Dengue - Laboratoire CERBA

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Dengue
La dengue est souvent considérée à tort comme une
maladie bénigne. C’est l’arbovirose la plus fréquente
dans le monde, avec un nombre de cas estimé à plus de
100 millions par an, dont plusieurs centaines de milliers
de formes sévères. La mortalité des formes hémorragiques, de plus en plus fréquentes, est importante (1 à
5 %) ; en particulier chez l’enfant. C’est une pathologie
d’importation fréquente au retour de voyage en zone tropicale et le principal diagnostic différentiel à réaliser avec
le paludisme. En France, un dispositif de surveillance a
été mis en place. Depuis juillet 2006, la déclaration des
infections confirmées est obligatoire dans les départements du territoire métropolitain et de la Réunion. Les
départements français d’Amérique (région Antilles et
Guyane), zone de circulation endémoépidémique, ne
sont pas soumis au système de la déclaration obligatoire.
Agent causal
La maladie est causée par un des quatre sérotypes (1 à
4) du virus de la dengue. Ces virus appartiennent à la
famille des Flaviridae et au genre Flavivirus. Ils sont
proches, mais pas suffisamment pour qu’une infection
par l’un des quatre sérotypes puisse protéger d’une
infection ultérieure par l’un des trois autres. On parlera
de dengue primaire lors d’une première infection par
l’un de ces virus, et de dengue secondaire dans le cas
d’une infection survenant chez un sujet ayant déjà des
anticorps contre l’un des trois autres virus.
Ce sont des virus enveloppés de 40 à 50 nm de diamètre. L’enveloppe est porteuse de la protéine virale
d’enveloppe E. Sa face interne est tapissée de la
protéine M et protège la nucléocapside de symétrie
icosaédrique formée de la protéine C associée à l’ARN
génomique, molécule monocaténaire de polarité positive de 11 kb, capé en 5′. L’ARN porte les gènes des
protéines structurales C, M, E, et de sept protéines non
structurales (NS1, NS2A, NS2B, NS3, NS4A, NS4B et
NS5) intervenant dans le cycle réplicatif.
Après attachement à la surface cellulaire, le virion
pénètre dans le compartiment cellulaire par endocytose.
Les membranes virales fusionnent avec les membranes
endosomales, libérant la nucléocapside dans le cytosol.
Après décapsidation, l’ARN génomique est traduit en
protéines virales nécessaires à la réplication de l’ARN
viral. Les ARN viraux néosynthétisés vont permettre
d’une part la production des protéines virales, et d’autre
part l’association aux protéines C pour constituer des
nucléocapsides. Ces nucléocapsides nouvellement formées s’entourent de l’enveloppe par un processus de
bourgeonnement au sein des membranes du réticulum
endoplasmique. Les pro-virions migrent dans le compartiment trans-golgien, où elles deviennent des particules infectieuses avant d’être relarguées dans le milieu
extra-cellulaire.
Dans les cellules de mammifères, la glycoprotéine NS1
est retrouvée dans le milieu extra-cellulaire sous la
forme d’un hexamère.
Épidémiologie
Le vecteur du virus de la dengue est toujours un moustique du genre Aedes, et l’homme est le principal réservoir naturel, même si le singe peut être infecté et être à
l’origine de foyers de persistance sauvage du virus.
L’épidémiologie de la dengue est complexe et a beaucoup évolué au cours du xxe siècle. La première description clinique de la fièvre dengue remonte au xviiie siècle
en Indonésie et les premières grandes épidémies décrites
l’ont été ensuite en Égypte et aux États-Unis. D’autres
épidémies ont été décrites au cours des xixe et
xxe siècles à Zanzibar, en Inde, en Australie, en Grèce,
en Tunisie, à Taïwan, à Hong-Kong, au Japon, etc. Au
cours des années 1980–2005, plusieurs épidémies se
sont succédées en Asie du Sud-Est, en Polynésie, en
Amérique tropicale et subtropicale, aux Antilles.
À l’heure actuelle, on peut considérer que la dengue est
endémique en Asie du Sud-Est, avec une exacerbation
en saison des pluies, et qu’elle reste épidémique ailleurs
dans le monde, avec des épidémies liées aux déplacements humains : Océanie, océan Indien, Afrique de
l’Est, Amérique tropicale et Caraïbes. Cependant, une
tendance à l’endémisation est constatée, en particulier
en Amérique, avec des bouffées épidémiques parfois
intenses. L’Afrique centrale est pour l’instant indemne
de dengue et la situation en Afrique de l’Ouest est paradoxale, avec une circulation du virus chez le singe mais
un nombre réduit de cas humains.
L’OMS estime que la dengue touche plus de 100 pays
et que les deux cinquièmes de la population mondiale
(2,5 milliards de personnes) sont exposés dans les
régions tropicales.
La dengue est importée régulièrement dans les pays
tempérés du fait de l’extension du tourisme vers les pays
ensoleillés. En France, c’est la principale arbovirose
importée sur le territoire métropolitain.
La dengue représente déjà un grave problème de santé
publique à l’échelle de la planète, et les projections pour
l’avenir ne sont pas optimistes. En effet, son épidémiologie pourrait être bouleversée dans les années à venir
par les changements climatiques et écologiques en
cours. La dengue a disparu du Bassin méditerranéen
avec son principal vecteur, Aedes aegypti. Cependant,
les changements climatiques actuels, avec une tendance
au réchauffement général, permettant la persistance
plus aisée des vecteurs en hiver et l’apparition d’Aedes
albopictus, d’origine asiatique, dans de nombreuses
régions peuvent permettre l’installation d’un cycle vecteur–vertébré et d’épidémies dans des populations
aujourd’hui indemnes. La situation est proche dans
d’autres régions du monde pour le moment indemnes
mais où les conditions climatiques et la présence de vecteurs potentiels laissent envisager de futures épidémies.
Une modélisation mathématique récente a même montré que 50 à 60 % de la population mondiale pourrait
devenir à risque avant la fin du xxie siècle, au lieu de
30 % actuellement.
Clinique
Comme d’autres arbovirus, le virus de la dengue peut
provoquer un large éventail de formes cliniques, allant
de la forme totalement asymptomatique à la forme
hémorragique (DH), souvent mortelle, en passant par
le syndrome fébrile aigu sans gravité, heureusement le
plus fréquent, dit « dengue classique » (DC).
— Dengue classique
À une incubation courte, de 5 à 8 jours en moyenne,
succèdent l’installation brutale d’une fièvre élevée
(39–40 °C), un malaise général intense associé à des
frissons, céphalées, nausées, myalgies et arthralgies,
photophobie, parfois adénopathies. Une phase de
rémission, inconstante, peut se produire après 2 à
3 jours, avec disparition pendant 12 à 36 heures des
signes généraux, avant un retour de la fièvre en plateau
à 40 °C, accompagnée de céphalées intenses, frontales
et rétro-orbitaires, myalgies, arthralgies des membres,
photophobie, insomnie. Nausées, vomissements, diarrhées sont fréquents et un rash maculopapuleux du
tronc et des membres, parfois purpurique, peut s’observer. L’asthénie est constante. La biologie montre au
début une leucopénie avec lymphocytose relative, suivie
parfois d’une leucocytose. Une thrombopénie est souvent présente. Une cytolyse hépatique modérée est plus
rarement constatée. L’évolution est spontanément résolutive en 1 à 2 semaines, sans séquelles, avec la persistance d’une asthénie parfois intense pendant quelques
jours à quelques semaines.
— Dengue hémorragique
Dans le cas de la DH, après une phase de début identique, le plus souvent sans rémission, s’installe une
phase d’état hémorragique avec une altération rapide
de l’état général, rash morbilliforme purpurique et pétéchial, extrémités froides et cyanosées et survenue de
manifestations hémorragiques multiples : épistaxis, gingivorragies, hémorragies conjonctivales, hématémèse,
méléna, hématomes spontanés. La fièvre tend à disparaître vers le cinquième jour, avec une évolution soit
vers la guérison sans séquelles en une dizaine de jours,
soit vers un choc hypovolémique et un collapsus cardiovasculaire fatal. La DH est plus fréquente et plus sévère
chez l’enfant en zone de forte endémie (Asie du SudEst), mais de nombreux cas ont été constatés au cours
d’épidémies récentes en Amérique tropicale, aux
Antilles et en Polynésie.
La physiopathologie de la DH est mal connue. Les quatre virus peuvent en être responsables. Les principales
perturbations biologiques à l’origine des signes hémorragiques sont une augmentation de la perméabilité vasculaire et des troubles de l’hémostase avec une
thrombopénie souvent profonde et une activation du
système du complément, entraînant une CIVD. L’hypothèse la plus souvent retenue est celle de la facilitation
immunologique. La DH ne se produirait qu’au cours
d’une dengue secondaire, hétérologue, avec facilitation
de la réplication virale dans les macrophages par la présence d’anticorps préexistants non neutralisants à faible
taux, et production par ces cellules de thromboplastine
déclenchant la CIVD ainsi que de médiateurs agissant
sur la perméabilité vasculaire et l’activation du complément. La dengue primaire, toujours bénigne, serait un
facteur de risque pour une future DH au cours d’une
dengue secondaire. Ce schéma n’explique pas tout et
d’autres hypothèses ont été avancées : pathogénicité différente selon les souches, intervention du vecteur, facteurs liés à l’hôte. Il existe en particulier une réceptivité
différente selon les populations humaines, des différences liées à l’âge, au sexe, au statut immunologique,
et d’autres facteurs qui pourraient intervenir sur la gravité de la maladie.
— Dengue et grossesse
Chez la femme enceinte, les conséquences de la dengue
peuvent être graves. Des observations récentes effectuées en Polynésie font état d’hémorragies utérines suivies d’avortement sans que l’on sache à quel moment
de la grossesse ils se situent. Plusieurs cas de dengue
maternofœtale ont aussi été décrits, ressemblant à la
DH et survenant en fin de grossesse.
Diagnostic biologique
Le diagnostic biologique de la dengue repose sur l’isolement du virus, peu pratiqué car réservé à de très rares
laboratoires de référence spécialisés, sur la détection
directe du virus par PCR et surtout sur la sérologie.
— Diagnostic direct
Le virus peut être isolé à partir du sang périphérique
en phase aiguë virémique. L’isolement peut se faire par
inoculation intracérébrale au souriceau nouveau-né ou
par inoculation au moustique, mais surtout par culture
sur cellules de vertébrés ou de moustiques en lignée
continue, avec surveillance de l’apparition d’un effet
cytopathogène (ECP). L’ECP n’est pas toujours présent
et la recherche d’antigènes viraux par immunofluorescence indirecte est systématique. L’identification
du type viral en cause repose sur des techniques
immunologiques ou moléculaires utilisant la PCR et
éventuellement le séquençage.
La détection d’antigène viral NS1 est réalisable directement dans le sérum des patients par test immunoenzymatique. Ce test est positif dès l’apparition des
signes cliniques quand le patient est virémique. Il se
négative quand les anticorps apparaissent.
Le génome viral peut être détecté par RT-PCR. Il est
possible de détecter soit un des quatre virus de la
dengue, soit les quatre virus de la dengue en une seule
RT-PCR, avec identification secondaire. La RT-PCR
permet un diagnostic rapide en phase aiguë, avant
l’apparition des anticorps. Cependant, sa sensibilité
reste liée à la durée de la phase virémique (3 à 5 jours),
avec le risque d’un résultat négatif sur un prélèvement
trop tardif.
— Diagnostic indirect
Le diagnostic sérologique reposait classiquement sur
l’IHA : inhibition par les anticorps sériques de l’hémagglutination des hématies d’oie. Ces anticorps apparaissent quelques jours après le début de la phase aiguë,
montent rapidement à des taux élevés significatifs
(> 640), diminuent à des taux faibles après plusieurs
semaines ou plusieurs mois et persistent très longtemps
à taux bas. Cependant, ils sont peu spécifiques : les
réactions croisées entre les quatre virus sont intenses et
ne permettent qu’un diagnostic de groupe.
La réaction de fixation du complément (RFC), peu sensible et tardive, et la séroneutralisation, très spécifique
mais très lourde à mettre en œuvre, sont rarement utilisées.
Le diagnostic sérologique se fait actuellement par technique immunoenzymatique, par la recherche des IgM
spécifiques en immunocapture. Cette technique est à la
fois très sensible et très précoce : les IgM sont présentes
habituellement au 2e ou 3e jour de la fièvre, mais
peuvent être plus tardives, jusqu’à 8 jours. Les réactions
croisées entre les quatre virus sont suffisantes pour permettre l’utilisation d’un seul antigène pour le diagnostic
de groupe d’une dengue aiguë. Ce test ne permet pas, en
revanche, le diagnostic de type. La recherche des IgM
spécifiques est associée à celles des IgG en ELISA. Cette
technique est aussi très sensible et précoce : dans le cas
d’une dengue primaire, les IgG apparaissent quelques
jours après les IgM et confirment la spécificité d’IgM
isolées initiales. Dans le cas d’une dengue secondaire,
les IgG seront présentes avant les IgM et augmenteront
dans les jours suivants. La présence concomitante d’IgG
et d’IgM en phase aiguë est plus délicate d’interprétation : il faudra tenir compte de la date de début de la
fièvre, de la connaissance d’une éventuelle infection
antérieure ou d’un séjour en zone d’endémie. Les IgM
disparaissent habituellement après 6 à 8 semaines, avec
une importante variabilité. Les IgG persistent très longtemps et peuvent signer une infection ancienne. Cependant, l’existence de réactions sérologiques croisées entre
Flavivirus peut rendre l’interprétation d’une sérologie
IgG dengue isolée délicate.
Traitement
Il n’existe pas de traitement spécifique de la dengue.
Une DC sera traitée par le repos associé aux antipyrétiques et antalgiques, en évitant toujours l’aspirine
en raison de la thrombopénie souvent présente et du
risque hémorragique éventuel. Les DH doivent bénéficier des techniques de réanimation lourdes, ce qui n’est
pas toujours possible en zone d’endémie.
La prophylaxie de la dengue est difficile et repose sur
plusieurs axes :
• surveillance constante des foyers d’endémie et suivi
des épidémies : surveillance des populations de vecteurs, surveillance sérologique des populations
humaines exposées, isolement et identification des
virus en cause ;
• lutte antivectorielle avec le contrôle des populations
de vecteurs domestiques responsables de la transmission à l’homme : démoustication ponctuelle, suppression des gîtes larvaires à proximité des habitations
(tout récipient d’eau stagnante), démoustication des
avions, etc. ;
• protection de la population humaine :
– par lutte contre la transmission : moustiquaires,
répulsifs, etc. ;
– par éducation sanitaire des populations locales
pour éviter la création des gîtes larvaires ;
– par information des voyageurs pour éviter les cas
d’importation et la dissémination épidémique dans
d’autres régions du monde.
• un vaccin tétravalent contre les virus de la dengue est
attendu dans les années à venir.
☞
(
Arbovirus
Chastel C.
Arbovirus, arénavirus et virus voisins.
In : Denis F.
Les virus transmissibles de la mère à l’enfant.
Montrouge : John Libbey Eurotext, 1999 ; pp. 365-394.
InVS
Dengue dans les départements français d’Amérique.
Disponible sur : http://www.invs.sante.fr
Rodhain F.
Fièvre jaune, dengue et autres arboviroses.
EMC – Maladies infectieuses 2001 ; 8-062-A-10, 19 p.
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