110 FRANÇOISE PERROT
Et pourtant, la croisade est peu présente dans le vitrail de façon
directe. A cette relative absence, plusieurs explications peuvent être
avancées. D'une part, il faut toujours rappeler qu'en France,
il
ne reste
pas de vitraux en place antérieurs au premier quart du XIIc siècle et que
le nombre de ceux des XIIc et XIIIe siècles conservés ne représente qu'une
partie réduite de ce qui a été réalisé - insistons sur le fait que la mesure
des destructions n'a pas encore été prise avec précision. Ensuite, la
«
mise en image
»
des faits historiques contemporains n'a pas été le
souci majeur de ceux qui avaient la charge d'établir les programmes
iconographiques des ensembles vitrés. Dans le vitrail, le phénomène
historique est lié le plus souvent
à
la narration biblique et,
à
travers elle,
aux événements contemporains.
La présence d'une verrière! relatant les principaux épisodes de la
première croisade dans le déambulatoire de l'abbatiale Saint-Denis,
sanctuaire de la monarchie capétienne, n'en prend que plus de relief,
car
il
s'agit en quelque sorte d'un manifeste. En effet, après la façade
occidentale dédicacée le 9 juin 1140, le chœur, également bâti sous la
direction de l'abbé Suger, fit l'objet d'une nouvelle cérémonie le 11juin
1144: la portée d'une relation de la croisade à ce moment précis
n'échappera à personne si l'on se souvient que Suger devint régent du
royaume en 1147, lorsque le roi Louis VII partit pour la deuxième croi-
sade. Cette verrière, malheureusement détruite, a été détaillée par Ber-
nard de Montfaucon dans ses Monumens de la monarchie française.
A la Sainte Chapelle du Palais
à
Paris, construite par Louis IX et
consacrée le 26 avri11248, la verrière dite
«
des reliques» est sans doute
la clé de tout le programme iconographique, et non comme on l'a dit
une
«
exception ou entorse
»2 :
elle est comme l'aboutissement de tout
le récit biblique. Mais ceci nous éloigne de notre sujet et fera l'objet
d'une autre étude.
Le plus souvent, le lien entre la croisade et le vitrail ne revêt pas ce
caractère narratif, mais il infléchit l'iconographie. Ainsi à la cathédrale
de Troyes en Champagne, les thèmes retenus pour les fenêtres du haut
chœur, vers 1230-1240 sont liés aux reliques rapportées d'Orient par
l'évêque Garnier de Trainel qui s'était croisé. Le donateur s'est fait
représenter dans un vitrail relatant la translation des reliques, tandis
qu'en vis-à-vis apparaît la hiérarchie du monde où figurent les protago-
nistes de la croisade>.
Les notes, volontairement réduites, sont complétées par une bibliographie des principaux
ouvrages de référence utilisés que l'on trouvera ci-après, p. 129.
1. Voir
L.
Grodecki, Les vitraux de Saint-Denis, Paris, 1976, p. 115-121.
2. L. Grodecki dans M. Aubert, L. Grodecki, J. Lafond et J. Verrier, Les Vitraux de Notre-
Dame et de la Sainte-Chapelle, (C.V.M.A. France I), Paris, p. 81.
3. Jean Lafond, " Les vitraux de la cathédrale de Troyes ", dans Congrès archéologique de
France, Troyes, 1955, Paris, 1957, p. 46-48. .