Superstition

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18/02/2014 |
Superstition
Le terme de superstition s'applique à une croyance déviante ou archaïque par rapport à la croyance
considérée comme "normale" (l'équivalent all., Aberglaube, signifie étymologiquement "contre-croyance"). On
ne saurait donner une définition univoque de cette notion ni de son contenu. Tout comme la croyance
"correcte", la superstition, qui se manifeste avant tout sous la forme d'observation de signes, de divination
(présages tirés intentionnellement) et de pratiques magiques, évolue en fonction des normes sociales et
religieuses de chaque époque. La limite avec la magie, l'astrologie et la piété populaire a toujours été
poreuse. Grâce à des enquêtes et à la publication de recueils de légendes, les folkloristes suisses ont
conservé pour la postérité un important ensemble de superstitions. Ils les ont rangées, des années 1920 aux
années 1940, parmi les croyances populaires. Aujourd'hui, cette attribution ne fait plus l'unanimité, parce que
les deux notions ne se recouvrent que partiellement; de plus, on tend à éviter l'usage du terme de
superstition dans les études scientifiques.
L'Eglise médiévale, marquée par la doctrine de saint Augustin, combattit comme superstitions la vénération
de divinités païennes (idolâtrie), la magie et l'animisme (culte des esprits). Elle définit aussi les superstitions
comme des éléments "superflus" inutilement ajoutés à la vraie religion; cette opinion fut soutenue par
Thomas d'Aquin, qui voyait en outre la superstition comme le contraire de la vertu, c'est-à-dire comme un
vice religieux, intellectuel et moral. Au cours du Moyen Age, le reproche de superstition fut de plus en plus
adressé à des chrétiens en désaccord avec la doctrine officielle de l'Eglise (Hérétiques). Mais parallèlement,
l'Eglise toléra le développement d'une piété populaire dans laquelle se mêlaient des éléments de la croyance
officielle et d'autres relevant de la superstition et de la magie. C'est le cas notamment de certains aspects
des pèlerinages et du culte des saints.
En Suisse comme ailleurs, la Réforme divisa les esprits sur la notion de superstition. Se fondant sur des
critères différents, les tenants des deux confessions s'accusaient réciproquement de superstition: les
catholiques reprochaient aux protestants de s'écarter de la vraie foi, les protestants condamnaient
l'attachement des catholiques à des pratiques anciennes comme le culte des saints, assimilé à de l'idolâtrie.
Au sein du protestantisme, certaines pratiques furent exclues de l'orthodoxie, mais jouèrent un rôle
fondamental dans le piétisme, puis dans les Eglises libres et dans les sectes. La sorcellerie, dont les adeptes
présumés étaient accusés de se livrer à des pratiques superstitieuses et magiques, fut réprimée avec la
même conviction par les autorités des deux confessions. Quant aux interprétations données aux signes les
plus divers (tel phénomène météorologique par exemple est supposé annoncer un malheur), qui sont
recensées notamment dans la chronique du Zurichois Johann Jakob Wick, la Wickiana (seconde moitié du
XVIe s.), et qui relèvent à la fois de la superstition et de la croyance aux miracles, elles ne s'arrêtaient ni aux
limites confessionnelles, ni aux murs des villes. La peur du diable et des démons, tenus pour coupables
d'attirer le malheur sur la maison et sur le bétail, était profondément enracinée. Dans les régions catholiques,
les capucins, proches du peuple, procédaient à des bénédictions de maisons, de fermes et d'alpages afin d'en
chasser les "esprits diaboliques". On faisait aussi appel à eux, secrètement, dans des régions réformées, par
exemple dans les fermes de l'Emmental, voisin de l'Entlebuch catholique. Au début de la seconde guerre de
Villmergen (1712), des capucins bénirent des amulettes censées protéger les soldats contre les balles.
Les Lumières élargirent considérablement la notion de superstition en considérant comme telle toute attitude
irrationnelle. En Suisse comme ailleurs, les adeptes des Lumières dénoncèrent dans l'ignorance du peuple la
source de la superstition. Ils se mirent à la combattre par l'instruction, en utilisant parfois des moyens qui
pouvaient aussi servir à la diffuser, comme les almanachs. Les interdictions répétées prononcées par des
autorités éclairées ne réussirent pas à éradiquer dans la population rurale des croyances superstitieuses
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auxquelles un Heinrich Zschokke ou un Jeremias Gotthelf s'attaquèrent encore au XIXe s. dans certains de
leurs récits pour almanachs. A l'époque romantique, l'idée se répandit que les superstitions étaient des
vestiges de cultures anciennes, dignes à ce titre d'être soigneusement recueillis.
De nombreuses croyances et pratiques superstitieuses se sont conservées dans les traditions populaires
jusqu'au XXe s., comme l'interprétation du chant des oiseaux, le surnom d'"horloge de la mort" donné à la
vrillette, les signes annonciateurs de mort (rêves et autres) ou les oracles d'amour (plomb fondu jeté dans
l'eau). Dans les régions alpines, un pressentiment de malheur était attaché aux revenants (mythe de la
randonnée des défunts ou Gratzug). Au Tessin et en Valais, les cadeaux de noce piquants ou tranchants
étaient regardés comme des présages funestes pour le couple. D'une extrémité à l'autre du pays se sont
conservées les prédictions météorologiques populaires (dictons, almanachs), la nature néfaste attribuée à
certains jours (vendredi, mercredi) et la croyance dans l'efficacité des porte-bonheur (fer à cheval, trèfle à
quatre feuilles, etc.). Souvent, la signification magique originelle s'est perdue, par exemple dans les coutumes
populaires liées aux moissons, aux alpages, à l'artisanat ou aux jours de fête.
S'il est vrai que de nombreuses pratiques superstitieuses du monde rural se sont éteintes assez récemment,
les progrès de la technique et le "désenchantement du monde" (Max Weber), à la fin du XIXe et au XXe s., se
sont accompagnés d'échappées dans le domaine de l'irrationnel, sous diverses formes: astrologie, ésotérisme
et, depuis les années 1960, spiritualisme et occultisme. Ce phénomène a notamment été étudié en Suisse par
Carl Gustav Jung et par Sergius Golowin. La survivance de tendances superstitieuses dans la société de la fin
du XXe s. est devenue récemment un thème de recherches historiques.
Bibliographie
– H. Bächtold-Stäubli, éd., Handwörterbuch des deutschen Aberglaubens, 10 vol., 1927-1942 (réimpr. 1987,
avec un avant-propos de C. Daxelmüller)
– R. Weiss, Volkskunde der Schweiz, 1946, 298-330 (31984)
– Atlas folk., 1950– K. Galling, éd., Die Religion in Geschichte und Gegenwart, 1, 1956-1957, 53-63
– D. Harmening, Superstitio, 1979
– LexMa, 1, 29-32
– U. Brunold-Bigler, Die religiösen Volkskalender der Schweiz im 19. Jahrhundert, 1981
– E. Derendinger, Die Beziehung des Menschen zum Übernatürlichen in bernischen Kalendern des 16. bis 20.
Jahrhunderts, 1985
– J.-C. Schmitt, «Les superstitions», in Hist. de la France religieuse, éd. J. Le Goff et R. Rémond, 1, 1988,
417-551
– D.-R. Moser, éd., Glaube im Abseits, 1992 (avec bibliogr.)
– K. von Greyerz, Religion et culture, 2006 (all. 2000)
Auteur(e): Erika Derendinger / LA
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