QUEL EST VOTRE DIAGNOSTIC? 589 Au retour de voyage Etat fébrile et éruption cutanée Christophe Kosinski a , Olivier Lamy a , Cathy Voide b , Elena Garcia a a Service de Médecine Interne, CHUV, Lausanne; b Service des Maladies Infectieuses, CHUV, Lausanne Description du cas La biopsie des lésions cutanéo-muqueuses peut avoir sa Un patient de 45 ans, en bonne santé habituelle, consulte préliminaire, les hypothèses les plus probables ont été place dans un deuxième temps, lorsque, suite au bilan pour un état fébrile jusqu’à 39 °C depuis 48 heures, sans écartées et que le rash reste d’origine indéterminée. frissons. Il voyage souvent à l’étranger, dont dernière- Le bilan biologique initial montre une thrombopénie ment deux semaines en Asie. En raison d’une sensibilité à 66 G/l (norme 150–350 G/l) ainsi qu’une leucopénie à à la percussion de la loge rénale droite et d’un stix 1,6 G/l (norme 4–10 G/l), une cytolyse hépatique modé- urinaire pathologique, une antibiothérapie empirique rée sans cholestase. par ciprofloxacine orale est débutée. Deux jours plus A l’anamnèse systématique, on apprend que le patient a tard, le patient présente des diarrhées non sanglantes en également séjourné en Pologne trois semaines aupara- grande quantité motivant un scanner abdominal qui est vant. Ses vaccins sont à jour. Il n’y a pas de nouvel ani- sans particularité. L’antibiothérapie est poursuivie. mal, ni de notion de contage dans son entourage (no- Dans le même temps apparaissent une éruption macu- tamment enfants). A l’anamnèse sexuelle, le patient ne laire diffuse non prurigineuse et une aphtose buccale. relate pas de relations extraconjugales. Par ailleurs, il En raison de la persistance de l’état fébrile, le patient n’y a pas de prise de drogues, ni de médicaments. consulte les urgences. Le patient est en état général di- Bien que la colonoscopie puisse également nous ren- minué, déshydraté, normotendu, normocarde, afébrile; seigner sur la nature des diarrhées (colite infectieuse, l’examen clinique ne relève que l’atteinte muco-cutanée colite microscopique…), elle est à effectuer dans un mentionnée précédemment (fig. 1). deuxième temps, si les symptômes persistent après avoir écarté les étiologies les plus probables. Question 2: Lequel de ces examens n’est pas nécessaire? a) b) c) d) e) Sérologie hépatites virales Dépistage VIH TPHA («Treponema pallidum hemagglutination assay») Hémocultures (à croissance lente) Ponction biopsie de moelle Au vu de l’atteinte hépatique, il est indiqué d’exclure une atteinte virale. Dans ce cas-là, le bilan revient négatif pour une hépatite virale. Figure 1: Une éruption maculaire diffuse non prurigineuse se présente sur la poitrine du patient. Un dépistage VIH revient positif. A l’annonce de ce résultat, le patient relate une anamnèse sexuelle différente en mentionnant des relations extraconjugales Question 1: Lesquels de ces examens vous semblent les moins pertinents? a) b) c) d) e) fiabilité de cette partie délicate de l’anamnèse et de la Culture de selles avec recherche de Clostridium difficile Biopsie des lésions cutanées et buccales Bilan biologique de base Complément d’anamnèse ciblée (sexuelle, voyages) Colonoscopie Les quinolones étant fréquemment incriminées, il est Christophe Kosinski datant de trois semaines. Ceci pose la question de la nécessité d’effectuer un test VIH en cas de suspicion. Les symptômes d’une syphilis primaire comprennent une atteinte locale (ulcération indurée et indolore: «chancre dur»), ainsi que des adénopathies locales. Cependant, l’exanthème (roséole) puis une éruption papulo-squameuse touchant entre autres le tronc font justifié d’exclure une colite à Clostridium (C.) difficile. Le partie du stade secondaire d’une infection à Trepo- délai d’installation des symptômes est évocateur nema pallidum. Il est donc indiqué d’effectuer un dé- puisque, typiquement, les diarrhées débutent 1 à 10 pistage (par «Treponema pallidum hemagglutination jours après le début de l’antibiothérapie. La culture de assay», TPHA). Ceci d’autant plus que les patients ne selles ainsi que la recherche de toxine sont négatives gardent pas systématiquement le souvenir d’un pour C. difficile. chancre dur. SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(28–29):589–591 QUEL EST VOTRE DIAGNOSTIC? 590 Au vu de l’état fébrile persistant, il est recommandé de Au vu du risque de transmission du virus à la conjointe, prélever des hémocultures en deux points de prélève- il nous incombe de recommander au patient d’informer ments différents afin d’exclure une bactériémie. sa conjointe, mais en aucun cas de le faire nous-mêmes Une ponction biopsie de moelle est excessive à ce stade sans l’accord du patient. En effet, un dépistage doit être de la prise en charge, au vu de la présence d’un diag- effectué chez le partenaire, ainsi que la mise en place nostic de présomption. des mesures de protection (condom). Une infection à VIH étant grevée d’une forte connotation négative et Question 3: Lorsque vous demandez un dépistage VIH en cas de suspicion de primo-infection, que demandez-vous exactement? a) b) c) d) e) discriminative dans la société, il est judicieux de proposer au patient une préparation de cette annonce. Un soutien psychiatrique/psychologique peut également Test de dépistage rapide (anti-VIH-1/2 + Ag p24) PCR VIH (détermination de la virémie) Dosage des lymphocytes CD4+ L’accord du patient Effectuer un seul test de dépistage être envisagé en cas de forte atteinte morale du patient ou de son/sa conjoint-e. Il est recommandé de débuter un traitement antiviral aussi vite que possible, pour autant qu’il n’y ait pas de contre-indications (par exemple refus du patient). Il est primordial de doser l’antigène p24 (Ag p24), qui se Le patient doit dès lors être adressé en urgence à une positive environ deux semaines après l’exposition, en consultation de maladies infectieuses où le bilan sera cas de primo-infection. Les anticorps sont par définition effectué (dosage des CD4, dépistage des autres infec- négatifs en cas de primo-infection. Le test rapide a une tions sexuellement transmises, test de résistance géno- mauvaise sensibilité pour la détermination de l’Ag p24. typique du virus…). Ainsi celui-ci doit être déterminé au laboratoire sur un prélèvement de sang veineux (tests en laboratoire de type ELISA de 4e génération type Architect). Discussion La PCR VIH étant un test de confirmation, elle n’est pas indiquée lors de dépistage. Dans tous les cas, lorsque Primo-infection à VIH le résultat du dépistage est positif, la charge virale Seulement 30% des personnes infectées par le virus (nombre de copies ARN virales plasmatiques par PCR) VIH présentent un syndrome mononucléosique dans doit être dosée. les trois semaines suivant l’infection. Ce syndrome Le dosage des lymphocytes CD4+, reflet du degré d’im- allie une constellation de symptômes non spécifiques munodéficience potentielle du patient, n’est pas à ef- (tab. 1). fectuer dans un premier temps. Il sera effectué lors de la consultation initiale et de suivi en infectiologie. L’information et le consentement (oral) du patient sont indispensables pour le test du VIH. Il nous incombe de l’informer et de lui dire que ce test est «expressément recommandé» par la directive de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Le patient est alors en droit de refuser ce dépistage, ce qui doit être consigné dans le dossier médical. En cas de dépistage, le médecin s’engage à transmettre les résultats au patient. En cas de test positif, afin d’exclure toute confusion possible, il est indispensable de confirmer ce test sur un deuxième échantillon. Question 4: Parmi les différentes mesures entreprises lors du diagnostic de primo-infection VIH, laquelle n’est PAS indiquée? a) b) c) d) e) Fièvre (75%) Asthénie (68%) Myalgies (49%) Rash cutané, ulcérations muco-cutanées (48%) Céphalées (45%) Pharyngite (40%) Adénopathies cervicales (39%) Arthralgies (30%) Transpirations nocturnes (28%) Diarrhées (27%) Adapté de Daar ES, Pilcher CD, Hecht FM. Clinical presentation and diagnosis of primary HIV-1 infection. Curr Opin HIV AIDS. 2008;3:10–5. La plupart des symptômes sont généralement spontanément résolutifs, mais la durée et la sévérité varient d’un patient à l’autre. En cas d’atteinte des voies respi- Avertir le/la conjoint-e sans prévenir le patient Proposer le dépistage du conjoint-e Insister sur le port du préservatif pour les rapports sexuels Initier une trithérapie empirique rapidement Adresser le patient à une consultation spécialisée (infectiologie, VIH) SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE Tableau 1: Manifestations cliniques d’une infection aigue à VIH. 2016;16(28–29):589 –591 ratoires, ceux-ci concernent généralement la sphère ORL, et les manifestations pulmonaires sont rares. L’atteinte digestive associe nausées, diarrhées, inappétence, et perte de poids. Sur le plan neurologique, les céphalées sont les symptômes les plus fréquents. La QUEL EST VOTRE DIAGNOSTIC? 591 méningite aseptique est une complication redoutée, du virus. Une fois le traitement débuté, il est à pour- car souvent difficile à différencier d’une étiologie bac- suivre au long cours. Un suivi du compte des CD4 est térienne en raison de l’état fébrile associé à la primo- recommandé tous les 3 à 6 mois durant les deux pre- infection VIH. Elle nécessite une hospitalisation, une mières années de traitement antiviral, puis une fois ponction lombaire et une antibiothérapie intravei- par an au minimum en cas de suppression de la charge neuse jusqu’à réception des cultures du liquide cépha- virale. Un suivi rapproché de la formule sanguine et lo-rachidien (LCR). L’atteinte cutanée est fréquemment des transaminases est indiqué à l’instauration du trai- retrouvée. Elle apparaît généralement 2 à 3 jours après tement puis tous les 3 à 6 mois. Si l’on obtient une viré- le début des symptômes et peut durer une semaine. mie indétectable durant une année chez un patient qui Elle touche le corps entier de façon diffuse sous forme a des relations sexuelles stables avec la même personne de lésions maculaires et infracentimétriques, bien et pas d’autre infection sexuellement transmissible, le délimitées, non prurigineuses. L’hémogramme est port du préservatif n’est plus obligatoire (pour autant souvent contributif avec la mise en évidence d’une que le/la partenaire soit d’accord). En cas d’intolérance leucopénie (généralement lymphopénique, mais une au traitement, il n’est pas recommandé de le stopper, neutropénie peut également être retrouvée) associée à mais plutôt de modifier la combinaison thérapeutique. une thrombopénie et parfois une anémie modérée; En effet, une interruption est fortement associée avec une cytolyse hépatique modérée est souvent présente. une augmentation de la morbidité et de la mortalité Cependant, aucun de ces résultats n’est spécifique d’une secondaires au VIH. primo-infection VIH. L’adhésion au traitement est conditionnée par de mul- Les autres causes fréquentes de syndrome mono- tiples facteurs, incluant la condition sociale et l’état de nucléosique doivent être recherchées: virus d’Epstein- santé du patient, le traitement prescrit (nombre de com- Barr (EBV), cytomégalovirus (CMV) et la toxoplasmose primés par exemple), et la relation que le patient entre- (Toxoplasma gondii). Bien que les ulcérations muco- tient avec son médecin. Il est primordial que le patient cutanées ne fassent pas partie du tableau clinique des soit informé et comprenne ces informations, que ce étiologies susmentionnées, le rash cutané aurait pu soit les buts du traitement (suppression de la charge correspondre à une réaction secondaire à l’administra- virale, reconstitution immunitaire, diminution de la tion d’antibiotique lors d’une mononucléose à EBV. morbi-mortalité résultant d’une infection à VIH, dimi- Une recherche pour la syphilis (voir précédemment, nution du risque de transmission du virus), les effets question 2), le gonocoque et les hépatites virales est secondaires potentiels du traitement et la nécessité de également recommandée afin d’exclure une autre in- poursuivre le traitement à long terme. Ce dernier point fection sexuellement transmissible. est crucial, surtout le jour où la virémie sera indétectable et le patient asymptomatique. Prise en charge Dans le cas de notre patient, très rapidement après le Contrairement à l’infection chronique à VIH, il n’y a début du traitement, nous observons une disparition pas de recommandations clairement établies concer- du rash cutané, un amendement de l’état fébrile et des nant la prise en charge de la primo-infection. Une viré- diarrhées, ainsi qu’une normalisation du compte pla- mie très élevée est généralement corrélée avec une quettaire. sévérité des symptômes plus importante ainsi qu’un risque de transmission élevé. Cependant, toutes les séroconversions doivent être traitées, quelle que soit la virémie. Les buts du traitement sont de réduire la morbidité associée à une infection VIH en supprimant la virémie et en restaurant l’immunité, et de prévenir la transmission du virus. Il est recommandé de débuter le Correspondance: traitement aussi vite que possible, généralement avant Dr Christophe Kosinski d’avoir établi de façon définitive le profil de résistances Médecin assistant Disclosure statement Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article. Références recommandées – – – – Service de médecine interne BH 17-100 Av du Bugnon 46 CH-1011 Lausanne Réponses: – Christophe.Kosinski[at] chuv.ch Question 1: b, e. Question 2: e. Question 3: d. Question 4: a. SWISS MEDICAL FORUM – FORUM MÉDICAL SUISSE 2016;16(28–29):589–591 Günthard HF, Aberg JA, Eron JJ, et al. Antiretroviral treatment of adult HIV infection: 2014 recommandations of the International Antiviral Society-USA Panel. JAMA. 2014;312:410. Dépistage du VIH effectué sur l’initiative des médecins, 18 mai 2015 (http://www.bag.admin.ch/hiv_aids). http://aidsinfo.nih.gov/guidelines (Last updated April 8, 2015; last reviewed April 8, 2015). Swiss Statement: Vernazza P, Hirschel B, Bernasconi E, et al. Les personnes séropositives ne souffrant d’aucune autre MST et suivant un traitement antirétroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle. Bull Med Suisses. 2008;89:165–9. EACS guidelines octobre 2015, version 8.0. http://www.eacsociety.org/files/guidelines_8.0-english.pdf