TIC, diffusion spatiale des connaissances et agglomération

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TIC, diffusion spatiale des connaissances et agglomération
C. Autant-Bernard*, Nadine Massard** et C. Largeron*
Article à paraître dans la revue « Géographie, économie, société »
En réduisant les coûts de transmission de l’information, l’essor des TIC libérerait les activités
d’innovation de la contrainte spatiale. Cependant, en s’appuyant à la fois sur les approches théoriques
qui se font jour depuis quelques années et sur les premières constatations empiriques, cet article
montre que l’idée simple d’une disparition de la distance n’est pas confirmée. Les modèles
d’économie géographique, comme les analyses du rôle des TIC dans la mise en contact des individus,
considèrent des forces opposées pouvant conduire à un éclatement spatial des activités ou au contraire
au renforcement des agglomérations. Les études empiriques susceptibles de fournir une évaluation
chiffrée de ces forces respectives font actuellement surtout ressortir la complémentarité entre TIC et
contacts face à face, laissant présager plutôt du maintien du rôle de la distance.
Mots clef : TIC, innovation, localisation, économie géographique, contacts face à face.
TITLE: ICT, knowledge diffusion and agglomeration
The decrease in information costs induced by the development of ICT would make innovative activities
free of spatial constraint. However, based on both the recent theoretical approaches and the first
empirical observations, this paper rejects the idea of the end of distance. The economic geography
models, as well as the analyses of ICT impact on interpersonal relations, consider opposite forces that
may generate either a spatial dispersion of economic activities or conversely a reinforcement of
agglomerations. The empirical studies likely to evaluate these forces now essentially highlight the
complementarity between ICT and face to face contacts, predicting the somewhat persistence of
distance.
Keywords : ICT, Innovation, Location, Economic geography, Face to face contacts
* CREUSET, Université Jean Monnet St-Etienne, 6, rue basses des rives – 42 023 St-Etienne Cedex 2.
** ICTT-INSA de Lyon et CREUSET, Université Jean Monnet St-Etienne, 6, rue basses des rives –
42 023 St-Etienne Cedex 2.
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1. Introduction
Les externalités informationnelles, mises en évidence par Marshall (1920), ont acquis
un pouvoir explicatif important dans les modélisations théoriques de ces vingt cinq dernières
années. Elles apportent des éléments nouveaux pour la compréhension des processus
d’innovation et de croissance d’une part et des dynamiques de localisation des activités
économiques d’autre part. Ainsi, après avoir longtemps considéré ces phénomènes comme
secondaires, Krugman reconnaît aujourd’hui toute leur importance dans la configuration
spatiale des activités économiques et regrette que la nouvelle économie géographique ne leur
accorde pas plus d’attention (Krugman, 2000).
Cependant, le développement des Technologies de l’Information et de la
Communication (TIC) semble de nature à remettre en cause cette relation entre proximité
géographique et accumulation de connaissances. En effet, les innovations majeures qui ont eu
lieu dans les domaines du matériel informatique, des logiciels et du matériel de
communication sont de nature à imposer des bouleversements. De manière générale, on peut
s’attendre à deux types de répercussions sur l’activité économique, et plus particulièrement
sur les activités innovantes, fortement consommatrices de connaissances1.
- Premièrement, si on considère les TIC comme facteur de production, on peut s’attendre à
des gains de productivité avec les répercussions que cela implique en terme de croissance. Le
fait marquant sur lequel repose cette idée est la concomitance de la forte croissance
américaine de ces dernières années avec la diffusion des TIC (Welfens, 2002). Cependant,
plusieurs études demeurent très réservées quant à l’impact spécifique des TIC sur la
croissance et la productivité. Ainsi par exemple, pour la plupart des pays d’Europe, la relative
faiblesse de la croissance observée dans les années 1990 serait non seulement due à un
moindre investissement dans les TIC mais aussi à une contribution des TIC à la croissance
trois fois plus faible qu’aux Etats-Unis (Mairesse et al., 2002). Ces controverses ne sont pas
sans rappeler le fameux « paradoxe de la productivité » de Solow.
- Deuxièmement, on peut s’attendre à des répercussions sur les dynamiques d’agglomération,
et ce pour plusieurs raisons. D’une part l’émergence d’un nouveau secteur d’activité conduit à
1 Plus marginalement, un troisième type de conséquence peut être repéré. Les conversations téléphoniques, les
rencontres lors de conférences, les visites de laboratoires de recherche sont complétées par une communication
d’ordinateur à ordinateur au sein de réseau nationaux et internationaux. Du fait de l’accélération de l’échange de
connaissances induite par ce développement des TIC (Les travaux de recherche sont par exemple de plus en plus
souvent disponibles en ligne bien avant d’être publiés dans les revues ou les ouvrages), il est probable que l’on
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des implantations nouvelles (la localisation des start-up de la nouvelle économie ne suit pas
nécessairement la localisation des autres secteurs d’activités) ainsi qu’à la disparition ou à la
restructuration d’entreprises (le développement de moyens de communication et
d’information nouveaux rend obsolètes des techniques plus anciennes). Ces mouvements dans
la démographie des entreprises de TIC sont susceptibles de modifier la configuration spatiale
de ce secteur d’activité. D’autre part et plus fondamentalement, le développement des TIC
modifie les conditions de transmission des connaissances. En facilitant les échanges
d’information, l’essor des TIC est de nature à modifier les contraintes de localisation. En
effet, de nombreux travaux se sont développés au cours des années 90 mettant en évidence
l’impact des coûts et infrastructures de communication sur les dynamiques de localisation et
de croissance. Les activités d’innovation, fortement dépendantes de l’accès à l’information et
de la diffusion des savoirs devraient s’en trouver particulièrement affectées.
Ainsi, associées au mouvement accru de codification des connaissances qui marque la
période récente, les TIC réduisent considérablement les coûts de la transmission
d’information et de connaissance dans l’espace. En cela, elles libéreraient les activités
d’innovation de la contrainte spatiale en élargissant le champ de diffusion des externalités et
en augmentant les capacités d’interactions entre agents éloignés. Les phénomènes de
concentration appuyés sur les effets de proximité géographique seraient alors progressivement
amenés à disparaître, laissant d’autres formes de proximité prendre le dessus dans la
détermination des interactions scientifiques et technologiques (communautés de chercheurs
nées des liaisons Internet par exemple…).
Comme l’observe Gaspar (1996), nombreux sont ceux qui ont pronostiqué la
disparition du besoin de proximité et l’avènement d’un monde sans espace, en se basant sur
l’idée que les contacts électroniques remplaceraient les contacts face à face. Cairncross
(2001), notamment, prédit « the death of distance ». Cependant les premières constatations
« de terrain » ne révèlent pas ce potentiel de décentralisation des TIC. Simultanément au
développement des TIC, les mouvements de concentration de la population et des activités
économiques se renforcent encore ouvrant le débat sur ce qu’Imagawa (2002) appelle le
« paradoxe de l’accumulation ». Les approches théoriques plus fouillées qui se font jour
depuis quelques années ne confirment pas directement l’idée simple d’une « mort de la
distance » et montrent plutôt l’existence d’effets contraires de l’introduction des TIC sur la
relation innovation/proximité.
assiste à une accélération des processus d’innovation. Les travaux dans ce domaine s’inscrivent dans une
perspective d’économie de l’innovation.
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Alors que les politiques publiques de développement régional n’évitent pas toujours
un certain déterminisme sur les propriétés décentralisatrices des TIC, cet article revient sur
deux questions essentielles liées au développement de ces technologies : Va-t-on assister (ou
assiste-t-on déjà) à une réduction de la contrainte de proximité qui prévaut souvent dans la
transmission des connaissances ? Quelles peuvent être les conséquences éventuelles de cette
réduction de la contrainte de proximité sur la géographie des activités d’innovation et de la
croissance ?
Deux types d’approches sont repérables dans ce domaine. Le premier s’intéresse au
rôle des TIC dans la mise en contact des individus et s’interroge sur le devenir des villes
comme lieu essentiel des apprentissages par interactions fondées sur la proximité (section 2).
Le second, plus macroéconomique, utilise les modèles d’économie géographique pour étudier
les implications d’une levée de la contrainte spatiale de diffusion des externalités sur la
localisation des activités d’innovation et donc sur les dynamiques de croissances régionales
différenciées. Les interactions entre télécommunications et transport sont ici mises en avant
(section 3). Tous deux montrent l’existence de forces opposées pouvant conduire à un
éclatement spatial des activités ou au contraire au renforcement des agglomérations. Les
études empiriques susceptibles de fournir une évaluation chiffrée du poids de ces forces et de
l’éventuelle domination de l’une par rapport à l’autre sont encore très peu nombreuses. Nous
les présenterons dans la section 4 et verrons qu’elles font actuellement surtout ressortir la
complémentarité entre TIC et contacts face à face et le maintien du rôle de la distance. La
cinquième section présente les principaux enseignements qui ressortent de cette revue de
littérature et ouvre de nouvelles perspectives de recherche dans ce domaine.
2. Interactions face à face, apprentissage et avantages des agglomérations
urbaines
2.1. Une relation clairement établie entre ville et accumulation de connaissances
Si les relations entre croissance et information sont anciennes (Schumpeter, 1935 ;
Romer, 1986), plus encore le sont les relations entre villes et information (Marshall, 1920). Le
lien entre accumulation de connaissance et ville est en revanche plus récent. On doit en effet
la mise en évidence des effets bénéfiques de la proximité géographique sur la diffusion et
l’accumulation de connaissance à Lucas (1988). En considérant que la connaissance n’est pas
librement disponible, mais qu’elle est au contraire incorporée dans les hommes qui la
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véhicule, Lucas apporte une explication aux phénomènes de concentration urbaine. Les
connaissances, sous forme de capital humain, sont fortement localisées dans la mesure où
la mobilité des individus est faible. « What can be people paying Manhattan or downtown
Chicago rents for, if not for being near people ? » (R. Lucas, 1988, p. 39). Ainsi, la
productivité serait supérieure dans les grandes métropoles. Il peut donc y avoir des écarts
durables, voire des trajectoires de croissances divergentes d’une zone géographique à
l’autre. Nombreux sont les travaux qui défendent l’idée que la connaissance et le capital
humain jouent un rôle majeur comme moteur de la croissance des agglomérations (cf.
Glaeser, 1994 pour une revue).
Le niveau local de capital humain et de connaissance créé ne résultent donc pas
uniquement de la somme des apprentissages réalisés isolément par chaque agent. Les
fondements microéconomiques des externalités de capital humain sont le partage des
connaissances et des compétences qui se produit entre individus lors d’interactions
formelles ou informelles. Comme le montrent Jovanovic et Rob (1990), ces interactions
agissent sur la diffusion et la croissance du savoir par le biais de l’imitation et de la
confrontation de connaissances diversifiées. L’amélioration des moyens de
communication agit alors comme une aide à la transmission de la connaissance par les
interactions et autorise donc des niveaux de croissance plus élevée.
Cette analyse a ensuite pu être confirmée, par les travaux Rauch (1993) et Glaeser
(1999) montrant que la productivité et la croissance des villes augmentent lorsque le niveau
d’éducation s’élève. Elle a aussi été précisée par Glaeser et al. (1992) ou Henderson et al.
(1995) qui étudient l’origine sectorielle des externalités locales.
Le travail de Rauch (1993) consiste à tester l’effet de la concentration du capital
humain sur les gains de productivité, sachant que dans les zones à plus fort niveau de capital
humain, le niveau de salaire est plus élevé. Son analyse porte sur les aires métropolitaines
américaines. Il démontre que le niveau d’éducation et l’expérience génèrent des gains de
productivité, grâce au partage des idées à un niveau local2.
On peut aussi apporter à l’appui de ces réflexions les travaux menés dans les années
1990 en géographie de l’innovation, testant la dimension locale des flux de connaissance.
Malgré les difficultés méthodologiques et les disparités liées aux spécificités des contextes
institutionnels nationaux, nombreuses sont les études qui confirment le caractère localisé des
spillovers (Autant-Bernard et Massard, 1999 pour une revue).
2 Cependant, comme il le reconnaît, son travail ne permet pas véritablement d’observer le partage des idées. Il
faudrait pour cela une analyse à un niveau plus désagrégé.
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