P ROBLÈMES POSÉS PAR L’ACCÈS VASCULAIRE POUR HÉMODIALYSE CHEZ LE DIABÉTIQUE Philippe Brunet, Aix-Marseille Université, Hôpital de la Conception, Marseille. La prise en charge de l’accès vasculaire du patient diabétique ne présente pas d’originalité majeure en dehors du fait que tous les aspects de cette prise en charge sont plus compliqués que chez les autres patients. 1) La création de la fistule Examen pré-opératoire : Dès l’examen clinique préopératoire, il faut s’orienter vers la recherche de lésions artérielles. On peut être alerté par des signes d’ischémie préexistants (main froide, paresthésies, douleurs d’effort, lésions cutanées des doigts, absence de pouls). Le test d’Allen permet d’emblée d’analyser la vascularisation de la main. Doppler : Pour l’ensemble des patients, il a été clairement montré que le doppler fait mieux que l’examen clinique (Mihmanli) pour le bilan pré-opératoire. De plus il est particulièrement clair que l’examen clinique est insuffisant chez le diabétique (Chiche). Divers critères de qualité des vaisseaux ont été proposés, sans être spécifiques des malades diabétiques. Pour ce qui concerne l’examen doppler des veines de l’avant-bras, Plusieurs travaux proposent des diamètres minimaux voisins de l’ordre de 2 à 3 mm (Silva, Huber, DOQI, Mendes). Pour ce qui concerne l’examen doppler artériel, un diamètre minimal de 2 mm de l’artère radiale est généralement conseillé (Silva) ; plusieurs auteurs soulignent que l’on peut utiliser avec succès une artère de diamètre inférieur à 2 mm à condition qu’elle soit compressible, et que sa paroi soit régulière, avec présence du liseré intimal (Pichot 2011) Ces critères témoignent du caractère sain de l’artère, qui pourra donc se dilater facilement. Mais ces critères sont rarement réunis chez le diabétique. Il est fondamental d’examiner tout l’axe artériel, distal et proximal à la recherche d’une sténose. Quand faut-il créer la fistule ? Dans la mesure où l’on sait que les patients diabétiques nécessitent souvent une mise en dialyse plus précoce que les autres patients (Konner 2002), et que la fistule artério-veineuse va demander un temps de maturation plus long, il est important d’envisager la création d’une fistule dès que le débit de filtration glomérulaire baisse au dessous de 20 ml/min. Ceci doit donc inciter à faire une information sur les différentes techniques de suppléance de manière plus précoce chez les patients diabétiques car créer la fistule suppose que le patient n’a pas fait le choix de la dialyse péritonéale et que l’on n’envisage pas de transplan- Session 4 Les patients atteints de diabète représentent une part croissante des nouveaux patients dialysés. Ces patients présentent un obstacle majeur à la constitution d’un accès vasculaire fonctionnel pour l’hémodialyse : leurs artères sont de mauvaise qualité ; elles sont souvent calcifiées, rigides, et présentent des sténoses ; cela altère le développement de la fistule et cela explique le risque d’ischémie de la main consécutif à la création de la fistule. Le risque d’infection de l’accès vasculaire est aussi plus important chez les patients diabétiques que dans le reste de la population. 67 P. BRUNET tation rénale préemptive. Lorsqu’on décide de créer la fistule chez un patient diabétique il faut également prendre en considération le fait que le temps nécessaire à la maturation de la fistule sera plus long que chez les autres patients urémiques (Murphy 2002). Si le patient commence à avoir des symptômes d’urémie, il est illusoire de penser que l’on pourra utiliser sa fistule rapidement. Il vaut mieux alors prévoir la pose d’un cathéter tunnellisé pour débuter l’épuration avant que la fistule soit utilisable. Le geste opératoire Concernant le geste opératoire lui-même il n’y a pas de recommandations particulières. Certaines équipes préconisent une antibiothérapie prophylactique à large spectre, active sur les staphylocoques et sur les germes à Gram négatif pour toutes les fistules, prothétiques ou non (Chiche). D’autres réservent plutôt l’antibioprophylaxie aux prothèses ou aux fistules huméro-basiliques. On peut penser que l’antibioprophylaxie est justifiée chez les patients diabétiques. La stratégie concernant le site d’implantation de la fistule : Comme chez les sujets non diabétiques, les fistules prothétiques doivent être évitées. La fistule native radio-céphalique au poignet doit être privilégiée. Lorsqu’elle présente une maturation normale, c’est l’accès qui a la meilleure longévité et le taux le plus faible de complications. L’inconvénient principal est un pourcentage élevé de thromboses précoces et de défauts de maturation. Cela concerne particulièrement les patients diabétiques. Lorsqu’une fistule au poignet parait impossible en raison de vaisseaux de mauvaise qualité, une fistule native plus proximale 68 radio-céphalique au milieu de l’avant-bras ou huméro-céphalique ou huméro-basilique peut être proposée. Konner rapporte une proportion de 62% de fistules au poignet chez les non diabétiques contre seulement 23% chez les diabétiques. L’évolution à long terme des fistules au bras est bonne. Leur inconvénient est le risque d’hypoperfusion distale, qui peut entrainer une ischémie de la main (Tordoir). Certaines équipes préconisent d’ailleurs de s’acharner à créer des fistules au poignet afin de réduire les risques d’ischémie de la main. Cette stratégie très volontariste suppose d’accepter des traitements complémentaires par angioplastie des sténoses artérielles afin de permettre le développement de la fistule (Turmel-Rodrigues 2009). 2) Les complications des fistules : Le retard de maturation peut être du à une sténose veineuse ou à une sténose artérielle. Il faut penser à la sténose artérielle chez le diabétique. L’ischémie artérielle est plus fréquente chez les patients diabétiques. Dans l’étude de Kommer, la fréquence des interventions pour vol vasculaire est de 7 pour 100 patients-années chez les diabétiques versus 0,6 pour 100 patients-années chez les autres patients. Le principal facteur est la précarité du lit artériel distal chez ces patients, conjugué avec l’inversion habituelle du flux artériel dans l’arcade palmaire consécutif à la présence de la fistule. Cliniquement, le vol se traduit par des douleurs parfois aggravées par la dialyse et par une froideur de la main. Le risque est l’apparition de nécroses digitales. Le traitement n’est pas spécifique. L’angioplastie de sténoses artérielles est intéressante. De nombreuses astuces chirurgicales sont proposées Problèmes posés par l’accès vasculaire pour hémodialyse chez le diabétique dans le but d’améliorer la perfusion artérielle de la main en diminuant le flux dirigé vers la fistule : le cerclage calibré ou banding de la veine de drainage de la fistule permet de réduire le débit ; le DRIL (distal revascularization-interval ligation) consiste à rétablir le flux artériel vers l’arcade palmaire en ligaturant l’artère en aval de la fistule et en réalisant un pontage entre l’artère en amont de la fistule et l’artère en aval de la fistule ; le RUDI (revision using distal outflow) consiste à ligaturer l’origine de la veine de drainage de la fistule et à la réalimenter par un pontage effectué à partir d’une artère plus distale et donc de plus fin calibre (Chiche). La solution en cas d’ischémie persistante et surtout de nécrose des doigts est souvent réduite à ligaturer la fistule et à dialyser le patient sur un cathéter tunnellisé. afin de favoriser les chances de récupération neurologique. Des interventions de banding de la fistule ont été tentées. La neuropathie monomélique d’origine ischémique Session 4 Il s’agit d’une complication exceptionnelle due à l’ischémie d’un nerf périphérique consécutive à la création de la fistule. Elle se manifeste par des troubles sensitifs de la main et de l’avant-bras associés à une faiblesse musculaire ou une paralysie du même territoire. Le syndrome se développe dans les heures qui suivent la création de la fistule. Cette complication n’a été quasiment rapportée que chez les diabétiques, probablement en raison de la neuropathie préexistante et des lésions artérielles favorisantes. Cette complication ne se développe qu’avec les fistules humérales, l’artère humérale étant la seule à vasculariser la distalité du membre supérieur. La zone de l’avant-bras située sous le coude est la zone d’irrigation de vasa nervorum pour les 3 principaux nerfs du membre supérieur (Rogers). Il est conseillé de fermer immédiatement la fistule dès que le diagnostic est fait 69 P. BRUNET RÉFÉRENCES : Tordoir J, Canaud B, Haage P, Konner K, Basci A, Fouque D, Kooman J, Martin-Malo A, Pedrini L, Pizzarelli F, Tattersall J, Vennegoor M, Wanner C, ter Wee P, Vanholder R. EBPG on Vascular Access.Nephrol Dial Transplant. 2007 May;22 Suppl 2:ii88-117. Mendes RR, Farber MA, Marston WA, Dinwiddie LC, Keagy BA, Burnham SJ. Prediction of wrist arteriovenous fistula maturation with preoperative vein mapping with ultrasonography. J Vasc Surg. 2002 Sep;36(3):460-3. Pichot O. Abords vasculaires pour hémodialyse. In Traité de Médecine Vasculaire, Tome 2, pp 561-574, Elsevier Masson SAS. 2011 Konner K, Hulbert-Shearon TE, Roys EC, Port FK. Tailoring the initial vascular access for dialysis patients. Kidney Int. 2002 Jul;62(1):329-38. Chiche L. Chirurgie des accès pour hémodialyse. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Techniques chirurgicales - Chirurgie vasculaire, 43-029-R, 2008. Mihmanli I, Besirli K, Kurugoglu S et al. Cephalic vein and hemodialysis fistula: surgeon’s observation versus color Doppler ultrasonographic findings. J Ultras Med 2001; 20: 217–222 Silva MB Jr, Hobson RW 2nd, Pappas PJ, Jamil Z, Araki CT, Goldberg MC, Gwertzman G, Padberg FT Jr. A strategy for increasing use of autogenous hemodialysis access procedures: impact of preoperative noninvasive evaluation. J Vasc Surg. 1998 Feb;27(2):302-7; discussion 307-8. Huber TS, Ozaki CK, Flynn TC, Lee WA, Berceli SA, Hirneise CM, Carlton LM, Carter JW, Ross EA, Seeger JM. 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