Laitue : des irrigations sur mesures 1 Par Frédérique.Bressoud Une gestion inappropriée des irrigations peut entraîner de nombreux problèmes sur laitue : pertes de racines et mauvaise croissance, petites pommes, nécroses, problèmes pour la remise en culture,... Les essais conduits à l’INRA d’Alénya ont montré que des mesures tensiométriques à 15 cm rendaient bien compte de l’humidité du sol dans la zone racinaire. Il a été possible de préciser les valeurs permettant de bons résultats qualitatifs selon les conditions de culture. La relation dépend du type de sol, et les observations réalisées ont permis de dégager des consignes de conduite adaptées à la parcelle et au calendrier de culture. Mis en oeuvre dans de nombreuses exploitations des Pyrénées Orientales, l’installation de quelques tensiomètres au niveau des parcelles peut aider à décider des irrigations au mieux pour les cultures. L’eau et la salade Mieux vaut limiter les apports d’eau... A l’INRA d’Alénya, des expérimentations de rotations intensives de salades sous abri froid2 ont permis de mesurer les effets néfastes d’irrigations importantes. Il y a progressivement un ralentissement de croissance, particulièrement à l’aplomb des asperseurs qui correspondent aux zones les plus arrosées. Ceci correspond à une moins bonne installation du système racinaire, ainsi qu’à une moins bonne valorisation des éléments minéraux, rapidement entraînés en profondeur. Ces salades sont plus fragiles et d’avantage atteintes par des maladies cryptogamiques. Mais surtout, ces irrigations entraînent une dégradation de la structure du sol, que la reprise en conditions trop humides ne permettra pas de corriger. La culture suivante verra son développement racinaire entravé. Même conduite dans de bonnes conditions, ces salades seront plus légères et plus sensibles aux problèmes physiologiques. Ces problèmes se rencontrent pour des doses d’irrigation assez courantes en pratique, visant à maintenir une humidité élevée (proche de la capacité au champ). Ils s’expriment principalement en sols limoneux et à structure fragile. ...mais attention aux stress hydriques Si le rationnement des irrigations peut permettre d’améliorer l’homogénéité, la qualité et l’enchaînement des cultures, il est nécessaire d’éviter tout stress hydrique. La culture de salade y est particulièrement sensible. La plante réagit physiologiquement à un stress modéré en limitant à terme le développement de son feuillage, ce qui est préjudiciable au rendement et à la qualité de la culture (laitues plus légères avec une jupe peu développée). Cela peut également favoriser l’accumulation de nitrates dans la plante. 1 INRA-SAD Alénya Domaine expérimental du Mas Blanc 66200 Alénya 2 Dans le cadre d’un programme régional INRA-DADP « Amélioration de la compétitivité de la filière salade en Roussillon » en collaboration avec la SICA Centrex des Pyrénées Orientales. Il s’agit d’analyser les stratégies de commercialisation de la salade et leurs implications au sein des exploitations, et de conduire les expérimentations appropriées afin de proposer des améliorations techniques et des politiques de développement. 1 Source d’irrégularité dans l’alimentation hydrique, ce stress peut également provoquer l’apparition ultérieure de nécroses sur feuilles qui déprécieront le produit. Des mesures pour anticiper tout problème L’ensemble de ces effets s’amorce alors même que rien n’est encore décelable sur la culture, et ne peuvent qu’être constatés lorsqu’il est trop tard pour y remédier efficacement. La gestion des irrigations suppose de disposer de moyens de contrôle fiables pour anticiper ces problèmes. Le moyen le plus simple actuellement est de vérifier l’état hydrique du sol. Le stress en eau apparaît dès lors que la rétention de l’eau par la terre s’oppose à son prélèvement en quantité suffisante par la plante. Le tensiomètre permet une mesure locale et à chaque instant de cette force de rétention. C’est un outil qui peut permettre d’ajuster les irrigations afin d’offrir toujours à la plante un confort de croissance optimal. (encadré) Le tensiomètre est constitué d’un tube hermétique renfermant une réserve d’eau, avec à sa base une céramique poreuse. Mise au contact du sol à la profondeur choisie, celle ci va lui céder d’autant plus d’eau qu’il sera plus sec. Il en résulte une dépression dans le tube, proportionnelle à la force de succion du sol à proximité immédiate de la bougie poreuse. On la mesure (en mb ou Hpa3) grâce à un manomètre. Comme la succion du sol limite la disponibilité de l’eau pour les racines, la valeur mesurée peut renseigner l’utilisateur sur la facilité d’alimentation pour la plante. Pour gérer l’irrigation d’une culture par tensiométrie, il faut : 1. Trouver un dispositif simple donnant des valeurs qui soient représentatives à la fois de la parcelle et de la zone d’enracinement 2. Connaître les valeurs-seuil à ne pas dépasser pour n’avoir ni problème de saturation en eau, ni stress hydrique tout au long de la culture avec ce dispositif 3. Définir un rythme de contrôle qui permette une bonne régularité de l’alimentation en eau Quatre tensiomètres pour une parcelle Avec un système d’aspersion performant et bien entretenu (pression contrôlée, buses en bon état), 60 à 70% de la surface reçoit la dose moyenne d’irrigation. C’est au sein de ces zones, localisables par rapport à la position des asperseurs selon les caractéristiques du système d’irrigation, qu’il faudra placer les tensiomètres. Deux pour déclencher les irrigations Nos essais montrent que sous un paillage plastique, un tensiomètre à 15 cm de profondeur donne une bonne représentation de ce qui se passe dans le sol sur les 30 cm prospectés par les racines. On a en effet une corrélation4 correcte entre les mesures réalisées et le calcul du bilan hydrique jour à jour et ce pour toute la durée des cultures (Figure 1). 3 4 Millibar (mb) ou hectopascal (HPa) Selon les cas, le coefficient de détermination R² est compris dans nos essais entre 0.7 et 0.95. 2 Figure 1 Valeur tensiométrique mesurée à 15 cm (en mb) Relation entre la valeur tensiométrique mesurée et le stock en eau du sol sur 30 cm (calcul par bilan hydrique) 0 -200 -400 -600 -800 -1000 -1200 20 30 40 50 60 70 stock en eau sur 30 cm (en mm) 80 90 tensiomètre zone 1 tensiomètre zone 2 Logarithmique (tensiomètre zone 1) Cette valeur permet de décider de la nécessité ou non d’une irrigation. Sur une parcelle bien homogène (texture du sol, taux de cailloux, ventilation), deux répétitions suffisent, les écarts de valeurs ne dépassant pas quelques dizaines de millibars. A Alénya, tout écart supérieur s’est révélé l’indice d’une différence dans les apports d’eau, liée à un problème d’aspersion ou à des ruissellements qui en modifient la répartition dans le sol. Deux pour ajuster les doses d’apport Au delà de la profondeur travaillée par les outils, on trouve sous abri un horizon très compact qui s’oppose à la pénétration des racines et freine le drainage de l’eau. Sur chacun des sites de mesure, un deuxième tensiomètre à cette profondeur permet d’anticiper toute saturation en eau, préjudiciable aux racines. Il sert à ajuster les doses d’apport afin de maintenir une humidité satisfaisante sur la zone racinaire tout en évitant les excès sources d’asphyxie et de lessivage des éléments nutritifs. Une conduite sur mesure La relation entre tension et humidité du sol varie selon le type de sol. Ainsi, un sol sableux en voie d’assèchement garde des tensions plus élevées que le sol limono-sableux de la figure 1, avant de décroître beaucoup plus brutalement. Ceci indique une apparition plus soudaine d’éventuels stress hydriques, ce dont il faut tenir compte pour leur anticipation. La connaissance de ces relations permet d’adapter la fréquence des mesures et la gestion des irrigations à la parcelle. Les travaux menés à Alénya ont permis de définir des règles de conduite appropriées aux différents stades de la culture selon leur sensibilité (figure 2). Avec cette gamme de valeurs, on préconise d’effectuer des mesures entre une à deux fois par semaine si le risque de stress hydrique le justifie 3 Figure 2 : La gestion des irrigations par tensiométrie 4 De la plantation à la reprise du plant Durant cette phase, l’alimentation du plant se fait dans la motte et l’irrigation est déclenchée lorsque la tourbe se dessèche. Bien qu’il y ait peu d’échange par capillarité, une humidification préalable du sol (entretien de l’humidité avant plantation) limite un peu la déshydratation de la motte. A ce stade, un stress hydrique modéré ralentit la croissance du plant, mais peut être rattrapé par la suite et ne pas se répercuter sur les résultats de récolte. Inversement, trop irriguer sur des sols déjà humides entraîne saturation, dégradation de structure et départ des fertilisants avant même l’installation des racines. Il est important de diminuer les doses d’apports si les valeurs en profondeur approchent de la quasi-saturation, si nécessaire en restreignant l’évaporation par une bonne gestion des aérations et des brumisations. De la reprise du plant au stade 18 feuilles (rosette) A ce stade, il faut favoriser l’enracinement en profondeur grâce à un profil de sol favorable. Un sol trop humide en fond entraîne hétérogénéité et problèmes de poids à la récolte, tandis qu’un stress hydrique limite la croissance des feuilles. Comme la densité racinaire est encore faible, l’eau doit être assez disponible dans le sol. Le maintien de valeurs tensiométriques entre 150 et 250 mb, selon les conditions, permet le bon développement de la rosette en limitant dégradations de sol et lessivages . Du stade 18 feuilles à la pré-pommaison Couvrant la quasi totalité de la surface, les feuilles limitent l’évaporation et un film d’eau subsiste au contact du paillage plastique après une irrigation. Afin de limiter l’apparition de maladies cryptogamiques favorisées par cette humidité, il faut dès ce stade diminuer la fréquence des arrosages. Avec leur système racinaire bien implanté, ces plantes tolèrent bien une augmentation de la tension du sol, particulièrement en période de temps couvert. De la pré-pommaison à la récolte A ce stade, la plus forte évaporation des feuilles les plus âgées favorise leur alimentation au dépend de celles en formation. Toute irrégularité ou rupture dans l’alimentation hydrique les fragilise, et entraîne des nécroses qui apparaîtront en fin de culture sur la couronne intermédiaire. Les conditions climatiques ambiantes sont bien entendu déterminantes dans l’apparition de ces problèmes et doivent être prises en compte dans la gestion des irrigations. Nos essais en période à risque ont montré que si des tensions supérieures à 600 mb sont sans incidence sur la prise de poids de la laitue, dépasser 400 mb accroît très fortement le nombre de plantes touchées par la nécrose. Maintenir si possible des valeurs proches de 350 mb permet une récolte correcte tout en obtenant un sol apte à une remise immédiate en culture dans les meilleures conditions. Les maraîchers des Pyrénées Orientales prennent leurs tensions Depuis 1997 et dans l’objectif de faire au mieux pour la santé de leurs cultures, de nombreux maraîchers du Roussillon prennent les tensions de leurs parcelles. Quelques minutes consacrées à cette mesure par semaine leur facilitent les décisions à prendre pour les irrigations. Régulariser l’alimentation des salades, c’est améliorer leur qualité et éviter tout gaspillage d’eau et d’engrais. Cette démarche s’intègre dans le souci sans cesse croissant de produire mieux pour la satisfaction des consommateurs et le respect de l’environnement. 5