FLAMMARION
MÉDECINE
-
SCIENCES
ACTUALITÉS
NÉPHROLOGIQUES
2007
(www.medecine.flammarion.com)
ANTIGÈNE(S) NÉPHRITOGÈNE(S)
DANS LE CADRE D’UNE GLOMÉRULONÉPHRITE
POST-STREPTOCOCCIQUE
par
S. R. BATSFORD*
On sait depuis longtemps que la scarlatine apparaît en règle générale
au cours de la troisième semaine. Aucune des hypothèses avancées jusqu’à
présent n’arrive à expliquer de manière satisfaisante le fait que la néphrite
apparaisse exactement au même moment.
Clemens von Pirquet, 1911 [1]
La glomérulonéphrite aiguë post-streptococcique (GNAPS) est une maladie
rénale ancienne et bien définie. Au cours des dernières décennies, on a pu constater
une réduction de l’incidence de la maladie pour des raisons qui ne sont pas par-
faitement claires, mais probablement liées à une reconnaissance plus précoce de
la maladie et à l’efficacité du traitement des infections à streptocoques. Toutefois,
des épidémies et des groupes de cas continuent d’apparaître dans de nombreux
endroits dans le monde.
La présentation sous forme « d’œdème accompagné d’urine peu abondante,
sombre et parfois totalement absente » comme complication crainte pendant la
période de convalescence de la scarlatine était bien connue au
XVIII
e
siècle. Des étu-
des classiques effectuées par Wells (1812), Richard Bright (1827) et Reichel (1905)
ont permis de décrire l’atteinte rénale. Pour plus de détails historiques, le lecteur
peut se reporter à une analyse récente dans l’article [2].
Même si les caractéristiques cliniques et l’implication rénale de la maladie
étaient bien connues, les raisons de l’association entre cette complication à l’évi-
dence de nature non infectieuse (« réactive ») d’une infection alors épidémique,
* Département d’Immunologie, Institut de Microbiologie médicale, Université de Fribourg, Fribourg,
Allemagne.
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sont restées insaisissables jusqu’aux travaux fondateurs de Clemens von Pirquet.
En 1903 von Pirquet, en se fondant simplement sur des observations cliniques, a
émis comme hypothèse l’existence de réactions pathogènes liées aux anticorps, au
lieu des réactions immunes normales qu’il a appelées allergie (« réaction modi-
fiée ») (publication en anglais en 1911 [1]). Le terme de glomérulonéphrite post-
streptococcique (GNAPS) a commencé à être utilisé après la démonstration que
le streptocoque
β
-hémolytique était responsable de la scarlatine [2].
Le concept théorique important proposé par la suite était celui des souches
streptococciques « néphritogènes ». À l’origine, cette notion a été mise en avant
par Seegal et Earle [3], qui avaient remarqué que le rhumatisme articulaire aigu
et la GNAPS, deux complications non infectieuses courantes des infections à
streptocoques, ne coexistaient pas chez un même patient, avaient des localisations
géographiques différentes, un sex-ratio différent (GNAPS : deux fois plus fréquen-
tes chez l’homme), et une propension à la guérison définitive pour la GNAPS
contrairement au caractère récidivant des rhumatismes articulaires aigus. Même
si Seegal et Earle reconnaissaient le fait que les différences des facteurs liés à
l’hôte « pouvaient jouer un rôle certain », ils privilégiaient une explication simple,
à savoir l’existence de souches streptococciques hémolytiques provoquant le rhu-
matisme articulaire aigu (souches rhumatogènes) et d’autres souches provoquant
la glomérulonéphrite (souches néphritogènes). Au départ, il a semblé que les
recherches ultérieures validaient ce concept (
voir la revue critique
de Carapetis
2005 [4]) et établissaient les bases de la recherche sur les antigènes néphritogènes
dans les souches de streptocoques du groupe A isolées chez des patients atteints
de néphrite.
MODÈLES EXPÉRIMENTAUX DE GLOMÉRULONÉPHRITE
POST-STREPTOCOCCIQUE
Suite à la démonstration du rôle étiologique du streptocoque du groupe A dans
l’induction de la néphrite aiguë, de nombreuses tentatives ont été effectuées afin
de provoquer une glomérulonéphrite expérimentale chez l’animal, notamment
les lapins, les souris et les singes. La principale difficulté est évidente : le strepto-
coque du groupe A est un agent pathogène spécifique à l’homme. Les injections
de streptocoques inactifs, les produits extracellulaires toxiques, les vaccins anti-
streptococciques, les infections profondes et superficielles provoquées par les
inoculations de bactéries vivantes, ainsi que les implantations en chambre de dif-
fusion ont été tentés par de nombreux auteurs dans le but de reproduire les carac-
téristiques de la GNAPS trouvée chez l’homme [2]. Une discussion détaillée des
résultats obtenus avec des extraits streptococciques non infectieux sera fournie
ci-après. Dans le cas d’infection expérimentale, des recherches antérieures
avaient permis de déclencher une albuminurie et une hématurie, et parfois éga-
lement une hypertension et une azotémie. Malheureusement, les découvertes
histologiques de ces études, bien que minutieuses, étaient insuffisamment défi-
nies, et incompatibles avec les lésions observées dans la glomérulonéphrite
aiguë. De plus, ce type de modèle expérimental ne permet pas une évaluation
individuelle facile des antigènes généralement reconnus comme antigènes
néphritogènes.
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ANTIGÈNE
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NÉPHRITOGÈNE
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GLOMÉRULONÉPHRITE
POST
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STREPTOCOCCIQUE
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MALADIE À COMPLEXES IMMUNS ET ACTIVATION
DU COMPLÉMENT
Von Pirquet [1] a suggéré que les complexes immuns représentaient les
« corps toxiques » responsables des symptômes cliniques. Alors que l’identité
de l’antigène néphritogène demeurait controversée dans les années 1960 et 1970,
il existait un consensus général en ce qui concernait le rôle néphritogène des
complexes immuns circulants à cause des similitudes entre le tableau clinique
de la GNAPS et les caractéristiques du modèle de maladie sérique aiguë (« après
injection unique ») [5, 6].
Dans la maladie sérique, il a été suggéré que des complexes immuns de taille
appropriée (300-500 000 Da) pouvaient se déposer dans les glomérules, activer
localement le système du complément et de la coagulation et provoquer une glo-
mérulonéphrite [7]. Comme dans le cas de la GNAPS, on observe dans le modèle
de maladie sérique aiguë [6] une guérison complète des lésions rénales, et une
diminution transitoire du taux de complément sérique semblable à la baisse du C3
caractéristique de la GNAPS, se corrigeant en un mois [8]. En ce qui concerne les
complexes immuns circulants, il a été mis en évidence que les deux tiers des
patients atteints de GNAPS avaient des complexes immuns circulants [9], mais
ces derniers étaient également présents chez des sujets contrôles et chez les patients
atteints d’infections à streptocoques non compliquées [10]. De plus, il n’y avait
aucune corrélation entre la présence ou la quantité de complexes immuns circulants
et les caractéristiques cliniques ou pathologiques de la maladie [11]. Ces résultats
souffraient donc d’un manque de significativité clinique claire.
Le rôle potentiellement crucial d’une réaction immune
in situ
résultant de la
rencontre entre un anticorps avec un antigène libre déposé dans les glomérules a
été étudié dans les années 1970. Cette hypothèse de la formation locale des com-
plexes immuns a été renforcée par les difficultés à provoquer une glomérulo-
néphrite par injection de complexes immuns préformés et notamment la quasi-
impossibilité de provoquer des dépôts immuns sous-épithéliaux (dépôts extra-
membraneux) qui sont caractéristiques de la GNAPS. De grandes quantités de
complexes immuns préformés peuvent engendrer une glomérulonéphrite avec
dépôts immuns principalement sous-endothéliaux et impliquant les leucocytes et
le complément. Les expériences innovatrices de Vogt et al. (
étudiées dans l’article
[12]), qui ont mis en évidence que les antigènes cationiques pouvaient être attirés
et pouvaient pénétrer sans effort la membrane basale glomérulaire chargée néga-
tivement et entraîner d’importants dépôts denses à disposition extramembraneuse
visibles par microscopie électronique et une glomérulonéphite sévère, ont établi
la possibilité que les antigènes streptococciques cationiques jouent un rôle dans
les GNAPS.
NÉPHRITOGÉNICITÉ STREPTOCOCCIQUE
Les mécanismes possiblement en jeu dans la GNAPS comprennent : le mimé-
tisme moléculaire entre les fractions des streptocoques et les composants structu-
rels du rein, le développement d’une réaction auto-immune (en particulier une
activité anti-immunoglobuline), la liaison plasminogène/plasmine par les protéines
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de surface streptococcique, et enfin et surtout, la formation de complexes immuns
comprenant des antigènes streptococciques dans les glomérules (tableau 1).
Mimétisme moléculaire
Plusieurs investigateurs ont étudié le rôle néphritogène éventuel de l’antigénicité
croisée entre les fractions solubles des streptocoques et les composants du glomé-
rule humain. Toutefois, il n’a pas été observé de différences d’antigénicité croisée
entre les streptocoques rhumatogènes et ceux à potentiel néphritogène. Les réac-
tions croisées entre les tissus humains et les streptocoques ont été discutées de
façon approfondie par Christensen, Schalen et Holm [13]. La plupart des prépara-
tions streptococciques étudiées contenaient des récepteurs pour les immunoglobu-
lines et des récepteurs tissulaires pour les fragments Fc des IgG. Les études portant
sur les sérums de patients ont montré la présence d’anticorps anti-immunoglobu-
lines. De plus, ces auteurs ont souligné la quasi-impossibilité de reproduire la
maladie de façon expérimentale en injectant ces supposés antigènes donnant lieu
à des réactions croisées.
Réaction auto-immune dans le cadre d’une GNAPS
L’hypothèse de l’existence de mécanismes auto-immuns capables de provoquer
une néphrite et déclenchés par des streptocoques a été défendue par McIntosh et
al. au début des années 1970, et une revue détaillée est disponible [2]. Un facteur
rhumatoïde IgG a été mis en évidence par la suite dans le sérum de 32 p. 100 à
43 p. 100 des patients atteints de GNAPS, et un facteur rhumatoïde IgM chez
15 p. 100 des patients. De plus, des dépôts à activité anti-Ig ont été mis en évidence
dans les glomérules de 19 biopsies sur 22. Des IgG à réactivité anti-IgG ont été
élués des reins dans un cas mortel de GNAPS. Deux mécanismes ont été avancés
TABLEAU I. — NÉPHRITOGÉNICITÉ STREPTOCOCCIQUE.
Mimétisme moléculaire
– Auto-immunité
Liaison de la plasmine glomérulaire par des protéines du streptocoque
Streptokinase
Énolase
zSpeB/SpeB
Récepteur de la plasmine associé à la néphrite (NAPlr-GAPDH)
Antigènes streptococciques néphritogènes
Protéine M
Protéines de type histone
zSpeB/SpeB
Récepteur de la plasmine associé à la néphrite (NAPlr-GAPDH)
SpeB = exotoxine pyrogénique streptococcique B
zSpeB = précurseur zymogène de SpeB
NAPlr = récepteur de la plasmine associé à la néphrite
GAPDH = glycéraldéhyde-3-phosphate-déhydrogénase
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NÉPHRITOGÈNE
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STREPTOCOCCIQUE
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pour expliquer le développement d’une activité anti-IgG dans le cadre d’une
GNAPS : la désialysation des Ig provoquée par les neuraminidases et l’existence
de protéines de la paroi streptococcique liant les IgG. Il existe de nombreuses don-
nées indiquant l’existence d’une activité neuraminidase dans la GNAPS, mais il
faut préciser que la capacité à produire de la neuraminidase n’est pas une carac-
téristique unique des streptocoques néphritogènes, les streptocoques rhumatogènes
produisent également cette enzyme.
La production d’anti-Ig pourrait également être le résultat d’une liaison des Ig
aux récepteurs dans la paroi des streptocoques. L’activité anti-IgG provoquée par
les streptocoques ayant des récepteurs de liaison de l’Ig est associée une augmen-
tation du dépôt tissulaire d’IgG et de complexes immuns chez le lapin, provoquant
des modifications glomérulaires inflammatoires.
La capacité de liaison des Ig par des composants du streptocoque peut avoir un
rôle néphritogène supplémentaire. La protéine H, une protéine de surface du
Strep-
tococcus pyogenes
qui interagit avec la région constante Fc des IgG, est libérée
de la surface du streptocoque par la protéase à cystéine (SpeB) produite par les
bactéries et est capable d’entraîner l’activation du complément. Les complexes de
IgG-protéine H libérés de la surface des streptocoques peuvent alors agir, non seu-
lement comme activateurs du complément, mais également comme inducteurs
d’une réaction anti-IgG. Ceci suggère l’existence d’un lien entre un antigène
néphritogène supposé (SpeB, comme nous le verrons plus loin) et une réaction
anti-IgG dans le cadre d’une GNAPS.
En plus de la réaction anti-immunoglobuline, une autre réaction auto-immune
a été observée chez les patients atteints de GNAPS. Par exemple, des complexes
ADN-anti-ADN [14] et des anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutro-
philes (ANCA) ont également été détectés.
Ces résultats montrent qu’il existe une réaction auto-immune dans la GNAPS,
en particulier, des anticorps anti-IgG circulants et déposés dans les glomérules sont
fréquemment présents. Toutefois, dans la mesure où ces phénomènes auto-immuns
ne sont pas associés à des formes particulières de la maladie, il est possible qu’ils
représentent seulement un épiphénomène ne participant que faiblement à la patho-
génie de la néphrite aiguë.
Antigènes streptococciques néphritogènes
L’absence de modèle animal approprié de GNAPS a conduit à étudier le poten-
tiel à se déposer dans les glomérules et à provoquer une lésion de fractions purifiées
de streptocoques. En parallèle, des études ont évalué la réponse correspondante des
anticorps et le dépôt de ces antigènes supposés dans des biopsies rénales de patients
atteints de GNAPS.
P
ROTÉINES
M
DES
STREPTOCOQUES
Les protéines M de type 1, 2, 4, 12, 18, 25 décrites par Rebecca Lancefield étaient
des souches possédant un potentiel néphritogène et généralement retrouvées dans
les voies respiratoires supérieures, alors que les protéines M de type 49, 55, 57 et
60 étaient généralement associées à une néphrite impétigineuse [15]. Plusieurs étu-
des précédentes mentionnaient la mise en évidence de protéines M dans des biop-
sies rénales humaines, mais les résultats n’étaient pas cohérents (études passées
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