarnac ou Coutras) et où l’esprit chevaleresque n’est plus la règle. Les mercenaires, lansquenets allemands ou suisses du côté huguenot, piquiers espagnols du côté papiste, s’y distinguent et horrifient les populations par leurs exactions. Ce conflit est également marqué par le crime politique. Songeons qu’en peu de temps, François de Guise et Louis de Condé sont traîtreusement occis sur le champ de bataille, Coligny massacré durant la Saint-Barthélemy, Henri de Guise et Henri III poignardés ; Henri de Navarre échappera, lui, à près de vingt attentats avant de périr, plus tard, sous les coups de Ravaillac ! Par l’assassinat, les meurtriers d’un camp (ou leurs commanditaires) éliminent physiquement et symboliquement le champion de l’autre camp, détruisent son effigie lors de violentes propagandes qui ne sont qu’appels au crime et, une fois celui-ci commis, accomplissent un rituel de purification : le duc de Guise n’a pas le droit à une sépulture chrétienne, son cadavre, plongé, dit-on, dans la chaux vive est assassiner à Blois le duc de Guise (1588), mais est tué à son tour par le moine Clément (1589). Henri de Navarre, roi de France huguenot, conquiert son royaume, assiège Paris (1590-1594), abjure sa foi protestante (1593), repousse les armées espagnoles et donne un statut à ses anciens coréligionnaires à Nantes (avril 1598). La Ligue Les succès du parti protestant et le comportement tolérant du roi poussent très tôt les catholiques intransigeants à s’unir sous la bannière du duc de Guise. En 1584, l’impopularité de Henri III fait grandir l’aspiration des nobles au « droit de révolte » et la mort de son dernier frère, François d’Alençon, laisse Henri de Navarre seul héritier du trône. Appuyée par les Espagnols, une Ligue plus radicale que les précédentes rassemble alors les plus farouches antiprotestants et, par le manifeste de Péronne, veut « s’opposer à ceux qui par tous les moyens s’efforcent de subvertir la religion catholique et l’État ». C’est à Paris que la Ligue se révèle un parti révolutionnaire, proche, par certains aspects, des institutions de la Terreur en 1794. Révolutionnaire, elle l’est par ses idées. Sa conception d’un gouvernement dominé par des représentants du peuple réunis en états et non plus par le roi (« Vox populi, vox Dei »), sa vision théocratique de la société, son rêve de rassembler les « frères catholiques » dans une grande Internationale soumise au Pape ne font toutefois pas l’unanimité. La Ligue est également révolutionnaire dans son organisation. Son assise est essentiellement populaire, regroupée par quartiers, mais son encadrement reste dominé par des notables et ecclésiastiques. Au plus fort des tensions, ceux-ci forment un comité secret (les « Seize ») qui s’empare des pouvoirs épurés de la capitale et s’appuie sur une active milice bourgeoise. Elle l’est enfin par ses actions : une violente propagande régicide par le pamphlet et la prédication ; des serments d’engagement et des processions fanatiques ; de régulières chasses aux suspects et des procès sommaires ; des soulèvements anti-royalistes durant lesquels sont érigées des barricades, à vrai dire autant pour contenir les pillages que pour faire obstacle aux soldats. Minés par les divisions, orphelins du duc de Guise assassiné en 1588, les Ligueurs ne résisteront pas à la conquête du pouvoir par Henri IV. L’édit de Nantes signé le 30 avril 1598 BNF, Paris. Un édit de tolérance ? L’édit signé à Nantes en 1598 met un terme définitif aux guerres de religion. Le royaume 31 dispersé dans la Loire afin « qu’il n’en reste ni relique, ni mémoire ». LA RAGE DE TUER Les violences commises durant les troubles de religion frappent les esprits contemporains autant qu’elles exciteront les imaginations des littérateurs futurs, Dumas et Michelet en tête. Leurs explosions brutales ont été en effet abondamment décrites et amplifiées. Qu’une ville soit prise par un camp ou un autre, ce sont alors des notables qu’on « branche », des curés ou des pasteurs qu’on « compote », des puits qu’on « pollue » en les engorgeant de cadavres, des corps qu’on mutile. Les « Saint-Barthélemy » de 1572 ont ici valeur de symbole : peut-être dix mille huguenots passés au fil de l’épée, un traumatisme pour le parti protestant. Pourquoi ces massacres inouïs ? Il faut épouser un instant la mentalité des populations du XVIe siècle. La violence la plus brutale ne leur est pas étrangère : la guerre, la persécution religieuse dont sont victimes sorcières, juifs ou hérétiques, sont dans l’ordre des choses. Et puis, les Français de l’époque sont jeunes : adolescents en quête d’un nouveau mode de vie, membres de sociétés festives où les esprits sont échauffés, ces produits des « baby booms » de la première moitié du siècle s’enflamment pour toutes les aventures. L’absence de pouvoirs locaux, le rôle des agitateurs et des propagandes les autorisent à tous les débordements. Il y a plusieurs types de violences. Les unes peuvent être spontanées, à l’occasion de cultes ou de processions par exemple : un échange d’insultes dégénère rapidement en prise d’armes. D’autres peuvent être pédagogiques, organisées alors par les religieux : les protestants brisent images pieuses et statues de saints, molestent les prêtres au moment où ils célèbrent l’eucharistie dans l’église ; les catholiques surgissent dans les temples et violentent à leur tour les scandaleux « hommes noirs de Genève ». D’autres obéissent à des motifs plus sociaux : les révoltes de croquants en Dauphiné, dans le Limousin ou la Saintonge revêtent une apparence franchement antinobiliaire et opposent des classes sociales autant que des partis religieux. Enfin, il y a une violence d’État, celle exercée à l’occasion de la Saint-Barthélemy par une monarchie qui, pour « extirper l’hérésie », n’a pas trouvé d’autres solutions que de supprimer ses chefs. Mais toutes ces violences ont une caractéristique commune : elles se veulent purificatrices. L’iconoclasme protestant comme la fureur papiste s’accompagnent de discours justificateurs et de gestes rituels : les catholiques se flagellent dans d’interminables « processions blanches », prédisent la fin du monde si celui-ci n’est pas lavé de la souillure huguenote. Quand ils accomplissent meurtres et massacres avec force mutilations, ce sont souvent à des enfants, êtres sans péchés, que l’on fait porter le coup de grâce à l’hérétique. Dans les deux camps, c’est un Dieu terrible et vengeur qui est à chaque fois invoqué. L’ÉTAT EN QUESTION Le grand perdant de ces guerres de religion est le gouvernement royal lui-même. Discrédité par les uns parce qu’il fut l’instigateur de la Saint-Barthélemy, vilipendé par les autres parce qu’il n’a su mettre un terme définitif aux agissements des hérétiques ou parce qu’on le soupçonne de pactiser avec ces derniers, le roi est la cible des plus vives attaques. Celles-ci sont bien entendu orchestrées par ceux qui ont le plus à y gagner. Les nobles protestants, certes, réclament un roi puissant qui, à l’instar du souverain anglais, serait le chef d’une religion nationale réformée. Les Guise ultracatholiques exigent un retour au premier plan des grandes familles et la soumission du roi aux décisions d’états généraux en toutes choses. Les Jésuites, eux, ces nouveaux « soldats de Dieu » du camp catholique, colportent partout que « la monarchie n’est pas autorité, mais brigandage » et arment volontiers les bras assassins. Après la religion, c’est donc la monarchie elle-même qui ploie sous la violence d’un vent de réforme. L’idée du roi-nation, incarnée par François Ier, défenseur du seul intérêt commun, est mise en question. Des écrits politiques divers véhiculent des pensées presque « révolutionnaires » qui touchent le peuple. Écoutons Théodore de Bèze, successeur de Calvin à Genève : le roi, affirme-t-il, ne peut être que le produit du consentement populaire. Lisons encore les Vindiciae contra Tyrannos (Revendications contre les Tyrans) : si le roi ne respecte pas la mission qui lui a été confiée par Dieu, alors le peuple, au nom de Dieu, a le devoir de se révolter contre le tyran ! D’autres libelles enfin, en grand nombre, prônent la nécessité du régicide : leur influence est immense. Si la monarchie est affaiblie, elle n’en est pas pour autant résignée. Malgré l’erreur politique de la Saint-Barthélemy, la recherche du consensus a été permanente. Catherine de Médicis n’est pas la comploteuse machiavélique, ni la froide n’entre pas pour autant, immédiatement, dans une époque de tolérance. L’édit établit le principe d’une concorde entre les confessions protestante et catholique. Il proclame la liberté de conscience définie de manière négative, la reconnaissance d’une liberté de culte restreinte et contrôlée pour les huguenots. À bien le lire, l’idée ressort aussi que l’existence de deux confessions en un seul royaume ne peut être que transitoire. Le jour viendra du triomphe de la « vraie religion ». Édit d’attente ? Édit de compromis ? Il a pris avec le temps une valeur symbolique de paix et de tolérance. Œuvre collective, l’édit de Nantes (30 avril 1598), s’il a permis la pacification du royaume, a aussi contribué au renforcement du pouvoir royal et à l’autorité de l’État. Comme l’explique l’historien Joël Cornette, l’État conçu comme absolu et arbitral, fortifié par les événements, s’est dorénavant situé audessus de tous les partis, les confessions et les particularismes. L’État apparaît comme le garant de l’intérêt commun vis-à-vis des factions et des opinions. Pour lui, l’édit de Nantes marque une étape importante dans l’histoire de la distinction entre le citoyen, sujet politique obéissant à la loi, et le croyant, libre de ses choix religieux privés. 32 empoisonneuse que la légende a peint d’elle. Dans un grand souci de calmer le jeu, elle a suscité dès 1561 le colloque de Poissy et donné la parole aux réformés, suspendu les armes par des édits de tolérance, multiplié les rencontres avec les chefs des deux partis, organisé pour son fils Charles IX et tout le gouvernement un incroyable périple de plusieurs mois (entre 1566 et 1568) pour aller à la rencontre des sujets traumatisés par la guerre ; elle a orchestré enfin le malheureux mariage de Henri de Navarre et de sa fille Marguerite de Valois qui devait sceller l’amitié entre catholiques et huguenots. En vain. Dans les années 1580, la nation semble irrémédiablement divisée. Comme aux pires moments de la guerre de Cent ans, le royaume lui-même est coupé en deux : au sud règne Henri de Navarre qui a rallié à lui les trois quarts des gentilshommes de langue d’oc ; au nord les Guise et leurs alliés mettent en coupe réglée les pouvoirs provinciaux et attisent les passions de la Ligue (voir encadré ci-dessous) ; un peu partout enfin des bandes armées sèment la terreur, tandis qu’aux frontières piaffent d’impatience les armées prédatrices des royaumes voisins, prêtes à la curée. Au comble des troubles, en 1589, l’assassinat de Henri III par le moine ligueur Clément porte un roi huguenot sur le trône de France ! VERS LA RAISON D’ÉTAT La légitimité d’Henri IV semble incontestable. Elle est cependant assez largement contestée : aux yeux des Ligueurs, un roi membre de l’« Internationale protestante » ne pouvait décemment pas régner. La légende déjà vive du « bon roi Henry » ne suffit pas à expliquer le ralliement massif de ses sujets durant les années 1590. Il faut chercher ailleurs des explications. La première tient à l’émergence, entre ultracatholiques et protestants radicaux, de nouveaux penseurs marqués par l’influence de l’humanisme, en quête d’une troisième voie. Le diagnostic du royaume qu’ils établissent est édifiant : plus d’un million et demi de morts dont « 50 000 gentilshommes », déplore l’un d’eux, le président Pasquier. « Pour pacifier tous ces troubles, affirmait déjà ce parlementaire à Henri III, il n’y a pas de moyen plus prompt et expéditif que de permettre en votre République deux Églises, l’une des Romains, et l’autre des Protestants ». Ce « Politique » (car tel est le nom, encore péjoratif à l’époque, qu’on donnera à ces modérés), catholique fervent pourtant, avance ici une idée tout simplement inimaginable : un royaume dans lequel seraient distincts les domaines politique et religieux et caduc le vieil adage « Une foi, une loi, un roi ». Le souverain, sans lien (« ab-solutus »), serait au-dessus des Églises et, au nom de la concorde civile, garantirait le droit, la raison et la tolérance. Cette dernière notion, prenons-y garde, n’a évidemment pas le contenu philosophique et moral que lui a assigné le siècle des Lumières : elle traduit au XVIe siècle une pensée pragmatique du compromis qui n’a pour but ultime que la paix. Le monarchisme, avec les « Politiques », l’emporte sur les passions religieuses. Henri IV s’appuie sur cette évidence de la raison d’État. Il le fait avec d’autant plus d’habileté qu’il se pose aussi en roi patriote. L’extraordinaire propagande qui le sert en fait l’« Anti-Espagnol », « né au vrai parterre des fleurs de lys de France, jeton droit et verdoyant du tige de Saint Louis », mais aussi un « Français » (le terme est constant), débonnaire et déjà « vert-galant » ! Elle flatte ainsi le sentiment patriotique de sujets violemment hostiles à l’impérialisme espagnol, au Pape, aux Italiens du Conseil ou aux Guise, dont l’origine est lorraine. En outre, le roi renoue, dans les récits colportés mais aussi dans les faits, avec cette image du chevalier courtois, protecteur des libertés paysannes et plein de mansuétude à l’égard des vaincus. Henri est avant tout réaliste, calculateur. Il connaît avec exactitude l’état de son royaume. Il sait que les réformateurs catholiques, en réplique à la révolution protestante, ont entrepris, sur la base du Concile de Trente, une vigoureuse reprise en main du clergé, une « reconquête des âmes » par la prédication et l’éducation prodiguées notamment par les Jésuites. Un catéchisme simplifié, des processions spectaculaires, un nouveau culte dévot et baroque de la Vierge et des Saints regagnent à la foi catholique un grand nombre de fidèles qui s’étaient mis à douter. Et puis la majorité paysanne du royaume (85 % des sujets) demeure résolument ancrée dans une solide foi du charbonnier, rétive aux aménités du protestantisme. Ce dernier a atteint ses limites en France : exténués par les guerres, les massacres, les abjurations forcées, les huguenots ne sont guère plus d’un million en 1590 ! C’est donc toujours au nom de la très réaliste raison d’État que le roi accomplit en trois temps le « saut périlleux » attendu de tous : à Saint-Denis, près de la 33 nécropole royale, il embrasse la foi catholique (pour la troisième fois !) et accepte de « manger le pain des prêtres » ; à Chartres, il se fait sacrer dans la cathédrale dédiée à la Vierge ; à Paris, il renoue en roi avec son peuple et désamorce le mouvement ligueur, non sans avoir versé d’amples pots-de-vin à ses chefs ! Épilogue de cette longue conquête du royaume qui s’est faite autant par la diplomatie que par les armes, l’édit de Nantes, en avril 1598, rétablit enfin la paix. En réaffirmant que le catholicisme est la seule religion d’État et la seule religion publique, en accordant places de sûreté, libertés et lieux de culte à ses anciens coreligionnaires, le roi ménage toutes les susceptibilités. Il ne contente peut-être personne d’autre que sa souveraineté elle-même, quasi absolue. Les guerres de religion ne sont pas terminées : Richelieu, dans les années 1620, reprendra les armes contre les huguenots, et Louis XIV révoquera avec fracas l’édit de son aïeul. Mais la monarchie, elle, aura franchi une étape nouvelle de son histoire. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 34 HM – Le « roi absolu » en France jusqu'en 1789 Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Fanny Cosandey, Robert Descimon, L’Absolutisme en France. Histoire et historiographie, Seuil, 2002. J. Cornette, L’affirmation de l’État absolu, 1515-1562, Hachette, « Carré Histoire », 1993. J. CORNETTE, Absolutisme et Lumières (1652-1783), Hachette, « Carré-Histoire », Paris, 1993. E. Le Roy Ladurie, L’État royal. 1460-1610, Hachette, 1987. E. LE ROY LADURIE, L’Ancien Régime (1610-1789), Hachette, Paris, 1991. D. ROCHE, La France des Lumières, Fayard, Paris, 1993. O. CHALINE, La France du XVIIIe siècle (1715-1789), Belin, « Sup », Paris, 1996. P. GOUBERT, M. DENIS, 1789, les Français ont la parole, Gallimard, « Archives », Paris, 1973. H. MÉTHIVIER, La Fin de l’Ancien Régime, PUF, « QSJ », Paris, 1974. M. VOVELLE, La Chute de la monarchie (1787-1792), Seuil, « Points », Paris, 1972. A. DE TOCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856 (nombreuses rééditions). P. GOUBERT, D. ROCHE, Les Français et l’Ancien Régime, Armand Colin, Paris, rééd. 1991. J. Garrisson, Henri IV, le roi de la paix, collection « la France au fil de ses rois », Tallandier, 2000. J.-M. Apostalides, Le roi machine, Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Éditions de Minuit, 1981. F. Bluche (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard 1990. N. Élias, La société de cour, Flammarion, 1985. P. Goubert., Louis XIV et vingt millions de Français, Fayard, 1966, rééd. 1993. J.-F. Solnon, La cour de France, Fayard, 1987. Documentation Photographique et diapos : La monarchie absolue, De la Renaissance aux Lumières - n° 8057 (2007) / Joël Cornette « Naissance de l’État moderne », La Documentation photographique n° 6069, La Documentation française, 1984. « Le règne de Louis XV », La Documentation photographique n° 5274, La Documentation française, 1967. « Le règne de Louis XVI », La Documentation photographique n° 5294, La Documentation française, 1969. Revues : Les campagnes en 1789, TDC, N° 892, du 15 au 31 mars 2005 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : L'Absolutisme en France. Histoire et historiographie Fanny Cosandey et Robert Descimon, Seuil, 2002, 320 p., 7,80 €. * L'absolutisme dans l'histoire et l'historiographie L'ABSOLUTISME : LE TRAVAIL THEORIQUE DE LA MONARCHIE SUR ELLE-MEME * L'absolutisme comme théorie du pouvoir législatif * L'absolutisme comme " constitution " ; Lois fondamentales et coutumes * Le droit divin et la raison d'Etat L'ABSOLUTISME : LE TRAVAIL PRATIQUE DE LA MONARCHIE SUR ELLE-MEME * Un roi qui gouverne en se passant de la consultation des états * Les moyens de l'absolutisme : la construction d'un appareil d'Etat et la centralisation * Les oppositions à l'absolutisme L'ABSOLUTISME : UN MYTHE ? * Les rives chronologiques de l'absolutisme * L'absolutisme n'a jamais existé * L'absolutisme n'est pas un totalitarisme * Vers une relecture du concept d'absolutisme Faut-il renoncer au concept d'absolutisme ? Cette notion a pu sembler une étiquette trop commode pour rendre compte de toutes les évolutions institutionnelles et politiques en France entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Ne fautil pas plutôt tenter de retrouver la cohérence d'un système dont la logique nous est Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 5e actuel : « Le Royaume de France au XVIe siècle : la difficile affirmation de l’autorité royale (2 à 3 heures) Il s’agit seulement de montrer comment la monarchie française s’efforce d’asseoir son autorité et d’unifier le royaume en dépit des multiples forces centrifuges qui l’affectent • Carte : le Royaume de France au XVIe siècle. • Repères chronologiques et documents : l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) ; l’édit de Nantes (1598). » Socle. Ajout aux repères : La Saint Barthélemy (1572). BO 5e futur : « L’ÉMERGENCE DU « ROI ABSOLU » La monarchie française subit une éclipse dans le contexte des conflits religieux du XVIe siècle, à l’issue desquels l’État royal finit par s’affirmer comme seul capable d’imposer la paix civile (1598). Les rois revendiquent alors un « pouvoir absolu » qui atteint son apogée avec Louis 35 cachée par la Révolution et ses conséquences ? L'histoire longue de l'Etat en France ne doit-elle pas prendre en compte l'expérience de la monarchie absolue dans l'affirmation de la République ? Fanny Cosandey et Robert Descimon tentent de répondre à ces questions, en soulignant les enjeux du débat autour d'un des concepts majeurs de l'historiographie moderniste. Et si l'absolutisme n'avait jamais existé en France ? Et s'il n'était qu'un leurre fabriqué par la monarchie d'Ancien Régime pour donner l'illusion d'une toutepuissance qu'elle était incapable d'exercer ? Et si ce leurre n'avait été repris après la Révolution française que pour mieux dénoncer le « despotisme » des rois ? On ne peut bien sûr pas nier que les rois de France ont régulièrement essayé de renforcer leur administration aux dépens des pouvoirs locaux, ni que cette montée en puissance du pouvoir royal a connu son apogée sous Louis XIV. Mais, dans le même temps, force est de constater que la monarchie, loin de lutter constamment contre les puissances seigneuriales ou urbaines qui pouvaient contester sa volonté, dut recourir à leurs services pour gouverner, quitte à leur accorder plus d'indépendance. Plutôt que de parler d'un absolutisme monarchique, c'est ainsi la pratique d'une collégialité dans la direction des affaires provinciales qui pourrait peut-être être mise en avant. A moins qu'il ne faille maintenir que la monarchie était intrinsèquement absolue même si elle n'a pas pu complètement se réaliser. Ces débats montrent qu'une réflexion sur le concept d'« absolutisme » passe par une analyse de l'écart qui a pu exister entre le discours que la monarchie tenait sur elle-même et le fonctionnement effectif de l'Etat. Plus encore, par une interrogation sur les diverses présentations de l'absolutisme qui ont été faites depuis la fin du xviiie siècle tant celles-ci orientent encore, souvent malgré nous, nos différentes approches du problème. D'où l'intérêt de ce livre, dont les auteurs développent une analyse à la fois historique et historiographique du concept d'« absolutisme ». Aucune réponse n'est donnée à la question de savoir s'il faut ou non renoncer à ce concept, mais une multitude d'analyses souligne la portée du problème, et de nombreuses pistes de réflexion sont proposées. C'est donc moins un livre à thèse qui nous est ici offert qu'une synthèse critique des diverses approches de l'évolution institutionnelle et politique en France entre le XVIe et le XVIIIe siècle. L’approche du sujet est résolument politique. Il s’agit d’étudier les origines et les fondements de la monarchie absolue, construction politique que l’on retrouve dans la majeure partie des États européens à l’époque moderne et dont le royaume de France est le modèle. Ce sont d’abord les fondements et les origines de la monarchie absolue de droit divin qui sont définis. Élu de Dieu, le roi ne partage pas son autorité, seulement limitée par les commandements de Dieu et les lois fondamentales du royaume. On propose une définition des principes de l’autorité absolue du roi à un moment où, avec le règne de Louis XIV (1661-1715), elle semble incontestée. Ensuite, c’est l’organisation de l’État, issue de cette conception du pouvoir, qu’il convient d’expliquer. C’est à partir de Versailles que le roi gouverne son royaume avec l’aide des ministres, des secrétaires d’État et des conseils spécialisés. Dans les provinces, le roi est représenté par les intendants. On insiste sur le caractère « moderne » des rouages administratifs et gouvernementaux. Enfin, cette conception du pouvoir s’accompagne d’une conception de la société : il faut montrer le caractère inégalitaire d’une société fondée sur la naissance et majoritairement rurale. C’est l’occasion d’aborder les tensions au sein de la société française et l’aspiration à la mobilité sociale. Comprendre la notion complexe d’absolutisme : Louis XIV est le roi qui a porté ce système à son point d’achèvement le plus complet. L’absolutisme est religieux (monarque de droit divin qui défend une seule foi), politique (le roi est délié des lois de ses prédécesseurs, passage de l’État féodo-vassalique à l’État moderne), économique (dirigisme) et militaire (la politique extérieure comme miroir de la puissance royale). L’absolutisme de droit divin se cristallise à Versailles, instrument au service du pouvoir absolu et chefd’oeuvre de l’art classique. XIV et se met en scène à Versailles. L’étude qui est conduite à partir d’exemples au choix : - de la vie et l’action d’un souverain - d’un événement significatif Le château de Versailles et la cour sous Louis XIV, et une œuvre littéraire ou artistique de son règne au choix sont étudiés pour donner quelques images du « roi absolu » et de son rôle dans l’État. Connaître et utiliser les repères suivants − L’Édit de Nantes, 1598 − L’évolution des limites du royaume, du début du XVIe siècle à 1715 − 1661-1715 : le règne personnel de Louis XIV Raconter une journée de Louis XIV à Versailles révélatrice du pouvoir du roi » BO 4e actuel : La monarchie absolue en France (3 à 4 heures) L’étude de la monarchie française permet de montrer comment le principe du droit divin légué par la tradition se combine avec la création de structures étatiques modernes. Parallèlement est rappelé le principe de l’organisation de la société en trois ordres. Il s’agit, sans étudier les événements des révolutions anglaises du XVIIe siècle et de la Révolution américaine, de montrer que l’existence de régimes tels que la monarchie limitée en Angleterre et la république américaine et des aspirations politiques liées à la philosophie des Lumières mettent en cause les principes de la monarchie absolue. D’autres modèles politiques sont ainsi proposés à une société française en crise. • Repères chronologiques : règne personnel de Louis XIV (1661-1715) ; Déclaration des Droits (1689) ; l’Encyclopédie (milieu du XVIIIe siècle). • Documents : Versailles ; Molière : extraits du Bourgeois gentilhomme ; préambule de la Déclaration d’indépendance des États-Unis » Socle : Nouveau commentaire « L’étude de la monarchie absolue, centrée sur le règne de Louis XIV, insiste sur les pouvoirs du roi, à partir d’exemples significatifs. On présente une société fondée sur la division en trois ordres. Cette étude de la monarchie absolue en France doit permettre de transmettre des notions politiques nécessaires aux élèves pour comprendre l’ampleur de sa remise en cause à partir du XVIIIe siècle. Ajout aux repères : La révocation de l’édit de Nantes (1685). » Au XVIIIe siècle, l'entreprise absolutiste semble s'être imposée aux Français avec l'appui d'une administration de plus en plus efficace. Toutefois, la monarchie connaît une crise d'autorité, que la faiblesse souvent évoquée des souverains ne suffit pas à expliquer. Le régime est confronté à des évolutions sociales qui 36 accentuent les antagonismes dans une conjoncture économique qui se dégrade pendant le règne de Louis XVI. La diffusion des Lumières a accéléré la maturation politique des nouvelles élites et a contribué à la corrosion de l'ordre traditionnel. Le système politique anglais offre à l'opinion publique « éclairée » un contre-modèle à l'absolutisme de droit divin, celui d’une monarchie tempérée et respectueuse des libertés. La révolution américaine propose ensuite un autre modèle, celui d’une république. La crise de l’absolutisme est un phénomène complexe, difficile à expliquer sans schématisme. On peut par exemple montrer que les parlementaires, qui défendent avant tout leurs privilèges, apparaissent néanmoins aux yeux de l’opinion publique comme les défenseurs de la liberté face au « despotisme ministériel » (c’est-à-dire aux ministres réformateurs comme Turgot) et qu’ils sont finalement à l’origine de la convocation des états généraux. L'étude des « dernières années de l'Ancien Régime » vise à faire comprendre aux élèves la rupture que constitue la Révolution française. Cette présentation de l'histoire nationale s'inscrit dans une conception héritée des révolutionnaires qui ont inventé l'expression « Ancien Régime » pour désigner les « temps anciens » et pour stigmatiser l'ordre politique et social existant avant 1789. Cette téléologie a suscité de fortes objections logiques et chronologiques, dont celles de P. Chaunu : « Dans cette perspective, la modernité tout entière est devenue un Ancien Régime. Le mot traduit l'aliénation. Il aboutit à définir un existant, un présent, un réel, par un futur. Toute historiographie qui accepte la notion d'Ancien Régime s'installe délibérément dans l'anachronisme. » On pourrait appliquer la critique de P. Chaunu aux notions d'Antiquité, de Moyen Âge, mais cette diatribe vise essentiellement à nier l'origine révolutionnaire de la France contemporaine. Il n’en reste pas moins qu’il ne faut pas analyser tous les phénomènes du XVIIIe siècle comme conduisant inéluctablement à la Révolution. Les journalistes et historiens libéraux de la génération romantique (Guizot, Thiers) ont repris le terme pour combattre la politique réactionnaire de la Restauration. Avec la publication en 1856 de L’Ancien Régime et la Révolution, l'expression employée par Tocqueville perd de son caractère polémique pour désigner un système socio-politique. Les historiens républicains de la fin du XIXe siècle ont repris la définition essentiellement politique et juridique donnée par les constituants qui insistait sur l'absolutisme politique et les privilèges. S'inscrivant dans le projet d'une « histoire totale » défini par les Annales, des historiens ont depuis un demi-siècle considérablement élargi le champ de la recherche en définissant un Ancien Régime économique, démographique, mental… Synthétisant ces travaux, P. Goubert et D. Roche s'interrogent sur les ruptures successives, échelonnées, vives ou lentes, qui permettent de comprendre l'Ancien Régime autrement que « par opposition à ce qui l'a suivi ». BO 4e futur « LES DIFFICULTÉS DE LA MONARCHIE SOUS LOUIS XVI Trois aspects sont retenus : les aspirations à des réformes politiques et sociales, l’impact politique de l’indépendance américaine, l’impossible réforme financière. L’étude est conduite à partir d’images au choix (tableaux, caricatures), de quelques extraits de la constitution américaine, d’un exemple de cahier de doléances Connaître et utiliser les repères suivants − Le règne de Louis XVI : 1774 – 1792 − La Révolution américaine : 1776 – 1783 Décrire et expliquer les principales difficultés de la monarchie française à la veille de la Révolution et quelques unes des aspirations contenues dans les cahiers de doléances. Accompagnement 4e : « Aborder en trois ou quatre heures l’étude de la remise en cause de l’absolutisme suppose de s’en tenir à quelques idées essentielles, en s’appuyant sur les exemples de l’Angleterre et des États-Unis et sur l’analyse de la philosophie des Lumières sans pour autant conduire un récit événementiel. Ainsi, l’approche des «libertés anglaises», à partir de documents comme l’Habeas corpus (1679) ou la Déclaration des droits (1689), suffit à mettre en évidence un exemple de limitation à l’absolutisme. De même, sans étudier la révolution américaine, il est possible de faire réfléchir les élèves à la portée de l’événement où une nation s’affirme en se libérant de la tutelle de sa métropole européenne et 37 se donne la première constitution écrite de l’histoire, librement discutée et acceptée par les citoyens, s’inspirant des principes puisés dans le «droit naturel». Les idées qui remettent en cause les principes de l’absolutisme sont celles d’une minorité cultivée. Elles rencontrent en 1789 une conjonction de mécontentements qui s’expriment dans la réunion des États généraux et débouchent sur une révolution. L’état de la France à la veille de la Révolution se lit dans les événements de 1789 et non dans un tableau préalable. » BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851 – Ruptures avec l'Ancien Régime Cette question est délibérément centrée sur la France avec l’objectif de faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ; Le programme invite à organiser cette étude autour de quelques axes privilégiés : afin de comprendre la rupture que constitue la Révolution française, il est nécessaire de commencer par une rapide présentation de la France en 1789 pour souligner les pesanteurs du système politique et social de l'Ancien Régime, alors qu'émergent des idées nouvelles exprimées par les philosophes des Lumières et lors des révolutions anglaise et américaine. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I. L’émergence du « roi absolu » (XVIe-XVIIe s.) Il faut remonter à la période suivant la fin du Moyen Âge et surtout à la Renaissance pour trouver les fondements de l'absolutisme en France. Le pouvoir royal a en effet renforcé sa légitimité et son administration à partir de la fin de la guerre de Cent Ans. Ainsi François Ier peut imposer son autorité sur les domaines religieux et financiers. Ainsi, le concordat de Bologne est imposé malgré l'opposition du Parlement. En ce qui concerne l'impôt, le roi de France arrive à se passer de l'avis des contribuables, même en pays d'États. Les villes ou l'Église sont obligés de payer, de consentir des prêts jamais remboursés. Il soumet aussi les parlements à son autorité supérieure. François Ier se considère bien comme un monarque « absolu » mais il n'est pas assez puissant pour remettre en cause les privilèges médiévaux. L'apparition d'une bureaucratie « d'offices » caractérise aussi la mise en place de l'absolutisme durant cette période. Les officiers servent « à retenir les peuples dans leur devoir » dira Richelieu. La miniature représentant François Ier paré des symboles de la royauté, si elle illustre le gouvernement monarchique de la France, témoigne aussi de l’attachement des rois à leurs pouvoirs. C’est le sacre qui, dès les Capétiens, confère au roi son caractère religieux. À l’occasion du sacre, les rois arborent les insignes de leurs pouvoirs : – le sceptre (pouvoir de commander) ; – la main de justice (pouvoir de rendre la justice) ; – la couronne; – le collier de l’ordre du Saint-Esprit. Le roi de France, roi « très chrétien », n’est pas seulement un chef d’État, il dispose aussi du pouvoir religieux. La France, dans la première moitié du XVIe siècle, est l’État d’Europe qui offre le meilleur exemple d’une évolution vers l’État-nation et la monarchie absolue. La personnalité de François Ier, le développement de l’administration, le rayonnement culturel et politique de la cour et l’enrichissement du royaume en sont à la fois les facteurs et les manifestations. L’expansion territoriale du royaume Elle s’effectue au XVIe s par une politique d’habiles mariages. Anne de Bretagne épouse successivement Charles VII et Louis XII. Avec ce dernier, elle a une fille Claude de France qui épouse François Ier en 1514. Cependant, ce sont la guerre et les ambitions extérieures des rois qui vont jouer un rôle essentiel dans la construction de la France : les guerres d’Italie, la guerre contre l’empereur Charles Quint apportent les territoires de Calais, Metz, Toul et Verdun. Henri de Navarre, sous le nom de Henri IV, incorpore ses possessions au royaume. Il obtient plus tard la Bresse et le Bugey. L’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) Ordonnances et édits sont au XVIe siècle ce que nous appelons aujourd’hui des lois (textes en provenance du pouvoir législatif) et des règlements (textes du pouvoir exécutif). Au XVIe siècle, l’activité législative de l’État royal est intense. Parmi les milliers de textes recensés, certains se distinguent par leur importance. C’est le cas de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, conçue par le chancelier Poyet et signée par François Ier en août 1539. Elle se compose de 192 articles à portée générale, recouvrant une grande diversité de domaines. Les articles 50 à 54 sont à l’origine de la tenue des registres paroissiaux, sollicitant des curés l’enregistrement des baptêmes (art. 51) ; il est fait mention ailleurs des décès. L’ordonnance commande également, en particulier aux notaires, de rédiger les documents officiels (actes, contrats, arrêts…) en français Le roi Henri IV touche les écrouelles BNF, Paris. La réputation de guérisseur par le toucher des rois n’est pas nouvelle. C’est Philippe Ier (1052-1108) qui exerce le premier ce pouvoir que l’on pourrait qualifier, à la suite de M. Bloch, de thaumaturgique (capable de produire des miracles) et propre à faire naître la vénération. Le rite des « escrouelles » est renouvelé les jours de sacre et de fêtes religieuses. Il illustre les pouvoirs quasi divins du roi. Louis XIV en costume de sacre, Rigaud, 1701 Cette huile sur toile, conservée au Louvre, est la plus célèbre représentation de Louis XIV. Peinte par Hyacinthe Rigaud (1659-1743), elle symbolise la majesté d’un souverain absolu de droit divin. Réalisé en 1701, l’oeuvre devait être offerte au petit-fils de Louis XIV, Philippe V d’Espagne, mais elle ne quitta jamais Versailles. Placé dans la chambre du roi, au centre du palais à partir de 1701, le portrait est ensuite exposé dans la salle du trône. Tourner le dos au portrait était 38 (art. 111). Cette décision est à mettre en relation avec un souci de rationalité et d’unification qui transparaît bien dans les art. 110 et 111 (« afin que l’on ne puisse se tromper », « qu’il ne puisse y avoir aucune ambiguïté ou incertitude ») Cette ordonnance « sur le fait de la justice », datée de 1539, est d’abord destinée à clarifier l’interprétation des arrêts des cours souveraines statuant en dernier ressort (Grand Conseil, chambre des comptes, cour des aides, cour des monnaies, parlements) et des cours subalternes (bailliages, sénéchaussées, présidiaux). Elle rend obligatoire l’enregistrement des sépultures, la tenue de registres des baptêmes par les prêtres, et l’utilisation du français dans les actes officiels en remplacement du latin. C’est la naissance de ce que nous appelons aujourd’hui l’état civil. Mais c’est surtout la substitution du français au latin dans les actes notariés et les arrêts de justice qui constitue une étape très importante dans l’unification linguistique du royaume. Le français, parler de l’Île-de-France et d’une partie du Bassin parisien, contribue ainsi à renforcer l’emprise de l’administration royale dans les provinces et à forger l’unité nationale. Le combat sera encore long pour que le français s’impose chez les savants et les universitaires, malgré les efforts du groupe de la Pléiade : la Défense et illustration de la Langue française de Joachim Du Bellay paraît en 1549. L’ordonnance de 1539 s’en prend surtout au latin. Langues, dialectes et patois locaux reculent lentement devant le français, devenu progressivement langue de culture du XVIe au XVIIIe siècle, langue de l’épopée révolutionnaire (de l’abbé Grégoire), puis langue de l’École républicaine (Jules Ferry). L’État s’impose sur son territoire grâce à son administration, son armée qui s’organise progressivement en armée nationale, mais aussi grâce à la diffusion de la langue du pouvoir central sur l’ensemble du territoire. Le pouvoir royal vu par un ambassadeur vénitien au XVIe siècle L’ambassadeur vénitien parle du roi en ces termes : il dispose d’une « entière et suprême autorité », « tout dépend de lui », il est « le roi et le maître absolu ». Ce texte accrédite l’idée de l’émergence d’un pouvoir royal absolu. Le souverain apparaît ainsi comme le premier, « primus inter pares », après Dieu, dans la hiérarchie des puissances. Il est « empereur en son royaume », n’admettant aucun supérieur temporel. Au XVIe siècle, les ouvrages des juristes témoignent d’une augmentation constante des prérogatives du roi. Si certains juristes comme Claude de Seyssel défendent une souveraineté limitée (pour éviter la dérive tyrannique), d’autres comme Guillaume de Budé prônent l’absolutisme. Malgré ce net renforcement de l’autorité royale, les souverains doivent affronter de nombreux obstacles. Le Parlement a la possibilité d’exercer un certain contrôle. Composé de magistrats, il est le gardien des lois fondamentales et de la jurisprudence du royaume. Si le roi détient seul le droit de faire des lois, elles doivent être enregistrées par le Parlement qui peut lui présenter d’éventuelles « remontrances ». Ces dernières peuvent déboucher sur de longs conflits que le souverain peut régler en tenant un « lit de justice ». Cette cérémonie exceptionnelle lors de laquelle le roi vient en personne au Parlement lui permet de réaffirmer son autorité en procédant à l’enregistrement autoritaire de son texte. Il doit également composer avec les privilèges de ses sujets, avec les assemblées locales et les États généraux. Autre obstacle, le roi, malgré le développement de l’administration, dispose de moyens insuffisants pour assurer l’unité d’un grand royaume-mosaïque autour de la couronne. La loi du roi, souvent mal transmise, est aussi fréquemment mal admise. Les dernières lignes du texte illustrent les conséquences du Concordat de Bologne (août 1516) qui accorde au roi le droit de nommer aux principales fonctions ecclésiales et lui donne ainsi la possibilité de contrôler l’Église. Au XVIe siècle, Jean Bodin est un des premiers théoriciens de l'absolutisme. Dans les Six livres de la République (1576), il construit une théorie de la « république », dans le sens romain de la « chose publique », c'est-à-dire de l'État. Pour lui, la république est la communauté humaine où apparaît la souveraineté. La souveraineté implique nécessairement le pouvoir de faire la loi, tous les autres pouvoirs découlant de celui-ci. La monarchie de droit divin est la meilleure incarnation de la souveraineté. Jean Bodin distingue l'absolutisme de la tyrannie. Il critique ceux qui veulent faire de l'État la propriété du monarque. Il voit deux limites à la monarchie absolue : à l'intérieur, le respect des lois fondamentales ; à l'extérieur, le respect des traités conclus et le droit commun à l'ensemble des hommes. un délit au même titre que tourner le dos au roi. Membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture, portraitiste de renom, Hyacinthe Rigaud réalise cette oeuvre avec le concours de son atelier. La tête, esquissée par un de ses élèves, a été peinte sur une toile indépendante avant d’être fixée sur la grande toile. Le roi n’eut pas à subir de fastidieuses séances de pose en costume de sacre : l’habit et les accessoires furent d’abord composés et peints d’après nature ; les jambes fines et musclées sont celles d’un jeune modèle. Le portrait eut tant de succès que les commandes affluèrent, officielles pour la plupart. De nombreux insignes royaux sont représentés. La couronne fermée, en or, assortie de fleurs de lys, ornée de 48 pierres précieuses dont un rubis au centre, symbolise le caractère absolu et universel de l’État royal. Les lys, symboles de pureté, sont employés dans toutes les décorations et les armes (souvent en association avec le bleu azur) pour souligner la protection que la Vierge accorde au roi de France. Le sceptre, bâton de vie et de mort, tenu à l’envers comme une canne, prolonge la main droite du roi qui, comme celle de Dieu, est redoutable. La main de justice, bâton d’or surmonté d’une main d’ivoire, symbolise l’autorité et la clémence royale. Elle est ici posée. L’épée Joyeuse, l’épée de Charlemagne, aurait été remise par Dieu aux rois qu’il choisit pour accomplir sa justice. Le roi est vêtu d’un grand manteau d’apparat aux couleurs royales, bleu et blanc, reproduisant la voûte céleste qui symbolise la puissance du roi sur l’univers. On peut aussi distinguer sur la poitrine, le collier de l’ordre du SaintEsprit créé par Henri III en 1578 pour fortifier la foi et la religion catholiques. C’était la plus haute distinction que l’on puisse recevoir à l’époque. Ce portrait est une véritable effigie officielle. Le sacre se réfère à l’histoire mythique de la royauté puisque chaque insigne remis au roi est porteur d’un souvenir fabuleux de la fondation du royaume. Toutefois, le tableau est moins traditionnel qu’il n’y paraît au premier abord. Il constitue un habile compromis entre idéalisation et détails réalistes, roi symbolique et personne physique. Ce portrait donne une impression de majesté : Louis XIV apparaît comme un personnage imposant mais Louis XIV apparaît vieilli. Ce tableau représente tous les insignes royaux mais le roi s’appuie sur le sceptre et porte l’épée de justice comme s’il s’agissait d’objets ordinaires et non comme des objets sacrés. Enfin, Louis XIV est vêtu à la mode du XVIIe siècle. Mais ses détails réalistes viennent renforcer l’image de puissance de Louis XIV : s’il tient ses insignes avec négligence, c’est parce que son 39 Un roi tout-puissant Plusieurs théoriciens politiques ont justifié le pouvoir royal. Après Jean Bodin (fin du XVIe siècle), Jacques Bénigne Bossuet réaffirme la toute puissance du monarque. Dans sa Politique tirée de l’Écriture sainte (1677), Bossuet établit un parallèle entre les pouvoirs détenus par Dieu sur le monde et ceux du roi en son royaume. À l’image de Dieu, le roi est le seul détenteur de tous les pouvoirs qu’il incarne. Le glissement est ainsi facilité vers l’affirmation du principe le plus fort de la monarchie française : le droit divin, selon lequel le roi ne tient sa couronne que de Dieu. Le collège des notaires et des secrétaires du roi. Miniature du XVIe siècle, bibliothèque de l’Arsenal, Paris. Dans la France du XVIe siècle, magistrats et conseillers divers exercent des fonctions qui font de la France un État moderne certes, mais ils les exercent au nom du souverain. Le roi est ainsi considéré comme un personnage sacré. Ce collège des notaires et secrétaires du roi a été créé en 1365 par Charles V. Ses membres, placés sous l’autorité du roi, jouissent de privilèges étendus (noblesse personnelle et exemption de toutes charges fiscales). À partir du XVIIe siècle, on assiste à l'épanouissement de l'absolutisme. Dans la première moitié du XVIIe siècle, les périodes de régence constituent des moments difficiles pour le pouvoir royal. Il faut l'action énergique d'un Richelieu pour mater les pouvoirs féodaux. En 1614, à la demande des États Généraux, le principe du pouvoir de droit divin entre parmi les lois fondamentales du royaume de France. Le roi détient une puissance parfaite et entière qu'il ne partage avec personne. L'absolutisme est, au sens strict, pour cette période, la négation de la féodalité. L'un des théoriciens de l'absolutisme est alors Pierre de Bérulle. Dans la dédicace de son Discours de l'État et des grandeurs de Jésus, adressée à Louis XIII en 1623, il écrit : « un monarque est un Dieu selon le langage de l'écriture : un Dieu non par essence mais par puissance ; un Dieu non par nature mais par grâce ; un Dieu non pour toujours mais pour un temps. Un Dieu non pour le Ciel mais pour la Terre. Un Dieu non subsistant, mais dépendant de celui qui est le subsistant par soi-même ; qui étant le Dieu des Dieux, fait les rois Dieux en ressemblance, en puissance et en qualité, Dieux visibles, images du Dieu invisible. » Les doctrines de l'absolutisme servent, au XVIIe siècle surtout, à expliquer et justifier la pratique de l'État autoritaire. Richelieu est un des grands penseurs de l'absolutisme. Sa pensée est essentiellement fondée sur l'idée que la puissance est la seule chose nécessaire à l'État. Et comme la personne du roi se confond avec l'État, celui-ci, d'une part, ne doit supporter aucune opposition et, d'autre part, ne doit partager son pouvoir avec personne. Le seul motif à l'action du roi est la raison d'État ; l'intérêt de l'État prime tous les autres. « La puissance étant une des choses la plus nécessaire à la grandeur des Rois et au bonheur de leur gouvernement, ceux qui ont la principale conduite d'un État sont obligés particulièrement de ne rien omettre qui puisse contribuer à rendre leur Maître si autorisé, qu'il soit, par ce moyen, considéré de tout le monde... ». Le seul devoir du roi est de suivre ce qui est raison pour l'État. Richelieu comprend bien que de tels principes ouvrent la voie à des abus. Mais c'est un moindre mal car les abus d'un pouvoir fort ne font souffrir que des particuliers, alors que c'est l'ensemble d'une société que met en danger un pouvoir faible. Cependant, l'idée de raison d'État n'a pas été inventée par Richelieu, mais semble avoir été mise au jour par un juriste italien, Botero, dans son œuvre Della ragione di Stato publiée en 1589 et traduite en français dès 1599. Pendant la minorité de Louis XIV, c'est le cardinal de Mazarin qui affronte le soulèvement de la Fronde : les Condé attisent la révolte et le peuple parisien s'agite. Le jeune Louis XIV doit subir l'humiliation de la fuite dans la nuit (« la nuit des rois »). Il gardera toute sa vie un profond ressentiment contre la noblesse frondeuse. Il fut aussi éduqué par Mazarin dans l'idéologie absolutiste selon laquelle le pouvoir ne se partage pas. Omer Talon, qui fut avocat général au parlement de Paris pendant la Fronde (1648-1652) se considère comme le grandprêtre d'une religion royale dont il se voulut le plus fidèle serviteur. Lors du lit de personnage seul suffit à imposer le respect. Si il est vêtu à la mode de son temps c’est qu’il n’est pas nécessaire de l’identifier à un héros du passé, sa gloire personnelle suffit. Louis XVI en habit de sacre. Huile sur toile de Joseph-Siffred Duplessis (1725-1802), réplique d’une oeuvre perdue exposée au Salon de 1777, 256 x 174 cm. Paris, musée Carnavalet. Cette toile de Duplessis appartient à une série de portraits officiels effectués à la demande du roi pour rappeler à ses sujets l’étendue de ses pouvoirs. Elle perpétue une tradition de mise en scène du pouvoir royal déjà forte sous Louis XIV et Louis XV. Très didactique, ce tableau réaffirme, en 1777, que le pouvoir du roi de France est absolu. Louis XVI arbore ici la plupart des ornements du sacre, dits regalia : – Le grand manteau de sacre, manteau de brocart de velours bleu semé de fleurs de lis dorées et doublé d’hermine mouchetée, évoque le manteau du Grand Prêtre dans l’Ancien Testament ; – Les gants blancs, qui sont des attributs de l’évêque, rappellent également combien le roi est proche de l’Église ; – Le grand collier de l’ordre du Saint-Esprit (le plus prestigieux des ordres de chevalerie), figurant une colombe au centre de la croix, réaffirme que le roi est au sommet de la pyramide féodo-vassalique ; – Le sceptre d’or symbolise le pouvoir de commandement ; – La couronne, surmontée également d’une fleur de lis, fait référence au droit divin (le sacre) et à la tradition (le couronnement de Charlemagne). Louis XVI ne porte pas ici la main de justice (symbole du pouvoir judiciaire) ni l’épée (pouvoir militaire), mais le tableau réaffirme qu’il est « le lieutenant de Dieu sur terre ». Une lettre de cachet Les lettres de cachet sont des lettres fermées, signées par le roi, utilisées à des fins particulières (ordre individuel d’exil, d’emprisonnement ou d’internement). Elles permettent d’arrêter rapidement un suspect, de réprimer un délit de presse (Voltaire), mais aussi de mettre à l’écart un fils de famille indigne ou débauché (le marquis de Sade). On enfermait généralement dans les prisons (Bastille, donjon de Vincennes, maisons de force), dans les établissements hospitaliers, dans les communautés religieuses et dans les dépôts de mendicité. 40 justice du 18 mai 1643, qui inaugure le règne de Louis XIV, Omer Talon déclare, agenouillé devant le jeune roi : « Sire, le siège de votre majesté nous représente le trône du Dieu vivant. Les ordres du royaume vous rendent honneur et respect comme à une divinité visible. » La conception de Louis XIV est inspirée de celle de Richelieu mais s'en distingue cependant car, pour Richelieu, le roi doit être entouré par une équipe de gouvernement homogène, dirigée par un principal ministre que le roi doit soutenir contre tous. Louis XIV, lui, pense que le roi incarne seul le pouvoir et doit donc seul l'exercer. « C'est à la tête seulement qu'il appartient de délibérer et de résoudre, et toutes les fonctions des autres membres ne consistent que dans l'exécution des commandements qui leur sont donnés ». Il est le seul à connaître la raison d'État, à laquelle il obéit. En effet, la raison d'État est un « mystère divin » ; seul le roi peut la connaître parce qu'il y a un « mystère de la monarchie ». C'est la forme la plus pure de l'absolutisme. Cependant, il faut préciser que Louis XIV n'aurait jamais dit « L'État c'est moi » et que cette formule lui aurait été attribuée pour condamner sa volonté de gouverner seul. Louis XIV revendique le pouvoir absolu au nom du droit divin. C’est parce qu’il est le représentant de Dieu sur Terre qu’il considère son autorité comme absolue et sans remise en cause possible. Dans la pratique, le roi gouverne seul. Dès les débuts du règne, Louis XIV prend l’habitude de se passer de premier ministre. S’il s’entoure de ministres et de conseillers, qu’il nomme et révoque selon son bon vouloir, il est toujours le seul à décider en dernier ressort. Le tableau présentant Louis XIV présidant le Conseil des Parties (1672), représente symboliquement la volonté royale d’être le coeur d’une monarchie centralisée. Le geste de la main que fait le roi est représentatif de ce mode de gouvernement qui, à partir de Versailles, entend faire rayonner la puissance du roi dans l’ensemble du royaume et de l’Europe. Toutefois, à partir des années 1690, on voit apparaître des critiques et des remises en cause. Des personnalités comme Saint-Simon, Vauban ou encore Fénelon remettent en cause un roi qui a trop fait la guerre et surtout une monarchie qui appauvrit les sujets et le royaume. Le texte de Fénelon nous permet de comprendre que, dans le contexte politique de 1695, le royaume commence à connaître de nombreuses difficultés. La situation internationale est alors moins favorable pour la France alors que les sujets du royaume connaissent de réelles difficultés liées aux guerres, à la forte pression fiscale qui en découle et à de mauvaises récoltes entraînant famines et disettes. La France s’est considérablement agrandie et peu à peu l’hexagone commence à apparaître. Il y a trois étapes à cette extension. Le traité des Pyrénées (1659) offre le Roussillon et confirme l’annexion de la plus grande partie de l’Alsace. La guerre de Dévolution (1667-1668) permet de gagner de nombreuses places dans le Nord, dont Lille. La guerre de Hollande (1672-1678) aboutit à l’annexion de la Franche-Comté. – Le concept de « ceinture de fer » théorisé par Vauban (1633-1707), ingénieur de Louis XIV, est à mettre en rapport avec les fortifications construites ou modernisées tout le long des frontières pour protéger le royaume des invasions. – La carte permet aussi de visualiser le découpage administratif du royaume avec les généralités des intendants, créées en 1542, et les sièges des Parlements. La dynamique de centralisation versaillaise est symbolisée par un pictogramme représentant le château. – On peut enfin insister sur les résistances populaires face à la construction de l’État moderne et aux politiques mises en oeuvre par le Roi-Soleil. Le règne de Louis XIV a connu de grandes révoltes comme celle des Bonnets-Rouges en Bretagne (1675), ou celles des Camisards dans les Cévennes (1702-1703). Bossuet fonde sa théorie de la monarchie absolue à la fois sur la théologie et sur le pragmatisme. Dans sa Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte (III, 3e proposition), il explique qu'« il y a quelque chose de religieux dans le respect qu'on rend au prince. Le service de Dieu et le respect pour les rois sont choses unies [...]. Aussi Dieu a-t-il mis dans les princes quelque chose de divin. » Ceci signifie que quelle que soit la forme du gouvernement, elle est bonne ; et le prince est ministre de Dieu pour le bien. Toute révolte contre le souverain est donc une révolte contre Dieu lui-même même si le prince n'est pas chrétien car toute autorité vient de Dieu. De plus, selon lui, l'essence du pouvoir est d'être 41 autoritaire. II. L’âge d’or de l’absolutisme (XVIIIe s.) Louis XV rappelle à l’ordre le parlement de Paris Le 3 mars 1766, Louis XV réagit à la fronde parlementaire qui agite les députés de Paris, solidaires de ceux de Rouen et de Rennes, en réaffirmant le caractère absolu de son pouvoir lors de la séance dite de la « flagellation» (en raison du calendrier). S’il veut bien reconnaître aux parlements une fonction législative, elle se limite à « l’enregistrement, à la publication, à l’exécution de la loi », mais en aucun cas «à la formation ». Autrement dit, les magistrats ne doivent pas s’opposer aux volontés royales, mais se contenter de les entériner. Ce discours est l’occasion pour Louis XV de réaffirmer sa conception d’un pouvoir absolu (« c’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine »), et sans partage (« c’est à moi seul qu’appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans partage »). L'absolutisme défini par Louis XV Le 3 mars 1766, Louis XV tient un lit de justice. C’est la séance dite de la « Flagellation » (du nom de la fête du jour). Selon la tradition, le roi vient s'asseoir à l'angle des deux bancs d'en haut de la Grand Chambre du Parlement de Paris sur un siège en forme de cube, symbole de la stabilité, sous un dais fleurdelisé. Il fait prononcer un discours qui affirme les principes de l'absolutisme. Cette journée est un épisode de la révolte des parlementaires contre l'autorité royale qui culmine lorsque les magistrats de Paris et de Rouen se solidarisent avec le parlement de Rennes dont la fronde est dirigée par son procureur général, La Chalotais. La France compte alors treize parlements et quatre conseils supérieurs détenant les mêmes attributions dans les provinces nouvellement acquises. Par son prestige, son ancienneté et l'étendue de son ressort (environ un tiers du royaume), le Parlement de Paris détient une large prééminence. Les parlements sont d'abord des cours de justice, surtout d'appel. Mais ils détiennent aussi droit d'enregistrement des actes royaux et le droit de remontrances, c’est-à-dire le droit de formuler des critiques ou de proposer des amendements avant d’enregistrer une loi. En utilisant ces droits, les parlements auraient pu transformer le régime en une monarchie contrôlée (sur le modèle anglais). Riches et considérés, les parlementaires se dressent contre les réformes et utilisent chaque mesure fiscale pour adresser des remontrances et apparaître à l'opinion publique comme les défenseurs des sujets écrasés par le « despotisme ministériel » (alors que les parlementaires sont d’abord des privilégiés défendant… leur exemption fiscale contre des ministres réformateurs !). C'est l'autorité de l'administration royale qui est en jeu, car les remontrances des parlements sont imprimées, discutées ; la publicité de ces affaires dépasse le cercle des hommes du pouvoir et des magistrats. Le roi Louis XV ne l’entend pas de cette oreille et les institutions lui permettent d’avoir le dernier mot : c’est la procédure solennelle du lit de justice, par laquelle le roi oblige le Parlement à enregistrer un acte malgré ses remontrances. Ce texte est une proclamation des principes de la monarchie absolue. Louis XV affirme que le monarque absolu est législateur « sans dépendance et sans partage », car il incarne la souveraineté. Il est le garant de « l'ordre public » et des « droits et intérêts de la Nation ». Il refuse les prétentions des magistrats qui veulent contrôler la politique de l'État et les rappelle à leurs devoirs de « bons et utiles conseillers ». Pour affirmer son autorité, Louis XV déclare : « C'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine. » Il parle à la première personne (« moi seul », « en mon nom », « en mes mains ») et rejette l'idée que cette autorité puisse être partagée avec des « conseillers » (on pense à la célèbre formule prêtée à Louis XIV : « L’État c’est moi »). III. Les difficultés de la monarchie sous Louis XVI Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 42 HM – François 1er Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Éminemment mobile, sorte de « fourre-tout social », spectaculaire miroir d’une violence encore débridée mais aussi d’une volonté de raffinement, la cour du roi François Ier est un véritable microcosme, le creuset où s’élaborent un nouveau mode de gouvernement et un nouvel art de vivre. Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Sylvie Le Clech, François Ier, le roi chevalier, collection « la France au fil de ses rois », Tallandier, 1999. Documentation Photographique et diapos : Revues : La cour de François Ier, Gouverner autrement, Gérald CHAIX, TDC, N° 707, du 1er au 15 janvier 1996 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 5e actuel : « Le Royaume de France au XVIe siècle : la difficile affirmation de l’autorité royale (2 à 3 heures) Il s’agit seulement de montrer comment la monarchie française s’efforce d’asseoir son autorité et d’unifier le royaume en dépit des multiples forces centrifuges qui l’affectent • Carte : le Royaume de France au XVIe siècle. • Repères chronologiques et documents : l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) ; l’édit de Nantes (1598). » Socle. Ajout aux repères : La Saint Barthélemy (1572). Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I. Les comptes somptueux de la cour En 1532-1535, d’après les Comptes royaux, les officiers et domestiques ordinaires de l’Hôtel coûtent 210 000 livres tournois par an ; les cent gentilshommes de l’Hôtel, 43 000 livres ; les archers de la garde, 29 000 livres. Les « menus plaisirs » sont taxés à 24 000 livres, et le roi reçoit en plus 120 000 livres pour ses besoins personnels. Au chapitre des pensions, l’ambassadeur de Venise parle de quelque 600 000 livres, mais pour être complet, à ces dons d’argent, il faut ajouter les dons d’office, prodigués quelquefois par centaines dans une seule année. Benvenuto Cellini dans ses Mémoires nous en fournit un bel exemple : « Donnez-lui donc la première abbaye vacante, et si elle ne rapporte pas deux mille écus de rente, donnez-lui en deux ou trois », s’exclame le roi, enthousiasmé par le travail d’orfèvrerie de l’artiste. Il II. La cour de François 1er La cour ? Utiliser le terme au singulier est à la vérité trompeur : à côté de la cour royale, il en existe d’autres, autonomes, subordonnées ou concurrentes. Certes, par le nombre de ses courtisans, par les moyens financiers dont elle dispose, par le pouvoir politique et symbolique qu’elle représente, la cour du roi bénéficie d’une incontestable prééminence. Mais elle n’a pas pour autant éclipsé la cour de la reine, celle de la reine-mère, ni celle des enfants royaux, qui gravitent autour de la cour royale. Pas plus qu’elle n’a fait disparaître les cours périphériques qui rappellent tantôt la puissance des grands (comme celle du connétable de Bourbon, à Moulins), tantôt l’existence de territoires échappant à la souveraineté royale (telle la cour de Nérac, animée par Marguerite d’Angoulême, devenue reine de Navarre). Cette pluralité exprime une diversité de pouvoirs qui s’équilibrent, s’affrontent, parfois s’opposent. Néanmoins, la suprématie de la cour du roi repose sur la multiplicité et sur la magnificence des résidences royales. Elle se fonde également sur l’importance de la Maison du roi, qui organise la vie quotidienne de la cour, ainsi que sur les personnes et les organes de gouvernement qui accompagnent le souverain. Elle se manifeste enfin par un art de vivre qui tend à policer les comportements des 43 courtisans et à s’imposer comme modèle. UNE COUR EN PERPETUEL MOUVEMENT « Mon ambassade dura quarante-cinq mois ; j’ai été presque toujours en voyage », note en 1535 l’ambassadeur de Venise, Marino Giustiniano. Tous les témoignages confirment cette extrême mobilité de la cour de François Ier. En fait, cette mobilité a ses rythmes propres : la cour voyage surtout en été et à l’automne, elle tend à se sédentariser en hiver et au printemps, quand les aléas climatiques rendent les déplacements plus difficiles. En 1516-1517, par exemple, elle reste à Amboise du 25 octobre à la mi-janvier, si l’on excepte un bref séjour à Blois au moment des fêtes de Noël. Elle se rend ensuite à Paris, après un court passage à Romorantin, et y séjourne jusqu’au 19 mai. De là, le « train du roi » chemine en longue troupe et à petites journées, ne faisant guère plus de trois ou quatre lieues (une douzaine de kilomètres) par étape, en Picardie et en Normandie. Le 10 décembre, après un détour par Moulins, où l’attend le connétable de Bourbon, la cour est de retour à Amboise, où elle va demeurer jusqu’au 2 juin. Cette itinérance permet au roi de mieux connaître son royaume, d’une connaissance visuelle, physique, plus que livresque ou administrative. Elle lui permet également d’affirmer son pouvoir par sa seule présence. C’est notamment le cas lors des « entrées » solennelles dans les villes qui jalonnent ces pérégrinations. De magnifiques spectacles sont alors organisés, qui mettent en scène le roi et sa cour d’un côté, les habitants de la ville de l’autre. C’est aussi le moment, pour le roi, de promettre le respect des libertés urbaines et, pour la ville, de jurer obéissance. Cette mobilité, qui permet de répartir sur l’ensemble du royaume l’énorme poids du ravitaillement de la cour, ne pose pas moins d’importants problèmes logistiques. Outre le déplacement des courtisans, il faut prévoir le transport du mobilier, des tapisseries, de la vaisselle, sans oublier les victuailles, car la plupart des châteaux royaux sont des cadres vides. Présent à l’arrivée de la caravane royale à Bordeaux, en 1526, l’ambassadeur anglais note que les écuries ont été prévues pour 22 500 chevaux ! Exagération sans doute, mais qui exprime bien les permanentes difficultés rencontrées par les fourriers pour faire face aux besoins quotidiens de ce formidable caravansérail. DU CAMPEMENT A L’« ENCASTELLEMENT » Cette cour campe donc presque aussi souvent qu’elle ne réside. Le roi peut s’installer dans l’un de ses châteaux ou accepter l’hospitalité que lui offre un courtisan, trouver asile dans une abbaye ou recourir à une auberge, tandis que le reste de la cour s’égaille dans les environs. Parfois cependant, il faut se résigner, ainsi que le déplore Benvenuto Cellini dans ses mémoires, à « dresser des baraques en toile, comme les bohémiens, et souvent on avait beaucoup à souffrir ». Ce nomadisme se conjugue tout naturellement avec l’entretien de multiples résidences royales et la construction de nouveaux châteaux « semés comme des reposoirs ». Au château de Blois, qui appartient à sa première femme, Claude de France, François Ier fait ajouter une aile, dès les premières années du règne. Non loin de là, au cœur d’une région giboyeuse, il entreprend également la construction du château de Chambord. Interrompus pendant la captivité madrilène du roi, ces travaux reprennent de plus belle à son retour. De nouveaux chantiers sont ouverts : à partir de 1528, plus modeste, mais très original par sa décoration de faïences, le château de Madrid, en bordure du bois de Boulogne, à une lieue seulement de Paris, et, à partir de 1532, le château de Villers-Cotterêts. Quelques années plus tard, en 1539, commence la reconstruction du château de Saint-Germain. Mais le grand chantier est celui de Fontainebleau, qui devient l’une des résidences privilégiées de la monarchie. Une galerie, longue d’une soixantaine de mètres, réunit le vieux château aux bâtiments nouveaux. Moins que l’architecture, très disparate, c’est la décoration intérieure qui donne à Fontainebleau son originalité et l’impose rapidement comme modèle. Outre l’influence italienne qui va pénétrer largement en France par leur truchement, on note le déplacement du centre de gravité des résidences royales : primitivement ancrée dans le val de Loire, la cour tend à se rapprocher de Paris à partir des années 1530. Le 15 mars 1528, le roi a fait connaître son désir de « dorénavant faire la plupart de notre demeure et séjour en notre bonne ville ». Cette fréquentation accrue n’exclut pas des relations tendues, voire conflictuelles, avec les bourgeois de Paris, si l’on se reporte au Journal tenu par l’un d’eux. Les Parisiens goûtent peu les agissements par trop cavaliers du souverain et des conviendrait encore d’évaluer les privilèges et les exemptions de toutes sortes : les « marchands et artisans suivant la Cour », par exemple, ne payent pas les droits d’octroi dans les territoires et villes traversés. Enfin s’ajoutent les dépenses extraordinaires : cérémonies, entrées princières et autres festivités. Au total, en ajoutant encore les constructions, estimées à quelque 80 000 livres tournois annuelles, l’historien Philippe Hamon aboutit aux chiffres suivants : 1 million 500 000 livres vers 1516 et un peu plus de 2 millions en 1546, soit à peu près 30 % des dépenses globales de la monarchie. Il est difficile d’établir des comparaisons avec notre temps. Pour se faire une idée, on estime qu’un manœuvre parisien, au milieu du siècle, gagnait une quarantaine de livres tournois par an. La réception de Charles Quint, en 1540, aurait représenté le salaire annuel de plus d’un millier de manœuvres parisiens. Une musique de divertissement À la cour, la musique est considérée comme un des agréments essentiels. Elle est organisée en trois formations : la chapelle royale, l’écurie et la musique de chambre. La première, composée de chantres, mais aussi de chanteurs (ténors, contre-ténors et basses) capables d’exécuter des œuvres polyphoniques (messes, motets), soutient les offices religieux. De la seconde, formée pour l’essentiel d’une douzaine de trompettes, on attend, lors des grands rassemblements, des « messages » musicaux qui poussent à l’attention et à l’action. Quant à l’ensemble de la musique de chambre, il anime les fêtes données à la cour. Ce sont ses musiciens, pour la plupart d’origine italienne, qui assurent le succès de danses venues d’outre-Alpes, telles la pavane ou la gaillarde. À eux d’accompagner les chansons à quatre voix, très prisées dans la seconde moitié du règne, mais on attend également de ces instrumentistes qu’ils puissent jouer en solo. Cette musique à la cour devient musique de cour : à travers la découverte d’une païenne joie de vivre, la musique profane se développe au détriment de la musique religieuse. Les instruments à corde inaugurent un nouveau répertoire, les instruments à vent figurent davantage : flûte, hautbois, trompette, cornet et sacqueboute (sorte de trompette à quatre branches). Il faut dire que plusieurs instruments avaient bénéficié de progrès techniques : vers 1520, le violon prend sa forme moderne, l’épinette et les orgues se perfectionnent. Dans cette ambiance de joie, la chanson va s’épanouir, elle sera d’inspiration multiple, allant de la galanterie la plus courtoise aux plus grosses truculences : l’homme de la Renaissance est à 44 courtisans : « Le Roy et aucuns jeunes gentilshommes de ses mignons et privés ne faisaient quasi tous les jours que d’être en habits dissimulés et bigarrés, ayant masques devant leurs visages, allant à cheval parmi la ville et allaient en aucunes maisons jouer et gaudir, ce que le populaire prenait mal à gré. » Mais cette « petite bande » ne constitue pas toute la cour. UN FOURRE-TOUT SOCIAL De quoi se compose donc cette cour, que l’on appelait aussi en ce temps-là la « compagnie » du roi ? La cour de France compte d’abord des invités permanents, qui sont les princes du sang, ceux des « maisons étrangères », les princes de l’Église, les ambassadeurs et leurs suites. La cour étant le siège du gouvernement, le souverain y est accompagné en permanence des membres des Conseils et des officiers de la couronne : le chancelier, chef de la magistrature, le connétable, les maréchaux de France et l’amiral. Mais au-delà de ces hôtes illustres, qui sont donc les gens qui gravitent autour du monarque ? Le terme de « maison du roi » sert plus précisément à désigner l’ensemble des services organisés pour pourvoir aux besoins du souverain (les membres de la famille royale ont leurs propres maisons, plus réduites). À la vérité, la distinction n’est pas encore clairement tracée entre rôles domestiques et fonctions politiques, domaine privé et service public. Servir le roi, c’est aussi servir l’État. Sous l’autorité du grand-maître de la Maison du roi se rangent les services de la Chapelle, de l’Hôtel et de la Chambre. L’Hôtel regroupe six services traditionnels depuis le XIIIe siècle : la paneterie, l’échansonnerie, la cuisine, la fruiterie, l’écurie et la fourrière (cette dernière est sous les ordres du maréchal des logis, qui a la tâche redoutable d’organiser les déplacements de la cour). Trois autres services s’y sont développés : l’argenterie, la vénerie et la fauconnerie, ces deux derniers services rivalisant et gagnant encore en importance sous le roi François. Quant au service de la Chambre, dirigé par le grand chambellan, il s’occupe de tous les moments de la journée royale ayant lieu dans la chambre du roi ou ses annexes : lever et coucher, toilette et vêtements, et par extension, tapisserie et mobilier, mais encore travail avec les secrétaires (ce qu’on appelle « les affaires »). L’office de « gentilhomme de la chambre », créé par François Ier en 1515, va transformer considérablement la vie de la cour : désormais, le roi est constamment entouré d’un groupe de seigneurs appartenant à la meilleure noblesse. L’office de premier gentilhomme est ainsi un des plus grands honneurs qui soient dans la maison du roi, souligne Brantôme, « pour ce qu’il est auprès de lui à son lever et son coucher, si bien qu’il a l’oreille du roi ». Si l’on tient compte encore, d’une part, de la maison militaire, constituée par les régiments des gardes et, d’autre part, de cette autre troupe que forment les artisans et commerçants « suivant la cour », c’est une véritable petite ville de plusieurs milliers d’habitants qui accompagne le souverain. Ce nombre est, il est vrai, réduit par le renouvellement des desservants. Seuls les grands officiers ne quittent guère le souverain : la plupart des gentilshommes ne servent que par quartier – quatre mois par an – et retournent en leurs demeures le reste du temps. Ce système de noria présente l’avantage de multiplier les offices, c’est-à-dire d’élargir le réseau de la clientèle royale et, en même temps, d’augmenter les revenus de la couronne. Les plus importants sont certes réservés aux membres de la haute noblesse, mais on trouve également des gentilshommes de moindre rang et certains offices sont accessibles aux roturiers. Qu’il s’agisse des offices les plus humbles, comme tonneliers, rôtisseurs, pâtissiers, etc., ou bien du titre plus honorifique de « valet de chambre », porté par le poète Clément Marot ou par le peintre Jean Clouet... On peut donc vraiment parler, dit l’historien Jean-François Solnon, d’un « véritable fourre-tout social ». NOBLESSE ET DOMESTICITE Sans que l’on puisse encore parler d’une noblesse de cour, l’essor de la cour conduit un nombre croissant de nobles à y séjourner plus ou moins longuement, esquissant ainsi un clivage qui ne sera clairement affirmé qu’un siècle plus tard au sein de ce groupe social. Cette présence témoigne d’une volonté de profiter des faveurs royales, afin sans doute de pallier, au moins partiellement, l’érosion de revenus fonciers, mis à mal par la hausse des prix. Elle témoigne en même temps du rôle croissant joué par un foyer où se prennent désormais les grandes décisions, où se déroulent les carrières, où se tissent les patronages. Rien d’étonnant à ce que les portraits des courtisans, dessinés notamment par Jean et François Clouet (et leurs élèves), nous soient parvenus en de multiples recueils : leurs dessins, réalisés en série à la demande des courtisans, représentent précisément l’importance prise par cette présence à la cour. l’image de Rabelais. Avec La Bataille de Marignan, Clément Janequin nous offre un charivari musical où les voix se superposent et s’entrecroisent dans un joyeux cliquetis : Suivez François la fleur des lys, Suivez la couronne ! Tricque, brique, chipe, chope, Torche, lorgne ! Ces dames de la cour À la cour, la femme est reine : « Cour sans dames, printemps sans roses », dit l’ardent monarque. La présence féminine n’est pas une nouveauté : Anne de Bretagne déjà avait aidé Charles VIII à transformer la cour, en groupant près d’elle un cercle de neuf dames et trente-cinq à quarante filles d’honneur. Mais avec François Ier, c’est tout un essaim qui est rassemblé dans les maisons de sa mère, Louise de Savoie, de sa sœur, Marguerite de Navarre, et de la reine (d’abord Claude de France, puis Éléonore d’Autriche), sans oublier celle de la dauphine, Catherine de Médicis. Les plus grands noms de France figurent sur ces listes, où se dissimulent souvent les maîtresses du roi et des princes. Mieux vaut cette galanterie polie, soutient Brantôme, que les mœurs du temps jadis, quand on admettait au palais des femmes qui faisaient métier de débauche. En fait, cette catégorie de pensionnaires n’a pas disparu : à la date du 30 juin 1540, on trouve encore un ordre de paiement de 45 livres tournois à Cécile de Viefville, « dame des filles de joye suivant la cour ». On peut penser que François Ier a pu apprécier l’intelligence de deux maîtresses femmes, sa mère et sa sœur : la première se montra un véritable « homme d’État » ; la seconde, un immense esprit, passant du Miroir de l’âme pécheresse aux contes de L’Heptaméron... Si cette présence féminine n’implique nullement une égalité des sexes, impensable pour l’époque, elle tend cependant à modifier les comportements dans le sens d’une plus grande civilité. L’influence féminine est double : elle polit, affine, exige le courage masculin... ou elle démoralise et favorise l’esprit d’intrigues. Dans son Amye de Court (1542), Bertrand de la Borderie fait la satire de la coquette dressée à tous les manèges de l’amour, habile en l’art de dissimuler ses sentiments. Et l’amer Montluc de conclure : « Les dames peuvent tout, elles tiennent les rois... Peu sert de savoir les batailles et assauts, qui ne sait la cour et les dames. » À la cour d'un roi lettré Dans le Livre du courtisan, l’un des participants ayant fustigé le mépris des Français pour les lettres, s’attire comme réplique : 45 À CHACUN SA PLACE Dans cette « cohue bigarrée, où les espèces sociales les plus diverses se côtoient », pour reprendre une expression de l’historien Gaston Zeller, l’étiquette reste encore fort simple. Mais s’esquissent déjà des stratégies de distinction, qui permettent d’affirmer son rang en dépit du brassage social. Ou plutôt à cause de ce brassage même, car il convient de se faire remarquer à sa juste valeur. En témoigne le caractère désormais péjoratif de l’expression « valets de la chambre », après que François Ier ait placé des « gentilshommes de la chambre » audessus d’eux. Surtout après la mort de la reine-mère, Louise de Savoie, en 1531, des clans se forment, des cabales se nouent et les tensions s’exacerbent dans la dernière décennie du règne, qui est aussi celle où se précisent les clivages confessionnels. Cette « distanciation », on la repère également dans l’organisation même de l’espace : un registre de comptes, dressé peu après la mort de François Ier, nous renseigne avec précision sur l’occupation du château de Saint-Germain et la répartition spatiale des hiérarchies de la cour. Le château comprend alors cinquante-huit « logis » : seize au rez-de-chaussée et autant au premier étage, huit au second, onze au troisième et quatre sur une mezzanine. À ce total de quatrevingts logements s’ajoutaient une salle de bal, sept chapelles, une cuisine, huit offices... et une prison ! Les appartements royaux se trouvaient au deuxième étage, de manière que personne ne loge au-dessus du roi, sinon sa progéniture. Le premier étage était dévolu aux courtisans les plus importants et à leurs épouses, le rez-de-chaussée accueillait des personnes d’un moindre rang, ainsi qu’un dortoir pour les « filles de la reine ». Les cinq corps de bâtiments bordant la basse-cour abritaient au rezde-chaussée un ensemble de cuisines et de pièces de service ; à l’étage, on trouvait plusieurs pièces servant de dortoirs, ainsi qu’une trentaine de logis, plus petits que ceux du château et où les occupants étaient socialement plus mélangés : des cardinaux, des grands du royaume, des favoris, des conseillers de finances, le concierge, le jardinier. On accédait à l’appartement du roi, et à celui quasiment symétrique de la reine, par un escalier à rampe, qui conduisait à une salle de réception, suivie d’une chambre, d’une garde-robe isolée par un couloir et d’un cabinet. Cette enfilade établissait d’emblée une distance entre le souverain et les visiteurs. On retrouve une organisation similaire à Blois, à Fontainebleau et au Louvre : même succession de pavillons et de corps d’hôtels, même distinction entre appartements royaux et appartements ordinaires. À Fontainebleau, la distinction était accentuée par la galerie François Ier, qui complétait la suite royale. En revanche, dans les châteaux de Chambord ou de Madrid, tous les appartements étaient similaires et les salles occupaient la place centrale : comme si, dans ces demeures de plaisance, le souci d’établir des distances et de souligner des hiérarchies avait été moindre. De toute façon, quel que soit le lieu, la facilité d’accès au palais est étonnante : un édit de novembre 1530 ne reconnaît-il pas qu’il suffit d’être bien vêtu ou de prétendre connaître un familier du palais pour entrer partout ? On comprend mieux, dans ces conditions, qu’en 1534, à Amboise, des réformés aient pu venir apposer des placards jusque sur la porte de la chambre du roi. Et toujours règne une familiarité qui ne laisse pas de surprendre les ambassadeurs et les hôtes italiens, habitués à une étiquette plus rigide. On aime à l’expliquer par le fait que le lien personnel qui unit le prince et ses sujets est, dans le royaume de France, fondé sur l’amour et non sur la crainte, ainsi que le rappelle, dans son préambule, une ordonnance d’avril 1523, évoquant « ce lien de pur amour, de pure dévotion, de cordiale harmonie et d’affection intime existant entre le roi de France et ses sujets ». UNE AUTRE FAÇON DE GOUVERNER Assez paradoxalement, nous sommes mal renseignés sur l’organisation de la cour de François Ier, ce qui témoignerait en faveur de la flexibilité déjà notée. Nous disposons heureusement d’une lettre de 1563, où Catherine de Médicis rappelle à Charles IX le cérémonial ordinaire du temps de son grand-père. La journée commence – plutôt tard – par le lever du roi en présence des membres de la cour, avec lesquels le roi s’entretient. Une fois habillé, le roi va entendre la messe, accompagné par la cour. Après une promenade, voire une courte partie de chasse, le roi dîne. Sobrement et seul. Tout en conversant avec ceux qui, debout, l’entourent, ou en écoutant une lecture. Vers deux heures de l’après-midi, le roi part souvent pour la chasse, à courre ou au vol. De retour, il joue encore volontiers à la paume. Puis vient le temps du souper. Les dames, dont le roi « Si la bonne fortune permet que Monseigneur d’Angoulême succède à la couronne, j’estime que, de même que la gloire des armes fleurit et resplendit en France, de même celle des lettres devra y fleurir avec un éclat incomparable. » Devenu roi, François ne décevra pas cet augure. Réalisée vers le milieu du règne, la miniature que nous avons reproduite en couverture de ce dossier nous le montre assis dans sa grande chaire et devant sa table, entouré de ses trois fils, qui apprennent ainsi leur métier sur le tas, et de plusieurs grands courtisans. Parmi eux, au fond, mais au centre, le personnage tout de noir vêtu n’est autre que le grand humaniste Guillaume Budé, à qui le roi a confié la direction de sa bibliothèque. Au premier plan, Antoine Macault lit au roi sa traduction des Trois Premiers Livres de Diodore de Sicile. L’image est certes d’une composition conventionnelle, mais elle correspond à une certaine réalité. Cette pratique de la lecture publique à haute voix – c’est de la même façon que le Gargantua de Rabelais se familiarise sans peine avec les textes – est permanente à la cour : « il ne s’est point passé de jour, écrit Robert Cenal, que vous n’ayez écouté, oreilles pointées, quelque érudicte lecture au cours de votre dîner, tous vos familiers et serviteurs autour de vous, debout et faisant grand silence. » La cour apparaît ainsi comme « une vraie école » (Brantôme), où s’effectue la difficile éducation des courtisans. Et aussi des poètes, s’il faut en croire Clément Marot, quand il édite François Villon : « Je ne fais doute qu’il n’eût emporté le chapeau de laurier sur tous les poètes de son temps, s’il eût été nourri en la cour des rois et des princes, là où les jugements s’amendent et les langages se polissent. » François Ier, protecteur des lettres Miniature, vers 1532. Musée Condé, Chantilly. François Ier apparaît comme le prince idéal de la Renaissance française. Roi chevalier, vainqueur à Marignan, il protège aussi savants et artistes dans sa cour. François Ier est placé au centre de la miniature, dans une attitude solennelle, derrière une tenture fleurdelisée qui symbolise la majesté royale. Il écoute la traduction de Diodore de Sicile, établie par Antoine Macault. Les personnages, hauts dignitaires du royaume et peut-être quelques humanistes, semblent attentifs à la lecture, mais aussi à la moindre réaction du roi (tous leurs regards convergent vers le souverain). La cour permet ici de mettre en scène la figure du prince mécène, du roi protecteur des arts et des lettres. L’instauration du dépôt légal en France par François Ier 46 voulait peupler sa cour, à en croire Brantôme, font alors leur apparition. Le temps est venu des concerts, des chansons et des danses. Vers minuit ou au-delà, le roi regagne sa chambre. Cette organisation laisse apparemment peu de temps à l’examen des affaires politiques. Les ambassadeurs vénitiens dénoncent à l’unisson ce que nous appellerions un manque de professionnalisme. En 1537, Francesco Giustiniano, n’hésitant pas à lui opposer son adversaire Charles Quint, écrit : « Le Roi TrèsChrétien n’aime pas les affaires ni le souci de l’État, mais plutôt la chasse et les plaisirs. » Même reproche, en 1539, de la part de l’évêque de Saluces : « Cette cour n’est pas comme les autres. Ici, nous sommes complètement coupés des affaires et si d’aventure certaines se présentaient, il n’est pas assuré qu’on y consacrerait une heure, un jour ou un mois. On n’y pense qu’à la chasse, qu’aux femmes, qu’aux banquets... » Unanime, le jugement est cependant excessif. Analysant la politique financière menée durant le règne de François Ier, l’historien Philippe Hamon a montré que, même s’il ne maîtrise pas les techniques financières, le roi ne se désintéresse pas des affaires et sait en apprécier l’importance. Sans s’estimer lié par leurs avis, il sait écouter les « gens du Conseil ». Le système fonctionne parce que le lien qui les unit est avant tout affectif. C’est un lien de confiance réciproque. La surprise des Italiens témoigne surtout du décalage entre les pratiques politiques de la péninsule et celles de la cour de France, où persiste un idéal chevaleresque, plus enclin à la prouesse qu’à l’étude. LA DIFFICILE MAITRISE DE LA VIOLENCE Cet idéal chevaleresque accorde une large place aux prouesses physiques. Celles de la chasse et des conquêtes féminines, celles des tournois et de la guerre. Guerre réelle ou guerre jouée : en avril 1518, à Amboise, à l’occasion du baptême du dauphin et du mariage de Laurent de Médicis et de Madeleine de la Tour d’Auvergne, six cents hommes, conduits par le roi en personne et par le duc d’Alençon, défendent une ville en bois, entourée d’un fossé et équipée de canons, face aux assauts d’une troupe d’égale importance, conduite par les ducs de Bourbon et de Vendôme. Au prix de nombreux blessés et de quelques morts, ce qui n’empêche pas le simulacre d’un nouveau siège à Romorantin, en 1521, lors des fêtes de l’Épiphanie. Quotidiennes, les parties de chasse ne sont pas moins dangereuses, où l’on risque toujours de s’éborgner aux branches d’arbre, de se briser un membre en chutant de cheval, de se retrouver face à un animal furieux. Plus ou moins provoqué, le spectaculaire affrontement à Amboise entre le roi et un sanglier pris au piège est dans toutes les mémoires. Cette exaltation de la force physique explique le maintien de conduites de violence. Violence des paroles, comme en témoigne, en 1541, la surprise du nonce Dandino, l’envoyé du pape, confronté aux écarts de langage et aux accès de colère du roi. Violence des gestes, comme l’éventuel recours aux coups de bâton, pour frayer un chemin au roi parmi la masse des courtisans. UN ART DE PARAITRE Pourtant, si la prouesse physique reste l’une des qualités essentielles du gentilhomme, lecteur du célèbre roman de chevalerie Amadis de Gaule, elle ne suffit plus. S’inspirant du livre de Baldassar Castiglione, Il libro del Cortegiano (« Le Manuel du Courtisan »), publié en 1528 et traduit à la demande du roi en 1537, l’homme de cour doit aussi faire preuve d’esprit et cultiver « la science des lettres ». Cet idéal de politesse sociale trouve en la personne même du monarque son premier adepte. Le roi se montre ami des Lettres et des Arts. C’est lui, on l’a vu, qui invite en France les artistes italiens appelés à travailler sur les chantiers lancés par la monarchie : Léonard de Vinci, Rosso, Primatice, Benvenuto Cellini ; lui qui fait de Fontainebleau un véritable foyer d’art qui rayonne bientôt au-delà des frontières du royaume. Sans jouer lui-même d’un instrument, le roi est amateur de musique (voir encadré supra « Une musique de divertissement »). Frotté de poésie, encouragé par sa sœur Marguerite d’Angoulême, il se montre également favorable aux poètes. On sait la protection qu’il assure à Clément Marot. Dans le domaine des « humanités », il apporte son soutien aux humanistes Guillaume Budé, Étienne Dolet et Jacques Lefèvre d’Étaples et, en 1530, il fonde le Collège des lecteurs royaux, chargé, hors du cadre universitaire, de dispenser des cours publics largement ouverts à la culture humaniste. On lui doit aussi d’avoir développé les collections royales et, avant tout, sa riche Bibliothèque. Au début du règne, celle-ci est installée à Blois et sur les 1 626 volumes qu’elle renferme alors, on ne trouve que 41 volumes en grec, 4 en hébreu et 2 en arabe. François Ier fait acheter ou copier de nombreux manuscrits : à la fin du règne, on Le dépôt légal, instauré par François Ier en 1537, à Montpellier (grand centre universitaire disposant de plusieurs ateliers typographiques), est un geste éminemment politique. Cette ordonnance rend obligatoire le dépôt gratuit d’un exemplaire imprimé dans la « librairie » (bibliothèque) du roi. Celle-ci est transférée de Blois à Fontainebleau en 1544. Le principe du dépôt légal existe toujours aujourd’hui ; il concerne les imprimés de toute nature (du livre à la carte postale), les médailles, les œuvres musicales, cinématographiques, photographiques, phonographiques. Le roi présente son action comme une sorte de « devoir de mémoire » : l’État doit assurer la conservation de toutes les oeuvres importantes. Mais l’édit a aussi une finalité politique. Le roi veut contrôler la production intellectuelle. François Ier a été échaudé par « l’affaire des placards » (octobre 1534 : des feuillets, exprimant une violente diatribe contre le roi et le pape, sont affichés dans plusieurs villes de France, et à Amboise, jusque sur la porte de la chambre du roi). Le 11 janvier 1535, le roi interdit même, pour quelque temps, toute nouvelle publication. Ainsi, en 1537, réaffirme-t-il sa volonté de contrôler les éditions imprimées afin de mieux lutter contre la division qui menace le royaume. Mais dans le même temps, il se substitue au rôle traditionnellement dévolu à l’Église. On sait que la bibliothèque de Blois, puis celle de Fontainebleau, devient un foyer de rencontres entre les érudits et le milieu de la Cour. La création du dépôt légal contribue à renforcer l’autorité royale. La « restauration des bonnes lettres » fait référence au mouvement humaniste en général et en particulier à la création, sept ans plus tôt, du Collège des lecteurs royaux (actuel Collège de France). Cette institution permet à des professeurs, rétribués par le roi, de fixer eux-mêmes le contenu de leur enseignement, sans subir la censure de la Sorbonne. L’enseignement du grec (autour de Guillaume Budé) et de l’hébreu (autour de Vatable), interdits par la faculté de théologie, profite pleinement de cet esprit de liberté. Les premiers lecteurs ayant fait porter leurs leçons sur les Livres saints, la Sorbonne les censure les jugeant « téméraires, scandaleuses et suspectes de luthéranisme ». Château de Blois, aile François Ier, façade sur cour L’influence de la Renaissance italienne est profonde en France. Certes, entre 1480 et 1520, la tradition gothique l’emporte encore, dans l’architecture religieuse et civile, dans les arts décoratifs, dans la sculpture, mais l’influence italienne commence à se faire sentir avec les décorateurs appelés par Charles VIII et Louis XII. Ils empruntent des 47 compte ainsi 560 manuscrits grecs. Par ailleurs, en 1537, l’ordonnance de Montpellier prescrit que tous les imprimeurs et les marchands-libraires doivent déposer un exemplaire de toute publication nouvelle. Enfin, comme le courtisan idéalisé par B. Castiglione, François Ier aime à user d’éloquence. Une éloquence familière, apte à établir sans difficulté un lien avec son interlocuteur. Sa prestance physique exprime ainsi « tout naturellement » les qualités de son esprit, ce dont témoigne le portrait du roi, dressé en 1546 par l’ambassadeur vénitien Marino Cavalli : « Son maintien est entièrement royal, si bien que même si on ne l’a jamais vu physiquement ou en portrait, on se dit, au premier coup d’œil : c’est le roi ! Chacun de ses mouvements est si noble et majestueux qu’il n’y a pas de prince comme lui. » UN ART DE VIVRE... OU DE DISSIMULER ? Gravitant autour du souverain, la cour a pris désormais un nouveau visage. Au chevalier qui venait rendre le service féodal s’est désormais substitué le courtisan. Le seigneur réside maintenant à la cour ; quand il retourne dans sa province, ses séjours ne se prolongent jamais trop, il en profite d’ailleurs pour transformer sa demeure à l’image des demeures royales. Pour obtenir une faveur du monarque, il faut être vu. Brantôme le souligne : doté d’une excellente mémoire, le roi « savait et connaissait la plupart des gentilshommes de bonne maison de son royaume et en disait très bien leurs races et généalogies. Et de ceux-là qu’il savait être devenus pauvres, en avait commisération et les assistait... ». Car la vie à la cour est dispendieuse, et en quelques occasions ruineuse : par exemple, lors des fastes du Camp du Drap d’or, où plusieurs, rapporte Martin du Bellay dans ses Mémoires, « portèrent leurs moulins, leurs forêts et leurs prés sur leurs épaules ». Le rôle croissant de la cour entraîne aussitôt des réactions de défiance. À l’instar de la cour romaine, que dénoncera Joachim du Bellay dans Les Regrets (LXXXVI), on voit en elle une école de la dissimulation. À l’idéal de la cour, dénoncé comme artificiel, s’oppose alors l’exaltation de la « nature », chantée par Ronsard : « Je n’avais pas quinze ans que les monts et les bois / Et les eaux me plaisaient plus que la Cour des rois. » Instrument du pouvoir royal, la cour de François Ier en manifeste par son éclat la puissance. Par le nombre toujours croissant des offices qu’elle offre, les faveurs qu’elle permet d’espérer, les carrières qu’elle accélère, elle attire auprès du roi un nombre toujours plus grand de gentilshommes. Permettant au souverain à la fois de trouver en son sein les hommes dont il a besoin pour asseoir son autorité, et de les inscrire dans une relation de fidélité ou de clientèle, elle soutient la noblesse en même temps qu’elle la domestique. Organisée autour de la personne même du roi, elle tend à faire du souverain le centre d’un système politique, social et culturel, dont les valeurs s’imposent progressivement à l’ensemble du royaume et rayonnent au-delà des frontières. éléments à l’architecture antique (pilastres, frises, arabesques), qui apparaissent notamment à Amboise, à Blois. Avec François Ier, l’italianisme se renforce. Les travaux de construction de l’aile François Ier du château de Blois débutent en juin 1515 et se terminent en 1524. La façade sur ville, formée de quatre étages de loggia, et l’utilisation de la pierre et de l’ardoise, contrastent nettement avec l’aile Louis XII. L’originalité réside surtout dans l’escalier extérieur de la façade sur cour : à double-vis (véritable prodige technique) élevé à partir d’un projet de Léonard de Vinci, il rompt avec le style gothique ; sur la terrasse, lucarnes, cheminées et lanternes sont caractéristiques des motifs italianisants (voir aussi le château de Chambord). Ce « style composite » (gothique flamboyant mêlé aux décors italiens renaissants) domine dans les châteaux de la Loire (Chenonceaux, 15131521 ; Villandry, après 1532), puis se diffuse, avec le déplacement de la cour, de la Loire vers l’Île-de-France. L’École de Fontainebleau élabore de nouvelles formules décoratives et devient, à partir de 1540, un modèle. Le château de Chambord Si Léonard de Vinci apporte La Joconde avec lui en 1516 (sans doute pour la terminer), il ne semble pas qu’il ait peint en France : dans la dernière période de sa vie (il meurt en mai 1519), il s’intéresse surtout à l’architecture et aux plans de ville. François Ier lui commande alors la transformation de ce pavillon de chasse. Le projet primitif de 1519 comprend un donjon et une enceinte rectangulaire. Le donjon présente huit appartements par étages et quatre dans les tours angulaires. Ils sont distribués par une vis centrale à quatre montées entrelacées. Toute circulation horizontale étant impossible, les plans sont fortement remaniés à partir de 1526 par Domenico da Cortona : la vis est réduite à deux montées pour permettre une circulation horizontale autour de l’escalier sans se rencontrer Les travaux se poursuivent jusqu’aux années 1550. Le chantier mobilise 1 800 ouvriers pendant vingt ans. Mais quand le château est terminé, il est déjà démodé. Les seigneurs, invités à Chambord, viennent surtout chasser. La cour fait quinze visites, de courte durée « chez moi », comme se plaisait à dire François Ier. Il y reçoit avec faste Charles Quint en 1539. La disposition « politique » des appartements du roi, sur le même niveau que la chapelle, mais à l’opposé, « semble inscrire dans l’architecture, non sans audace, un dialogue d’égal à égal entre le pouvoir spirituel et temporel » (Joël Cornette, Chronique de la France moderne : le XVIe siècle, SEDES, Paris, 1995, p. 70). Chambord constitue l’archétype des châteaux de la Renaissance française : son style hybride emprunte à l’Italie tout en conservant la structure médiévale (le donjon, les tours angulaires). Les ouvertures, plus nombreuses, montrent bien que le château perd sa fonction défensive. En plus de l’escalier à double-vis, des apports nouveaux se 48 remarquent sur la terrasse : les lanternes à l’italienne entourent une grande lanterne de 32 mètres de hauteur, soutenue par huit arcs-boutants. Les proportions du château sont énormes pour l’époque : une enceinte de 153 mètres de long sur 117 mètres de large ; percée de 365 fenêtres, le donjon fait 47 mètres de côté. En tout 440 pièces, 13 escaliers principaux et 70 secondaires. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 49 HM – Richelieu Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Françoise Hildesheimer, Richelieu. Flammarion, 2004 Françoise HILDESHEIMER. Richelieu : une certaine idée de l'Etat ; préface de Roland Mousnier ; Paris : Publisud, 1985 ; in-8°, 144 pages. Roland Mousnier (1907-1993), L'Homme rouge ou La vie du Cardinal de Richelieu (1585-1642). Robert Lafont/Bouquins, Paris 1992 François Bluche, Richelieu, Éditions Perrin, 2003, 468 pages. Jouhaud (Christian), la Main de Richelieu ou le Pouvoir cardinal, Paris, Gallimard, collection « L’un et l’autre », 1991, 687 pages Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Françoise Hildesheimer, conservatrice en chef aux archives nationales s’est depuis longtemps consacrée à l’étude de Richelieu et de ses écrits, dont elle réédite une partie (ex. son Testament Politique en 1995). Le cardinal n’a pas séduit que les romanciers et compte déjà un certain nombre de biographes, dont le principal, Roland Mousnier, n’a rien perdu de son actualité. Peu de temps après François Bluche (Perrin, 2003), Françoise Hildesheimer nous invite à découvrir elle aussi son Richelieu en se fondant pour une large part sur les textes du cardinal lui-même, en dépit de leur dimension apologétique. Incontestablement, l’auteur est parvenue à échapper au piège de la séduction à l’égard de son sujet et tente de nous montrer un homme beaucoup moins assuré que ses mémoires ne le suggèrent. Au contraire, l’idée est de nous présenter l’apprentissage et l’exercice laborieux d’une survie politique et d’un pouvoir régulièrement menacé par les cabales fomentées de près ou de loin par Marie de Médicis et Gaston d’Orléans. Le livre fait effectivement ressortir la fragilité de l’homme, fragilité physique d’un corps malade et souffreteux, affective, causée par l’inquiétude permanente que lui cause le souvenir du sort de Concini et l’influence que ses ennemis lui disputent en permanence auprès du roi. A cette fragilité, à ces incertitudes d’une information rarement assurée, s’oppose la vigueur de la politique entreprise au service du royaume et l’image de la toute puissance dénoncée par ses détracteurs. Car là réside probablement la principale difficulté de la biographie d’un tel homme, caché derrière l’envergure exceptionnelle de l’homme d’Etat. Certes, l’auteur nous propose un découpage en quatre chapitres sur l’ascension (15851624), la métamorphose (1624-1630), l’empire de la raison (1631-1635) et l’histoire inachevée (1636-1642), mais le fil conducteur reste bien celui de la politique étrangère de la France, d’une guerre qui pèse sur les sujets, et cette histoire de Richelieu rejoint alors celle d’une histoire politique générale bien connue, excessivement événementielle, très peu culturelle. En revanche, l’analyse de la pensée politique de Richelieu, ses rapports avec la religion, offrent quelques aspects neufs que l’on lira avec profit : premièrement, la raison qui commande l’action politique n’est pas celle de Machiavel, le Testament politique manifestant au contraire l’hostilité envers une raison d’Etat dont le cardinal est généralement présenté comme le théoricien (cf. Etienne Thuau). L’un de ses préceptes n’était-il pas que les « rois doivent observer les traités avec religion » ? Certes, modération et prudence politique sont aussi une image largement recomposée, à destination de la postérité. Situé, en matière de religion, dans la voie moyenne tracée par le concile de Trente, Richelieu apparaît également comme le théologien d’une foi ordinaire, restaurateur de la discipline 50 ecclésiastique dans ses domaines mais partisan d’une conversion douce des protestants à un catholicisme de raison. Mais en dehors des écrits de Richelieu, on trouvera peu de références à des sources de première main et aux travaux d’érudition. Les zones d’ombre demeurent comme cette ascension rapide auprès de Marie de Médicis, et quelques erreurs ne laissent pas de nous surprendre, telle cette assemblée des notables qui exclue le tiers état (p.174), le « massacre » des fonctionnaires impériaux lors de la défénestration de Prague, ou bien cette anachronique « guerre éclair » de la France en 1635. Malgré cela, l’une des réussites du livre vient de la qualité d’un récit qui s’efforce de montrer au mieux les interactions entre les complots à l’intérieur et la guerre extérieure ; la fin de l’ouvrage, avec l’affaire Cinq-Mars, la guerre en Catalogne et la dégradation de sa santé, révèle un pouvoir plus fragile que jamais, et une relation usée, emplie de défiance avec le roi. Ce livre est donc aussi l’histoire d’un couple que seule la raison réunit : après avoir capté la plus grande partie de sa fortune personnelle, le roi lui fait d’ailleurs un bel hommage posthume en assurant son héritage politique entre les mains de Mazarin. On ne présente plus François Bluche. Le Dictionnaire du Grand Siècle (Fayard, 1990) qu’il a dirigé est devenu un ouvrage de référence quant au règne personnel de Louis XIV ; si elle n’a pas fait l’unanimité parmi les historiens modernistes, sa biographie du Roi-Soleil (Fayard, 1989) est un succès de librairie. Habitué du Grand Siècle et du Siècle des Lumières, il est cependant plus rare de voir l’auteur du Despotisme éclairé s’aventurer avant l’avènement de Louis XIV (1643). Pourtant ce n’est pas tant cette avancée dans le premier XVIIe siècle sous la forme d’un ouvrage biographique du cardinal de Richelieu, ni même, contrairement aux craintes de l’auteur lui-même (p.11), la parution d’un énième livre consacré au ministre de Louis XIII, qui surprendra le lecteur. Assurément l’ouvrage est original par plus d’un point. Loin de prétendre à être exhaustif, le Richelieu de François Bluche se présente comme un essai, en hommage à Édouard Balladur, destiné à éclairer sous un jour nouveau ou à rappeler à ses lecteurs quelques «points délicats (...) trop fréquemment simplifiés par l’historiographie» (p.11). Il en résulte un certain nombre de choix comme les nombreuses annexes (17 en tout) qui occupent avec la chronologie, un index et, fait rarissime mais dispensable, un glossaire, pas moins de 135 des 458 pages imprimées du livre. Dans leur globalité, ces annexes s’avèrent intéressantes, à défaut d’être utiles dans le cadre d’un essai biographique, à l’instar des atermoiements confessionnels d’Henri IV (p.349). Le glossaire vise surtout à suppléer à l’absence de notes qui seraient destinées en majeure partie au lecteur profane en l’Ancien Régime, qui s’y risquerait ici pour la première fois, ou même à un lecteur à la culture lacunaire qui, ayant sans doute acheté ce livre lors d’un égarement passager et n’ayant pas de dictionnaire, s’interrogerait sur la définition de mots tels que barbon, droit privé ou nonce. Le choix le plus marquant se révèle être cependant le découpage de l’œuvre en 72 chapitres. Si l’on se réfère à l’activité intense et diverse de l’Homme rouge, une telle profusion se justifie amplement et, de fait, François Bluche n’entend négliger aucune dimension du personnage, de l’évêque comme du ministre, du père de la marine comme de celui des arts. Il s’agit de prendre la mesure du grand homme, d’en brosser un portrait sans concession aucune en le resituant dans son époque. En fait de concession, l’auteur ne saurait être taxé d’admiration béate pour son sujet. Il reconnaît volontiers l’importance de l’œuvre du cardinal-ministre dont le règne suivant bénéficie, mais souligne les travers de la personnalité de l’homme, en particulier sa sévérité excessive pour un prêtre tout en reconnaissant celle plus grande du roi (p.97). Dans un autre registre, François Bluche juge telle sa soif d’honneurs et de charges – il est vrai considérable tant pour lui que pour sa famille - qu’il la qualifie de mégalomanie, «affection des génies politiques» (p.208), tare dont furent exempts nombre de grands hommes d’État, tel Louis XIV, constructeur de Versailles. Il est vrai cependant que l’auteur a vu dans le roi-soleil un introducteur d’une part assez remarquable de démocratie dans son règne en 1709 (cf. François Bluche, Louis XIV, chapitre XXVII). Sur de nombreux points, l’essayiste de Richelieu rejoint et dépasse le biographe 51 de Louis XIV dans une certaine facilité d’images et d’expressions. Peut-être estce à des fins de démonstration ou de pédagogie toujours pour le même lecteur égaré ? Quel intérêt, autre qu’un trait d’humour, que de parler d’un «top five» (p.13) des grandes figures de l’histoire de France, fruit d’un hypothétique sondage réalisé auprès des Français ? (A noter que les quatre autres lauréats sont saint Louis, Jeanne d’Arc, Louis XIV et Napoléon, autant pour Henri IV, sa poule au pot et l’édit de Nantes !) De même, sans doute, est-ce un trait d’humour noir que le «who’s who de l’échafaud» (p.97). De ces effets de manche, à l’emporte-pièce, Richelieu en recèle sans qu’ils apportent beaucoup à la réflexion parce qu’ils manquent parfois d’explications, à l’image du tableau de l’âge comparé de personnages notables, tableau riche d’enseignements qui demeurent attendus, ou du sibyllin encart sur le rationalisme et la raison comparés de Richelieu et Colbert (p.200). Il n’en demeure pas moins que, par sa vision synthétique et globale de la vie de Richelieu dans son contexte, une perception originale de la carrière et de l’œuvre du cardinal-duc, éclairée par un point de vue personnel, s’il n’est toujours pertinent dans sa formulation, ce Richelieu peut faire figure d’une bonne introduction au personnage pour le profane que pourraient rebuter la densité de L’Homme rouge de Roland Mousnier ou du Richelieu de Michel Carmona, et la spécialisation du Richelieu. Une certaine idée de l’État de Françoise Hildesheimer (Publisud, 1985) ou du Pouvoir et fortune de Richelieu de Joseph Bergin (Laffont, 1987). Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Activités, consignes et productions des élèves : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 52 HM – Mazarin Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Claude Dulong, Mazarin, Perrin 1999, 417 pages Claude DULONG, La Fortune de Mazarin, Paris, Librairie académique Perrin, 1990. Pierre Goubert, Mazarin (Paris, Fayard, 1990, Livre de Poche 1993) Isabelle de Conihout, Patrick Michel, Mazarin : les Lettres et les Arts, Éditions Monelle Hayot, 2006 Simone Bertière, Mazarin : le Maître du jeu, Éditions de Fallois, 2007 Hubert CARRIER, Les Mazarinades. 1 : La Conquête de l'opinion, Genève, Droz, 1989. Hubert CARRIER, Les Mazarinades. 2 : Les Hommes du livre, Genève, Droz, 1991. Hubert CARRIER, Les Muses guerrières : les mazarinades et la vie littéraire au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1996. Georges DETHAN, Mazarin, un homme de paix à l'âge baroque, Paris, Imprimerie nationale, 1981. Madeleine LAURAIN-PORTEMER, Études mazarines, Paris, de Boccard, 1981. Madeleine LAURAIN-PORTEMER, Une tête à gouverner quatre empires ; études mazarines 2, Paris, chez l'auteur (distribué par Jacques Laget, Librairie des Arts et Métiers), 1997. Patrick MICHEL, Mazarin, prince des collectionneurs : les collections et l'ameublement du cardinal Mazarin (1602-1661) ; histoire et analyse, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1999. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : La commémoration du IVe centenaire de la naissance du Cardinal (1602-1661) a permis de faire le point sur l’état actuel des « études mazarines », mais aussi de présenter un tableau de la France culturelle et artistique pendant la période, mal aimée et peu étudiée, qui s’écoule entre la mort de Richelieu, celle de Louis XIII (1642-1643) et le début du gouvernement personnel de Louis XIV (1661). L’ouvrage réunit, sous l’impulsion scientifique de Patrick Michel et d’Isabelle de Conihout, des études dues aux meilleurs spécialistes français et étrangers. Il privilégie deux passions du « prince des collectionneurs », les livres et les arts. La troisième partie, consacrée à l’image du cardinal auprès de ses contemporains et de la postérité, permet d’ajouter le point de vue des historiens. Par la qualité et la pertinence de l’abondante illustration, le souhait des auteurs est de rendre agréablement accessible l’ensemble des études réunies dans ce volume. C'est Pierre Goubert qui, en 1963, a mis fin à l'expression voltairienne de " siècle de Louis XIV " : ne sous-entendait-elle pas, en effet, que ce monarque seul - au demeurant roi de plein exercice à partir de 1662 seulement - a édifié un monument équivalent à ce qu'ont fait Périclès à Athènes et Auguste à Rome ? Il s'en faut, pourtant... Louis XIV et vingt millions de Français a montré une fois pour toutes qu'au XVIIe, siècle les misères l'ont plus d'une fois emporté sur les splendeurs et aussi qu'il est de la plus élémentaire équité d'associer vingt millions de sujets aux heurs et malheurs du royaume. En 1990, le même historien a mis en évidence le legs décisif fait à son pays d'accueil par un étranger, le complexe et fastueux Mazarin : le cardinal n'a-t-il pas rétabli la paix civile et placé aux commandes la quasi-totalité du personnel politique qui précisément a permis à Louis XIV de faire de son règne un épisode grandiose ? Ce n'est pas là diminuer les mérites du Grand Roi, mais tout simplement dresser du XVIIe, siècle un bilan équilibré. Pierre Goubert : "En dehors de souvenirs d'enfance liés à d'Artagnan et quelques autres, le personnage m'a toujours fasciné, pour deux raisons. " D'abord, l'extraordinaire habileté avec laquelle il s'était hissé au pouvoir et s'y était maintenu, malgré une conjonction ahurissante, mais désordonnée, Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Né et baptisé à Pescina - une petite ville des Abruzzes alors sous domination espagnole Giulio Mazzarino passa son enfance et son adolescence à Rome puis, après deux années d'études à l'Université d'Alcalá de Henares, revint en Italie. Tour à tour au service des Colonna, des Saccheti et du cardinal Antoine Barberini, il se fit remarquer par son audace lors du siège de Casal en octobre 1630 et devint le légat du pape Urbain VIII, à Paris, de 1634 à 1636. L'estime que lui manifesta très vite Richelieu - rencontré dès 1630 à Pignerol - puis la confiance que lui accordèrent le roi de France et plus encore Anne d'Autriche permirent à Mazarin, élevé à la dignité de cardinal en 1641, d'accéder aux plus hautes charges de l'État : après la disparition de Louis XIII (14 mai 1643) et celle de son principal ministre, mort quelques mois plus tôt, Mazarin gouverna la France, jusqu'à son dernier souffle, aux côtés de la régente. À l'intérieur du royaume, Mazarin dut faire face à la Fronde qui fut sans nul doute " la plus profonde dépression politique du siècle ", " un fléchissement simultané de l'État, de l'économie et de la société " (H. Méthivier) ; de 1648 à 1653, sur une toile de fond aux couleurs sombres où la famine, la misère et la maladie projetaient le spectre de la mort, des troubles éclatèrent, dans la capitale et en 53 d'inimitiés, de jalousies, de complots, de calomnies, de brutalités, d'échecs apparents ou momentanés; spectacle saisissant d'une intelligence, surtout politique, qui surclassait tout ce qu'on pouvait observer à son époque, et à beaucoup d'autres. "Le second titre de séduction découlait sans doute du précédent, mais allait plus loin encore [...], " On constate tout naturellement qu'à la mort de Richelieu (décembre 1642) puis à celle de Louis XIII (mai 1643) ni la guerre contre l'Espagne ni la guerre contre l'Empire n'étaient achevées [...]. La double victoire fut l'œuvre de Mazarin et de son équipe [...], et c'est grâce à lui qu'en 1648, puis en 1659, l'Alsace, l'Artois, le Roussillon, la Cerdagne, le sud du Luxembourg et quelques autres lieux furent réunis au royaume [...]. Il faut fermement observer, et publier, que sans l'italien il n'y aurait pas eu d'œuvre de Richelieu - les affaires protestantes exceptées. Et soutenir aussi fermement qu'il n'exista pas un " grand cardinal ", mais bien deux : sans le second, le premier eût-il laissé un tel souvenir ? " D'autre part, faut-il rappeler que ce ne furent pas les assez pâles précepteurs de Louis XIV qui le formèrent, mais, outre sa vigilante mère, son parrain (père spirituel) le Cardinal qui lui apprit, dans le secret de son propre cabinet, avec les intrigues de Cour, l'Europe des princes et des diplomates, des intrigues à démêler, des consciences à acheter et que tout homme, fût-il roi, est vénal ? [...] Plus évident encore, le legs à son royal filleul de la totalité de son personnel gouvernemental [...]." Professeur de littérature, Simone Bertière a d’abord publié une Vie du cardinal de Retz et une édition commentée de ses Mémoires, avant de se lancer dans le récit d’une vaste fresque sur l’histoire des Reines de France des Temps Modernes. Le dernier volume de la série, intitulé Marie-Antoinette, l’insoumise, lui a valu le Prix des Maisons de la Presse, le Prix des Ambassadeurs et le Grand Prix de la Biographie historique de l’Académie Française. Mazarin le maître du jeu retrace l’extraordinaire destin de cet Italien de petite extraction et sans fortune qui meurt à 69 ans au sommet de la gloire : il est à la tête de la France et il est devenu l’arbitre de l’Europe. Si cette biographie s’inscrit dans la tradition des historiens qui ont travaillé à la réhabilitation de Mazarin, tels que Mmes Claude Dulong et Madeleine LaurainPortemer ou encore Georges Dethan et Pierre Goubert, elle innove par l’intérêt apporté aux années italiennes de Mazarin. Né le 14 juillet 1602 dans Les Abruzzes, Giulio Mazarini révèle très vite ses dons de jeune prodige. Une très bonne mémoire, des études brillantes chez les jésuites, doué pour la musique, passionné par les arts et de surcroît une fière allure, voilà le jeune homme qui s’engage dans les troupes pontificales. Rapidement, il sait se rendre indispensable. Mieux, le pape Urbain VIII remarque son adresse dans les négociations diplomatiques. Il sera son messager de la paix. En intervenant dans l’affaire de Casal, il évite un affrontement entre la France, l’Espagne et l’Autriche. Mais dans ce cas, il agit en prenant le parti de la France, de ce jour date sa rencontre avec Richelieu. En 1640, il quitte définitivement l’Italie pour la France. Dans l’ombre de Richelieu, il devient son élève et son successeur ; mieux, Richelieu le recommande à Louis XIII qui, se sentant mourir, prépare la Régence. Louis XIII en fait le parrain du Dauphin et lui confie la Reine, Anne d’Autriche et le petit Louis XIV en lui demandant de continuer l’œuvre de Richelieu. A l’extérieur, Mazarin va devoir combattre les ennemis de la France et à l’intérieur il va devoir faire face à une Fronde des parlements et des princes. Après maints rebondissements, et avec la complicité de la Reine et de Louis XIV, il en sort vainqueur… mais épuisé. Il meurt le 9 mars 1661 à Vincennes. Ce Mazarin si bien évoqué par Simone Bertière a été aussi un grand collectionneur et un grand bâtisseur. Il a fait ériger le Collège des Quatre Nations où se situe la magnifique bibliothèque qui porte son nom et où siège l’Institut de France. Infortuné Mazarin ! La légende, propagée par les mémorialistes - intéressés - de l’époque, en fit un être digne du plus grand mépris, cupide, prévaricateur, retors, et pour couronner le tout, italien. Bref, un « fantôme de Richelieu », selon l’expression d’Alexandre Dumas dans Vingt ans après, traduisez : une pâle copie du précédent cardinal. Et pourtant. Ainsi que l’écrivait l’un de ses biographes, Pierre Goubert, « il faut fermement observer, et publier, que sans l’Italien, il n’y province, à l'instigation des grands seigneurs toujours prêts à " fronder " et du Parlement, jaloux de son pouvoir et de ses prérogatives. Mais ni les uns ni les autres, malgré l'appui du peuple, ne formèrent de véritables coalitions ; à l'évidence ils supportaient mal un absolutisme qu'exacerbaient les nécessités de la guerre, et stigmatisaient de façon unanime le ministre étranger qui cristallisait tous les mécontentements. Les quelque 5500 mazarinades publiées au cours de cette période témoignent de la haine suscitée par Mazarin qui fit néanmoins son entrée solennelle à Paris le 3 février 1653, une fois la Fronde vaincue. Le titre du bel ouvrage de Georges Dethan (" Un homme de paix à l'âge baroque ") résume admirablement la politique étrangère du cardinal Mazarin qui poursuivit avec fermeté la lutte contre l'Espagne engagée par son prédécesseur mais qui voulut aussi, de toutes ses forces, mettre un terme aux conflits armés qui dévastaient alors l'Europe. Le brasier de la Guerre de Trente Ans s'éteignit en 1648 avec les traités de Westphalie, heureux aboutissement des négociations auxquelles participèrent avec opiniâtreté les diplomates français sous l'autorité du premier ministre ; la guerre avec l'Espagne connut son dénouement sur les rives de la Bidassoa, le 7 novembre 1659, grâce au traité des Pyrénées dont une clause prévoyait le mariage de Louis XIV et de l'infante Marie-Thérèse, célébré l'année suivante à Saint-Jean-de-Luz. Véritable arbitre de l'Europe, il avait su préparer l'avènement du Roi-soleil et mourut à Vincennes, le 9 mars 1661. Les études récentes sur Mazarin refusent de privilégier l'homme public au détriment de l'homme privé et nous renvoient un portrait du cardinal moins manichéen que celui auquel nous avait habitué l'historiographie traditionnelle, en exaltant non seulement les mérites du stratège et du négociateur mais aussi les qualités exceptionnelles d'un homme qui avait de l'esprit, du cœur, une grande force d'âme et un goût artistique très sûr. Trois siècles et demi après sa mort, un lieu de mémoire perpétue le souvenir du cardinal Mazarin : ce sont les bâtiments de l'ancien Collège des Quatre-Nations, édifiés à partir de 1662, conformément au vœu testamentaire du cardinal, sous la direction de l'architecte Le Vau ; ils constituent aujourd'hui le Palais de l'Institut de France - dont la chapelle abrite le tombeau du cardinal - et la Bibliothèque Mazarine, destinée à accueillir les ouvrages rassemblés, sa vie durant, par le plus grand collectionneur de son temps. 54 aurait pas eu d’œuvre de Richelieu - les affaires protestantes exceptées. Et soutenir aussi fermement qu’il n’exista pas un « grand cardinal », mais bien deux : sans le second, le premier eût-il laissé un tel souvenir ? » La Fronde, cette « crise de croissance » de l’Etat absolutiste, avait déchaîné contre lui les passions, empreintes d’un certain racisme. Mais Mazarin sut éviter le sort d’un Concini. Et pour cause : son intelligence exceptionnelle lui assura une survie physique et politique que nul ne jurait acquise. Cette intelligence, il eut le bon goût de la mettre au service de la France. Encore faut-il poursuivre l’œuvre de réhabilitation. Il est heureux en ce cas que Simone Bertière, dont la saga sur les reines de France était un enchantement tant historique que littéraire, se soit attelée à cette tâche. En résulte une superbe biographie doublée d’une grande leçon de politique. Mais après tout, et de la part de cette historienne, le contraire eût été étonnant. Simone Bertière le revendique sans fard : « J’y prends ouvertement la défense de Mazarin, comme l’impose l’honnête examen des faits ». L’ouvrage n’en est pas pour autant une plaidoirie. Sympathique à l’égard de l’homme, Mme Bertière est sans complaisance sur le politicien. Simplement, elle le restitue dans son contexte, et lui redonne vie. S’en dégage le portrait d’un être brillant, chaleureux, ouvert, esthète et séducteur. Dans sa carrière, un fil conducteur : le souci de la performance. Issu d’un milieu modeste, il intégra l’administration pontificale et sut se faire bien voir du Pape Urbain VIII, qui lui confia d’importantes missions diplomatiques en cette période troublée par la Guerre de Trente ans et la rivalité franco-espagnole, lesquelles n’étaient pas sans conséquences sur la stabilité de la péninsule italienne. En 1630, il rencontra Richelieu pour la première fois, événement qui allait le pousser à rallier par la suite les intérêts de la France pour damer le pion aux ambitions des Habsbourg sur cette Italie qu’il aimait tant. Séduit par le personnage, le sombre Cardinal en fit progressivement son hommelige. Louis XIII y ajouta le statut de parrain du Dauphin. A la mort de ce duo, Mazarin parvint à se maintenir au sommet de l’Etat. Avec la reine Anne d’Autriche, il réussit à nouer un partenariat qui tint de la tendre amitié, sans pour autant aller jusqu’à la relation physique que se complaisaient à dénoncer hypocritement les adversaires de ce nouveau Cardinal. Anne était consciente de sa propre incapacité à gouverner : habilement, mais avec estime, Mazarin lui devint vite indispensable, ce d’autant qu’en sa qualité d’Italien il lui devait tout. Mieux encore, il entretint avec le Dauphin, traumatisé par la Fronde, une relation de maître à élève, presque filiale par substitution, et sut parfaitement l’éduquer à ce qu’allait être son métier de Roi. On loue Richelieu et on rit de Mazarin, souligne Mme Bertière, mais c’est oublier que Richelieu n’avait atteint, des trois objectifs qu’il s’était fixés - l’écrasement des protestants, l’obéissance des grands du royaume, la victoire contre l’Espagne - que le premier d’entre eux, les deux autres étant remis en cause par sa disparition. Mazarin réussit, envers et contre tout, envers et contre tous, non seulement à consolider les acquis, mais à transformer l’essai de son prédécesseur. En ce sens, il revenait de loin. La mort de Louis XIII lui laissait un pays en guerre avec l’Espagne, certes sauvé de peu par la victoire de Rocroi, mais handicapé par une quasi-faillite financière et un peuple écrasé d’impôts - sans compter les revendications politiques du Parlement de Paris et des nobles, qui se traduisit par l’épreuve de force de la Fronde. Conciliateur et diplomate, Mazarin ne réussit pas toujours à échapper à la confrontation armée, mais parvint savamment à vaincre ses adversaires, même lorsque tout paraissait perdu. Il restaura l’autorité de l’Etat, assainit ses finances, ramena l’ordre intérieur, et imposa à l’Espagne en 1659 la paix des Pyrénées, fortifiée par le mariage de Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche. Un exploit titanesque, qui lui coûta sa santé - en d’autres termes, la vie. Assurément, et grâce à Simone Bertière, l’homme - quoique profiteur (parce que prévaricateur) à sa manière, pour consolider son pouvoir - suscite l’attachement. Son intelligence était telle qu’il sut la dissimuler pour mieux tromper ses ennemis et imposer sa politique. A la finesse et un indéniable sens de l’humour s’ajoutaient un remarquable esprit de synthèse, une admirable capacité empirique - à analyser les faits et les gens (sans les juger), une immense capacité de travail, une parfaite maîtrise de soi. Sur le plan diplomatique, il restait fidèle à son tempérament de conciliateur, recherchant l’équilibre européen pour éviter de futures guerres, n’hésitant pas à interrompre une offensive victorieuse pour faciliter les négociations de paix en s’abstenant d’humilier l’adversaire, écartant ainsi toute perspective de revanche. La paix des Pyrénées, que l’on présente à tort 55 comme un résultat mitigé de sa stratégie, ouvrit une longue ère d’entente francoespagnole. Ainsi, à la mort de Mazarin, la France apparaissait à tous points de vue comme une grande puissance. Louis XIV pouvait sans risques amorcer son règne personnel, instruit en cela par ce cardinal revenu de tout. Avec un tel mentor, l’élève ne pouvait être qu’un grand Roi. Il le fut. On s’y attendait, mais il est juste de le reconnaître : Simone Bertière commet là l’une de ses plus belles biographies. Capable de lier le style à l’analyse, elle mène tambour battant son étude de l’un de nos plus grands hommes d’Etat, celui qui fit primer le réel sur l’idéal, le pragmatisme sur l’idéologie, la raison sur les passions humaines, la conciliation sur le conflit. Espérons que grâce à elle - sans oublier ses prédécesseurs, de Georges Dethan à Madeleine Laurain-Portemer, de Pierre Goubert à Claude Dulong - les faits l’emporteront enfin sur une calomnie qui n’a que trop duré. Claude Dulong, Mazarin, Perrin 1999, 417 pages Le plus souvent, les "grands hommes" - Alexandre, César, Richelieu, Louis XIV, Napoléon, Hitler, Staline, De Gaulle - sortent de l'humanité. Dans l'Antiquité, on les appelait demi-dieux, incompréhensibles qu'ils deviennent aux simples mortels. Selon le mot de Bonaparte, ils sont "des météores destinés à brûler la terre". Le cardinal Mazarin n'est pas de cette race-là. En ce XVIIe siècle, tout rempli de héros et de saints, sa silhouette insinuante dépare quelque peu parmi tant d'altières statures. Les contemporains l'ont vivement senti. Et le temps écoulé n'y fait rien. Des deux grands cardinaux-ministres de l'ancienne monarchie, Mazarin est celui que l'historiographie et la mémoire collective ont considéré avec le moins d'admiration. Malgré les années, il n'a jamais tout à fait cessé d'être le "gredin de Sicile" vomi par les pamphlets de la Fronde. Après le Mazarin de Pierre Goubert, publié en 1990, il n'était donc pas inutile de revenir à cet Italien mal-aimé des Français. Élevé au pouvoir par Richelieu, Mazarin en demeura l'admirateur sincère, mais n'imita point son style de gouvernement. Quelle différence de l'un à l'autre ! Avec sa verve coutumière, Retz a bien résumé le contraste des deux ministres : "L'on voyait sur les degrés du trône, d'où l'âpre et redoutable Richelieu avait foudroyé plutôt que gouverné les humains, un successeur doux, bénin, qui ne voulait rien, qui était au désespoir que sa dignité de cardinal ne lui permettait pas de s'humilier autant qu'il l'aurait voulu devant tout le monde, qui marchait dans les rues avec deux petits laquais derrière son carrosse". Vient la Fronde. Mme Claude Dulong nous montre un Mazarin moins habile qu'on le croyait et qu'on le croit encore. Elle s'attache particulièrement au "couple inattendu" formé par Mazarin et Anne d'Autriche pendant ces années difficiles. Malgré d'infinis obstacles ou grâce à eux, leur amour peu commun semble croître avec les années. L'expression en est précieuse chez le cardinal, passionnée chez la reine, autant qu'on en puisse juger par les lettres d'affaires et d'amour conservées, parsemées de signes cryptiques et de phrases romanesques, que Mme Dulong met sous nos yeux. En dépit de la charge de l'auteur contre la "nouvelle histoire", elle nous donne là une source extraordinaire pour l'histoire des mentalités. Trop souvent, les correspondances et écrits intimes des hauts personnages sont dédaignés par les chercheurs spécialisés dans cette partie. On regrettera d'ailleurs que, fidèle à l'historiographie traditionnelle, l'auteur ne se risque pas sur ce terrain, laissant au lecteur le soin de pousser ses propres observations psychologiques. La provende est pourtant fort riche et fort instructive. Ainsi voit-on Mazarin avouer, sur son lit de mort, qu'il n'avait auparavant "jamais entendu la messe suivant les véritables intentions de l'Église"... Nous voilà bien loin du siècle des saints ! La moindre surprise de l'ouvrage n'est pas de découvrir un Mazarin peut estimé de ceux qu'il cotoie le plus près et auxquels il a rendu les plus signalés services. Colbert, sa créature, qu'il place au sommet de l'État, le méprise pourtant cordialement : "il est encore pis qu'il n'était, écrit le futur ministre de son patron ; il ne pensait jamais au lendemain : mais à présent il ne pense pas du matin à midi et raisonne toujours sur de faux fondements". Pour le roi, les choses sont plus complexes. Les relations entre le ministre et son souverain sont celles de maître à écolier. Le cardinal suit avec attention et affection les progrès du jeune Louis XIV dans l'art de régner, et le P. Paulin lui rapporte avec gourmandise que "le roi croît en sagesse et en dissimulation". Mais le ministre fait parfois la leçon assez rudement à son pupille. Quand le roi se 56 refuse à rompre avec Marie Mancini et lui assure que sa passion est irrépressible, Mazarin lui rétorque : "C'est proprement parler pour ne rien dire". On peut imaginer quelle blessure cette réponse fut pour l'orgueil du futur roi-soleil ! Plus tard, Louis XIV se souvenant de Mazarin, louera, "un ministre rétabli malgré tant de factions, très habile, très adroit, qui m'aimait et que j'aimais, qui m'avait rendu de grands services, mais dont les pensées et les manières étaient naturellement très différentes des miennes". Sans doute le roi-soleil ne pardonnait pas à son mentor ses airs de polichinelle, si éloignés de l'aisance marmoréenne dont le monarque fit un des plus efficaces instruments de son règne. Il est vrai que le cardinal n'affectionne guère les poses héroïques et la fermeté d'âme chères à son époque. C'est la scène fameuse, rapportée par Brienne où Mazarin, près de mourir, arpente sa galerie : "Hélas, il faut quitter tout cela (...) Adieu, chers tableaux. Je ne les verrai plus où je vais". Spécialiste des finances et de la diplomatie au XVIIe siècle, Mme Dulong avait plusieurs titres à donner un Mazarin. Objet principal de ses recherches, la fortune mal acquise du cardinal n'a plus de secret pour elle. Elle a donné sur ce sujet un livre et plusieurs articles, dont les conclusions sont résumées à la fin de la biographie. Épouse d'un ancien ministre du général de Gaulle, elle a eu aussi cette chance, trop rare pour les historiens, de parcourir les allées du pouvoir. Les "gaullologues" reconnaîtront d'ailleurs ici la plume alerte et l'ironie de l'auteur de la Vie quotidienne à l'Élysée au temps du président de Gaulle. D'une indifférence impériale à l'égard des questionnements nouveaux sur l'art biographique, Mme Dulong, tout en campant le Mazarin intime, l'homme de trafics et d'intrigues, peint le serviteur de l'État pénétré de la grandeur de sa tâche, qui écrit, d'un ton très gaullien : "pour porter les affaires de la France au plus haut point qu'elles aient été, une seule chose est nécessaire: que les Français soient pour la France". C'est donc en son genre une réussite que ce Mazarin qui atteint le rare bonheur d'attraper la ressemblance du héros et d'être, comme lui, plein d'esprit, de vie et d'italianità. Aussi ne peut-on fermer ce livre sans repenser au parallèle de Richelieu et de Mazarin. Rien ne le fait mieux sentir que la distance qui sépare les tombeaux des deux cardinaux-ministres. Sur le premier, ouvrage de Girardon, un Richelieu surhumain s'offre avec assurance au jugement du Ciel. Avec le second, au contraire, Coysevox montre un Mazarin égaré dans le royaume des morts, l'oeil plein d'inquiétude, humain, irrémédiablement humain. De cette humanité qui, justement, nous le fait comprendre et aimer davantage peut-être que son superbe et terrible devancier. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Mazarin présente les intérêts de la France Jules Mazarin, de son vrai nom Giulio Mazarino (1602-1661), est un diplomate et un homme politique d’origine italienne au service du pape puis des rois de France. Il succède à Richelieu à la mort de celui-ci en 1642. Ce texte, rédigé en 1646 alors que la guerre face à l’Espagne a repris depuis trois ans, permet de comprendre la politique extérieure du royaume de France au XVIIe siècle. Il s’agit de briser l’encerclement de la France par les Habsbourg. La Catalogne, dont il est question ici, fait l’objet d’une tentative d’échange avec les Pays-Bas car Mazarin y voit l’occasion de renforcer les frontières du Nord-Est et le rôle de Paris et de rivaliser avec l’Angleterre grâce à un accès plus important à la mer du Nord. Hommes et territoires sont totalement assujettis aux seuls intérêts de la couronne et non à des principes nationaux. Les échanges de territoires issus de guerres ou des alliances entre les dynasties européennes sont nombreux et entraînent tensions et conflits. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Activités, consignes et productions des élèves : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 57 HM – Vauban Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : 2007 Année Vauban Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : De Vauban, voici quelques ouvrages que l’on peut se procurer en librairie, récemment édités : * Description géographique de l’élection de Vézelay, prés. J.-F. Pernot, Ass. des amis de la maison Vauban, 1986. * Écrits divers sur la religion, texte de prés. J.-R. Armogathe, E. Larousse, J.-F. Pernot, Ass. des amis de la maison Vauban, 1992. * La Dîme royale, prés. E. Le Roy Ladurie, Paris, Impr. nat., 1992, coll. : « Acteurs de l’Histoire » ; et prés. et commentée J.-M. Daniel, Paris, L’Harmattan, 2004, coll. : « Finances publiques ». * Mémoire pour le rappel des huguenots, Cause, 1985. * Projet d’une dîme royale, prés. J.-F. Pernot, Ass. des amis de la maison Vauban, 1988 et Atenco, 1970. * Nouveau traité de géométrie et fortification, Latour-Ollé, 2002, coll. : « Rediviva ». * Lettres de Vauban (1633-1707), éd. G. Monsaingeon, Scala, 2006, coll. : « Mémoires illustrés ». (Il s’agit d’un choix d’environ 150 lettres). Ouvrages généraux : Anne Blanchard, Vauban, Fayard (1996) 2007, 686 pages (Biographie chronologique axée sur la carrière militaire de Vauban. Une nouvelle édition, sans réel changement, est parue en 2007) Michèle VIROL, Vauban : de la gloire du roi au service de l’État, Champ Vallon, (2003) 2007, coll. : « Époque » (Biographie intellectuelle axée sur la pensée de Vauban, organisée de façon thématique. Complète utilement l'ouvrage d'Anne Blanchard). Thierry Sarmant Martin Barros Nicole Salat, Vauban. L'intelligence du territoire, Ed. Nicolas Chaudun 2006, 175 pages (L'œuvre de Vauban sous l'angle essentiellement architectural. Catégorie « beaux livres ») Michel PARENT, Vauban : un encyclopédiste avant la lettre, Paris, Berger-Levrault, 1985, coll. : « Illustres inconnus ». Bernard PUJO, Vauban, Paris, Albin Michel, 1991. Daniel Halévy, Vauban, De Fallois, 2007 (Réimpression de l'édition de 1924) Documentation Photographique et diapos : Revues : Cornette, Joël, « Vauban : soldat du roi et philosophe ». L'Histoire, 1994, février, n° 174, p. 28-36 Cornette, Joël, « Feuilleton : 2007, année Vauban : [feuilleton mensuel sur la vie et l'œuvre de Vauban]». L'Histoire, 2007, Février, n° 317, « Le génie du grand siècle » Mars, n° 318, « Coup de foudre royal » Avril, n° 319, « Lille, la plus belle citadelle » Mai, n° 320, « Les 13 jours de Maastricht » Juin, n° 321, « La ceinture de fer » Septembre, n°323, « Mont-Dauphin ou Le désert des Tartares » Octobre, n° 324, « Le baptême du feu du Grand Dauphin » Novembre, n° 325, « Des remèdes aux souffrances du royaumes » Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : En cette année 2007, Sebastien Le Prestre plus connu sous le nom de Vauban est à l’honneur. On commémore en effet le tricentenaire de sa mort et la France a choisi de présenter la candidature du réseau Vauban pour l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce réseau regroupant 14 sites majeurs de Vauban entend montrer son œuvre dans sa diversité, en mettant l’accent sur la capacité de l’homme à s’adapter aux contraintes des lieux. Compte-rendu établi par Jean-Pierre Costille, professeur d’histoire-géographie au lycée Jules Haag à Besançon, responsable du domaine Patrimoine à l’Action culturelle de Besançon. Autant dire que cette conjonction de raisons donne lieu à une production éditoriale déjà très nombreuse et qui ne va faire que s’accélérer. Plusieurs biographies existaient déjà sur le personnage, toutes datant de moins de vingt ans : il y eut celle de Bernard Pujo, d’Anne Blanchard ou de Michèle Virol. Les deux dernières se révèlent assez complémentaires car à une biographie classique et chronologique (celle d’Anne Blanchard) s’ajoute un travail sur l’œuvre intellectuelle de Vauban (Michèle Virol). Pele-mêle, on pourra découvrir aussi cette année une sélection de la correspondance de Vauban présentée par Guillaume Monsaingeon et cela ira jusqu’à la consécration du personnage avec la publication de l’ensemble de ses oeuvres baptisées « Oisivetés » et cela sous la direction de Michèle Virol à Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Dans l'imaginaire collectif, le nom de Sébastien Le Prestre, seigneur, marquis de Vauban (1633-1707), premier militaire du Génie promu maréchal de France en 1703 trop tardivement à son goût au regard des services qu'il estimait avoir rendus - reste principalement attaché à la gloire militaire du règne de Louis XIV, par les sièges victorieux auquel il a participé et surtout l'empreinte architecturale - ses fortifications - qu'il a laissée aux frontières du pays. Pourtant, Vauban n'est pas seulement l'homme qui a conduit avec méthode et succès l'ouverture de la tranchée dans près de 50 sièges. Il n'est pas seulement l'homme qui a remodelé les murailles de plus d'une centaine de forts et villes ou construit ex58 l’automne prochain. Daniel Halévy n’y croyait pas : « L’édition nationale de ses écrits, jadis souvent proposée, projetée, n’a jamais été qu’un rêve, et ce rêve même, nous ne le formons plus. » Cette étrange formule est tirée de son livre "Vauban". Elle s’explique par le fait que le livre de Daniel Halévy date de plus de quatre-vingt ans ! On pourrait donc s’étonner de la republication de ce livre paru pour la première fois en 1923. Ainsi, les sources utilisées sont moins fournies que dans beaucoup d’ouvrages actuels sur Vauban. L’apport de Daniel Halévy est peut-être ailleurs. Rappelons qu’il vécut de 1872 à 1936. Il fut historien et philosophe et écrivit sur Péguy ou sur Degas.. La maison d’édition ne manque pas de couvrir son livre d’un élégant bandeau « 2007 année Vauban ». Avant de parler du fond, remarquons que pour le lecteur non avisé, rien dans la quatrième de couverture ne lui indique qu’il s’agit d’une réédition d’un livre vieux de plus de quatre vingt ans. Voilà pour la forme. Le fond s’avère plus intéressant. En effet, on ne peut juger de la qualité d’un livre uniquement par la date de son copyright. En un peu plus de 160 pages, Daniel Halévy dresse un portrait de Vauban fort attachant. C’est peut-être là d’ailleurs la force et la faiblesse de cet ouvrage car on sent une certaine empathie du biographe pour l’homme. Cela donne lieu à d’élégantes formules et de beaux morceaux écrits : « Vauban le maçon sent le plâtre et la terre. Il est toujours au loin, dans la neige, dans la boue ; s’il ne combat pas, il construit, voyage et lève des plans. Vauban s’est dévoué à son œuvre, il y a disparu. » L’ouvrage est composé de six chapitres. Dans chacun, Daniel Halévy truffe son propos d’extraits de lettres écrites par Vauban, nous donnant mieux à voir l’homme, derrière la figure un peu monolithique du fortificateur. Tous ces morceaux choisis agrémentent de façon très plaisante le livre. En effet, et là n’est pas la moindre des qualités de cet ouvrage, l’auteur, dès 1923, dessine le portrait d’un homme qui fut bien plus qu’un militaire. En cette année 2007 beaucoup d’ouvrages insistent sur ses différentes facettes , mais beaucoup sont déjà présentes dans ce livre. Notons cependant que le portrait offert ici de Vauban s’apparente davantage à une peinture par petites touches, quasi impressionnistes. L’ordre chronologique est respecté,mais là n’est pas la vraie articulation du livre. Il vise davantage à présenter l’homme dans ses différentes facettes. on sent bien que là n’est pas la principale préoccupation de l’auteur. Il évoque le Vauban contestant la révocation de l’édit de Nantes en citant là encore des lettres d’époque : « Que le Roi donc, tandis qu’il possède encore la plénitude de sa force et se liberté, donne ce que demain on lui arrachera ; qu’il rappelle, qu’il rallie ces sujets naguère fidèles ; qu’il rétablisse l’Edit de Nantes, qu’il restitue les temples, annule les confiscations... » Il évoque également le Vauban qui s’intéressa à l’impôt à travers son projet de Dîme royale. Daniel Halévy insiste aussi sur combien l’homme fut de plus en plus sensible au mieux être des troupes. Il met aussi en avant sa compassion : à propos d’un soldat déserteur, voici ce qu’écrit Vauban : « C’est un misérable qui a cinq ou six petits enfants qui meurent de faim, et qui me fait compassion. » et Daniel Halévy d’ajouter : « Compassion : c’est un mot dont on n’use guère dans les années, et qui peint l’homme. ». De la même façon il résume en quelques formules le personnage : « Vauban n’a pas l’ame féodale, il est dévoué à l’Etat, il aime le Roi en qui l’Etat s’incarne. » Parfois, la marque de 1923 semble se dessiner dans le texte comme en filigrane : « Qu’ont-ils enfin voulu ces grands serviteurs dont il est le dernier ? Une France unie, dévouée, forte ; féconde en blé, en viande, en vin, nombreuse en ses familles, généreuse en son peuple, glorieuse en ses chefs et retranchée contre ses ennemis par les trois mers, les monts et le Rhin qui la couvrent. » N’y a t il pas là une phrase qui sent les lendemains de guerre ? Et même si tel est le cas, peu importe, car on sait bien que l’historien est toujours fils de son temps. De temps à autre on sent que l’auteur s’aventure dans une histoire psychologique qui est peut-être la contrepartie d’une certaine empathie pour l’homme qu’il présente. Au final cet ouvrage n’est pas à situer sur le même plan que d‘autres biographies qui paraitront ou reparaitront cette année. Il n’est pas non plus un éclairage sur un angle de l’œuvre de Vauban comme il en en a surgi et en surgira encore en 2007. Il nous permet peut-être, comme une fresque, de découvrir un personnage en son siècle, le tout écrit avec un souffle certain. Il n’est nullement une somme, mais peut-être finalement une introduction à , incitant le lecteur à aller plus loin. L’ouvrage de Daniel Halévy montre déjà cet homme multiple qui n’attendait pourtant « qu’un peu d’encens de la postérité ». nihilo plus d'une trentaine de places (dont 9 villes neuves). Il ne s'est pas seulement limité à l'art qui était le sien, l'architecture militaire, pour s'intéresser à l'architecture civile (aqueduc de Maintenon, ports et phares…), l'urbanisme, l'hydraulique (remodelages de canaux, comme le Canal du Midi)… Parcourant plus de 2000 kilomètres par an dans le cadre de ses fonctions de commissaire général des fortifications, Vauban est sans doute l'homme qui a connu le mieux son pays. Et par là, sa réelle situation économique et sociale, qu'il voyait se dégrader au fur et à mesure de guerres qu'il finissait par juger désastreuses. Loyal à son souverain, il n'en n'était pas moins homme à exprimer ce qu'il ressentait, ce qui pour lui était une façon de le conseiller. Dans l'art qui était le sien, attaquer et défendre des villes, il n'eut comme unique préoccupation que la santé et la vie des soldats et ouvriers qui étaient sous ses ordres - « la sueur épargne le sang », disait-il. De même, il n'eut de cesse de vouloir plus de bien-être et de richesse pour l'ensemble des habitants du royaume. A partir des années 1690, sa plume se fit plus critique envers la politique fiscale et militaire de Louis XIV, réclamant beaucoup plus d'équité devant l'impôt, prenant la défense des protestants après la révocation de l'édit de Nantes, regrettant l'acceptation de la succession d'Espagne par Louis XIV, y voyant un piège de ses ennemis et une nouvelle guerre ruineuse à venir. Vauban travailla dès lors sans relâche à vouloir apporter des solutions aux maux du royaume, dans des mémoires qu'il appela ses « Oisivetés », réfléchissant sur tous les sujets possibles - mais, dans sa pensée utilitariste, tout est lié -, de l'élevage des cochons à la fiscalité, en passant par les colonies d'Amérique. C'est ainsi, par ex., qu'il fut le précurseur du recensement de la population, qu'il inventa la statistique, qu'il s'enquit d'une bonne exploitation des forêts sur le long et non le court terme, ou qu'il émit l'idée d'une monnaie commune à l'ensemble des états de la chrétienté en Europe. Voilà une vie bien remplie pour « un homme qui n'avait pas grand-chose à faire » - pour reprendre partie du titre d'un de ces recueils où il rassemblait ses réflexions !!! En somme, lire Vauban, lire sur Vauban, est un bon moyen d'approcher au plus juste et au plus près le règne de Louis XIV. Puisse la bibliographie - forcément sélective rassemblée ici vous aider à mieux appréhender l'ensemble de l'œuvre et de la pensée de cet homme empreint d'humanisme, déjà porteur des valeurs des Lumières. 59 Anne Blanchard, Vauban, Fayard 2007, 686 pages 2007, année Vauban ? Si le nom est connu, si nombre de forteresses françaises peuvent s’enorgueillir de cette sorte d’AOC militaire, l’architecte semble, lui, écrasé par cette renommée. Qui connaît encore Vauban, au-delà du bâtisseur ? Les amateurs d’histoire et de grande biographie disposent pourtant, avec l’ouvrage d’Anne Blanchard - publié une première fois en 1996 et réédité pour l’occasion – d’un travail de référence, biographie classique due à la plume d’une spécialiste universitaire, professeur à l’université Paul Valéry, décédée depuis lors. Entre histoire militaire et histoire des élites, la biographie de Vauban s’inscrit dans ce courant historiographique qui s’intéresse aux élites techniciennes de l’ancien régime et cherche, hors de Versailles, les voies d’une histoire de la modernisation de l’Etat royal. Car on ne saurait réduire Sébastien le Prestre, sieur de Vauban (1633-1717), au seul architecte militaire révolutionnant la poliorcétique : figure de noble crotté en quête d’ascension et de reconnaissance, de l’honnête homme industrieux, du serviteur zélé de la monarchie louis-quatorzienne, Vauban trace un sillon depuis son Morvan natal jusqu’au sommet de l’Etat, où ses talents, ses connaissances, son habileté le désignent aux bons soins de la fortune. Certes, l’armée et la guerre le révèlent : au service du pré carré et de sa défense, il démarre tout jeune une carrière militaire en 1651, mais ce n’est qu’en 1655 qu’il accède à la charge d’ingénieur, première marche jusqu’à la dignité de maréchal. Avec cette biographie, on découvre déjà un tableau de l’histoire militaire de la France en guerre sous le règne de Louis XIV, avec quelques gloires, comme Turenne ou Louvois – protecteur encombrant de Vauban. Car Vauban est de toutes les campagnes, et comme commissaire général aux fortifications, il lui incombe autant de protéger le royaume que d’assiéger ses ennemis. C’est également un précieux travail en histoire de l’Etat et de son administration, consacré à un corps en devenir, celui du Génie - et à une fonction qui se développe, celle d’ingénieur - et qui, bientôt, passe de la tutelle du ministère de la Guerre à une relative autonomie au sein d’un département des fortifications. Depuis la fin du moyen-âge et les guerres d’Italie, l’artillerie s’est imposée sur le champ de bataille comme face aux villes, les fortifications ont évolué selon une «trace italienne» qui suppose, tant du côté des défenseurs que des assiégeants, des spécialistes rompus à la sape, la contre sape, l’édification de bastion… Devenu, très officieusement, «chef des ingénieurs» du royaume, Vauban forme des ingénieurs, parcourt le royaume, consolide les places fortes et sa position sociale. Evoluant au sein des réseaux aristocratiques, il mène de front son ascension dans les honneurs, via mariage, parentèles… et sa carrière professionnelle dans une époque fertile en conflits, au service d’un roi guerrier. Mais comme serviteur de l’Etat monarchique, l’homme sait mettre également son esprit pratique au service du nerf de la guerre, cet argent qui fait constamment défaut au monarque comme à ses grands commis (les fortifications coûtent fort cher…) : c’est le projet de dixme royale, pour le soulagement des peuples et des dettes, mémoire achevé dès 1700, publié en 1706… et censuré dès 1707. Réformateur (il rédige nombre de mémoires, plutôt techniques, consacrés à la gestion des forêts, à la circulation fluviale…), Vauban se heurte, comme tant d’autres, à l’inertie de l’Etat. Nul n’est prophète hors de son domaine. Mais il est intéressant d’évaluer, en ce domaine comme dans le domaine militaire, les freins qui bloquent, par endroit, le char de l’Etat et le font verser. L’ouvrage est d’une facture classique, universitaire et incontestablement efficace : un style sobre au service d’une érudition impeccable, un appareil de notes, une bibliographie et des sources, un index, des cartes et quelques documents annexes – les «preuves» dit-on parfois – témoignent de la solidité d’une biographie très réussie, celle d’un commis de l’Etat qui sillona plus souvent les chemins du royaume que les couloirs des palais. C’est donc avec confiance qu’il faut se laisser guider par Anne Blanchard dans ce destin : le plan déroule chronologiquement le cours d’une existence riche et heurtée, de l’enfance à la vieillesse, existence scandée par les guerres et les grades, avec, en toile de fond, ce «Grand siècle» qui ne se reflète pas, cette fois, dans les glaces de Versailles, mais plutôt dans le tumulte de la guerre. 60 Thierry Sarmant Martin Barros Nicole Salat, Vauban. L'intelligence du territoire, Ed. Nicolas Chaudun 2006, 175 pages Trois auteurs, trois spécialistes, livrent un Vauban sous-titré l’intelligence du territoire. Nicole Salat, historienne et archiviste de l’arme du génie, scrute le Vauban architecte. Martin Barros, historien des fortifications, dévoile le Vauban maître de la poliorcétique. Thierry Sarmant, conservateur du patrimoine et historien du Grand Siècle, étudie le Vauban administrateur, le Vauban politique et le Vauban de la légende. En cinq chapitres («Vauban dans la monarchie du Grand Siècle» ; «Le preneur de villes» ; «La ceinture de fer» ; «De l’ingénieur au politique» et «L’invention du grand homme»), cette biographie se veut neuve dans son appréhension du personnage. Et sans attendre, disons le, cet essai est une réussite. Loin d’ériger un nouveau monument à la gloire du grand homme, les auteurs ont pour but de montrer Vauban dans son monde et dans son temps, au travail et avec ses chefs, ses collaborateurs, ses secrétaires, ses plans et ses papiers. Le célèbre ingénieur ne s’est pas fait tous seul, il a servi un roi, une administration, une politique. Ce «Vauban au travail» vient compléter les quelques ouvrages qui, depuis une dizaine d’années, ont renouvelé son historiographie scientifiquement et ont tordu le coup à la légende. L’œuvre, les correspondances, les écrits et les plans de Sébastien Le Prestre sont le socle de l’étude, qui, par ailleurs, ne néglige pas les écrits de Louis XIV, de Colbert et de Louvois. Si peu de choses sont connues de l’enfance de Sébastien Le Prestre de Vauban, ses carrières de militaire, d’ingénieur et d’écrivain ont constitué une masse d’archives, fruit d’un homme qui, sans clientèle et sans argent, a fait carrière dans l’Etat monarchique. Baptisé en 1633, le jeune Vauban entra en 1651 comme cadet dans le régiment d’infanterie du prince de Condé, chef du parti frondeur. Comme beaucoup de Bourguignons de sa génération, Vauban fut en enfant de la Fronde. Ses compétences techniques furent utilisées par ses chefs. Ils le chargèrent de réparation d’ouvrages, puis en 1652 il fut envoyé au siège de SaintMénehould. En 1653, il rallia les royaux et au côté du chevalier de Clerville, ingénieur du roi, il assiégea à nouveau Saint-Ménéhould, mais cette fois-ci pour le roi. Après la capitulation de la place, Vauban fut nommé lieutenant au régiment de Bourgogne appelé aussi «régiment des repentis». Placé à la suite de Clerville, il participa les années suivantes à pas moins de six sièges. Nommé capitaine, puis ingénieur ordinaire en 1655, ses responsabilités s’accrurent et il conduisit lui-même trois sièges lors de la guerre contre l’Espagne en 1658. La paix signée, Sébastien Le Prestre resta au service de Clerville qui fut nommé commissaire général des fortifications en 1659. Vauban, homme de la génération du roi Louis, de Louvois, de Le Peletier de Souzy et d’autres grands commis, fut d’abord employé en Lorraine, puis en Alsace pour diriger des travaux, où il fut certes remarqué comme bon ingénieur sans néanmoins apparaître comme le meilleur. Le tournant de sa carrière date de 1667 lors de la guerre de Dévolution. Reconnu pour sa bravoure, il reçut une lieutenance au régiment des gardes françaises. De cette époque date sa rencontre décisive avec François-Michel le Tellier, marquis de Louvois, jeune secrétaire d’État de la Guerre. Ce dernier préféra le projet de Vauban à celui de Clerville, membre de la clientèle des Colbert, pour la nouvelle citadelle de Lille. L’année 1667 vit donc Sébastien Le Prestre entrer dans la clientèle de Louvois. Nommé en 1668 gouverneur de la citadelle, nouvelle étape de son ascension, Vauban devint le conseiller privilégié de Louvois pour tout ce qui concernait la fortification. Il lui fut complètement soumis aux volontés du secrétaire d’État de la Guerre. Cependant, la franchise était de mise entre les deux hommes, comme le montre toute leur correspondance, largement exploitée ici. C’est durant la guerre de Hollande, au siège de Maëstricht de juin 1673, que Vauban gagna une reconnaissance européenne. La prise de Maëstricht en treize jours apporta à l’ingénieur célébrité et fortune. Les sièges qui suivirent assirent cette gloire, à tel point que Colbert et Seignelay lui donnèrent pratiquement la même position dans leur département de la Marine que celle qu’il tenait dans le département de la Guerre. En 1674, ce «meilleur ingénieur de ce tems» accédait au grade de brigadier d’infanterie, en 1676 devenait maréchal de camp et en 1678 succédait à Clerville dans la charge de commissaire général des fortifications. Quand s’acheva la guerre de Hollande, Vauban avait acquis un droit de regard sur toutes les fortifications du royaume. Durant dix années, il entreprit des travaux sur toutes les frontières du territoire et acquit un ascendant sur tous les ingénieurs du royaume. A côté de ces travaux techniques, Vauban donna à Louvois dès 1673 61 des avis intéressant la politique générale, ne s’attirant pas toujours les bonnes grâces de son protecteur. Dans ces écrits, Vauban traita entre autres de haute stratégie, de la défense de Paris, des huguenots, de la bonne administration, de la fiscalité… En 1688, à l’approche d’un conflit européen, il fut nommé lieutenant général des armées du roi. La guerre de siège reprit et à nouveau Sébastien Le Prestre se distingua. En 1690, à la mort de Seignelay, Louvois devint le seul maître des fortifications du royaume et Vauban le confident indispensable. Mais le 16 juillet 1691, Louvois mourut, laissant le précieux conseiller et le meilleur ingénieur sans relais pour être écouté du roi. Vauban ne trouva pas la même connivence avec ses successeurs. Quelques jours après la mort de Louvois, le roi détacha les fortifications du département de la Guerre et créa un département des Fortifications à la tête duquel il plaça Michel Le Peletier de Souzy, avec le titre de directeur. Si la collaboration du directeur des fortifications et du commissaire général fut sans heurt, elle n’attint jamais celle de Vauban avec Louvois. L’administrateur réussit néanmoins à amadouer le technicien et leurs rapports furent toujours cordiaux. Il n’en fut pas de même entre Vauban et le nouveau secrétaire d’État de la Guerre, Barbezieux, fils de Louvois, qui conservait dans ses prérogatives le contrôle des opérations militaires. Ainsi Vauban s’éloigna de la famille Le Tellier pour nouer de liens avec d’autres grandes familles ministérielles, et en particulier les Pontchartrain. Louis Phélypeaux de Pontchartrain, contrôleur général des Finances en 1689, succéda à Seignelay comme secrétaire d’Etat de la Maison du roi et de la Marine. Même si il avait perdu ses prérogatives en matière de fortifications des places maritimes, Pontchartrain ne pouvait s’en désintéresser complètement. C’est ainsi qu’il correspondit avec Vauban à sujet. Par la suite, il envoya son fils auprès du commissaire général pour le former. Le lien fort qui s’établit entre le père et le fils d’un côté et Vauban de l’autre ne se démenti jamais et ce jusqu’à la mort de ce dernier. A la mort de Barbezieux en 1701, Michel Chamillart devint à son tour secrétaire d’État de la Guerre. Ses rapports avec Vauban furent plus chaleureux que ceux de son devancier. De 1691 à 1707, année de sa mort, Vauban continua ses activités de guerrier et de bâtisseur. En 1694, il reçut pour la première fois le commandement militaire de troupes de manœuvre, celles de Basse-Bretagne, et avec elles repoussa un débarquement anglais à Camaret. En 1697, il redevint ingénieur de tranchée. Dans le même temps il continua à bâtir. Dans les années 1690, la position de Vauban dans la société et dans l’État s’était considérablement élevée. Fait grandcroix de l’ordre de Saint Louis en 1693, membre de l’Académie des sciences en 1699, maréchal de France en 1703 et chevalier de l’ordre du Saint-Esprit en 1705, il obtint tous les honneurs. Et depuis 1691, il correspondait directement avec le roi. Il était conseiller du prince, mais un conseiller parmi d’autres. Sa voix n’avait-elle pas plus de poids lorsqu’elle était l’écho de celle de son maître Louvois ? Les auteurs de l’ouvrage le soulignent. Si certains avis furent mal reçus, d’autres, notamment, malgré la légende, ceux en matière fiscale reçurent un bon accueil du roi. Cet ouvrage déroule donc sous nos yeux la carrière exceptionnelle de Vauban. Bien sûr, la technicité de ses fonctions fut un frein à sa nomination comme maréchal de France, qu’il obtint tardivement, mais elle fut aussi essentielle à la formation du philosophe et du conseiller qu’il devint. Agrémenté d’illustration de plans et d’élévations souvent inédits, doté d’un glossaire technique, d’une chronologie de l’homme et de sa légende, d’un état des sources ainsi que d’un état des sièges où l’ingénieur fut présent, Vauban : l’intelligence du territoire marquera sans nul doute l’historiographie du grand homme par l’approche qui y est faite de sa carrière. Derrière la légende il y avait un ingénieur au travail, derrière le mythe il y a un technicien rigoureux devenu un penseur insatiable. On regrettera l’absence de notes de bas de pages… mais beau livre oblige ! 62 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : On connaît Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707) pour ses très nombreux travaux de fortifications. On lui doit la création ou l’élargissement de plus de 160 forteresses et l’invention d’un véritable système de défense et d’architecture qui porte son nom. Entré au service du roi dès l’âge de 20 ans, il connaît une remarquable carrière qui le conduit à la fonction de maréchal de France. Cependant, Vauban a aussi été un homme de réflexion sur la société de son temps. Il s’est intéressé à la démographie et à la prévision économique. En 1689, il rédige un Mémoire sur le rappel des Huguenots exhortant Louis XIV à revenir sur la révocation de l’édit de Nantes. Vauban s’est également préoccupé de la réforme des impôts, en publiant un ouvrage intitulé La Dîme royale (1707). Il y propose de remplacer les impôts existants par un impôt unique de 10 % sur tous les revenus, sans exemption pour les ordres privilégiés. Cette activité est la principale cause de sa disgrâce. Les difficultés des Français à la fin du règne de Louis XIV Le classement que Vauban propose de la société est fondé sur la richesse et l’aisance de différents groupes sociaux. Ainsi, il met la noblesse, le clergé et la bourgeoisie dans la même catégorie (aisée). Le constat de Vauban quant à l’état général de la population est très sombre puisque, selon lui, 9/10e de la société française connaît de graves difficultés de subsistances. Cette situation doit être mise en relation avec l’état du royaume à la fi n du règne de Louis XIV. Les nombreuses années de guerre, la forte pression fiscale mais aussi le train de vie de l’État sont responsables de l’appauvrissement général du royaume. Sébastien Le Prestre de Vauban Saint-Léger de Foucheret [auj. Saint-Léger-Vauban (Yonne)], 15 mai 1633 – Paris, 30 mars 1707 Ingénieur militaire et homme intègre, Commissaire général aux Fortifications, Maréchal de France, il a présidé à la construction de plus de 130 places fortes ou villes fortifiées. Curieux de tout, ses « oisivetés » sont des mémoires aux vues souvent prospectives quant à l’économie, l’agriculture, aux voies de communications, etc. Il est mort il y a trois cents ans, à la fin du règne de Louis XIV. Il est célèbre : on ne compte pas les places, les rues, les avenues, les lycées qui portent son nom. Dans l’esprit du public, il apparaît avant tout comme un bâtisseur. Si on distingue les remparts du Moyen Âge des architectures bastionnées, toutes les architectures militaires de défense du XVIe siècle au XIXe siècle lui sont attribuées. DEBUTS DE VAUBAN Voici comme il se présente lui-même à la fin de sa vie : « Mon nom est Sébastien Le Prestre, chevalier, seigneur de Vauban, qui est une maison de noblesse du Nivernais, dans lequel est située la petite seigneurie de Vauban appartenant à cette famille depuis deux cents ans et plus. Il a commencé à servir dès l’année 1651, âgé de dix-sept ans. Il a été assez heureux pour continuer depuis ce tempslà jusqu’à aujourd’hui sans aucune interruption et sans avoir été une seule année, soit en paix soit en guerre, qu’il n’ait été employé utilement hiver comme été ». Morvandiau de naissance, il restera très attaché à sa terre natale. Il y passera ses premières années. Par la suite, ce sera avant tout un voyageur. La plus grande partie de son existence, il la passera à sillonner le royaume d’un siège à l’autre, d‘une place à l’autre, restant parfois plusieurs années sans pouvoir revenir voir son épouse, ses deux filles et le château de Bazoches qu’il a acquis. Il est de petite noblesse. Par sa naissance, il ne fait pas partie des grands du royaume. Bien vite, on décèlera chez lui des capacités exceptionnelles. Mais, pour franchir les étapes de la carrière militaire jusqu’au sommet, il lui faudra attendre plus que d’autres, qui n’avaient ni son talent ni son mérite. INGENIEUR MILITAIRE Il est ingénieur militaire. Son activité est double : en été, il participe, voire dirige, des sièges ; c’est l’attaquant, le preneur de places qui n’a pas son égal pour analyser le terrain, les faiblesses des défenses adverses et qui met au point, avec les tranchées parallèles, un système efficace pour obtenir la chute de la place au moindre coût humain. Tandis que la campagne d’été terminée les militaires vont 63 se reposer, Vauban va être occupé tout l’hiver à concevoir, diriger et contrôler les travaux de fortifications ; c’est le défenseur qui est d’autant plus savant pour améliorer les systèmes de défense qu’il connaît parfaitement les défauts qui ont permis de faire céder l’adversaire. Intelligence des lieux, pragmatisme (certes on a parlé de ses systèmes, mais Vauban n’a pas l’esprit de système, il s’adapte au terrain. Au fil des ans et de l’expérience, il améliore ses méthodes), bravoure sans témérité (l’ingénieur militaire est à cette époque très exposé dans le combat et Vauban sera blessé à plusieurs reprises), indépendance d’esprit. Avant tout, il se montre humain dans la préparation et la conduite des campagnes militaires avec le souci permanent d’économiser le sang des troupes. HOMME POLITIQUE Serviteur fidèle, il respecte l’autorité mais il sait que le grand commis n’est pas celui qui attend et applique des instructions mais qui suggère, propose, défend ses idées parfois âprement et applique loyalement les décisions lorsqu’elles sont prises. Heureux lorsqu’il a su convaincre. Il est aussi un homme intègre. Sans cesse en contact avec des entrepreneurs sur des chantiers, il défend les seuls intérêts de l’État. Il pourra écrire : « La Fortune m’a fait naître le plus pauvre gentilhomme de France ; mais en récompense elle m’a honoré d’un cœur sincère, si exempt de toutes friponneries qu’il n’en peut même souffrir l’imagination sans horreur ». Vauban, c’est aussi un homme curieux de tout. Au cours de ses longs périples, il observe la société, il réfléchit. Au risque de déplaire, il n’hésitera pas à faire connaître ses désaccords sur la révocation de l’édit de Nantes, il appellera l’attention du Roi sur la misère du peuple et proposera des solutions pour améliorer et rendre plus équitable la recette fiscale. L’INTELLECTUEL Il est à l’origine de multiples inventions dans les domaines civil et militaire et peut traiter de sujets aussi divers que la démographie, l’économie, l’horticulture… De ce qu’il appellera avec humour « ses oisivetés », douze volumes de mémoires sur les sujets les plus divers, qui en font un précurseur des Encyclopédistes (Michel Parent), il écrira « mes oisivetés, un ramas de plusieurs mémoires sur des sujets divers… Pensées d’un homme qui n’avait pas grandchose à faire ». Cette année 2007 sera l’occasion de multiples célébrations, pour la plupart coordonnées par la très dynamique association Vauban. Elle sera aussi, on l’espère, celle d’une étape décisive dans l’avancement du dossier de classement des principaux sites Vauban au titre du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 64 HM – Versailles Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Le palais de Versailles fut l’instrument de la grandeur du prince. Il constitue le livre d’images de l’absolutisme et son plus spectaculaire fondement. Selon un mot de la princesse Palatine : « il n’y a pas un endroit à Versailles qui n’ait été modifié dix fois », c’est avec prudence, et nuances, qu’il convient d’aborder cet espace saturé de signes. Mieux vaudrait dire, en effet, « les Versailles » pour qualifier ce lieu en perpétuelle métamorphose. Les étapes, les transformations, les retournements, les repentirs de ce royal chantier traduisent les évolutions, les affrontements esthétiques et quelques-uns des enjeux politiques qui ont marqué le Grand Siècle. Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : SABATIER Gérard, Versailles ou la Figure du roi, Paris : Albin Michel, 1999. TIBERGHIEN Frédéric, Versailles, le chantier de Louis XIV, 1662-1715, Perrin, 2002. BEURTHERET Vincent, Symbolique de Versailles : à la lumière des jardins, Paris : Huitième jour, 2002. CORNETTE Joël, Versailles, le palais du roi Louis XIV, Paris : Sélection du Reader's Digest, 1999. GARRIGUES Dominique, Jardins et jardiniers de Versailles au Grand siècle, Seyssel : Champ Vallon, 2001. BARIDON Michel ; LEROUX Jean-Baptiste, Jardins de Versailles, Arles : Actes Sud, 2001. LABLAUDE Pierre-André, Les Jardins de Versailles, Paris : Scala, 1998. BOUCHENOT-DÉCHIN Patricia, Henry Dupuis, jardinier de Louis XIV, Paris : Perrin Versailles : Château de Versailles, 2001, (Collection coll. « Les métiers de Versailles »). BAJOU Thierry, La Peinture à Versailles, XVIIe siècle, Paris : Buchet-Chastel/RMN, 1999. Documentation Photographique et diapos : Revues : Versailles : Le pouvoir et la pierre / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, supplément trimestriel de la revue "L'Histoire", N° 2, juillet 1998 Louis XIV et Versailles, TDC, N° 850 du 15 au 28 février 2003 (et 1995) Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Versailles, le pouvoir de la pierre, présenté par Joël Cornette, éditions Tallandier. Voilà bienvenue une compilation d’articles, parus dans la revue l’Histoire, qui sont consacrés à Versailles. Mais dans cet ouvrage en 4 parties, présenté par l’éminent spécialiste de la période qu’est Joël Cornette, la dernière est composée d’inédits dont le propos est de montrer la puissance du modèle versaillais. Dans un avant-propos, J.Cornette rappelle que Versailles fut conçu afin d’exprimer la puissance du roi, Louis XIV en l’occurrence. La première partie s’intéresse à un château dont J.Cornette rappelle qu’il fut voulu comme un manifeste de pierre glorifiant le roi absolu ; il décrit ainsi le grand appartement dont le programme iconographique, fait d’images de divinités et de héros antiques, dessinait le portrait d’un roi parfait donc du "plus grand roi du monde". Mais avant Versailles, le roi de France, comme le souligne Philippe Hamon, n’avait pas une résidence fixe jusqu’à ce que Louis XIV, désireux de s’éloigner de Paris, choisisse le pavillon de chasse construit par Louis XIII. Ce départ de Louis XIV n’est pas sans rappeler celui de Philippe II d’Espagne quittant l’Alcazar de Madrid pour faire édifier l’Escorial ; toutefois Joseph Perez identifie deux différences notables entre ces deux souverains : l’un construisit pour la gloire de Dieu, l’autre pour la sienne et l’Escorial ne devint jamais le centre du royaume d’Espagne, contrairement à Versailles. Sur le temps long des transformations apportées par Louis XIV à Versailles, Vaux-le-vicomte, le joyau de Fouquet, retentit chez le roi comme un défi, un aiguillon, un modèle. C’est pour cette raison, et Jean-Christian Petitfils le signale bien, qu’après la disgrâce de Fouquet, les réalisateurs de Vaux-le-vicomte furent embauchés pour le Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4e actuel : « La monarchie absolue en France (3 à 4 heures) L’étude de la monarchie française permet de montrer comment le principe du droit divin légué par la tradition se combine avec la création de structures étatiques modernes. Parallèlement est rappelé le principe de l’organisation de la société en trois ordres. • Documents : Versailles » BO 5e futur : « L’ÉMERGENCE DU « ROI ABSOLU » La monarchie française subit une éclipse dans le contexte des conflits religieux du XVIe siècle, à l’issue desquels l’État royal finit par s’affirmer comme seul capable d’imposer la paix civile (1598). Les rois revendiquent alors un « pouvoir absolu » qui atteint son apogée avec Louis XIV et se met en scène à Versailles. L’étude qui est conduite à partir d’exemples au choix : - de la vie et l’action d’un souverain - d’un événement significatif 65 chantier versaillais. C’est ainsi que Le Nôtre réalisa ce qui reste considéré comme Le jardin à la française qui a pour caractéristiques essentielles : son aspect géométrique mais ponctué de « surprises » (fontaines), sa subordination aux bâtiments du château. Tout cela fit de Versailles, et ce avant le décès de Louis XIV, un modèle imité, en Espagne comme en Russie, mais Etienne François insiste sur ce point : pas une imitation stricte mais associée à d’autres influences. Cette partie est conclue par Dominique Poulot pour qui Versailles est un lieu de mémoire car il donne une image homogène de la monarchie d’Ancien Régime. Dans la seconde partie, le roi est, pour contredire une affirmation de Ponce Ludon de Malavoie, un "sujet"... d’étude. Joël Cornette revient sur la phase d’apprentissage du métier de roi dans laquelle l’aspect militaire est primordial, primauté relevée dans les nombreux traités d’éducation destinés aux princes. Les deux articles suivants présentent des personnages proches du roi : Marie du bois, un de ses valets de chambre qui a laissé des mémoires très intéressantes concernant le quotidien du roi puisque cet office lui permettait d’avoir accès au monarque tous les jours ; dans l’autre, Guy Chaussinand-Nogaret mentionne l’absence de toute représentation de la famille royale à Versailles car le roi ne peut partager sa puissance et la reine n’a qu’un rôle : perpétuer la dynastie. Elle partage, de plus, les attentions royales avec une ou plusieurs favorites publiques dont les enfants se verront reconnaître par Louis XIV la possibilité de lui succéder. D’autant plus proche du roi que les finances vont devenir une des préoccupations majeures du règne, Colbert, dont l’ascension irrésistible pour André Zysberg, ne fut pas celle d’un personnage de modeste extraction mais celle d’un homme issu d’une famille de riches marchands-boutiquiers et qui eut la volonté d’accumuler un maximum de richesses pour lui comme pour sa famille. Les énormes besoins d’argent de la monarchie peuvent expliquer l’importance qu’il prit ainsi que celle de ses successeurs : face à une monarchie aux abois financièrement, il fallut avoir recours aux impôts mais aussi aux avances que les Grands lui accordèrent pour financer les guerres causes d’un déficit structurel jamais épongé jusqu’en 1789. Ces problèmes financiers hantèrent, d’après François Lebrun, Louis XIV lors de ses derniers jours qui le virent s’inquiéter de l’état dans lequel il laissait le royaume à un dauphin de 5 ans. Le château de Versailles et la cour sous Louis XIV, et une œuvre littéraire ou artistique de son règne au choix sont étudiés pour donner quelques images du « roi absolu » et de son rôle dans l’État. Connaître et utiliser les repères suivants − L’Édit de Nantes, 1598 − L’évolution des limites du royaume, du début du XVIe siècle à 1715 − 1661-1715 : le règne personnel de Louis XIV Raconter une journée de Louis XIV à Versailles révélatrice du pouvoir du roi » La cour, dans la troisième partie, et ses dessous, sont dévoilés à partir d’optiques variés. Les mémoires de Saint Simon et de Louis Nicolas le Tonnelier, baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs et princes étrangers, permettent d’appréhender et sous différentes facettes le système curial : chez le premier, E. Le Roy Ladurie identifie comme essentiel les hiérarchies au sein de la cour ; pour le second, c’est l’étiquette, comme instrument de pouvoir, qui est capitale. Ensuite, Frédéric Garrigues et Philippe Gillet mettent en avant les aspects alimentaires du phénomène versaillais. F.Garrigues rappelle d’abord qu’il y avait des milliers de personnes à nourrir quotidiennement au château et que pour cela, il a fallu une « administration » qui passait des contrats avec des marchands sur plusieurs années. Pour ceux-ci, l’affaire n’était rentable qu’à condition que le roi paie en retard et avec intérêts. Ce roi dont le repas était entouré d’un cérémonial particulier et précis affirmant le caractère sacré de sa fonction mais dont les menus versaillais étaient plutôt monotones même si Philippe Gillet note une évolution culinaire : fin des cuisines très épicée, importance donnée à la fraîcheur des aliments et à la juste cuisson. La dernière partie intitulée, Versailles, le chantier de l’historien, est entièrement inédite. Elle permet à Joël Cornette de revenir sur certains points essentiels : La force d’attraction du modèle versaillais, ce jusqu’à Washington dont les avenues convergent vers le Capitole comme celles qui se rejoignent au château de Versailles. Les sources et notamment les plus importantes : Saint Simon dont J.Cornette relève la fascination pour Versailles, Louis XIV lui-même dans « Mémoires pour l’instruction du dauphin ».Vient ensuite, toute une série de contemporains : des très connus comme La Fontaine qui donne une description de la grotte de Thétis détruite en 1684 à d’autres moins : Félibien, historiographe du roi et de ses bâtiments qui confirment une certaine programmation des travaux à Versailles. Enfin, à signaler, Jules Guiffrey qui, fin XIXème, évaluer le coût des travaux à Versailles à 82 millions de livres de 1661 à 1715. Enfin, un retour sur la masse bibliographique disponible et un accent mis sur le 66 renouvellement des problématiques. J.Cornette rappelle que la rencontre entre Versailles et les historiens fut tardive, le château n’intéressait pas ; il note que dans les deux dernières synthèses consacrées à Louis XIV, peu de pages sont consacrées par exemple au programme iconographique de Le Brun. Toutefois, depuis une dizaine d’années, il y a eu une multiplication des travaux sur Versailles. Gérard Sabatier dans son « Versailles ou la figure du roi » présente le château comme le centre décisionnel de l’état absolu, un instrument de gouvernement. Avec « Versailles, le chantier de Louis XIV », Frédéric Tiberghien présente le château comme le plus grand chantier de l’Europe du XVIIème, exceptionnel par son coût, le nombre d’ouvriers mais ordinaire par les techniques utilisées. D’autres historiens ont insisté sur les habitants de Versailles (les valets du roi avec Mathieu da Vinha), l’occupation du château avec William Richtey Newton reconstituant l’occupation de tous les logements permettant d’identifier des hiérarchies. Enfin J.Cornette signale deux études tendant à relativiser la puissance de Versailles : celle de Marc Fumaroli décrivant La Fontaine comme un résistant, un de ces princes de l’esprit qui tel Pascal, écrivirent loin de la cour ; celle de Katia Béguin qui centre son travail sur la reconstitution par les princes de Condé d’un réseau de clientèle et donc d’un espace d’influence fonctionnant à partir de Chantilly comme une contre-cour. Gérard Sabatier, Versailles ou la figure du roi, Albin Michel - Bibliothèque des idées 1999, 701 pages "Il était une fois un roi Le plus grand qui fût sur la terre; Aimable en paix, terrible en guerre; Seul enfin comparable à soi. Ses voisins le craignaient, Ses États étaient calmes, Et l'on voyait de toutes parts Fleurir à l'ombre de ses palmes Et les vertus et les beaux-arts." Le début du conte de Peau d'Ane pourrait servir d'exergue aux belles années du règne personnel de Louis XIV. C'est le temps où le roi-soleil fit de Versailles le "palais enchanté" qui allait devenir le principal monument de sa gloire. L'entreprise a réussi en ce que le château a donné naissance à une science, la "versaillogie", qui étudie successivement le palais monarchique, le musée de la peinture française, le musée de l'histoire de France et cet "Art français" qui serait pour une bonne partie un art de Versailles. Désireux de faire rentrer dans le domaine des historiens ce qui fut trop longtemps l'apanage exclusif des historiens d'art, M. Gérard Sabatier se place dans cette lignée et entreprend d'en critiquer les faiblesses. Après avoir retracé l'histoire de la science versaillologique, M. Sabatier affiche son ambition, qui est de donner une nouvelle interprétation de Versailles. La nouveauté de sa démarche tient à ce qu'il n'entend oublier aucun des acteurs : le roi et ses ministres, les architectes, les artistes, les savants et le public. Pour ce faire, il se livre à un examen critique des anciennes descriptions de Versailles, prises non plus comme source de renseignements factuels mais comme traduction d'une idéologie. L'auteur s'attaque d'abord à la question du "palais cosmique". Le soleil est la "devise" de Louis XIV, l'emblème qui fut choisi pour lui dès l'enfance. Il servit de thème aux réjouissances monarchiques depuis la fin de la Fronde. Les Plaisirs de l'Ile enchantée (1664) l'installèrent à Versailles. M. Sabatier rejette pourtant l'idée selon laquelle tout ferait sens dans un "palais mystique" ordonné autour du thème de l'Apollon-soleil et d'une cosmogonie. Pour lui, Versailles n'est point le palais du soleil. Le programme apollinien n'est qu'un bref moment de la construction du château. Ainsi les salons des planètes ont-ils donné lieu à bien des délires dont M. Sabatier s'attache à détruire les ingénieuses constructions. De même, à partir des années 1680, les jardins deviennent un musée de la sculpture classique, sans qu'on puisse y reconnaître un parcours général. Latone n'est que Latone et le dragon qu'un simple reptile. L'auteur pense que dans les jardins comme dans les bâtiments, s'il y avait des thèmes iconographiques, il n'y avait pas de thématique générale. M. Sabatier montre enfin que le thème du roi-soleil, soleil de la France et du 67 monde, est ancien, général et banal. L'appartement des planètes reprend et amplifie des formules expérimentées à Saint-Germain et Fontainebleau, au palais Pitti de Florence comme au palais du Quirinal à Rome. Pour M. Sabatier, Versailles n'est pas le palais du soleil mais le mémorial du roi. Louis est partout. On ne voit que lui, entouré d'Olympiens réduits à des pictogrammes. Les dieux et les héros de l'Antiquité ne sont que pâles reflets d'un roi de France qui les surpasse et les contient tous. C'est pourquoi le sens exact des mythologies et des allégories importe assez peu. L'étude de l'escalier des ambassadeurs le démontre, où l'allégorie et la réalité se mêlent pour peindre un roi parfait. Cette louange du roi est d'ailleurs sans originalité aucune. Elle reprend le portrait du souverain idéal, tel qu'il est tracé dans toute l'Europe depuis plus de deux siècles. Quelques années plus tard, la grande galerie (notre galerie des glaces) ne sera ni galerie d'Apollon, ni galerie d'Hercule, mais galerie du roi : l'histoire remplace la mythologie. Dès 1671, Pellission écrivait à Colbert : "Entre tous ces caractères, celuy de Sa Majesté doit éclater. Il faut louer le roy partout, mais pour ainsi dire sans louange, par un récit de tout ce qu'on luy a vu faire, dire et penser". Le Versailles des années 1680 raconte donc l'histoire du roi à la façon d'un médaillier. Les tableaux de la grande galerie sont accompagnés d'inscriptions lapidaires, telles que le fameux "Le roi gouverne par lui-même", et forment une somptueuse bande dessinée. La galerie est une défense et illustration du monarque, roi de paix et roi de guerre. L'auteur replace magistralement le programme de la galerie dans le contexte politique national et international des années 1680: puissance de Louvois, affaires protestantes, rivalité avec l'Empire. S'intéressant à la réception de ces grands ensembles décoratifs, M. Sabatier montre que l'effet recherché fut en partie manqué, parce que Versailles venait trop tard. Les visiteurs du temps ne s'intéressaient guère à la signification politique des décors. Ils admiraient la beauté des oeuvres d'art, la richesse et la profusion des ornements, l'étendue des jardins et des bâtiments. Sans doute le vocabulaire mythologique et allégorique ne leur était-il pas inaccessible : l'enseignement des collèges, la vente d'estampes (ainsi les planches du Cabinet du roi), l'édition de guides explicatifs leur faisaient connaître ce langage. Mais là n'était pas leur souci principal. Les grands cycles figuratifs n'avaient d'ailleurs pas un rôle de propagande, mais d'affirmation, de proclamation. C'est ce qu'explicite le parallèle de Versailles avec la colonne Trajane, dont les bas-reliefs sont invisibles au spectateur, mais dont l'étendue et la taille impressionnent. À Rome comme à Paris, l'intention informative existe, mais n'est que secondaire. En fait, l'iconographie de Versailles fut davantage lue et commentée que regardée: c'est ainsi que les intellectuels d'État se mirent à broder sur le thème apollinien. Sous Louis XIV, Versailles était déjà un musée de la statuaire antique et moderne, de la peinture italienne et française. Au cours du XVIIIe siècle, le sens du message politique s'estompa davantage encore, l'intérêt pour l'allégorie décrut ; celui pour l'art augmenta. Quant à la force du jardin, elle vient du mouvement, celui des eaux, celui de la déambulation du promeneur, non d'un parcours réfléchi et figé. Dans sa conclusion, M. Sabatier rattache ces évolutions à celle que connaissent alors les arts, la philosophie et la politique. Après un long combat, le coloris triomphe du dessin. À la recherche des clefs, à l'ingéniosité succèdent le primat de l'esthétique, du sensible, du plaisir. Avec l'intégration des principes cartésiens, le monde n'est plus considéré comme un système d'analogie, mais comme une mécanique. C'est le "désenchantement du monde", qui présage la crise de la monarchie. Fruit d'un double refus, celui de la rupture entre l'histoire et l'histoire de l'art, d'une part, celui des grands systèmes interprétatifs, de l'autre, Versailles ou la figure du roi est appelé à faire date. Les conclusions de M. Sabatier donneront sans doute lieu à de vives discussions entre connaisseurs. Sans entrer dans ces débats, on saluera la méticulosité de la démonstration, servie par un très riche illustration de plans de tableaux, de dessins et d'estampes. Si les thèses de l'auteur trouveront des contradicteurs passionnés, ceux-ci ne pourront cependant se dispenser de garder son ouvrage à portée de main. Le simple curieux retire de ce livre le sentiment que l'effet, positif ou négatif selon les cas, produit par Versailles tient surtout à l'ampleur des moyens mis en oeuvre, à la dépense, au caractère grandiose de l'ensemble. Dans ses Pensées, Montesquieu ne dit pas autre chose: "Ce qui me déplaît dans Versailles, c'est une 68 envie impuissante qu'on voit partout de faire de grandes choses. Je me ressouviens toujours de dona Olympia qui disait à Maldachini, qui faisait ce qu'il pouvait : Animo ! Maldachini. Io ti faro cardinale. Il me semble que le feu roi disait à Mansard : Courage ! Mansard : je te donnerai cent mille livres de rentes. Lui, faisait ses efforts: mettait un aile ; puis, une aile; puis une autre. Mais, quand il en aurait mis jusques à Paris, il aurait toujours fait une petite chose". Ce que Montesquieu ne pouvait sentir encore, ce que M. Sabatier a laissé de côté, car ce n'était pas de son sujet, c'est la poésie propre de Versailles, cette poésie du temps qui passe: les ors se ternissent, les marbres se détachent, les arbres croissent, le jardin redevient forêt. Voilà le paradoxe du palais enchanté : message de Louis XIV à la postérité, Versailles nous conserve l'image de sa puissance et de sa gloire et, dans le même temps, témoigne combien sont vaines les grandeurs dont le roi s'était enivré. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Le « château de cartes » d’un roi chasseur épris de défis À l’origine, dans les années 1620, Versailles ne fut, suivant le mot d’un contemporain, qu’un « chétif château, de la construction duquel un simple gentilhomme ne voudrait pas prendre vanité ». Dans ce modeste pavillon, situé à quelques lieues du Louvre seulement, venait s’abriter, l’espace d’une nuit, Louis XIII, ce roi cavalier et mélancolique, qui préférait aux intrigues de la cour la solitude et les grandes chevauchées dans les forêts giboyeuses de l’Île-de-France. Entre 1631 et 1634, l’architecte Philibert Le Roy est chargé de rendre le bâtiment plus accueillant : il agrandit légèrement le corps de logis, ajoute deux ailes en retour d’équerre, quatre pavillons d’angle. Ce sont les couleurs du bâtiment, briques roses, pierres blanches, ardoises de la toiture, évoquant le dos des cartes à jouer, qui ont fourni à Saint-Simon l’heureuse image du « petit château de cartes ». Louis XIV découvrit Versailles pour la première fois le 18 avril 1651. Il avait alors 12 ans et, comme son père, il venait y chasser. Dix ans plus tard, le 9 mars 1661, mourait Mazarin, cardinal et « principal ministre ». Cette année-là, qui marque le début du long « règne personnel », le jeune souverain – il a alors 23 ans – décide de transformer et d’agrandir le pavillon de chasse. Désormais, et en fait jusqu’à la Révolution, le palais ne cessera d’être l’objet de multiples aménagements. La motivation essentielle qui préside à la création de Versailles, c’est sans doute et avant tout « ce plaisir superbe de forcer la nature » (Saint-Simon). Mais on trouverait bien d’autres raisons. D’abord, le souvenir des temps troublés de sa jeunesse : nous savons que le jeune roi n’a pas supporté son départ forcé de la capitale pour Saint-Germain par une nuit glacée de l’hiver 1649. Il garde aussi un souvenir amer de la révolte d’une partie des grands dans les années 1649-1652. Versailles, préservé de la versatilité de la foule parisienne, Versailles, qui accueillera près de six mille courtisans empressés, n’est-il pas une réponse éclatante à ce double affront ? L’historiographie traditionnelle a souvent évoqué, en l’exagérant, un autre affront : celui de Vaux-le-Vicomte, cette sorte de crime de « lèse-majesté » commis par Fouquet, quand il osa l’inoubliable et dispendieuse fête du 17 août 1661. Il faudra donc concevoir un Vaux-le-Vicomte encore plus réussi. Pour cela, le roi eut la chance de trouver là, déjà constituée, l’équipe de talents qui, avec lui, ont « fait » Versailles : Le Nôtre, dessinateur des jardins, l’architecte Le Vau, le peintre Le Brun et Molière. Mais pourquoi vouloir bâtir précisément en ce site ingrat ? Par piété filiale, par volonté aussi d’affirmer la continuité dynastique, contre tous les avis, le roi refusera de détruire le modeste château de Louis XIII. Il accepte seulement que des bustes antiques soient placés sur la façade en guise de parure, et que la cour soit dallée de carreaux de marbre noirs et blancs. Le jardin baroque d’un « roi-machine » amateur de musique Le premier Versailles de Louis XIV fut d’abord et surtout un grand jardin, un immense théâtre d’eau et de verdure, que le roi se plaisait à faire visiter. Plus tard, il rédigea un itinéraire, maintes fois remanié au rythme des aménagements successifs. Rien n’est ici tout à fait gratuit, car le jardin est aussi conçu comme une parabole de l’autorité royale : au centre du grand bassin qui porte son nom, Apollon, le dieu du Soleil, jaillissant de l’onde sur son impétueux quadrige, attire tous les regards. Comment ne pas voir, dans l’image de ce dieu éclatant de Les musiciens du Soleil Bals, ballets, concerts, réceptions, collations, feux d’artifice, etc. Comme l’écrit l’historien Roland Mousnier, « la cour vit sur fond sonore ». Louis XIV tient de son père un goût particulier pour la musique. Il joue du clavecin et de la guitare « mieux qu’un maître », affirme la princesse Palatine. C’est l’amour du jeune roi pour les ballets qui explique la fulgurante carrière de Jean-Baptiste Lully (1632-1687). Grâce à ses qualités de danseur, il gagne la faveur royale et exerce sur la musique une tutelle comparable à celle de Le Brun sur les beaux-arts. Homme d’affaires redoutable, il obtient le privilège de l’opéra en France. D’autres musiciens importants travaillent pour la cour : Henri Dumont (1610-1684), Marc Antoine Charpentier (1643-1704), Michel Delalande (1657-1726), André Campra (1660-1744), François Couperin (1668-1733), chargé d’organiser, chaque dimanche après-midi, un concert pour le roi et la cour. Versailles, modèle européen ? Le style versaillais a envahi les cours d’Europe, témoigne de l’influence française à l’époque classique. Versailles, modèle européen ? Voilà qui mérite une enquête attentive. Quel Versailles doit-on rechercher dans la liste confuse des Schönbrunn, Caserte, La Granja, Queluz, Het Loo, Potsdam, Peterhof (actuellement Petrodvorets), Drottningholm, Charlottenburg, Hampton Court et tant d’autres ? Observons l’original : Versailles, quoi qu’on en dise, est baroque, malgré l’intervention de Jules Hardouin-Mansart. Celui-ci apporta des traits particuliers qui accentuent le classicisme, développant sur les jardins une longue façade régulière et donnant la prééminence aux lignes horizontales. Versailles se distingue par le rétrécissement des cours, côté ville, qui conduit le regard jusqu’à la Chambre du roi, au centre de tout ; la distribution symétrique et claire des appartements royaux ; la galerie 69 jeunesse et de beauté, l’affirmation du pouvoir personnel et rayonnant, assumé pour Louis XIV, le lendemain même de la mort de Mazarin ? Commencée en 1665, la grotte de Téthys complète le symbole. Dans cette rocaille à l’italienne, à l’intérieur entièrement couvert de coquillages, de coraux, de miroirs et de pierres polychromes, les eaux jaillissaient de toutes parts, retombaient de vasque en vasque ; et, passant à travers un orgue hydraulique, parachevaient la magie de ce lieu, censé représenter la retraite sous-marine où le dieu du Soleil vient se reposer pendant la nuit. Empruntés, comme les grottes, à la tradition italienne par les derniers Valois, les bosquets sont des salons ou cabinets de verdure où la cour s’assemble pour les festivités les plus diverses. « Tous les jours, les bals, les ballets, les comédies, les musiques de voix et d’instruments de toute sorte, les violons, les promenades, les chasses et autres divertissements ont succédé les uns aux autres », déplore Colbert, inquiet pour ses finances. La plus célèbre de ces réjouissances, Les Fêtes des Plaisirs de l’île enchantée, données en l’honneur de Mlle de La Vallière, se déroule du 7 au 12 mai 1664 devant six cents courtisans. La fête s’ordonne autour d’un thème inspiré de Orlando Furioso (« Roland furieux ») de l’Arioste. Les acteurs sont les courtisans et le roi lui-même, revêtus de costumes resplendissants. Dans une île au milieu du rondeau des Cygnes s’élève le palais d’Alcine, qui retient prisonnier de ses enchantements le chevalier Roger ; mais, le dernier jour, Roger est délivré tandis que le palais de la magicienne s’abîme dans les eaux au milieu des crépitations d’un formidable feu d’artifice. Au milieu de ces féeries, Molière fait jouer La Princesse d’Élide, Les Fâcheux et aussi les trois premiers actes de son sulfureux Tartuffe, au grand scandale des dévots qui entourent la reine mère, Anne d’Autriche. Lully accompagne la fête par sa musique, Benserade par ses madrigaux et ses sonnets. Louis XIV a évoqué dans ses Mémoires ce qu’il appelle la « société de plaisirs », en soulignant leur fonction politique : « Les peuples se plaisent aux spectacles, et, au fond, on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu’ils aiment ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là, nous tenons leur esprit et leur cœur, plus fortement peut-être que par les récompenses et les bienfaits... » Friand de ballets, de théâtre, d’opéra, le jeune roi monte lui-même sur scène, incarnant tour à tour des personnages historiques, mythologiques et fabuleux. Il est ainsi empereur romain, Hercule, Alexandre. En 1669, il interprète Apollon dans Le Ballet de Flore : il y apparaît comme le « roi-machine » d’une nature idéale dont il ordonne le mouvement. Ce sera néanmoins son ultime apparition sur la scène, car certains proches, paraît-il, firent comprendre au souverain que la dignité royale était peu compatible avec de telles démonstrations. Désormais, la majesté royale n’admettra plus que d’être spectatrice de sa propre gloire, ne voudra plus tenir qu’un seul rôle : le sien propre, au centre de son palais. Le livre de pierre et d’images d’un roi absolu Instrument de la grandeur royale, Versailles s’offre à nous comme un livre de pierre et d’images de l’absolutisme. Les sculptures, les bas-reliefs, les peintures forment un langage. À cette époque, l’élite utilise couramment les images de la mythologie classique et celles de l’allégorie comme grille d’interprétation du monde. Ce langage, l’Italien Cesare Ripa en avait rédigé le code dans son Iconologia, dès 1593, et l’ouvrage, traduit en français en 1644, est bien connu dans l’enseignement, en particulier chez les jésuites. Les fils de l’aristocratie et des classes dirigeantes des principales villes du royaume sont formés aux subtilités de cette « rhétorique muette » : composition d’énigmes et de devises, initiation à l’art des emblèmes. L’art officiel peut donc utiliser, pour la plus grande gloire de la monarchie, ce langage où l’objet allégorique désigne une idée par elle-même invisible. On parvient ainsi, sans verser dans le sacrilège, à concilier les mythes païens et la foi chrétienne, à exprimer la transcendance et le sacré auxquels le pouvoir royal participe pleinement. Car le sacre ne fait-il pas du roi de France « l’oint du Seigneur » ? Son autorité, la majesté qui l’entoure et qu’il incarne ne tiennent-elles pas aussi du « mystère » et du merveilleux ? Conçu par Charles Le Brun, le Grand Appartement (1671-1681), « où le roi reçoit, mais ne vit pas », est composé d’une enfilade de salons, dédiés chacun à l’une des sept planètes alors connues qui gravitent autour du Soleil. Tous comprennent un système décoratif élaboré sur le même modèle. Au centre du plafond, un motif mythologique est lié aux dieux correspondant à la planète concernée : Mercure, Apollon, Mars... Sur les quatre voussures, des tableaux représentent tel ou tel prince de l’Antiquité en action de gloire ou de guerre dont des Glaces, intégrée à la circulation ; le théâtral escalier des Ambassadeurs ; un décor tout entier à la gloire du souverain, servi par une peinture et une sculpture classiques dirigées par Le Brun ; les décors blanc et or des boiseries et des plafonds, apparus dès les années 1680 et magnifiés par le style rocaille sous Louis XV ; le parquet « à la Versailles » ; les arcades des grandes fenêtres du premier étage ; la multiplication des glaces ; le Trianon de marbre et surtout les jardins, chefd’œuvre inégalé du style « à la française », associé à Le Nôtre. Des « jardins de plaisir » plébiscités par l’Europe entière Chacun peut reconnaître l’influence des jardins de Versailles, mais aussi de ceux de Marly, sur l’Europe. Le modèle du « jardin régulier » a dominé jusque dans les années 1760. On retrouve les grandes perspectives, les parterres de broderie, les bosquets ou la présence d’un grand canal dans une multitude de palais. Les princes d’Europe ont demandé à Le Nôtre des dessins (Greenwich, en Angleterre) ; ils ont fait venir ses élèves ou, plus généralement, des architectes français. Ainsi Leblond (1679-1719), formé par Le Nôtre, crée les jardins de Peterhof et du palais d’Été de Saint-Pétersbourg pour Pierre le Grand qui, à l’instar de Louis XIV, s’attache au moindre détail de leur réalisation. Philippe V, petit-fils de Louis XIV, parvenu au trône d’Espagne, fait venir dès 1721, au palais de La Granja, une équipe entièrement française : architecte, jardinier, fontainiers, sculpteurs. Ils exécutent un « jardin de Versailles à la montagne » doté d’une cascade inspirée de celle de Marly et orné de sculptures allégoriques qui, souvent, reprennent des dessins de Le Brun. À Drottningholm, l’architecte suédois Nicodemus Tessin, dit le Jeune, qui a vu Versailles, ordonne le jardin autour d’un axe principal de plusieurs kilomètres, obligeant « à vaincre la nature ». Il affirme que « tout ce qui regarde le jardinage et la fontainerie ne s’apprend nulle part mieux qu’en France ». Versailles, c’est aussi une architecture Le palais, en effet, ne se réduit pas à ses jardins. Il faut cependant être un fin limier pour reconnaître l’influence versaillaise au milieu de la surenchère expressive des décors ou des façades de ces palais d’Europe, construits ou reconstruits, pour la plupart, entre 1680 et 1750. Autant que française, l’Europe de ce temps a bien l’air d’être italienne, sans compter que les caractères locaux résistent également avec force. Cependant, l’attrait versaillais fut incontestable : architectes, peintres et sculpteurs français furent, après les Italiens, ceux qui travaillèrent le plus hors de leurs frontières. Tout en se pliant au goût local, ils ont participé à la diffusion des solutions françaises. 70 Alexandre, qui chasse le lion ou se fait livrer des animaux pour L’Histoire naturelle de son maître, Aristote, et Auguste, qui reçoit une ambassade des Indes ou fait construire le port de Misène. Il s’agit là d’un véritable « traité du bon gouvernement » en images, à lire en transparence, car, ainsi que l’explique Charles Perrault, l’auteur des Contes, qui fut aussi un écrivain dévoué à la gloire du roi, ces actions « sont tellement semblables à celles de Sa Majesté que l’on y voit en quelque sorte l’histoire de son règne sans que sa personne y soit représentée ». Le microcosme d’un roi ordonnateur du monde Décidé au lendemain de la paix de Nimègue (1678) qui mettait fin à la guerre de Hollande, le projet pictural de la galerie des Glaces va constituer une véritable révolution dans la représentation du roi. Pour sacraliser ce que l’entourage du prince considère comme une victoire, une séance du Conseil secret décide de modifier le projet que Charles Le Brun avait initialement prévu (un cycle sur le thème d’Apollon ou d’Hercule). Si l’on en croit son élève Nivelon, Le Brun réagit avec une rapidité foudroyante, réalisant en seulement deux jours le projet complet de la voûte, conçue comme un parcours initiatique à la gloire du prince. Exaltant les hauts faits du roi lors des guerres de Dévolution (1667-1668) et de Hollande (1672-1678), l’histoire officielle du royaume se condense dans la seule action du souverain, représenté non plus par la médiation de l’histoire ancienne, de la mythologie ou de l’allégorie, mais sous ses traits véritables : un roi de guerre et de triomphe, terrassant, par sa seule présence, tous ses ennemis. Le « système Versailles » sera pleinement constitué lorsqu’en 1701, au premier étage, flanquée de la salle du Conseil – espace de décision politique de l’État royal – la chambre de Louis XIV se retrouve au centre du palais. Elle est, d’une certaine façon, le cœur du royaume, l’autel et le sanctuaire de la royauté : l’espace royal est séparé du reste de la chambre par une balustrade, comme l’autel dans une église. Elle abrite le culte quotidien des deux corps du roi : le roi physique, objet de la dévotion apparente des courtisans, en particulier au moment des levers et des couchers, minutieusement ritualisés, mais aussi le roi symbolique, qui incarne en sa personne le principe de l’État. C’est dans ce lieu d’intimité publique que Louis aime recevoir les ambassadeurs des principales puissances de l’Europe, afin de leur faire mesurer la grandeur et la majesté de son pouvoir. Le lit, placé exactement au centre du palais, est tourné vers la ville, très précisément dans le prolongement de l’axe central : la cité neuve de Versailles, décidée par Louis XIV en 1671, s’ordonne à partir de trois grandes et larges avenues – une rareté pour le temps – qui se rejoignent à l’entrée de la grille du château, face au regard du prince. Dans le parc, le Roi-Apollon surgissait de l’eau comme pour domestiquer la nature ; dans le château placé en prééminence, le Roi-Homme, du centre de son palais, ordonne toute la société. Un maître de l’étiquette et des comportements Le sociologue Norbert Elias a montré comment un « système de cour », mis en place bien avant Louis XIV (Henri III, en 1585, tenta d’imposer un premier règlement), a atteint alors sa perfection de fonctionnement. Ce fut à la fois un outil politique de domination sociale des gentilshommes autrefois « malcontents », et une « mécanique », suivant l’expression de Saint-Simon, une mécanique réglée sur l’emploi du temps du roi. Ce rituel était chargé de manifester à tous moments, par des actes symboliques, une situation de prestige ou de soumission. Ainsi, l’honneur de tenir le bougeoir, lors du coucher, était-il une faveur particulièrement recherchée et remarquée. Cette entière soumission à la volonté royale concernait autant les aristocrates de la cour que les ambassadeurs et les plénipotentiaires des puissances étrangères. Tous savaient que chaque détail d’une cérémonie était la marque d’une faveur. Ainsi, lors d’une audience publique et solennelle, les huissiers ouvraient-ils les portes des appartements du palais à un ou deux battants selon le rang de celui qui était reçu par le roi. Dans l’ordre plus quotidien de la vie de cour, ambassadeurs et courtisans n’ignoraient pas que le droit au fauteuil, à la « chaise à dos » ou au tabouret était strictement codifié : à la fin du règne, le privilège de « femme assise » au souper du roi (après la mort de la reine, en 1683) n’était accordé qu’aux duchesses. De même, les vêtements à porter en fonction des lieux (Versailles en habits d’apparat, Marly en habits plus simples), suivant les heures de la journée ou selon les événements (un deuil, par exemple), les gestes à observer en toutes circonstances, tous ces détails obéissaient à un code rigoureux de civilité et de bienséance : ôter son chapeau, le remettre, se lever, s’asseoir, se mettre à genoux – c’est dans cette position que les représentants des villes haranguaient le roi –, s’avancer de quelques pas, faire une Où trouver les harmonies horizontales des façades versaillaises ? À Peterhof, en Russie, malgré la forme contournée des fenêtres et le crépi jaune typique du baroque d’Europe de l’Est, ou à Charlottenburg, le palais berlinois construit par Eosander von Göthe, qui a étudié en Italie et en France. Et les cours en rétrécissement ? En Angleterre, dans le Blenheim Palace de l’architecte John Vanbrugh, ou à Potsdam, près de Berlin, que le Français Jean de Bodt modifia dès 1700 pour le futur Frédéric Ier de Prusse. L’escalier des Ambassadeurs, détruit par Louis XV pour la commodité de ses appartements, eut un très grand succès : imité à Het Loo, dans les Provinces-Unies (partie septentrionale des Pays-Bas), par le Français Daniel Marot pour Guillaume d’Orange, futur roi d’Angleterre, pourtant ennemi de Louis XIV, à Beloeil, en Belgique, pour le prince de Ligne ; ou encore dans l’anachronique Herrenschiemsee, construit en 1878. Quant au Trianon de marbre, sa disposition en rezde-chaussée, ponctuée de portes-fenêtres, avait séduit Frédéric II de Prusse qui, avec son architecte Knobelsdorf, a dessiné et construit Sans-Souci (1745-1747), dans le parc de Potsdam, le rythmant d’atlantes très baroques. Un concept plus qu’un recueil stylistique Certes, on retrouve Versailles ici et là, mais pas à la hauteur de l’aura qu’on lui prête. En fait, pour bien en comprendre l’influence, il faut troquer la loupe contre un satellite et la grammaire des styles contre un traité des usages. On voit alors que, loin d’être un recueil stylistique dans lequel l’Europe serait venue puiser, Versailles est un concept, une idée, un principe, une volonté mise en œuvre avec méthode et réussite. C’est là sa force et son originalité, et Versailles apparaît bien alors comme la référence à l’aune de laquelle se sont mesurés chacune de ces demeures européennes et chacun de ces souverains. Versailles est l’incarnation de la monarchie absolue. À partir d’une feuille blanche, Louis XIV a pu organiser l’administration, soumettre les grands du royaume en les tenant à la cour, accroître, par la domination des éléments, le caractère divin et incontestable de son autorité, et conforter ainsi l’unité de la nation. On comprend alors le succès du modèle dans le Saint Empire, agrégat de multiples principautés en compétition, ou bien, en Suède, où la position du roi est affaiblie par un régime parlementaire, ou encore en Russie, où le tsar veut imposer un nouvel élan paneuropéen. L’Espagne étant politiquement plus solide et l’Italie l’étant culturellement, l’influence versaillaise y fut principalement le fait de l’accession au trône des Bourbons, à Madrid, à Naples et à Parme. 71 ou plusieurs révérences, baiser avec déférence la robe d’une duchesse avant de lui adresser un compliment... Ce système de la cour était fondé sur la manipulation des hommes par le roi, à partir d’un jeu de jalousies, d’amour-propre, de devoirs réciproques, de compétition que le souverain, seul gestionnaire des faveurs et des pensions, pouvait d’un mot, d’un geste, d’un silence, perturber. La force du pouvoir royal a tenu en partie à cette capacité de maintenir l’équilibre des ambitions des grands par l’aiguillon de l’honneur, « maître universel » dont le souverain était le distributeur. Nuançons toutefois cette « réduction à l’obéissance » : on peut évaluer à deux cent mille environ le nombre des nobles dans le royaume. Louis XIV a tout au plus « déraciné » à Versailles 2 à 3 % de la noblesse. Un pouvoir entre la Terre et le Ciel Dédiée à saint Louis, la Grande Chapelle, achevée et consacrée en 1710, est excentrée par rapport au palais. Avec son grand vaisseau blanc et or, elle exprime le goût nouveau s’imposant à la fin du règne. Il se développera dans les appartements privés de Louis XV et de Louis XVI. L’ostentatoire cède devant une discrétion et une sobriété imposées par les malheurs du temps, de la guerre à la famine, en passant par la faillite financière. La pierre blanche des carrières de Créteil a été préférée aux marbres de couleur qui décoraient le Grand Appartement ou la galerie des Glaces. Lors des offices, qui ont lieu tous les matins, le roi assiste, impassible, aux célébrations, le plus souvent seul sur la tribune située de plain-pied avec le Grand Appartement, alors que les courtisans sont massés dans la nef. Rien d’original, sans doute : à Aix-la-Chapelle, Charlemagne se tenait déjà à mi-distance entre la voûte où le Christ – comme à Versailles – est représenté, et le rez-de-chaussée, où se plaçaient les assistants. Le pouvoir politique apparaît comme un intermédiaire entre les hiérarchies terrestres et célestes. Placé comme en suspension entre la Terre et le Ciel, le Roi Très-Chrétien n’a de comptes à rendre qu’à Dieu seul : la disposition des participants, lors des offices, renvoie au fondement même de l’absolutisme de droit divin. Si Versailles exerça un tel pouvoir de séduction auprès des aristocraties de toute l’Europe, c’est que jamais sans doute modèle politique n’avait trouvé traduction architecturale et esthétique aussi cohérente : l’intégration dans un même ensemble d’une ville neuve, d’un château aux dimensions inédites, de jardins et de dépendances, le tout conçu pour la seule gloire du prince. Tout cela constituait un modèle capable de « dire » le pouvoir, précisément à un moment où un peu partout en Europe, en Allemagne en particulier, se construisaient des États où le monarque voulait et pouvait affirmer son autorité. Nombre d’artistes, d’artisans et de décorateurs formés dans les ateliers versaillais et parisiens du palais du RoiSoleil et de ses successeurs allaient vendre leurs talents aux cours et aux mécénats en Europe et au-delà : on retrouve ainsi à Turin, à Madrid, à Bonn et jusqu’à Constantinople, aujourd’hui Istanbul, la trace de Robert de Cotte, architecte et beau-frère de Mansart, qui dessinait de Versailles et de Paris, pour les souverains étrangers, des plans qu’exécutaient ensuite ses élèves. À dire vrai, nulle « copie conforme » n’a été tentée, sauf peut-être à la fin du XIXe siècle, par Louis II de Bavière, que ses contemporains déclarèrent fou. À Herrenchiemsee, il fit édifier un extravagant Versailles, un peu plus petit que l’original. Dans la galerie des Glaces, dans la Chambre du roi, dans les Grands Appartements ainsi transportés sur une petite île d’un lac de l’Allemagne du Sud, un prince mélancolique put se croire, pendant un court instant, le maître d’un royaume sans sujets. Les fontaines : un miracle renouvelé Objets d’admiration pour les visiteurs, les fontaines furent en leur temps –et encore aujourd’hui– une prouesse technique sans équivalent dans le monde. Prenons un point haut dominant quelques marécages, considérons les collines alentour pour constater que de leurs flancs, comme du haut de notre point de vision, aucune rivière ne coule, et proclamons enfin que c’est ici que naîtra le plus bel et le plus ambitieux ensemble de fontaines que le monde ait connu. Seul Louis XIV pouvait prétendre vouloir résoudre une telle équation et nombreux sont ceux qui tentèrent de l’en dissuader « pour aller bâtir dans un terrain plus heureux ». Mais y parvenir était pour le jeune roi un moyen sûr de marquer de sa supériorité l’Europe tout entière et il suivit personnellement et de fort près l’évolution de ces travaux. Le rêve d’un parc aux fontaines éternelles Le premier geste fort tient donc dans la création d’une ville à la campagne, villerésidence à quelques lieues de la capitale historique. Schönbrunn est construit à quelques kilomètres de Vienne pour Léopold Ier par Fischer von Erlach, qui le rêvait un « plus beau Versailles ». Potsdam est près de Berlin, Karlsruhe, près de Mayence, Drottningholm, près de Stockholm, Caserte, près de Naples, etc. Versailles ordonne pour la première fois autour de la résidence royale, siège du pouvoir central, l’ensemble des dépendances, des ministères, des services et des populations indispensables. Si la réussite fonctionnelle du plan en trident appliqué à la ville est douteuse, sa portée symbolique est très forte. À Saint-Pétersbourg, nouvelle capitale de la Russie en 1712, on retrouve ainsi un trident dont la perspective Nevski forme l’axe central et qui aboutit à l’Amirauté, incarnation de l’ouverture de la Russie sur l’Europe. Le tsar, qui avait fait le voyage en France en 1717, voulait ouvertement rivaliser avec Versailles. Mais plus qu’une solution urbanistique, c’est l’idée d’une organisation nouvelle qui a surtout été retenue. Le plan de Karlsruhe, créé en 1715 par le margrave Charles-Guillaume de BadeDurlach, démontre une réflexion théorique plus profonde : s’il conserve trois axes forts, émanant du palais vers la ville, il combine de multiples perspectives rayonnantes et un schéma concentrique (comme la propagation d’une onde sur l’eau), qui annonce les Lumières. Un chef-d’œuvre concerté de tous les arts La soumission des arts et leur organisation ont été admirées de tout le continent : à Stockholm, le prestige de Tessin le Jeune fit qu’on lui accorda le titre, très français, de surintendant. Il fit part, dans une lettre à Hardouin-Mansart, de son émotion de se voir ainsi distingué comme l’équivalent suédois du maître français. Frédéric-Auguste Ier de Saxe, devenu, en 1697, le roi Auguste II de Pologne, avait créé, la même année, une Académie des beaux-arts et un poste d’« ordonnateur de cabinet », équivalent de la surintendance, détenu par un architecte français, Raymond Le Plat. Comme bine des princes allemands, il avait adopté, dans son château royal de Dresde, les cérémonies du Lever et du Coucher auxquelles il avait pu assister à Versailles. Mais celui qui, le plus minutieusement, copia la cour de France fut, sans conteste, Gustave III de Suède. Il fut également le dernier. Très francophile et quoique marqué par les Lumières, il voyait dans la monarchie absolue le moyen de développer son pays politiquement, économiquement et surtout culturellement. Il a donc introduit, dès 1771, à Drottningholm, le cérémonial versaillais, menant sa journée en public, distribuant les 72 En l’absence de rivière, la difficulté consiste à accumuler une forte quantité d’eau à une hauteur dépassant le premier étage du château, afin d’obtenir, par gravitation, des jets qui répondent aux ambitions du « plus grand monarque de la Terre ». Seule ressource à proximité, mais en contrebas, l’étang de Clagny fournissait faiblement l’eau au relais de chasse de Louis XIII. Cette solution est tout d’abord optimisée en construisant une tour-réservoir alimentée par deux manèges à chevaux, puis par des moulins à vent. Cette tour à deux niveaux emplit, par le système des vases communicants, les réservoirs de glaise (5 500 mètres cubes), bâtis au nord du château, et le petit réservoir en plomb (580 mètres cubes) de la grotte de Téthys, destiné aux fontaines les plus hautes. L’eau est ainsi élevée de 32 mètres et l’on parvient à animer – ô merveille ! – jusqu’au bassin de la Terrasse du premier étage (abandonnée pour la galerie des Glaces). C’est cependant trop timide pour soutenir le développement considérable des fontaines du Jardin1 qui, dès 1674, auront leur étendue maximale et réclameront plus de 12 000 mètres cubes d’eau par jour pour un spectacle limité à trois heures. À Chantilly, le Grand Condé voit vivre ses fontaines jour et nuit ! Versailles a soif. Alors, les réservoirs se multiplient, tels les très beaux « sousterre » du parterre d’eau (3 400 mètres cubes) ; des moulins à vent portent vers Clagny l’eau des marais et les moindres sources des coteaux alentour ; un moulin de retour récupère même le trop-plein du Grand Canal. Mais il faut vite se risquer à plus de hardiesse et trois chantiers, dont l’ambition est à l’extrême limite des connaissances du temps, sont engagés. La nature tout entière mise à contribution Le premier chantier est simple affaire de drainage. Toutefois, l’ampleur et la complexité des réseaux de rigoles, de fossés et d’étangs endigués sont inégalées. De plus, seule l’invention du niveau topographique à lunette de l’abbé Picard, à la précision millimétrique, a révélé que deux plateaux proches surplombaient Versailles : le plateau de Saint-Quentin, où les 34 kilomètres du réseau des étangs supérieurs aboutissent en souterrain aux nouveaux réservoirs de la butte de Montbauron (50 000 mètres cubes), et le plateau de Saclay, où pour le réseau des étangs inférieurs sont créées les arcades de Buc et la première conduite en fonte, plus résistante et moins chère que le plomb. Le deuxième projet est une prouesse mécanique dont l’évocation est encore aujourd’hui synonyme de gigantesque performance : la Machine de Marly. Venant de Liège, Arnold de Ville et le charpentier René Sualem, dit Rennequin, réalisent sur la Seine, de 1681 à 1684, une machine hydraulique qui fonctionnera cent trente-trois ans. C’est un énorme moulin à eau, doté de 14 roues et de 250 pompes, qui élève l’eau à 160 mètres, en trois étapes, vers un aqueduc d’où elle s’écoule vers Montbauron. Malgré un bruit assourdissant, le débit n’est que de 3 000 mètres cubes par jour. Au bout de six mois, la Machine n’alimente plus que le parc de Marly. En 1684, ultime projet, le fantasme de faire naître une rivière semble devoir se concrétiser. Puisque la Loire est trop basse, détournons l’Eure ! À 110 kilomètres de là, elle domine Versailles et seules deux vallées la séparent des étangs supérieurs. Le chantier n’aboutira pas. Au prix de quatre ans d’efforts et d’innombrables vies, la troupe employée pour édifier l’immense aqueduc de Maintenon achève à peine le premier niveau d’arcades avant d’être rappelée à son destin par la guerre. L’eau devra donc rester rare, mais la richesse d’invention des plus illustres fontainiers, les frères Francine (en italien, Francini), masque merveilleusement cette pauvreté. Une dynastie de virtuoses pour façonner le cristal liquide L’art des fontaines est italien. Tomaso Francini servit Henri IV et Louis XIII. Le Nôtre et Mansart ont exigé de ses fils, François et Pierre, des prodiges pour faire oublier Rome. Ils calculent la pression, les frottements, la résistance de l’air, raffinent les ajustages et combinent les différentes hauteurs de bassins d’approvisionnement pour créer plus de deux mille effets. Ils sculptent l’eau en nappes régulières (bosquet des Rocailles), en jets puissants (Dragon, Obélisque, Encelade), en alignements parfaits (allée des Marmousets, Colonnade), en berceaux sous lesquels on peut parfois passer au sec (Berceau d’eau), en bouillons, en fleur de lys (Char d’Apollon). Ils la font même siffler à l’imitation des oiseaux (grotte de Téthys) ou tonner (aux Trois Fontaines, certains jets simulaient des coups de fusil par l’introduction d’air). À Versailles, plus qu’ailleurs, on contemple les jets pour eux-mêmes. Ces fontaines qui sont l’âme du jardin renaissent peu à peu au rythme des hautes charges de cour, les emplois de chambellans, de gentilshommes de la chambre, et se montrant très strict sur le respect de l’étiquette et de la préséance. Pour domestiquer sa noblesse, il fit en sorte, comme Louis XIV, de l’attacher à sa cour, en créant des ordres de chevalerie, en les incitant au jeu, en les entraînant dans des fêtes somptueuses et très dispendieuses, pour eux comme pour l’État. Mais la Suède n’était pas riche et, dans l’esprit comme dans les moyens, le modèle français ne pouvait convenir. Il ne convenait d’ailleurs plus à la France de 1789, au grand effarement de Gustave III. Son assassinat fut comme un écho au Versailles déserté de 1792 et la fin d’un modèle, mais pas d’une légende. Car l’aura de Versailles, chef-d’œuvre concerté d’architecture, de paysage, de peinture, de sculpture, où la vie du monarque était mise en scène et où la musique et le théâtre tenaient une place si haute, procède peut-être du mythe, si cher aux wagnériens, de la Gesamtkunstwerk, l’œuvre d’art totale. 73 restaurations. Mais le recours aux pompes électriques pour assurer un fonctionnement en circuit fermé s’est révélé vain : l’eau s’évapore, l’eau fuit... Le projet est lancé pour rétablir les réseaux de Saclay et de Saint-Quentin qu’une autoroute, une ville nouvelle et une trop grande confiance en la modernité ont coupés. Certes, les fontaines ne vivent que par intermittence et l’impossible équation n’est pas formellement résolue. Mais la folle prétention de Louis XIV aura atteint son but : le monde s’émerveille, depuis plus de trois siècles, du miracle des eaux de Versailles. Le parc : entre érudition et séduction La beauté exceptionnelle du parc de Versailles tient à la fois à une exigence scientifique et à une approche esthétique et sensuelle d’un lieu pourtant réputé ingrat. Le plus ancien sujet du parc de Versailles est un modeste chêne planté sous Louis XV : des dix mille arbres tombés le 26 décembre 1999, combien faut-il en regretter ? Car Versailles, haut lieu de la mesure et de la démesure, en laissant croître sans contrôle sa structure végétale, avait perdu le sens de l’une et la force de l’autre. De fait, pour Le Nôtre, architecte du paysage, les arbres étaient des matériaux de construction : il avait donc recours à des essences indigènes qu’au besoin il taillait strictement en palissage vertical et en plafonnement horizontal afin de marquer les perspectives. Mais contraindre la nature est un combat quotidien. Déjà Louis XV avait cédé en oubliant les plafonnements, donnant ainsi aux encadrements des allées une forme en marquise, plus mélancolique. La mode du retour à la nature, les replantations courageuses mais peu scrupuleuses de 1775 et de 1875, ainsi que les idées romantiques avaient achevé de brouiller la puissance du dessin premier. La renaissance des perspectives d’autrefois Les vents se sont chargés de rappeler, dès 1990, quels étaient les devoirs des protecteurs du parc de Louis XIV. Car c’est toujours le sien : jamais ses successeurs n’ont porté atteinte au cadre du jardin « à la française », cantonnant leur action à l’intérieur des bosquets ou au nord du Trianon de marbre, et c’est cette construction que l’on restaure peu à peu avec intelligence et dévotion, restituant les vues, les palissages et les décors végétaux. Au lointain, où de la terrasse le regard se pose à nouveau, les carrés et les massifs arborés sont peuplés de chênes, d’érables champêtres, de marronniers, de hêtres, de charmes, de merisiers et de frênes. Les perspectives renaissent au rythme des replantations et sous l’action des grandes barres de coupe à guidée laser. Choisies pour leur développement et la qualité de leur feuillage, les essences d’origine reviennent dans les alignements. Seul l’orme, menacé par l’incurable graphiose, due à un champignon parasite, ne peut retrouver sa place. Des charmilles, strictement taillées, constituent les palissades des bosquets où tilleuls, sorbiers et merisiers se déploient derrière un écran végétal de noisetiers. Dès Louis XV, sous l’influence des botanistes voyageurs et du Siècle des lumières, on s’intéressa davantage aux essences exotiques. Le jardin botanique de Trianon, où Bernard de Jussieu élabora son système de classement, comptait plus de quatre mille variétés. Sous Louis XVI, dans une ambiance préromantique, la science le céda au plaisir des yeux : pour la création du Bosquet de la reine et surtout du jardin anglais de Trianon ont été disposés, de façon bucolique, Juniperus, tulipiers de Virginie, noyers noirs d’Amérique, séquoias de Californie, cèdres du Liban et tilleuls argentés des Balkans. L’arbre avait acquis une valeur individuelle nouvelle et c’est bien la disparition de quelques individus qui a rendu la récente tempête cruelle. Dans le cadre puissant des jardins de Le Nôtre, le décor végétal apportait l’essentielle touche de vie et d’exubérance : les sapins, les ifs, les buis et les épicéas, arbustes à feuilles persistantes, taillés en topiaire, reviennent peupler le Jardin et répondre aux statues. Armés de cisailles, suivant un gabarit, les jardiniers retrouvent la grande audace des formes d’autrefois. De même, les broderies de buis sont patiemment entretenues et remodelées et les broderies de gazon, déployées au parterre de l’Orangerie, ont été récemment rendues à la vue du promeneur. Un certain enthousiasme pour l’exotisme L’attrait végétal le plus divertissant était produit par les fleurs. Loin des 74 compositions colorées auxquelles nous sommes habitués, elles étaient présentées dans un arrangement savant au regard de l’amateur qui, outre l’aspect, en admirait le parfum et la prouesse d’acclimatation. Elles se développaient surtout dans les parterres, situés aux abords du château, et resplendissaient particulièrement à Trianon. Ne pratiquant pas encore de croisements, on s’enthousiasmait pour les nouveautés importées des contrées les plus lointaines. Certains bulbes étaient achetés à prix d’or. Tubéreuses, vivaces, grandes vivaces et arbustes à fleurs étaient disposés entre les volutes et les bordures de buis, étagés du centre jusqu’aux bords, en veillant à l’alternance des floraisons, souvent courtes. Les fleurs les plus rares pouvaient être présentées en vase ou, comble du luxe, alignées en pleine terre comme de véritables collections. Beaucoup plus présent qu’aujourd’hui, le parfum des tubéreuses enivrait parfois jusqu’à faire défaillir. Ultime raffinement, à Trianon, des orangers et des citronniers étaient élevés en pleine terre, protégés de l’hiver par une serre démontable. Les orangers, auxquels on s’intéressait depuis la Renaissance et les guerres d’Italie, avaient été rassemblés à Versailles dans une collection sans égale (près de deux mille caisses) pour laquelle fut bâti un monument immense et ingénieux : à demi enterré, avec des murs extrêmement épais et des fenêtres équipées, déjà, de double vitrage pour maîtriser la température. Jean de La Quintinie créa le Potager du roi en 1679, véritable laboratoire expérimental où furent testées des techniques destinées à créer des microclimats afin d’obtenir des primeurs et des productions hors saison. Pour des fruits comme les pommes Calville blanc et les poires d’hiver Bon-Chrétien, on recherchait de nouvelles variétés, soumettant la nature par la taille et la greffe. À Versailles, l’agrément a toujours rejoint la science. Louis XIV avait voulu contraindre la nature, ses héritiers ont desserré cette étreinte et la République l’a laissée aller. Rappelés à l’ordre par la nature ellemême et confiants dans les techniques modernes, les paysagistes d’aujourd’hui ont entrepris de retourner aux sources du chef-d’œuvre. Souhaitons que ceux qui viendront sachent entretenir avec constance et sagesse cette nature apprivoisée. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 75 HM – Le jansénisme Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Le jansénisme est un mouvement religieux, puis politique, qui se développa aux XVIIe et XVIIIe siècles, principalement en France, en réaction à certaines évolutions de l'Église catholique, et à l'absolutisme royal. Né au cœur de la Réforme catholique, il doit son nom à l'évêque d'Ypres Cornelius Jansen, auteur de son texte fondateur l'Augustinus, publié en 1640. Le jansénisme prit son essor sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV et demeura un courant important sous ceux de leurs successeurs. Ce fut d'abord une réflexion théologique centrée sur le problème de la grâce divine, avant de devenir une force politique qui se manifesta sous des formes variées, touchant à la fois à la théologie morale, à l'organisation de l'Église catholique, aux relations entre foi et vie chrétienne, à la place du clergé dans la société et aux problèmes politiques de son temps. Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : Cognet, Louis : Le jansénisme. - P.U.F., Que sais-je ? N° 960, (1967) 1991. Cottret, Monique : Jansénisme et Lumières. - Albin Michel, 1998. Marie-José Michel, Jansénisme et Paris, Klincksieck, 2000. Delumeau, Jean : Le catholicisme entre Luther et Voltaire. - Paris : P.U.F., 1977. Hildeheismer, Françoise : Le jansénisme en France au XVIIe et XVIIIe siècles. - Publisud, 1994. René Taveneaux, La Vie quotidienne des jansénistes aux XVIIe et XVIIIe siècles, Hachette, 1985. Le Roy Ladurie : Saint-Simon ou le système de la Cour. - Paris : Fayard, 1997. Maire, Catherine : De la cause de Dieu à la cause de la Nation. - Gallimard, 1998. Jansénisme et Révolution. - Chroniques de Port-Royal, Bibliothèque Mazarine, 1990. Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I- Origine du jansénisme Le jansénisme plonge ses racines dans la pensée de Saint Augustin. Il a été développé "théologiquement" par Cornélius Jansen (1385-1638) dit Jansénius, évêque d'Ypres qui reprend dans un ouvrage, « L'Augustinus », publié, après sa mort, en 1640, des thèses déjà présentées par Michel Baïus (1513-1589), professeur à l'université de Louvain. Le jansénisme s'inscrit en réaction contre l'humanisme et le molinisme. Le jansénisme a été diffusé en France par Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint- Cyran, disciple de Jansénius. Il se développa d'abord au couvent de PortRoyal, où il fut introduit par la mère Angélique Arnauld. Il se répandit ensuite dans d'autres milieux ecclésiastiques, gagna la haute société parisienne, puis les villes de province. II- Le jansénisme : les données d'une hérésie Le Jansénisme revêt une forme doctrinale, celle de Jansénius, et une forme appliquée, celle de Port-Royal, et en cela il fait partie de la Réforme catholique française. C'est une réaction à la vision optimiste de l'homme et de ses capacités. 1°- L'homme est totalement déchu par suite du péché originel, il tend vers la mal de façon naturelle. Cette vision de l'homme est proche de la vision "calviniste" de l'homme. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO actuel : « Activités, consignes et productions des élèves : Jansénisme, mouvement de réforme religieuse interne à l’Église catholique, qui s’est développé aux XVIIe et XVIIIe siècles en France. Le mouvement doit son nom au théologien flamand et évêque d’Ypres Cornélius Jansen, dit Jansenius, dont la pensée se trouve résumée dans l’Augustinus (1640). S’appuyant sur une interprétation rigoureuse de la philosophie de saint Augustin, Jansenius défendit la doctrine de la prédestination absolue. Il estimait que tout individu peut pratiquer le bien sans la grâce de Dieu, mais que son salut ou sa damnation ne dépend que de Dieu. Jansenius affirmait de plus que seuls quelques élus seraient sauvés. À cet égard, sa doctrine s’apparente au calvinisme, de sorte que Jansenius et ses disciples furent-ils très vite accusés d’être des protestants déguisés. Cependant, les jansénistes ont toujours proclamé leur adhésion au catholicisme romain et soutenu qu’aucun salut n’est 76 2°- Seule la grâce de Dieu (grâce efficace, en opposition à la grâce suffisante, prônée par les jésuites), peut le pousser vers le bien, le pousser vers la « délectation céleste » et le détourner de la « délectation terrestre ». Cette grâce est efficace car elle guérit nécessairement ceux à qui Dieu l'accorde, il constitue un petit groupe d'élus. Cela rejoint l'idée de prédestination de l'homme développée par Calvin. 3°- Cette grâce exige de ceux qui la reçoivent, une foi à toute épreuve et un combat quotidien contre le mal : « à la morale de l'honnête homme, les jansénistes oppose celle de la sainteté » (René Taveneaux). 4°- Les jansénistes exigent de leur pénitent, une contrition parfaite (et non pas la simple attrition : regret des fautes par peur de l'enfer), pour leur donner l'absolution. On retrouve ici l'idéal d'intransigeance de Calvin, dans la pratique de la foi. Néanmoins le jansénisme n'est pas une doctrine statique, il s'est uni à des influences diverses. Il existe, en fait non pas un jansénisme mais des jansénismes, tous issus d'un même tronc commun mais différents en fonction de l'attitude face au monde. Il y a, ceux qui refusent toute participation à l'action temporelle (Martin de Barcos, 1600-1678), ceux qui ne font aucune concession et luttent pour le triomphe de leurs idées (Guillaume Le Roy, 1610-1684), enfin ceux qui à l'image d'Antoine Arnauld (1612-1694) acceptent la possibilité du compromis. III- Le jansénisme, la papauté et le Roi Très Chrétien de 1640 à 1715 Durant tout le XVIIe siècle, les relations, entre le jansénisme, ou ses acteurs, la papauté et la monarchie seront basées sur l'affrontement. On peut distinguer trois phases dans ces relations. 1°- Premières condamnations et résistance 1638 -1669 En effet le jansénisme est vite apparue comme un mouvement suspect voire d'opposition, cela engendra des sanctions politiques de la part de Richelieu, mais très vite, il est également condamné par Rome, du fait de l'action conjointes des Jésuites et de la politique française, c'est la bulle « In eminenti » en 1643, renforcée par la bulle « Cum occasione » qui déclare comme hérétiques ou fausses, cinq propositions de Jansénius. A cette date le jansénisme fut sauvé de deux manières, d'abord par la tactique d'Antoine Arnauld qui faisait la distinction entre le droit, les cinq propositions sont hérétiques, et le fait, les cinq propositions ne se trouvent pas dans l'Augustinus et également par l'action de Blaise Pascal qui dans ses « Provinciales » faisait passer le débat du plan de la théologie à celui des comportements éthiques. Néanmoins en 1657, le pouvoir tentait une dernière manoeuvre, en faisant prescrire, par l'assemblée du clergé, la signature, par tout ecclésiastique, d'un formulaire désavouant les thèses de l'Augustinus. Cette obligation fut confirmée par l'arrêt royal du 13 avril 1661. Les jansénistes opposèrent un refus obstiné, la communauté de Port-Royal quant à elle, subit plus de quatre ans d'emprisonnement dans leur abbaye, privée des sacrements. Rome, qui craignait un schisme et Louis XIV tout occupé à ses préparatifs de guerre avec la Hollande, souhaitèrent traiter. Le pape Clément IX reconnut la distinction du droit et du fait, ce fut la paix clémentine en 1669. 2°- La paix clémentine 1669 - 1700 Cette période fut une trêve brillante et féconde, durant laquelle Port-Royal devint le lieu de rassemblement de la haute société parisienne. Elle connut une floraison littéraire, avec les « Pensées » de Pascal publiées en 1670. Pasquier Quesnel publie en 1668 « Nouveau testament en français avec des réflexions morales sur chaque verset », cet ouvrage joua un rôle capital dans l'évolution du jansénisme. Tout ceci déplaisait fort, à Louis XIV, il croyait à l'existence d'une cabale. Le jansénisme, de par son individualisme apparaissait comme un danger pour l'autorité de l'Etat. Quand le roi s'engagea à l'intérieur comme à l'extérieur, dans une politique d'impérialisme confessionnel, il déclara leur perte. 3°- La fin de Port-Royal 1700 -1713 En 1679, les confesseurs, les pensionnaires et les novices furent expulsées de Port-Royal, le monastère était voué à l'extinction. En 1701, l'affaire dite « du cas de conscience », entraîna la reprise des persécutions. Louis XIV demanda alors au pape une nouvelle condamnation, ce fut l'objet de la bulle « Vineam Domini » en 1705. Puis Louis XIV décida d'agir par la contrainte, les principaux chefs jansénistes furent emprisonnés, éloignés. En octobre 1709, les religieuses de PortRoyal qui avaient refusé de signer la bulle « Vineam Domici » furent dispersées possible hors de l’Église catholique. Lorsque le jansénisme pénétra en France, en particulier grâce à un ami de Jansenius, Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, il imposa d’abord une forme de piété austère et une stricte moralité. Il se situait par là à l’opposé d’une morale plus tolérante et d’un cérémonial religieux surchargé, qui avaient souvent les faveurs de l’Église de France, en particulier dans l’ordre des jésuites. À partir de 1640, le centre spirituel du jansénisme se transporta au couvent de PortRoyal-des-Champs, près de Paris, où de nombreux nobles, magistrats, écrivains et savants, qui sympathisaient avec le mouvement, vinrent effectuer des retraites et débattre de questions philosophiques et religieuses. Mme de Sévigné contribua elle aussi à l’élaboration du mythe de Port-Royal, qu’elle qualifia de « vallon affreux, tout propre à inspirer le goût de faire son salut ». Dès son apparition, le jansénisme avait suscité l’hostilité, non seulement des jésuites, mais aussi du pouvoir royal, qui l’associait aux divers mouvements politiques d’opposition. En 1642 puis à nouveau en 1653, cinq propositions extraites des écrits de Jansenius et relatives à la prédestination furent condamnées par le pape. Les jansénistes, avec Antoine Arnauld et Blaise Pascal, réagirent vigoureusement et affirmèrent que les cinq propositions ne se trouvaient pas dans les traités de Jansenius ; simultanément, ils lancèrent la controverse contre les jésuites ; les Provinciales de Pascal témoignent de cette polémique. Mais Louis XIV, poussé par les jésuites, fit expulser les religieuses de Port-Royal en 1709 et raser le couvent l’année suivante. Finalement, en 1713, à la suite de pressions exercées par le Roi-Soleil, cent une propositions tirées des Réflexions morales du janséniste français Pasquier Quesnel (1634-1719) furent condamnées par la bulle papale Unigenitus. Tout au long du XVIIIe siècle, le jansénisme continua d’influencer une bonne partie du clergé paroissial français. Des centaines d’ecclésiastiques, les « appelants », refusèrent d’accepter la bulle Unigenitus et en appelèrent à un concile contre Rome. Le mouvement s’étendit à d’autres régions d’Europe, dont l’Espagne, l’Italie et l’Autriche. À la cour de France, les jansénistes s’allièrent aux gallicans, qui s’opposaient également aux jésuites et refusaient l’intervention du pape dans les affaires de l’Église de France (voir Gallicanisme). Certains tribunaux civils défendaient les droits des jansénistes, tandis que des évêques, soutenus par le pouvoir royal, tentaient de leur refuser les derniers sacrements. Les parlements et le pouvoir s’affrontèrent à ce sujet au cours des années 1750. La faction janséniste-gallicane connut son plus grand succès en 1762 avec 77 par la police. Deux ans plus tard, le monastère était rasé. Mais Louis XIV, alla plus loin, et demanda une bulle de condamnation globale du jansénisme tel qu'il s'exprimait dans l'oeuvre du chef du parti, Pasquier Quesnel. Le roi insista de telle façon que Clément XI exprima sa sentence dans la bulle « Unigenitus » le 8 septembre 1713. Cette dernière condamne les thèses augustiniennes sur la grâce, mais elle affirme également, même indirectement la prééminence de Rome sur l'Eglise de France, mais aussi le droit de contrôle du Saint-Siège sur les princes. Cette bulle qui devait en principe mettre fin au jansénisme allait lui rendre un nouvel élan en associant sa cause à celle du gallicanisme, fortement mal mené durant toute cette période. l’expulsion des jésuites hors de France. Par la suite, l’importance du mouvement déclina, bien que de petits groupes jansénistes aient subsisté jusqu’aux XIXe et XXe siècles. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 78 HM – L’Europe moderne (XVIIe-XVIIIe s) Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : L’Europe connaît alors l’achèvement de la mise en place des États territoriaux qui provoque un réel morcellement politique. La plupart des États européens sont des monarchies absolutistes. Si les relations entre les rois stimulent la création culturelle, elles sont aussi à l’origine de nombreux conflits. À cette organisation politique s’ajoute le contexte religieux issu de l’éclatement de la chrétienté latine au XVIe siècle. Dans une Europe où le sentiment religieux imprègne les mentalités, le lien nation- religion s’est renforcé. Cette situation est source de tensions et de conflits entre les États et à l’intérieur de ceux-ci. Pourtant, ces contrastes et ces conflits ne remettent pas en cause le développement économique du continent. L’Europe moderne voit émerger villes et régions dynamiques et elle est le lieu d’une intense et diverse production artistique au service des puissants. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, structures et permanences, issues des siècles précédents, organisent toujours les sociétés mais sont remises en cause. Ces deux siècles posent les bases des mutations qui annoncent de l’Europe du XIXe siècle. Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Ouvrages généraux : J.-P. Bois, De la paix des rois à l’ordre des empereurs (1714-1815), Éditions du Seuil, 2003. J.-P. Bois, L’Europe à l’époque moderne, Armand Colin, 1999. B. et M. Cottret, Histoire politique de l’Europe : XVIe-XVIIe-XVIIIe siècle, Ophrys, 1996. C. Gantet et M.-K. Schaub, De la guerre de Trente Ans à la fin de la guerre de Succession d’Espagne (1618-1714), Éditions du Seuil. A. Hugon, Rivalités européennes et hégémonie mondiale, XVIe-XVIIIe siècle, Armand Colin, 2002. P. Bonafoux, Rembrandt, le clair, l’obscur, Gallimard, coll. « Découvertes », 1990. Y. Bottineau, L’Art baroque, Mazenod, 2005. P. Cabanne, L’Art classique et le baroque, Larousse, 1999. C.-G. Dubois, Le baroque en Europe et en France, PUF, 1995. V.-L. Tapié et M. Fumaroli, Baroque et classicisme, Hachette, 2005. Documentation Photographique et diapos : J.-P. Wytteman, « L’Europe baroque », La Documentation Photographique, n° 8 030, décembre 2002. Revues : « Le baroque », TDC, n° 909, février 2006. Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des Enjeux didactiques (repères, notions et savoirs, concepts, problématique) : méthodes) : BO 4e actuel : « Présentation de l’Europe moderne (3 à 4 heures) À partir de cartes, le professeur met en évidence les contrastes politiques, économiques, sociaux, culturels et religieux de l’Europe. • Cartes : les États européens aux XVIIe et XVIIIe siècles ; économie et populations de l’Europe moderne. • Repères chronologiques : début de la croissance démographique (milieu du XVIIIe siècle). » Socle : Nouveau commentaire « On présente des traits communs de l’Europe moderne (la monarchie absolue, des courants artistiques). On met en évidence des divisions religieuses et linguistiques et une première opposition économique et sociale entre Europe occidentale (plus peuplée et plus dynamique) et Europe orientale. L’étude des traites négrières est intégrée à la présentation du grand commerce européen. » 79 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : On insiste sur les contrastes entre l’Europe traditionnelle et l’Europe porteuse des évolutions à venir. Il s’agit d’identifier : – Les contrastes politiques : il faut mettre en évidence la domination du système politique monarchique, malgré l’opposition entre une Europe des monarques et une Europe des républiques. Le déclin des États méditerranéens et la montée en puissance de certains États d’Europe du Nord-Ouest, du Centre et de l’Est comme le Royaume-Uni, la France, les Provinces-Unies, l’Autriche, la Prusse ou la Russie sont également à mettre en lumière. Cette évolution favorise notamment un certain équilibre des puissances au 18e siècle. – Les contrastes économiques et sociaux : on montre le glissement de la Méditerranée à l’Atlantique favorable à l’Europe du Nord-Ouest qui devient le nouveau centre de gravité économique et démographique. On souligne aussi la domination écrasante de l’Europe des campagnes sur l’Europe des villes dont l’essor s’accélère au 18e siècle. – Les contrastes religieux, culturels et plus précisément artistiques : il convient de rappeler l’existence des divisions religieuses en insistant sur l’opposition entre catholiques et protestants, caractéristique de l’Europe moderne. L’objectif de la partie sur les aspects artistiques est de montrer la domination et la coexistence des tendances baroque et classique ainsi que l’émergence d’un courant artistique plus autonome symbolisé par la peinture de Rembrandt. Les aires artistiques doivent être mises en relation avec les évolutions parallèles de l’époque moderne. Le caractère éducatif de l’art baroque au service du catholicisme romain, l’utilité politique de l’art classique ainsi que le lien entre l’art de Rembrandt et l’émergence de la bourgeoisie peuvent, par exemple, être soulignés. Cette séquence peut éventuellement être traitée ainsi : 1 : Une Europe divisée 2 : Les contrastes économiques et sociaux 3 : Les contrastes artistiques La Ronde paysanne de Peter Paul Rubens Rubens, le plus important peintre flamand du XVIIe siècle, nous donne un aperçu du programme baroque. Péjorative jusqu’au début du XXe siècle, l’expression « baroque » est utilisée par les tenants d’un art classique, puisant aux sources antiques, pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme extravagant et capricieux. On comprend, à y regarder de plus près, que cette façon de peindre et de concevoir l’art a pu surprendre : une forte impression de mouvement, dans les corps et l’action des personnages, qui dissout les lignes ; des couleurs riches, vives et chatoyantes ; des contrastes de lumière accentués. Tout cela contribue à faire entrer le spectateur dans la scène, il s’agit de parler à la sensibilité du plus grand nombre. 2. Un art européen : l’art baroque Quel que soit les domaines dans lesquels il s’exprime, le baroque recherche le mouvement : « L’homme n’est jamais plus semblable à lui-même que lorsqu’il est en mouvement », dit le Bernin. Il est aussi l’art du spectacle et de l’ostentation d’où le souci du décor. Enfin, si il est incontestablement un art religieux, lié à la réaction de l’Église catholique après les Réformes du XVIe siècle, le baroque se diffuse également dans l’ensemble de la société et donne lieu à de nombreuses réalisations civiles. Après le concile de Trente (1545-1563), lors duquel l’Église réaffirme ses doctrines traditionnelles et s’engage dans une intense activité missionnaire, le baroque devient une véritable arme pour renforcer ses positions et tenter la reconquête des territoires perdus face aux protestantismes. Ce courant artistique devient le média privilégié par lequel l’Église développe les thèmes du Christ et de sa Passion, de la Vierge et des saints. Avec le baroque, l’Église va opposer des représentations sacrées, grandioses et pathétiques à la prohibition des images prônée par les ministres du culte réformé. Le réalisme et la vraisemblance que les artistes baroques prêtent à leurs représentations du ciel et des saints concourent à cette pédagogie esthétique, tout comme les cadres pompeux dans lesquels les placent les architectes. L’art baroque en Europe à l’époque moderne Le contexte de Contre-Réforme catholique, dont le point de départ est le concile de Trente (1545-1563), ainsi que la situation de rivalités dans l’Europe des rois, est à l’origine d’une véritable émulation créatrice qui favorise la diffusion européenne de l’art baroque. Apparu à Rome au début du XVIIe siècle, le baroque fait sentir ses influences en Espagne, aux Pays-Bas catholiques, en Allemagne, en Autriche et en France ainsi qu’en Europe centrale et en Amérique. Si les résistances sont plus fortes dans les pays acquis à la Réforme, l’influence baroque est réelle sur l’ensemble du continent. Le baroque s’épanouit particulièrement en Italie, en Espagne et dans certains pays germaniques. Dans les sociétés de l’Europe du Nord, en particulier dans les pays gagnés par la Réforme, il ne se développe que dans l’architecture civile : les architectes baroques conçoivent de somptueux palais pour les monarques Le palais de Tsarkoïe Selo en Russie réalisé par Rastrelli Ce palais est l’oeuvre de Rastrelli, fils d’un sculpteur florentin né à Paris en 1700. On lui doit de nombreux châteaux dans les pays germaniques. Néanmoins, c’est à SaintPétersbourg, nouvelle capitale des tsars depuis 1703, que Rastrelli donnera toute sa mesure. Le palais est achevé en 1751. On voit ici la façade longue de 300 mètres où la variété est créée par l’abondance du décor. Les colonnes blanches se détachent sur un fond bleu turquoise qui est la couleur préférée de la tsarine Élisabeth Ire (1741-1762). L’argent et l’or sont imités sur les toits, les chapiteaux corinthiens ou les motifs des fenêtres. Ce palais se veut une preuve de l’entrée de la Russie dans l’Europe. C’est aussi un témoignage d’un art qui ne se veut pas uniquement religieux et dont l’influence est réelle jusque dans le monde orthodoxe. L’Extase de sainte Thérèse par Le Bernin C’est dans une des chapelles latérales de l’église Sainte-Marie-de-la-Victoire à Rome que le Bernin produit son chef-d’œuvre le plus important en 1652. S’appuyant sur l’autobiographie de sainte Thérèse d’Avila, réformatrice espagnole de l’ordre des Carmélites, morte en 1582, le sculpteur évoque l’instant où un ange armé d’une flèche d’or lui aurait percé le coeur à coups répétés. Au sourire de l’ange, messager de l’amour divin, répond la pâmoison de la sainte : « Un corps de femme, dont les formes se révèlent jeunes et belles (…) devient le lieu d’un miracle, d’une fugitive et douloureuse rencontre entre la matière vivante et l’esprit de Dieu. Scène d’amour, scène de souffrance (…) l’une et l’autre ensemble » (V.-L. Tapié). On retrouve ses sentiments partagés dans l’expression du visage de sainte Thérèse. Le mouvement est 80 européens qui, réformés ou non, entendent marquer leur puissance par leur magnificence. rendu par les gestes de l’ange et les plis indéfinis du vêtement que porte la sainte. 3. La prospérité de l’Europe occidentale L’économie de l’Europe moderne reste majoritairement rurale et agricole et est une économie de subsistance. Toutefois, les XVIIe et XVIIIe siècles sont marqués par un réel dynamisme. Face à une Europe rurale traditionnelle, héritée de la période médiévale, une Europe dynamique et ouverte sur le monde se développe surtout au XVIIIe siècle. Cette partie a pour objectif de faire saisir les moteurs de ce dynamisme et de faire le lien avec la découverte du monde par l’Europe. La descente de Croix peinte par Pierre-Paul Rubens en 1614 C’est une commande de la corporation des arquebusiers afin de décorer un retable de la cathédrale d’Anvers qui avait été saccagé lors de la révolte des Pays-Bas en 1566. La scène se situe après la crucifixion et la mort de Jésus. Deux hommes détachent la dépouille qui glisse en direction de l’apôtre Jean, aidé par deux amis, Joseph d’Arimathie et Nicodème. Debout au pied de la croix, la mère de Jésus, accablée de douleur, exprime sa tendresse en compagnie de deux jeunes femmes. La partie du tableau la plus éclairée est le corps de Jésus, lumière du Monde. Un mouvement est donné par la ligne ondulante qui serpente de haut en bas en suivant le corps de Jésus. Il règne une atmosphère pathétique. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : 81 HM – L’Europe et les tensions politiques et religieuses aux XVIIe-XVIIIe s Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : La situation religieuse de l’Europe accentue les tensions entre les rois ou à l’intérieur des royaumes où domine le plus souvent le principe « tel prince, telle religion ». Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : EL KENZ, David, GANTET, Claire, Guerres et paix de religion en Europe aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Armand Colin, « Cursus », 2008 (2e éd.). (un manuel avec l’essentiel des problématiques de la question : les troubles confessionnels et les tentatives de pacification dans l’ensemble de l’Europe. Les deux auteurs ont aussi intégré les apports fondamentaux de l’historiographie internationale (notamment la notion de confessionnalisation – Konfessionalisierung, Wolfgang Reinhard et Heinz Schilling). Histoire du christianisme, les tomes VIII et IX: Le temps des confessions (1530-1620), L’Âge de raison (1620-1750), sous la direction de Marc Venard, J.-M. Mayeur, A. Vauchez, Ch. et L. Pietri, Desclée, 1994, 1997. SAUPIN Guy, Naissance de la tolérance en Europe aux Temps modernes : XVIe-XVIIIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1998. Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (v. 1525–v. 1610), Champ Vallon, collection « Époques », 2005 (1re édition 1990) Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Guerres et paix de religion en Europe, 16e-17e siècles Paris, Armand Colin, Cursus, 182 p. La collection cursus des éditions Armand Colin propose ici un ouvrage de synthèse à l’usage des étudiants sur un sujet vaste et difficile à manier dans sa globalité malgré l’apparente simplicité et cohérence du thème : les guerres de religion en Europe entre 1520 et 1660. Il est bien difficile de ne pas s’enliser dans l’évocation de ces réalités nationales complexes où s’imbriquent confusément considérations politiques et religieuses ; aussi, les auteurs ont-ils pris le parti d’allier la simplification à la précision chronologique et de privilégier une approche très évènementielle. En sept chapitres, David El Kenz, spécialiste des guerres de religion dans la France du XVIe siècle (thèse sur les martyrs en 1995), maître de conférences à l’Université de Dijon et Claire Gantet, auteur d’une thèse sur les discours et images de la paix en Allemagne du Sud aux XVIIe et XVIIIe siècles (1999) et d’une étude sociale de la paix de Westphalie (Belin, 2001), maître de conférences à Paris I, proposent d’aborder successivement les pratiques de la violence et de la paix religieuses, les guerres de religion dans l’Empire, dans le reste de l’Europe, en France, puis aux Pays-Bas. Le dernier chapitre est consacré au déchirement de l’Europe, de la Guerre de Trente ans à la Glorieuse Révolution de 1688 qui a vu le renversement des Stuart. Une telle ampleur ne permet naturellement pas un approfondissement qui n’est de toutes manières pas la vocation de la collection. A l’usage des étudiants ou des enseignants non spécialistes, l’ouvrage propose une mise au point comportant à chaque chapitre une introduction historiographique et quelques indications bibliographiques récentes. L’ensemble est agrémenté de chronologies et d’un dossier cartographique offrant une vue synthétique des conflits. Le premier chapitre aborde les pratiques de manière transversale : celles de la communication tout d’abord : la parole, qui précède et accompagne les violences physiques ; celle des prédicateurs comme des laïcs, pour qui les textes sacrés servent de levier à la justification de la violence : en témoigne le chant des Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4e actuel : « Présentation de l’Europe moderne (3 à 4 heures) À partir de cartes, le professeur met en évidence les contrastes politiques, économiques, sociaux, culturels et religieux de l’Europe. • Cartes : les États européens aux XVIIe et XVIIIe siècles ; économie et populations de l’Europe moderne. • Repères chronologiques : début de la croissance démographique (milieu du XVIIIe siècle). » Socle : Nouveau commentaire « On présente des traits communs de l’Europe moderne (la monarchie absolue, des courants artistiques). On met en évidence des divisions religieuses et linguistiques et une première opposition économique et sociale entre Europe occidentale (plus peuplée et plus dynamique) et Europe orientale. L’étude des traites négrières est intégrée à la présentation du grand commerce européen. » 82 psaumes entonné par les soldats huguenots avant la charge ; plus pacifiques mais duels oratoires quand même, les disputes, à l’origine du choix de la Réforme par les communautés urbaines helvétiques ou allemandes. L’imprimé ensuite, vecteur privilégié de la Réforme, dont la puissance semble bien comprise par Luther à partir de 1518. A ce sujet, les auteurs soulignent que la légende de l’affichage des thèses sur la porte de l’église de Wittenberg, question très débattue, a été inventée par Melanchthon peu après la mort de Luther (alors qu’elles avaient été envoyées, en latin, à l’archevêque de Mayence). Une chose est sûre, c’est qu’elles étaient destinées à être publiées : imprimées à la fin de l’année, elles furent source de ruptures. L’image enfin, un art de combat au service de la Réforme, à l’exemple des gravures de Cranach l’Ancien. Autres pratiques, celles d’une guerre civile plus ou moins permanente menée par des mercenaires : les règles de la chevalerie s’effacent devant une violence omniprésente comme en témoignent les nombreux massacres urbains, du XVIe au XVIIe siècle. On pourra préciser cette évocation des rapports entre la violence et le sacré avec René Girard ou Denis Crouzet. Attentats ratés et tyrannicides achèvent le tableau des violences qui mêlent rivalités confessionnelles et contestations politiques. Le deuxième chapitre est consacré à la naissance de la Réforme dans le SaintEmpire, où les contestations sociales et politiques servent de levier à la propagande luthérienne. Beaucoup croient alors que les autorités temporelles doivent s’incliner devant celle de l’Evangile. Les auteurs apportent d’utiles précisions sur cette méconnaissance du message uniquement spirituel de Luther ainsi que sur les motivations de la guerre des chevaliers et des paysans, impuissantes à créer un nouvel ordre social et politique, et dont l’échec discrédite quelque peu les réformateurs : condamnation de la rébellion et institutionnalisation du mouvement apparaissent aussi comme la condition de la survie. Le chapitre suivant mêle histoire politique et culturelle et aborde le difficile avènement du compromis confessionnel dans ce « laboratoire des paix de religion » qu’est alors le Saint-Empire. Le livre montre bien l’intrication des divergences à la fois politiques et théologiques qui rendent impossible l’alliance évangélique au sein des Etats allemands ; la confession d’Augsbourg est loin de faire l’unanimité. Contestée, la constitution traditionnelle de l’Empire se montre impuissante à rétablir la paix confessionnelle et provoque la Protestation publique de 14 villes et princes hostiles à la règle de la majorité pour les questions religieuses : le protestantisme est né, accompagnant l’ébauche d’une théorie du droit de résistance. Après le temps de l’unité progressivement constituée au sein de la Ligue de Smalkalde dans les années 1530, vient celui de la contre-offensive catholique (Concile de Trente, 1545) et impériale (Mühlberg, 1547). Les auteurs montrent notamment comment la tentative de compromis impérial produit chez les protestants une effervescence eschatologique. Après l’abdication de Charles Quint, la Paix d’Augsbourg suspend les hostilités mais n’apaise pas pour autant les tensions confessionnelles. Les auteurs proposent ensuite un petit tour d’horizon de l’établissement du pluralisme religieux dans le reste de l’Europe, faisant ressortir les motivations particulières à chaque Etat, souvent plus politiques que fondamentalement religieuses comme en Suède, où l’adoption de la réforme conforte l’identité et l’indépendance nationale, contre l’hégémonie danoise, ou bien l’Angleterre, où les résistances populaires à la Réforme furent nombreuses : contre une politique d’Etat qui s’oriente vers le protestantisme, les révoltes témoignent d’une lente adoption de la Réforme dans les consciences des sujets anglais. A la mort d’Elisabeth en 1603, l’ensemble du royaume semble cependant acquis à la Réforme, pour le plus grand profit économique et politique des élites locales. Les auteurs soulignent ensuite la singularité de la Pologne, « asile des hérétiques », attirés par la politique de tolérance de Sigismond II (1548-1572), dernier des Jagellons. Le principe de la liberté religieuse est ensuite imposé par la noblesse à la monarchie élective. Toutefois, l’existence de minorités religieuses a probablement constitué l’une des principales faiblesses de la Pologne face aux agressions extérieures. Inversement, en Russie, l’Etat a dû intervenir dans les affaires religieuses, mais 83 n’a pas été affaibli par la querelle des rites et le schisme de l’Eglise orthodoxe de 1666, malgré l’esprit de résistance des raskolniki, persuadés de vivre sous le règne de l’Antéchrist. Le chapitre 5 est consacré aux guerres de religion en France, sujet sur lequel les ouvrages de synthèse ne manquent pas. Un tableau synthétique accompagne le résumé des temps forts d’un affrontement qui conduit au morcellement territorial et s’internationalise. L’événementiel étant bien connu, il aurait été intéressant que soient plus poussées les allusions aux lectures plurielles qu’en font les historiens, ainsi qu’à l’évolution historiographique récente réhabilitant les derniers Valois. Néanmoins, l’exposé démontre clairement l’évolution vers la déconfessionalisation partielle de l’Etat et la marginalisation de la R.P.R. face au catholicisme d’Etat. Paradoxalement, après la violence des attaques contre la monarchie (pour une étude de la violence à travers les pamphlets, on se reportera aux travaux d’Annie Duprat ou bien à l’édition récente de La vie et faits notables de Henry de Valois de Jean Boucher établie par Keith Cameron), les auteurs estiment que les guerres de religion ont débouché sur un renforcement de l’autorité royale. Le chapitre suivant aborde la révolte des Pays-Bas, mouvement de dissidence calviniste dirigé contre l’Espagne qui aboutit, comme on le sait, à la rupture entre le Nord et le Sud. La férocité de la répression menée par le duc d’Albe heurte une aspiration profonde à la liberté religieuse et précipite les Nassau dans le camp d’une opposition tendue et divisée. Il apparaît alors que le choix républicain des Provinces-Unies résulterait moins d’une éthique protestante que d’une réalité pluriconfessionnelle. En revanche, les Pays-Bas du Sud deviennent une terre d’élection de la contre-Réforme, sous la dépendance de l’Espagne. Evaluant les conséquences de la guerre, les auteurs évoquent l’exil de 150 000 habitants du Sud vers le Nord, dont près d’un quart d’Anversois, ce qui ajouterait alors au déclin de l’un des ports les plus riches du XVIe siècle. Le dernier chapitre propose un regard sur les révoltes européennes du XVIIe siècle, encore très marquées par les rivalités confessionnelles. Claire Gantet revient sur les origines de la Guerre de Trente ans, dernière guerre de religion en Europe centrale. Contre la menace pour tout l’Empire que représente la Lettre de Majesté de 1609 qui accorde la liberté religieuse en Bohême, Ferdinand II lance une contre-offensive catholique animée par les jésuites. L’intransigeance impériale dont témoigne l’Edit de restitution de 1625 représente une menace à la fois religieuse et politique pour les princes allemands qui basculent à leur tour dans la guerre. Avec l’irruption de la Suède dans le conflit, la propagande protestante dénonce l’absolutisme impérial et entend prendre la défense des libertés accordées en 1555. Les auteurs évoquent ensuite la paix de Westphalie, en vigueur jusqu’en 1806, l’un des « premiers essais de tolérance d’Etat » où l’emportent enfin les considérations politiques. Le thème de l’angoisse suscitée par le déchaînement de la violence (anthropophagie) et son interprétation aurait mérité d’être un peu plus approfondi. Les auteurs en viennent ensuite à la rébellion et à la résistance des huguenots, des guerres du duc de Rohan dans les années 1620 à la guerre des Camisards dans les Cévennes. Ils insistent sur la dimension religieuse, prophétique et eschatologique d’une sédition contestée par la notabilité protestante du « refuge ». Le loyalisme monarchique des réformés est effectivement un des acquis de l’historiographie récente. Le chapitre se termine sur le cas anglais, soumis à une profonde révision historique qui place la défense des libertés parlementaires en arrière-plan, derrière les affrontements confessionnels. Contrairement à ce qu’affirment nos manuels scolaires, la guerre menée contre Charles Ier ne serait pas la « première révolution européenne, mais la dernière des guerres de religion » (John Morril), manifestation du refus des puritains de se soumettre à la politique épiscopalienne du roi. L’exécution de Charles Ier est précédée d’une intense propagande puritaine qui dénonce un roi Antéchrist, rappelant la situation de la France à la fin du XVIe siècle, à la veille de l’assassinat de Henri III. Victoire religieuse plus que politique, suivie d’un regain du millénarisme dont témoigne le mouvement des Quakers de George Fox. On retrouve ce messianisme anti-catholique lors de la Glorieuse Révolution. 84 En conclusion, les auteurs proposent une explication à la disparition des guerres de religion à la fin du XVIIe siècle : la dissociation partielle du politique et du religieux, l’évolution des mentalités vers l’idée de tolérance et la culpabilisation de la violence, l’intériorisation du pluralisme religieux, etc. pallient le durcissement des identités confessionnelles. Au final, sur un thème difficile, on pourra toujours regretter ça et là un manque d’approfondissement thématique comme les thèmes de la propagande religieuse et leur signification concernant la conception du pouvoir. Mais l’ouvrage offre une bonne intelligibilité de la période et séduit par la qualité de ses enchaînement factuels. Il constitue un premier instrument de travail fournissant les indispensables bases événementielles ; l’interprétation qu’il en donne, appuyée sur une bonne connaissance de l’évolution de l’historiographie, infirme certaines idées encore très répandues dans les manuels du secondaire. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Tensions politiques et religieuses en Europe au début du XVIIe s 1. Une Europe politique morcelée Cette partie met en évidence la domination de la monarchie (héréditaire ou élective) absolutiste. Elle montre également que l’Europe est un lieu d’affrontement entre les rois qui veulent affirmer leur domination et leur supériorité ; le continent connaît un état de guerre quasi permanent. En filigrane, on évoque la transition que représente ces deux siècles qui connaissent le déclin de la puissance habsbourgeoise. Le XVIIIe siècle ne propose pas une simplification de la carte politique de l’Europe. La domination des Habsbourg est brisée mais les guerres incessantes ont provoqué des modifications territoriales importantes. Après la domination des Habsbourg puis l’hégémonie française, de 1660 à 1691, l’Europe du milieu du XVIIIe siècle présente un nouvel équilibre où aucun État ne parvient à imposer sa suprématie. On distingue trois types de situation : – L’Europe du Nord-Ouest, composée de la France, des Provinces-Unies et de l’Angleterre, en plein essor économique. Depuis 1715, la France a sécurisé ses frontières et brisé l’encerclement des Habsbourg avec l’installation d’un Bourbon sur le trône espagnol (1700). Toutefois, la France paie encore les guerres incessantes menées depuis le XVIIe siècle (45 années de guerre pour le seul règne de Louis XIV). Les Provinces-Unies, protestantes, sont apparues en 1579 (Union d’Utrecht) au terme d’une longue guerre contre les Habsbourg. Elles ont su profiter de la trêve de douze ans arrachée à l’Espagne (1609) et de la fermeture du port d’Anvers, pour devenir la première puissance commerciale et financière de l’Europe. Toutefois, le dynamisme des Provinces-Unies contrarie les intérêts de l’Angleterre, qui est devenue une puissance de premier plan. – Des États puissants en déclin. L’Espagne ne contrôle plus le Portugal depuis 1640 et le changement dynastique de 1700 a entraîné la perte de l’héritage bourguignon (Pays-Bas, Franche-Comté) et des possessions italiennes (Milanais, Naples, Sardaigne, Sicile) au profit de la branche cadette des Habsbourg. L’Empire ottoman montre des signes de décadence. – L’Europe centrale et orientale est caractérisée par trois États en pleine ascension : la Prusse, la Russie, l’Autriche. La Prusse occupe une place dominante sur les États allemands et la Russie commence a s’ouvrir sur l’Europe. Cependant ce ne sont pas encore des puissances. Les Habsbourg de Vienne ont la dignité impériale mais l’Empire est divisé en plusieurs centaines d’États dont les princes se considèrent comme indépendants : le titre impérial apporte plus de prestige que de pouvoir réel. En revanche, la monarchie autrichienne a tiré de ses victoires sur l’Empire ottoman et sur l’Espagne des acquis territoriaux considérables et a décuplé la superficie de ses États. La Hongrie et la plus grande partie de l’Europe danubienne sont libérées de la domination ottomane par l’Autriche (1699-1718). Les Habsbourg de Vienne dominent désormais l’État le plus vaste et le plus peuplé d’Europe. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Activités, consignes et productions des élèves : L'éclatement de la chrétienté Le 24 mai 1453, le sultan Mehmet prend Constantinople : l’empire chrétien d’Orient disparaît, il n’y a plus d’Empire romain ; les Turcs continuent leur avancée, bientôt maîtres de la Méditerranée orientale et de l’Europe des Balkans. L’Europe chrétienne tient, sur une ligne symbolisée par le Danube, Belgrade et Rhodes. La chrétienté s’effrite, elle éclatera avec la rupture de la Réforme protestante. En attendant, l’idée de l’unité chrétienne demeure. L’unité du monde médiéval avait été assez puissante pour que le sentiment d’appartenir à une civilisation commune demeurât ineffaçable, pas assez cependant pour créer une force politique agissante, capable de dépasser la sphère d’intérêt des États particuliers. La chrétienté éclate, tandis que les États séculiers, les nationalismes se développent, s’équipent de langues nationales et d’un outillage juridique et administratif moderne. Le rêve d’un empire universel chrétien s’éteindra peu à peu, laissant l’Europe divisée entre protestants et catholiques et donnant tort à la métaphore de la robe sans couture du Christ. Mais le motif de l’empire continue d’alimenter les guerres de la première moitié du XVIe siècle. François Ier rêve de recevoir le titre d’empereur du Saint-Empire romain germanique, d’être ainsi l’héritier de Charlemagne, et, plus haut encore, des Césars de Rome... La rivalité de la France et de l’Espagne de Charles Quint divisera la première moitié du XVIe siècle. Mais l’Italie ne sera pas unifiée, la France devra affronter le désastre de Pavie (1525), Rome enfin subit la mise à sac par les mercenaires luthériens le 5 mai 1527. Pendant une semaine, la ville sainte est mise à feu et à sang, tandis que le pape Clément VII, réfugié au château SaintAnge, contemple le désastre symbolique des passions qui allaient bientôt envahir l’Europe chrétienne pour la diviser définitivement. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 85 HM – Les traites négrières et l’esclavage au XVIIIe s. Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, Essai d'histoire globale, éd. Gallimard, 2004 Serge DAGET, La traite des noirs, Ouest-France, 1990. Jean MEYER, Esclaves et négriers, Gallimard, « Découvertes », Paris, 1986. P. PLUCHON (dir.), Histoire des Antilles et de la Guyane, Pivat, 1982. L. SALA-MOLINS, Le Code noir ou le Calvaire de Canaan, PUF, Paris, 1987. P. VILLIERS et J.-P. DUTEIL, L’Europe, la mer, les colonies, Hachette, Paris, 1997. Y. BENOT, La Révolution française et la fin des colonies, La Découverte, Paris, 1987. L. ABENON, J. CAUNA, L. CHAULEAU, Antilles 1789, la Révolution aux Caraïbes, Nathan, Paris, 1989. J. METELLUS, M. DORIGNY, De l'esclavage aux abolitions, Éd. Cercle d'art, 1998. Documentation Photographique et diapos : Les traites négrières - n° 8032 (2003) / Olivier Pétré-Grenouilleau Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Les traites négrières, également appelées traite des Noirs, désignent des commerces d'esclaves dont ont été victimes des millions de Noirs africains durant plusieurs siècles. Pour la définir, il faut associer et combiner les six éléments suivants : * les victimes étaient des Noirs ; * les traites supposaient des réseaux d’approvisionnement parfaitement organisés et intégrés ; * les populations serviles n'étaient pas suffisamment fécondes pour se renouveler ; * l'endroit où l’être humain était capturé et le lieu de sa servitude étaient éloignés l’un de l’autre ; * si ceux qui utilisaient les esclaves pouvaient être également producteurs d’esclaves, la plupart du temps, il y avait des producteurs et des acheteurs, la traite correspondant à un échange tributaire ou commercial ; * la traite étant essentiellement une activité marchande, les entités politiques des différentes civilisations approuvaient ce commerce et en retiraient des bénéfices substantiels. Cependant, la traite doit être distinguée de l'esclavage qui consiste à exercer sur une personne l'un quelconque ou l'ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété. La traite est automatiquement liée à l’esclavage. Elles se renforcent mutuellement. Mais la réciproque est fausse. Il existe des systèmes esclavagistes dans lesquels la traite n’est pas présente, comme les États du sud des États-Unis au XIXe siècle. La traite doit aussi être distinguée de la notion contemporaine de Trafic d'êtres humains. Il y a eu trois traites négrières : la traite orientale, la traite occidentale et la traite intra-africaine. Celles-ci ont été un phénomène historique de très grande ampleur en raison du nombre de victimes, de sa durée, de la multitude de producteurs et d'acheteurs aux cultures et aux motivations différentes, des nombreuses méthodes d'asservissement, des multiples opérations de transports sur de très longues distances et de la réduction de ces êtres humains en esclaves et en main d'œuvre servile. Olivier Pétré-Grenouilleau, dans Les Traites négrières, Essai d'histoire globale est l'historien qui met le plus l'accent sur la traite orientale, la plus difficile à chiffrer en raison de sources dispersées sur une période de temps plus ancienne. Il estime à 42 millions le total de victimes pour trois traites négrières : Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : Socle : Nouveau commentaire « On présente des traits communs de l’Europe moderne (la monarchie absolue, des courants artistiques). On met en évidence des divisions religieuses et linguistiques et une première opposition économique et sociale entre Europe occidentale (plus peuplée et plus dynamique) et Europe orientale. L’étude des traites négrières est intégrée à la présentation du grand commerce européen. » BO 4e futur : « La traite est un phénomène ancien en Afrique. Au XVIIIe siècle, la traite atlantique connaît un grand développement dans le cadre du « commerce triangulaire » et de l’économie de plantation. La traite atlantique est inscrite dans le contexte général des traites négrières. L’étude s’appuie sur un exemple de trajet de cette traite. Raconter la capture, le trajet, et le travail forcé d’un groupe d’esclaves 86 * la traite orientale, faite par les Arabes : 17 millions de personnes, mais d'autres historiens citent un chiffre deux fois inférieur. * la traite intra-africaine: 14 millions de personnes, dont une partie est ensuite revendue à des européens ou des arabes. * la traite atlantique, faite par les Européens et les Américains : 11 millions de personnes, dont l'essentiel à partir de la fin du 17ème siècle. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Le terme « traite » désigne le transport et le commerce des esclaves, depuis les lieux où les esclaves sont capturés, jusqu’aux lieux où ils sont exploités. Ce témoignage montre bien que l’esclave est considéré comme une marchandise, dont la valeur se discute selon les lois du marché : « Les Nègres étaient plus ou moins chers suivant la concurrence et la défectuosité ». Les esclaves adultes en âge de travailler et en bonne santé sont les plus chers : «Un beau Nègre pièce d’Inde […] bien fait, sans infirmité, ayant toutes ses dents […] s’achetait, en 1777, 50 pièces ». Le Code noir (1685) Les soixante articles du Code noir, préparés par les services de Colbert, sont promulgués deux ans après sa mort. Ils codifient l'esclavage dans les colonies antillaises de la France, alors que se développe une économie de plantation fondée sur l'exploitation d'une main-d'oeuvre servile d'origine africaine. Après avoir imposé la religion catholique comme unique religion dans les possessions françaises (1685 est aussi l'année de l'abrogation de l'édit de Nantes), le Code noir définit les règles du mariage entre esclaves, précise que l'enfant suit la condition de sa mère, interdit aux esclaves de s'assembler, de porter des armes, de faire du commerce, prévoit les châtiments « pour voies de fait, crimes, vols, marronages » (le marronage est le fait pour un esclave de fuir la plantation et de vivre dans une liberté clandestine) et envisage les conditions d'un éventuel affranchissement. L'esclave qui est défini comme un « bien meuble » (art. 44) ne jouit d'aucun droit : il ne peut ni être propriétaire, ni ester en justice, ni porter témoignage contre son maître. Cet édit reçoit les signatures de Louis XIV, Le Tellier et la signature posthume de Colbert. Abrogé en février 1794, ce code esclavagiste est restauré par Bonaparte en 1802. Il est définitivement aboli en 1848. Ce texte est un édit, soit un acte législatif émanant du roi. Les esclaves n'ont aucun droit et sont soumis à des châtiments : le fouet, la marque au fer rouge, la mutilation, la mort. L’esclave est défini, dans l’article 44 du Code noir, comme un bien « meuble », qui comme tel doit « entrer dans la communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers ». Il ne jouit donc d’aucun droit. Le maître doit instruire ses esclaves dans la religion catholique (art. 1), les nourrir, vêtir et entretenir sous peine de poursuites (art. 22, 26). Les « traitements barbares et inhumains» sont également poursuivis. Toutefois, l’esclave ne pouvant ni ester en justice, ni témoigner contre son maître, ces obligations sont très théoriques. II. Un combat pour la liberté : la remise en cause de l’esclavage Un philosophe contre l'esclavage L’abbé Raynal (1713-1796) a quitté les Jésuites en 1747 et est devenu l’un des membres les plus avancés du « parti philosophique ». Dans L’Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes (publié à l’étranger en 1770, en France en 1772), auquel Diderot a collaboré, il affiche ses positions anti-absolutistes, anti-cléricales et anti-colonialistes. Raynal ne partage pas le point de vue de Snelgrave. Il oppose au plaidoyer favorable aux négriers des arguments moraux en dénonçant la brutalité et la cupidité des esclavagistes et des arguments économiques en expliquant que l'abolition de l'esclavage ne ruinerait pas le commerce colonial, car il serait possible de faire cultiver les plantes tropicales par des hommes libres. Les principales productions des colonies esclavagistes sont le sucre de canne, le café et le cacao. Raynal propose de développer la culture de ces produits tropicaux en Afrique ou aux Antilles en faisant appel à une main-d'oeuvre libre : « Ces denrées pourraient être cueillies par des mains libres, et dès lors Activités, consignes et productions des élèves : Un négrier justifie la traite Snelgrave utilise des arguments « philanthropiques » : la traite permettrait de sauver la vie des prisonniers de guerre et la déportation dans les colonies améliorerait les conditions de vie des Africains. Il utilise aussi des arguments économiques : la traite profite aux colonies et à leurs métropoles, en fournissant une main-d'œuvre « adaptée » au climat tropical. Les arguments du négrier mêlent en fait mensonges et cynisme. Le développement de la traite a entraîné la multiplication des guerres et des razzias encouragées par les négriers, qui fournissent des armes en échange de leur approvisionnement en chair humaine. La traite a, certes, procuré d'importants profits à ceux qui investissaient dans le commerce triangulaire, mais a durablement affaibli les sociétés d'Afrique noire. Des récits de voyage, les écrits des abolitionnistes européens et de rares témoignages d'esclaves publiés (La Véridique Histoire par lui-même d'Olaudah Equiano, Londres, 1789, réédition par les Éditions caribéennes en 1987 ; La Véritable Histoire de Mary Prince, esclave antillaise racontée par elle-même, Londres, 1831, rééditée par Albin Michel, 2000) infirment les écrits lénifiants de Snelgrave. La lecture du Code noir met en évidence la déshumanisation dont étaient victimes les esclaves. Les travaux des historiens évaluent la réalité de la mortalité causée par la traite (S. Daget, La Traite des noirs, Éditions Ouest-France, 1990) et montrent la faiblesse de l'espérance de vie des esclaves ainsi qu'un taux de mortalité très supérieur au taux de natalité ce qui profitait aux négriers, fournisseurs de main-d'oeuvre servile aux plantations. La gravure de Jean-Michel Moreau le Jeune montre la dureté des conditions de travail des esclaves. À l’arrière-plan, un esclave dénudé dont les bras sont fixés au sol est fouetté par un contremaître, tandis qu’au premier plan, une esclave, dont la tête est prise dans une cangue de bois, travaille la terre, entourée de ses enfants (elle porte le plus jeune sur son dos). 87 consommées sans remords. » Dans son Voyage à l’Île de France, publié en 1773 après son séjour à l’île Maurice, Bernardin de Saint-Pierre condamne l’égoïsme et la légèreté des Européens, qui n’ont pas hésité à « dépeupler » l’Amérique et l’Afrique pour planter du café et du sucre. Il dénonce également l’hypocrisie du Code noir, censé protéger les esclaves mais quotidiennement et impunément bafoué par leurs maîtres. « Ne suis-je pas un homme et un frère ? ». Huberside, Wilberforce House Museum. Ce tableau représente un homme noir enchaîné, agenouillé et implorant : « Ne suis-je pas un homme et un frère ? » Il a servi de modèle au sceau de la Société des Amis des Noirs fondée en 1788 à Paris par Brissot sur le modèle anglais. La Fayette, Condorcet, Mirabeau, l'abbé Grégoire, notamment, adhèrent à la Société qui se fixe comme premier objectif l'abolition de la traite. Le slogan du mouvement abolitionniste français, repris du mouvement anglais, signifie que les esclaves sont des êtres humains comme les autres et que tous les hommes sont frères. La Société des Amis des Noirs affirme ainsi que l’abolition de l’esclavage est une conséquence logique des idéaux des Lumières. La première abolition de l'esclavage dans les colonies La Convention a aboli l'esclavage sans indemnité des propriétaires le 16 pluviôse an II (4 février 1794) alors que les Assemblées précédentes avaient fini par céder aux pressions du « lobby » esclavagiste. La situation est alors confuse dans les colonies françaises des Antilles : à Saint-Domingue (Haïti), les esclaves insurgés ont imposé leur émancipation lors de l'été 1793, alors qu'à la Guadeloupe et à la Martinique les colons ont fait appel aux Anglais pour maintenir l'ordre esclavagiste. Il est impossible en quelques lignes de faire le point sur la question coloniale pendant la Révolution. Le livre d'Y. Bénot, La révolution française et la fin des colonies (La Découverte, Paris, 1988) le fait avec précision. Le roman d'Alejo Carpentier, Le siècle des Lumières (Gallimard) évoque l'histoire des Antilles et de la Guyane à la fin du XVIIIe siècle à travers le personnage de Victor Hugues, commissaire de la Convention, qui reconquit la Guadeloupe et y fit appliquer le décret d'abolition. Ce décret confère la citoyenneté française aux anciens esclaves des colonies. Napoléon a entrepris une expédition contre Toussaint-Louverture Sous le Consulat, le 20 mai 1802, Napoléon rétablit l’esclavage dans les colonies. Il entreprend de lutter contre Toussaint-Louverture. Ce dernier, depuis 1801, a pris la tête d’une insurrection contre les Espagnols et les Anglais qui se partageaient le contrôle de Saint-Domingue et a même établi sur la partie française de l’île la République indépendante d’Haïti. Aux yeux de Napoléon, ces actions mettent non seulement en péril les intérêts économiques français, mais ils peuvent aussi conduire Espagnols, Anglais et Noirs à unir leurs forces contre la France. Napoléon fait envoyer, sous le commandement du général Leclerc (marié avec Pauline Bonaparte), 79 vaisseaux de guerre et 22 000 soldats qui matent la rébellion. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : L’esclavage s’est développé principalement pour des raisons économiques, et au XVIIIe siècle encore, le commerce triangulaire permet à l’Europe de conserver et d’exploiter son empire colonial. La traite des esclaves africains assure l’enrichissement des dynasties marchandes de la façade atlantique, et l’Europe peut consommer des produits tropicaux à bon prix. L’esclavage est institutionnalisé par l’État (Code noir de 1685) et il est souvent justifié avec hypocrisie par les contemporains, qui sont sensibles à son intérêt économique. Cependant, à la fin du XVIIIe siècle, des voix s’élèvent pour condamner cette institutionnalisation de l’esclavage : le Code noir est remis en cause, l’esclavage est dénoncé pour ce qu’il est, une exploitation des êtres humains contraire aux principes d’égalité et de liberté chers aux philosophes des Lumières. La Société des Amis des Noirs est créée en 1788 pour demander l’abolition de l’esclavage. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 88 HM – L’Europe des Lumières Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Les Lumières françaises se sont affirmées comme un modèle. Mais il s'est agi dès l'origine d'un phénomène totalement européen qui s'est nourri d'échanges intellectuels, commerciaux, migratoires... Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Catalogue de l’exposition Lumières ! Un héritage pour demain dirigé par Yann Fauchois, Thierry Grillet et Tzvetan Todorov, éditions Bibliothèque nationale de France, 2006. Ouvrages généraux : Paul Hazard, La Pensée européenne au XVIIIe siècle de Montesquieu à Lessing, Paris, Boivin, 1946, réédition Fayard, 1963. Pierre Chaunu, La Civilisation de l’Europe des Lumières, Flammarion, 1971, Flammarion/Champs, 1997. Franco Venturi, L’Europe des Lumières, Paris / La Haye, Mouton / EHESS, 1971. DELON Michel (dir.), Dictionnaire européen des Lumières, PUF, 1997. René Pomeau, L'Europe des Lumières, Hachette/Pluriel, (1991)1995 Tzvetan Todorov, L'Esprit des Lumières, Paris, Robert Laffont, 2006. FERRONE Vincenzo (dir.) et ROCHE Daniel, Le monde des Lumières, Fayard, (1999) 2005. D. Roche, La France des Lumières, Fayard, Paris, 1994. D. ROCHE, Les Républicains des lettres, Fayard, Paris, 1988. Michel Vovelle, L’Homme des Lumières, Le Seuil, Paris, 1996. Michel Vovelle et Guy Lemarchand, Le Siècle des Lumières (coffret deux volumes), PUF/Peuples et civilisations, 1997 Alphonse Dupront, Qu'est ce que les Lumières ?, Gallimard/Folio histoire, 1996 Jean-Marie Goulemot, Adieu les philosophes ! Que reste-t-il des Lumières ?, Seuil/L'avenir du passé, 2001 Peter Gay, The Enlightenment: An Interpretation, New York, A. A Knopf, 2 vol., 1967 et 1969. Robert Darnton, Pour les Lumières : défense, illustration, méthode, Presses universitaires de Bordeaux, 2002 R. Darnton, L’Aventure de l’Encyclopédie, 1775-1800, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1992. JOURDAN Annie, La Révolution, une exception française ?, Flammarion, 2004. PROUST Jacques, Diderot et l’Encyclopédie, Albin Michel, Bibliothèque de l’évolution de l’humanité, 1995. VIGUERIE J., Histoire et dictionnaire du temps des Lumières, Laffont, coll. Bouquins, 1995. B. Darbeau, Les Lumières, Anthologie, coll. « Étonnants classiques », Flammarion, Paris, 2002. R. 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GOULEMOT, TDC, N° 716, du 15 au 31 mai 1996 Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des Enjeux didactiques (repères, notions et savoirs, concepts, problématique) : méthodes) : BO 4e actuel : « La remise en cause de Il s’agit de mettre en valeur l’influence de la pensée des Lumières dans les l’absolutisme (3 à 4 heures) systèmes politiques et le rôle joué par les révolutions dans une société d’Ancien Il s’agit, sans étudier les événements des Régime en crise à l’origine d’une nouvelle Europe. révolutions anglaises du XVIIe siècle et de la L’esprit des Lumières est avant tout un esprit qui synthétise les idées nées depuis Révolution américaine, de montrer que l’Antiquité. Sa nouveauté réside dans la combinaison qui s’opère à cette époque l’existence de régimes tels que la monarchie pour transformer la société et combattre le despotisme, l’obscurantisme et limitée en Angleterre et la république l’intolérance religieuse. Cette lecture dynamique des révolutions est complexe. Il américaine et des aspirations politiques liées s’agit d’intégrer à la fois le thème de la circulation des idées dans les livres ou à la philosophie des Lumières mettent en gazettes mais aussi celui de la circulation des hommes (philosophes, savants, cause les principes de la monarchie absolue. militaires…). Seule une minorité cultivée est concernée par ces idées nouvelles. D’autres modèles politiques sont ainsi Cependant, l’unité de l’Europe du XIXe siècle prend ici son sens en créant un proposés à une société française en crise. homme plus libre et une société nouvelle qui s’affirment différemment face au • Repères chronologiques : Déclaration des monde. Ce n’est plus seulement une Europe unie par une histoire romaine ou une Droits (1689) ; l’Encyclopédie (milieu du XVIIIe siècle). religion catholique dominante (Todorov). • Documents : préambule de la Déclaration d’indépendance des États-Unis ; extraits de 89 La question des Lumières anglo-françaises du XVIIIe siècle, de leur rôle dans la préparation du processus révolutionnaire de 1789 a été reprise et débattue par Daniel Chartier dans un brillant ouvrage novateur et discuté, paru en 1990, Les origines culturelles de la Révolution française, qui prend le contre-pied (quelque peu excessif) de Daniel Mornet (Les Origines intellectuelles de la Révolution française, 1932, rééd. 1969), en insistant sur le divorce entre culture des élites et culture du peuple au XVIIIe siècle. L’argumentation de cet historien du livre renoue en partie avec de plus anciennes mise en cause des limites des Lumières par Jean-Marie Goulemot et ses disciples, sinon avec la contestation des Lumières elles-mêmes comme matrice des totalitarismes enfantés par les révolutions contemporaines, un thème déjà ancien (« la faute à Voltaire, la faute à Rousseau »), repris sous de nouveaux oripeaux par Régis Debray, avec ses contestables Aveuglantes Lumières, Journal en clair-obscur (2006). Pour cet auteur, les Lumières, en dépit de notre triomphalisme et de notre ethnocentrisme glorieux, ont des zones d'ombre capitales : le religieux, l'imaginaire, le sentiment du collectif, notre rapport à la mort, à l'animalité…Il y a aussi un fanatisme des Lumières, qui a produit par bien des côtés l'oppression coloniale… Une époque d’intense bouillonnement à l’échelle de l’Europe Le XVIIIe siècle voit l’épanouissement d’idées apparues au fil des siècles depuis l’Antiquité ; il absorbe les mouvements idéologiques antérieurs, les réexamine, les remet en question et les synthétise. Les philosophes des Lumières sont les héritiers de Galilée, Pascal, Leibniz. Ils se différencient de Descartes en postulant, dans le sillage de Locke, que la connaissance n’est pas innée, mais procède de l’expérience. Leur quête de la connaissance passe par la remise en cause des idées reçues, l’ouverture à tous les domaines du savoir, l’exaltation des sciences (la science est regardée comme le moyen de libérer l’humanité des superstitions et de l’obscurantisme) et la foi inébranlable dans le pouvoir de la raison. La pensée doit être libre et non plus soumise à l’autorité et aux schémas antérieurs reposant sur une interprétation chrétienne de l’univers. À la suite de Pierre Bayle (Dictionnaire historique et critique, 1695), les penseurs doutent des doctrines théologiques et métaphysiques. La devise des Lumières : « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » est énoncée par Kant (Qu’est-ce que les Lumières ?, 1784). L’individu doit être autonome pour conquérir sa liberté. Mouvement intellectuel d’origine anglaise qui s’est répandu dans toute l’Europe, constitué de courants parfois contradictoires, les Lumières contribuent à l’histoire des civilisations. Les révolutionnaires français s’en sont prévalus et elles inspirèrent la déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique (4 juillet 1776), dont la Constitution (1787) reprend des principes inspirés de Montesquieu (séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire). Qu’en est-il aujourd’hui de l’esprit des Lumières, face à la mondialisation, dans une Europe constituée de pays qui n’ont plus de frontières matérielles et d’où la monarchie absolue a disparu ? Que reste-t-il de cet héritage complexe dans les débats de notre société sur la laïcité, les dérives de la science, les moeurs, la solidarité… ? Kant donne une définition du philosophe des Lumières : ce dernier poursuit trois démarches fondamentales : 1) l’émancipation de la pensée de l’homme grâce à la connaissance pour accéder à la critique ; 2) l’acceptation de la pluralité des idées pour nourrir le monde ; 3) la remise en question des idées reçues de son temps pour faire évoluer la société. Le siècle des Lumières débute traditionnellement avec la mort de Louis XIV en 1715 et s’achève avec le coup d’État du 18 Brumaire An II (9 novembre 1799). Louis XIV a encouragé la société à une certaine légèreté, au goût des fêtes et au luxe. Après des années de guerre, les écrivains remettent en cause l’Ancien Régime. Ils publient leurs œuvres à l’étranger (souvent à Amsterdam) pour contourner la censure royale. Comme à la Renaissance, l’Antiquité est donnée en exemple de rigueur et d’équilibre et plus particulièrement la République romaine : c’est ce que rappelle le portrait de Montesquieu ou encore l’allusion à Minerve, déesse de la Sagesse, des Arts et des Sciences (Athéna pour les Grecs). L’expansion économique favorise la bourgeoisie d’affaire tandis que l’autorité royale réagit difficilement face aux crises financières qui semblent impossibles à résoudre. Des philosophes tels que Montesquieu dans les Lettres Persanes philosophes du XVIIIe siècle (Montesquieu, Voltaire, Rousseau). » BO 4e futur : « L’Europe des Lumières. Au XVIIIe siècle, les philosophes et les savants mettent en cause les fondements religieux, politiques, économiques et sociaux de la société d’ordres. La France est au centre de cette étude qui est menée à partir de la vie et de l’oeuvre d’un philosophe des Lumières ou d’un savant au choix. Connaître et utiliser le repère suivant - L’Encyclopédie, milieu du XVIIIe siècle Raconter quelques épisodes de la vie du philosophe ou du savant étudié, et expliquer en quoi ils sont révélateurs du siècle des Lumières. Accompagnement 4e : « Aborder en trois ou quatre heures l’étude de la remise en cause de l’absolutisme suppose de s’en tenir à quelques idées essentielles, en s’appuyant sur les exemples de l’Angleterre et des ÉtatsUnis et sur l’analyse de la philosophie des Lumières sans pour autant conduire un récit événementiel. L’analyse d’extraits de textes des philosophes du XVIIIe ou de planches de l’Encyclopédie aide à cerner quelques idées fondamentales développées par la philosophie des Lumières. On peut partir des philosophes (la pensée politique de Montesquieu, l’esprit critique de Voltaire, le contrat social de Rousseau) ou mettre en évidence quelques notions fondamentales et nouvelles (liberté, égalité, nature, tolérance, etc.). Ces idées qui remettent en cause les principes de l’absolutisme sont celles d’une minorité cultivée. Elles rencontrent en 1789 une conjonction de mécontentements qui s’expriment dans la réunion des États généraux et débouchent sur une révolution. L’état de la France à la veille de la Révolution se lit dans les événements de 1789 et non dans un tableau préalable. » BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851 – Ruptures avec l'Ancien Régime Cette question est délibérément centrée sur la France avec l’objectif de faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ; Le programme invite à organiser cette étude autour de quelques axes privilégiés : afin de comprendre la rupture que constitue la Révolution française, il est nécessaire de commencer par une rapide présentation de la France en 1789 pour souligner les pesanteurs du système politique et social de l'Ancien Régime, alors qu'émergent des idées nouvelles exprimées par les philosophes des Lumières et lors des révolutions anglaise et américaine. » 90 dénoncent les cadres politiques français, proposant la séparation des pouvoirs, influençant les rédacteurs de la Constitution américaine. Voltaire, de son vrai nom François Marie Arouet, s’est réfugié en Angleterre d’où il rentre séduit par la monarchie parlementaire. L’appui de la bonne et haute société permettait aux hommes de lettres d’obtenir financements et aides sans lesquels il ne leur était pas possible d’écrire. C’est ce même lien de protection typique de l’Ancien Régime que l’on retrouve dans la présence des philosophes auprès des despotes éclairés. L’autocensure était de rigueur pour les Lumières, mais leur présence, pensaient-ils, pouvait également faire avancer les idées de tolérance religieuse. Leur présence dans les cadres politiques et sociaux est manifeste grâce aux Académies et sociétés qui, même censurées, existent et contournent les poids qui pèsent sur elles. À la Convention, Robespierre condamnera les Encyclopédistes comme « fiers dans leurs écrits et rampants dans les antichambres ». Diderot et l’Encyclopédie Pour reprendre une citation de Jacques Proust, historien de l’Encyclopédie, Diderot est le « premier homme de lettres qui ait considéré la technologie comme une partie de littérature. » Il invite le lecteur à la démarche philosophique. Cet ouvrage rassemble les domaines les plus variés y compris ceux issus de la tradition artisanale. Il permet des renvois multiples pour construire sa pensée selon le principe de l’arbre des connaissances de Francis Bacon. Les dessins de L.-J. Goussier publiés en grandes planches gravées, offrent à voir les activités humaines à l’égal des sciences. Le grand nombre d’auteurs qui y ont collaboré, reflète la diversité des idées au XVIIIe siècle. Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Petit éclairage lexical Dans de nombreuses langues européennes un mot désigne la philosophie militante du XVIIIe siècle : Lumières (français), Illuminismo (italien), Enlightenment (anglais, de création récente), Aufklärung (allemand). En espagnol et en portugais, à côté de Ilustracion et Ilustraçao, on peut employer El Siglo de las Luces et A filosofia das Luzes. L’opposition lumières / ténèbres a pris très tôt une valeur morale. On la trouve dans la Bible et chez les théologiens du XVIIe siècle. Plus largement, le mot lumière conserve une connotation religieuse même si l’on évoque les lumières naturelles ou les lumières de l’esprit. Il faut s’interroger pour « Philosophie des Lumières » sur ce passage d’un sens empreint de religiosité à celui, laïcisé, confondant les Lumières avec l’esprit critique, le rejet des préjugés et des superstitions. L’évolution fut lente, ponctuée d’émergences fugaces comme cet « âge de lumière » de Fontenelle. Jusque vers 1750, les Lumières n’ont pas vraiment de connotation antireligieuse mais, au-delà, non seulement l’expression est commune mais elle se charge de toutes les valeurs modernes. L’Encyclopédie en abuse. On la trouve même chez les adversaires des philosophes qui prétendent défendre les « vraies lumières ». Le règne de Louis XV est souvent appelé « règne éclairé ». Cette unanimité lexicale cache des opinions divergentes. À partir des années 1760, Jean-Jacques Rousseau, en critiquant la notion de progrès moral et social, les philosophes athées, pour qui le combat essentiel contre la religion reste à mener, la dénoncent avec véhémence. Les Lumières appartiendraient à l’avenir ou seraient une illusion. Ces divergences montrent qu’on aurait tort de prêter à ce mot commode et imagé un seul et unique sens au XVIIIe siècle. L’oeuvre qui aura le plus de répercussions sur le siècle, révolutionnant la physique, est : Philosophiae naturalis principia mathematica (1687). Newton y développe sa théorie de l’attraction universelle. Sa vision, remettant en cause la physique de Descartes, soulève des polémiques parmi les savants français en majorité cartésiens, mais est soutenue par Maupertuis qui rédige un Mémoire sur Newton à l’Académie des sciences de Paris. Voltaire, qui avait déjà parlé du savant britannique dans ses Lettres philosophiques, participe à la diffusion de ses idées en publiant Élémens de la Philosophie de Neuton (1738), fruit d’un travail en commun avec Madame Du Châtelet, authentique savante passionnée de physique : elle a installé un cabinet de physique dans son château de Cirey, où se retrouvent les partisans de Newton, Maupertuis, Clairaut, Bernouilli. Elle traduira les Principes mathématiques de la Philosophie de Newton, lui adjoignant son propre Commentaire. Activités, consignes et productions des élèves : Les combattants de la liberté Cette gravure de 1790 juxtapose trois figures emblématiques des Lumières (de gauche à droite) :Voltaire (1694-1778), Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et Benjamin Franklin (1706-1790). Ils se sont rencontrés lors du séjour de Franklin à Paris, de 1776 à 1783. L’inscription «le flambeau de l’univers» insiste sur le rôle majeur de ces trois hommes, acteurs, par leurs publications comme par leurs actes, des transformations intellectuelles et politiques de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Un fait de mémoire Les Lumières ont été une culture vivante au XVIIIe siècle et au début du XIXe. Leurs acteurs étaient encore présents. À partir des années 1830, la situation change : les Lumières sont un fait de mémoire, un ensemble d’idées triées, construites et déconstruites, valorisées ou rejetées, au gré des événements et des idéologies. On aurait tort de croire qu’il existe une vérité des Lumières, dont les Républicains, par exemple, seraient les détenteurs. Encore fortement imprégnés de la pensée religieuse, les hommes de 1848 rejettent l’athéisme d’un d’Holbach ou le matérialisme d’Helvétius, idéologie pour eux d’une bourgeoisie contre laquelle ils luttent. Les Lumières se construisent à partir des discours institutionnels : politiques et religieux que l’on tient sur elles, sans que les lignes de partage soient parfaitement et clairement délimitées. Par ailleurs, on lit les textes plus facilement accessibles peut-être qu’aujourd’hui. Ainsi, la dernière édition de 91 Locke, le précurseur anglais Théoricien du libéralisme politique, John Locke (1632-1704) a fortement influencé les hommes des Lumières. Ses oeuvres, écrites durant son exil en France et en Hollande, sont publiées à son retour en Angleterre, après la révolution de 1688, dont il se fait le chantre dans ses Deux Traités sur le gouvernement (1689). Il s’oppose à la monarchie de droit divin et prône une société civile libérale. Il défend l’idée que, les hommes naissant libres et égaux, la société est instituée pour défendre leurs droits naturels (droit de propriété, droit à la liberté personnelle, droit de punir…). Le gouvernement doit être élu et établi par un pacte social qui impose des limites à sa souveraineté, « le peuple est le juge suprême de la façon dont les gouvernants remplissent leur mission ». Locke préconise une séparation entre les pouvoirs législatif, exécutif et confédératif (relations avec l’extérieur). Son Essai sur l’entendement humain (1690) est l’un des livres fondateurs des Lumières et une référence constante de l’Encyclopédie. Locke pose la question de l’origine des idées. Il distingue les « idées de sensation » et les « idées de réflexion », l’ensemble constituant l’expérience dont dérivent nos connaissances. Il remet en cause Descartes et réfute la théorie innéiste qui, selon lui, conduit au fanatisme. Il réclame pour chacun le droit d’exercer le culte de son choix et de discuter les sujets théologiques (Lettre sur la tolérance, 1690). Il prétend que la tolérance est l’essence même du christianisme et postule que l’existence de Dieu peut être démontrée, le monde ne pouvant être compris qu’en référence à une cause créatrice. Pour lui, l’existence de Dieu est le fondement de la conduite morale. À cette époque, le déisme s’étend en Angleterre. Locke a également exposé ses principes sur l’éducation (De l’éducation des enfants, 1693). Ses idées dans ce domaine comme dans les autres ont été reprises ou discutées par les philosophes des Lumières, Jean-Jacques Rousseau le tout premier, Montesquieu et les encyclopédistes . I. François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778), est l’ardent défenseur du modèle anglais en France. Dans ses Lettres anglaises, écrites après son séjour sur l’« île de la Raison » (de 1726 à 1728), il exprime toute l’admiration qu’il éprouve pour la nation anglaise, la seule en Europe « où le peuple partage le gouvernement sans confusion ». Éloge des libertés anglaises Voltaire séjourne en Angleterre de 1726 à 1729. Il s’est exilé après avoir été bastonné par les domestiques du duc de Rohan (cf. l’allusion dans le texte à un pays « où les seigneurs sont grands sans insolence »). Ce séjour inspire les Lettres philosophiques (ou Lettres anglaises), publiées clandestinement en 1734 et immédiatement condamnées. En affirmant son admiration pour la monarchie tempérée de l’Angleterre, Voltaire critique implicitement l’absolutisme français. En Angleterre, le prince « a les mains liées pour faire le mal », parce qu’il est forcé de respecter la Constitution non écrite dont le Parlement est le gardien (cf. le Bill of rights). II. III. Un héritage à éclipses Les Philosophes, ayant tout observé, tout décrit, tout classé, ayant touché à tout et abordé toutes les disciplines, ont nourri depuis deux siècles, et encore aujourd’hui, notre réflexion, nos débats et nos idéaux en matière de liberté, de bonheur, de justice, de progrès, d’éducation... Et la philosophie des Lumières, tour à tour eau vive ou dormante, au gré des soubresauts de l’Histoire, occupe une place centrale dans notre conception de l’homme et du monde. Montesquieu est mort en 1755. Voltaire et Jean-Jacques Rousseau meurent en 1778. Denis Diderot, ancien directeur de l’Encyclopédie et auteur dramatique (Le Fils naturel, 1757 et Le Père de famille, 1758), disparaît en 1784. Peu connu du grand public comme philosophe, il laisse des fidèles qui vont publier ses œuvres inédites et conserver pieusement sa mémoire. Une époque semble désormais close. Les frères ennemis Rousseau et Voltaire, à en croire les gravures qui circulent alors, se réconcilient dans la mort. Si l’on a conscience que le combat n’est pas fini – à la veille de sa mort, Voltaire lutte encore pour la réhabilitation du chevalier de La Barre condamné au bûcher pour impiété en 1764 –, on demeure persuadé que les Lumières gagnent du terrain. l’Histoire des établissements des Européens dans les deux Indes de l’abbé Raynal date de 1821, et l’ouvrage, dès lors, ne sera plus réédité. S’il existe des histoires de la littérature et de la pensée au XVIIIe siècle comme celle de Noël et Place, pour la majorité, le XVIIIe siècle est autodidacte. La création d’un enseignement gratuit et obligatoire, le développement de l’enseignement secondaire et universitaire, une meilleure connaissance des œuvres – celle de Diderot qu’on découvre peu à peu –, une abondance de témoignages sur le siècle, la montée du socialisme, le gouvernement des Républicains, autant de facteurs qui vont permettre que se constitue institutionnellement, par le discours politique et l’école, une image des Lumières commune à partir de laquelle s’organiseront les oppositions, les acceptations et les rejets. Quand une philosophie devient credo Dans la France libérée, les communistes dominent et veulent démontrer qu’eux seuls défendent le patrimoine culturel du pays. Pas un anniversaire oublié dans La Pensée, Les Lettres françaises, ou La Nouvelle Critique. Naissance de Voltaire, publication de l’Esprit des lois, ou de l’Encyclopédie..., à chaque fois, l’occasion est bonne pour dénoncer la trahison de la bourgeoisie qui brade sa culture et affirmer que les philosophes seraient aujourd’hui communistes. Le XVIIIe siècle des grands écrivains est récupéré, mais peu à peu prennent forme des Lumières plus progressistes encore constituées des penseurs matérialistes, annonciateurs d’une société plus égalitaire : d’Holbach, Meslier, Helvétius. Comme saisie de fringale, la presse communiste ne cesse de commémorer : après Voltaire, Chamfort, Bernis, Chénier (pourtant victime de la Révolution), Laplace, Beaumarchais, Rameau, Rousseau... Diderot devient une référence constante : matérialiste, réaliste et fondateur de la critique d’art, préfiguration du poète communiste Aragon. Car il est essentiel de démontrer en toutes circonstances la filiation. La référence au matérialisme des Lumières a pourtant ses limites, puisque le matérialisme dialectique lui est supérieur. Les Lumières ici exaltées servent surtout à prouver qu’elles conduisent à la Révolution. Toutes distances gardées, on tente de les modeler sur l’image que le parti communiste donne de lui-même : défenseur de la morale (d’où la condamnation de Sade), de la liberté et de la raison. Se constitue peu à peu un rituel des Lumières avec ses incantations, ses rapprochements et ses jugements inévitables. C’est un credo, éloigné des Lumières par essence critiques, sans tenir compte ici de la contradiction entre les mots et les pratiques, comme on allait l’apprendre à la mort de Staline en 1953. 92 TRIOMPHE DES LUMIERES ? Les philosophes dominent à l’Académie française. Leur discours sur la tolérance, la raison, le progrès est désormais dominant. Le pouvoir, rallié sur ce point aux idées philosophiques, réforme la justice et abolit la question utilisée pour déterminer l’innocence ou la culpabilité. Grâce à Malesherbes, on prépare un édit de tolérance pour faciliter le retour des familles protestantes émigrées depuis la révocation de l’édit de Nantes (1685). Les techniques et les idées nouvelles se diffusent. La presse périodique (plusieurs centaines de titres à la veille de la Révolution) est lue avec passion dans toute l’Europe. Par leurs informations, par l’intérêt porté à la vie intellectuelle, aux mœurs et aux techniques, tous ces journaux, fussent-ils opposés aux idées des philosophes comme Les Mémoires de Trévoux inspirés par les Jésuites, illustrent l’influence réelle des Lumières sur l’opinion. L’hommage public rendu à Voltaire, à son retour à Paris en 1778, qu’on salue comme le défenseur des Calas, la diffusion du rousseauisme dans les pratiques éducatives (les mères allaitent, libèrent le corps des nourrissons, refusent la mise en nourrice), les sensibilités nouvelles (exaltation des émotions, goût de la nature parfois caricatural quand on pense au Hameau de MarieAntoinette à Versailles), les mythologies de l’écrivain et de l’écriture (marginalité du créateur et vertus de l’écriture qui seule et mieux que le raisonnement parvient à la vérité, confusion entretenue depuis Jean-Jacques Rousseau entre la moralité de l’écrivain et sa possibilité d’accéder à la vérité, accent mis sur le moi et la subjectivité), tout cela fait croire à une unité et à un triomphe des Lumières. Leur vocabulaire est partout : dans les périodiques, les salons, les discours, quelle que soit parfois la cause défendue. Elles ont conquis l’Europe : des rois-philosophes gouvernent en Espagne, au Portugal, en Prusse, en Autriche et en Russie. On réforme, on entreprend. Avec le recul, le paysage philosophique du siècle s’unifie. On confond un peu vite les derniers combats des Philosophes avec un lent processus qui s’étend sur plus d’un siècle, du Dictionnaire critique de Pierre Bayle (1694) au tout début des années 1780. AU-DELA DES APPARENCES Ainsi perçues, les Lumières semblent constituer un bloc homogène. En réalité, que de différences ! Alors que l’opinion est largement rousseauiste et admire Voltaire, patriarche de Ferney, défenseur des Calas, Voltaire n’a pas épargné Jean-Jacques, et le clan philosophique tout entier n’a cessé de le persécuter. Rousseau, accusé de refuser le progrès, de douter de la raison, de dénoncer la vie sociale et même de prétendre aux vertus de l’émotion religieuse, est persécuté et par les autorités civiles et religieuses et par ses amis d’hier. Sous l’unanimité de surface, dans l’armée philosophique règne le désordre. Si tout le monde use des mots « raison », « bonheur », « Lumières », si, dans certains almanachs des années 80, les noms de Voltaire et de Rousseau remplacent avec les mots « raison » et « Lumières » les saints du calendrier, on demeure malgré tout en pleine ambiguïté. La décennie qui précède la Révolution est marquée, comme aurait dit Freud, par « le retour du refoulé ». Les romans sont volontiers fantastiques et font appel aux puissances infernales, à la magie noire ou blanche. L’irrationnel triomphe dans la fiction (Cazotte, Le Diable amoureux, 1772 ; et, plus tard, Ducray-Duminil, Victor ou l’enfant de la forêt, 1797, Potocki, Le Manuscrit trouvé à Saragosse, 1805), on fait un succès aux romans gothiques d’Ann Radcliffe comme L’Italien (1797). Le monde romanesque est régi par des forces obscures. On ne joue plus sur les sentiments du lecteur, on s’efforce de lui faire peur. On a oublié le goût pour les sciences exactes. On se presse autour du baquet magnétique de Mesmer qui prétend guérir par le fluide. Cagliostro, le charlatan, triomphe. Les aventuriers de tout poil battent le pavé de Paris. Les théories théosophiques sont à la mode. Claude de Saint-Martin, dit « Le philosophe inconnu », est devenu « Le mystique pour gens du monde ». Le bel optimisme des Lumières triomphantes est mis à mal. On éprouve des nostalgies sans fin pour un monde originel, aboli, comme le démontrent Court de Gébelin dans Le Monde primitif (1773-1782) et la condamnation de la culture et de la civilisation, au nom du primitivisme, que contient Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre (1788). Si l’optimisme historique formulé par Voltaire (Essai sur les mœurs, 1756) continue à être de mise – Condorcet ne rédige-t-il pas, sur le point d’être arrêté et exécuté, l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1794) ? –, l’époque doute et s’interroge sur le sens du monde, la réalité de la vertu, la possibilité de la morale, ainsi que le prouve la philosophie du marquis de Sade, qui exalte la violence et le règne des maîtres affranchis de toutes contraintes pour Lumiere et religion La révocation de l’édit de Nantes (1685) par Louis XIV a ravivé les querelles religieuses, et un grand nombre de protestants furent contraints à l’exil. Ceux qui restent se réunissent en secret pour célébrer leur culte. En 1724, Louis XV remet en vigueur une répression particulièrement féroce contre les assemblées clandestines : les femmes sont enfermées dans des couvents, les hommes condamnés aux galères et les pasteurs exécutés. Le catholicisme lui-même est déchiré par la question janséniste. La bulle Unigenitus (1713) condamnant le jansénisme est devenue loi d’État en 1730. Les jansénistes soutenus par une partie du clergé et des magistrats du Parlement s’opposent à la monarchie absolue, ce qui les rapprocherait des Lumières, mais, tout comme les jésuites, ils en condamnent l’esprit irréligieux ; ils attaquent ainsi les principes énoncés par Montesquieu dans l’Esprit des lois, et l’Encyclopédie. L’intolérance religieuse sévit sous couvert de sauver ceux qui sont dans l’erreur. Les philosophes dénoncent, derrière cette attitude hypocrite, les intérêts temporels et les pouvoirs exorbitants de l’Église. Pour acquérir la liberté de penser, l’esprit doit s’affranchir de la tutelle des autorités religieuses. Les philosophes sont plutôt déistes ; ce n’est pas tant la croyance en Dieu qui est combattue — bien qu’il existe un courant matérialiste et athée important représenté par Holbach et Helvétius — que le fanatisme dont les manifestations, comme celles des convulsionnaires du cimetière Saint-Médard, sont critiquées par les philosophes, (notamment Voltaire) : de 1727 à 1732, la tombe du diacre François de Pâris, janséniste, avait en effet été le lieu de rassemblement d’une foule en quête de guérisons miraculeuses et le siège de transes collectives. Après la fermeture du cimetière par ordonnance royale, les convulsionnaires continuèrent à se réunir dans la clandestinité pour revivre la Passion du Christ et s’infliger les supplices des martyrs. Chronologie des oeuvres marquantes hors de France jusqu’à la Révolution française 1687 Philosophiae naturalis principia mathematica, Newton. 1689-1690 Deux Traités sur le gouvernement ; Lettre sur la tolérance ; Essai sur l’entendement humain, John Locke. 1704 Nouveaux Essais sur l’entendement humain, Leibniz. 1726 Les Voyages de Gulliver, Jonathan 93 mieux satisfaire leurs caprices et leur quête du plaisir. LUMIERES ET REVOLUTION : LE GRAND MALENTENDU C’est dans ce contexte que survient la Révolution. Se cherchant des pères fondateurs, elle les trouvera chez les hommes des Lumières. Voltaire est le premier grand homme conduit au Panthéon (1791). On se réclame de Rousseau, autodidacte et marginal, obstiné à vivre de son travail de copiste, fuyant les honneurs de la cour et le service humiliant des grands. La fête révolutionnaire lui emprunte ses modèles et, dans les jeux de cartes, en compagnie de Voltaire, il remplace les rois honnis. La volonté générale, volonté du peuple souverain, qu’il a définie dans Le Contrat social (1762), est à la mode chez les partisans comme chez les adversaires de la Révolution. Dans la lutte contre les privilèges, on se souvient qu’il a montré le caractère illégitime de l’inégalité (Discours sur les fondements de l’inégalité entre les hommes, 1754). On fait aussi grand usage des théories de Montesquieu, baron de la Brède, de son analyse de la constitution anglaise et de la nécessaire séparation des pouvoirs (De l’esprit des lois, 1748). Robespierre emprunte aux philosophes déistes le culte de l’Être suprême. Mais, là encore, l’unanimité de surface est trompeuse. Robespierre n’aime guère les Encyclopédistes accusés, non sans raison, d’avoir persécuté le pauvre JeanJacques Rousseau et rejette l’athéisme d’un d’Holbach. Marat dénonce les prétentions aristocratiques de Montesquieu. Si l’on excepte Condorcet, et l’exception est de taille, pas un des philosophes encore vivants ne participe à la Révolution. Morellet se cache, l’abbé Raynal auteur de la célèbre Histoire des établissements des Européens dans les deux Indes (1770 et 1781), qui avait souffert les rigueurs de l’exil sous l’Ancien Régime, adresse en 1791 une lettre au président de l’Assemblée nationale pour dénoncer les violences de la Révolution. La Harpe, disciple de Voltaire, d’abord enthousiaste, au point d’arborer le bonnet phrygien, se désolidarise ensuite. Il échappera à la guillotine, se convertira au catholicisme et dénoncera avec violence les abus jacobins dans De la guerre déclarée par les derniers tyrans à la raison, à la morale, aux lettres et aux arts (1796) et Du fanatisme dans la langue révolutionnaire (1797). C’est dire la coupure qui existe entre les représentants des Lumières et cette révolution qui se réclame de leur philosophie. S’il est certain que la Révolution aurait effrayé les philosophes, il est tout aussi certain qu’ils n’auraient pas reconnu comme leur œuvre ces Lumières dont se réclame cette même Révolution. En 1789 commence le grand malentendu entre les Lumières et leurs postérités. La stabilisation du processus révolutionnaire marque une mise en sommeil de la référence aux Lumières. Elles sont pourtant dénoncées comme responsables des abus de la Révolution par La Harpe dans le Cours de littérature (Philosophie du XVIIIe siècle) et parfois même comme organisatrices d’un complot qui en serait à l’origine dans les Mémoires pour l’histoire du Jacobinisme (1797-1799) de l’abbé Barruel. La pensée contre-révolutionnaire est violemment et résolument hostile aux Lumières accusées de tous les maux passés, présents et à venir comme chez Louis de Bonald (1754-1840) et Joseph de Maistre (1753-1821). On continue pourtant à publier les grands textes de la philosophie : Voltaire, Montesquieu, Rousseau, mais aussi Raynal et Helvétius, lus dans les cercles néojacobins, nostalgiques de la Révolution et volontiers comploteurs. Le retour à la foi religieuse – la publication du Génie du christianisme de Chateaubriand date de 1802 –, le ralliement au Consulat et à l’Empire de la majorité du personnel révolutionnaire (Tallien, Talleyrand, Fouché, David) semblent marquer un total effacement des Lumières. ADHESION PUIS REJET SOUS L’EMPIRE ET LA RESTAURATION Apparence plus que réalité. Le mouvement philosophique se survit. Dans le cadre de l’Institut de France fondé en 1795 pour remplacer les académies supprimées par la Révolution, les Idéologues (Cabanis, Volney, Destutt de Tracy) continuent l’œuvre de réflexion entreprise par leurs aînés. Grâce à eux, l’anthropologie, l’ethnologie, émergentes avec les Lumières, deviennent des sciences. À bien des égards, l’œuvre administrative entreprise par Napoléon, le code civil représentent l’accomplissement des Lumières. La mise en place d’un droit valable pour tous et partout répond aux vœux qu’après le Traité des délits et des peines de Beccaria (1764) Voltaire lui-même avait formulés. Le système éducatif napoléonien poursuit l’œuvre révolutionnaire, liée elle-même aux projets pédagogiques des Lumières. Au-delà de ses aspects guerriers, l’Empire n’est pas sans évoquer l’absolutisme éclairé russe, prussien ou autrichien qui fascinait tant les Philosophes. On peut l’interpréter comme un pouvoir fort, imposant des réformes rationnelles et nécessaires, souvent rendues impossibles par le débat Swift. 1748-1749 Essais moraux, David Hume. 1758 De l’esprit, Helvétius. 1764 Des délits et des peines, Cesare Beccaria. 1770 Système de la nature, baron d’Holbach. 1776 Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, Adam Smith. Déclaration d’indépendance des États-Unis, Thomas Jefferson. 1779 Nathan le Sage, Lessing. 1781 Critique de la raison pure, Kant. 1786-1787 Les Noces de Figaro ; Don Giovanni, Mozart. David Hume (1713-1776) "Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à une égratignure de mon doigt." Historien et philosophe empiriste, l'Écossais David Hume a été un ferme défenseur de la tolérance et de la liberté de pensée. L'Histoire naturelle de la religion est une histoire des origines et du développement du sentiment religieux. Contrairement au discours qui domine son époque, Hume pense que la forme première de la religion est le polythéisme et non le monothéisme, dont il déteste l'intolérance et le dogmatisme, et il fait résulter la foi des impressions qu'inspire l'expérience. Ce sceptique s'oppose ainsi à la tradition mais aussi à un rationalisme exagéré dans son "désir excessif de rechercher des causes". Gothold Ephraim Lessing (1729-1781) "Si Dieu tenait dans sa main droite toute la vérité, et dans sa gauche, la seule quête inlassable de la vérité, et me disait : "Choisis !", je me précipiterais humblement vers sa gauche et dirais : "Père, donne ! Car la vérité pure est pour toi seul !" " Écrivain allemand, auteur d'essais (Laokoon, Dramaturgie de Hambourg) et de pièces de théâtre (Nathan le Sage). Pour une totale liberté créatrice Dans le domaine de l'esthétique, Lessing rompt avec le classicisme académique en distinguant les arts plastiques ou visuels des arts littéraires : pour figurer la beauté, les premiers déploient leurs signes dans l'espace tandis que les seconds utilisent la dimension temporelle. Cette idée originale de frontière différenciant peinture et poésie apparaît déjà dans sa correspondance avec Mendelssohn dès 1755. Dans l'essai qu'il consacre au chefd'œuvre de la statuaire antique Laokoon (1766), Lessing va encore plus loin en évacuant de l'œuvre d'art ce qui excède l'idéal esthétique, revendiquant pour l'artiste une totale liberté créatrice, loin des contraintes didactiques ou fonctionnelles des commandes religieuses par exemple. Portrait de Benjamin Franklin Un message de tolérance religieuse Avec ses comédies et tragédies bourgeoises, 94 démocratique, contre les pesanteurs et les archaïsmes sociaux. Louis XVIII et Charles X sont violemment hostiles aux Lumières. Ils les accusent d’avoir été les fourriers de la Révolution, dont ils ont souffert et qui les a contraints à l’exil et à l’errance. Malgré la Charte qui joue le rôle de constitution, la politique tend à restreindre les libertés publiques. Durant la Terreur blanche, juste après la chute de Napoléon, alors que les Bourbons rentrent en France, les éléments royalistes les plus intransigeants (« ceux qui n’ont rien appris et rien oublié ») font la chasse à ceux que l’on soupçonne de sympathie pour la Philosophie. Du côté républicain ou bonapartiste, faute de pouvoir exalter la République ou l’Empire déchu, on se rabat sur les Lumières, qui incarnent la liberté de penser, l’esprit critique, la foi en l’homme et en sa raison, la lutte pour la tolérance. Dans le cadre de l’Institut, les héritiers des Philosophes comme Damiron se font les défenseurs de la Philosophie. L’anticléricalisme voltairien rallie les républicains hostiles à l’ordre noir des cléricaux. On cherche chez Montesquieu, alors très lu, les moyens de fonder une monarchie constitutionnelle. Les sociétés secrètes, francs-maçons et carbonari, utilisent la littérature du XVIIIe siècle comme base de leur réflexion. Les esprits les plus libres – pensons à Stendhal – relisent libertins et philosophes en réaction contre le conformisme ambiant. L’œuvre de Sade, officiellement condamnée, est lue dans le secret par Balzac, à qui elle inspire le cynisme de Vautrin (Le Père Goriot, Les Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes), et même par Lamartine (elle influence La Chute d’un ange, 1838). Malgré les saisies de la police, de nombreuses éditions de textes philosophiques interdits circulent sous le manteau. Ce cheminement secret se révélera lors des événements révolutionnaires de 1848. L’EMPEREUR-PHILOSOPHE ET LES REPUBLICAINS DES LUMIERES Oublions un instant le coup d’État, les attaques de Victor Hugo contre Napoléon le petit, la censure, l’autoritarisme du pouvoir. Par sa politique de grands travaux, le rôle dévolu à l’enseignement, le paternalisme envers les associations ouvrières (le gouvernement finance le voyage de la délégation française au congrès de l’Internationale ouvrière à Londres), les encouragements apportés aux Lettres, par le biais de la princesse Mathilde (elle reçoit Flaubert, George Sand, les frères Goncourt, Sainte-Beuve...) et aux Arts par les commandes d’État, la politique de Napoléon III se rapproche, comme celle de son oncle, de l’absolutisme éclairé. Pour la première fois peut-être, l’économisme des Lumières, ce goût de Voltaire pour l’activité commerciale, a trouvé sa traduction historique. Le voltairianisme, réduit à quelques formules anticléricales et à un positivisme un peu court, devient le mode de pensée de la petite bourgeoisie, dont Homais dans Madame Bovary est une caricature significative. Souterraine, l’influence des Lumières s’exprime aussi bien dans le style des attaques de l’opposition contre l’Empire (Henri de Rochefort, Victor Hugo, Jules Vallès) que dans la pratique du pouvoir. La Commune (1871) n’y fera guère référence. De nouveaux modèles s’offrent à elle, et son refus des valeurs bourgeoises l’en éloigne. L’avènement de la République, après la défaite de la Commune, marque le triomphe des Lumières. Dans le camp républicain, elles représentent l’idéologie officielle. C’est à elles qu’on se réfère pour légitimer la constitution, le droit de vote, les libertés publiques, la laïcité, les lois scolaires. En 1878, la municipalité de Paris commémore officiellement et avec éclat le premier centenaire de la mort de Voltaire. Les Lumières occupent à nouveau le devant de la scène. Du côté des loges maçonniques, on aime Voltaire au point de vouloir lui consacrer rues et boulevards. À l’incitation de nombreux conseils municipaux radicaux, on inaugure des rues « consacrées » au chevalier de La Barre, situées en général près de la cathédrale (à Paris près du Sacré-Cœur). À droite, on continue à dénoncer en Voltaire le prussien, le courtisan, et on reprend le procès des Lumières responsables de la Révolution, de la Commune, de la dégradation des mœurs, de l’état d’avilissement moral et physique du prolétariat. L’extrême gauche socialiste, à l’exemple de l’Histoire de la Révolution du républicain de 1848 Louis Blanc, se déclare paradoxalement hostile aux Lumières. Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, affirme que les communistes n’ont rien en commun avec des philosophes analysés comme des idéologues de la bourgeoisie. Et pourtant, c’est bien aux valeurs de justice, de vérité, de tolérance des Lumières que les défenseurs du capitaine Dreyfus, accusé injustement de trahison, dégradé et condamné à la déportation, se réfèrent (voir TDC « L’affaire Dreyfus », n° 676 du 15 mai 1994). Zola s’inspire des textes de Voltaire consacrés aux Calas pour écrire son célèbre J’accuse en faveur de Dreyfus. La droite nationaliste dénonce le cosmopolitisme des Lumières et, lors de Lessing a été le premier grand dramaturge allemand. Incarnation de l'esprit critique, il décide, pour faire suite aux polémiques qu'il a eues avec un intolérant pasteur hambourgeois, de délivrer un message de tolérance et un appel à faire le bien avec sa dernière pièce, Nathan der Weise (1779), où la sagesse s'incarne dans le personnage du juif Nathan, figure que lui inspire son ami Moses Mendelssohn. La pièce est devenue depuis un grand classique du théâtre allemand. Emmanuel Kant (1724-1804) "Agis de telle sorte que tu traites l'humanité toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen." Philosophe allemand. Sa philosophie, le criticisme, renouvelle la théorie de la connaissance (Critique de la raison pure), de la morale (Métaphysique des mœurs), de l'expérience esthétique (Critique de la faculté de juger). "Qu'est-ce que les Lumières ?" À cette question, la réponse fameuse de Kant définit autant une ambition qu'elle résume les efforts déjà accomplis dans le siècle pour y répondre. Kant caractérise le mouvement des Lumières comme l'émancipation de la personne humaine par la connaissance, comme l'acquisition par l'homme de son autonomie intellectuelle – une rupture avec l'autorité des traditions : oser penser par soi-même et se libérer des vérités imposées de l'extérieur qui maintiennent l'humanité en tutelle. Il s'agit d'une dynamique, une "marche", dirait Kant. Cette idée de cheminement vers la clarté ou la lumière présente dans le terme utilisé en Allemagne, Aufklärung, n'apparaît pas dans le terme français, Lumières, qui vient plutôt jeter de l'ombre sur la lumière illuminatrice de la grâce divine. Des usages publics et privés de la raison Cette pratique de l'esprit critique corrélative de l'émancipation de l'individu, Kant la situe dans la société : la diffusion des Lumières requiert la liberté "de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines". En distinguant un usage public de la raison d'un usage privé, il pose aussi la question de l'émancipation de la société tout entière, ce qui souligne le travail de sape de la structure organiciste de la société de son temps par l'individualisme. L'usage privé de la raison, Kant l'explicite en prenant l'exemple du fonctionnaire qui, investi de sa charge, ne parle qu'au nom d'une communauté, si importante soit-elle, et non de l'universel. La communauté à laquelle renvoie l'usage public de la raison est une communauté de débat, entre des hommes égaux en droits, qui pensent par eux-mêmes et communiquent avec les autres, leurs semblables. Ce ne sont pas les membres d'un 95 l’inauguration, en 1912, de la statue de Jean-Jacques Rousseau place du Panthéon à Paris, le député nationaliste et écrivain Maurice Barrès interpelle le gouvernement pour dénoncer la reconnaissance officielle apportée à un fauteur d’anarchie. Mais c’est pourtant à Voltaire que pensent Tristan Tzara et ses amis dadaïstes, joyeux iconoclastes, peu respectueux de la littérature et des valeurs bourgeoises, quand, à Zurich, ils inaugurent en pleine guerre le Cabaret Voltaire. Et l’on sait que les pacifistes regroupés durant le conflit en Suisse rendront hommage aux projets de paix de l’abbé de Saint-Pierre (1658-1743) et à la dénonciation voltairienne de l’esprit de conquête. On ne s’étonnera pas outre mesure de ces visages contrastés de Voltaire, mis en même temps au service de l’ordre républicain et de l’anarchisme dadaïste. Dans l’enseignement républicain, les Lumières nourrissent la morale laïque (voir TDC « La laïcité », n° 703 du 1er novembre 1995), puis vont servir à légitimer la séparation de l’Église et de l’État, dont Pierre Bayle (1647-1706) et Voltaire s’étaient faits, en leur temps déjà, les défenseurs. Les Lumières sont alors pour l’essentiel réduites à leur plus petit commun dénominateur : un peu de Voltaire anticlérical et croyant au progrès historique, beaucoup de vertu et un brin de sensibilité. Une foi sans limites dans l’éducation, dans la démocratie, la méritocratie, une certaine dignité attribuée à la culture. Par souci de morale et de bienséance, on se garde bien de présenter des Lumières leur face d’ombre et leur radicalisme philosophique ou moral. Ni les matérialistes, comme d’Holbach, Meslier, La Mettrie ou même Diderot réfléchissant sur la matière n’ont droit de cité. Sade est relégué dans l’Enfer des bibliothèques, malgré la défense qu’en présente à la veille de la guerre de 1914 le poète Guillaume Apollinaire (18801918). On affadit Rousseau ou on livre son œuvre à la psychiatrie naissante. On aime les Lumières parce qu’elles marquent le triomphe des intellectuels, la possibilité d’agir sur les hommes et les événements comme le prouve, pense-t-on, la Révolution. Chaque instituteur en blouse grise se sent l’héritier des Lumières, le continuateur de leur œuvre, investi de la mission de veiller à leur accomplissement par la diffusion du savoir. La Belle Époque, qui ne le fut pas pour tous – la misère ouvrière est encore très grande et les attentats anarchistes ensanglantent la fin de siècle – croit retrouver parfois la douceur de vivre du XVIIIe siècle. UN SYSTEME DE VALEURS SOUMIS AUX SOUBRESAUTS DE L’HISTOIRE Les millions de morts de la Grande Guerre ont mis à mal le bel optimisme hérité des Lumières. Peut-on, au retour des tranchées, croire encore à la vertu naturelle de l’homme, à la pédagogie, au progrès continu des mœurs, ou même à la raison humaine ? Allant plus loin, certains commencent à les rendre responsables du désastre général : dans l’Italie préfasciste, l’Allemagne ruinée par la guerre, libéraux et hommes de gauche, intellectuels critiques sont dénoncés puis pourchassés. La droite nationaliste en France, par la plume de Charles Maurras et de Léon Daudet, dénonce les Lumières négatrices et cosmopolites. Voltaire n’a plus guère d’admirateurs. L’époque qui s’interroge lui préfère Jean-Jacques Rousseau. Les surréalistes exaltent l’œuvre du marquis de Sade dont, après Guillaume Apollinaire, ils font un esprit souverainement libre. Dans Le Clavecin de Diderot (1932), René Crevel s’enthousiasme pour ce philosophe arraché au discours universitaire et rendu à son imagination intuitive et à sa pensée radicalement novatrice. Les communistes, réconciliés avec la culture du passé au point de n’en plus faire table rase, consacrent aux philosophes du XVIIIe siècle de nombreuses études dans Commune ou Monde. Dans les manifestations du Front populaire, sur les pancartes brandies, les noms de Diderot, de Voltaire et de Rousseau voisinent avec ceux de Marx et de Lénine. En URSS, on le commente et on l’analyse. Parfois non sans risques, le livre de I.K. Luppol, consacré à Diderot et publié en 1924, puis 1934, lui vaut d’être condamné lors d’un des tristement célèbres procès de Moscou en 1936-1937. DE LA DEFAITE A AUJOURD’HUI L’Histoire semble se répéter. Après la défaite de 1940, les Lumières sont mises à nouveau en accusation. Si l’on excepte Voltaire rameuté au service de la propagande antisémite et Rousseau à qui on fait prêcher le retour à la terre, la Collaboration les condamne. Seule exception, d’Holbach, que son nom allemand préserve des rigueurs de la censure des autorités d’occupation. Ainsi, pendant la guerre, peut se publier sans encombre l’ouvrage P. Thiry d’Holbach et la philosophie scientifique au XVIIIe siècle, du surréaliste et marxiste Pierre Naville. On rend les philosophes responsables de la défaite. Pour les Résistants, club ou d'une confrérie, d'un café ou d'un parti, qui sont toujours des "réunions de famille" et donc particulières, mais des lecteurs puisque l'écrit reste le vecteur privilégié de la communication. Avec ce public de lecteurs éclairés, qui exercent leur esprit critique d'abord dans l'intimité sécularisée et silencieuse d'un espace de lecture autonomisé des hiérarchies avant de le constituer en espace public par l'échange et la confrontation, Kant souligne que les Lumières sont un mouvement, un effort à accomplir génération après génération. Il entérine des pratiques des Lumières qui ont transformé le visage de la société du siècle : l'essor de l'écriture et de la lecture, le débridement de la liberté d'expression, la multiplication des formes de l'imprimé et de la sociabilité, la croissance des circulations et des communications, la naissance de l'opinion publique. Critique de la faculté de juger Avec la Critique de la faculté de juger (1790), Kant intègre à sa réflexion l'irrationnel en tant que tel : quelles que soient la diversité et l'irréductibilité d'aspects du réel, la singularité des individus ou l'originalité des œuvres d'art, il est possible de les penser sans éclipser la raison. Refusant de réduire le réel à un tout rationnel, Kant trouve dans l'esthétique le terrain idéal pour résoudre la question de la subjectivité et de l'intersubjectivité puisque avec le jugement de goût on attribue à son sentiment particulier une valeur universelle. Pour Kant, toujours à la recherche de l'accord de la liberté et de l'ordre, il s'agit de penser par soi-même en se mettant à la place de tout autre. Giambattista Vico (1668-1744) "Il est impossible à l'homme d'être à la fois poète et métaphysicien sublime : alors que la métaphysique s'élève aux idées universelles, la faculté poétique s'attache aux cas particuliers." Pour l'historien et philosophe italien Giambattista Vico, l'histoire procède du questionnement plutôt que de l'observation. C'est une "science nouvelle" qui se déploie à travers trois âges (l'âge des brutes, l'âge des héros et celui des savants), selon un rythme propre à chaque nation, sans finalité obligée désignée à l'avance. Domaine de l'instable, l'histoire peut balbutier, "se recourber" sur elle-même, comme le montre l'exemple athénien. Chaque époque, chaque société, chaque culture, possède sa cohérence et doit être jugée à l'aune de ses propres critères. La connaissance des cultures ne suit pas les mêmes chemins que celle de la nature : "Les hommes peuvent connaître le monde civil des nations parce qu'ils l'ont fait." Vico considère la poésie, celle d'Homère notamment, comme un mode de connaissance approprié aux sociétés anciennes. 96 au contraire, les Lumières incarnent des valeurs que bafouent le nazisme et l’État français. En appeler à Rousseau, à Voltaire, à Diderot, c’est en appeler à la France éternelle et aux valeurs de liberté. On imite Voltaire pour se moquer de la Collaboration et des Allemands. On cite volontiers Rousseau qui affirmait que « l’homme libre est partout dans les fers ». Les Lumières sont résolument du côté du maquis et de l’Homme. Elles inspirent non seulement la haine de la barbarie, mais aussi les principes de la société que l’on se propose de construire dans la France libérée. On reparle de la séparation des pouvoirs, de la tolérance, du refus de la torture, du droit au bonheur, de la dignité humaine. Pourtant, au retour des déportés, des intellectuels comme Raymond Queneau (1903-1976) s’interrogent sur l’intérêt troublant porté à la face sombre des Lumières, et plus particulièrement à Sade. Lors du deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de Voltaire, Valéry médite sur l’impuissance des intellectuels à s’opposer à la barbarie nazie. Qu’on est loin alors du militantisme heureux de Voltaire ! Mais ces doutes sont bien vite effacés. Sartre, intellectuel engagé, se réclame de Voltaire et les Lumières sont l’objet de vives disputes entre ceux qui se prétendent leurs héritiers : les libéraux, démocrates, ou les communistes qui se posent en philosophes des temps nouveaux. À en croire ces derniers, les idéaux des Lumières se seraient incarnés dans la « patrie du socialisme ». Les démocraties bourgeoises les auraient trahis. À tel point que les communistes se font dès lors les propagandistes forcenés des Lumières. Généralement référence de gauche, les Lumières, posées comme une archéologie du progressisme, comme elles ont justifié avec Jules Ferry au nom du progrès la colonisation, serviront aussi à légitimer les engagements d’une génération contre les guerres coloniales et l’affirmation répétée de la laïcité. 1968 n’en appelle pas aux Lumières, si ce n’est à Jean Meslier (1664-1729), prêtre, athée et communiste, qui fournira quelques slogans aux murs de la Sorbonne. Le bicentenaire de la mort de Voltaire et de Rousseau en 1978, occasion d’une rencontre internationale de chercheurs, est dépourvu d’enjeux politiques. La disparition des régimes communistes dépolitise un peu plus encore la référence aux Lumières, malgré la montée de l’intolérance. Et pourtant, au-delà des références vagues et inévitables des hommes politiques, les Lumières, largement reconstruites et triées, servent encore de modèles à des engagements au service des grandes causes : la faim, l’éducation, la culture, la santé, la paix et, bien sûr, la tolérance. Johann Wolfgang Goethe (1749-1832) "La nature semble agir pour elle-même, l'artiste agit en tant qu'homme, pour le bien des hommes." Écrivain allemand, Goethe commence son activité au siècle des Lumières. Auteur de poèmes, romans (Werther), drames et souvenirs, il fonde la littérature allemande moderne et promeut en même temps l'ouverture à l'universel. Du génie gothique Quand Goethe séjourne en Alsace en 17701771 pour finir ses études de droit, il a vingt et un ans. Le 2 avril 1770, il arrive à Strasbourg, découvre la cathédrale gothique et reste subjugué. Il la visite inlassablement. Elle est pour lui l'incarnation du génie germanique et devient sa muse pour le traité De l'architecture allemande (1773), hymne à la gloire d'un des artisans de sa construction, Erwin von Steinbach, et sorte de manifeste du mouvement littéraire préromantique allemand Sturm und Drang. Dans son texte, Goethe exalte l'art gothique, dont les Allemands doivent être fiers : cette architecture, un art véritable, leur est propre et ils n'ont pas à se soumettre à des idéaux imposés de l'extérieur. Au beau objectif, éternel et intemporel, il oppose la subjectivité ; avant d'être beau, l'art est déjà créateur : L'art caractéristique est le seul art véritable […]. Peu importe qu'il soit né d'une âpre sauvagerie ou d'une sensibilité cultivée." Benjamin Franklin (1706-1790) "Le culte le plus agréable à Dieu est de faire du bien aux hommes." Homme politique et savant américain, auteur de nombreux pamphlets et de Mémoires. Ami des philosophes anglais et français, auteur d'expériences sur l'électricité, Franklin constitue le trait d'union vivant entre révolution américaine et révolution française. Portrait de Benjamin Franklin "La personnification des Lumières américaines" Quinzième fils d'une famille de dix-sept enfants dont le père est un modeste artisan, fabricant de chandelles et de savons, Franklin, pour des raisons propres au dynamisme de la société coloniale américaine, réussit à devenir imprimeur, puis directeur de journaux et d'almanachs, investisseur, banquier, ministre des Postes, représentant de la colonie de Pennsylvanie auprès du gouvernement anglais, élu du parlement de Pennsylvanie, délégué du Congrès continental auprès de la cour de Versailles où il négocie l'achat d'armes, l'octroi de subventions et la signature d'un traité d'alliance avec la France de Louis XVI. Suffisamment riche pour prendre sa retraite à quarante-deux ans, le simple commoner, l'ancien apprenti imprimeur, est enfin devenu un gentleman disposant de loisirs suffisants pour parfaire sa culture d'autodidacte et se livrer à des expériences scientifiques sur l'électricité qui allaient faire de lui un savant parmi les plus grands. C'est pourquoi Franklin incarne si bien les Lumières américaines. D'abord parce qu'il démontre qu'un apprenti peut s'élever par le simple usage de sa raison, en se livrant à la lecture des plus grandes œuvres de l'époque. Ensuite parce qu'il contribue, par ses activités d'imprimeur et de journaliste, à diffuser les Lumières européennes aux États-Unis. Enfin parce qu'il obtient la reconnaissance nécessaire à la diffusion de ses propres idées en accédant à des loges maçonniques et à des sociétés de pensée. Il est ainsi membre de la plus ancienne des loges maçonniques américaines, la loge Saint-John, avant d'en devenir maître, Adam Smith (1723-1790) "Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais de leur souci de leur intérêt propre. " Philosophe et économiste écossais, Adam Smith met à jour la valeur du travail et défend la libre circulation des biens. Fondateur de l'économie comme domaine spécifique, auteur de la Théorie des sentiments moraux, Adam Smith appartient fondamentalement aux Lumières – écossaises d'abord, car ce sont les réflexions de Hume et Hutcheson sur la morale qui lui permettent de penser le monde des passions comme celui des intérêts et de concilier les intérêts particuliers avec l'intérêt de la société. Partant du désir qu'a chacun d'améliorer sa condition, il légitime la recherche du profit individuel : la liberté laissée à chacun de poursuivre son intérêt particulier favorise le progrès matériel de l'ensemble de la société. Adam Smith inaugure donc le libéralisme économique en l'inscrivant dans l'esprit des Lumières : les lois économiques, purement humaines, qu'il met en évidence, ont pour but la recherche du bonheur, individuel mais aussi collectif. Il souligne ainsi que, l'esprit commercial entraînant un rétrécissement des intelligences, 97 puis grand-maître de toutes les loges de la Pennsylvanie. En France, il est accueilli en 1777 dans la loge des Neuf Sœurs, l'une des plus renommées, dont il deviendra grand-maître. Admis à la Royal Society de Londres en 1756 à cause de la qualité de ses travaux scientifiques, Franklin est reçu en 1778 à l'Académie des sciences, où il est invité à participer à une séance mémorable le réunissant à Voltaire, qu'il embrasse publiquement, donnant ainsi l'impression, selon un témoin de l'époque, "d'un Solon embrassant un Sophocle" ! Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : il convient à la nation d'y remédier en ne négligeant pas l'instruction. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 98 HM – Voltaire Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : 2006, année Voltaire en France Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : René Pomeau, La Religion de Voltaire, Paris, Colin, 1956 (2e éd. 1969) René Pomeau, Politique de Voltaire, Paris, Colin, 1963 (3eéd. 1994) René Pomeau (dir.), Voltaire en son temps, Paris, Fayard, 1995 (2 vol.) Pierre Milza, Voltaire, Perrin, 2007 Pierre Lepape, Voltaire le conquérant : naissance des intellectuels au siècle des Lumières, Paris, Seuil, 1997 GOLDZING Jean, Voltaire, La légende de Saint Arouet, Découvertes Gallimard, 1989. Jean Goulemot, André Magnan, Didier Masseau (dir.), Inventaire Voltaire, Paris, Gallimard, 1995 (coll. "Quarto") Guy Chaussinand-Nogaret, Voltaire et le siècle des Lumières, Bruxelles, Éditions Complexe, 1994 Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Voltaire, intellectuel moderne Pierre Milza consacre une biographie somptueuse à l'exilé de Ferney. C'est son engagement permanent dans les débats de son temps qui fait de Voltaire un phare. Avec Mahomet, charge frontale contre la religion musulmane, du moins en apparence, Voltaire - dont l'historien Pierre Milza signe une nouvelle et palpitante biographie intitulée sobrement Voltaire - a rencontré un succès particulièrement retentissant dès la première représentation de la pièce. C'était, bien sûr, l'Eglise catholique et le fanatisme qui étaient les premiers visés par l'écrivain. Voltaire s'est d'ailleurs immédiatement retrouvé dans la ligne de tir des dévots, qui ne s'y sont pas trompés. Il a aussi été attaqué en justice pour impiété et scélératesse. Et il a dû retirer sa pièce. Quand on prétend comme Voltaire devenir académicien, cela fait un peu désordre dans le paysage de l'époque, monarchique de droit divin. Pour laver la tache, il invente un stratagème à la fois grotesque et magnifiquement audacieux: grâce à des intermédiaires, il s'adresse directement au pape Benoît XIV pour qu'il approuve son Mahomet, qui, écrit-il, était bien dirigé contre les musulmans. Pour faire bonne mesure, il lui demande qu'il le reconnaisse comme «sujet très chrétien du roi de France». Pas dupe, le Saint-Père le félicite pour une autre oeuvre qu'il lui avait transmise: le Poème de Fontenoy. Qu'à cela ne tienne: l'écrivain falsifie le document pour y faire figurer Mahomet et c'est muni de ce faux qu'il fait sa campagne pour son élection à l'Académie! Cette succession de rebondissements révèle une partie des défauts et qualités de François-Marie Arouet: la ruse, la flagornerie, la rouerie, l'hypocrisie, mais aussi l'intelligence politique, l'audace, le réalisme, le courage. Pour Voltaire, qui a été à l'école des jésuites, la fin justifie l'utilisation de certains moyens contestables, dans ce cas pour satisfaire son orgueil. Mais ses ruses, il les mettra aussi au service des persécutés, au détriment de sa tranquillité, voire de sa liberté. Il a été courtisan. Mais pouvait-il en être autrement, si l'on veut apporter des idées neuves dans des régimes ne tolérant guère la liberté de pensée? Voltaire aurait-il pu être Voltaire sans la protection d'amis puissants? C'était, avec son immense popularité, un bouclier contre ses nombreux ennemis. C'était une couverture sous laquelle il a pu saper les fondements de l'Eglise et de la monarchie de droit divin, préparant, sans doute plus qu'aucun autre penseur des Lumières, l'avènement de la République, même si Voltaire n'a jamais appelé de ses voeux la démocratie. Il a surtout, sous l'influence anglo-saxonne, professé un libéralisme en toutes matières. La biographie de Pierre Milza est exemplaire. Par son contenu Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4e actuel : « La remise en cause de l’absolutisme (3 à 4 heures) Il s’agit, sans étudier les événements des révolutions anglaises du XVIIe siècle et de la Révolution américaine, de montrer que l’existence de régimes tels que la monarchie limitée en Angleterre et la république américaine et des aspirations politiques liées à la philosophie des Lumières mettent en cause les principes de la monarchie absolue. D’autres modèles politiques sont ainsi proposés à une société française en crise. • Repères chronologiques : Déclaration des Droits (1689) ; l’Encyclopédie (milieu du XVIIIe siècle). • Documents : préambule de la Déclaration d’indépendance des États-Unis ; extraits de philosophes du XVIIIe siècle (Montesquieu, Voltaire, Rousseau). » BO 4e futur : « L’Europe des Lumières. Au XVIIIe siècle, les philosophes et les savants mettent en cause les fondements religieux, politiques, économiques et sociaux de la société d’ordres. La France est au centre de cette étude qui est menée à partir de la vie et de l’oeuvre d’un philosophe des Lumières ou d’un savant au choix. Connaître et utiliser le repère suivant - L’Encyclopédie, milieu du XVIIIe siècle Raconter quelques épisodes de la vie du philosophe ou du savant étudié, et expliquer en quoi ils sont révélateurs du siècle des Lumières. 99 historique, mais aussi par sa dramaturgie et la limpidité de la langue. Il faut dire que l'auteur, qui est un spécialisted'histoire contemporaine, n'en est pas à son coup d'essai. Il a déjà signé un Mussolini et un Napoléon III. Que retenir de Voltaire en 2007? Pierre Milza rappelle que son oeuvre théâtrale, sa poésie et ses traités philosophiques n'ont pas passé à la postérité. Il n'en va pas de même des contes - surtout Candide et Zadig - et d'une partie de sa correspondance - où s'exprime la force vitale et la passion politique. Somme toute, ce n'est pas beaucoup pour une si longue carrière. Que lui vaut donc sa renommée intacte? Pour le biographe, son retour triomphal à Paris à la fin de sa vie donne la clef: «De son vivant déjà, un transfert a commencé à s'opérer dans l'image que les Français se font de leur grand homme. Sur la route qui le conduit de Ferney à Paris, puis dans les rues de la capitale [...], les vivats de la foule parisienne vont moins à l'écrivain célèbre qu'au défenseur des droits de l'homme et à l'«ami de l'humanité». C'est le symbole des Lumières que l'on salue.» Pour Milza, Voltaire a fondamentalement été un «intellectuel» tel qu'on l'entend aujourd'hui, quelqu'un qui fait usage des talents qui lui ont été donnés pour enrichir les débats de son temps. Et ce qui est merveilleux chez l'homme de Ferney, c'est qu' il est toujours parmi nous, que son oeuvre apporte toujours des contributions aux débats contemporains, notamment face à la montée de l'intolérance et du fanatisme. Voltaire en pleine lumière Un professeur de la Sorbonne révèle : pour écrire les portraits de Candide, Pangloss et Cunégonde, le philosophe (auquel deux essais sont aujourd’hui consacrés) s’est inspiré de personnages réels et pittoresques, rencontrés en Allemagne. « Je combattrai toujours vos idées ; mais je me ferais tuer pour que vous ayez le droit de les exprimer. » On connaît le mot attribué à Voltaire. Depuis l’affaire Calas, le patriarche de Ferney est vénéré comme le symbole même, avec Zola, du triomphe de la vérité et de la justice. Dès qu’une tentative pour bâillonner la liberté d’expression se fait jour (comme récemment l’interdiction des caricatures de Mahomet), on réveille ses mânes. Son nom sert de symbole, parfois même de culte. Comme le remarquait Thomas Carlyle, « les Français, par ailleurs si sceptiques, croient en leur Voltaire ». Dès lors, l’exercice est périlleux pour l’historien, surtout quand il se fait biographe, de nous dévoiler celui dont la vie finit par disparaître derrière la légende. Qui était vraiment M. de Voltaire ? Deux biographies récentes viennent briser ce silence. Pour intéressantes qu’elles soient, aucune n’évite cet écueil que Tocqueville évoquait déjà à propos de la Révolution française : on ne peut bien la comprendre si on la méprise ou si on l’idolâtre. La première est l’oeuvre d’un grand spécialiste de l’Italie et du fascisme, historien reconnu de l’époque contemporaine. Cette fois-ci, il pousse un peu plus loin la machine à remonter le temps et propose une biographie documentée et abondante de Voltaire. La facture est classique (on prend Voltaire du biberon jusqu’à sa panthéonisation), le style agréable et l’inspiration honnête. L’auteur a raison de préciser que le message de Voltaire reste plus que jamais d’actualité (cf. Salman Rushdie). Est-ce pour cette raison que l’historien semble comme effrayé par son sujet ? Il ne cache pas certaines « contradictions et faiblesses de l’homme», mais lorsqu’il ouvre une trappe qui pourrait se révéler nauséeuse, il s’empresse de la refermer. Son Voltaire rassure. À une époque où l’historiographie se plaît tant à revenir sur nos mythes (colonisation, esclavage, traîte triangulaire, etc.), faut-il laisser Voltaire à l’extérieur de cette revisitation de l’histoire ? Pour les adeptes de la « transparence » sans obstacle, l’autre biographie, celle de Xavier Martin, est là pour nous en offrir jusqu’à plus soif. M. Martin est l’opposé de M. Milza. Professeur d’histoire du droit, c’est un de nos meilleurs spécialistes des idées du XVIIIe siècle sur lequel il a écrit depuis longtemps de très puissants ouvrages. Il n’a pas les honneurs médiatiques car il a un tort au pays de la tolérance affichée : il n’aime pas le siècle des Lumières. C’est une faute impardonnable. Il le connaît trop bien pour ignorer ce qui en fait toute la « modernité », le sectarisme que cache le grand discours sur la tolérance, les poses et les mots d’ordre de ces « philosophes » à la solde du grand homme. Peut-être à force de traquer les faux-semblants de ce siècle raffiné et venimeux, Martin finitil par perdre de vue la force de son message ? Un ignoble pamphlet contre Rousseau Mais, après tout, il est historien, pas philosophe. Son Voltaire méconnu fascinera tous ceux qui sont avides de découvrir des détails nouveaux. Un exemple tiré de Accompagnement 4e : « Aborder en trois ou quatre heures l’étude de la remise en cause de l’absolutisme suppose de s’en tenir à quelques idées essentielles, en s’appuyant sur les exemples de l’Angleterre et des ÉtatsUnis et sur l’analyse de la philosophie des Lumières sans pour autant conduire un récit événementiel. L’analyse d’extraits de textes des philosophes du XVIIIe ou de planches de l’Encyclopédie aide à cerner quelques idées fondamentales développées par la philosophie des Lumières. On peut partir des philosophes (la pensée politique de Montesquieu, l’esprit critique de Voltaire, le contrat social de Rousseau) ou mettre en évidence quelques notions fondamentales et nouvelles (liberté, égalité, nature, tolérance, etc.). Ces idées qui remettent en cause les principes de l’absolutisme sont celles d’une minorité cultivée. Elles rencontrent en 1789 une conjonction de mécontentements qui s’expriment dans la réunion des États généraux et débouchent sur une révolution. L’état de la France à la veille de la Révolution se lit dans les événements de 1789 et non dans un tableau préalable. » 100 ce véritable réquisitoire dont on ne ressort pas indemne : quand Voltaire, jaloux, écrit le plus ignoble de ses pamphlets contre Rousseau, ce « sentiment du citoyen » qui sent son délateur, l’auteur du Traité sur la tolérance ne se contente pas de « balancer » Jean-Jacques, en révélant qu’il vient d’abandonner ses enfants à l’Assistance (comme on dirait aujourd’hui). Martin nous montre qu’il va beaucoup plus loin : il invite les autorités suisses à brûler le livre de Rousseau, et, pour finir, il suggère de pendre « ce séditieux »... Faut-il prendre ce dernier terme au sens propre, comme le fait M. Martin, ou au figuré, ce que nous serions plus enclins à faire en songeant à l’esprit persifleur du grand écrivain ? Toujours est-il qu’en lisant M. Milza, la question ne se posera pas puisque cet épisode de la menace de mort n’est tout simplement pas évoqué. Peut-être faut-il seulement être un spécialiste de la période, comme M. Martin, pour s’intéresser à ces « détails » ? Concluons. La solution la plus sage serait de se procurer les deux ouvrages, l’un pour ne pas sombrer dans le culte de la personnalité, l’autre pour rester compréhensif, même à l’égard des grands hommes. Après tout, n’est-ce pas Diderot qui nous a appris que tout homme, célèbre ou ignoré, « est un composé de hauteur et de bassesse » ? Voltaire de Pierre Milza Perrin, 913 p. Voltaire méconnu. Aspects cachés de l’humanisme des Lumières de Xavier Martin Dominique Martin Morin, 351 p. Il y a bien eu un siècle de Voltaire comme il y a eu un siècle de Louis XIV. Le Régent ? Louis XV ? Louis XVI ? Effacés. Réduits à des seconds rôles. Devant la postérité, le vrai roi de son siècle, c’est lui, le poète, le dramaturge, le philosophe, François-Marie Arouet, devenu M. de Voltaire (1694-1778). Malgré les déboires, les humiliations, les disgrâces, en dépit de ses innombrables ennemis, des bastonnades et des autodafés, c’est lui qui sort vainqueur de son siècle. C’est lui qui donnera à son siècle son nom. Telle est la leçon du grand livre de Pierre Milza, une biographie d’historien plus haletante que le meilleur des romans : Voltaire. Nous sommes le 30 mars 1778. Les manuels scolaires ont omis d’en faire une date de l’histoire de France. Et pourtant ? L’atmosphère de cette journée anticipe celle du printemps 1789. Peut-être même est-ce la première fois que cette atmosphère est perceptible avec autant d’évidence ? Aux portes de la mort, qu’il franchira dans quelques semaines, rentré de Ferney, Voltaire traverse Paris en carrosse pour se rendre à l’Académie. La foule – le peuple de Paris - le reconnaît, l’acclame ; l’attelage ne se fraye un passage qu’avec peine au milieu de l’enthousiasme populaire. Des gens montent sur la galerie de la voiture afin de voir le héros. Les acclamations, les cris de joie n’ont fait que s’amplifier tout au long de la journée. Evénement immense, dont les funérailles d’Hugo seront un écho : pour la première fois un écrivain est fêté par une foule aussi nombreuse qu’admirative, pour la première fois une marée humaine acclame un écrivain. Ou plutôt : ce n’est pas autour de l’écrivain qu’elle se presse, mais de l’écrivain devenu intellectuel, le défenseur de Calas, du chevalier de La Barre, le pourfendeur des injustices et des barbaries. Le roi, ce n’est pas Louis XVI, le roi, pour cette foule, c’est Voltaire ! Toute une vie pour en arriver là. Toute une vie pour cette apothéose. Né sous Louis XIV, Voltaire s’éteint à la veille de la Révolution : son nom, ce printemps de 1778 le laisse deviner, va peser sur l’histoire. Nul n’est plus méconnu que Voltaire. L’ouvrage de Pierre Milza restitue l’écrivain dans sa complexe vérité : il y a loin en effet entre le poète mondain, dévoré par un insatiable besoin de reconnaissance, une ambition le traînant de cour en cour, et le premier intellectuel de l’histoire, celui qui tracera la voie à Hugo, à Zola et à Sartre. « L’intellectuel, a écrit Sartre, est quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ». A savoir : le pouvoir. Exactement ce que sera le dernier Voltaire : quelqu’un qui se mêle du pouvoir. Le poète mondain des débuts n’aspirait qu’à briller devant le pouvoir, obtenir les faveurs des Princes, attirer le regard des monarques et de leurs favorites, fasciner Louis XV et Frédéric II jusqu’à prendre le risque d’être leur bouffon. L’intellectuel des dernières années, l’avocat des persécutés, au contraire, affronte directement le pouvoir. Milza en signale la grandeur : « ce qui fait sa grandeur (…) c’est le caractère solitaire de son entreprise Aucun parti, aucune force politique, aucune coterie derrière lui, pas même la maçonnerie ». L’affaire Calas fut un combat solitaire comme le sera, deux siècles plus tard, celui de Soljenitsyne. Les philosophes – Diderot, Rousseau 101 – ne se sont pas rangés à son côté. Qu’à cela ne tienne ! Il s’appuiera sur l’opinion publique, que, de fait, il invente, et qu’il définit comme la voix publique : « je parle de cette voix, de toutes les honnêtes gens réunis qui réfléchissent, et qui, avec le temps, portent un jugement infaillible ». Appuyé sur l’opinion publique il obtient la réhabilitation de Calas. Rien de plus romanesque que sa vie ! Un trait, aux yeux de Milza, la caractérise : lorsqu’il est parvenu à son ambition, entrer dans l’intimité des Rois, briller à la cour du plus bel éclat, il commet invariablement quelque imprudence qui le précipite dans la disgrâce. C’est le ressort du roman, non ? Boudé, en représailles à ses incartades, par Louis XV, qui le fit auparavant officier de la chambre du roi et historiographe officiel, il se précipite à la cour du roi-philosophe, « le Salomon du Nord », Frédéric II de Prusse. Là, comme partout, il aurait pu jouir de sa situation, d’autant plus que le monarque lui vouait une amitié sincère. Il en arrive cependant à changer ce roi en ennemi. Avant de finir symbole pour toujours de la liberté d’expression, Voltaire aura tout été : brillant élève des jésuites à Louis-leGrand, clerc de notaire, libertin dévergondé, courtisan à Versailles, tragédien aux succès instables, premier historien moderne, chambellan de Frédéric II, financier de haute volée, hobereau à Ferney, patriarche du parti des philosophes. Il aura tout connu : la gloire et l’infortune, l’exil et l’errance, l’amitié et la trahison, l’amour d’une femme qu’il tenait, non sans raisons, pour supérieure à lui, Emilie du Châtelet. Jusqu’aux guet-apens dignes de films de cape et d’épée commis par des coquins sur commande de nobles seigneurs, le chevalier de Rohan ou Frédéric II lui-même. Il aura été aimé, admiré, jalousé et haï comme personne. Il aura montré les mille facettes, dont certaines particulièrement déplaisantes, de sa personnalité. On le découvre à chaque page de cette biographie : autant qu’un siècle, Voltaire aura été un roman ! « Ecraser l’infâme » - cette formule revenant souvent sous sa plume constitue le fil rouge de sa vie. L’infâme : l’alliance despotique du trône et de l’autel, de la superstition et de la barbarie, dont le règne social passe par l’intimidation et la terreur. L’infâme : tout ce qui, issu du christianisme fait obstacle au progrès de l’humanité. Le chevalier de La Barre s’était rendu coupable d’abominables crimes : blasphème et impiété. Il fut condamné à avoir la langue coupée, la tête tranchée, le corps mutilé brûlé en même temps que le Dictionnaire Philosophique de Voltaire, œuvre diabolique qui avait été retrouvée dans son appartement. La France du siècle des Lumières est bien ce pays où l’infâme pousse à commettre de sang-froid « des barbaries qui feraient frémir des sauvages ivres ». L’infâme qui, à travers quelques prêtres sans scrupules, travaillèrent en vain à arracher au Voltaire à l’article de la mort une rétractation de ses impiétés et une profession de foi. Ne concluons pas cependant à l’athéisme de l’auteur de Candide. Adversaire des religions révélées, pourfendeur des fétichismes, Voltaire, ce qui l’opposait à Diderot, croyait sincèrement en Dieu – un Dieu horloger. En déiste, sans croire la Bible, ni l’Evangile. Voltaire n’a rien été de moins qu’un tournant de l’histoire. Avec lui commencent l’intellectuel et l’opinion publique. Partout dans le monde, il se dit : Voltaire, c’est la France. La France libératrice, la France émancipatrice, la France étendard des droits de l’homme. L’encre de Voltaire fut le berceau du message de la France au monde. Au-delà de l’hexagone, le mythe de la France et le mythe de Voltaire correspondent. Ainsi, au terme de son parcours, une mue intérieure suivie pas à pas par Milza, Voltaire était devenu plus que l’homme-siècle : l’homme, pour toujours et à tout jamais, au-delà de sa propre mort, symbole universel de la liberté. Les fanatismes égorgeurs trouveront toujours le souvenir de Voltaire sur leur route. Milza fait bien d’approuver, à la dernière ligne de son livre, l’appréciation d’Hugo : Voltaire, « l’homme qui est mort le 30 mai 1778 est mort immortel ». Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : Il fut à la fois écrivain, conteur de tragédie, spéculateur, propagandiste, conseiller du Prince, seigneur au sens féodal et bien évidemment philosophe ; attraction des salons dans sa jeunesse pour devenir ensuite le rendez-vous incontournable de la haute société européenne, embastillé par deux fois…. Nous connaissons de lui Zadig et Candide parce que nous avons étudié ces œuvres sur les bancs de nos écoles mais, au fond, connaissons-nous réellement Voltaire ? Existe t’il un Voltaire ou bien plusieurs figures de ce philosophe dont le nom est inscrit dans le François Marie Arouet, dit Voltaire (16941778) "Si vous avez deux religions chez vous, elles se couperont la gorge ; si vous en avez trente, elles vivront en paix." Écrivain français, auteur de poèmes, de récits, de tragédies, d’ouvrages historiques et 102 siècle des Lumières au même titre que celui d’un Rousseau, qu’il détestait, et d’un Diderot dont il critiquait l’athéisme ?... Qui fut donc François Marie Arouet dit Voltaire et le connaît-on véritablement ? I. Depuis sa retraite de Ferney, près de Genève, Voltaire se passionne pour la cause de Jean Calas : il rassemble toutes les informations sur l’affaire et rencontre la famille Calas. En décembre 1763, il publie son Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, qu’il avait commencé à écrire en 1762 et qui s’ouvre sur deux chapitres racontant l’affaire. Mais le propos de l’ouvrage est plus large : c’est un vaste réquisitoire contre le fanatisme religieux et donc un fervent plaidoyer pour la tolérance. «Ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même Dieu ?». D’abord interdit, l’ouvrage a un retentissement considérable. Le 4 juin 1764, le Conseil du roi casse enfin les jugements prononcés contre les Calas et le 9 mars 1765, le parlement de Paris réhabilite Jean Calas à l’unanimité tandis que le roi Louis XV lui-même indemnise sa famille. Voltaire jubile : « Nous versions des larmes d’attendrissement, le petit Calas et moi. Mes vieux yeux en fournissaient autant que les siens. C’est pourtant la philosophie toute seule qui a remporté cette victoire. Quand pourra-t-elle écraser toutes les têtes de l’hydre du fanatisme ?». L’affaire Calas marque la première intervention des « philosophes » (aujourd’hui, on dirait « intellectuels ») dans les affaires judiciaires et politiques. II. Contre l'intolérance et la torture Voltaire s'engage dans la défense des victimes du système judiciaire de son temps : Calas, Sirven, le chevalier de La Barre. Ce dernier, âgé de dix-neuf ans, est condamné en février 1766 par le tribunal d'Abbeville à avoir le poing coupé, la langue arrachée avant d'être brûlé vif. Le condamné fait appel devant le Parlement de Paris qui lui accorde d'être décapité avant que son corps ne soit jeté sur le bûcher. La sentence est exécutée le 1er juillet 1766. L'affaire fait scandale dans les milieux éclairés. La même année, la publication en français du Traité des délits et des peines de l'Italien Beccaria alimente un débat sur la nécessité de réformer la justice. Beccaria se prononce en faveur de l'égalité de tous devant la justice, de l'abrogation des infractions en matière religieuse et de la suppression de la torture judiciaire, « le plus sûr moyen d'absoudre des scélérats robustes et de condamner des innocents faibles ». Il propose un système où les peines sont proportionnelles aux délits. Certaines de ses idées reprises par Voltaire sont retenues par le pouvoir royal qui abolit en 1780 la question préparatoire (torture lors du déroulement du procès) et en 1788 la question préalable (torture infligée à un condamné à mort). Il est reproché au chevalier de La Barre d'avoir chanté des chansons impies et de ne s'être pas découvert au passage d'une procession. Il est accusé, sans preuves, d'avoir mutilé un crucifix (cette dernière accusation n'est pas citée dans le texte). Voltaire oppose le raffinement de la culture française du siècle des Lumières à la barbarie des traitements infligés aux accusés. Il met en perspective les « crimes » dont est accusé le chevalier de La Barre et le verdict du tribunal. La seule énumération des mauvais traitements infligés au jeune homme équivaut à une condamnation des pratiques judiciaires « moyenâgeuses » de son temps. Voltaire remet ainsi en cause l'institution judiciaire et l'Église, qui exerce un rôle public comme garant d’une morale fondée sur la religion. philosophiques, Voltaire combat le cléricalisme et l’intolérance religieuse, et défend le droit des hommes au bonheur. "Écrasez l’Infâme" La célèbre formule conclut les lettres de Voltaire au fidèle Damilaville (1723-1768) à l’époque de l’affaire Calas. Pour le philosophe, "l’Infâme", désigne aussi bien les calvinistes que les catholiques : n’a-t-il pas été en butte aux tracasseries du consistoire de Genève à propos des représentations théâtrales des Délices ? Et le sort du pasteur Rochette, pendu à Toulouse en février 1762, ne l’a pas particulièrement ému. Pourtant il a pris fait et cause, après un examen attentif des faits, pour la "malheureuse famille Calas", victime emblématique d’un fanatisme qu’il n’a cessé de dénoncer depuis son séjour en Angleterre. De ce combat qui passionne l’Europe éclairée, et qui ne sera relayé dans l’inconscient collectif que par l’affaire Dreyfus, naît le Traité sur la tolérance, qui commence alors à circuler et dont Voltaire écrit : "Ce sera un secret entre les adeptes. Il y a des viandes que l’estomac du peuple ne peut pas digérer, et qu’il ne faut servir qu’aux honnêtes gens." Au même moment paraissait, en réponse aux condamnations de l’Émile, la Lettre à Mgr Christophe de Beaumont de Rousseau, ennemi déclaré de Voltaire depuis 1759. III. Un héritage controversé En 1878, pour consolider la République, à la demande des journaux républicains (et particulièrement Le Bien public du chocolatier Menier), on décide de commémorer le centenaire de la mort de Voltaire en même temps que l’Exposition universelle. Participeront à cette cérémonie la Société des gens de Lettres avec Victor Hugo et le conseil municipal de Paris. L’exemple fut suivi par les municipalités de Nantes, Bordeaux, Versailles, Amiens... La presse républicaine lance des invitations à l’étranger. On s’organise dans un Comité du centenaire qui décide de publier une édition de textes choisis de Voltaire présentant un Voltaire militant, défenseur des droits de l’homme, apôtre de la tolérance, homme des Lumières. Les cérémonies ont lieu le 30 mai. Il y a des discours dont celui de Victor Hugo. Le soir, un banquet se déroule à l’Hôtel de ville. Dans les rues éclairées par les feux d’artifice défilent les retraites aux 103 flambeaux. On célébra aussi Voltaire en province et à l’étranger : en Italie surtout. La droite monarchiste s’opposa à la commémoration. Mgr Dupanloup, sénateur, académicien, évêque d’Orléans, rédigea Dix Lettres à messieurs les membres du conseil municipal de Paris sur le centenaire de Voltaire, dans lesquelles, jouant du contexte nationaliste et républicain, il dénonçait l’aristocrate courtisan, ami de la Prusse, hypocrite, ennemi de la religion. Il y eut un contre-centenaire, et on opposa Jeanne d’Arc, patriote, française et chrétienne, dressée contre l’envahisseur, à Voltaire. Les autorités n’avaient pas voulu commémorer le centenaire de la mort de Rousseau. Ce fut l’affaire des républicains d’extrême gauche. La cérémonie, modeste, fut animée par Louis Blanc, avec la participation des chambres syndicales de Paris. On acclama le philosophe fils du peuple et on réclama l’amnistie pour les déportés communards. Cette double commémoration illustre l’héritage divisé des Lumières et les hostilités diverses qu’elles provoquent. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 104 HM – Montesquieu Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Les œuvres complètes de Montesquieu sont publiées par la Société Montesquieu. Ouvrages généraux : P. BARRIÈRE, Montesquieu un grand provincial, Bordeaux, éd. Delmas, 1946. Robert Shackleton, Montesquieu, biographie critique, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1977 Pierre Gascar, Montesquieu, Paris, Flammarion, 1988 Georges BENREKASSA, Montesquieu la liberté et l’histoire, Paris, LGF, 1987, coll. : « Le livre de poche, biblio essais », 4067. Jean STAROBINSKI, Montesquieu, Paris, éd. du Seuil, 1989, coll. : « Points-Essais », 201. Louis Desgraves, Montesquieu, Paris, Fayard, 1998 Jean Ehrard, L'Esprit des mots, Genève, Droz, 1998. A. JUPPÉ, Montesquieu le moderne, Paris, Perrin-Grasset, 1999. Denis de Casabianca, Montesquieu, L'Esprit des lois, Paris, Ellipses, 2003 Louis Althusser, Montesquieu, la politique et l'histoire, Paris, PUF, 2003 Jean LACOUTURE, Montesquieu les vendanges de la liberté, Paris, éd. du Seuil, 2003. Jacques de Saint-Victor, Les Racines de la liberté - Le débat français oublié, 1689-1789, Paris, Perrin, 2007. Un essai sur les origines du discours de la liberté lors du siècle avant la révolution et l'histoire des intellectuels (Fénelon, Boulainvilliers, SaintSimond, Montesquieu, Turgot, Mably). Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Une contreverse a eu lieu dans les années 1970 : Montesquieu pré-révolutionnaire ou vrai réactionnaire ?? C'est le philopohe communiste Althusser qui a estimé (avec de fort bons arguments) que Montesquieu était le porte-parole de la noblesse parlementaire et aspirait au rétablissement d'un régime de type féodal dans lequel le pouvoir du Roi est limité par celui des grands. Les reproches adressés à Montesquieu par Condorcet sont les mêmes que ceux d’Althusser. Mirabeau accusait la pensée de Montesquieu de «justifier ce qui est», c’est-à-dire précisément l’ordre féodal. L’idée de l’uniformité des lois de la nature aboutit d’une part à un éternalisme de la règle de justice, et d’autre part à un relativisme sociologique, dans la mesure où les causes morales sont tributaires des causes physiques. C’est cette contradiction ou cette tension que l’on peut dire toujours actuelle. La postérité a pu identifier Voltaire, Rousseau ou Diderot par quelque trait de caractère (le sarcasme, la retraite mélancolique ou l'enthousiasme contagieux) et les enrôler dans une croisade contre l'Ancien Régime. Montesquieu devrait être le quatrième du quatuor, mais sa dignité de président au parlement de Bordeaux, son titre de baron et son château de La Brède, sa fidélité à la foi chrétienne et sa fin édifiante brouillent son image. Où le situer ? Jean Lacouture répond sans hésitation : au milieu de ses vignes, dans le terroir bordelais, dans ce coin de France marqué par la présence anglaise et le sens des libertés locales. Les livres savants ne manquent pas sur l'auteur de L'Esprit des lois et ses exégètes font autorité, de Jean Starobinski à Louis Althusser, de Robert Shakleton à Jean Ehrard. Rompu aux secrets de la biographie, Jean Lacouture s'attache à restituer un seigneur-paysan, un notable qui connaît chacun de ses arbres et de ses coteaux, se soucie de ses ceps et n'oublie pas de recompter ses sous. «Je me connais assez bien. Je n'ai presque jamais eu de chagrin et encore moins d'ennemi. Ma machine est si heureusement construite que je suis frappé par tous les objets assez vivement pour qu'ils puissent me donner du plaisir, pas assez pour me donner de la peine...» Montesquieu fait presque figure de cas Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4e actuel : « La remise en cause de l’absolutisme (3 à 4 heures) Il s’agit, sans étudier les événements des révolutions anglaises du XVIIe siècle et de la Révolution américaine, de montrer que l’existence de régimes tels que la monarchie limitée en Angleterre et la république américaine et des aspirations politiques liées à la philosophie des Lumières mettent en cause les principes de la monarchie absolue. D’autres modèles politiques sont ainsi proposés à une société française en crise. • Repères chronologiques : Déclaration des Droits (1689) ; l’Encyclopédie (milieu du XVIIIe siècle). • Documents : préambule de la Déclaration d’indépendance des États-Unis ; extraits de philosophes du XVIIIe siècle (Montesquieu, Voltaire, Rousseau). » BO 4e futur : « L’Europe des Lumières. Au XVIIIe siècle, les philosophes et les savants mettent en cause les fondements religieux, politiques, économiques et sociaux de la société d’ordres. La France est au centre de cette étude qui est menée à partir de la vie et de l’oeuvre d’un philosophe des Lumières ou d’un savant au choix. Connaître et utiliser le repère suivant - L’Encyclopédie, milieu du XVIIIe siècle 105 pathologique dans la littérature française, ce pays peuplé de génies aigris, paranoïaques, angoissés chroniques ou désespérés. On a même un peu de mal à croire qu'un homme supérieurement intelligent ait pu écrire sans plaisanter: «Je m'éveille le matin avec une joie secrète; je vois la lumière avec une espèce de ravissement. Tout le reste du jour je suis content.» Le défi relevé par Jean Lacouture consiste donc à expliquer comment un grand écrivain peut nager sa vie durant dans le bonheur. Au fond, la réponse est assez simple: quand on a tout pour être heureux, pourquoi irait-on pleurnicher? Montesquieu est noble, très riche et «président à mortier au Parlement de Bordeaux». Sa femme et ses enfants lui donnent toutes satisfactions. Son château de La Brède est magnifique, ses terres immenses. Des femmes charmantes le trouvent à leur goût; quand il n'a pas le temps de leur faire la cour ou qu'il est en voyage, les bordels lui ouvrent leurs portes. Même sa santé est robuste, si l'on excepte la cataracte qui l'obligea à recourir aux yeux des autres pour continuer à lire jusqu'à la fin. Un gentleman-farmer heureux. Quant à sa vanité d'auteur, elle est largement flattée par deux succès retentissants: Les lettres persanes, qui le rendent illustre à l'âge de trente-deux ans, et L'esprit des lois, commenté et admiré par l'Europe entière. Le plus beau dans ce conte de fées, c'est que la postérité sera aussi bienveillante que ses contemporains. L'esprit des lois, qui fut le livre de chevet de Raymond Aron, apporte toujours des arguments au camp des réalistes contre les utopistes: plutôt que de faire table rase pour construire un Eden hypothétique, les disciples de Montesquieu préfèrent croire avec humilité que «la planète des hommes peut être raisonnablement habitable». En brossant ce portrait plein de vie, Lacouture met l'accent sur l'activité d'un gentleman-farmer qui n'eut de cesse d'agrandir son domaine, de produire un excellent vin de graves et de le vendre à bon prix. Il insiste aussi sur les nombreux points communs entre Montesquieu et Montaigne: deux Bordelais, deux magistrats, deux modérés, deux grands voyageurs, deux châtelains qui eurent une bibliothèque en guise de chapelle. Et il nous rappelle cet aveu d'un autre écrivain du bonheur, Stendhal: «Ce n'est pas précisément de l'amour que j'ai pour Montesquieu, c'est de la vénération.» Raconter quelques épisodes de la vie du philosophe ou du savant étudié, et expliquer en quoi ils sont révélateurs du siècle des Lumières. Accompagnement 4e : « Aborder en trois ou quatre heures l’étude de la remise en cause de l’absolutisme suppose de s’en tenir à quelques idées essentielles, en s’appuyant sur les exemples de l’Angleterre et des ÉtatsUnis et sur l’analyse de la philosophie des Lumières sans pour autant conduire un récit événementiel. L’analyse d’extraits de textes des philosophes du XVIIIe ou de planches de l’Encyclopédie aide à cerner quelques idées fondamentales développées par la philosophie des Lumières. On peut partir des philosophes (la pensée politique de Montesquieu, l’esprit critique de Voltaire, le contrat social de Rousseau) ou mettre en évidence quelques notions fondamentales et nouvelles (liberté, égalité, nature, tolérance, etc.). Ces idées qui remettent en cause les principes de l’absolutisme sont celles d’une minorité cultivée. Elles rencontrent en 1789 une conjonction de mécontentements qui s’expriment dans la réunion des États généraux et débouchent sur une révolution. L’état de la France à la veille de la Révolution se lit dans les événements de 1789 et non dans un tableau préalable. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I. Montesquieu (1689-1755), baron de la Brède, fait partie du Parlement de Bordeaux. Charles de Secondat, baron de Montesquieu (1689-1755), développe dans ses Lettres persanes et dans De l’Esprit des lois ses idées politiques libérales. Il met en avant un principe fondateur: la séparation des pouvoirs. En aucun cas les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ne doivent être exercés par une seule personne, cela afin d’éviter toute tyrannie («Tout serait perdu »). Dans De l’esprit des lois, le philosophe, par ailleurs grand voyageur, passe en revue les régimes politiques possibles. Il plaide pour la séparation des pouvoirs, souhaitant notamment que le pouvoir exécutif soit exercé par quelqu’un ne disposant ni du pouvoir législatif ni du pouvoir judiciaire. Il reprend ces idées dans les fameuses Lettres persanes où il condamne le despotisme de l’empereur ottoman, ne pouvant, pour cause de censure, attaquer directement le roi de France. Né le 18 janvier 1689 au château de La Brède, près de Bordeaux, Montesquieu descend d'une famille de parlementaires bordelais et sera élevé de manière très simple, parmi les paysans du bourg de la Brède. Entre 1700 et 1705, il étudie chez les oratoriens, au collège de Juilly, puis à Bordeaux, où il est reçu avocat en 1708. Après un premier séjour à Paris, il revient à Bordeaux en 1713 et est nommé conseiller au Parlement de la ville en 1714. Deux ans plus tard, à l'âge de vingt-sept ans, il est reçu à l'Académie de Bordeaux et hérite de son oncle la charge de président à mortier du Parlement. Désormais, Montesquieu partage sa vie entre Paris et Bordeaux, et mène des recherches sur les sciences physiques et naturelles, sur lesquelles il écrit plusieurs Mémoires. Mais c'est surtout l'homme et la société qui intéressent Montesquieu. En 1721 paraissent à Paris, sans nom d'auteur, les Lettres persanes, qui connaissent un rapide et vif succès. Montesquieu réside le plus possible à Paris et mène une vie mondaine, sans pourtant jamais abandonner l'administration de ses terres. Il est élu à l'Académie française une première fois en 1725, mais le rois réfuse son Charles-Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1689-1755) "Je suis nécessairement homme et je ne suis Français que par hasard." Écrivain et philosophe français, Montesquieu est l'auteur des Lettres persanes et de L'Esprit des lois. On doit tenir compte de l'infinie variété des climats et des mœurs, mais la tyrannie est à condamner sous tous les cieux et l'idée de justice est commune à tous les hommes. Observateur critique de la société de son temps En 1721, Montesquieu publie, sous l'anonymat, les Lettres persanes. C'est le récit épistolaire de la découverte de l'Occident par deux Persans, Usbek et Rica, le récit de leurs surprises, leurs étonnements qui peu à peu s'effacent pour faire place à une critique moins systématique des moeurs et des institutions politiques et religieuses. Parsemé d'allusions à la vie de l'auteur, ce roman revêt avant tout un aspect politique dont le "libéralisme" découle de la condamnation du "despotisme" de Louis XIV. Si l'absolutisme constitue une menace contre le statut social de l'aristocratie, les Lettres persanes révèlent aussi les formes nouvelles de la puissance économique et le 106 entrée à l'institution sous le prétexte que sa charge de parlementaire lui empêche de résider en permanence à Paris. Il réussit toutefois à vaincre l'opposition royale et rejoint l'illustre compagnie en 1728. En réalité, Montesquieu a vendu sa charge de parlementaire en 1726, ce qui lui permet de s'installer à Paris et même de voyager, ce qu'il fait aussitôt son élection à l'Académie confirmée. Montesquieu entreprend alors un long périple qui le conduira de l'Autriche à l'Angleterre, en passant par l'Italie et l'Allemagne, et qui ne s'achevera qu'en 1732. Durant son voyage, Montesqueiu s'intéresse à tout ce qui concerne les mœurs des européens, mais surtout aux fonctionnements des institutions politiques des différents états qu'il visite. à son retour, Montesquieu commence à préparer ce qui sera son œuvre la plus importante, l'Esprit des Lois, publiée en 1748, et qui connaîtra un succès remarquable. Entre temps, il fait paraître plusieurs monographies, dont les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, publiées en 1734. II. La participation de Montesquieu Oeuvre de toute une vie, De l’Esprit des lois paraît à Genève, anonymement, en 1748. Immédiatement attaqué par les jésuites comme par les jansénistes, Montesquieu rédige en réponse une Défense de l’esprit des lois (1750), sans effet sur l’Église qui inscrit l’ouvrage à l’Index (1751). Dans cet énorme ouvrage de trente et un livres groupés en six parties, qui recense les lois de toutes les sociétés connues, Montesquieu élabore une théorie du droit public et privé et une analyse sociologique qui vont dominer le siècle et inspirer les écrivains du XIXe siècle (Benjamin Constant, Tocqueville). Il caractérise trois types de gouvernement : républicain (subdivisé lui-même en « démocratie » et « aristocratie »), monarchique et despotique. Il en définit la « nature » (structure) et les « principes » (ressorts). Il distingue les causes morales (entre autres : instinct de conservation et de paix) des causes physiques (géographie, climat), qui, d’après lui, fondent les lois ; le despotisme s’appuie sur la crainte, la monarchie sur l’honneur, le régime démocratique sur la vertu. « Les causes morales forment plus le caractère général d’une nation et décident plus de la qualité de son esprit que les causes physiques. » La corruption des gouvernements commence par celle des principes : « La démocratie a donc deux excès à éviter : l’esprit d’inégalité, qui la mène à l’aristocratie, ou au gouvernement d’un seul ; et l’esprit d’égalité extrême, qui la conduit au despotisme d’un seul, comme le despotisme d’un seul finit par la conquête » (Livre VIII). Il dénonce le despotisme et ne croit pas au « despotisme éclairé » que Voltaire et Diderot ont vu un temps incarné respectivement par Frédéric II et Catherine II de Russie, avant d’être l’un et l’autre déçus. Montesquieu prône un gouvernement modéré, seul garant de la liberté politique (« le droit de faire tout ce que les lois permettent »). Il pose le principe de la séparation des pouvoirs : « Il n’y a point de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. » Il imagine pour ce faire un dispositif complexe fondé sur un équilibre et un contrôle mutuel des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire — équilibre qu’il voit assuré dans la Constitution anglaise. Il accorde un rôle capital aux Parlements et aux corps intermédiaires et demande que les ministres rendent compte de leur gestion devant « un conseil populaire ». De l’Esprit des lois fonde en Europe la sociologie, le droit public comparé, la géographie politique et humaine, et le libéralisme politique. Sa collaboration avec l'Encyclopédie se réduit pourtant à une seule contribution, un Essai sur le goût, qu'il n'aura pas le temps de corriger et qui deviendra l'article “Goût”. D'Alembert lui avait pourtant demandé d'écrire les articles “Despotisme” et “Démocratie”, mais il avait courtoisement refusé, en raison d'une perte presque totale de la vue. Les dernières années de sa vie Montesquieu mène pourtant une vie très active, entre Bordeaux, La Brède et Paris, où il meurt finalement le 10 février 1755. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : rêve d'une solution de compromis conduisant à un accord souhaité entre la terre et l'argent, le mérite et le sang. Entre 1728 et 1731, Montesquieu voyage en Autriche, en Italie, en Allemagne, aux PaysBas et en Angleterre. Recueillant des observations sur les constitutions des pays où il réside, sur les moeurs des habitants, rencontrant des personnalités intellectuelles, politiques et religieuses, il accumule notes de lectures et de conversations. De retour en France, il écrit les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) et se consacre à la préparation de son grand œuvre : De l'Esprit des lois (1748). Fondateur de la science politique moderne Travail d'une trentaine d'années, De l'Esprit des lois recense les lois de toutes les sociétés connues et les situe par rapport aux "causes physiques et morales" : climat, terrain, population, formes de commerce et de religion. L'ensemble, où tout se tient, forme "l'esprit général" de chaque nation. Montesquieu distingue trois formes de gouvernement, selon les degrés de liberté qu'ils comportent : la république (démocratie et aristocratie), la monarchie et le despotisme. L'opposition entre tyrannie et modération fonde cette nouvelle typologie des régimes politiques, la modération étant définie par le maintien du pluralisme : "Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir." Seuls les régimes modérés protègent la liberté des individus : Montesquieu apporte ainsi une contribution décisive à la doctrine du libéralisme politique. Malgré son succès, De l'Esprit des lois, après une longue querelle où interviennent le fermier général Dupin, les jésuites et les jansénistes, est mis à l'Index le 29 novembre 1751 et condamné par la Sorbonne. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 107 HM – Les acteurs de la Révolution Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : L’histoire de la Révolution se révèle être une succession d’événements révolutionnaires, qui se mettent en place à partir de la matrice de 1789, empruntant différentes voies, s’éloignant ou se rapprochant de leur idéal, faisant de cette décennie un formidable laboratoire politique. Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : BIANCHI Serge, La Révolution et la Première République au village, Paris : CTHS, 2003. Serge Bianchi, Des révoltes aux révolutions, Presses universitaires de Rennes, 2004. Michel Biard et Pascal Dupuy : La Révolution française. Dynamiques, influences, débats, 1787-1804. 2004 (un excellent manuel qui tient compte des recherches les plus récentes). VOVELLE M., la Révolution française, 1789-1799, Colin, coll. Cursus, 1992. M. Vovelle, La chute de la monarchie (1787-1792), in Nouvelle histoire de la France contemporaine, vol 1, Le Seuil, coll. « Points histoire », Paris, 1972. M. VOVELLE (dir.), L'état de la France pendant la Révolution, 1789-1799, La Découverte, Paris, 1988. VOVELLE M., la Révolution française, images et récits, Messidor/ Livre club Diderot, 1986. Thierry Lentz, Napoléon, Gallimard, coll. « Découvertes », 2004. Thierry Lentz (dir.), 2 décembre 1804, le sacre de Napoléon, éditions Nouveau Monde, 2003. Jacques-Olivier Boudon, Histoire du Consulat et de l’Empire, Tempus, 2003. L. Bergeron, L’Épisode napoléonien (1799-1815). Aspects intérieurs, in Nouvelle histoire de la France contemporaine, vol. 4, Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1972. M. Bouloiseau, La République jacobine : 1792-1794, in Nouvelle histoire de la France contemporaine, vol. 2, Le Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1972. D. Woronoff, La République bourgeoise : de Thermidor à Brumaire, 1794-1799, in Nouvelle histoire de la France contemporaine, vol. 3, Le Seuil, coll. « Points Histoire », nouv. éd., Paris, 2003. JESSENNE J.-P., Révolution et Empire, 1783-1815, Hachette, coll. Carré Histoire, 1993. TULARD J., FAYARD J.-F., FIERRO A., Histoire et dictionnaire de la Révolution française, 1789-1799, Laffont, coll. Bouquins, 1987. J. Tulard, Dictionnaire Napoléon, Fayard, Paris, 1999. 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Revues : La Révolution française: La liberté et la terreur / LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE N° 25, Octobre-Décembre 2004 De Bonaparte à Napoléon, TDC, N° 722, du 15 au 31 octobre 1996 TDC « Le directoire » (n° 447), « Chouans et Vendéens » (n° 469), « Les états généraux » (n° 484), « La prise de la Bastille » (n° 489), « Le procès du roi » (n° 510), « La république a deux cents ans » (n° 625), « Le système métrique décimal, la révolution des mesures » (n° 781). Carte murale : Enjeux didactiques (repères, notions et Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des méthodes) : savoirs, concepts, problématique) : BO 4e actuel : « Les grandes phases de la « Tout problème authentiquement historique, même s'il concerne le plus lointain période révolutionnaire en France, de 1789 à passé, est bien un drame qui se joue dans la conscience d'un homme d'aujourd'hui 1815 (7 à 8 heures) : c'est une question que se pose l'historien, tel qu'il est, “en situation”, dans sa vie, Un récit synthétique permet de présenter les son milieu, son temps » (H. I. Marrou, De la connaissance historique, Seuil, Paris, épisodes majeurs et les principaux acteurs de 1954). Cette citation rappelle que « toute histoire est contemporaine » (B. Croce). la période révolutionnaire et impériale en Celle de la Révolution française n'échappe pas à cette règle. insistant sur la signification politique et Au coeur de l'événement, des témoins ont écrit sur la Révolution soit pour la sociale de chacune des phases retenues. Les condamner (Burke, Barruel), soit pour en approuver les principes (Kant), soit événements extérieurs ne font pas l’objet pour se justifier et comprendre (Barnave). Le XIXe siècle perçoit son histoire d’une étude exhaustive, mais sont évoqués à comme la « reprise » des événements révolutionnaires. Les vainqueurs de 1830 « l’aide de cartes. refont » 1789, les militants de 1848 et de la Commune « revivent » 1793. La • Repères chronologiques : prise de la troisième République utilisa la légende révolutionnaire pour unifier et renforcer le Bastille (14 juillet 1789) ; abolition des parti républicain. L'histoire de la Révolution fut servie (et souvent utilisée) par privilèges (4 août 1789 ; Déclaration des des hommes dont certains eurent un rôle de premier plan dans la vie politique : droits de l’homme et du citoyen (26 août Thiers, Guizot, Lamartine, Louis Blanc, Michelet, Tocqueville, Taine, Jaurès… 1789) ; chute de la monarchie (10 août 1792) La création en 1866 d'une chaire d'histoire de la Révolution française à la ; chute de Robespierre (9 Thermidor an II Sorbonne marque symboliquement le développement d'une historiographie 27 juillet 1794) ; Consulat (1799-1804) ; le universitaire de la période révolutionnaire. Le premier titulaire de cette chaire, A. Franc germinal (1803) ; le Code Civil (1804) Aulard, prétendit rompre avec une tradition polémique pour imposer une histoire ; Empire (1804 - 1815). scientifique fondée sur les méthodes de l'érudition positiviste. Toutefois, la • Documents : Déclaration des droits de Révolution n'est pas devenue un « objet froid » comme en attestent les querelles l’homme et du citoyen ; carte des historiographiques qui se poursuivent au XXe siècle. départements français en 1791 ; David : le Depuis deux siècles, la Révolution a fait l’objet de diverses interprétations, Sacre de Napoléon » chaque époque y projetant ses propres questionnements : – Un courant contre-révolutionnaire est lancé très tôt par Burke (1790), repris par Socle : Nouveau commentaire Taine (1875), vulgarisé par Gaxotte (1929) : il reproche à la Révolution d’avoir « Les grandes phases de la Révolution et de été sanglante et autoritaire et rejette l’essentiel de ses principes. l’Empire sont présentées à partir des – Un courant libéral, représenté par Constant (1797) et Tocqueville (1856), événements fondateurs, des principaux revivifié récemment par Furet et Richet (1965-1966), affirme que la Révolution a acteurs et des grandes figures. On insiste sur renforcé le centralisme de l’Ancien Régime et que 1793 fut un dérapage des points clés de la période : la chute de empêchant les réformes nécessaires. l’Ancien Régime politique et social en 1789, – L’historiographie républicaine du XIXe siècle, à la suite de l’accélération des événements et des l’oeuvre monumentale de Jules Michelet (Histoire de la Révolution française, expériences politiques entre 1792 et 1794, les 1847), insiste sur l’apport politique et intellectuel de la Révolution : l’avènement réformes de Napoléon Bonaparte. de la liberté, de la démocratie et de la laïcité. L’évocation des guerres de la Révolution et – À partir de la fin du XIXe siècle, sous l’impulsion de la pensée sociale et de de l’Empire à partir de cartes doit surtout Jean Jaurès, l’accent a été mis sur ses avancées et même, ses anticipations introduire à la présentation des sociales. Le rôle des classes populaires y a été progressivement valorisé par bouleversements induits en Europe. » rapport à celui de la bourgeoisie. – Au XXe siècle, la gauche socialiste et communiste a mis en avant les BO 4e futur : LES TEMPS FORTS DE LA transformations économiques (émergence du capitalisme) et sociales RÉVOLUTION (émancipation de la paysannerie qui accède à la propriété, rôle accru des classes « L’accent est mis sur trois moments : populaires urbaines, etc.). Cette interprétation a ensuite été développée par les - 1789-1791 : l’affirmation de la souveraineté historiens Ernest Labrousse et Albert Soboul. populaire, de l’égalité juridique et des libertés 109 – Un courant révisionniste soutient que de toutes façons, des dynamiques profondes étaient à l’œuvre depuis bien avant 1789 et que les changements se seraient de toutes façons opérés ; d’où la question : n’aurait-on pas pu faire l’économie de la Révolution avec son cortège d’horreurs ? Le courant de révision « néo-libérale » contredisant la lecture marxiste de la Révolution française avait largement précédé 1989 : il remontait en France au tournant des années 1960, avec la première édition de La Révolution française de F. Furet et D. Richet (Larousse, 1965), suivi de Penser la Révolution (1978) synthèse majeure du seul Furet, auquel tenta de répondre Comprendre la Révolution d’A. Soboul en 1981, un an avant la précoce disparition, à 68 ans du directeur de l’Institut d’Histoire de la Révolution de Paris I, la « maison » du courant Mathiez-Lefebvre. Mais ce sont les événements internationaux de 19891991, coïncidant fortuitement avec le bicentenaire français de 1789 qui, par une sorte de pied de nez de l’histoire, ont représenté le vrai triomphe de la nouvelle lecture critique de la Révolution (comme l’indique bien le titre du Dictionnaire critique de la Révolution française (1988) réalisé par F. Furet, M. Ozouf et leurs disciples de l’E.P.H.E.S.S.), « nouvelle vulgate », selon Michel Vovelle, prenant la place de l’ancienne version « jacobino-marxiste » dominante, désormais en déroute, comme le marxisme lui-même et le parti communiste s’en réclamant. Point d’orgue de ce grand retournement : la publication du dernier grand ouvrage de F. Furet sur le communisme en France, ayant pour sous-titre Le Passé d’une illusion, en 1995, peu avant la non moins précoce disparition de son auteur à 70 ans, en 1997. Au cours de la décennie suivante, le courant néo-libéral de Furet a été porté et illustré par ses proches et disciples, Mona Ozouf (avec un énième ouvrage sur la fuite de Varennes, 2005), auquel on préférera sensiblement Le Roi s’enfuit de Timothy Tackett (2004), Ran Halévy et surtout Patrice Gueniffey, déjà auteur d’une thèse sur les élections sous la Révolution française, publiée en 1993 sous le titre Le nombre et la Raison, La Révolution française et les élections, dont la synthèse majeure, opus perfectus de la vulgate furétienne a paru en 2000 : La Politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Fayard. Allant bien plus loin que F. Furet, P. Gueniffey a en effet développé la thèse à mon sens excessive d’une Terreur consubstantielle à la révolution elle-même, dès ses débuts en 1789, indépendante des circonstances, en particulier de la contrerévolution et de la guerre ; d’où le portrait caricatural de Robespierre, précurseur de Lénine et Staline, brossé par P. Guenniffey, ou par M. Ozouf. Cette vision idéologique unilatérale renouant d’ailleurs largement avec le vieux répertoire contre-révolutionnaire de Taine et Gaxotte, a été combattue par d’autres courants historiographiques. En tout premier lieu par celui se réclamant de la tradition jacobine et marxiste, en partie repeinte aux couleurs des Droits de l’Homme, qui s’efforce de maintenir son cap dans de cadre de la Société des études robespierristes. – Au lendemain du bicentenaire de 1789, de nouvelles approches ont été privilégiées : l’histoire sociale, insérée dans l’histoire économique, prolongée par l’histoire des mentalités et des idéologies ; l’histoire dite «culturelle» (notamment la culture politique révolutionnaire); enfin l’observation du jeu des représentations. – On note actuellement une réelle internationalisation de la recherche. De nombreuses études hors de France ont également apprécié le bouleversement révolutionnaire à l’aune de leur propre histoire, notamment dans les pays qui furent entraînés dans le sillage de l’aventure révolutionnaire, puis impériale, française de 1792 à 1815. Avec la comparaison entre révolution française et américaine, la première étant à la fois fille et concurrente de la seconde, nous prenons un champ salutaire à l’égard du cas français et de la vision par trop franco-française d’un événement que la tradition nationale tend souvent à présenter trop abusivement comme un modèle exclusif, la matrice des temps contemporains, ce qui ne laisse pas d’irriter nos collègues anglo-saxons et étrangers d’une manière plus large. À cet égard, le livre d’Annie Jourdan, La Révolution une exception française? (Flammarion, 2004), représente une autre voie du renouvellement historiographique de cette dernière décennie, qui renoue d’ailleurs pour une part avec un grand débat des années 1950, celui des « révolutions atlantiques », alors porté par Jacques Godechot et l’historien américain Robert R. Palmer, lequel fit individuelles ; - 1792-1794 : la République, la guerre et la Terreur ; - 1799-1804 : du Consulat à l’Empire. On renonce à un récit continu des événements de la Révolution et de l’Empire ; l’étude se concentre sur un petit nombre d’événements et de grandes figures à l’aide d’images au choix pour mettre en mettre en évidence les ruptures avec l’ordre ancien. Connaître et utiliser les repères suivants − La Révolution française : 1789 – 1799. Prise de la Bastille : 14 juillet 1789 ; Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : août 1789 ; proclamation de la République : septembre 1792 − Le Consulat et l’Empire : 1799 – 1815. Napoléon Ier, empereur des Français : 1804 Raconter quelques uns des événements retenus et expliquer leur importance BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851 – Ruptures avec l'Ancien Régime – Mise en oeuvre des principes révolutionnaires – Héritages conservés, héritages remis en cause Cette question est délibérément centrée sur la France avec un triple objectif : – faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ; – évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de cette période ; – dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les domaines politiques et sociaux. Le programme invite à organiser cette étude autour de quelques axes privilégiés : . Il faut mettre en valeur les principes qui fondent la Révolution française (droits de l'homme, égalité civile, liberté, nation, etc.) en s'appuyant sur les textes fondamentaux de la période (Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, Constitutions, Code civil) et sur une chronologie montrant comment et par quelles forces sociales ces principes sont mis en oeuvre. Au travers des interrogations sur qui vote, légifère et gouverne, les mots clefs du vocabulaire politique sont contextualisés (suffrage censitaire et universel, souveraineté nationale, séparation des pouvoirs, assemblée, etc.). Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la vie politique et à la difficile abolition de l'esclavage. » Accompagnement 4e : « Les idées qui remettent en cause les principes de l’absolutisme sont celles d’une minorité cultivée. Elles rencontrent en 1789 une conjonction de mécontentements qui 110 couler beaucoup d’encre, en suscitant bien des controverses en pleine période de guerre froide : à l’époque G. Lefebvre et A. Soboul s’étaient élevés non sans excès ni mauvaise foi contre une manœuvre historiographique jugée « atlantiste » sinon manipulée par la CIA ! Il s’agissait aussi de mettre en exergue la spécificité et avant tout la prétendue « supériorité » de la Révolution française, dont l’importance dans le temps et l’espace – une bonne décennie – et l’extension à l’ensemble européen occidental, par la voie des guerres révolutionnaires – autant que la radicalité faisaient à leurs yeux un modèle « unique » et irréductible, matrice des futures révolutions des XIX et XXe siècles, fourriers de la modernité politique et de l’époque contemporaine. Si la querelle s’est en partie apaisée trente ans plus tard, elle a connu un nouvel avatar et d’autres aliments dans le livre controversé d’A. Jourdan, qui s’offre d’abord comme une réponse à un colloque du bicentenaire de la République, coordonné par M. Vovelle à Paris I-Sorbonne en 1992, sous le titre « La République, une exception française ». Il s’agit bien d’une nouvelle mise en cause de la prétendue « voie française » mise en avant par la tradition marxojacobine, dont M. Vovelle, successeur d’A. Soboul à la tête de l’IHRF de Paris I entre 1984 et 1993, se voulait l’héritier et l’ombrageux défenseur. Mais cette fois l’argumentation et l’angle d’attaque se sont quelque peu déplacés, A. Jourdan insistant non seulement sur l’antériorité et le rôle de déclencheur de la Révolution d’indépendance américaine, mais aussi en tant qu’historienne néerlandaise, sur les mouvements européens précurseurs de la décennie 1780, en particulier la première « révolution batave » de 1783-1787 aux Provinces-Unies, mouvement certes non abouti, mais comportant des innovations intéressantes en matière de projets constitutionnels, en attendant le relais des propositions de la plus ambiguë révolution (ou pour d’aucuns contre-révolution) brabançonne de 1787-1789, ou la Constitution américaine de 1787, définitivement adoptée en 1789, soit presque à la même époque que l’adoption de la Déclaration des droits française d’août 1789. L'optique largement franco-française du programme, si elle peut s’expliquer par des raisons pédagogiques et civiques, paraît aller néanmoins à contre-courant de la tendance actuelle à l’élargissement de l’historiographie dans une perspective européenne et mondiale, accordant leur place relative aux événements français. Par ailleurs l’historiographie des révolutions atlantiques s’était, dès avant A. Jourdan, enrichie d’une dimension caraïbe et partant africaine par le biais de la traite transatlantique, volet curieusement absent des synthèses de Palmer et Godechot, et qui a été mis en œuvre à la suite du renouveau des travaux sur SaintDomingue et la révolte des esclaves de 1791, débouchant une décennie plus tard sur la création d’Haïti, première République noire, après l’échec de la reconquête de Bonaparte, restaurateur en 1802 de l’esclavage dans les colonies française, aboli par la Convention en février 1794. Toussaint-Louverture, le Robespierre ou le Bonaparte noir, dont Victor Schoelcher et Aimé Césaire avaient été les biographes précurseurs1, la révolution noire de Saint-Domingue furent à nouveau mis à l’honneur par l’historien et journaliste Yves Benot (1920-2005), récemment disparu et ses nombreux émules. En insistant sur 1789 comme « Révolution des Droits de l’Homme », le courant historiographique jacobino-marxiste s’est efforcé de redonner des couleurs, plus tricolores que rouges, à la tradition révolutionnaire française, quitte à oublier un peu vite que cette « rupture » de 1789 avait été largement préparée par les siècles précédents de l’Humanisme, des Réformes, de Machiavel, Hobbes, Spinoza, Locke, comme le soulignent les travaux des historiens modernistes là aussi anglosaxons. s’expriment dans la réunion des États généraux et débouchent sur une révolution. L’état de la France à la veille de la Révolution se lit dans les événements de 1789 et non dans un tableau préalable. L’étude des grandes phases de la Révolution française, en sept à huit heures, doit donner une vision de l’ensemble de la période. Il importe avant tout que les élèves soient capables d’identifier et de caractériser trois moments essentiels : 1789, 1793 et la dictature impériale. Plusieurs solutions sont possibles, étant entendu que le «récit synthétique» ne peut se réduire, ni à une chronique linéaire, ni à une épure théorique de la Révolution. La première solution propose une approche chronologique. On peut distinguer un premier temps (1789), celui de la révolution politique et juridique, un second moment (1790-1792), tentative d’une monarchie constitutionnelle qui échoue avec la chute de la monarchie et la proclamation de la République, un troisième temps (1793-1794) avec une République menacée à l’intérieur comme à l’extérieur, qui adopte des mesures d’exception et met en place la Terreur, puis (1794-1799), la recherche d’une stabilisation et les dérives de la guerre, et enfin (1799-1815) le Consulat et l’Empire qui jettent les bases de la France contemporaine dans le cadre d’un régime autoritaire. La deuxième solution est plus ambitieuse. Le professeur peut d’abord proposer (en deux heures) un panorama de la période en dégageant les principales phases, quelques événements porteurs de sens. Puis, quelques aspects importants sont approfondis avec le recours possible à des documents locaux : les premiers acquis (nuit du quatre août, Déclaration des droits de l’homme, les départements, le système métrique), la question religieuse (de 1789 au Concordat, en montrant la division des Français à partir de la Constitution civile du clergé), une journée révolutionnaire (comme le dix août 1792, où seraient mis en évidence le rôle du roi et celui des sans-culottes), les différentes formes du pouvoir de 1789 à 1815, la Terreur, l’oeuvre du Consulat et de l’Empire (à la fois centralisation administrative et dictature autoritaire). Quelle que soit la solution retenue, il est indispensable de proposer les portraits de quelques-uns des principaux acteurs de la Révolution qui caractérisent ou symbolisent un des moments de la période étudiée (Lafayette, Danton, Robespierre, Bonaparte). Quelques articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de portée universelle, méritent d’être mémorisés par les élèves. L’établissement d’un bilan permet de montrer la mise en place d’une nouvelle organisation politique et sociale dans laquelle se fondent l’héritage du passé et les conquêtes 111 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Une révolution urbaine ? On doit d’abord distinguer les populations agricole et rurale dans l’ensemble des campagnes, qui comprennent 84 % des Français, soit près de 23,5 millions d’habitants sur 28 millions au total. Cette population rurale comprend les agriculteurs, ceux qui travaillent et exploitent la terre, mais également les ruraux non-agriculteurs qui vivent à la campagne : artisans, commerçants, hommes de loi et de plume, curés et recteurs, nobles et seigneurs – il existe des seigneurs ecclésiastiques et des bourgeois détenteurs de fiefs –, domestiques. Ainsi, les paysans représentent à la veille de la Révolution près de 18 millions de personnes, soit moins de 4 millions de familles, alors que les villes (16 % de l’ensemble) ne regroupent que 4,5 millions d’habitants, pour 750 localités abritant plus de 2 000 habitants agglomérés. L’entrée des campagnes dans le processus révolutionnaire de 1788-1789 ne peut surprendre que les profanes. Les campagnes connaissent des crises différenciées et inégales, mais convergentes : de l’élevage depuis 1785, de la vigne dont les prix s’effondrent depuis 1786, des subsistances après l’orage du siècle de juillet 1788. Les doléances vont constituer un temps fort, un révélateur de ces capacités communautaires de contestation qui l’emportent un moment sur les clivages et tensions internes des sociétés rurales. Le temps des doléances Certes, les élus aux États généraux ont été massivement des gens des villes, des hommes de loi, des négociants, en dehors d’une quarantaine venus des campagnes, comme le père Gérard, député breton remarqué par le roi pour sa mise « rustique » le 4 mai 1789 ou Lepoutre, député du Nord (Jean-Pierre Jessenne). Certes, les cahiers ont souvent été présidés, voire rédigés par des intermédiaires venus de la ville (procureurs, juges royaux et seigneuriaux, notaires). Ils correspondent alors peu ou prou aux modèles des cahiers urbains comme Les Charges d’un bon citoyen de campagne (cahier de doléances d’origine nantaise), reprises par 44 % des paroisses de la sénéchaussée de Rennes. La plupart des cahiers « des champs » s’affirment loyalistes (envers le « père », le « bon roi » plus qu’envers son entourage), respectueux des fondements catholiques et du clergé séculier. Mais les voix paysannes se font entendre dans des milliers de cahiers sur l’essentiel : l’accord avec le Tiers urbain sur un programme politique minimal, la critique de la corvée et de la milice; le désir d’une profonde réforme fiscale sur l’égalité des contribuables et la fin des abus de la fiscalité indirecte (la ferme) ; la haine générale contre les privilèges de la chasse et de tous ses détenteurs ; une critique « violente » (au-delà des mots) des abus de la féodalité, partout où elle se fait plus pesante. Les principes du droit naturel gagnent les campagnes, où ils étaient latents. On le voit dans de nombreuses régions au printemps 1789 : un front du Tiers (unissant villes et campagnes, cas de la Bretagne) étant contre les privilèges, voire contre l’absolutisme, développe un programme de réforme bien plus radical qu’en 1588 ou 1614. À cet égard, la mobilisation provoquée par la campagne nationale et par le vote des paroisses (pour l’élection des délégués et les délibérations) est décisive dans la contestation qui débouche durant l’été 1789 sur une véritable « révolution paysanne ». Catherine II, tsarine philosophe, avait arrêté en 1767 un mouvement où elle encourageait des doléances du peuple russe, en constatant les risques d’une telle contestation. Louis XVI n’a pas pu ou pas voulu l’endiguer, ouvrant une brèche où l’opinion publique s’est engouffrée, avant de se répandre dans la majeure partie des campagnes du royaume. La Grande Peur On parle souvent d’une Révolution bourgeoise et de « journées urbaines » alors que la France est un pays rural et que les paysans représentent les deux tiers des Français regroupés en près de 40 000 communautés rurales et villageoises. La place et le rôle des campagnes dans la Révolution ont longtemps été sousestimés, interprétés en termes de retards culturels et politiques. Or cette place est capitale dès la Grande Peur de l’été 1789, au point que des historiens (Anatoli révolutionnaires. La diffusion et l’importance du message révolutionnaire en France et en Europe s’apprécient aussi par les transformations politiques, sociales et idéologiques qu’il amorce. » Activités, consignes et productions des élèves : Le premier vote français Les campagnes n’ont pas participé à un vote national depuis 1614, la dernière réunion des États généraux. En 1788, le Tiers sait qu’il aura un nombre de députés double de celui de chaque ordre privilégié. Le 24 janvier, un règlement électoral fixe les conditions d’un vote large et indirect des campagnes. Chaque paroisse rurale doit élire au moins deux délégués et plus au-delà de 200 feux (900 habitants). Tous les chefs de famille de plus de 25 ans payant un impôt quelconque, dont quelques veuves, peuvent voter. Les délégués vont rejoindre les élus des villes au chef-lieu de bailliage ou de sénéchaussée (circonscriptions judiciaires) pour élire les députés du Tiers (600 au total). Reflet des traditions régionales, la participation sera inégale. Supérieure à 60 % en Alsace et en Bourgogne, proche de 50 % en Provence, de 30 % en Bretagne et dans le Bassin parisien, elle a permis à près de 2 millions de personnes de voter. Les élus paroissiaux sont souvent à l’image de la population aisée des villages. Mais les élus à Versailles sont à plus de 90 % des élus des villes, hommes de loi, gens à talents et commerçants. Une quarantaine de députés des campagnes (le père Gérard, Lepoutre) représentent mal la voix paysanne, laissant entier le problème de la représentation réelle des campagnes. Cependant, l’élection et la délibération de 40 000 paroisses a conduit à une mobilisation exceptionnelle des campagnes en ce printemps 1789. Les arbres de mai À la fin de l’année 1789, l’agitation paysanne, un moment suspendue après les décrets d’août, reprend dans les campagnes du Périgord, du Quercy et de Bretagne. L’une des manifestations les plus spectaculaires est la plantation par les villageois d’arbres dits de mai. Ancienne tradition des campagnes (de France, d’Écosse), cet arbre est un symbole de réjouissance pour le village. À l’occasion de révoltes, il devient un signe de contestation du pouvoir du seigneur. Planté face à la potence ou aux fourches symbolisant l’autorité du seigneur, il signifie que les paysans ne paieront plus les redevances. Les communautés se portent garantes de ce pouvoir paysan, menaçant de punir ceux qui manqueraient à cet ordre. Le pouvoir paysan est un pouvoir en armes (fourches, faux, haches, fusils), mobilisant de véritables foules (cinq mille hommes dans le Périgord), 112 Ado, Georges Lefebvre) ont pu parler d’une « révolution paysanne » autonome, avant l’été 1793, puis de contre ou d’antirévolution paysanne, à partir des insurrections de l’Ouest. Échappant un moment aux contraintes des écoles historiographiques, il paraît logique de s’interroger dans un premier temps sur l’ampleur et les enjeux des mouvements paysans, avant de tenter une typologie politique et économique des campagnes françaises en République. De 1788 à l’été 1793, les historiens de tous bords (de Taine à Ado) recensent des vagues successives de révoltes paysannes, dirigées contre les autorités de tutelle (seigneurs, autorités administratives), mobilisant des communautés ou des « foules » contestataires et violentes, mais se réclamant des principes et d’un approfondissement de la Révolution en cours, en vue de l’adaptation des réformes à des besoins spécifiques aux populations des campagnes. Cette succession de « jacqueries » ou révoltes, qualifiée de « révolution paysanne » quand elle atteint ses objectifs à l’été 1793, surgit dans le processus révolutionnaire au moment de la Grande Peur. Le maintien d’une contestation ample est conditionné par les réponses législatives aux revendications essentielles des foules paysannes. Le 20 juillet débute aux environs de Nantes ce que les historiens (Georges Lefebvre dès 1930) ont qualifié de Grande Peur. Pendant deux semaines, une grande partie des campagnes françaises est touchée par d’immenses jacqueries (le terme remonterait à 1358), d’autant plus surprenantes que le XVIIIe siècle est réputé calme, dans une historiographie classique des révoltes paysannes. La vitalité des contestations communautaires dans la seconde moitié du siècle et l’ampleur de la rébellion française montrent une mobilisation inégale des campagnes, révélée en partie par la prise de parole paysanne au moment des doléances. Mais c’est lors de la Grande Peur que les foules rurales entrent dans l’histoire politique dans des conditions qu’il convient d’éclairer. La Grande Peur s’inscrit d’abord dans l’espace et le temps. À partir de quelques centres principaux (Estrées, La Ferté, Ruffec, Saint-Florentin, Louhans) la panique gagne des régions entières, particulièrement dans l’ouest et dans l’est. Les deux tiers de la France sont touchés entre le 20 juillet et le 6 août, dans des mouvements différents mais simultanés et proches dans leurs pratiques. Dans ses mécanismes, la Grande Peur comporte toujours trois temps. La Peur des paysans, la volonté défensive et la réaction punitive. Après la prise de la Bastille et les révoltes municipales urbaines, les campagnes sont touchées par des bruits et des rumeurs: autour des menaces que représentent les brigands, les soldats, les étrangers, les aristocrates. Les rumeurs sont propagées par les journaux, les colporteurs, les curés, les commissaires; puis amplifiées, à partir d’un fondement limité. Quelques dizaines deviennent des milliers. La volonté défensive suit la rumeur. Pour se défendre, les communautés se regroupent et s’arment: armes paysannes, certes, mais dans le cadre d’une défense collective, au son du tocsin et sous la direction des municipaux ou d’intermédiaires auprès des paysans (curés, voire procureurs fiscaux). Dans le Dauphiné, 5 000 paysans incendient des châteaux et brûlent des archives entre le 29 et le 30 juillet, malgré l’intervention de dragons et de la milice lyonnaise. En Normandie, de 600 à 2 000 « jacques » mettent le feu aux archives d’une dizaine de châteaux entre le 27 juillet et le 2 août (Anatoli Ado, Paysans en révolution, Société des études robespierristes, 1996). La Peur des seigneurs et des villes (1788, téléfilm de Maurice Failevic, illustre ce moment) se produit quand les paysans se retournent contre leurs adversaires (les seigneurs) et passent à la volonté punitive. Elle peut être qualifiée selon ses acteurs, ses mobiles, ses pratiques et comportements spécifiques, ouvrant une période de trois années de révoltes (discontinues) des campagnes. La Grande Peur est un prolongement des doléances. Elle touche les régions où le poids de la féodalité est le plus fort, où les conflits et les procès avec les seigneurs se sont multipliés : Bourgogne, Franche-Comté, Dauphiné. Elle a trait en particulier aux redevances féodales et aux biens communaux. Dans sept régions éclate la « guerre aux châteaux ». Les communautés exigent des seigneurs les titres de propriétés, les terriers, les preuves de ce qu’il faut payer. Depuis les années 1760, les terriers, réactivés dans les régions de forte pression seigneuriale, étaient devenus les symboles d’une « réaction féodale » très ciblée. On les détruit par le feu. Les autres revendications concernent la fin des privilèges (chasse, colombiers, la récupération des biens communaux usurpés, des arbres plantés par les paysans pour le seigneur). Les foules rurales sont désormais connues, à l’exemple des foules urbaines (voir Georges Rudé, La Foule dans la Révolution française, Maspero, 1982). Il s’agit souvent de groupes et de bandes de plusieurs centaines (quelques villages), voire de milliers de paysans (Anatoli Ado, op. cit.) : 2 000 à s’attaquant aux châteaux ou aux abbayes. L’arbre deviendra progressivement le symbole du processus révolutionnaire dans sa traduction d’arbre de la liberté. La révolution paysanne aura précédé la Révolution générale, au moins au niveau du symbole. Départ des trois ordres à la séance royale d'investiture des états généraux à Versailles, le 5 mai 1789. Gravure de Vion. B.N.F., Paris. La gravure en couleurs de Vion met en scène le départ des trois états pour Versailles. Le carrosse est décoré de guirlandes à la mode pompéienne en vogue à la fin du XVIIIe siècle. Il est précédé par la Renommée aux deux trompettes, l'une pour la vérité, l'autre pour le mensonge. Trois personnages ont pris place dans le véhicule : – un représentant de la noblesse, épée à la main, soutient les armes fleurdelisées de la monarchie française dont la gloire est signifiée par les palmes et les lauriers. À ses côtés, un lion symbolise la force ; – un représentant du clergé est assis face au noble. Sa main droite bénit ou bien évoque la puissance divine. Il est aux côtés d'un tigre ; – un représentant du tiers état est assis à la place du cocher. Il est accompagné d'un mouton, animal sans défense et destiné à être tondu. Cette gravure allégorique marque les différences entre les trois ordres : places occupées, costumes, animaux symboliques. Les représentants des deux ordres privilégiés siègent au-dessus des symboles du pouvoir royal (regalia) : sceptre, couronne, main de justice. Mais leur position dominante tient à de fragiles ressorts et un cahot pourrait à tout moment renverser l’équipage. Le tiers état est en situation de domestique, mais c'est lui qui conduit le char de l'État. La Fayette Le parcours du marquis de La Fayette est atypique : tout le destine au départ à faire une carrière militaire au service du roi de France, et donc à rester vivre à la cour auprès des aristocrates de son rang. Mais son tempérament passionné et son adhésion aux idées libérales ainsi qu’à la philosophie des Lumières le poussent à prendre le large. L’aventure américaine lui fournit un cadre rêvé pour déployer toutes les facettes de sa personnalité : il se bat à la tête des insurgents et défend les idées libérales des colons révoltés contre la monarchie anglaise. Revenu en France, il se fait l’avocat des droits de l’homme et cherche à appliquer à la monarchie française la recette américaine du bonheur. « Héros des deux mondes », il apporte à la vieille Europe les leçons de la jeune Amérique. 113 6 000 dans le Maine, 4 000 dans le Mâconnais et 6 000 en Franche-Comté, même si 200 paysans suffisent pour se porter sur le château. Le pouvoir paysan s’affirme quand les émeutiers se réclament du Tiers, expriment la légitimité de leur pouvoir, au nom des doléances, des élections, de la coutume et du droit communautaire. Ils placent le mouvement dans la lutte du Tiers, par des affiches et des proclamations : « Il est permis de brûler ». Ainsi, en deux semaines, des milliers de châteaux, sur plus de 60 000, ont été visités, 2 000 terriers au moins ont brûlé, autour de Bourgoin, du Perche, du Vivarais : « Je vois, tout bien considéré, que le métier de feudiste est perdu » (Babeuf, le 16 août 1789). La « guerre paysanne » a dévasté une partie des campagnes. Une nuit de dupes ? La réponse des élites possédantes et de la bourgeoisie parlementaire est double : réforme et répression. Elle est donnée dans la nuit du 4 août, rendue célèbre par les descriptions des députés et des journalistes. Tous insistent sur les sacrifices successifs des nobles et des seigneurs qui renoncent à leurs privilèges et à leurs droits (le duc d’Aiguillon après le vicomte de Noailles), suivis du clergé, qui renoncerait aux dîmes… Les décrets des 5-11 août proclament l’abolition de la féodalité, c’est-à-dire de toutes les servitudes personnelles, le servage, la main morte – survivance du servage qui touche près de un million de paysans et limite la transmission de leurs biens –, les corvées, les justices seigneuriales, les droits de chasse et de pêche, les privilèges honorifiques, les bancs, voire le cuissage. L’espace rural sera transformé par l’abattage des potences et des fourches patibulaires, symboles du pouvoir séculaire des seigneurs sur leurs tenanciers. Une révolution des mentalités et des mœurs est ainsi programmée. Une version officieuse, très différente, est donnée par les journalistes « démocrates » (voir Marat dans son journal L’Ami du Peuple). Il s’agirait d’une nuit préparée : les nouvelles les plus alarmantes ont poussé les députés à réagir, à se réunir la veille, à mettre au point un scénario. On aurait décidé d’abandonner tout ce qui peut l’être pour sauver les biens et les personnes. Les décrets permettront de trier les concessions et le maintien des avantages. Il faut désamorcer le mouvement. L’effet d’annonce le permet à partir du 6 août. La bourgeoisie constituante est choquée dans ses principes, les atteintes aux contrats et aux propriétés. Si des bourgeois, à titre personnel, ou obligés par des liens communautaires, ont pu s’allier avec les révoltés, la plupart des témoins ont condamné les révoltes. Les autorités urbaines et les gardes bourgeoises ont durement réprimé les manifestations dans le Mâconnais et le Dauphiné, marchant contre les foules et condamnant à mort les meneurs (32 en juillet, une centaine par la suite). Le front commun entre les paysans et la bourgeoisie est fissuré sinon rompu, au-delà des apparences. Le mouvement paysan vise désormais des objectifs différents de ceux de la bourgeoisie constituante. La Grande Peur révèle ainsi un pouvoir et un mouvement paysans autonomes, centrés sur des communautés encore homogènes dans les revendications et les adversaires communs. Tant que ces revendications ne seront pas satisfaites, une agitation endémique va parcourir les campagnes. L’année 1789 n’est pas seulement celle d’une révolution parlementaire, où les élites bourgeoises du tiers état substituent un régime parlementaire « moderne » à l’absolutisme. Elle connaît les manifestations d’une « révolution paysanne » en partie autonome, dans les doléances, les rébellions du printemps (troubles de subsistances et marches de la faim), la Grande Peur. Elle se termine par une reprise des jacqueries dans les régions de fortes tensions entre seigneurs et communautés. Un « pouvoir paysan » s’est exprimé dans les cahiers, l’abolition de fait des privilèges et des corvées, l’action de foules armées, la plantation des « mais » (voir focus). L’année 1790 sera l’année de la mise en place des municipalités et des gardes villageoises, porteuses d’un projet global (l’abolition définitive de la féodalité) qui mobilisera les campagnes jusqu’à l’été 1793. Vigoureusement réclamé par la pression constante des clubs et des sans-culottes, le procès de Louis XVI s’ouvre à la Convention le 11 décembre 1792. Il constitue le premier tournant capital de l’histoire de la République, au sens où il fait apparaître, moins de six mois après la fondation du régime, une fracture majeure entre les deux parties les plus importantes de l’opinion républicaine. D’un côté, les girondins qui, issus de la bourgeoisie provinciale, souhaitent la condamnation du roi mais redoutent les conséquences d’une exécution, moins par tiédeur républicaine que par crainte des bouleversements intérieurs et extérieurs qu’entraînerait inévitablement à leurs yeux la mort du roi. De l’autre, les montagnards qui, proches des sans-culottes parisiens, considèrent que seule la La Constitution de 1791 Cette Constitution, parue tardivement (septembre 1791), présente des avancées démocratiques. D’abord, par le fait qu’elle officialise la monarchie constitutionnelle, basée sur une séparation des pouvoirs et sur le principe de la souveraineté de la nation. Le roi devient « roi des Français ». Par contre, le système censitaire, préféré au suffrage universel par une assemblée de notables, va décevoir les sans-culottes et les tenants d’une véritable démocratie comme Robespierre, puisqu’il s’oppose à l’égalité proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, promulguée pourtant par la même Assemblée. Ce suffrage masculin, censitaire et indirect n’établit pas l’égalité politique souhaitée pourtant en 1789. La Constitution de 1791 respecte le principe de séparation des pouvoirs cher à Montesquieu en confiant le pouvoir exécutif au roi, le législatif à l’Assemblée et le judiciaire aux tribunaux. Le projet de «monarchie contrôlée» (Voltaire) paraît ici réalisé. Toutefois, cette Constitution comporte une importante limite : la distinction qui est établie entre les citoyens passifs et les citoyens actifs limite fortement la souveraineté nationale. Le suffrage censitaire ne permet en effet qu’aux citoyens les plus fortunés de participer à la vie politique. L’Assemblée, censée représenter toute la nation, n’est élue que par une minorité de bourgeois et de propriétaires terriens. La loi Le Chapelier (14 juin 1791) Voulant supprimer toutes les anciennes entraves, la bourgeoisie constituante, dont la théorie du libéralisme économique ne reconnaît que l’individu, décide de supprimer les corporations de maîtres et les coalitions de compagnons pour permettre la liberté du travail. Les articles 1 et 2 de la loi Le Chapelier interdisent le rétablissement des corporations, «sous quelque prétexte ou quelque forme que ce soit ». En aucun cas les citoyens d’une même profession ne doivent se rassembler, ce qui revient à interdire les syndicats. L’article 8 interdit « tous attroupements composés d’artisans, ouvriers, compagnons, journaliers, ou excités par eux contre le libre exercice de l’industrie et du travail », autrement dit toute initiative de grève. Les sans-culottes sont les agitateurs parisiens issus du petit peuple d’artisans, de commerçants et d’ouvriers que la Constitution de 1791 a classés parmi les citoyens « passifs » (faute de payer assez d’impôt, ils n’ont pas le droit de vote). Ils affirment leur passion pour l’égalité par leurs vêtements, qui ont une fonction symbolique : – Le bonnet rouge, dit bonnet phrygien, est 114 mort de Louis XVI peut véritablement fonder la République. Le 15 janvier 1793, 692 députés sur 721 présents reconnaissent la culpabilité de Louis XVI. Le 17 janvier, 366 députés sur 721 votent sa mort. Les montagnards et les girondins ne se distinguent pas par leur plus ou moins grand attachement à la République, ni par leur plus ou moins forte hostilité à la monarchie. Mais qu’il s’agisse de Grégoire ou de Robespierre, les montagnards se définissent d’abord par leur radicalisme, par une volonté de rupture absolue avec l’« ancien régime », tandis que les girondins, comme Roland ou Vergniaud, sont davantage opportunistes, sensibles au poids des circonstances. Les « journées » parisiennes du 31 mai et du 2 juin 1793 constituent les plus parfaites illustrations de la pression permanente que les sans-culottes parisiens exercent sur la Convention jusqu’en 1795. Choqués par les défaites des armées révolutionnaires, scandalisés par la multiplication des révoltes contre la République et scandalisés par la hausse continue du prix du pain, les Parisiens viennent en force assiéger la Convention. Des députés sortent pour adjurer les manifestants de se disperser, mais les sans-culottes menace de faire tirer au canon sur l’Assemblée. Les députés s'inclinent, et après avoir repris place, votent la mise en état d'arrestation de 29 députés girondins, ainsi que l'exigent les chefs de l'insurrection. II. Une révolution populaire ou bourgeoise ? Le sans-culotte Le groupe social désigné sous le terme de sans-culottes attira l'attention des historiens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Après les polémiques déclenchées par la publication en 1946 du livre de D. Guérin, La Lutte des classes sous la première république. Bourgeois et « bras nus », Albert Soboul publiait en 1958 sa thèse, Les Sans-culottes parisiens en l'An II. Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire. Critiquant la thèse de D. Guérin, qui voyait dans la sans-culotterie et dans son action révolutionnaire un embryon de « révolution prolétarienne », A. Soboul s'intéressa au caractère spécifique du mouvement populaire urbain de « la boutique et de l'artisanat ». Selon cet historien, la sansculotterie a fourni à la bourgeoisie révolutionnaire les forces indispensables pour abattre l'Ancien Régime et vaincre la contre-révolution. L'auteur de ce texte exprime l'idéal social, politique et moral des sans-culottes. Il trace le portrait « héroïque » du militant populaire en l'opposant implicitement trait pour trait à « l'aristocrate », au « coquin ». Le sans-culotte est un homme simple, père de famille, travailleur manuel et ardent patriote. L’aristocrate vit dans le luxe, l’oisiveté, la débauche et la conspiration contre-révolutionnaire… Qui sont les sans-culottes ? La plume de Hébert a contribué à immortaliser le type du sans-culotte. Les sansculottes sont des hommes et des femmes qui le plus souvent vivent en ville : il s’agit par exemple du peuple parisien (les sans-culottes « des faubourgs » dans La Carmagnole). Le ou la sans-culotte travaille avec ses mains : « il sait labourer un champ, forger, scier, limer, couvrir un toit, faire des souliers ». Il ne s’agit cependant pas des Parisiens les plus pauvres, car beaucoup sont commerçants ou artisans établis à leur propre compte (ce qu’a montré Albert Soboul en 1958 dans Les sans-culottes parisiens en l’an II). Les sans-culottes sont des acteurs majeurs de la Révolution, ils sont armés et prêts à en découdre : « verser jusqu’à la dernière goutte de son sang pour le salut de la République ». Ils soutiennent les Jacobins et ceux qui, à partir de 1793, mettent la Terreur à l’ordre du jour : « La guillotine n’allait pas assez vite ». Le lieu où s’élaborent le programme et la ligne de conduite des sans-culottes est la section, une assemblée qui couvre un territoire strictement défi ni : « Le soir, il se présente à sa section (…) pour appuyer de toute sa force les bonnes motions, etc. ». En son sein, la pratique de la démocratie directe triomphe : débats publics, participation de ceux qui le souhaitent, votes à main levée. Comme l’indique le syntagme, les « sans-culottes » ne portent pas la culotte, c’est-à-dire le pantalon long qui reste l’apanage des aristocrates. Ils sont à l’occasion déguenillés et désargentés, mais ce n’est pas le cas de ceux qui sont représentés sur cette gravure. Ces deux sans-culottes sont armés de sabres et d’un fusil, l’homme est coiffé du bonnet phrygien (sur lequel il a accroché une cocarde) et ne porte que les couleurs bleu, blanc et rouge. Il porte un pantalon inspiré de celui des esclaves affranchis de Phrygie (Asie Mineure), et veut sou ligner leur parenté avec les démocrates de l’Antiquité grecque ; – La cocarde tricolore (le blanc, symbole de la monarchie, encadré par le bleu et le rouge, couleurs de la capitale) est devenue un emblème national depuis le décret du 4 juillet 1792 ; – La carmagnole, veste courte à gros boutons (c’est aussi une chanson révolutionnaire très populaire créée en 1792 lors de l’arrestation du roi) ; – Le pantalon de toile ou de bure, souvent rayé, les distingue des aristocrates qui portent des culottes de soie ; – La pique rappelle qu’ils sont des citoyens en armes. Élue en septembre 1792, la Convention est d’abord et avant tout une Assemblée constituante, élue pour doter la France d’institutions conformes au cours ouvert par la révolution du 10 août. Reprenant une large partie des idées montagnardes, cette Constitution est précédée d’une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 35 articles dont le contenu diffère nettement de celui de la déclaration de 1789. Elle fut approuvée lors du premier referendum de l’histoire de France, mais son application fut reportée à l’établissement de la paix. La chute de Robespierre entraînera la rédaction d’une autre Constitution, celle de 1795. La déclaration de 1793 diffère sur de nombreux points de celle de 1789. Les plus significatifs sont la liste des droits de l’homme (à laquelle l’égalité est désormais ajoutée), la mention de nombreux droits économiques et sociaux (là où la déclaration de 1789 se bornait à l’énumération des droits politiques) et la légitimation de l’intervention populaire dans la conduite de l’État (aussi bien par le droit de pétition que par le devoir d’insurrection). Composition de la Convention en septembre 1792 «Qui voyait l’Assemblée ne songeait plus à la salle. Qui voyait le drame ne pensait plus au théâtre. Rien de plus difforme et de plus sublime. Un tas de héros, un troupeau de lâches. Des fauves sur une montagne, des reptiles dans le marais. À droite, la Gironde, légion de penseurs; à gauche, la Montagne, un groupe d’athlètes ». Victor Hugo, Quatrevingt-treize. Les mesures prises pour faire face aux menaces extérieures sont tout entières définies par la Terreur mise à l’ordre du jour le 5 septembre 1793 : le fonctionnement normal des institutions est suspendu jusqu’à la paix, tandis que des mesures d’exception permettent de combattre l’ensemble des 115 court, des souliers, une chemise et un gilet. La femme, en sabots, porte une robe simple et un tablier, elle arbore également sur sa coiffe la cocarde révolutionnaire. Que rejettent-ils ? Le mouvement sans-culotte se construit en opposition à « l’aristocratie » et aux « royalistes » (ce que dit La Carmagnole). L’identité sociale du groupe est très importante : le sans-culotte « n’a point de millions », il abjure « le mot “monsieur” ». Le mouvement se construit aussi en opposition aux ennemis du dehors susceptibles de menacer la Révolution – les « Prussiens » et les « Autrichiens » – ; en opposition également aux ennemis du dedans, en premier lieu les Vendéens : « on le voit partir pour la Vendée ». Quelles sont les grandes lignes de leur programme économique et politique ? L’égalité des fortunes et des richesses est une revendication majeure du mouvement sans-culotte : « Tout homme qui a au-delà de ses besoins, ne peut pas user, il ne peut qu’abuser : ainsi, en lui laissant ce qui lui est strictement nécessaire, tout le reste appartient à la République et à ses membres infortunés. » Il s’agit donc d’aller au-delà de l’égalité des droits proclamée par la DDHC du 26 août 1789. Cela implique notamment de fixer un « maximum » des richesses et d’encourager l’accès à la propriété : « croître le nombre des propriétaires », en limitant les excès : « Que le même citoyen ne puisse avoir qu’un atelier, qu’une boutique ». Afin d’améliorer le sort des plus démunis, il convient par ailleurs de lutter contre les spéculateurs en fixant un prix pour « les denrées de première nécessité ». De telles revendications sont défendues par les Jacobins, Marat en tête. Ce dernier, par le biais de L’Ami du Peuple, peut passer pour un porteparole des sans-culottes. Les sans-culottes et Marat sont prêts à user de la force pour imposer leurs idées. De quels moyens d’action les sans-culottes disposent-ils ? Les sans-culottes sont armés, et prompts à user d’une violence jugée légitime pour faire aboutir leurs revendications (ce qu’ils font par exemple à l’occasion de la prise des Tuileries le 10 août 1792, où lorsqu’ils font pression pour que les Girondins jugés trop timorés soient arrêtés en juin 1793). Les sans-culottes soutiennent la politique de la Terreur et assistent nombreux aux exécutions des prétendus « traîtres ». Souvent membres de clubs et de sociétés populaires, ils peuvent aussi faire pression sur l’Assemblée nationale. Rappelons ici que les séances étaient publiques, qu’une foule nombreuse y assistait et manifestait son point de vue par des applaudissements ou des cris. Le tribunal révolutionnaire La définition des « ennemis du peuple » est large : « ceux qui auront provoqué le rétablissement de la royauté, ou cherché à dissoudre la Convention nationale et le gouvernement révolutionnaire (…), ceux qui auront trahi la République dans le commandement des places et des armées, entretenu des intelligences avec les ennemis de la République ». Le tribunal révolutionnaire ne respecte pas les droits des accusés : l’interrogatoire est public (« la formalité de l’interrogatoire secret qui précède est supprimée comme superflue »), les témoignages ne sont pas nécessaires (« s’il existe des preuves, soit matérielles, soit morales, il ne sera point entendu de témoins »), l’accusé n’a pas d’avocat (« la loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés des jurés patriotes : elle n’en accorde point aux conspirateurs »). La seule peine envisagée est « la mort ». ennemis de la République. Ces mesures sont contraires aux principes républicains, dans la mesure où elles bafouent l’ensemble des droits de l’homme : la Terreur supprime l’égalité entre les citoyens, elle prive de liberté les ennemis, réels ou supposés, de la République, elle place – arbitrairement – un grand nombre de citoyens hors du corps social et elle les prive de la protection de la loi. Les excès du gouvernement révolutionnaire sont d’abord justifiés par la nécessité de sauver la patrie en danger : seules des mesures d’exception peuvent sortir la France du péril exceptionnellement grave qui la menace au printemps et à l’été 1793. Mais Robespierre et les montagnards veulent aussi utiliser la Terreur pour transformer radicalement la société française et, ainsi, fonder la République sur des bases réellement solides. Or, dès le printemps 1794, les invasions extérieures sont partout repoussées tandis que les insurrections intérieures sont partout écrasées. La question de la légitimité de la poursuite de la Terreur se pose donc aussi bien dans les rangs montagnards (Danton qui tente de l’arrêter est ainsi exécuté sur ordre de Robespierre en avril 1794) que dans le reste de l’opinion française, souvent déroutée par les innovations qui sont alors imposées. L’organigramme du gouvernement de la Terreur est d’une grande simplicité. L’ensemble des pouvoirs est entre les mains de la Convention qui, par l’intermédiaire du Comité de Salut Public, du Comité de Sûreté générale et de leurs représentants, contrôle toutes les autorités exerçant un pouvoir sur le territoire français. Mais cette assemblée toute-puissante subit elle-même la dictature permanente et exigeante des républicains les plus exaltés, enrôlés dans les sections de sans-culottes ou membres du Club des jacobins et de ses filiales. La Constitution de 1795 préparée par la Convention thermidorienne prévoit que dans les deux Assemblées du futur régime du Directoire, les Cinq Cents et les Anciens, siègeront au minimum deux tiers d'anciens députés de la Convention. Adoptée par referendum en septembre 1795, cette disposition arbitraire permettant de garantir une majorité républicaine dans les deux Assemblées est violemment contestée par les royalistes, dont les idées progressent alors rapidement dans l'opinion. Le 4 octobre 1795, une insurrection est organisée contre le palais des Tuileries où siègent la Convention et le Comité de salut public. Barras, qui est l’ « homme fort » de la période thermidorienne charge le jeune général Bonaparte (26 ans) de rétablir l'ordre. Connu et inquiété quelques mois plus tôt pour ses idées jacobines, Bonaparte, qui s’est illustré en 1793 au 116 siège de Toulon, devient le sauveur de la République. La République thermidorienne doit faire face à une double opposition : celle des royalistes, d’abord, dont l’audience dans l’opinion croît au même rythme que le discrédit dont souffre la République assimilée à la Terreur selon les uns et aux privations selon les autres ; celles des « néojacobins » ensuite, dont les rangs sont surtout composés d’anciens sans-culottes et de nostalgiques des mesures sociales de l’an II. Ces deux oppositions sont d’autant plus dangereuses qu’elles ne se contentent pas de contester la politique suivie par le régime : la République vit en permanence sous la menace d’un coup d’État. La conjuration des Égaux, qui regroupe un grand nombre d’anciens jacobins hostiles au Directoire, est associée au nom de François Babeuf (1760-1796), surnommé Gracchus en souvenir des deux chefs de la plèbe romaine qui, au IIe siècle avant J.-C., tentèrent de soulever le peuple de Rome contre le pouvoir des patriciens. Les idées de Babeuf ont été rassemblées dans le Manifeste des Égaux rédigé par Sylvain Maréchal : une conquête du pouvoir par la force doit permettre d’établir l'égalité réelle, c’est-à-dire le partage des propriétés, et d’appliquer enfin la Constitution de 1793. Le coup d’État projeté par les babouvistes n’aura en fait jamais lieu : les principaux chefs du mouvement sont arrêtés le 10 mai 1796. Babeuf est, quant à lui, fusillé en septembre 1796. Ses idées prendront en revanche une grande importance au XIXe siècle avec le développement du mouvement ouvrier. Pour se défendre, la République ne peut s’appuyer ni sur un crédit suffisant dans l’opinion ni sur un enracinement profond dans le pays. Elle doit donc s’en remettre à l’armée qui, entre 1795 et 1799, met fin à plusieurs tentatives de coup d’État. Ce qui sauve le régime le met aussi de plus en plus à la merci d’un général ambitieux. Pour sauver le gouvernement du Directoire désemparé par les difficultés économiques et militaires, et menacé par un coup d’État royaliste, Sieyès convainc Napoléon Bonaparte de devenir le dictateur de salut public dont la République française a besoin. Le 18 Brumaire de l’an VIII (9 novembre 1799), les deux Assemblées des Cinq-Cents et des Anciens, transportées au château de Saint-Cloud, sont contraintes d’accepter une révision de la Constitution et de nommer un gouvernement provisoire trois Consuls, Bonaparte, Sieyès et Roger Ducos. La Constitution de l’an VIII Les institutions du Consulat sont organisées de manière à donner les plus grands pouvoirs à Napoléon Bonaparte. Le pouvoir exécutif, en principe exercé par trois consuls et des ministres, n’est détenu que par le Premier Consul. Le pouvoir législatif est partagé entre quatre assemblées qui n’effectue chacune qu’une partie de la fabrication de la loi et qui, toutes, sont nommées, directement ou indirectement, par Bonaparte. Le suffrage universel, rétabli à partir de 1799 et strictement encadré par le système des notabilités, permet au Premier Consul de recevoir par plébiscite l’assentiment des Français. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 117 HM – Serment du Jeu de Paume, prise de la Bastille, Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, proclamation de la République Approche scientifique Approche didactique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant, spatiale) : après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Accompagnement 4e : « L’étude des grandes phases de la Révolution française, en sept à huit heures, doit donner une vision de l’ensemble de la période. Il importe avant tout que les élèves soient capables d’identifier et de caractériser trois moments essentiels : 1789, 1793 et la dictature impériale. Plusieurs solutions sont possibles, étant entendu que le «récit synthétique» ne peut se réduire, ni à une chronique linéaire, ni à une épure théorique de la Révolution. La première solution propose une approche chronologique. On peut distinguer un premier temps (1789), celui de la révolution politique et juridique. La deuxième solution est plus ambitieuse. Le professeur peut d’abord proposer (en deux heures) un panorama de la période en dégageant les principales phases, quelques événements porteurs de sens. Puis, quelques aspects importants sont approfondis avec le recours possible à des documents locaux : les premiers acquis (nuit du quatre août, Déclaration des droits de l’homme, les départements, le système métrique)… Quelle que soit la solution retenue, il est indispensable de proposer les portraits de quelques-uns des principaux acteurs de la Révolution qui caractérisent ou symbolisent un des moments de la période étudiée (Lafayette, Danton, Robespierre, Bonaparte). Quelques articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de portée universelle, méritent d’être mémorisés par les élèves. » BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851 – Ruptures avec l'Ancien Régime – Mise en oeuvre des principes révolutionnaires Le programme invite à organiser cette étude autour de quelques axes privilégiés : . Il faut mettre en valeur les principes qui fondent la Révolution française (droits de l'homme, égalité civile, liberté, nation, etc.) en s'appuyant sur les textes fondamentaux de la période (Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, Constitutions, Code civil) et sur une chronologie montrant comment et par quelles forces sociales ces principes sont mis en oeuvre. Au travers des interrogations sur qui vote, légifère et gouverne, les mots clefs du vocabulaire politique sont contextualisés (suffrage censitaire et universel, souveraineté nationale, séparation des pouvoirs, assemblée, etc.). Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la vie politique et à la difficile abolition de l'esclavage. » Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4e actuel : « Les grandes phases de la période révolutionnaire en France, de 1789 à 1815 (7 à 8 heures) Un récit synthétique permet de présenter les épisodes majeurs et les principaux acteurs de la période révolutionnaire et impériale en insistant sur la signification politique et sociale de chacune des phases retenues. Les événements extérieurs ne font pas l’objet d’une étude exhaustive, mais sont évoqués à l’aide de cartes. • Repères chronologiques : prise de la Bastille (14 juillet 1789) ; Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789) ; chute de la monarchie (10 août 1792) • Documents : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » Socle : Nouveau commentaire « Les grandes phases de la Révolution et de l’Empire sont présentées à partir des événements fondateurs, des principaux acteurs et des grandes figures. On insiste sur des points clés de la période : la chute de l’Ancien Régime politique et social en 1789, l’accélération des événements et des expériences politiques entre 1792 et 1794, les réformes de Napoléon Bonaparte. » BO 4e futur : LES TEMPS FORTS DE LA RÉVOLUTION « L’accent est mis sur trois moments : - 1789-1791 : l’affirmation de la souveraineté populaire, de l’égalité juridique et des libertés individuelles… - 1792-1794 : la République, la guerre et la Terreur ... On renonce à un récit continu des événements de la Révolution et de l’Empire ; l’étude se concentre sur un petit nombre d’événements et de grandes figures à l’aide d’images au 118 choix pour mettre en mettre en évidence les ruptures avec l’ordre ancien. Connaître et utiliser les repères suivants − La Révolution française : 1789 – 1799. Prise de la Bastille : 14 juillet 1789 ; Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : août 1789 ; proclamation de la République : septembre 1792 Raconter quelques uns des événements retenus et expliquer leur importance Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I. Le serment du Jeu de paume, Dessin de J.-L. David en 1791. Musée national du château de Versailles. Ce dessin réalisé à la plume et au lavis de bistre par Jacques-Louis David (17481826) en 1791 est conservé au musée du château de Versailles. Le 28 octobre 1790, les jacobins demandent à l'artiste de peindre une toile de grande taille illustrant le serment prêté par les députés le 20 juin 1789. Le peintre n'a pas été directement témoin de la scène, mais il se rend sur place et se renseigne sur le comportement des acteurs. Il remplit plusieurs carnets de projets avant d'exposer au Salon de septembre 1791 ce dessin. Il obtient la disposition d'une église désaffectée pour y peindre une toile de grand format. Il fait poser l'abbé Grégoire, prieur de la Marne et le père Gérard, mais, pour des raisons politiques liées à l'évolution de certains acteurs de premier plan de la journée du 20 juin (Mirabeau, Barnave, Bailly), le tableau n’est jamais achevé. L'auteur du Serment des Horaces ne met plus au centre de la composition un faisceau d'armes mais la proclamation lue par Bailly. L'axe de composition est souligné par la main levée du président de séance vers laquelle converge le mouvement des bras tendus. Au premier plan, une cinquantaine de députés sont identifiables. La disposition des figures évoque une frise de bas-relief antique. Au centre, trois personnages se donnent l'accolade : deux clercs (en noir, l'abbé Grégoire, en blanc, Dom Gerle) et le pasteur Rabaud Saint-Étienne. Parmi les députés identifiables figurent notamment Sieyès, Mirabeau, Robespierre, Barère… En haut, malgré un violent orage qui agite les tentures, le peuple présent en spectateur exprime son soutien aux députés, brandissant chapeaux et épées. Visible à l'arrière-plan à gauche, la chapelle du château est zébrée par un éclair. David a composé son tableau pour « faire de cette masse humaine non un portrait collectif, mais un ensemble de portraits particuliers […] Le grand élan collectif est d'abord la décision de chaque volonté particulière » (J. Starobinski, 1789. Les Emblèmes de la raison, Flammarion, Paris, 1979). Il met en scène « une communion instauratrice […]. Or il faut qu'un acte significatif marque la rencontre de ces foules d'un jour et des principes éternels, qu'il marque le lien indissoluble que les hommes contractent entre eux et dont ils feront le point de départ d'une nouvelle alliance. Cet acte, c'est celui du serment. Acte ponctuel, événement bref, inscrit dans une minute passagère : il engage un avenir et lie des énergies qui, sans lui, se disperseraient […] Il faut opposer le serment à la cérémonie traditionnelle du sacre des rois de France. Le sacre, cérémonie d'instauration, conférait au monarque, par une intervention d'en haut, au nom d'un Dieu transcendant, les insignes surnaturels de son pouvoir. Le serment révolutionnaire crée la souveraineté, alors que le monarque la recevait du Ciel » (J. Starobinski). Avec un souci d'effet scénique et de pédagogie révolutionnaire, le peintre a pris des libertés avec la réalité historique. Ainsi, c’est Mounier et non Bailly qui lut la déclaration et il semble peu vraisemblable de représenter l'orateur tournant le dos à la masse de son public. Mais David signifie que le texte du serment s'adresse aussi au spectateur. Ce moment exprime l'unité de la nation. L'unanimité du serment est renforcée par les scènes de fraternisation, notamment celle des deux hommes de l'Église catholique et d'un pasteur protestant. Le message renforcé par le jeu des lumières et la construction géométrique de la toile est clair : la Révolution unifie la nation représentée par ses députés avec le soutien du peuple dans toutes ses composantes (civils / militaires, hommes / femmes, jeunes / vieux). « L'ensemble du tableau est construit autour de la tension entre l'unité politique et morale qui fait de ces centaines de députés une volonté unique et les particularités individuelles de chacun d'entre eux, si précisément dessinées. Ce que David veut montrer, c'est La fête de la Fédération (14 juillet 1790) Gravure de David, 1790. Le 14 juillet 1790, à Paris, les Français commémorent en grande pompe le premier anniversaire de la prise de la Bastille. Des fêtes civiques spontanées organisées çà et là dans les départements ont inspiré l’idée de cette grande fête d’union nationale aux députés de l’Assemblée constituante et au marquis de La Fayette, homme de confiance du roi. La fête de la Fédération se veut une cérémonie de réconciliation entre le roi et les membres de l’Assemblée nationale, autrement dit les différents acteurs politiques qui s’opposent depuis plus d’un an. Cette fête est dite de la Fédération des Français car elle réunit les représentants des 83 départements créés par l’Assemblée nationale constituante, les « Fédérés », rangés sous leurs bannières. C’est donc un moment fort d’union nationale. Après La Fayette et le président de l’Assemblée, le roi prête à son tour serment de fidélité aux lois nouvelles : « Moi, roi des Français, je jure d’employer le pouvoir qui m’est délégué par la loi constitutionnelle de l’État, à maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par moi et à faire exécuter les lois ». La reine, se levant et montrant le dauphin: «Voilà mon fils, il s’unit, ainsi que moi, aux mêmes sentiments ». Allégorie de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Gravure de Niquet le Jeune, 1797. B.N.F., Paris. Niquet le Jeune place le texte de la Déclaration de 1789 au centre de sa gravure dans un cadre agreste de fantaisie jouant du contraste de l'ombre et de la lumière, du passé et du présent. À gauche de la stèle sur laquelle est gravée la Déclaration, l'homme est seul, écrasé dans un environnement hostile, obscur et violent. C'est le temps passé des « droits féodaux et des privilèges ». La Révolution figurée par la Déclaration ouvre une nouvelle ère représentée sur la partie droite de la gravure. Les lumières ont chassé l'obscurité et l'orage. Une femme tient par la main un enfant, symbole de l'avenir de l'humanité régénérée. Elle l'invite 119 l'unité d'un jour providentiel entre des individus désormais indépendants, libres d'eux-mêmes […]. Une communauté d'individus fraternels communie dans un acte identique par où elle fonde la volonté du peuple. Nulle représentation du roi, nulle image du passé, nulle richesse ornementale. Tout juste une diversité d'hommes transformée en unité de volonté. » (F. Furet) Le Serment du Jeu de paume, le 20 juin 1789 Il s’agit de l’esquisse d’un tableau qui a été commandé à David par le club des Jacobins en 1790. Faute d’argent, le tableau ne fut pas achevé par David mais par d’autres peintres, ultérieurement. Ce document est ce qu’il est convenu d’appeler un document patrimonial, pour deux raisons : – d’une part, il illustre un moment fort de la Révolution, celui qui marque sa naissance en quelque sorte : le serment du Jeu de paume. À Versailles, le roi ayant fait fermer leur salle de réunion, les députés du tiers état se retrouvent dans la salle du Jeu de paume et prêtent, le 20 juin, serment de ne pas se « séparer avant qu’une constitution du royaume soit établie ». La révolution politique est en marche ; il s’agit d’un véritable coup de force contre le roi. L’idée de prononcer le serment est défendue par l’abbé Sieyès, également par Mounié et Barnave, députés du tiers état. Toutefois, c’est au président des députés du tiers, Bailly, que revient l’honneur de prononcer le premier serment : il est représenté debout sur la table au centre de l’esquisse. Au premier plan au centre, trois ecclésiastiques (Dom Gerle, Rabaut de Saint-Étienne, l’abbé Grégoire) symbolisent la réconciliation du clergé et l’onction divine donnée à l’événement. Les députés, d’un commun élan, tendent les bras vers Bailly, à l’exception de Martin Dauch, qui fut le seul à refuser de prêter serment (il est représenté à droite au premier plan). En haut, une foule est venue nombreuse assister à la scène, l’idée d’une concorde entre le peuple français et ses élus est mise en avant. Un vent de liberté passe sur cette scène (voyez le rideau à la fenêtre) qui, de manière symbolique, est ouverte sur le monde. – D’autre part, cette oeuvre dont nous avons ici l’esquisse (réalisée au crayon et à la plume) illustre le mariage de l’art et de la politique. Jacques-Louis David (1748-1825), parisien d’origine bourgeoise, fait son apprentissage de peintre en Italie. Dès 1789, il se passionne pour la Révolution. Élu député de Paris à la Convention, il vote la mort du Roi. Proche de Robespierre qu’il admire, il devient ensuite « ordonnateur et décorateur » des grandes fêtes de la République, notamment celles de l’Être suprême. Peintre officiel de la Révolution, il deviendra également peintre officiel de Napoléon. David n’a pas été témoin de la scène qu’il représente ici ; sa représentation semble néanmoins fidèle car il a pris le soin de rencontrer des témoins et des acteurs de l’événement. Réalisée en 1791, cette esquisse a pour principal objectif de sacraliser l’événement, d’insister sur l’élan commun et l’unité qui réunirent les députés en 1789 à une période, 1791, où l’agitation gagne la rue et les clubs et où les divisions sont nombreuses dans la classe politique. à lire le texte qui met fin à l'Ancien Régime et inaugure le nouvel ordre social. Au deuxième plan, des hommes et des femmes dansent autour d'un mât de la liberté surmonté d'un bonnet phrygien. Cette gravure exprime une vision optimiste, sinon naïve, de l'histoire avec une mise en scène unanimiste : la Révolution des droits naturels ouvre une ère de paix et de bonheur pour une humanité réconciliée. La stèle sur laquelle figure la Déclaration marque la rupture entre les temps anciens (à gauche) pendant lesquels l'homme était écrasé par un environnement hostile et les temps nouveaux (à droite) durant lesquels triomphent les lumières, la paix et la liberté. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 est l’un des textes fondateurs de la démocratie. En présentant d’une manière systématique les grands principes du droit naturel issus de la philosophie des Lumières, elle définit une démocratie libérale, fondée sur les libertés individuelles (dont la propriété) et l’État de droit. Elle est complétée, dans le sens d’une démocratie plus sociale, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 juin 1793. Ces textes ont inspiré le préambule des constitutions françaises de 1946 (IVe République) et de 1958 (Ve République) et la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948. II. La Prise de la Bastille, Jean Pierre Houel (1735-1813), aquarelle, 1789, Bibliothèque nationale, Paris Cette prise de la Bastille est le premier fait sanglant de la Révolution. La Bastille, prison royale où l’on enferme sur lettre de cachet, apparaît comme le symbole de l’arbitraire royal. Les faits sont bien connus : dans des conditions difficiles de disette, le peuple parisien apprend le renvoi du ministre Necker, très populaire, et constate l’arrivée de troupes qui entourent Paris. Dès le 13 juillet, Camille Desmoulins encourage la foule à piller les boutiques d’armuriers et à passer à l’action. Après les Invalides, où ils récupèrent un important stock d’armes, les Parisiens se dirigent vers la Bastille où sont retenus sept prisonniers. Après un essai de négociations avec le gouverneur de Launay, une fusillade atteint les assaillants qui finissent par remporter l’assaut et massacrer la garnison. La Bastille est aussitôt démantelée. Ce fait, immédiatement suivi d’un énorme retentissement en France, permet aux députés, en révolte contre le roi à Versailles, de pouvoir tenir bon, puisque Louis XVI retire ses troupes. Cette date du 14 juillet sera choisie comme fête nationale en 1879 sous la IIIe République. La prise de la Bastille (14 juillet 1789), Huile sur toile, 58 x 73 cm. Musée du 120 château de Versailles. La Bastille est une forteresse construite sous Charles V de 1367 à 1380 pour protéger la capitale. Richelieu l’a transformée au début du XVIIe siècle en prison royale. La foule des assaillants est composée principalement d’artisans et de boutiquiers du quartier du faubourg Saint-Antoine, rejoints par des bourgeois, des soldats, ainsi que des femmes et des enfants. Le premier objectif des Parisiens est de prendre possession des munitions stockées dans la prison (la veille déjà, ils se sont emparés des armes entreposées aux Invalides), mais la dimension symbolique est également présente (s’attaquer au despotisme). La journée du 14 juillet 1789 marque l’irruption du peuple dans le processus révolutionnaire. Si le 20 juin s’est déroulé dans le calme à Versailles, le 14 juillet est la première journée parisienne au cours de laquelle la Révolution fait couler le sang. Selon le texte, les assaillants de la Bastille sont des « bourgeois » et des soldats, auxquels se mêlent des femmes et des enfants. Les travaux des historiens ont démenti le mythe contre-révolutionnaire d'une foule de vauriens et de repris de justice. Il y avait parmi les « vainqueurs de la Bastille » peu de bourgeois aisés et une majorité d'artisans et de boutiquiers, dont bon nombre habitaient le faubourg Saint-Antoine. La journée du 10 juin 1789, qui a comme acteurs les députés de l'Assemblée, se déroule à Versailles sans violence physique. La journée du 14 juillet 1789, qui sauve la fragile révolution des députés, mobilise des foules populaires et fait couler le sang : une centaine de patriotes tués et, dans le camp adverse, le gouverneur de Launay, quelques hommes et le prévôt des marchands, Flesselles, mis à mort par la foule. L'auteur de cet article est du côté des « patriotes », comme l’indique le « on » et le vocabulaire employé (« l'affreux despotisme », « le traître gouverneur », « le drapeau sacré de la patrie »). Son récit est le témoignage engagé d'un acteur de la journée révolutionnaire. III. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen C’est le premier texte du genre adopté en France. Ce n’est pas une loi, car elle ne fixe pas de règles dans un domaine particulier, mais une déclaration de principes, qui a une valeur universelle. Elle doit servir de préambule à la future Constitution de 1791. Votée le 26 août 1789, elle est le fruit d’une réflexion qui a commencé dès la convocation des États généraux, en décembre 1788, et qui s’est précisée au cours de l’été 1789. C’est un texte collégial, auquel de nombreux auteurs ont apporté leur contribution. La Fayette fut le premier à présenter un projet de Déclaration (sur le modèle américain), Sieyès en fit autant, et de nombreux députés dont Mirabeau, Mounier, Barnave, l’abbé Grégoire, etc., participèrent aux discussions. L’absence de toute référence spatio-temporelle renforce la portée universelle de ce texte, qui s’adresse certes au peuple français, mais plus largement à toute l’humanité. Depuis le 20 juin 1789, les députés se sont engagés par le serment du Jeu de paume à donner à la France une nouvelle Constitution. Leur projet s’est précisé au cours de la nuit du 4 août, car en abolissant les privilèges, ils ont établi de fait l’égalité entre les citoyens. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est nourrie d’une double inspiration : – La forme s’inspire très directement des textes anglo-saxons (Habeas corpus de 1679, Bill of Rights de 1689, Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique du 4 juillet 1776) ; – Le contenu est très influencé par les idées des philosophes des Lumières (Diderot, Rousseau, Montesquieu). Dès les premières lignes, le préambule explique que la Déclaration veut combler un vide juridique : « considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements», les députés entendent rappeler aux hommes « sans cesse leurs droits et leurs devoirs ». Le texte doit servir de base à la future Constitution, en énonçant « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme » qui devront à l’avenir être garantis. Ces cadres serviront au futur gouvernement, «afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ». Pour ce faire, la Déclaration s’engage à établir « des principes simples et incontestables », afin de garantir le « bonheur de tous ». Le 26 août 1789, les députés des états généraux, réunis en Assemblée nationale 121 constituante, votent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il s’agit donc de l’un des premiers textes issus de la Révolution, parfois qualifié d’« acte de décès de l’Ancien Régime ». Pour les députés, il faut établir une déclaration de « principes simples et incontestables » pour pouvoir servir de fondement à la réorganisation du pays. Il s’agit là d’un texte de référence, repris en partie dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, et dont le respect est réaffirmé dans les Constitutions françaises de 1946 et de 1958. Pour les députés, il faut à la fois prendre en compte les désirs exprimés par les Français dans les cahiers de doléances, mais aussi mettre par écrit les grands principes sur lesquels ils s’appuient pour mener la Révolution et réorganiser la France. Un nouvel ordre politique est envisagé : la nation est souveraine, le pouvoir doit être exercé par ses représentants. La Constitution garantit la séparation des pouvoirs. De nombreux articles précisent les conditions d’exercice de la loi, pour effacer toute justice arbitraire. Enfin, l’égalité entre les hommes, ainsi que les libertés fondamentales, posent les bases d’un nouvel ordre social. On peut donc, à juste titre, parler d’un « acte de décès de l’Ancien Régime ». Cette déclaration apparaît comme le fondement de la démocratie moderne, puisqu’elle rappelle les droits mais aussi les devoirs du citoyen. La planche reproduite ici, sur le modèle des tables de la Loi, est une représentation fréquente de cette Déclaration au 18e siècle. La Justice et la Liberté qui brise ses chaînes encadrent cette déclaration, surmontée de symboles d’origine maçonnique. L’oeil représente la vigilance ; inscrit dans le triangle qui symbolise l’égalité,il symbolise la raison ;il irradie la lumière et s’associe à la loi. Au centre, à la pointe de la lance, le bonnet phrygien, porté par les esclaves affranchis sous l’Empire romain. Il surmonte un faisceau de verges, symbole de l’autorité depuis la Rome antique. Ce tableau peint sur bois est dédié « aux représentants du peuple français ». Le préambule et les dix-sept articles sont gravés et dorés sur un monument dont la forme évoque la représentation traditionnelle des Tables de la Loi. L'ensemble est décoré de guirlandes et accompagné de divers symboles et allégories. Deux personnages féminins dominent le texte. À gauche, une femme figure la France. Elle est couronnée, vêtue d'habits tricolores et d'un manteau fleurdelisé. À droite, une femme ailée figure la loi. Avec sa main droite, elle tient un sceptre qui montre un oeil ouvert sur fond de soleil rayonnant : la Raison vigilante perce de ses lumières les nuages de l'erreur. Avec sa main gauche, elle nous invite à lire la Déclaration. Sous le rappel des dates des séances pendant lesquelles les droits de l'homme et du citoyen ont été « décrétés » par l'Assemblée nationale, un serpent qui se mord la queue signifie l'éternité des droits que rappelle le préambule. Entre les Tables, un faisceau de verges liées symbolise l'union du peuple dans la nation, la pique symbolise la force de la loi. L'ensemble est surmonté du bonnet phrygien rouge, symbole de la liberté retrouvée. Le texte de la Déclaration est présenté sous forme des nouvelles Tables de la Loi : la philosophie du droit naturel ouvre une nouvelle ère et remplace les Dix Commandements transmis par Moïse. La révolution du 10 août 1792 fonde la première république de l’histoire de France, mais ébranle aussi l’ensemble de l’édifice politique et social établi en 1789. L’étude de la période ouverte par cet épisode majeur et close par l’établissement du Ier Empire se fonde évidemment sur la succession des gouvernements républicains – la Convention, le Directoire, le Consulat – mais insiste surtout sur la très difficile mise en oeuvre des principes révolutionnaires de la liberté, de l’égalité ou de la souveraineté nationale. Pour quelles raisons l’histoire de la République est-elle celle d’un régime constamment menacé ? Le sujet impose de repartir du début de l’histoire de la République pour expliquer ses premières faiblesses : – c’est une révolution essentiellement parisienne qui provoque la chute de la monarchie parlementaire en place depuis 1789 ; – la République est certes proclamée le 21 septembre 1792 par une assemblée de représentants de la France entière, mais celle-ci n’est élue que par 10% des électeurs ; – la République est, dès ses premières semaines, la visée des pressions des sansculottes. Il faut ensuite mesurer l’importance du premier événement capital de l’histoire de la République, l’exécution de Louis XVI : 122 – le procès et la mort du roi poussent toutes les monarchies européennes à entrer en guerre contre la France ; – pour repousser ces attaques, la Convention décide une levée en masse dans toute la France, qui provoque à son tour de nombreuses révoltes notamment en Vendée ; – les montagnards accusent alors les girondins de trahir la République : leurs chefs arrêtés, ces derniers entrent à leur tour en révolte contre la République. Le deuxième tournant de l’histoire de la République est évidemment la mise en place de la Terreur : – la Terreur organisée par les montagnards en 1793-1794 sauve la République mais reste pour longtemps la page la plus sanglante de l’histoire du régime ; – elle transforme un régime démocratique en une tyrannie exercée par un parti ; – non seulement elle échoue dans sa tentative de faire naître une France régénérée, mais,avec cette dernière, elle éloigne encore davantage les Français de la République. Les expériences de la Convention thermidorienne puis du Directoire ne font que confirmer un divorce croissant entre les Français et la République : – régime bourgeois et conservateur, la République se prive du soutien des catégories sociales les plus défavorisées ; – elle a donc le plus grand mal à résister aux oppositions royaliste et néo-jacobine qui la menacent constamment ; – elle doit s’en remettre à l’armée, ce qui précipite le coup d’État du 18 brumaire. Il faut enfin montrer comment toute l’histoire du Consulat est celle de la disparition de la République : – en principe républicain, le Consulat est tout entier organisé pour donner les plus grands pouvoirs à Napoléon Bonaparte ; – de plus en plus personnel, le gouvernement de ce dernier aboutit logiquement à l’établissement de l’Empire en 1804. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 123 HM – Les femmes et la Révolution française Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Sujet différent de « Les femmes de la Révolution » et de « La Révolution et les femmes ». Définition de l’Encyclopédie : « Femme : c’est la femelle de l’homme. Voyez homme, femelle, sexe » Avec la Révolution française, les femmes font irruption sur la scène politique. Elles font leur apprentissage politique, émettent leurs opinions, concourent aux événements, interviennent dans les conflits, d’un côté ou de l’autre. Prises de position et actions ne sont, évidemment, pas indépendantes du facteur social : les femmes pendant la Révolution, pas plus qu’à d’autres périodes, ne sont un groupe homogène. La période de la Révolution française offre ainsi le paradoxe d’une nation proclamant le droit naturel, et donc l’universalité des droits de l’être humain, et qui exclut, dans le même temps, la moitié de la population de la citoyenneté en violation du principe de l’égalité des droits. Problématiques : participations et exclusions. Conséquences positives et négatives. Sources et muséographie : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Cf au Primaire Ouvrages généraux : Jean-Clément Martin, Femmes dans la Révolution française et l'Empire, Paris, 2008. Evelyne Morin-Rotureau, 1789-1799 : combats de femmes, Autrement, 2003 D. Godineau, Les femmes dans la société française, 16ème-18ème siècle, Paris, Armand Colin, 2003, p.196-236 GODINEAU Dominique, Les Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Aix-enProvence, Alinéa, 1988. Paule-Marie Duhet, Les femmes et la révolution, 1789-1794, Archives Julliard, Paris, 1971 Y. Ripa, Les femmes actrices de l’histoire, 1789-1945, Campus Sedes, Paris, 1999. BRIVE, Marie-France, dir., Les Femmes et la Révolution française , tome 1, Modes d’action et d’expression, nouveaux droits, nouveaux devoirs, tome 2, L’Individuel et le social, apparitions et représentations, tome 3, L’Effet 89, 1991, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1989, 1990,1991. Olivier BLANC, dans Marie-Olympes de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIème siècle, Paris, Editions René Vienet, 2003 DUHET, Paule-Marie, éd., Cahiers de doléances des femmes en 1789 et autres textes, Paris, Des Femmes, 1981. 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V Jacques Guilhaumou, Martine Lapied, "Les femmes et la Révolution française : recherches en cours", Révolution-française.net Carte murale : Enjeux didactiques (repères, notions et Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des méthodes) : savoirs, concepts, problématique) : Traditionnellement orientée vers les faits politiques, l’histoire transmise aux enfants, aux élèves comme aux étudiants, n’a longtemps retenu des années révolutionnaires que les hommes politiques, l’évolution administrative, les faits de guerre. L’introduction de l’histoire économique et sociale n’a guère changé la donne : l’histoire enseignée au collège ou au lycée évoquait seulement quelques figures emblématiques ; elle ne décrivait les groupes de femmes que lorsqu’ils intervenaient à l’appui d’un événement politique ou dans un «fait-divers». On pourrait résumer schématiquement la présence des femmes dans la période de la Révolution française, telle que l’ont transmise longtemps les manuels, comme ceci : - Marie-Antoinette, avec tous les clichés qu’elle véhicule, son image maléfique de femme fatale, et punie. - Les dames de la Halle, un glorieux moment d’action collective, un adjuvant précieux à l’action masculine. - Charlotte Corday, la meurtrière de Marat, la femme passionnée, jusqu’au crime. Elle est punie. - A l’arrière plan, les tricoteuses, archétypes de mégères. - Joséphine, l’épouse de Bonaparte, la femme incarnant les plaisirs futiles du Directoire. Femme légère, elle sera punie également : stérilité, répudiation. Cette vision des choses, à peine caricaturale, reflète et prolonge en réalité l’idéologie jacobine, produit de l’esprit des Lumières, telle qu’elle a sévi politiquement contre les femmes sous la Révolution, et bien au delà. Elle tend à renforcer des stéréotypes, qui sont partagés depuis plus de deux siècles par les tenants de l’histoire universitaire officielle. En histoire comme dans les autres sciences humaines, ce sont les années 1970 qui ont remis en cause les représentations qu’elle transmettait jusqu’alors. Ces recherches nouvelles correspondent à un moment où les féminismes renaissants interrogeaient la légitimité des rôles sociaux. Un tel mouvement historiographique avait déjà été esquissé dans les premières années du XXe siècle, lorsque les «suffragistes» réclamaient le droit de vote. Mais si, au début du siècle passé, les recherches menées sur les femmes de la Révolution n’ont pas trouvé de traduction dans les programmes officiels, cela change aujourd’hui. Ce nouvel intérêt porté à l’histoire des femmes dans la Révolution procède de plusieurs courants. Le développement des recherches sur les femmes, depuis une génération, après avoir trouvé ses porte-parole dans les mouvements féministes, a peu a peu conquis les milieux universitaires. La période révolutionnaire en elle même a suscité peu de recherches de ce type pendant longtemps dans la mesure où les patrons de cette recherche, massivement marxistes, avaient tendance à considérer tout ce qui sentait son féminisme comme entaché de bourgeoisie. Ils prolongeaient ainsi d’une certaine manière l’antiféminisme jacobin. Mais l’étude des milieux populaires féminins, par Dominique Godineau par exemple, a fait justice de ce faux procès. Entre récit de fermeture et récit d’ouverture Dans un premier temps, la question posée, essentiellement par les historiennes anglo-saxonnes de la Gender History, a été celle du refus des droits entraînant une vision négative de la Révolution, considérée comme la défaite historique des femmes. À tel point que certaines historiennes comme Joan B. Landes ont cru BO 4e futur : LES FONDATIONS D’UNE FRANCE NOUVELLE PENDANT LA RÉVOLUTION ET L’EMPIRE Les fondations, politiques, économiques, sociales et culturelles d’une France nouvelle. Une étude au choix parmi les suivantes : - La Révolution et les femmes… Raconter des événements, des épisodes de la vie d’acteurs révolutionnaires (hommes et femmes), des prises de décision et expliquer leurs enjeux et leur importance historique BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851 – Ruptures avec l'Ancien Régime – Mise en oeuvre des principes révolutionnaires – Héritages conservés, héritages remis en cause Cette question est délibérément centrée sur la France avec un triple objectif : – faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ; – évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de cette période ; – dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les domaines politiques et sociaux. Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la vie politique et à la difficile abolition de l'esclavage. » En Seconde, c’est bien l’idée de nouveauté, de modernisation qui prévaut. Comment l’histoire des femmes et du genre peut-elle y trouver sa place ? Elle dérange un peu, en ce que la période apporte vraiment peu de nouveautés, de modernisation. Entre la condition de certaines privilégiées de l’Ancien régime, et celle de toutes les femmes de la période post révolutionnaire, on peut même soutenir qu’il y a une forme de régression politique : le pouvoir de diriger l’État a disparu. La barrière du privé et du public semble solidement fermée. On 125 pouvoir affirmer que « la République a été construite contre les femmes et pas seulement sans elles ». Pour sa part, Dorinda Outram assimile la politique culturelle révolutionnaire à une politique de développement du rationalisme mâle contre la sensibilité féminine. La constitution de la « communauté des frères », après le meurtre du père, s’accompagnerait de l’exclusion politique des femmes. Thèse radicale qu’il convient certes de resituer dans le contexte des luttes féministes, mais qui tendait à considérer l’antiféminisme comme une condition nécessaire à la formation de l’espace public bourgeois. Il est vrai que le discours masculin dominant, tant du côté des philosophes que des législateurs, est le plus souvent un discours d’exclusion politique à l’encontre des citoyennes, confinées dans leur seule reconnaissance comme sujet civil. Cette analyse est renforcée par l’idée que la Révolution française fait rupture avec un Ancien Régime où les femmes jouent un rôle essentiel dans la sociabilité des salons au titre d’une pratique d’hospitalité qui en définit l’espace propre. En effet, l’espace des salons est un univers pour une part dévolu à l’action féminine, sans pour autant signifier un retrait dans la sphère domestique, bien au contraire. Les « salonnières » régissent les lois de l’hospitalité mondaine, et peuvent ainsi rendre particulièrement visibles leurs actions au sein des salons. Et, en tant que femmes de lettres pour nombre d’entre elles, elles participent aussi d’un savoir mis en débat dans une véritable dynamique de genre. De telles analyses ont conduit, notamment dans certains travaux anglo-saxons, à un questionnement sur la démocratie en tant que régime d’accomplissement des droits. Le « récit de fermeture » mettant l'accent sur l’exclusion des femmes de la vie politique est donc bien discuté. Une place particulière doit être accordée aux travaux de Dominique Godineau qui s’est penchée non seulement sur les raisons de l’exclusion et ses contestations mais aussi sur la façon dont elle fonctionne et les réponses que les femmes, affirmant qu’elles appartiennent au Souverain, tentent d’y apporter. Ainsi, la signification à donner à la fermeture des clubs féminins a-t-elle provoqué un débat entre les historiennes qui, à l’exemple de Joan Landes, y voient une véritable volonté d’interdire la politique aux femmes et celles qui, comme Olwen Hufton), estiment qu’elle a été contingente aux événements et qu’elle visait avant tout à réduire les tensions sur les marchés et briser le pouvoir des Enragés. Pour Geneviève Fraisse, la république aurait été discriminante, mais non excluante car elle n’énonce pas les règles de l’exclusion. Elle entend par là que les femmes ne sont pas explicitement exclues, dans la mesure où il n’existe pas de règles inaugurant leur exclusion économique et politique. Donc l’exclusion des femmes est produite plus qu’énoncée, elle est fabriquée plus que théorisée. C’est dire autrement que les citoyennes peuvent, par leurs pensées et leurs actions, contester ce choix exclusif en faveur des hommes, et susciter ainsi une dynamique démocratique d’intégration. « Récit d’exclusion » et « récit d’ouverture » peuvent donc cheminer de concert. De fait il est possible de montrer, malgré les interdits, que de multiples formes de mixité politique apparaissent au sein de la société civile, alors même que se met en place la dissociation entre une « école d’intelligence et de mœurs » à laquelle participaient les femmes des salons et le savoir politique de la société des hommes dont elles sont exclues. Une dissociation combattu par Robespierre dès 1787, dans sa réponse à Melle de Keralio, au sein de l'Académie d'Arras où elle est admise comme membre honoraire. Présentant ce discours peu connu de Robespierre, Florence Gauthier note que nous sommes déjà dans une perspective de complémentarité entre les sexes, et non de hiérarchisation : c'est en commun qu'hommes et femmes, dans les espaces littéraires, se chargent de "perfectionner les facultés communes à toute la nature humaine". Plus généralement, dans la belle synthèse présentée par Lynn Hunt au colloque aixois sur La Révolution française au carrefour des recherches, illustrant le récit des ouvertures politiques qui se met en place, l’historienne s’affirme « pour la Révolution et pour les Lumières ». Elle analyse l’historiographie française et l’historiographie américaine des femmes pendant la Révolution sous le signe de Marx pour les travaux français et de Jürgen Habermas et Michel Foucault pour les travaux américains, s’affirmant elle-même plus influencée par la psychanalyse. Lynn Hunt remarque alors que les travaux américains récents en la matière tendent à mettre en évidence « le portrait de femmes engagés à la fois par leur propre intérêt et par la chose publique, au lieu de femmes limitées par le discours et les décisions politiques des hommes » Ainsi se précise « un récit de l’ouverture politique » dont rencontres et ouvrages récents témoignent. pourrait, dans cette perspective, trouver une analyse de l’établissement du divorce, de ses limites. Au niveau iconographique, les gouaches de Le Sueur sont très utilisées, notamment la vignette représentant « Un club patriotique de femmes », largement diffusée lors du Bicentenaire. Mais ces images ne permettent pas souvent de dire beaucoup ; cf la sempiternelle marchande de journaux à propos de « la naissance d’une opinion publique » ou la plantation de l’arbre de la liberté à Mayence où les hommes dansent avec…des femmes. Voir aussi les femmes partant pour Versailles ; la fête de l’Être Suprême ; Merveilleuses et Incroyables. Les femmes en révolution THÈME 1: LES FEMMES, ACTRICES DE LA RÉVOLUTION Les femmes participent aux événements révolutionnaires de plusieurs façons : – Elles sont physiquement actrices lors des journées révolutionnaires, aux côtés des sansculottes, souvent armées et tout aussi violentes que les hommes. Ce sont les femmes qui ont l’initiative de la marche sur Versailles des 5 et 6 octobre 1789, à l’issue de laquelle la famille royale est ramenée à Paris. L’historien Michelet a d’ailleurs résumé cet épisode par la formule suivante : «La révolution du 6 octobre […] appartient surtout aux femmes, comme celle du 14 juillet appartient aux hommes. Les hommes ont pris la Bastille, les femmes ont pris le roi ». – Elles sont également intellectuellement investies dans la vie politique qui s’anime en 1789. À l’instar des clubs masculins, des clubs de femmes s’organisent : des lectures publiques (ici, du Moniteur) et des débats ont lieu, qui peuvent être houleux (comme en témoigne la clochette brisée aux pieds de l’oratrice). Les premières féministes font leur apparition, et réclament dans leurs écrits une égalité de droits pour le sexe féminin. Les femmes qui ont participé à la Révolution sont surtout des femmes du peuple : elles se font appeler « citoyennes » dans la nouvelle République, et portent fièrement les couleurs nationales ou la cocarde à leur fichu. Les plus instruites d’entre elles portent leurs revendications par écrit, comme Olympe de Gouges (fille d’un boucher et d’une servante) ou Théroigne de Méricourt (fille de paysans aisés). THÈME 2: LE DÉBAT SUR L’ÉGALITÉ DES SEXES En 1789, la situation des femmes est la même que sous l’Ancien Régime : elles sont juridiquement mineures, c’est-à-dire qu’elles sont tout au long de leur vie sous la tutelle des hommes (leur père, puis leur mari). 126 L’importance de la présence des femmes dans la Révolution française était déjà apparue lors du colloque international qui avait été organisé à Toulouse en 1989 par Marie-France Brive. Depuis cette date, en plus des recherches qui leur sont spécifiquement consacrées, les femmes apparaissent de plus en plus dans l’ensemble des travaux portant sur la Révolution, en particulier dans les thèses soutenues depuis le Bicentenaire, qui, prenant en compte la dimension féminine, nous apportent bien des renseignements. Cette histoire a bénéficié aussi d’un « effet 89 », des échos du Bicentenaire et des échanges d’idées qu’il a provoqué, avec un grand colloque à Toulouse, ainsi qu’un très grand nombre de publications. La plupart des auteurs, français ou étrangers, ont alors mis en rapport ce qu’on commençait à appeler le « retard français » (la faible représentation des femmes en politique) avec les origines mêmes de la démocratie française : la période révolutionnaire (sans oublier la loi salique). La Révolution peut alors apparaître comme une occasion manquée pour l’accession des femmes aux droits politiques. En effet, leur cas se sépare de celui des hommes des catégories populaires puisqu’elles n’obtiennent à aucun moment le droit constitutionnel de s’exprimer par le suffrage, ni celui d’exercer des fonctions officielles de responsabilité mêmes locales et, le plus souvent, elles n’ont même pas voix délibérative dans les assemblées. Les refus vont de la privation du droit de vote à l’interdiction de défendre la Nation dans l’armée, le 30 avril 1793, et à la fermeture des clubs féminins, le 30 octobre 1793. Il semble dorénavant qu’il ne soit plus possible d’occulter la présence des femmes pendant la Révolution française. En tout premier lieu, les travaux de Dominique Godineau ont montré la richesse des actions concrètes et spécifiques menées par des femmes. Ses recherches ont mis en valeur l’engagement des Parisiennes qui les place au cœur de certains des événements fondamentaux de la Révolution. Mais dans les provinces aussi, les archives montrent, comme pour les hommes, une diversité de l’engagement des femmes pendant les différentes phases de la période révolutionnaire. En effet, dans le nouvel espace public qui s’élabore pendant la crise révolutionnaire, les pratiques politiques ne peuvent être restreintes à l’exercice du droit de vote. Selon les périodes, les femmes disposent de certaines possibilités, tels le droit de pétition, le droit de se réunir en sociétés, de participer à des assemblées…. La sociabilité et la parole publique deviennent politiques, les femmes peuvent avoir une influence dans la constitution de l’opinion publique, dans les stratégies et les luttes pour le pouvoir. La Révolution provoque une politisation de l’espace privé ; des préoccupations considérées comme « légitimes » pour les femmes prennent alors une connotation politique, tels les problèmes de subsistances, l’éducation, les activités religieuses, la surveillance morale de la communauté…. Cette imbrication de l’espace public et de l’espace privé permet aux femmes une incursion dans le champ politique, dans les limites légales imparties par la Constitution. Nous le savons déjà, les femmes sont exclues légalement du droit de vote. Certes on ne peut ignorer des tentatives de participations féminines au vote populaire de 1793 sur l’adoption de la Constitution. Des votes féminins se déroulent en assemblées de citoyens largement communautaires et délibératives, et relèvent de la continuité avec un mode de participation des veuves ou des fils célibataires au vote dès la formation des Etats Généraux, donc sous l’Ancien Régime, en qualité de contribuables. A ce titre, ce type de « vote féminin » fait débat dans sa dispersion même : au-delà la présence explicite de femmes lors du premier vote national direct de 1793, les femmes demeurent donc exclues du droit de vote par la loi et les faits. Cependant les femmes peuvent jouer un rôle politique, avec des formes d’interventions multiples dont certaines leur sont spécifiques, mais dont d’autres les situent aux côtés des hommes dans le mouvement révolutionnaire ou contre-révolutionnaire. Cet engagement marqué dans les deux camps ne concerne, certes, qu’une minorité du sexe féminin mais il démontre que les femmes peuvent, lors de périodes de crise, jouer un rôle dans l’espace public, comme c’était le cas pendant l’Ancien Régime. Dès 1996, une table-ronde organisée à l’initiative de Martine Lapied autour de Dominique Godineau, Christine Peyrard et Michel Vovelle avait montré que l’espace Paris-province était largement ouvert à un récit national de la politisation féminine. A force d’examiner avec minutie les archives, il apparaît que les endroits où les femmes sont absentes de la scène politique, voire muettes dans l’événement, sont relativement rares. Qui plus, dans « le récit de fermeture », la prise de parole publique des femmes n’est pas appréciée dans toute son ampleur : Comme le décrit une rare femme auteur d’un cahier de doléances, « la devise des femmes est travailler, obéir et se taire». C’est pourquoi elles commencent dès 1789 à réclamer davantage de droits, notamment pour certaines catégories d’entre elles : « nous croyons qu’il est de toute équité de permettre aux femmes veuves ou filles possédant des terres ou autres propriétés, de porter leurs doléances au pied du trône ». Ce faisant, elles remettent en question la traditionnelle représentation des femmes par les hommes « étant démontré, avec raison, qu’un noble ne peut représenter un roturier […] ; de même un homme ne pourrait, avec plus d’équité, représenter une femme ». Quelques hommes, comme Condorcet ou Guyomar, se sont intéressés au sort des femmes pendant la Révolution, poussant la logique universaliste de 1789 jusqu’au bout. « Ennemis jurés des despotes, des tyrans, renonçons à cet empire odieux du plus fort sur le plus faible ». En effet, au nom de l’égalité, les femmes doivent bénéficier des mêmes droits politiques que les hommes : « Apôtres de l’égalité, traitons les femmes égales, et marchons de front dans la carrière politique ». La liberté doit également leur être appliquée : « Défenseurs de la liberté, proclamons celle des femmes, rendues à la dignité humaine ». C’est au nom de ces principes mêmes qu’Olympe de Gouges décide de rédiger en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, version féministe de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dans laquelle elle remplace systématiquement le mot « homme » par celui de «femme». Dans ce document, Olympe défend l’égalité des femmes et souligne leurs droits à la propriété, à la sûreté, et à la résistance à l’oppression. Elle soutient aussi les droits des femmes non mariées, la liberté d’expression, et les droits des citoyennes à participer à la politique aussi bien que les hommes. Citoyennes ? L'exclusion de la moitié du genre humain Condorcet défend le principe de l'égalité en droits des individus, hommes ou femmes : « Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de véritables droits, ou tous ont les mêmes. » Condorcet met en avant une conception universelle de l'être humain, défini comme un être sensible et doué de raison. Dès lors, ce n'est ni la religion, ni la couleur de la peau, ni le sexe qui détermine les droits, donc le droit de cité. Dans le dernier paragraphe de l'extrait, il manie l'ironie pour invalider les thèses hostiles à la citoyenneté des femmes. Les Droits de la femme et de la citoyenne Olympe de Gouges se fait un nom dans les milieux littéraires en composant des pièces de théâtre. Elle rédige un Projet de Déclaration 127 elle est limitée aux citoyennes révolutionnaires des clubs jacobins avec la perspective de la fermeture brutale de ces clubs à l’automne 1793. A l’encontre d’une telle conception exclusive de la démocratie, la récente rencontre de la Sorbonne du 11 décembre 2004 sur « La prise de parole publique des femmes sous la Révolution française », sous l’égide de Christine Fauré et Annie Geffroy, publiée dans les Annales Historiques de la Révolution française, et une étude, disponible sur le Web, de Yann-Arzel Durel-Marc ont ouvert plus largement, certes de manière différente, l’espace de visibilité politique des femmes, visibilité insoupçonnée jusque là par les historiens pour les débuts de la Révolution française. Qu’il s’agisse des doléances, des déclarations et des pétitions à l’Assemblée Nationale, de figures militantes, d’écrivaines engagées dans le débat politique, la parole des femmes apparaît tout à fait audible, voire visible, en situation de crise révolutionnaire. Au-delà de la scène parisienne, une exploration approfondie des archives permet également de trouver des traces de la parole publique des provinciales, comme l’a montré Martine Lapied dans le cas du Sud Est. Il se confirme que les femmes s’expriment de façon privilégiée lorsque la patrie est en danger, si l’on considère, à l’exemple des Marseillaises étudiées par l’historienne américaine Laura Talamante et Jacques Guilhaumou, que « chaque individu(e) a le mérite et la capacité de bien dire ». Tous les camps politiques sont concernés : après les dames citoyennes de 1790, un groupe de jeunes citoyennes joue un rôle non négligeable dans la mobilisation du mouvement sectionnaire en 1793 par le fait d’intervenir dans les assemblées et de participer à la propagande. Donc, le « récit d’ouverture » ne commence plus seulement en 1792, avec les premiers succès de mouvement populaire soutenu par les Jacobins. Ainsi nous pouvons le mettre en place dès 1789 par l’élucidation du geste militant de l’offrande patriotique, et plus largement des diverses formes de la prise de parole publique des femmes, tout cela précédant de bien loin les actions féminines de 1793, étudiées par Dominique Godineau et les dons patriotiques de l’an II analysés par Catherine Duprat. Ainsi que le souligne Christine Fauré, dans sa présentation du récent numéro des Annales Historiques de la Révolution française à ce sujet, la prise au sérieux de formes politiques, attestées dès 1789, où se précisent des modes originaux de prise de parole publique des femmes nous permet de donner une sens étendu à leur action révolutionnaire, et d'y introduire une continuité significative. Les textes en témoignent, mais aussi les images, à l'exemple de la représentation iconographique des femmes au sein de la foule révolutionnaire, récemment étudiée par Joan B. Landes. En effet, l'archive visuelle permet d'abord de mesurer, certes partiellement, l'importance et la nature de la participation des femmes à l'action des foules révolutionnaires; elle ouvre aussi des perspectives sur la manière dont les contemporains de l'événement révolutionnaire réagissent, positivement, négativement ou de manière ambiguë, à ce rôle grandissant des citoyennes. Enfin elle permet d'apprécier le lien entre l'enthousiasme féminin et la violence révolutionnaire. De fait, un tel acquis historiographique se retrouve désormais dans les manuels d’enseignement secondaire pour la classe de seconde. D’un manuel à l’autre, l’accent est mis sur la place des femmes dans la Révolution française, soit par des textes, par exemple la Déclaration des droits de la femme, soit pas des estampes à commenter, de la marche des femmes le 5 octobre 1789 à la représentation d’un club patriotique de citoyennes en passant par les portraits d’une femme sans-culotte ou d’Olympes de Gouges. Nous devons également à Geneviève Dermenjian deux très belles pages en la matière, dans son Manuel de l’enseignement primaire niveau CM1, sous le libellé J’ai vécu. Textes et estampes viennent préciser le positionnement d’une citoyenne qui s’exprime, sous la plume de l’historienne, dans les termes suivants : « Je m’appelle Mathilde. J’ai vécu le temps de la Révolution et de l’Empire. Ma vie, comme celle des autres femmes de cette époque, a été remplie d’espoir, d’actions, de réussites et finalement de déceptions ». Voilà sans nul doute la preuve ultime d’une subversion du récit historique classique par l’importance accordée au rôle politique des femmes dans la Révolution. Cependant tout cela se termine par des déceptions, ce que le Manuel Magnard du secondaire traduit, sur une période plus large, par l’intitulé d’une double page « les femmes, toujours exclues » . Une fois de plus, « récit de fermeture » et « récit d’ouverture » marchent de concert. des droits de la femme et de la citoyenne, dans lequel elle revendique, au nom des principes du droit naturel exprimés dans la Déclaration de 1789, l'émancipation des femmes. Ce texte appelle à un nouveau contrat social au nom de l'universalité du droit naturel. La citoyenneté est une propriété de l'être humain qui vit en société. Exclure un être humain de la citoyenneté, c'est lui refuser l'appartenance pleine et entière au genre humain. « Le mouvement des femmes de 1789 à 1795 mit en lumière le despotisme patriarcal et marital et compléta la théorie du despotisme commencée par la philosophie des Lumières » (« Les déclarations du droit naturel, 1789-1793 » in L'état de la France pendant la Révolution, La Découverte, Paris, 1988). D. Godineau a montré l'importance de la composante féminine du mouvement populaire et ses aspirations à une citoyenneté démocratique (Citoyennes tricoteuses, Alinéa, 1988). Peuton, dès lors, parler de suffrage universel avant que les femmes aient accès au droit de vote ? Elle en conclut dans l'article 6 que les citoyennes doivent participer à l'élaboration de la loi. La sous-représentation des femmes dans les lieux de pouvoir donne encore son actualité à l'article 6 de la Déclaration d'O. de Gouges : « Toutes les citoyennes et tous les citoyens, étant égaux (…), doivent être également admissibles aux dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents. ». O. de Gouges se réfère à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dans l'article 3, qui n'est pas cité dans cet extrait, O. de Gouges définit la nation comme « la réunion de la Femme et de l'Homme ». Elle revendique pour les femmes l'égalité en droits avec les hommes, notamment la plénitude des droits civiques. Contre la citoyenneté des femmes A. Amar est hostile à l'exercice des droits politiques par les femmes. Il fonde son argumentation sur la différence des sexes : « Chaque sexe est appelé à un genre d'occupation qui lui est propre. » Selon Amar, qui partage les préjugés de la plupart des ses contemporains, les femmes sont « par nature » destinées aux tâches domestiques et à l'éducation des enfants. Leur participation à la direction des affaires publiques serait « contre-nature » et aurait des conséquences « funestes ». L’idée que le sexe est une catégorie déterminante, qu’il existe une « nature féminine » spécifique, est à l’opposé des thèses de Condorcet ou d’Olympe de Gouges, pour qui le genre humain défini par le droit naturel est indivisible. « Les femmes n’ont pas le droit d’être citoyennes » 128 Les Révolutionnaires n’ont jamais accepté de considérer les femmes comme citoyennes bien qu’elles aient participé aux journées révolutionnaires, aux manifestations et aux discussions politiques. Encore faut-il nommer ces personnalités certes peu représentatives de la majorité des femmes mais qui ont eu le mérite de lancer les premières pierres dans les revendications de droits : Louise de Kéralio (femme des Lumières, elle défend la participation active des femmes au pouvoir mais refuse aux femmes qu’elles aient le pouvoir car c’est contre nature), Olympe de Gouges (qui combat l’esclavagisme et ose une déclaration des droits de la femme), Pauline Léon, Théroigne de Méricourt (qui revendiquent, entre autres, le port des armes aux femmes), Charlotte Corday, Manon Roland, Thérèse Figueur… Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Les femmes et les cahiers de doléances Quelques (rares) cahiers de doléances, écrits pendant la préparation des États Généraux par des femmes du Tiers-état, proposent des revendications féminines. Certains de ces cahiers présentent des demandes corporatives, d’autres, en abordant le statut des femmes dans la société et les doléances que suscite leur condition, suggèrent le remède le plus efficace : la possibilité d’être instruite et de ne plus étouffer dans le cocon de la «galanterie». Hors salons, quelques paroles féminines existent donc à la veille de la Révolution. Une composante de la foule révolutionnaire : les débuts Dès les premières « journées », les femmes sont une composante visible de la foule révolutionnaire. Elles participent à la prise de la Bastille et quelques unes font partie de ces « héros d’en bas » qui viennent revendiquer un droit à la gratitude nationale pour avoir collaboré à l’événement révolutionnaire. Le titre de « Vainqueur de la Bastille » qui fait l’objet d’un examen en commission et donne donc lieu à un diplôme à partir de mars 1790, ne fait qu’officialiser une initiative immédiate de certains acteurs. On peut rebâtir son identité sur le « j’y étais » de la participation, que l’on soit homme ou femme… Pendant l’Ancien Régime, les femmes assument un rôle traditionnel de « boutefeux » dans les émeutes frumentaires. Elles font naître la révolte de leurs cris et interpellations ; ensuite les hommes interviennent, prennent la tête de l’émeute et sont secondés par les femmes. Le mouvement populaire est apparemment spontané, mais de fait, il y a une distribution sexuelle des rôles. En octobre 1789, non seulement les femmes du peuple parisien sont inquiètes des difficultés de ravitaillement mais elles dépassent leur rôle traditionnel. Elles sont indignées d’avoir entendu dire que la cocarde tricolore a été foulée aux pieds par des gardes royaux. Elles initient les regroupements au son du tocsin, s’emparent de canons, et donnent à la marche sur Versailles un sens politique. Elles impliquent les autorités de Paris, sont rejointes par des hommes de la garde nationale, et obtiennent une victoire symboliquement forte : le retour de la famille royale et de l’Assemblée nationale à Paris. Les femmes ont réagi par l’interpellation du roi et des représentants du peuple. Club patriotique de femmes. Gouache de Lesueur. Musée Carnavalet, Paris. La gouache de Lesueur montre la participation des femmes à la vie politique. Le club de femmes qu'il a représenté a une apparence très convenable : une dizaine de femmes bien vêtues écoutent la lecture du Moniteur et participent à une collecte. Toutefois, la présence d'une petite cloche sur la table, et surtout la clochette brisée aux pieds de l'oratrice, peut laisser supposer que, comme dans les clubs masculins, les débats sont parfois houleux. Des gouaches de Lesueur exposées au musée Carnavalet montrent de façon très conventionnelle des femmes dans leur rôle d'épouses et de mères. Mais elles montrent aussi que les femmes ont fait la Révolution et ont participé aux journées révolutionnaires et à l'effort de guerre. Contrairement à nombre de caricatures de l'époque, cette gouache ne tourne pas en dérision les aspirations féminines à l'émancipation politique. Les femmes ont joué un rôle actif dans la Révolution, notamment dans le milieu sansculotte parisien. Certaines ont fondé des clubs et demandé l’égalité entre les sexes. La Déclaration des droits de l’homme s’adresset-elle à l’homme dans son universalité ou bien seulement au représentant du genre masculin ? Malgré les revendications féministes de Condorcet ou d’Olympe de Gouges, les révolutionnaires sont restés majoritairement prisonniers des stéréotypes sexistes de leur temps : ils ont refusé aux femmes le statut de citoyennes à part entière, en les privant du droit de vote et de la participation politique. Activités, consignes et productions des élèves : LA MARCHE DES FEMMES DE PARIS SUR VERSAILLES (5-6 OCTOBRE 1789) Récit de Louise de Kéralio dans le Journal d’Etat et du citoyen Les femmes sont les « évidentes émeutières » (Arlette Farge) de l’Europe moderne, souvent pour des raisons alimentaires (émeutes frumentaires). Pendant la Révolution, on les retrouve donc à la tête de certaines insurrections parisiennes, jouant leur rôle traditionnel. De leurs gestes, de leurs interpellations naît la révolte. Ensuite, quand les événements se développent, il y a inversion, les hommes passent au premier plan, avec les armes. Hommes secondant les femmes, puis femmes soutenant les hommes : derrière la spontanéité de la foule, derrière son apparent désordre, se dessine clairement une distribution non égalitaire des rôles sexuels, pensée par la population comme l’une des données du mouvement populaire. Mais, pendant la Révolution, il y a un plus à la révolte alimentaire parisienne : la défense du peuple souverain. Le 5 octobre 1789, les femmes sont les premières à se regrouper, au son du tocsin, avec des canons, pour marcher sur Versailles chercher « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » en raison des besoins de leurs maris et de leurs enfants. Mais aussi parce qu’il y a danger pour la Révolution du fait des régiments étrangers. Elles ont impliqué les autorités parisiennes, subi un affrontement meurtrier aux grilles du château, interpellé les représentants du peuple et le roi, obtenu le retour du roi et de l’Assemblée à Paris. Louise de Kéralio est directrice du Journal d’Etat et du citoyen, journal patriote qui paraît depuis le 13 août 1789. Il publie un compte-rendu des séances de l’Assemblée nationale, un récit des principaux événements. Bien que dirigé par une femme cultivée, il garde le silence sur les droits politiques des femmes. CONDORCET CONTRE L'EXCLUSION POLITIQUE DES FEMMES : Une exception 129 Militantes en armes. Gravure allemande anonyme. Musée Carnavalet, Paris. La gravure allemande intitulée « Poissardes parisiennes » montre des femmes brandissant des piques et armées de sabres et de poignards. Une poissarde est une femme du peuple (marchande aux halles), au langage grossier. Ces images donnent deux visions différentes de la participation des femmes à la vie politique de la Révolution. La première met en scène des femmes bien mises, ayant une activité politique pacifique (lecture d'un journal, participation à une collecte), l'autre met en avant la violence du mouvement populaire féminin. La défense de la Révolution et de la patrie - Un apprentissage politique par la sociabilité : tribunes, clubs et sociétés Quelques femmes des milieux dirigeants prolongent les pratiques du XVIIIe siècle et tiennent des salons qui sont désormais des lieux d’échange politique où se rencontrent députés et journalistes : Mme de Staël, Mme Roland (qui souligne qu’elle écoute mais n’intervient pas…). Dans cette période troublée, le rôle des salons est cependant mineur. La Révolution se fait ailleurs. Pour s’instruire, s’informer, s’ingérer et peser sur les décisions, progressivement des femmes du peuple, à Paris, investissent les tribunes de l’Assemblée, puis du Tribunal révolutionnaire, du Conseil de la Commune… On sait, par ailleurs, le rôle très important joué par les clubs politiques, souvent masculins. Mais il est possible aux non-inscrits d’assister aux séances : certaines vont écouter les orateurs qui s’expriment aux Jacobins et aux Cordeliers. Il existe aussi des sociétés politiques mixtes qui comprennent de 15 à 25% de membres féminins : ainsi la très active Société Fraternelle des Patriotes des deux Sexes, dont fait partie la femme de lettres Louise de Kéralio. Des femmes ressentent également le besoin de créer leurs propres sociétés et clubs (souvent philanthropiques à l’origine) : elles y apprennent à prendre la parole, se tiennent au courant des décisions de l’Assemblée, des articles des journaux… En mai 1793, se crée la société la plus radicale, la Société des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires où on remarque Pauline Léon, une des fondatrices, et Claire Lacombe. - Les hommes de la Révolution et les femmes Si les droits civils des femmes sont reconnus (pour une courte période) et si elles sont bénéficiaires de la loi sur le divorce comme de l’égalité successorale, il n’en est pas de même pour les droits politiques. - Le débat sur la citoyenneté La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a, en principe, un caractère universel. Il apparaît cependant vite une dissymétrie citoyen/citoyenne. Pour une écrasante majorité des députés et de l’opinion, la citoyenne est l’épouse du citoyen ou l’habitante d’un pays mais il n’est pas question de lui accorder les droits politiques inclus dans la citoyenneté masculine. Dès juillet 1789, Sieyès propose de rattacher les femmes aux citoyens passifs et, pour Marat, la femme ne doit prendre aucune part aux affaires, étant représentée par le chef de famille. Talleyrand peut affirmer en 1791 que « l’exclusion de la moitié du genre humain de toute participation au gouvernement » contredit le principe d’universalité des droits mais que c’est justifié par le « bonheur mutuel » des deux sexes… Quelques voix rompent, cependant, cette unanimité. Condorcet réfute ainsi, notamment dans l’ « Essai sur l’admission des femmes au droit de cité » (1790), toutes les objections opposées aux droits politiques des femmes, presque seul, au cours de la période révolutionnaire, à théoriser un « féminisme ». Il n’y a pas, ditil, de différence naturelle qui fonde l’exclusion des femmes. - Une femme théorise la revendication politique L’autre texte exceptionnel, polémique et provocant, est produit par une femme isolée, sans lien avec les groupes de femmes révolutionnaires, Olympe de Gouges, qui publie en 1791 sa « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ». En féminisant explicitement la Déclaration de 1789, en transposant aux femmes les droits affirmés, elle insiste sur le caractère bisexué de la société et souligne ce qu’il y a de trompeur dans un universalisme qui ne parle qu’au masculin et ne s’interprète qu ‘au masculin. Cette provinciale, installée à Paris, écrivaine prolixe malgré son manque d’instruction, « engagée » dans le combat politique dès les années 1780 (contre l’esclavage des Noirs), très indépendante, eut peu d’influence au moment même de la Révolution mais deviendra Condorcet (1743-1794), mathématicien et philosophe, neveu de Condillac et ami de d'Alembert, est l'héritier des philosophes du XVIIIe siècle. Sa rigueur intellectuelle le conduit à réclamer l'égalité civile pour les protestants, l'abolition de l'esclavage pour les nègres et le droit de cité pour les femmes. Son « Essai sur l'admission des femmes au droit de cité » paraît en juillet 1790 au cours des travaux de la Constituante. Condorcet n’est pas député et ne défend donc pas ses idées à la tribune. Ce premier texte de théorisation «féministe» mérite l'attention par son argumentaire incisif. Les législateurs violent les principes de 1789 en excluant les femmes des droits politiques. Appartenant à l'espèce humaine, les femmes ont les mêmes droits naturels que les hommes. Ont-elles les capacités permettant d'exercer ces droits ? Condorcet réfute, avec méthode, toutes les objections : fragilité «naturelle», infériorité intellectuelle, absence de «génie» et souligne que les différences dont on tire argument contre les femmes résultent de l'éducation. Il reprend l'argument « historique » des exemples illustres. Il réfute la crainte de l'influence sur les hommes (stéréotype de l'Ancien Régime) qui n'est exercée que parce qu'il y a oppression. Il écarte enfin l'objection qui consiste à supposer que, nanties du droit de cité, les femmes « abandonneraient sur le champ leurs enfants, leur ménage... ». Il montre toutes les incohérences qui règnent dans les différentes exclusions subies par les femmes. Il termine par une revendication limitée : le droit de vote pour les femmes possédant des biens. Mais, au même moment, l'Assemblée se prépare à opter pour un suffrage masculin également censitaire. OLYMPE DE GOUGES La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne Née à Montauban en 1748, fille officielle d'un boucher, en réalité fille illégitime d'un homme de lettres qui n'accepta jamais de la reconnaître, celle qui prend plus tard le pseudonyme flamboyant d'Olympe de Gouges est donc, dès sa naissance, hors norme. Mariée à 16 ans, mère et veuve à 17, elle refuse de se remarier, malgré la rencontre d'un entrepreneur de travaux militaires, aisé, qui lui donne la possibilité de s’installer à Paris. Femme « galante », femme de lettres à partir de 1780, elle devient femme de combat politique à l'approche de la Révolution. Elle écrit et fait jouer plusieurs pièces de théâtre. La première de ses oeuvres cible « L'esclavage des noirs » et lui vaut un certain nombre d'ennuis avec le « lobby » des colons. Son premier texte politique « La lettre au peuple » (1788) est une utopie sociale qui propose l'ouverture d'une caisse patriotique et s'intéresse à la condition féminine. 130 emblématique plus tard. - L’action révolutionnaire des femmes Dès 1790, des femmes tiennent à affirmer leur soutien à la Révolution lors des fêtes civiques ou des journées révolutionnaires. De 1792 à 1795, il y a, à Paris, une sans-culotterie féminine qui intervient dans les différents conflits et se regroupe essentiellement, à partir de 1793, autour des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires. En mars 1792, Pauline Léon fait signer une pétition qui réclame pour les femmes le droit de s’armer. Au printemps 1793, elles appellent et participent au mouvement contre les Girondins et sont bruyantes aux tribunes comme dans la rue. En juillet, certaines tiennent à informer les députés qu’elles approuvent la Constitution : ces actes peuvent être vus comme des réappropriations ou des revendications de citoyenneté. Il en est de même de la pétition (septembre 1793) pour que soit obligatoire pour les femmes le port de la cocarde, symbole de la citoyenneté. En leur cédant, la Convention leur reconnaît (brièvement) une existence politique. Mais la multiplication des rixes à ce propos fournit aux députés l’occasion de donner un coup d’arrêt à l’action des femmes, ces « folles », ces« furies », ces « harpies » injuriées dans la presse, les pamphlets, les caricatures depuis que leur image sur les canons d’octobre contrevient aux assignations de douceur et de retrait qui conviennent à leur sexe. L'Assemblée Constituante et la Législative n'ont pas donné de droits politiques aux femmes, elles ont interprété au masculin « l'homme et le citoyen ». Mais la question de principe n'a pas été posée. Condorcet a défendu, en 1790, « l'admission des femmes au droit de cité » : il n'a recueilli que quelques échos. Au printemps 1793, Pierre Guyomar fait figure d'exception en reprenant les idées de Condorcet. Or les femmes sont une composante du mouvement populaire, s'engageant temporairement, au gré des journées révolutionnaires, sans-culottes anonymes souvent. Certaines participent dès 1790 à des clubs qui acceptent la mixité (ce ne sont pas les grands clubs...) ou créent des clubs féminins. Les plus cultivées rédigent écrits et pétitions. Au printemps 1792, quelques unes ont demandé le port d'armes, revendication qui équivaut à celle de la citoyenneté : demande refusée... Des femmes sont très présentes également dans le mouvement révolutionnaire populaire au cours du printemps (préparation des journées insurrectionnelles de mai-juin). et de l'été 1793. En mai, Pauline Léon a fondé le club des citoyennes républicaines révolutionnaires, ouvert à celles (ouvrières, marchandes.) qui prêtent serment de « vivre pour la révolution et de mourir pour elle ». Des liens forts l'unissent à la sans-culotterie parisienne et aux Enragés, il regroupe les plus radicales des femmes révolutionnaires. La constitution de juin 1793 (an III) a supprimé les citoyens passifs mais les femmes sont exclues de la citoyenneté : au cours de l'été, les femmes révolutionnaires sont nombreuses à vouloir prêter serment à la constitution, refusant ainsi leur exclusion. Les citoyennes républicaines révolutionnaires sont actives également dans la « guerre des cocardes ». L'obligation de porter la cocarde tricolore avait été proclamée en avril 1793, sans précision de sexe : elles réclament que cette obligation (symbole de citoyenneté) s'étende aux femmes, et de véritables rixes éclatent. La Convention cède (21 septembre) : aussitôt naît la rumeur que serait exigé également le port du bonnet rouge. De nouveaux heurts se produisent entre citoyennes républicaines révolutionnaires et dames de la Halle hostiles au port de la cocarde. - Le tournant de l’automne 1793 C'est l'occasion pour la Convention de définir explicitement sa position de fond sur la participation des femmes au politique. Le 30 octobre 1793, le député Amar, au nom du comité de Sûreté générale, fait un compte-rendu des troubles qui jette la suspicion sur les intentions de femmes « soi-disant révolutionnaires » dont certaines ont pu être égarées et beaucoup « conduites par la malveillance » afin de provoquer des troubles dans Paris, au moment où se prépare le procès des Girondins. Il passe ensuite à une théorisation des principes qui doivent guider la Convention, lui faire adopter l'exclusion des femmes des droits politiques. Toute l'argumentation repose sur la « nature » des femmes (leur faiblesse) et les tâches qui leur reviennent non moins naturellement. Le député Amar veut fonder, dans son rapport à la Convention, l’exclusion des femmes de la vie politique par des arguments rousseauistes. Elles sont trop faibles, physiquement, moralement, intellectuellement, leur exaltation serait funeste et elles sont destinées par la nature à d’autres fonctions. Il est ainsi tout à fait représentatif d’une opinion « La Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne », parue dans une brochure de septembre 1791 est le premier grand manifeste féministe, certes peu représentatif de l'opinion de la majorité des femmes de l'époque, mais d'une exigence provocatrice qui en fait l’annonce de bien des combats. En féminisant explicitement la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, en transposant aux femmes les droits affirmés, Olympe de Gouges insiste sur le caractère bisexué de la communauté civile et met en évidence ce qu'il y a de trompeur dans un universalisme qui ne parle qu'au masculin et ne s'interprète qu'au masculin. Le texte est complété par diverses remarques (« postambule ») où elle souligne, en particulier, l'appel à la ruse comme le recours (funeste) des femmes contre la force. La brochure comporte également un projet de réforme du Mariage. Olympe a peut-être connu Sophie de Condorcet et lu les textes du philosophe. En tous cas, on ne peut qu'être frappé, malgré la différence des styles, par la proximité des points de vue. Elle a réclamé le bannissement du roi et n'a pas caché son antipathie pour Robespierre. Elle a su monter à la « tribune » de l'opinion révolutionnaire, elle a le droit de monter à l'échafaud (cf. art. X de sa Déclaration) le 3 novembre 1793, après Marie Antoinette et avant Madame Roland. Le Moniteur du 19 novembre déclare « Elle voulut être homme d’État, il semble que la Loi ait puni cette conspiratrice d'avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe ». Olympe de Gouges reste inconnue de la plupart des ouvrages jusqu’à une date toute récente. Aussi ne faut-il pas s’étonner si, en 1989, lors qu’est lancée la pétition pour l’entrée d’Olympe de Gouges au Panthéon, certain secrétaire de mairie écrit pour demander : «Mais qui est Olympe de Gouges» ? La plupart des dictionnaires l’ignorent tout bonnement. La première édition du Dictionnaire critique de la Révolution française, de Furet-Ozouf, ne comprend pas d’entrée «femmes». Olympe de Gouges ne s’y trouve pas, alors même qu’une excellente biographie a été publiée par Olivier Blanc chez Syros, en 1981, deuxième édition revue et augmentée en 1989, sous le titre Une femme de libertés, Olympe de Gouges. Qui est-elle ? Une géniale précurseure des féminismes des siècles ultérieurs, la pertinente et spirituelle rédactrice de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, en septembre 1791, une écrivaine de talent, et «engagée» avant l’heure, qui s’était attirée la hargne des planteurs pour avoir écrit, en 1785, «Zamore et Mirza», une pièce contre l’esclavage des Noirs ; une partisane des idées de liberté, une penseuse 131 majoritaire. Le 30 octobre 1793, les sociétés populaires et les clubs de femmes sont interdits. Parallèlement sont exécutées trois femmes, Marie-Antoinette, Olympe de Gouges, Mme Roland (16 octobre, 3 novembre, 8 novembre) explicitement confondues par le Moniteur universel dans une même condamnation, le 19 novembre. « En peu de temps, le tribunal révolutionnaire vient de donner aux femmes un grand exemple qui ne sera pas perdu pour elles… Marie-Antoinette, Olympe de Gouges, la femme Roland… ». Toutes les trois ont péri pour avoir failli à leur assignation maternelle. Sous la très prégnante influence du rousseauisme, l’opinion est convaincue que dans une bonne répartition des rôles, les hommes fabriquent les lois , et que les femmes sont responsables des mœurs. L’automne 1793 marque ainsi une étape importante de la chronologie révolutionnaire et un tournant pour les femmes militantes. Le mouvement révolutionnaire des femmes est pratiquement mort. - Une insurrection féminine massive en 1795 Elles réapparaissent cependant lors de la crise du printemps 1795. Dès l’hiver, les sans-culottes avaient participé à une certaine résistance contre la Convention thermidorienne. Au printemps la disette tue les pauvres, des rations dérisoires sont distribuées et refusées tant elles sont insuffisantes. Le 1er Prairial, elles sonnent le tocsin, appellent à l’insurrection, marchent nombreuses sur la Convention tandis que d’autres manifestent déjà à l’intérieur. Elles sont rejointes par les hommes qui poursuivent l’insurrection le lendemain. Leur révolte n’avait pas la disette pour seule base : « Du pain et la Constitution de 1793 » est un mot d’ordre qui a aussi un sens politique. L’échec de l’insurrection est suivi d’une répression qui n’épargne pas les femmes. Certains décrets les concernent spécifiquement : elles sont interdites de tribunes à la Convention et ne peuvent plus assister à aucune assemblée politique, et tout rassemblement de plus de cinq femmes devient illégal. Dès le 1er Prairial, celles qui avaient pénétré à la Convention en furent chassées à coups de fouet. Prairial met un point final à l’intervention des femmes du peuple dans la Révolution. Il ne restera dans l’imaginaire masculin de tous bords, que des images d’hystérie, de furie démente, matérialisées par les flots de caricatures, de pamphlets injurieux traînant dans la boue les « tricoteuses de la Révolution ». Images prêtes à resurgir et qui témoignent aussi de la peur de voir les femmes développer une parole politique. Le décès du mouvement révolutionnaire des femmes est donc entériné au printemps 1795, quand, poussées par la disette, de nombreuses femmes redeviennent des émeutières de la faim. Des femmes contre-révolutionnaires Il y en eut aussi, et pas seulement dans l’ancienne noblesse. Certaines nobles restent en France tandis que les hommes émigrent pour combattre. Elles fournissent des renseignements, accueillent des clandestins, font circuler de faux assignats. Elles s’occupent des affaires familiales, divorcent parfois pour sauver le patrimoine quand les biens des émigrés sont confisqués. C’est toutefois principalement la question religieuse qui pousse des femmes à refuser la Révolution. Dès la Constitution civile du clergé, il en est qui manifestent leur hostilité ; les prêtres réfractaires sont massivement soutenus par des femmes et l’assistance aux cultes clandestins est majoritairement féminine. De même les insurgés des régions soulevées (Vendée) peuvent-ils compter sur l’aide féminine et quelques unes comptent parmi les combattants : Renée Bordereau, Marie Boutin, Françoise Després… habillées en hommes et lancées dans les combats. Ainsi naît une autre mauvaise réputation des femmes qui perdurera auprès des républicains au cours de tout le XIXe siècle. Leur collusion avec l’Église justifie pour eux leur exclusion politique, même si cette collusion leur assure un confort moral certain. Les répercussions à l’étranger On sait que des étrangers ont suivi avec passion l’ébranlement révolutionnaire français. Il peut être intéressant de faire connaître Mary Wollstonecraft, très active dans un cercle de radicaux anglais, et très vigoureuse dans ses attaques du rousseauisme et de l’attitude des révolutionnaires français vis-à-vis des femmes. Le Consulat La Révolution a permis et empêché l’entrée des femmes dans l’espace politique comme dans la société civile. En revanche, le lendemain de la Révolution est sans politique qui suggère une caisse patriotique pour venir en aide aux pauvres, qui donne l’exemple du don patriotique ; une idéaliste qui pense que tout être humain a le droit d’être défendu et se propose pour défendre Louis XVI ; une femme ennemie de la violence, une utopiste qui propose à Robespierre de se sacrifier avec elle pour mettre fin à la Terreur. Il y aura bien un sacrifice, mais le «tempo» sera différent. En juillet 1793, tout de suite après l’assassinat de Marat, Olympe est arrêtée pour avoir proposé, dans une affiche intitulée Les Trois Urnes ou le salut de la patrie, une sorte de referendum pour arrêter la Terreur. La loi du 29 mars 1793 punissait de mort quiconque tendrait en paroles ou en écrits à rétablir un pouvoir autre que Républicain et indivisible. Elle n’est toutefois jugée qu’à l’automne, et guillotinée le 3 novembre, dans le mouvement de répression qui s’abat sur les femmes qui ont osé se mêler de politique. Seule Mme Roland est reçue officiellement comme femme de la Révolution. Ce stéréotype trouve son écho dans le timbre édité lors du Bicentenaire. Être femme de ministre est un moyen d’accéder au statut de personne politique. Dans l’histoire du radicalisme anglais et dans celle du féminisme, Mary Wollstonecraft tient une place importante. Le problème de l’égalité des sexes est au centre de sa réflexion politique. Elle appartient à la petite bourgeoisie londonienne et doit tout d’abord gagner sa vie comme demoiselle de compagnie. Elle ouvre ensuite une école dans la périphérie de la ville. Elle se lie rapidement à un groupe de dissidents religieux, les « radical dissenters » et est amenée à rédiger une partie importante de la revue Analytical qui fait l’opinion informée dans les années 1780. Ce cercle de radicaux anglais accueille la Révolution française avec enthousiasme. Mary Wollstonecraft écrit alors ses deux textes politiques principaux, « Défense des droits des hommes» et « Défense des droits des femmes » (1790 et 1791). La Révolution française et les droits de l’homme suscitent une vive controverse en Grande-Bretagne. Mary Wollstonecraft critique la propriété comme origine et but de toute république et la famille comme lieu d’apprentissage de la soumission, du respect des préjugés… Elle voit le progrès comme discontinuité. La Révolution est une interruption car elle ne s’inspire pas des ancêtres mais de la justice. Le progrès apparaît quand l’être humain « s’arrache à l’autorité de l’usage » « à l’automatisme de la coutume », capacité qui se développe avec une formation éclairée. Elle souligne le caractère construit de la 132 ambiguïté sur leur exclusion politique, doublée d’une sujétion civile. Le code civil élaboré entre 1801 et 1804 sous l’influence de Napoléon Bonaparte inscrit dans sa masse de granit l’infériorité féminine, conséquence de la faiblesse du corps et de la raison des femmes. Il traduit, dit-on, les idées «méridionales» de Napoléon Bonaparte. Mais ces idées sont dans l’air du temps, partagées par le rédacteur principal, Jean Portalis (un Provençal, il est vrai !) et approuvées par le Conseil d’État. Aux yeux de Napoléon, le Code civil devait consolider les acquis de la Révolution et permettre leur transmission en Europe. Légalement la femme ne peut exister que de façon relative à l’homme, seul véritable sujet de droit ; elle est fille, épouse et mère. La suprématie maritale est un hommage rendu par la femme « au pouvoir qui la protège ». Elle suit son mari, lui doit obéissance ; son infidélité est considérée comme plus grave que celle de son mari (lui, n’est coupable que s’il entretient une concubine au domicile conjugal et il n’encourt pas la prison). Il a le droit et le devoir de surveiller sa femme, son courrier, ses activités. Pas d’acte juridique, de travail salarié, de jouissance du salaire, d’inscription à des cours ou à un examen, de gestion d’argent, de biens ou de compte, d’obtention de papiers officiels sans son autorisation. Il détient l’autorité paternelle. Le célibat, en revanche, rend la femme civilement majeure… Une fille majeure, une femme non mariée sont indépendantes. Mais la société complète l’œuvre de la loi. Une femme n’est guère pensable hors du modèle d’épouse et de mère. Libre et marginale, la femme seule est stigmatisée du «mademoiselle» de l’enfance et de l’inachèvement. La «vieille fille» est un objet universellement dénigré et caricaturé. Le mariage est la seule destinée possible. Les femmes gardent donc, comme legs positif de la Révolution, l’héritage à parts égales avec leurs frères et le divorce jusqu’en 1816. En excluant les femmes de l’exercice de la citoyenneté et des droits civils, les révolutionnaires et les législateurs du Consulat ont «protégé» le XIXe siècle de «l’hystérie» qu’elles ne manqueraient pas de manifester sur la scène publique, de leur collusion avec l’Église, de la rivalité néfaste et tueuse d’amour qui s’instaurerait s’il y avait compétition avec les hommes sur les mêmes terrains… Le code civil est pour les femmes une sévère mise en tutelle. Éternelles mineures, circonscrites en principe dans l’espace domestique (la sphère privée), infériorisées par de nombreux discours, elles sont assignées, au nom de la « nature » à l’exclusive fonction maternelle et à « l’honneur de faire des hommes». Mais la valorisation de ce rôle est profondément intériorisée par la plupart des femmes qui acceptent comme «naturelles» complémentarité et protection. La vie sociale n’a, de plus, pas la rigidité d’un code... il est difficile de faire une exacte mesure des consentements, résistances et résignations. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : féminité (fragilité, sensibilité…). Le procès qu’elle lui fait est celui d’un monde où les bonnes manières sont préférées à l’esprit civique. « La Défense des droits des femmes » s’ouvre par une lettre à Talleyrand dont le projet de décret de 1791 avait exclu les femmes de l’Instruction publique. Mary Wollstonecraft associe la nécessité d’une éducation solide, mixte et égalitaire et le droit des femmes de juger par elles-mêmes de leur propre bonheur. Dans la société présente, les femmes ont les caractères des dominées : servilité, ruse, conformisme… Le progrès dépend de la transformation des deux sexes par leur égale participation à l’instruction et au gouvernement. La transformation des hommes est également nécessaire car « l’esclavage dégrade tout à la fois le maître et son abject esclave ». Evaluation cohérente en fonction des objectifs : Après la « remise en ordre » effectuée par Napoléon qui veut et véhicule le Code civil (pour consolider les acquis révolutionnaires…) on pourrait estimer mince le bilan concret de la Révolution française pour les femmes et ne voir que leur assujettissement renforcé : elles ne gardent que l’égalité successorale. Mais la Révolution a posé le problème de la place des femmes et de leur rôle, elle s’est inquiétée des rapports de sexe. L’universalité affirmée a semé des ferments de revendication. Elles ont pénétré dans l’espace politique : d’après D. Godineau, on pourrait dire que sur dix révolutionnaires ou contre-révolutionnaires engagés une à deux sont des femmes. Des femmes ont donné vie au mot citoyenne. 133 HM – Paris et la Révolution Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Jean Tulard, Jean-François Fayard, Alfred Fierro, Histoire et Dictionnaire de la Révolution française 1789-1799, Robert Laffont Bouquins, 1987 Alfred Fierro, Dictionnaire historique de Paris, Robert Laffont, 1996, 1580 p. Laurent Turcot, Le promeneur à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 2007, 427 p. Documentation Photographique et diapos : Revues : Paris : La traversée des siècles / Collectif, in LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors série N° 9, Octobre 2000 : La Bastille est tombée ! (François Lebrun, C'est à Versailles que se déroule en mai et juin 1789 le premier acte de la Révolution française. Mais c'est à Paris que se produit le 14 juillet, avec la prise de la Bastille, l'événement fondateur et irréversible qui confirme et prolonge l'insurrection. Naissance d'un mythe politique), Visite du Paris révolutionnaire (Catherine Guigon, Sept itinéraires pour évoquer le calendrier des événements qui, de 1789 à 1795, transformèrent le pays) Carte murale : Enjeux didactiques (repères, notions et Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des méthodes) : savoirs, concepts, problématique) : BO 4e actuel : « Les grandes phases de la De nouveaux champs ont été défrichés depuis le bicentenaire comme les lieux de période révolutionnaire en France, de 1789 à la Révolution, en particulier la relation Paris/province 1815 (7 à 8 heures) Un récit synthétique permet de présenter les C'est un sujet qui regorge d’idées reçues, héritage de Tocqueville. La principale épisodes majeurs et les principaux acteurs de tient au centralisme français vu comme une réalité continue, de l’absolutisme étouffant les libertés provinciales au « centralisme jacobin » (presque un la période révolutionnaire et impériale en pléonasme), dont le préfet constitue l’archétype. Certes, il y a bien des tentatives insistant sur la signification politique et de décentralisation (les départements, les districts) mais qui n’ont pas fonctionné, sociale de chacune des phases retenues. Les événements extérieurs ne font pas l’objet d’où l’anarchie administrative jusqu’au Consulat. Il en est découlé le thème récurrent de l’opposition irréductible entre les d’une étude exhaustive, mais sont évoqués à l’aide de cartes. » Girondins « fédéralistes » et les Montagnards « centralistes et dirigistes » (la preuve = les représentants en mission) : « Ce que veulent les Girondins, c’est créer une société fédéraliste… La Convention décide alors de faire appliquer la Socle : Nouveau commentaire « Les grandes phases de la Révolution et de centralisation « jacobine » par la Terreur … Des représentants en mission sont l’Empire sont présentées à partir des envoyés dans les départements pour y imposer la loi par la Terreur. … Pourtant, événements fondateurs, des principaux la chute de Robespierre ne va pas mettre fin à la Terreur ni au mouvement de centralisation. La réalité du pouvoir ne sera pas entre les mains des cinq acteurs et des grandes figures. On insiste sur directeurs mais entre celles des commissaires du Directoire, nommés en grand des points clés de la période : la chute de nombre, qui renforcent le pouvoir de centralisation. Tout part de Paris ! Tout l’Ancien Régime politique et social en 1789, revient à Paris ! » extrait du cours de Jean Tulard à l’Ecole des Hautes Etudes en l’accélération des événements et des Sciences Sociales en 2003, (La province au temps de Napoléon, Paris SPM, expériences politiques entre 1792 et 1794, les réformes de Napoléon Bonaparte. » 2003) Il est intéressant d’observer que cette idée reçue se trouve largement réactivée dans les années 1980 marquées par le triomphe des logiques néolibérales pour lesquelles l’Etat est, par nature oppresseur de libertés et par l’apologie de la « proximité », du « terrain »… Que nous disent les travaux les plus récents sur le fédéralisme girondin? Tous les travaux sérieux entrepris dès les années 70 montrent l’anachronisme du mot « fédéraliste » entendu dans le sens moderne de « décentralisation » : il n’existe pas de projet de décentralisation des pouvoirs, notamment au profit des communes chez les Girondins. Aucun d’entre-eux ne conteste le rôle de Paris comme capitale de la Révolution et de la République. Ce qui les amène à prendre la tête d’un conflit qui soulève 1/3 des départements, c’est la guerre qui les oppose à la Commune de Paris depuis l’été 1792. Ils voient cette Commune insurrectionnelle comme un coup de force contre la représentation nationale => l’insurrection fédéraliste n’est pas une réaction contre la Convention elle-même, mais contre le contrôle que la Commune de Paris leur semble exercer sur cette même convention en violation flagrante des institutions. Vaincus par les Montagnards, écrasés par la Terreur et longtemps stigmatisés par l’historiographie, les Girondins sont marqués par des clichés historiographiques 134 dans l’imagerie politique contemporaine. Fédéralistes, ils auraient souhaité ménager les pouvoirs locaux afin de promouvoir un système plus décentralisé que celui qu’imposent les Jacobins en l’an II. L’échec des Girondins s’explique sans doute par de mauvais choix stratégiques en faveur des départements contre les sans-culottes parisiens et des calculs politiques louvoyant qui nuisent à leur crédibilité. Champions de la représentation nationale, les Girondins et leurs partisans le sont certainement, mais quand cette posture sert leurs propres desseins : figer la Révolution dans ses acquis, détruire l’influence des sansculottes et protéger le jeu légal des institutions, éviter le régicide et l’extension du conflit à toute l’Europe, défendre leurs têtes, voire menacer leurs ennemis. Ils ne sont pas d’inconséquentes girouettes, mais des hommes politiques pris dans un conflit mortel. Ni fédéralistes, ni contre-révolutionnaires, mais modérés et libéraux, ils rêvaient d’une République une et indivisible où chacun puisse jouir paisiblement de ses droits, mais ne répugnèrent pas à descendre dans l’arène de Convention, à s’y salir comme les autres députés par des tactiques inhérentes à tout combat politique, et à y perdre leur vie pour la défense des droits de l’homme contre la perspective de la Terreur. Les travaux de Michel Biard ont permis de bien mieux connaître les représentants de la Convention en mission (Michel Biard, Missionnaires de la République. Les représentants du peuple en mission (1793-1795), Paris, CTHS, 2002) : portrait de groupe des 426 conventionnels ayant effectué des missions à l’aide d’une documentation massive dont le Recueil des actes du Comité de Salut public, complété par des séries des Arch Nationales, jusqu’alors inexplorées. Longtemps attachés à la légende noire de Carrier à Nantes qui les a fait voir comme des brutes sanguinaires. C'est une étude globale qui a permis de mieux comprendre la réalité de leurs fonctions qu’il faut voir comme un fil conducteur entre le pouvoir législatif (ce sont des députés de la Convention) et les pouvoirs locaux : ils ne sont en aucun cas à la solde du Comité de Salut public. Leurs activités sont très variables en fonction de la situation locale, mais le plus souvent dominées par les impératifs économiques et militaires. Nombre d’entre-eux ne sont pas des Montagnards ; leurs missions ne sont pas destinées à durer => il est inexact de les voir comme les ancêtres des préfets. Paris et la révolution, Actes du Colloque de Paris (14-16 avril 1989), Publications de la Sorbonne, 1989, 321 p. Michel Vovelle, dans son Introduction, a bien mis en place ce Colloque organisé par l'Institut d'histoire de la Révolution française dont il est le cinquième directeur depuis sa création lors du Cent-cinquantenaire en 1939. Il se devait de montrer que, malgré quelques retouches provinciales, la Révolution a été d'abord un fait parisien. Dans le tableau qu'il a dressé de l'activité de VI.H.R.F., on lui saura gré de n'avoir pas laissé de côté l'apport de Marcel Reinhard que certains oublient, même parmi ceux qui s'étaient découverts adeptes de la démographie historique lorsque ce maître dirigeait l'Institut. Il était bon enfin que le présentateur présentât les apports plus récents, en insistant avec modestie sur ceux de l'ère souboulienne plus que sur ceux de l'ère vovellienne. Saluons aussi la reproduction du plan des Sections parisiennes extrait de la thèse d'Albert Soboul et déjà reproduit dans le répertoire Soboul-Monnier. Retenons maintenant qu'il a été tant et tant écrit sur Paris pendant la Révolution et, surtout, qu'on a durant si longtemps, assimilé l'histoire de la Révolution à celle de cette histoire à Paris, vue de Paris, faite par Paris, qu'il était moins facile qu'on eût pu le penser, de trouver aujourd'hui quelques nouveautés intéressantes sur le rôle de la capitale pendant la décennie révolutionnaire (et pas la décade, nous ne sommes pas encore tout à fait Anglais ou Américains ?). A contrario, il ne fallait pas tomber dans l'excès inverse, dans une sorte de girondinisme rebouilli ou céder à cette mode actuelle de décentralisation réduisant derechef Paris à son 83e d'influence, sinon à son 95e sans compter les D.O.M. ... Le plan du recueil est simple et de bon sens : Paris et les Parisiens, Paris en révolution, Paris lieu de perception et de diffusion des idées, Paris et la France révolutionnaire, L'image de Paris dans la littérature. Ces titres se suffisent à euxmêmes, si certains esprits chagrins pourront discuter sur la dignification de la copule et dans ce premier titre, sur le sens de en dans le second, si des passéistes trouveront que le lieu de perception et de diffusion et que l'image leur apparaissent trop modernistes et que ce dernier terme anticipe trop sur le thème officiel du grand Congrès mondial triomphalement tenu en juillet suivant. 135 Si on voulait proposer un autre découpage, on trouverait à trier des communications intéressant la démographie historique, l'histoire sociale stricto sensu, l'histoire politique rentrée en grâce, l'histoire économique cette revenante et quelques complexes : l'histoire socio-économique, l'histoire socioprofessionnelle — qu'un des auteurs a eu la franchise d'appeler par son nom — , l'historiographie, la biographie — en saluant comme il se doit celle des petits, des sans grades, de ceux qui n'attireront jamais les éditeurs lorgnant sur leurs chiffres de ventes comme les médias sur les sondages. Nous voyons aussi que la chronologie reprend ses droits et que, du thématique triomphant, on revient même à la datation puisque la troisième partie se tient — est-ce exprès je ne le sais ? — à une expression près, dans les limites 1789-91. N'y avait-il plus à dire sur l'après-91 ou, plus simplement et tout uniment, n'y avait-il pas de communiquants intéressés par les années suivantes ? La quatrième partie, elle, sans que son titre l'eût exigé, s'applique, à une exception près aussi, à la période de paroxysme 9394. Reste la cinquième partie, celle qui invite à voir Paris par les yeux des nonParisiens ; cette image de Paris vu du dehors est uniquement celle de nonFrançais : Britanniques, Italiens, Allemands. Les provinciaux sont-ils absents parce que leurs témoignages n'ont pas trouvé d'amateurs ? Sur la dernière communication quelque peu en marge, je reviendrai à la fin de ce compte-rendu. Mon dernier point sera d'essayer de dire ce qu'on peut tirer de ce recueil si passionnant : 1) Nous étions en 89 -1989. Donc, on peut penser — l'auteur de ce compte- rendu en souffre — qu'il était légitime de ne pas traiter ou presque pas l'aprèsThermidor. Une seule communication sur le Babouvisme mais il est vrai que ce thème a déjà été beaucoup traité depuis le Congrès de Stockholm en 1960 et qu'il était prévu qu'un colloque babouviste se tiendrait à Amiens en décembre 1989 ; il a eu lieu et fut remarquable; on y reviendra sûrement dans notre revue quand ses Actes auront été publiés, le plus vite possible, espérons-nous. 2) Il est vrai que certaines communications transpériodiques s'appliquent à un point particulier, intéressent un thème particulier s'étendant sur la décennie révolutionnaire intégralement : l'achat et la vente des biens nationaux, les combats parisiens pour la démocratie des journalistes de l'Ouest, les visiteurs britanniques de 1789-1799, la vision de voyageurs allemands mais, au total, cela ne fait pas beaucoup : 5 à 8 communication sur les 32 du recueil. 3) La communication en marge qui termine le recueil apporte un autre éclairage. Elle apporte beaucoup mais son titre annonçait plus encore. Ce Paris révolutionnaire des Mémoires d'outre-tombe, cette «scène prodigieuse» c'est celle du Paris de 89-90 vu après coup (celle des chapitres 8 à 14 du Livre cinquième des M. O. T.). On ne voit pas ou presque pas — et on revient à la remarque n° 1 — l'image du retour, celle de 1800 et des années suivantes (chapitre 3 et suivants du Livre treizième). « C'était un dimanche après-midi (...) nous entrâmes à pied dans Paris par la barrière de l'Étoile. Nous n'avons pas une idée aujourd'hui [vers 1810] de l'impression que les excès de la Révolution avaient faits sur les esprits en Europe et, principalement parmi les hommes absents de France [sic] pendant la Terreur ; il me sembla à la lettre que j'allais descendre aux enfers ... ». La page est fameuse. L'enfer du vicomte se peupla vite de créatures agréables, propres à lui faire voir la capitale de façon moins pessimiste. Peut-on penser que la relative élision du second volet du tableau veut signifier qu'on attend le bicentenaire de l'après-18 brumaire, en l'an 2000 pour insister sur cette partie non négligeable de l'histoire de la Révolution ? Je veux bien que, à en croire les journaux, il y ait en 1990 plus de 5 000 centenaires en France et qu'il y en aura peut-être d'avantage dans dix ans mais les anciens d'aujourd'hui seront-ils du nombre ? 4) Concluons : Tel qu'il est, ce recueil est remarquable, cet attribut n'étant pas pris uniquement dans son sens premier, étymologique, latin... U est si remarquable qu'il appelle un autre colloque, un autre recueil — avant l'an 2000, s'il vous plaît ... — qui traitera du Paris de la Terreur — pourquoi cacher ce tableau qu'on ne saurait voir ! — du Paris de la fin de la période révolutionnaire qui ne soit pas que celui des Muscadins et des Merveilleuses, du Paris du 18 brumaire et des années suivantes qui ne soit pas vu seulement par les yeux de René ... Je terminerai en adhérant à cette sorte de postface qui peut se lire sur la dernière page de la couverture du recueil : « Loin de se cantonner dans l'histoire de la capitale, cette rencontre, tout à la fois bilan et perspective, apporte des vues neuves sur la société parisienne, sur son évolution et son rapport à la Révolution ... ». C'est ce que j'ai ressenti en effet et c'est, je pense, ce que ressentiront tous les lecteurs de bonne foi. J.-R. SURATTEAU. 136 Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : Activités, consignes et productions des élèves : I La Révolution française C'est à Versailles que débute la Révolution française par la convocation des États généraux puis le serment du Jeu de paume. Mais la volonté réformiste et pacifique est rapidement mise à mal par les Parisiens, atteints par la crise économique (prix du pain), sensibilisés aux problèmes politiques par la philosophie des Lumières mais également par une rancœur à l'égard du pouvoir royal qui a abandonné la ville depuis plus d'un siècle. C'est à Paris, à l'endroit où la rue Saint-Antoine rejoint l'actuelle place de la Bastille que se déroule la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, symbole de l'absolutisme et du despotisme, avec le soulèvement des ébénistes du faubourg Saint-Antoine. Le 15 juillet 1789, l'astronome Jean Sylvain Bailly reçoit à l'hôtel de Ville la charge de premier maire de Paris. Les 5 octobre, l’émeute se déclenche sur les marchés parisiens, menée par les femmes. Le 5 au soir, la foule parisienne atteint Versailles et arrache au roi la sanction des décrets (juges élus, égalité fiscale, suppression des impôts indirects). Le 6 au matin, le château est envahi et le roi doit accepter de venir résider à Paris au palais des Tuileries et d’y appeler l’Assemblée constituante qui s’installe le 19 octobre dans le Manège des Tuileries. Les constitutionnels sont les plus nombreux, les patriotes radicaux étant encore très minoritaires. « Le boulanger, la boulangère et le petit mitron » ramenés de Versailles deviennent de fait des prisonniers de la Révolution et n'y retourneront plus jamais. Le 14 juillet 1790 se déroule la fête de la Fédération sur le Champ-de-Mars mais le même lieu est le théâtre de la fusillade du Champ-de-Mars le 17 juillet 1791. Bailly rapidement mis en cause est finalement guillotiné pour avoir fait tirer sur le peuple. Le couvent des Cordeliers et le couvent des Jacobins, occupés après la mise en vente des biens nationaux à partir de mai 1790, constituent de hauts lieux du Paris révolutionnaire ; ils marquent la toute puissance des clubs parisiens sur le cours de la Révolution. Bousculant le pouvoir monarchique puis même constitutionnel, ils mettent en place une dictature, fermement décidés à mettre en place l'ordre nouveau : Liberté, Égalité, Fraternité. Dans la nuit du 9 août, une nouvelle Commune révolutionnaire prend possession de l'Hôtel de Ville de Paris, siège du gouvernement. Lors de la journée du 10 août 1792, la foule assiège le Palais des Tuileries avec le soutien du nouveau gouvernement municipal. Le roi Louis XVI et la famille royale demandent le soutien de l'Assemblée législative mais est finalement incarcérée à la tour du Temple. Cet évènement marque la fin effective de la monarchie française (qui sera restaurée en 1814). Du 2 au 7 septembre 1792 se déroulent un des épisodes les plus sombres de la Révolution, les massacres de septembre. Lors des élections de 1792 qui se déroulent dans un contexte tendu, la Commune de Paris joue un rôle de radicalisation ; la Convention nationale est alors élue mais le groupe des Girondins apportant l'opinion plus modérée de la bourgeoisie des provinces est rapidement déconsidéré et écarté du pouvoir en juin 1793 par Robespierre. L'hôtel de ville, le 9 Thermidor an II. Les Parisiens vivent alors deux années de rationnement et de règne de la Terreur sous la poigne du comité de salut public. Les policiers de Paris, sous l'autorité de la mairie, s'emploient à incarcérer tout ce que la ville compte encore de nobles, de riches bourgeois, de prêtres et d'intellectuels en général. C'est pourquoi le maire de Paris est aujourd'hui encore le seul de France à être privé de tout pouvoir de police. Le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné sur la place Louis XV, rebaptisée « place de la Révolution » ; il est suivi sur l'échafaud en seulement quelques semaines par 1 119 personnes, dont Marie-Antoinette, Charlotte Corday, la comtesse du Barry, Danton, Lavoisier et finalement Robespierre et ses partisans après le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794). La Révolution n'est pas une époque de développement pour la ville et peu de monuments sont édifiés ; seul le champ de Mars témoigne des célébrations nationales. En revanche, de nombreux couvents et églises sont rasés. Ils laissent place à des lotissements édifiés sans plan d'ensemble, ce qui aboutit à une réduction des espaces verts de la ville et à une densification du centre. Sous le Directoire, des immeubles de rapport, de style néo-classique, sont élevés. Histoire du club des Jacobins Un club parlementaire A l'origine, dès mai-juin 1789, un certain nombre de députés du Tiers État, d'abord bretons puis « patriotes » sans origine géographique particulière, décident de se concerter sur la conduite à tenir avant les séances de l'Assemblée en se réunissant au café Amaury. De Versailles, le « club breton » s'installe à Paris après le 6 octobre. Il siège dans la bibliothèque du couvent des Jacobins de la rue Saint-Honoré sous le nom de « Société des Amis de la Constitution » mais c'est l'appellation non officielle de club des Jacobins qui s'impose. Il rassemble à peu près 200 parlementaires soucieux de défendre l'ordre nouveau sur sa droite comme sur sa gauche. Tout le gratin parlementaire s'y retrouve : Mirabeau, La Fayette, Barnave, Robespierre, etc. Le club de la rue Saint-Honoré s'est entouré très tôt en province de filiales qui lui donnent un rayonnement exceptionnel : 152 clubs de province en juillet 1790 ont reçu l'investiture de la maison mère. Le Journal des amis de la constitution rédigé par Choderlos de Laclos, ainsi qu'un comité de correspondance assurent les liens entre Paris et la province. C'est aux Jacobins, le 2 mars 1791, qu'Alexandre de Lameth détruit l'influence de Mirabeau en l'accusant de collusion avec les « aristocrates ». Par les Jacobins le triumvirat asseoit ainsi son pouvoir provisoire sur Paris. II. L'Empire En 1799, le pouvoir politique n'appartient plus aux Parisiens mais à un jeune Une machine politique Varennes ouvre la crise du régime et divise les Jacobins. Le 16 juillet 1791, Barnave quitte le club avec la plupart des parlementaires pour fonder le club des Feuillants. Face à la rivalité du club des Cordeliers, les restants avec Robespierre, Condorcet et Brissot penchent vers l'alliance avec le mouvement populaire parisien tout en parvenant à conserver dans son orbite la plupart des clubs provinciaux. Le club est désormais contrôlé par des journalistes et libellistes. Ce n'est plus un club de discussion mais une machine politique au service d'une deuxième révolution. La cotisation annuelle reste élevée, les membres restent des intellectuels et des bourgeois mais le caractère public des séances donnent un poids important aux activistes parisiens. On y propose les décrets, reçoit les pétitions, critique les ministres. L'organisation est renforcée avec un comité des rapports et un comité de surveillance. Le comité de correspondance reste le plus important où siègent les futurs Montagnards comme les futurs Girondins, les futurs Exagérés comme les futurs Indulgents. Le club ne prépare plus les débats de 137 général corse, Napoléon Bonaparte. Le 18 mai 1804, à l’unanimité, le sénat vote l’instauration du gouvernement impérial, le 2 décembre, Napoléon Ier est sacré empereur par le pape Pie VII à la cathédrale Notre-Dame. Il décide d'établir à Paris la capitale de son Empire. Il en fait la capitale de l'Europe, devant Rome, deuxième ville de l'Empire, et Amsterdam, troisième. En 1801, Paris a récupéré les pertes subies sous la Révolution et compte 546 856 habitants ; cette progression est néanmoins surtout le fait de l'immigration provinciale, la natalité restant faible. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, la ville est distancée par Londres en pleine expansion économique et démographique qui atteint 1 096 784 habitants. Néanmoins, Paris reste une des plus grandes villes d'Europe, Moscou et Amsterdam comptent chacune environ 200 000 habitants et Rome environ 150 000. La ville est associée aux fastes impériaux et l'empereur s'intéresse de près à la ville et à ses problèmes. Il veut de grands monuments à sa gloire de style romain, l'arc de triomphe, l'arc de Triomphe du Carrousel, le pont d'Iéna, la Madeleine, la Bourse et de nombreuses fontaines sont édifiées afin d'apporter l'eau aux parisiens. La voirie est entièrement réorganisée, la numérotation des maisons est créée, des quais, des égouts, des cimetières sont édifiés. L'approvisionnement en eau est amélioré par la création du canal de l'Ourcq et l'adduction d'eau, un réseau de marchés est mis en place ainsi que des abattoirs et la halle aux vins. Mais Napoléon n'a pas le temps de créer de grandes percées ; seule celle est-ouest de la rue de Rivoli est réalisée avec ses immeubles dessinés par les architectes Percier et Fontaine. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : l'Assemblée, il devient une autre Assemblée et peut-être une contre-Assemblée. C'est là que Brissot et Robespierre s'affrontent sur la nécessité de la guerre et de la croisade émancipatrice. Le club est le creuset où se forge l'esprit qui va donner la journée du 10 août 1792 qui voit tomber la monarchie : mélange de mépris des lois et d'idéalisme républicain, de suspicion généralisée et d'utopie égalitaire. Les Jacobins se retrouvent aux postes de commande après la chute des Tuileries. Jusqu'au 13 mai 1793, le club est le siège du conflit entre Girondins et Montagnards. Les Jacobins parisiens deviennent une milice qui s'est trouvé un chef, Robespierre. Armée et Tribunal de la Révolution Rebaptisés « Société des amis de la liberté et de l'égalité », les Jacobins constituent une armée de 100 à 200 000 militants qui contrôlent plusieurs milliers de clubs locaux. La Révolution populaire est morte, c'est l'heure des petites oligarchies de l'activisme. Or les Jacobins sont les mieux organisés et les plus disciplinés. Brissot est exclu dès octobre 1792 et dénoncé aux sociétés affiliés comme un comploteur et un ennemi du peuple. Michelet évoque « la fureur de l'esprit de corps, le fanatisme monastique, l'ivresse de confrérie s'animant à huis clos ». Le club devient une machine à produire de l'unanimité. Comme le note Augustin Cochin, « le peuple a perdu le droit d'élire ses magistrats aux dates et dans les formes légales ; les sociétés prennent celui de les épurer sans règle et sans cesse ». Le club incarne le peuple unanime, en état d'autoépuration permanente pour purger le souverain de ses ennemis cachés. De juin 1793 à juillet 1794, le club est maître de l'appareil étatique. Le club pouvait difficilement survivre à la chute de Robespierre car il est trop identifié au règne de la Terreur : la Convention décide sa fermeture le 12 novembre 1794. Des clubs d'esprit jacobin se recréent sous le Directoire à Angers, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille, Toulon, Metz. A Paris, en juillet 1799, s'ouvre un succédané de club des Jacobins dans la salle du Manège puis à l'église Saint-Thomas d'Aquin. Fouché en personne le ferme dès le 13 août suivant. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 138 HM – Les fondations d’une France nouvelle pendant la Révolution et l’Empire Approche scientifique Approche didactique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude Insertion dans les programmes (avant, spatiale) : après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Le bicentenaire du sacre de Napoléon et du Code civil en 2004 a ranimé les débats historiographiques sur le bonapartisme. BO 4e futur : LES FONDATIONS D’UNE FRANCE NOUVELLE PENDANT LA RÉVOLUTION ET L’EMPIRE Les fondations, politiques, économiques, sociales et culturelles d’une France nouvelle. Une étude au choix parmi les suivantes : - L’invention de la vie politique. - Le peuple dans la Révolution. - La Révolution et les femmes. - La Révolution, l’Empire et les religions. - La Révolution, l’Empire et la guerre. Raconter des événements, des épisodes de la vie d’acteurs révolutionnaires (hommes et femmes), des prises de décision et expliquer leurs enjeux et leur importance historique BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851 – Ruptures avec l'Ancien Régime – Mise en oeuvre des principes révolutionnaires – Héritages conservés, héritages remis en cause Cette question est délibérément centrée sur la France avec un triple objectif : – faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ; – évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de cette période ; – dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les domaines politiques et sociaux. Le programme invite à organiser cette étude autour de quelques axes privilégiés : . Il faut mettre en valeur les principes qui fondent la Révolution française (droits de l'homme, égalité civile, liberté, nation, etc.) en s'appuyant sur les textes fondamentaux de la période (Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, Constitutions, Code civil) et sur une chronologie montrant comment et par quelles forces sociales ces principes sont mis en oeuvre. Au travers des interrogations sur qui vote, légifère et gouverne, les mots clefs du vocabulaire politique sont contextualisés (suffrage censitaire et universel, souveraineté nationale, séparation des pouvoirs, assemblée, etc.). Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la vie politique et à la difficile abolition de l'esclavage. » Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4e actuel : « Les grandes phases de la période révolutionnaire en France, de 1789 à 1815 (7 à 8 heures) Un récit synthétique permet de présenter les épisodes majeurs et les principaux acteurs de la période révolutionnaire et impériale en insistant sur la signification politique et sociale de chacune des phases retenues. Les événements extérieurs ne font pas l’objet d’une étude exhaustive, mais sont évoqués à l’aide de cartes. • Repères chronologiques : abolition des privilèges (4 août 1789 ; Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789) ; le Franc germinal (1803) ; le Code Civil (1804). • Documents : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; carte des départements français en 1791 » Socle : Nouveau commentaire « Les grandes phases de la Révolution et de l’Empire sont présentées à partir des événements fondateurs, des principaux acteurs et des grandes figures. On insiste sur des points clés de la période : la chute de l’Ancien Régime politique et social en 1789, l’accélération des événements et des expériences politiques entre 1792 et 1794, les réformes de Napoléon Bonaparte. L’évocation des guerres de la Révolution et de l’Empire à partir de cartes doit surtout introduire à la présentation des bouleversements induits en Europe. » Accompagnement 4e : « L’étude des grandes phases de la Révolution française, en sept à huit heures, doit donner une vision de l’ensemble de la période. Il importe avant tout que les élèves soient capables d’identifier et de caractériser trois moments essentiels : 1789, 1793 et la dictature impériale. Plusieurs solutions sont possibles, étant entendu que le «récit synthétique» ne peut se réduire, ni à une chronique linéaire, ni à une épure théorique de la Révolution. La première solution propose une approche chronologique. On peut distinguer un 139 premier temps (1789), celui de la révolution politique et juridique, un second moment (1790-1792), tentative d’une monarchie constitutionnelle qui échoue avec la chute de la monarchie et la proclamation de la République, un troisième temps (1793-1794) avec une République menacée à l’intérieur comme à l’extérieur, qui adopte des mesures d’exception et met en place la Terreur, puis (1794-1799), la recherche d’une stabilisation et les dérives de la guerre, et enfin (1799-1815) le Consulat et l’Empire qui jettent les bases de la France contemporaine dans le cadre d’un régime autoritaire. La deuxième solution est plus ambitieuse. Le professeur peut d’abord proposer (en deux heures) un panorama de la période en dégageant les principales phases, quelques événements porteurs de sens. Puis, quelques aspects importants sont approfondis avec le recours possible à des documents locaux : les premiers acquis (nuit du quatre août, Déclaration des droits de l’homme, les départements, le système métrique), la question religieuse (de 1789 au Concordat, en montrant la division des Français à partir de la Constitution civile du clergé), une journée révolutionnaire (comme le dix août 1792, où seraient mis en évidence le rôle du roi et celui des sans-culottes), les différentes formes du pouvoir de 1789 à 1815, la Terreur, l’oeuvre du Consulat et de l’Empire (à la fois centralisation administrative et dictature autoritaire). Quelle que soit la solution retenue, il est indispensable de proposer les portraits de quelques-uns des principaux acteurs de la Révolution qui caractérisent ou symbolisent un des moments de la période étudiée (Lafayette, Danton, Robespierre, Bonaparte). Quelques articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de portée universelle, méritent d’être mémorisés par les élèves. L’établissement d’un bilan permet de montrer la mise en place d’une nouvelle organisation politique et sociale dans laquelle se fondent l’héritage du passé et les conquêtes révolutionnaires. La diffusion et l’importance du message révolutionnaire en France et en Europe s’apprécient aussi par les transformations politiques, sociales et idéologiques qu’il amorce. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : I. Ce fut le 14 août 1800 que le Premier consul désigna une commission de quatre éminents juristes : François Denis Tronchet, Félix Julien Jean Bigot de Préameneu, Jean Étienne Marie Portalis et Jacques de Maleville pour rédiger le projet de « Code civil des Français », sous la direction de Cambacérès. Les quatre rédacteurs proviennent de lieux très différents; deux sont de pays de droit écrit (Portalis et Maleville, deux de pays de coutumes (Bigot de Préameneu et Tronchet). Leurs intentions sont le plus clairement exprimées dans le fameux discours préliminaire prononcé par Portalis lors de la présentation du projet. Le code reprend de nombreuses dispositions du code de Justinien à travers l'influence de Pothier, il en reprend naturellement, sans qu'il y ait eu de discussion, un plan similaire aux Institutes. Le code Napoléon visait à unifier le droit en conciliant Révolution et Ancien Régime. Cette volonté se traduit dans plusieurs objectifs: 1. que la loi fût écrite et qu'elle fût claire, afin que chacun connaisse son droit ; 2. la laïcité. L'état civil est tenu par les communes et non plus par les paroisses. Le mariage relève de la loi civile ; 3. la propriété immobilière devient individuelle (toutes les communautés institutionnelles de voisinage, de métiers ou autres ont été dissoutes, leurs biens ont été liquidés). 4. l'engagement du personnel, appelé "louage d'ouvrage ou d'industrie", devient absolument libre (les communautés de métiers et les syndicats d'ouvriers sont interdits), la liberté du travail est totale ; En unifiant les pratiques issues de l'Ancien Régime et en les modernisant suivant les principes des Lumières, le code civil a fondé les bases du droit moderne, en France et dans de nombreux autres pays de tradition romaine (par opposition aux pays de common law). Il faudra un siècle pour que son individualisme s'efface et que les associations et syndicats puissent se constituer librement. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Activités, consignes et productions des élèves : Le Code civil est clairement le reflet d’une conception libérale de la société. La loi doit garantir l’égalité entre les citoyens et la propriété privée, alors que dans la société d’ordres l’individu était soumis à une hiérarchie stricte et entravé dans ses initiatives économiques. Le Code met en avant une égalité purement civile, celle qui garantit en théorie aux citoyens l’égalité des chances. Il n’est pas question d’aller plus loin : l’inégalité sociale est considérée comme normale, puisqu’elle est le reflet de l’inégalité naturelle. Les talents sont inégalement répartis entre les hommes et celui qui réussit, dont la propriété s’accroît, le mérite. L’égalité politique n’est pas garantie ici, puisque le libéralisme peut considérer que le droit de vote est fondé sur la richesse (le suffrage censitaire, qui fait des propriétaires les seuls aptes à décider du sort de la nation). Quant à l’égalité entre les sexes, elle n’est nullement mise en avant. Le Code civil reflète ici les préjugés sexistes de son époque, en consacrant l’infériorité de la femme (mariée). Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 140 HM – Napoléon et l'Europe Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Thierry Lentz, Benoît Yvert (dir.), Napoléon et l'Europe, Fayard, Regards d'historiens, 2005 S. Woolf, Napoléon et la conquête de l’Europe, Flammarion, Paris, 1990. Raymonde Monnier (dir), Révoltes et Révolutions en Europe (Russie comprise) et aux Amériques de 1773 à 1802, Ellipses, 2004. Documentation Photographique et diapos : Revues : Napoléon, l'homme qui a changé le monde / Collectif in, LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, Hors-Série, N° 20, JuilletSeptembre 2003 : L'Europe française (E. François), Napoléon, père des nations ? (J.-M. Gaillard) Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Thierry Lentz, Benoît Yvert (dir.), Napoléon et l'Europe, Fayard, Regards d'historiens, 2005 Une confrontation d’historiens européens autour de l’impact des guerres et de la diplomatie napoléonienne sur les nations d’Europe Cet ouvrage constitue les actes du colloque " Regards sur la politique européenne de Napoléon ", organisé par la direction des Archives du ministère des Affaires étrangères et la Fondation Napoléon, les 18 et 19 novembre 2004. L'idée de ces journées fut lancée il y a trois ans par M. Dominique de Villepin, alors locataire du Quai d'Orsay, dans le cadre du programme qu'il avait conçu pour améliorer la connaissance de l'histoire de la politique extérieure de la France. Cinq thèmes sont abordés par vingt-neuf spécialistes les précédents et les modèles, les principes et les enjeux, les hommes et les instruments, les regards mondiaux sur la postérité de la politique européenne de Napoléon. Sous-titré Regards sur une politique, cet ouvrage constitue la publication des actes du colloque organisé en novembre 2004 par la Fondation Napoléon et la direction des archives du Ministère des Affaires étrangères, à l’initiative de l’occupant d’alors du Quai d’Orsay, Dominique de Villepin. Il rassemble 29 communications souvent fournies et signées de l’ensemble des historiens couvrant le champ de l’historiographique napoléonienne, de Jean-Paul Bertaud et Jean Tulard (qui assure la conclusion) à Natalie Petiteau, en passant par JacquesOlivier Boudon, Annie Jourdan ou Thierry Lentz. Les textes se répartissent équitablement entre les cinq parties qui composent l’ouvrage et sont destinées à faire l’état des lieux de la politique et de la geste napoléoniennes. La première (« Les précédents et les modèles ») et la dernière (« La postérité ») se répondent l’une l’autre en passant en revue les lectures de Napoléon à l’aune de Charlemagne, Louis XIV, Guizot et Thiers, Napoléon III et enfin de Gaulle, tout en offrant un tour d’horizon de la place de la France sur l’échiquier international à la veille de la Révolution comme au lendemain de Waterloo. Les seconde et troisième parties, « Les principes et les enjeux » et « Les hommes et les instruments », fonctionnent le plus souvent sur le mode interrogatif. De manière implicite, avec un clair panorama de « L’Europe en 1800 » (J.-O. Boudon), ou avec N. Petiteau qui revisite comme elle sait le faire les jugements des contemporains et des historiens sur le rapport de Napoléon à la paix, entre « mythes et réalités » ; de façon explicite avec Silvia Marzagalli qui se demande si « Le Blocus continental pouvait réussir ? » pour conclure à l’échec d’une politique imposée mais jamais acceptée par les administrés ni même effectivement soutenue par les alliés de l’Empire, ou Pierre Branda qui tente de déterminer si « La guerre a payé la guerre ? » pour arriver à une conclusion comparable. S’y ajoutent des mises au point sur le personnel diplomatique, Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4e actuel : « Les transformations de l’Europe (2 à 3 heures) Une comparaison entre la situation de l’Europe à la fin du XVIIIe siècle et celle de 1815 conduit à mettre en évidence les transformations de tous ordres introduites par la période révolutionnaire et impériale dans les structures politiques et la société ainsi que les aspirations nées des idées nouvelles. • Cartes : l’Europe napoléonienne en 1811 ; l’Europe en 1815. • Documents : Goya : Dos de Mayo, Tres de Mayo (2 mai, 3 mai 1808) Socle : Nouveau commentaire « L’évocation des guerres de la Révolution et de l’Empire à partir de cartes doit surtout introduire à la présentation des bouleversements induits en Europe. Modification du commentaire (...) dans les structures politiques et la société, les aspirations nées des idées nouvelles et les résistances des tenants de l’ordre ancien. Ajout aux repères Le congrès de Vienne (1814-1815). » 141 Talleyrand en tête (Emmanuel de Waresquiel), l’armée ou encore les élites (espagnoles et bataves). Ces deux dernières communications sont d’ailleurs à associer à celles composant la quatrième partie, consacrée aux « Regards mondiaux » et qui constitue véritablement la valeur ajoutée du colloque. En premier lieu parce qu’on trouve là l’occasion de lire, à côté de « signatures » reconnues (Jean-Paul Bled sur l’Autriche ; Henry Laurens sur le monde arabe…), des historiens qu’on connaît mal ou pas, venus des États-Unis, d’Italie, de Pologne ou encore (exotisme suprême) du Danemark, en second lieu parce que leurs communications, à défaut d’être les plus conséquentes, sont consacrées à des espaces géographiques qui sortent des frontières de 1789 ou même de 1812, mobilisent des sources méconnues (encore que la bibliographie, pour fournie qu’elle soit, tende largement à supplanter les archives, mais c’est là une remarque générale), offrent une démarche problématisée et des apports clairs. Au total, un colloque et un ouvrage de qualité comme savent en produire la Fondation Napoléon et les Éditions Fayard, une très utile mise au point, même si l’on regrette parfois le manque de prise de risque dont les uns et les autres semblent témoigner. BO 4e futur : LA FRANCE ET L’EUROPE EN 1815 L’Europe, en 1815, donne l’illusion d’un retour à l’ordre ancien. Mais les guerres révolutionnaires ont répandu les idées de la Révolution française et engendrent en réaction le sentiment national. L’analyse d’une carte de l’Europe en 1815 sert de support à l’étude. Les témoignages sur l’affirmation du sentiment national sont mis en évidence notamment au travers d’oeuvres artistiques au choix. Connaître et utiliser le repère suivant − Congrès de Vienne : 1815 Décrire les grandes transformations sociales, politiques et territoriales issues de la période révolutionnaire en Europe BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851 – Ruptures avec l'Ancien Régime – Mise en oeuvre des principes révolutionnaires – Héritages conservés, héritages remis en cause Cette question est délibérément centrée sur la France avec un triple objectif : – faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ; – évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de cette période ; – dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les domaines politiques et sociaux. Les expériences politiques qui se suivent entre 1789 et 1851 ne doivent pas donner lieu à une étude exhaustive, mais il convient de définir les principaux régimes (monarchie constitutionnelle, république, empire) et d'amener les élèves à réfléchir sur la façon dont les principes fondamentaux de la Révolution ont été conservés ou remis en cause durant la première moitié du XIXe siècle. Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la vie politique et à la difficile abolition de l'esclavage. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : En 1789 l’Europe était faite. C’était celle des Lumières. Voltaire avait conseillé Frédéric II et Diderot la Grande Catherine. Les physiocrates recommandaient l’abolition des barrières douanières et le traité de commerce entre la France et l’Angleterre annonçait la victoire du libre-échange, la circulation sans entrave des marchandises en Europe. Les idées circulaient déjà et les académies s’ouvraient aux confrères étrangers. Berlin accueillait Maupertuis et Lagrange. Né à Salzbourg, Mozart jouait à Munich, Vienne, Bruxelles, Paris, Londres, Amsterdam, Genève puis en Italie, au point qu’on ne savait plus quelle nationalité lui attribuer. Et cette Europe - ou du moins ses élites - parlait une seule langue, le français, dont Rivarol avait vanté l’universalité dans un discours couronné par l’Académie de Berlin. Activités, consignes et productions des élèves : La France est devenue un empire immense de 130 départements s’étendant de Hambourg à Rome ; une grande partie de l’Europe est placée sous la tutelle de Napoléon qui remplace les princes vaincus par des membres de sa famille. En Italie, il chasse la dynastie des Bourbons de Naples et met à leur place son frère Joseph puis son beaufrère Murat. Il devient lui-même roi d’Italie. Dans la Confédération du Rhin (territoires d’Allemagne du sud et de l’ouest), Napoléon a le statut de « protecteur » : il dirige la politique extérieure, commande l’armée, a 142 Cette Europe s’achève sur le champ de bataille de Valmy en 1798 lorsque les soldats de Dumouriez, un homme des Lumières, qui affronte le duc de Brunswick, initiateur d’une grande enquête sur les origines de la francmaçonnerie, crient : « Vive la nation ! » La nation, l’ennemie du cosmopolitisme, un mot oublié lorsqu’on partage la Pologne. Ce mot qui reparaît, enterre les espoirs d’une civilisation unique. L’Europe des Lumières est morte. Vers 1811 l’Europe est faite. Et elle sera française ; c’est l’Europe de Napoléon. Considérons la carte. La France proprement dite, notre Hexagone, est passée de 83 départements en 1790 à 130 en 1811. Aux départements initiaux la révolution avait ajouté Avignon, Chambéry et Nice. La Belgique est annexée à la France et découpée en départements au début d’octobre 1795. Le Luxembourg forme celui des Forêts. À son tour la Hollande, en juillet 1810, devient française. La Hanse suit. La rive gauche du Rhin a donné, des 1798, 4 nouveaux départements : ceux de Trêves, Mayence, Coblence et Aix-la-Chapelle. Genève est française. Au-delà des Alpes, la France s’est agrandie du Piémont (six départements), de Gênes, de la Toscane, de Parme, des États romains en 1809. Ajoutons-y les provinces illyriennes, Trieste et l’Istrie, la Croatie, la Dalmatie avec Raguse. Et la Catalogne est détachée de l’Espagne, le 26 janvier 1812, pour former quatre départements. À cette date, Bruxelles, Amsterdam, Hambourg, Coblence, Genève, Turin, Florence, Rome et Barcelone sont des villes françaises au même titre que Perpignan, Lille ou Limoges. L’empire dépasse 750 000 km2 pour une population de 45 millions d’habitants. Mais ce n’est pas tout. Napoléon est roi d’Italie, un royaume qui comprend Milan et Venise et que gouverne un vice-roi, Eugène de Beauharnais. Il est médiateur de la Confédération helvétique, ce qui fait de la Suisse, en 1803, un État satellite de la France. Enfin Napoléon est protecteur de la Confédération du Rhin qui regroupe la totalité des États allemands, de la Saxe à la Bavière. L’Allemagne reste morcelée et n’a d’autre unité que l’autorité qu’exerce sur elle Napoléon. Elle est surveillée en son coeur par le royaume de Westphalie (cf. les fameux traités de 1648) confié au plus jeune frère de Napoléon, Jérôme, établi à Cassel sur les ruines de la monarchie prussienne. Cette Confédération du Rhin s’est substituée au Saint Empire Romain Germanique brisé à Austerlitz. À cette confédération se rattache le duché de Varsovie formé des parties prussienne et autrichienne des partages de la fin du XVIIIe siècle. Si ce duché est placé sous la tutelle du roi de Saxe, Napoléon y entretient un résident qui assure des contacts directs entre Varsovie et Paris. Napoléon gouverne d’autres pays de l’Europe par de grands vassaux en théorie indépendants, mais auxquels Napoléon impose ses ordres. C’est le cas de Joseph, son frère aîné devenu roi d’Espagne en 1808 et installé à Madrid tandis que les troupes françaises se battent au Portugal. C’est celui, dans le sud de l’Italie que nous n’avons pas encore évoqué, de Murat, beau-frère de l’empereur, roi de Naples, où il a succédé, par la volonté de Napoléon, à Joseph. C’est aussi celui du roi du Danemark, Frédéric VI, qui règne également sur la Norvège. C’est un allié fidèle de Napoléon ; il le paiera cher en 1815. Enfin la Suède a choisi en 1810, par l’intermédiaire de la Diète, un maréchal français, Bernadotte, comme prince héritier. Malgré d’anciennes tensions avec Napoléon (Bernadotte avait épousé Désiré Clary à laquelle le jeune Bonaparte avait été fiancé et il avait intrigué sous le Consulat contre son rival), ce n’en était pas moins l’influence française qui pénétrait à Stockholm. En 1810, en épousant Marie-Louise de Habsbourg, Napoléon devenait le gendre de l’autre empereur, François II, devenu François Ier après la disparition du Saint Empire Romain Germanique. François Ier régnait sur l’Autriche, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et une partie de la Roumanie. Enfin, depuis Tilsit, en 1807, le troisième empereur, celui de Russie, était allié à la France. N’échappent à Napoléon que les îles : la Grande-Bretagne (est-elle européenne ?), la Sicile (dont Murat a les moyens de s’emparer) et la Sardaigne (quelques troupeaux de moutons...). droit de veto. En Espagne, il chasse les Bourbons et met à leur place son frère Joseph. Le Grand Duché de Varsovie (qui appartient à la confédération du Rhin) et la Confédération helvétique sont également devenus des satellites de l’Empire napoléonien. D’autres États sont contraints de s’allier diplomatiquement à la France momentanément : c’est le cas de l’empire d’Autriche et de l’empire de Russie. D’autres États, menés par le Royaume-Uni, s’opposent sur les marges de l’Europe à la puissance napoléonienne (Royaume-Uni, royaume de Suède, royaume du Portugal, royaume de Sardaigne, royaume de Sicile), qui sont soumis à un blocus économique. Il ne suffit pas de dominer, il faut encore unifier. Construction empirique, née des guerres de la Révolution et de l’Empire, l’Europe devient ou est destinée à devenir une entité juridique, économique et artistique. Le modèle est romain : le droit, la route, l’armée et la langue. Dans tous les nouveaux départements (Belgique, Hollande, rive gauche du Rhin, Piémont, Rome...) se mettent en place les structures administratives françaises (préfets, sous-préfets, maires). Simplification et unification : la supériorité de l’administration française sur les 143 vieilles constructions féodales et ecclésiastiques est éclatante. Les royaumes vassaux calquent leurs institutions sur la France : de façon totale pour la Westphalie, un royaume nouveau, partiellement pour Naples et l’Espagne, où il faut tenir compte du passé. C’est surtout sur le plan juridique que doit s’opérer la fusion grâce au Code civil. Napoléon entend l’imposer dans toute l’Europe. Le problème ne se pose pas en pays annexé, mais ailleurs il y a des résistances, venant surtout de la noblesse qui perd droits et privilèges et de l’Église. À Joseph, roi de Naples, Napoléon écrit, le 5 juin 1806 : « Établissez le Code civil à Naples ; tout ce qui ne vous êtes pas attaché et va se détruira alors en peu d’années et tout ce que vous voudrez conserver se consolidera. Voilà le grand avantage du Code civil. » Comme en Italie, en Allemagne la bataille est rude. Napoléon ordonne à son ministre des affaires étrangères : « Je désire que vous écriviez à M. Otto (ambassadeur à Munich) et à mes chargés d’affaires près le Prince Primat (à Francfort) et les grands ducs de Hesse-Darmstadt et de Bade, pour leur prescrire de faire des insinuations légères et non écrites pour que le code Napoléon soit adopté comme loi civile de leurs États en supprimant toutes les coutumes et en se bornant au seul code Napoléon. » Le Code civil, malgré les réticences d’un juriste germanique comme Karl von Savigny, symbolise la liberté (partout où il est établi disparaît le servage), l’unification (face aux innombrables coutumes émanant du droit romain, du droit canonique et des usages féodaux), la clarté (le style) et la modernité (Karl Marx avouera que le Code civil, là où il a été appliqué en Allemagne, a détruit la vieille féodalité). Le Code civil s’annonçait comme le nouveau droit européen. L’unification économique de l’Europe est en marche à la faveur du blocus continental. En 1806, ayant brisé la Prusse à Iéna, Napoléon, qui n’est pas encore au sommet de sa puissance (« l’âme du monde à cheval », dit alors Hegel), décidé de fermer par le décret de Berlin l’Europe aux marchandises anglaises (produits coloniaux et objets manufacturés). L’avance technique de l’Angleterre, qui a fait sa révolution industrielle, lui permettait d’inonder de ses produits à bon marché de l’Europe et d’y étouffer toute concurrence. Désormais, à l’abri d’une barrière douanière dont l’efficacité sera progressive et qui s’étend à toutes les côtes, à tous les ports du continent, on peut espérer voir se développer une industrie européenne. De plus, la route, un des soucis de Napoléon, va permettre avec notamment la percée des cols alpins, la circulation des marchandises. Certes il n’y a pas encore de monnaie unique, mais Napoléon y songe car les opérations de change diminuent sensiblement les énormes revenus que Napoléon a attribués à ses nobles en Pologne et en Allemagne. S’esquisse une unification intellectuelle et artistique. De cette volonté d’unification, quelle meilleure preuve que le transfert des archives des pays d’Europe à Paris sous le contrôle de Daunou, membre de l’Institut, au palais Soubise, en attendant la construction d’un autre palais. Les oeuvres d’art ont précédé les archives : au Louvre, sous Vivant Denon, membre de l’Institut, affluent peintures et sculptures. En 1807, Berlin donne 54 tableaux. Denon procède dans le même temps à l’enlèvement à Kassel de 899 oeuvres dont les Rembrandt. Joseph est sommé d’alimenter le Louvre en peintres espagnols. En 1810, le musée Napoléon possède la plupart des chefs-d’oeuvre européens qu’il révèle aux yeux éblouis du jeune Delacroix. Et dans le même temps où il prive l’Europe de ses oeuvres d’art, l’empereur impose dans tous les palais du continent le « style empire », fait d’acajou et de bronze, de sphinx et d’aigles, destinée à devenir le style européen. Ne va-t-on pas, sur le plan spirituel, jusqu’à prévoir l’installation du pape à Paris ? Et le français s’impose dans tous les textes administratifs à côté de la langue locale, souvent en bilingue. Enfin, étendue à tous les départements de l’empire, le système de la conscription assure de vastes brassages de population. L’armée réunie pour envahir la Russie en 1812 regroupe des soldats de toute l’Europe : Belges, Hollandais, Allemands de la rive gauche du Rhin, Italiens du Piémont, considérés comme Français, mais aussi Napolitains, Suisses, Danois, Allemands de la Confédération du Rhin, Espagnols, Autrichiens, Prussiens, Croates etc. Il y aura même une décoration européenne : l’ordre de la Réunion. Peut-on nier que l’Europe était alors faite ou en voie de l’être ? Et pourtant cette construction va s’écrouler en un an, la fatale année 1813 qui suit le désastre de Russie. 144 Comment expliquer cet effondrement ? Mettons à part les problèmes religieux nés du conflit avec le pape. L’excommunication de Napoléon ne fut pas connue et un accord avec Pie VII aurait été trouvé sans la catastrophe de Russie. L’Europe de Napoléon reposait sur la force et sur une édification empirique. Lorsqu’il annexe, lorsqu’il impose, l’empereur ne fait jamais appel au référendum, ce plébiscite dans l’utilisation duquel il était passé maître en France. Le Grand Empire est d’abord une machine de guerre contre l’Angleterre : fermer le continent aux marchandises anglaises pour ruiner son commerce et son industrie et précipiter la chute de la livre sterling, condamnant ainsi « la perfide Albion » à accepter la paix. Mais le blocus continental a été une arme à double tranchant. En se fermant aux exportations anglaises, l’Europe se prive de sucre, de café et de cacao. L’industrie française, spécialisée dans le luxe, ne peut suppléer les manufactures britanniques. Les privations - qui durent -, même tempérées par la contrebande, facteur d’insécurité, créent un vif mécontentement. Même Hegel s’indigne du mauvais café qu’il doit boire. Et le système continental avantage en Angleterre les grands propriétaires, qui voient leurs récoltes favorisées par l’arrêt des importations du continent. Or ce sont eux qui dirigent la vie politique, grâce aux « bourgs pourris », et non les industriels et les négociants. C’est l’affaire d’Espagne qui est à l’origine de la ruine de l’Europe napoléonienne. Les Espagnols ont mal vécu la substitution à Charles IV de Joseph Bonaparte. Elle ne s’imposait pas et allait à l’encontre du principe proclamé par la Révolution française elle-même du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’orgueil national a provoqué en Espagne une révolte, immortalisée par le Dos de Mayo de Goya et par le Catéchisme espagnol : D. Dites-moi, mon enfant, qui êtes-vous ? R. Espagnol. D. Que veut dire Espagnol ? R. Homme de bien. D. Combien y a-t-il d’obligations à remplir et quelles sont-elles ? R. Trois : être chrétien, descendre sa patrie et mourir plutôt que de se laisser vaincre. La patrie. Voici que ressuscite le cri de « Vive la nation ! » Le sentiment national s’exacerbe au Tyrol où Andreas Hofer refuse l’annexion de son pays à la Bavière. Il se développe dans toute l’Allemagne déjà frémissante en 1809 lorsque Staps tente d’assassiner Napoléon : « Vous tuer n’est pas un crime, c’est un devoir. » Dès 1807, Fichte avait lancé ses Discours à la nation allemande et, en Italie, tandis que Foscolo affirme qu’une nation ne saurait exister si elle ne jouit de la liberté, Leopardi se prépare à donner à l’idée nationale la place d’honneur qu’elle tiendra dans le romantisme italien. Après la défaite de Leipzig en 1813, qui consacre la perte de l’Allemagne, une réaction nationale se développe en Suisse, en Hollande, en Belgique. Vive la nation ! Le Grand Empire est ramené en 1814 à notre hexagone. L’Europe napoléonienne est morte. En 1815 l’Europe était faite. Ce n’était plus l’Europe des Lumières, ni l’Europe des baïonnettes, c’était l’Europe des diplomates, l’Europe du congrès de Vienne, celle de Metternich, celle de l’équilibre réfléchi à l’inverse de l’empirisme napoléonien. La Belgique était rattachée à la Hollande pour rassurer l’Angleterre, la Pologne, indirectement, à la Russie, pour contenter le Tsar, et l’Italie retrouvait les Bourbons de Naples, le pape et la maison de Piémont-Sardaigne. Les souverains d’avant 1789 étaient restaurés et leur légitimité garantie par la Sainte Alliance qui veillait sur le nouvel ordre européen. Metternich pensait avoir construit définitivement l’Europe. Il avait oublié le principe de nationalité. En 1830, les cris de « vive la nation ! » chatouillèrent ses oreilles ; en 1848, il fut emporté par eux. Telle la tapisserie de Pénélope, l’Europe était une nouvelle fois à refaire. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 145 HM – Le Congrès de Vienne Approche scientifique Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude spatiale) : Approche didactique Insertion dans les programmes (avant, après) : Sources et muséographie : Ouvrages généraux : Georges-Henri Soutou, L’Europe de 1815 à nos jours, Nouvelle Clio, PUF, 2007 Documentation Photographique et diapos : Revues : Carte murale : Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des savoirs, concepts, problématique) : Les concepteurs du Musée de l’Europe dans la capitale belge, qui vient juste d’ouvrir ses portes, ont décidé de faire de l’année 1945, "l’année zéro" de l’histoire européenne. 1945, année zéro ? Quand effectivement commence l’Europe ? A partir de quelle date peut-on évoquer un "système" européen ou bien un "ordre" européen ? BO 4e futur : LA FRANCE ET L’EUROPE EN 1815 L’Europe, en 1815, donne l’illusion d’un retour à l’ordre ancien. Mais les guerres révolutionnaires ont répandu les idées de la Révolution française et engendrent en réaction le sentiment national. L’analyse d’une carte de l’Europe en 1815 sert de support à l’étude. Les témoignages sur l’affirmation du sentiment national sont mis en évidence notamment au travers d’oeuvres artistiques au choix. Connaître et utiliser le repère suivant − Congrès de Vienne : 1815 Décrire les grandes transformations sociales, politiques et territoriales issues de la période révolutionnaire en Europe BO 2nde : « La Révolution et les expériences politiques en France jusqu'en 1851 – Ruptures avec l'Ancien Régime – Mise en oeuvre des principes révolutionnaires – Héritages conservés, héritages remis en cause Cette question est délibérément centrée sur la France avec un triple objectif : – faire percevoir la rupture fondamentale représentée par cette période ; – évoquer les grands repères chronologiques, les moments forts et les acteurs de cette période ; – dégager un bilan des bouleversements provoqués, en particulier dans les domaines politiques et sociaux. Les expériences politiques qui se suivent entre 1789 et 1851 ne doivent pas donner lieu à une étude exhaustive, mais il convient de définir les principaux régimes (monarchie constitutionnelle, république, empire) et d'amener les élèves à réfléchir sur la façon dont les principes fondamentaux de la Révolution ont été conservés ou remis en cause durant la première moitié du XIXe siècle. Une attention particulière est accordée à l'exclusion persistante des femmes de la vie politique et à la difficile abolition de l'esclavage. » Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports documentaires et productions graphiques : 9 juin 1815. L'Acte final du Congrès de Vienne Le 9 juin 1815 est signé l'Acte final du Congrès de Vienne. Ce document de 300 pages en français (la langue universelle de l'époque) redéfinit les contours de l'Europe après la chute de Napoléon 1er. Enjeux didactiques (repères, notions et méthodes) : BO 4e actuel : « Les transformations de l’Europe (2 à 3 heures) Une comparaison entre la situation de l’Europe à la fin du XVIIIe siècle et celle de 1815 conduit à mettre en évidence les transformations de tous ordres introduites par la période révolutionnaire et impériale dans les structures politiques et la société ainsi que les aspirations nées des idées nouvelles. • Cartes : l’Europe napoléonienne en 1811 ; l’Europe en 1815. • Documents : Goya : Dos de Mayo, Tres de Mayo (2 mai, 3 mai 1808) Socle : Nouveau commentaire « L’évocation des guerres de la Révolution et de l’Empire à partir de cartes doit surtout introduire à la présentation des bouleversements induits en Europe. Modification du commentaire (...) dans les structures politiques et la société, les aspirations nées des idées nouvelles et les résistances des tenants de l’ordre ancien. Ajout aux repères Le congrès de Vienne (1814-1815). » Activités, consignes et productions des élèves : Conséquences et inconséquences de Vienne Si le congrès prend également la décision importante de condamner la traite des Noirs et qu’il accorde la liberté de navigation sur 146 Au Congrès de Vienne du 1er octobre 1814 au 9 juin 1815, faisant suite au traité de Paris du 30 mai 1814 les pays vainqueurs de Napoléon adoptent le principe de rendre aux pays leurs frontières d'avant la Révolution française de 1789 sauf aménagements. Le traité de Vienne permet également la discussion sur d'autres points comme la libre circulation navale, l'abolition de la Traite des noirs (et non pas de l'esclavage), qui persiste cependant, et la mise en avant de la neutralité de la Suisse. Les enjeux du Congrès. La tâche primordiale dévolue au Congrès consiste à redistribuer les conquêtes de la France révolutionnaire et impériale, et elles sont nombreuses: Espagne, Portugal, Belgique, Hollande, Hambourg, Dantzig, rive gauche du Rhin, royaume de Westphalie, Suisse, Piémont-Savoie, Italie (dans sa presque totalité), Istrie, Dalmatie, Slovénie. Et il faut absolument restaurer une communauté d'intérêt germanique, François I ayant renoncé, en 1806, à la couronne du Saint-Empire. les fleuves traversant plusieurs États ou constituant une frontière politique, son principal souci a donc bien été un vaste rééquilibrage des nations et empires européens. Mais ce redécoupage, qui assure la paix continentale à la vieille Europe absolutiste pendant près de quarante ans, nourrit en son sein sa propre dégénérescence. En effet, toutes les tractations se font au détriment et au mépris du droit des nationalités ou des confessions. Ainsi en va-til du Schleswig intégré de force au Danemark, de la soumission des catholiques belges à un souverain hollandais protestant ; ainsi en va-t-il également du partage italien et de l’émiettement allemand. Les divers appétits se font jour: La Russie: elle entend bien reconstituer sous son autorité la Pologne toute entière: gardant la partie gagnée sur la Prusse et obtenant l'ancienne partie autrichienne, quitte à ce que ces deux puissances trouvent des compensations ailleurs (la Prusse en Allemagne, l'Autriche en Italie). La Prusse: tout en gardant sa partie de Pologne, elle aimerait bien de s'arrondir de toute la Saxe. Si elle doit perdre des morceaux de Pologne, elle compte sur la Russie pour obtenir de conséquents dédommagements. L'Autriche: son but est de remettre la main sur l'Italie, sans pour autant perdre une seule parcelle de Pologne (elle craint une Russie trop forte, aux desseins évidents sur les Balkans). L'Angleterre: son but est de brider la France, par exemple par la création d'un royaume des Pays-Bas, agrandi de la réunion de la Belgique à la Hollande, et l'établissement, sur le Rhin, d'une puissance allemande forte. Comme Constantinople occupe les pensées du cabinet britannique, elle n'est pas décidée à céder la Pologne à Moscou. Les Quatres se réunissent à Londres, en juin 1814. Mais ils ne parviennent pas à régler leurs différents et le traité de Londres (29 juin) se borne à préciser que le Congrès ne sera ouvert que lorsque les Quatre Puissances se seront entendues. Dans la coulisse, les jeux semblent déjà faits: Prusse et Russie se sont mis d'accord: la première cède sa Pologne à la seconde, étant entendu qu'elle lui fera donner toute la Saxe (sans préjudice d'autres acquisitions). De leur coté, l'Autriche et l'Angleterre sont en principe d'accord pour refuser la Pologne à la Russie, mais sont loin de s'entendre sur la Saxe. On le voit, les jeux sont loin d'être faits ! Et la France ? Louis XVIII n'a, c'est clair, rien à revendiquer pour la France. Après tout, le traité de Paris lui a rendu la France à peu près dans l'état où il l'avait quittée en 1791. Il donne à Talleyrand, son représentant, la tâche de tenter de regrouper, autour de lui, les États "secondaires", d'agir en représentant du principe de "légitimité" suivant lequel "la souveraineté ne pouvait être acquise par le simple fait de la conquête, ni passer au conquérant si le souverain ne la cède". (Qu'on ait donné à la France la Savoie va à l'encontre, selon lui, de ce principe de "légitimité", puisqu'elle appartient "légitimement" à son beau-frère de Sardaigne). Les dates 18 septembre 1814. Début du congrès lors d’une séance plénière, réunissant les Quatre, Angleterre, Autriche, Prusse et Russie. (L'ouverture du Congrès avait en fait été prévue pour le 1er août, mais elle sera retardée au 1er novembre). Il est décidé que trois Comités vont s'occuper: des intérêts communs et de la politique étrangère en Europe (la France et l'Espagne vont être invités); des affaires allemandes (en font partie Autriche, Prusse, Hanovre, Bavière, Württemberg); enfin des affaires suisses. Les Alliés auraient bien aimé mener seuls les discussions: Talleyrand s'y oppose, aidé en cela par les représentants de l'Espagne, du Portugal et de la Suède. C'est donc finalement un Comité des Huit qui va être l'organe principal du Congrès. 147 31 octobre 1814. Séance de travail des "Six" (La France et l’Espagne ont été conviées à se joindre aux discussions), le prince Metternich est élu président du Congrès, sur proposition de Talleyrand et avec l’accord de l’empereur François. 1 novembre 1814. Ouverture solennelle du Congrès. 6 mars 1815. Le Congrès apprend le retour de Napoléon de l’île d’Elbe. Pour le Congrès, le retour de Napoléon, et son rétablissement sur le trône de France sont intolérables: il est proscrit, dans une proclamation que l'empereur François a atténué, jugeant les termes proposés par Talleyrand trop brutaux. 8 juin 1815. Le Congrès adopte la fondation de la Confédération Germanique. 9 juin 1815. Signature de l’acte final du Congrès. C’est la fin officielle du Congrès. Le Congrès s'amuse Les Alliés se réunissent à Vienne sous l'égide de l'empereur et de son chancelier et ministre des Affaires étrangères, l'habile Metternich (42 ans), . La France se fait représenter par le non moins habile Talleyrand (60 ans). Talleyrand s'incline devant le partage du grand-duché de Varsovie (résurgence de l'ancienne Pologne) mais se flatte de sauver le royaume de Saxe, traditionnel allié de la France, sur lequel lorgnait la Prusse. Celle-ci se console en annexant la Rhénanie !... De la même façon que les Polonais sont assujettis à leurs voisins sans qu'on leur demande leur avis, les Belges sont réunis à leurs frères ennemis du nord dans le royaume des Pays-Bas. Les Anglais veulent ce faisant prévenir une nouvelle annexion de la Belgique et surtout du port d'Anvers par les Français. Les Italiens de Lombardie et de Vénétie sont quant à eux réunis dans un «royaume lombardo-vénitien», partie intégrante de l'empire d'Autriche ! Les négociations sont houleuses mais n'empêchent pas les très nombreux participants de s'amuser dans un tourbillon de fêtes qui ressuscitent pour un temps l'art de vivre de l'aristocratie du XVIIIe siècle. Négociateurs et fêtards sont à peine troublés lorsqu'ils apprennent quele 1er mars 1815, Napoléon, l'empereur déchu, a quitté son royaume d'opérette de l'île d'Elbe et débarqué à Golfe-Juan en vue de reprendre sa place à la tête de la France. Les anciens Alliés se remobilisent contre l'Usurpateur. La France, malgré les efforts de ses représentants, ne peut éviter une remise en cause du traité de Paris. Elle doit se préparer à la perte de quelques nouveaux territoires et à une occupation militaire que consacrera un deuxième traité de Paris. L'Acte final Le congrès clôt ses travaux sans même attendre la défaite définitive de Napoléon 1er à Waterloo (18 juin 1815). – La Russie s'accroît de la plus grande partie de l'ancien grand-duché de Varsovie, transformé en un «royaume de Pologne» directement inféodé au tsar. – La Prusse reçoit la Poméranie suédoise, la Saxe du nord et surtout la Westphalie et la plus grande partie de la Rhénanie. – L'Autriche met la main sur la Lombardie et la Vénétie, la côte adriatique (Illyrie et Dalmatie), le Tyrol et Salzbourg. – La mosaïque allemande est réduite de 350 États à seulement 39, réunis au sein d'une Confédération germanique sans plus de pouvoir que l'ancien Saint Empire romain germanique. – La péninsule italienne n'est plus divisée qu'en sept États. – L'Espagne et le Portugal retrouvent leurs souverains... mais voient leurs empires coloniaux se disloquer peu à peu. – La Suède enlève la Norvège au Danemark, tout enconcédant aux Norvégiens une très large autonomie. Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) : Dès 1823-1824, les intérêts divergents des grandes puissances montrent le caractère artificiel du découpage de 1815, contre lequel les révolutionnaires et les nationalistes de toute l’Europe, mais aussi Napoléon III, ne cessent bientôt de lutter, jusqu’à favoriser un nouvel éclatement de l’Europe et la redistribution des nationalités à la fin du xixe siècle, lors de l’autre grande conférence diplomatique du siècle, le congrès de Berlin de 1878. Evaluation cohérente en fonction des objectifs : 148