Ann. Kin ésithér., 1994, t. © Masson, MÉMOIRE 21, n° 1, pp. 27-31 Paris, 1994 Évaluation comparative isocinétique des muscles du tronc de sujets sains et de lombalgiques. K. KERKOUR, J.-L. MEIER Service de Rhumatologie, Médecine Physique et rééducation, Hôpital Régional, 2800 Delémont, Suisse. Dans une étude prospective, randomisée et stratifiée selon l'âge et le sexe, nous comparons différents paramètres de la fonction musculaire isocinétique (moment maximal résistant, moyenne des moments, moment maximal résistant rapporté au poids corporel, travail total) des fléchisseurs et extenseurs du tronc de 52 sujets sains (32 hommes, 20 femmes) avec 32 sujets lombalgiques intermittents (19 hommes, 13 femmes). Nous utilisons un dynamomètre rotatoire de type LIDO (Loredan) avec système d'évaluation du tronc dans le plan sagittal, les mesures (5) sont réalisées en position « assis-debout» aux vitesses angulaires de 60 et 120 deg./sec. Nos résultats montrent que le lombalgique présente une diminution relative de force des fléchisseurs du tronc (~ 20 %) mais surtout significative pour celle des extenseurs (~45 %). Cette perte de force entraîne une modification significative du rapport fléchisseursextenseurs qui tend à se rapprocher de « 1 » comparativement à une population non lombalgique ou ce rapport est situé [0,7-0,8]. Ce déséquilibre constaté dans ce travail, et la diminution de l'endurance des muscles extenseurs du sujet lombalgique, sont certainement des éléments utiles à considérer dans la compréhension du difficile problème qu'est la lombalgie chronique. Présenté à la Journée Recherche de Bois-Larris, le 12 juin 1993. Tirés à part: K. KERKOUR, à l'adresse ci-dessus. Introduction Il est impensable pour un clinicien de ne pas associer à l'examen de la mobilité d'une articulation périphérique, une évaluation de la fonction musculaire. Cet élément important qu'est la quantification précise de la force, indispensable à l'évaluation diagnostic d'une pathologie articulaire périphérique est beaucoup moins évident lorsqu'il s'agit du dos. L'évaluation de la force musculaire des fléchisseurs et extenseurs du tronc du sujet « sain» [1, 5,6, 11, 15, 17, 19,21] ou sportif [3, 4], et du patient lombalgique a fait l'objet de nombreux travaux récents [7, 8, 13, 14, 16, 17, 18, 20] visant à mieux cerner les facteurs de risque du patient rachialgique. Cette approche est facilitée, aujourd'hui, par l'expérience et la routine acquise dans la mesure de force en périphérie par l'appareillage isocinétique. Divers travaux [5, 8, 17, 18] montrent une corrélation entre la perte de force musculaire et la fréquence des lombalgies et, ce déficit de force et d'endurance de la musculature paravertébrale est alors régulièrement évoqué comme un des facteurs de risque de la lombalgie. Les muscles érecteurs du tronc possèdent une majorité de fibres du type 1 (58-62 %); avec l'âge ce pourcentage de fibres du type 1 augmente. La musculature para-vertébrale superficielle possède un pourcentage plus élevé de fibres de type 1, tandis que celle profonde a un pourcentage plus élevé de fibres de type II. Le patient lombalgique semble présenter une atrophie aussi bien des fibres de type 1 que II, mais plus marquée sur les fibres du type II b. 28 Ann. Kinésithér., 1994, t. 21, nO 1 Matériel et méthode i Étude prospective m sps et le sexe. H I. - Caractéristiques du collectif non lombalgique (sain) et lombalgique (patient) selon l'âge, la taille et le poids. TABLEAU ue0 e randomisée ans et stratifiée selon l'âge n 0t1 0am P F (32) 41 35 34 ±Taille 41 ± 10 Il 47 cm kg Poids 167 178 167 175 71 79 69 58 10 12 39 174 ± 174 ± 10 ±±± 13 7885746 76 607± Sain Patient Patient (19) (52) (13) Sain (20) Sain 38 (32) Age Population : elle se compose de 52 sujets (32 hommes, 20 femmes) non lombalgiques (sains) et de 32 sujets (19 hommes, 13 femmes) lombalgiques (patients) dont les caractéristiques (âge, taille, poids) sont données par le tableau l Critères d'inclusion. Sain : - n'avoir jamais eu d'arrêt de travail pour lombalgie; - être en activité; - être en bonne santé (absence de traitement médical actuel et absence d'affection cardio-vasculaire et de l'appareil locomoteur). Patient: - ne pas avoir de douleurs au moment de l'examen; - lombalgie intermittente durant plus d'une année, et ne pas avoir eu d'arrêt de travail depuis plus de 8 semaines; - être en activité. MA TÉRIEL Nous utilisons un dynamomètre rotatoire isocinétique, informatisé, de type LIDO (Loredan) avec système de mesure du tronc dans le plan sagittal. MÉTHODE Les sujets sont installés en position « assis-debout » avec un angle tronc-cuisse de 150°, les fesses prennent appui contre le siège du LIDO, cuisses et bassin sont sanglés. Le centre de rotation du dynamomètre est perpendiculaire à une droite joignant l'E.I.A.S. et E.I.P.S. (approximativement espace L4-L5). Nous utilisons le protocole suivant : 1) Avant chaque évaluation, le sujet est familiarisé au système isocinétique utilisé par 2 séances préalables. 2) Après installation du sujet, nous programmons l'amplitude du mouvement à effectuer soit : 60°, qui se répartissent en une flexion égale à 40° et en une extension de - 20°. Le tronc est alors « pesé» pour obtenir une correction en fonction de la gravitation; ceci est automatiquement intégré dans les valeurs de force obtenues. Le mouvement débute en extension totale (- 20°) et nous demandons au sujet de réaliser six mouvements maximaux de flexion-extension et ceci à la vitesse angulaire de 600/s puis 1200/s; après un échauffement de dix mouvements à force sous-maximale. ""----- Pour limiter la fatigue, nous observons un temps de repos de 2 mn entre l'échauffement et le test, ainsi que de 5 mn lors du changement de vitesse angulaire. Tous les enregistrements sont effectués par le même examinateur, et une stimulation verbale est donnée tout au long des mouvements. Résultats Nous retenons pour l'étude du 2e au 5e essai et, tous les résultats sont fournis par le programme statistique (Normative Data-base) du logiciel du LIDO. Les tableaux II et III expriment, en pourcentage, la différence mesurée entre les sujets sains et les lombalgiques, pour les paramètres suivants : - moment maximal résistant (Peak-Torque PT.) ; - moyenne des moments (M.P.T.) ; - moment maximal résistant rapporté au poids corporel (P.T./poids corporel). Ann. Kinésithér., TABLEAU II. - Ce tableau exprime en % la différence de force musculaire isocinétique des extenseurs du tronc (P. T., moyenne P. T., P. T./Poids corporel des sujets, travail total) entre sujets sains et lombalgiques à 60 et 120 deg./sec. Extenseurs Population Population Femmes PT/s Hommes Hommes PT total 41 44 4536,3 Peak 41 40 39 39 PT 49,2 39,6 39,8 41,1 40,6 38,7 41,2 48,340,4 38,9 49,5 43,1 37,2 TorquePoids 60° Travail 120° Corps duExtenseurs tronc Moyenne TABLEAU IV. - Rapport seurs/extenseurs des moments de force aux vitesses de 60 et 120o/s. Hommes Femmes Hommes / 1994, t. 21, Fléchisseurs nO 1 29 fléchis- Patient Sain 0,8 0,93 1,01 0,73 0,75 1,06 1,06 0,98 1,07 0,82 0,81 0,74 60° TABLEAU extenseurs TABLEAU III. eu00- Ce tableau exprime en % la différence de force m nPi0st1e am V. - Angle d'efficacité maximale des fléchisseurs du tronc en fonction de la vitesse. Sain Patient 130,2 -4 Sain 30 Sain 1200/s 600/s ~6,5 32,1 -6,2 26,6 28,8 14,1 -9,3 31,4 -2,2 31,7 --3 8,2 -8,2 28,5 Il,8 15,8 12,7 20,3 17,5 29,8 et Extenseurs Fléchisseurs musculaire isocinétique des fléchisseurs du600/s tronc (P. T., moyenne H P F P. T., P. T./Poids corporel des sujets, travail total) entre sujets sains et lombalgiques à 60 et 120 deg./sec. Hommes Femmes PT total Hommes PT 30 20 20 2322,35 PT Poids Peak 30,823,35 23,4 24,2 32,6 20,3 19,7 21,8 24,5 32,9 29,3 18,2 24,7 28,4 18,8 25,4 17,8 21,1 Torque Travail Corps Moyenne Fléchisseurs du tronc 60° Nous obtenons: Extenseurs: aux deux vitesses choisies (60 et 1200/s) les 10mbalgiques présentent une perte de force musculaire importante d'environ 40 % par rapport à l'individu sain; cette diminution de force est identique pour l'homme et la femme. Fléchisseurs : la perte de force est moins importante que pour les extenseurs, elle est d'environ 20 %, cette perte est sensiblement la même chez l'homme et la femme; mais elle est plus marquée à la vitesse de 1200/s soit: environ 25 %. Travail total : (tableaux II et III). à la vitesse de 600/s le travail Extenseurs: fourni par les sujets lombalgiques est d'environ 45 % inférieur à celui obtenu par les sujets sains. Cette différence est sensiblement supérieure à 1200/s, elle est de 50 % ; quel que soit le sexe. Fléchisseurs : aux deux vitesses étudiées et pour les deux sexes, la diminution du travail fourni par les 10mbalgiques est d'environ 30 %. Rapport des moments Fléchisseurs/extenseurs maximaux résistants. (tableau IV) La lombalgie perturbe le rapport de force entre le groupe des fléchisseurs et celui des 30 Ann. Kinésithér., 1994, t. 21, nO 1 extenseurs. Chez le sujet sain aux deux vitesses choisies, ce rapport se situe entre « 0,7 et 0,8 » ; par contre chez le lombalgique ce rapport se situe à « 1 ». Angle d'efficacité maximale (tableau V) Extenseurs,' la vitesse influence l'angle d'efficacité maximale : si à 1200/s il y a peu de différence entre le sujet sain et le lombalgique, par contre, à 600/s la différence est hautement significative. Fléchisseurs " chez le sujet sain la vitesse influence l'angle d'efficacité maximale; par contre chez le lombalgique la vitesse n'a aucune influence. Discussion Dans un travail précédent [11, 12] nous avons montré chez des sujets sains, l'absence de corrélation éventuelle entre la force musculaire mesurée des extenseurs du tronc avec le poids, la taille ou la surface corporelle. Cette étude montre que le 10mbalgique présente une diminution relative de force des fléchisseurs du tronc (~ 20 %), mais surtout de celle des extenseurs (~ 45 %). Ces résultats sont identiques à ceux trouvés dans la littérature. Cette perte de force entraîne une modification significative du rapport fléchisseurs-extenseurs qui tend à se rapprocher de « 1 » comparativement à des sujets sains (non 10mbalgiques) ou ce rapport reste situé entre (0,7 et 0,8). Ce déséquilibre constaté dans ce travail, et la diminution de l'endurance des muscles extenseurs chez le patient lombalgique documentée également par d'autres auteurs [8, 17, 18] sont certainement des éléments utiles à considérer dans la compréhension du difficile problème qu'est la lombalgie chronique. L'évaluation précise de l'importance du déficit, et les modifications du rapport fléchisseurs-extenseurs, permet de proposer une rééducation adaptée, basée sur un ré entraînement progressif visant à améliorer la force des extenseurs du tronc et leur endurance. Ce déficit de force est également retrouvé dans l'évaluation isocinétique des rotateurs du tronc. En effet HerIant et coll. [10] rapportent une étude sur une série de 79 lombalgiques chroni- L ques souffrant depuis plus de six mois, qu'ils ont comparés avec un groupe contrôle de 27 sujets sains n'ayant jamais souffert depuis plus d'un an de douleurs lombaires. Ces auteurs constatent un déficit autour de 30 % pour la rotation du tronc; déficit ayant pour particularité d'exister de façon marquée dès les vitesses moyennes (600/s). Conclusion Cette étude prospective, randomisée et stratifiée selon l'âge et le sexe, montre que le sujet lombalgique (intermittent), en phase non algique, présente une diminution significative de la force et de l'endurance des muscles extenseurs du tronc. Cette perte de force est, moins marquée pour les fléchisseurs à l'examen comparatif avec des sujets sains. Nous constatons également un déséquilibre du rapport fléchisseurs-extenseurs qui tend à se rapprocher de « 1 », ce rapport est situé entre « 0,7 - 0,8 » chez l'individu non-lombalgique. On ne peut s'empêcher de faire une analogie avec les modifications du rapport de force fléchisseursextenseurs du genou après chirurgie réparatrice [12]. Ces mesures nous permettent d'apporter un élément supplémentaire utile à la meilleure compréhension du mécanisme douloureux du patient lombalgique. Cette composante musculaire n'est qu'un des paramètres parmi les autres comme : l'insatisfaction au travail, la motivation, les aspects psychologiques, sociauxfamiliaux dans le handicap du lombalgique. Nous préconisons une rééducation adaptée visant à améliorer, non seulement les paramètres de force, mais surtout d'endurance des muscles extenseurs du tronc de nos patients lombalgiques chroniques (par ex. : électrostimulation neuromusculaire à basse fréquence et de longue durée). Références 1. ADDISON R, hospitalization 5 : 39-544. A. Trunk strength in patients for chronic low back disorders. Spine 1980; SCHULTZ -... Ann. Kinésithér., 1994, t. l l 2. ALSTON W, CARLSON KE, FELDMANN DJ, GRIMM Z, GERONTINOS E. A quantitative study of muscle factors in the chronic low back syndrome. J Am Geriatr Soc 1966; 14 : 1047. 3. ANDERSON E, Sw ARD L, THORSTENSSONA. Trunk muscle strength in athletes. Med Sci Sports 1988; 20 : 587-93. 4. BENZOOR MC, ALBERT M, GRODIN A, WOODRUFF LD. 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