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Introduction
techniques qui ont conduit les états-majors à le désigner pour participer à
toutes ces campagnes. Son extraordinaire carrière doit aussi beaucoup aux
compétences, à l’expérience et au courage de ses marins et commandants.
Le facteur chance, a priori évident et commode, tend alors à se réduire à
mesure que l’analyse s’approfondit.
En avril 1940, le Montcalm participe à la campagne de Norvège avec la
Royal Navy. Cinq mois plus tard, il combat les Britanniques lors de la
bataille de Dakar. Le 6 juin 1944, il protège par son feu les GI’s américains
massacrés sur la plage d’Omaha Beach, dans un combat devenu le symbole
des sacrifices consentis pour la défense de la liberté contre le totalitarisme.
Souvent assimilé à tort comme un bâtiment de la France libre, le Montcalm
était, quelques mois encore avant Overlord, l’un des fleurons de la marine
du maréchal Pétain et de l’amiral Darlan. Le Montcalm, c’est l’histoire de
la France pendant la Seconde Guerre mondiale, une histoire forcément
sensible et complexe, parfois bien éloignée des constructions mémorielles
et des schémas manichéens, des amalgames hasardeux et des discours pro
domo.
Le Montcalm, c’est aussi l’histoire de la marine française entre 1939 et 1945,
une marine qui fut peut-être, à l’aube de la guerre, la plus belle que la France
ait jamais possédée. Ce croiseur est paradoxalement représentatif de cette
marine nationale tout en étant exceptionnel. En 1939, la flotte française,
forte et moderne, entre en guerre contre l’Allemagne aux côtés de son allié
britannique. Elle assure toutes ses missions mais entrevoit déjà, avant
mai 1940, la puissance des armées du III
e
Reich. De 1940 à 1942, la marine
joue un rôle politique de premier plan dans le nouveau régime de Vichy.
Mais elle est menacée, attaquée, avant d’être en partie décimée. Puis, de
retour dans la guerre, elle participe au combat pour chasser l’occupant, au
sein d’une immense armada anglo-américaine. Cette histoire est aussi celle
du Montcalm. Mais contrairement à la majeure partie de la flotte éprouvée
par les drames (de Mers el-Kébir au sabordage de Toulon), le Montcalm, et
c’est ce qui en fait son côté exceptionnel, a réussi à déjouer ce sort tragique
qui semblait s’acharner sur les navires français. Il est véritablement monté
en puissance au fil de la guerre, tant sur le plan technique que sur l’intensité
de son activité.
Le Montcalm, c’est enfin l’histoire de quelques centaines de jeunes
Français, embarqués ensemble et pendant cinq années dans la guerre la plus
dévastatrice que l’humanité ait connue. Ils furent confrontés aux dangers de
l’Atlantique, dans cette bataille terrible qui emporta tant de marins, mais
ne laissa ni monument ni cimetière. Ils connurent la défaite et la fuite en
Norvège, le drame d’une lutte fratricide à Dakar, les honneurs et la joie de
participer à la libération de leur patrie au large des côtes corses, normandes
et provençales. Leur histoire mêle la gloire au tragique, et nous éclaire
aussi bien sur une guerre navale souvent méconnue, que sur la trajectoire
de ces soldats et marins français entre 1939 et 1945. Des itinéraires parfois
victorieux, souvent cruels, toujours troublants.
un obus d’une batterie côtière en Provence, une vedette explosive dans le
golfe de Gênes… Pourquoi était-il à Alger alors qu’à quelques dizaines de
kilomètres de là, au même moment, les navires français étaient écrasés sous
les salves britanniques à Mers el-Kébir ? Comment se fait-il que des deux
divisions que constituaient les six croiseurs de 7 600 tonnes, il ne fut pas
dans celle qui sombra lors du sabordage de Toulon en 1942 ?
Il aurait pu avoir la trajectoire de certains de ces navires qui semblent
marqués par la malchance. Le contre-torpilleur Bison par exemple qui se
fit aborder accidentellement par le Georges Leygues en 1939, sombre présage
d’une fin précoce en 1940, lorsque la bombe d’un Stuka le fit exploser au
large de Namsos. Comme si le sort s’acharnait sur les marins français, les
survivants du Bison, la plupart déjà affreusement brûlés, furent recueillis sur
le destroyer Afridi qui fut coulé quatre heures plus tard dans les mêmes
conditions. Comment ne pas penser au Bismarck, gigantesque cuirassé et
orgueil de la Kriegsmarine, qui fut détruit dès sa première sortie en 1941
(non sans avoir envoyé par le fond le Hood). On pourrait enfin évoquer le
Dunkerque, l’un des navires les plus modernes et puissants de la marine
française, gravement endommagé à Mers el-Kébir le 3 juillet 1940,
pratiquement achevé trois jours plus tard par une nouvelle attaque, puis
définitivement irrécupérable après le sabordage de Toulon. L’histoire de
toutes les marines recèle de ces navires que l’on dit maudits, frappés par
la fatalité et qui ne connurent qu’incidents, abordages et naufrages, sans
forcément d’autres explications que celle qui veut que le navire ne fût
jamais au bon endroit au bon moment.
Il semblerait que le Montcalm appartienne au genre contraire. N’ayant
aucune caractéristique révolutionnaire, rien ne destinait ce croiseur de
deuxième classe, loin dans la hiérarchie des navires derrière les porte-
avions, les cuirassés et les croiseurs lourds, à un rôle de premier plan.
Pourtant, la bataille de l’Atlantique, la campagne de Norvège, la bataille
de Dakar, la libération de la Corse, le débarquement de Normandie, celui
de Provence, le siège de Toulon et la Flank Force sont autant de campagnes
à mettre à son actif. On aurait même ajouté la guerre du Pacifique si le
conflit ne s’était pas achevé avant que le Montcalm ait pu rejoindre ce théâtre
d’opérations.
Dans son livre consacré aux trois bâtiments de la 4
e
division de croiseurs
(DC), l’amiral Lemonnier, capitaine de vaisseau du Georges Leygues en 1940
et chef d’état-major de la marine à partir de 1943, est formel : le Montcalm,
le Georges Leygues et la Gloire, les trois sisterships formant division sont des
navires chanceux
1
. Il y a certes quelque chose d’inexplicable dans le fait que
le Montcalm, en cinq années de conflit et malgré ses nombreuses campagnes,
ne fut pas touché ne serait-ce qu’une seule fois. Mais la chance n’explique
heureusement pas tout. Si le Montcalm a l’un des plus impressionnants états
de service de la marine française pendant la guerre, et s’il s’est sorti indemne
de tous ses combats, il le doit d’abord à ses qualités intrinsèques qui ont fait
de lui un excellent bâtiment. C’est sa valeur militaire et ses caractéristiques
Le croiseur Montcalm 1932-1345