Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, nO 3, pp. 73-79
©Masson, Paris, 1983
CONDUITE A TENIR DEVANT ...
La rééducation des ligamentoplasties intra-articulaires
pour laxité antérieure du genou
M. RENAUT (1), A. PROST (2), P. ROCHCONGAR (3)
(1) Médecin rééducateur, enseignant à l'école de massa-kinésithérapie de Rennes, Clinique de Rééducation Fonctionnelle Notre-Dame
de Lourdes, (2) Kinésithérapeute-moniteur, enseignant à l'école de massa-kinésithérapie, (3) Médecine du sport, CHU Rennes, F 35000
Rennes
Les laxités antérieures de genou constituent
une pathologie invalidante et complexe, la
réparation chirurgicale obéit àdes critères très
précis, la rééducation doit donc être spécifique
et raisonnée. Les auteurs nous livrent ici le
fruit de leur expérience, en détaillant de
manière claire et concise les manœuvres. Les
exercices proposés sont tous placés dans le
contexte d'un sub-stratum de théorie bioméca-
nique qui justifie sans alourdir. Nous espérons
ainsi attirer l'attention des confrères sur
l'intérêt qu'il y a àchoisir l'intervention
thérapeutique en fonction de la cible choisie.
Les laxités antérieures du genou, très invali-
dantes .d'autant qu'elles surviennent le plus
souvent chez des sujets jeunes,1 sportifs,
nécessitent:
1) Un traitement chirurgical précis
- Réalisant une plastie du ligament crOIse
antéro-externe reconstituant une anatomie nor-
male du pivot central.
- Permettant au genou de retrouver un centre
physiologique normal.
Trois techniques nous paraissent actuellement
devoir être retenues:
-L'intervention de Kenneth-Jones: syndesmo-
plastie passive utilisant une bandelette de tendon
rotulien.
-L'intervention de Lindemann :syndesmoplas-
tie active grâce au tendon terminal du demi-
tendineux désinséré et dérouté.
Tirés à part :' M. RENAUT, àl'adresse ci-dessus.
-L'intervention de Bousquet: syndesmoplastie
active doublée d'un transplant passif utilisant le
tendon terminal du demi-tendineux.
2) Une rééducation très douce,. progressive, res-
pectant des impératifs très précis.
3) Une surveillance médico-chirurgicale régu-
lière et assidue, car il s'agit de genoux progressi-
vement détériorés, surmenés, fragiles sur le plan
cartilagineux.
Les écueils àéviter
1. Se laisser prendre par la personnalité
de l'opéré
Il est jeune, sportif et pressé de reprendre ses
activités physiques et sportives. Il convient de
le freiner en n'autorisant qu'une rééducation très
progressive. Il convient d'obtenir du patient une
discipline, et proscrire toute auto-rééducation.
2. La chondrite rotulienne
Réduire la force de placage de la rotule par
une rééducation de l'extension, le genou déjà en
extension. Proscrire la flexion (les iséhio-jam-
biers ne seront utilisés que dans leur rôle de
rotateurs). Proscrire une musculation isotonique
résistée (fig. 1).
3. Réduire la composante de tiroir antérieur
du quadriceps
Rééduquer en extension, proscrire la muscula-
tion isotonique résistée,· et prendre pour principe
«Pas de poids à la cheville» . Eh effet, le
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FO = Force Quadricipitale
Tr= Résistance tendon rotulien
---
--.- ~- -
FP= FO cos ex +TR cosB
FIG. 1 - La force de placage de la rotule (FP) sera d'autant plus
réduite que le genou se trouve en extension: faire travailler les
muscles extenseurs en extension, proscrire toutes contractions en
position intermédiaire, tout travail dynamique résisté.
Q2
R
FIG. 2 - La composante Q4 du quadriceps constitue une traction
antérieure qui met en tension le ligament croisé antérieur -celui
qui vient d'être réparé. Toute charge appliquée à la cheville
augmente cette tendance néfaste.
quadriceps, par sa composante de tiroir anté-
rieur, met en tension le LCA. Cette composante
est augmentée lorsque la charge est appliquée
à la cheville (fig. 2).
4. L'algodystrophie
Utiliser la balnéothérapie; procéder à une
rééducation infra-douloureuse; réduire les phé-
nomènes inflammatoires, et réduire les réactions
de défense.
Les phases de la rééducation
1.. Phase post-opératoire immédiate J0à J 10
. 2; Rééducation post-opératoire après cicatrisa-
tion J 10 àJ 45
---+ un but: le verrouillage
3. Rééducation proprioceptive
---+ un but: la vigilance musculaire
4. Ré-entraînement àl'effort commence à J 180
Ré-adaptation progressivè au sport pratiqué
5. Reprise d'activité sportive sans limitation
commence à J365.
PHASE POST-OPÉRA TOIRE IMMÉDIATE
1. Installation du malade au lit
- Lit en déclive
- Pas de coussin sous le genou, favorisant le
flessum
- Éviter la rotation externe du membre!
inférieur .
2. Lutte contre œdème et douleur
Massage circulatoire
Contractions isométriques du quadriceps
Drainage lymphatique (Technique de Leduc).
3. Contre les phénomènes inflammatoires
- Application de vessie de glace 20 mn 4 fois
par jour.
RÉÉDUCATION POST-OPÉRATOIRE APRÈS
CICATRISATION
1. Poursuivre la lutte contre l'œdème
- Éviter la déambulation en décharge avec
. cannes anglaises, qui favorise stase et flessum.
- Installation de l'opéré au fauteuil roulant avec
gouttière d'extension du membre inférieur.
- Gouttière plâtrée postérieure d'extension, la
nuit.
2. Mobilisation de la rotule et du cul de sac
sous-quadricipital associée aux techniques de
massage circulatoire, luttant contre les adhé-
rences, la rétraction des ailerons rotuliens,
notamment l'aileron externe, restaurant un bon
plan de glissement fémoro-patellaire.
3. Kinésithérapie sur table
a) Rétablir l'équilibre Agonistes-Antago-
nistes antéro-postérieurs en vue:
- d'éviter une rétraction des fléchisseurs,
- d'obtenir un gain d'extension sans jamais
arriver au recurvatum, même quand il existe au
niveau du genou sain. Le rôle du rééducateur
est de corriger le flessumavant toute autre chose.
b) Ne pas plaquer la rotule, respecter le
cartilage et l'os sous-chondral de la face
postérieure de la rotule, donc faire un travail
essentiellement isométrique par voie réflexe
puisqu'il existe une sidération du quadriceps (si
un groupe musculaire se contracte très forte-
ment, il entraîne une participation des autres
maillons de la chaîne musculaire; on peut ainsi
observer une diffusion de l'activité réflexe,
celle-ci s'étendant de plus en plus loin à mesure
que la résistance au mouvement initial s'accroît:
cette activation réflexe se nomme irradiation).
Position du malade:
Décubitus dorsal
Hanche et genou en extension
Pied en position neutre
1er temps: le travail contre résistance ma-
nuelle maximum maintenue 6 secondes des
extenseurs des orteils entraîne une réponse au
niveau de la loge antéro-externe de lajambe, puis.
du quadriceps.
-2e temps: une traction est alors exercée dans
l'axe du membre inférieur. Cet exercice s'effectue
par série de 10maintenue 6 secondes; maximum
3séries par jour (au-delà ---+ fatigue
musculaire) .
- Travail de stabilisations rythmiques quadri-
ceps - ischio-jambiers: genou positionné au
maximum d'extension possible; le sujet doit
résister à des pressions avant-arrière, arrière-
avant, appliquées au tiers supérieur du segment
jambier.
- L'action des irradiations peut être complétée
par les courants excito-moteurs :40 périodes par
seconde, durée d'application 10 mn au niveau
du quadriceps.
Contraction 6 secondes
Repos 6 secondes
et, progressivement, parvenir à déclencher une
contraction musculaire volontaire simultanée de
la contraction provoquée. But unique: le recru-
tement d'unités motrices.
- Irradiations à partir d'un décubitus dorsal par
Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, 3 75
travail en couple de rotation sur le bassin:
. une main est appliquée sur l'EIAS côté opéré,
. l'autre main est appliquée sur l'EIPS côté sain.
Une pression antérieure détermine une sollicita-
tion du quadriceps et de la loge externe de la
jambe. Une pression postérieure détermine une
sollicitation des ischio-jambiers et du triceps
sural.
- Musculation du quadriceps en technique
mixte. Malade assis en bout de table, genou à
15° de flexion, talon sur un tabouret, chevillère
reliée par une élingue, passant sur une poulie,
à une poignée saisie par le patient, qui mène son
genou à l'extension active aidée. Maintien de
l'extension 6 secondes.
- Travail de la synergie quadriceps - ischio-
jambiers. Le sujet écrase le genou contre la
table; la résistance est fournie par une sangle
placée sous le genou (fig. 3J.
CLIP D'ARRET LIMI-
TANT LA FLEXION
MAXIMUM El 15°
..!,7
----
FrG. 3 - Position de travail simultané quadriceps-ichio-jambiers
au moyen d'une sangle-berceau placée sous l'interligne arti-
culaire: le patient appuie vers la table en entraînant le circuit
résisté, et exécute simultanément une extension libre du genou.
4. Balnéothérapie
Elle est recherchée pour son action circula-
toire, ses effetsthermiques entraînant le relâche-
ment, une élévation du seuil de la douleur. De
plus, l'immersion favorise le mouvement et
inhibe le réflexe d'étirement des antagonistes.
a) Massage sous l'eau: jet 3kg de pression
en partant de la semelle de Lejars, remontant
les gouttières malléolaires, le segment jambier,
="mlllul"r """"Inlll"rr ......•••'..-- •••• '"
76 Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, n° 3
RÉÉDUCATION PROPRIOCEPTIVE: LA VIGILANCE
MUSCULAIRE
a) Décubitus dorsal (Viel).
- Flexion du genou avec rotation externe du
tibia.
..,
1. Recherche d'une stabilité rotatoire
en décharge =exercices en chaîne ouverte
Ces exercices seront abordés dès que le genou
sera à70° de flexion.
Dans l'activité musculaire de la cuisse, on
constate, qu'au cours d'un grand nombre d'acti-
vités, les fléchisseurs et extenseurs du genou
travaillent en synergie (pour se relever d'une
chaise, nous devons contracter simultanément
les deux loges antérieure et postérieure).
Ce type d'activité est fréquent au cours des
exercices sportifs.
çyVI
1
AV
FIG. 4 - Répartition des moyens actifs
de contrôle rotatoire du tenou (d'après Dotte).
Le travail de ces masses musculaires est donc
indispensable pour obtenir une stabilité parfaite
en flexion. Nous les solliciterons donc, mais
uniquement dans leur rôle de rotateurs; c'est
en effet en flexion, quand les ligaments latéraux
sont détendus, que les muscles actifs sont
nécessaires.
Cette reprogrammation neuro-musculaire
sera effectuéedans des positions l'articulation
ne sera pas sollicitée par des contraintes
importantes. Son but est d'obtenir une réactiva-
tion progressive des récepteurs cutanés, mus-
culaires et articulaires qui assurent les synergies
musculaires responsables de la stabilité du
genou.
DD
AR
DH TFL
massage péri-rotulien. Durée de la séance:
10 mn.
b) Piscine de travail: mobilisation active du
genou, sans additif, sous le strict contrôle du
kiné. Durée de la séance: 30 mn. Le travail est
effectuésur table d'immersion, membre inférieur
en extension: rechercher àplaquer la face
postérieure du genou sur le plan de la table.
5. Remise en charge progressive
- Plan incliné.
.- Piscine de marche.
- Cannes anglaises.
6. La rééducation se poursuit dans les mêmes
conditions, mais complétée par un début de
rééducation proprioceptive
a) Recherche de la stabilité antéro-
postérieure
A - 1) En appui bipodal, pieds légèrement
écartés. Exercices d'aggripement des orteils au
sol associés à un travail d'extension du genou
(2 à 3 séances).
2) Exercices «Parachute» consistant àce
que le kiné exerce des poussées antéro-posté-
rieures, puis latérales, au cours desquelles le
malade doit résister en maintenant l'accrochage
des pieds au sol, les genoux en extension.
B - Appui unipodal du côté lésé:
Même protocole, exercices de déséquilibra-
tion. Ce n'est que lorsque le sujet est capable
d'exercer une séance sans dérobement du genou
que l'on envisage le travail en légère flexion.
b) Recherche de la stabilité rotatoire
Ace stade, le genou est parfaitement stable
en extension complète: il verrouille; cette
stabilité est due à l'action du quadriceps.
Mais, le quadriceps seul n'est pas capable
d'assurer la stabilité dynamique du genou. En
effet, pendant la marche, le mécanisme de
verrouillage n'existe pas; le genou se trouve en
flexion permanente même pendant la phase
d'appui au sol. La stabilité du genou est alors
assurée par un mécanisme de vissage en rotation
interne du tibia sur le fémur dans les 15derniers'
degrés d'extension: c'est la rotation automatique
du genou qui est assurée par· les muscles
rotateurs (fig. 4).
,
- Travail des rotateurs externes.
Position de départ: sujet en décubitus dorsal,
légère flexion hanche et genou, kiné du côté du
membre opéré, une main au niveau du condyle
interne, l'autre main au niveau du calcanéum.
Position d'arrivée: la résistance très ferme
appliquée contre le talon est destinée à lutter
contre la rotation tibiale. Le patient est incité
à faire tourner le tibia plus qu'à fléchir le genou.
- Flexion du genou avec rotation interne du
tibia.
- Travail des rotateurs internes.
Position de départ: sujet en décubitus dorsal,
légère flexion de hanche et de genou +rotation
interne, kiné du côté opposé au membre inférieur
opéré. Prise d'une main au niveau du condyle
externe, l'autre au niveau du calcanéum.
Position d'arrivée: la résistance appliquée au
talon lutte contre la rotation tibiale. Le patient
est incité à faire tourner le tibia plus qu'à fléchir
le genou.
- Flexion du genou +flexion de hanche avec
rotation externe du tibia.
Position de départ: sujet en décubitus dorsal.
Kiné placé au pied du patient, une main au
niveau de la face externe du genou, l'autre au
niveau de la face dorsale du pied.
Position d'arrivée: flexion de hanche +
genou. La résistance appliquée à la face dorsale
du pied permet de contrôler la rotation, après
avoir demandé au patient une demi-flexion
maXimum.
b) Latéro-cubitus (Dotte)
- Contraction résistée des rotateurs internes du
genou.
Position de départ: sujet latéro-cubitus côté
opéré, triple flexion M.I., kiné placé en arrière
du sujet applique une résistance manuelle sur
la tête du 1er méta.
Position d'arrivée: rotation interne +flexion
30° . 60° . 90° du genou.
- Contraction résistée des rotateurs externes du
genou.
Position de départ: sujet· en latéro-cubitus
côté opposé à l'intervention. Kiné en arrière du
Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, n° 3 77
sujet: appliquer une résistance manuelle au
niveau du Se méta.
Position d'arrivée: rotation externe +flexion
genou 30° .60° .90°.
- Contraction résistée des rotateurs genou +
hanche.
Position de départ: sujet en latéro-cubitus
côté opéré en flexion de hanche et de genou.
Kiné placé en arrière du sujet applique une
résistance manuelle au niveau du 1er méta.
Position d'arrivée: rotation interne de jambe
contre résistance +rotation externe de hanche
avec persistance de la contraction isométrique
des rotateurs internes du genou.
Deux positions de flexion du genou 60° et 90°.
- Contraction résistée des rotate~rs du gen~u +
hanche.
Position de départ: sujet en latéro-cubitus
côté sain.
Kiné placé en arrière du patient applique une
résistance manuelle au niveau du Se méta.
Position d'arrivée: rotation externe de jambe
contre résistance +rotation interne de hanche
avec persistance de la contraction isométrique
des rotateurs externes de jambe. Deux positions
de flexion du genou 60° et 90°.
2. Recherche d'une stabilité rotatoire en charge
a) Exercices en chaîne fermée
- 70° de flexion du genou. Stabilisation du
genou.
Sujet debout en appui unipodal, genou à 70°
de flexion. Le sujet maintient la position en
résistant à des poussées exercées par le kiné,
poussées excentrées suivant différentes
directions :
Antéro-externe - Antéro-interne - Postéro-
externe - Postéro-interne.
- 90° de flexion du genou.
Charge réduite, le patient étant assis sur un
tabouret télescopique position basse ou un
medecine-ball, les mains maintenues à la nuque,
ceci fournissant une prise au kiné pour imprimer
des mouvements de rotation sur un tronc
maintenu rigide. Cette rotation est contrecarrée
par l'appui au sol du membre opéré, le pied sain
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