Que savons-nous et qu`ignorons-nous sur l`immunopathogénie de la

INT J TUBERC LUNG DIS 16(11):1424–1432
© 2012 The Union ÉTAT DE LA QUESTION
[Traduction de l’article : « The knowns and unknowns of the immunopathogenesis of tuberculosis » Int J Tuberc Lung Dis
2012; 16(11): 1424–1432. http://dx.doi.org/10.5588/ijtld.12.0479]
Que savons-nous et qu’ignorons-nous sur
l’immunopathogénie de la tuberculose ?
T. H. M. Ottenhoff
Department of Infectious Diseases, Leiden University Medical Center, Leiden, The Netherlands
Auteur pour correspondance : Tom H M Ottenhoff, Department of Infectious Diseases, Leiden University Medical Center,
Leiden, The Netherlands. Tel : (+31) 71 526 3809. Fax : (+31) 71 521 6751. e-mail : [email protected]
Dans cette revue, nous discutons les éléments « connus » autant que les « inconnus » en matière de dépendance de
l’hôte contre Mycobacterium tuberculosis. En ce qui concerne les données « connues », on discute à la fois les mé-
canismes protecteurs et immunopathogènes, y compris de nouvelles voies de défense de l’hôte et d’im munologie in-
ammatoire récemment découvertes. En ce qui concerne les données « inconnues », on insistera sur les questions-clé
encore sans réponse accompagnées d’une perspective sur les nécessités et les priorités de recherches ultérieures. Le
rôle de la réponse in ammatoire et sa dérégulation dans le syndrome in ammatoire de reconstitution immunitaire lié
à la tuberculose seront également discutés.
MOTS-CLÉS : Mycobacterium tuberculosis ; mécanismes immunopathogènes ; immunopathologie
LA TUBERCULOSE (TB) reste une maladie à pro-
portions dramatiques, qui tue chaque année environ
1,5 million d’individus et in ige une souffrance hu-
maine incroyable à beaucoup d’individus, collectivités
et populations dans des contextes défavorisés et à res-
sources insuf santes. La TB est responsable de plus de
désastres que ceux liés à n’importe quel autre patho-
gène isolé1 et elle forme une alliance particulièrement
mortelle avec le virus de l’immunodé cience humaine
(VIH). Le VIH compromet les défenses de l’hôte et
entraine une prévalence plus élevée de la TB, des ré-
sultats plus mauvais et un traitement plus dif cile de
la TB. La prévalence croissante de la TB à germes
multirésistants (TB-MDR) et à germes ultra-résistants
aux médicaments (TB-XDR) tout comme l’appari-
tion de souches de Mycobacterium tuberculosis to-
talement résistantes aux médicaments (TDR) menace
encore davantage la maîtrise de la tuberculose.
Si l’on se base sur le test cutané tuberculinique
(TCT), plus de deux milliards de personnes sont sup-
posées infectées de manière latente par M. tuberculo-
sis et dès lors encourent un risque de réactivation.1 On
sait depuis longtemps que l’immunité à médiation
cellulaire joue un rôle clé dans le contrôle des infec-
tions mycobactériennes ;2 elle implique l’activité coor-
donnée d’un grand nombre de cellules et de types cel-
lulaires, particulièrement les phagocytes et les cellules
T-helper (Th) CD4+ ; ceci est illustré par le fait que
l’infection active par le VIH cible les cellules Th
CD4+ et augmente les taux de réactivation TB de 3–
10% pendant toute la vie à 5–10% par année de vie.3
Néanmoins, la plupart des individus infectés par
M. tuberculosis sont capables de contenir l’infection
à un stade latent ou subclinique : plus de 90% des in-
dividus dont le TCT a viré ne développent jamais de
signes cliniques de maladie TB pour autant qu’ils ne
soient pas porteurs d’autres facteurs de risque qui
compromettent l’immunité de l’hôte.2,4 Au cours de
cette période de latence persistante, des bacilles M. tu-
berculosis non réplicants ou à réplication lente restent
présents et peuvent être réactivés lorsque l’immunité
de l’hôte s’affaiblit, même des décennies plus tard. En
plus de la coïnfection VIH, d’autres situations peuvent
également atteindre la défense de l’hôte, quoique de
façon plus subtile, et augmenter le risque de réacti-
vation de TB notamment d’autres coïnfections (hel-
minthes, mycobactéries non-tuberculeuses, infections
virales), des co-morbidités (par exemple le diabète
de type-2) ainsi que l’immunosénescence. L’in fection
latente par M. tuberculosis peut être également réac-
tivée involontairement à la suite d’un traitement
par des agents biologiques tels que le facteur alpha
de nécrose tumorale (TNF-α), l’interleukine (IL) et
les agents anti IL-12/23 qui sont utilisés de plus en
plus dans les maladies in ammatoires comme l’ar-
thrite rhumatoïde, la maladie de Crohn, le psoriasis
et d’autres.5
Certains individus, plutôt que de développer une
infection latente, sont capables d’obtenir une élimi-
nation complète allant jusqu’à la stérilisation des bac-
téries M. tuberculosis. Il y a des preuves indirectes en
faveur de ce fait : 10 à 20% des individus gardent
un TCT négatif de manière persistante et ne dévelop-
pent pas la maladie en dépit d’une exposition de forte
RÉSUMÉ
2 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
intensité et dès lors de la probabilité d’une infection.6,7
Comme le TCT dépend de l’activité des cellules T, on
pense que la réponse immunitaire naturelle de ces
sujets dont le TCT ne vire pas pourrait contrôler
l’infection à un stade précoce, avant même l’induc-
tion de la réponse immunitaire adaptative qui s’en
suit (voyez plus bas). Un dé scienti que consiste à
élucider le mécanisme protecteur impliqué a n de
le traduire en nouvelles stratégies interventionnelles
de lutte contre la TB.
QUE SAVONS-NOUS DE L’IMMUNITÉ,
DE LA PROTECTION IMMUNITAIRE
ET DE LA PATHOLOGIE IMMUNITAIRE
DANS LA TUBERCULOSE ?
Après avoir atteint les espaces alvéolaires, les bacilles
M. tuberculosis qui y ont pénétré par voie aérienne
sont rapidement absorbés par les cellules phagocy-
taires, en particulier par les macrophages alvéolaires,
les cellules dendritiques locales (DC), les macrophages
interstitiels et peut-être aussi par les cellules épithé-
liales lorsqu’ils traversent les revêtements bronchio-
laires. Si l’on compare M. tuberculosis à d’autres pa-
thogènes, on constate qu’il a une capacité unique à
retarder la mise en route des réponses immunitaires
adaptatives à la fois chez l’homme et chez la souris.8
Les modèles murins récemment élaborés, dans les-
quels les récepteurs des cellules T génétiquement
manipulés et spéci ques pour les antigènes de M. tu-
berculosis se sont exprimés, ont permis de démon-
trer que M. tuberculosis est capable de retarder de 2
à 3 semaines la mise en route des réponses des
c ellules T spéci ques aux antigènes de M. tuberculo-
sis. Le mécanisme d’action sous-jacent est que les cel-
lules infectées par M. tuberculosis, probablement les
DC, n’arrivent pas, pendant une période d’au moins
2 semaines, à migrer du foyer pulmonaire infecté vers
les ganglions lymphatiques de drainage dans lesquels
se produit l’amorçage des cellules T.9–11 Ce délai
pourrait permettre à M. tuberculosis de développer
une masse critique de bacilles avant que l’immunité
adaptative ne puisse se développer de manière suf -
sante pour maîtriser l’infection. A partir de la popu-
lation bactérienne qui en résulte, on peut voir appa-
raître au moins trois types de population à la suite
d’événements aléatoires ou induits par l’environne-
ment : des bacilles persistants véritablement « non ré-
plicants », des bacilles persistants qui entrent dans un
stade à métabolisme réduit et à « réplication lente »
dans les cellules infectées et en cas de TB aiguë ou de
TB de réactivation, des bactéries en réplication et à
métabolisme actif.
En plus de cette capacité remarquable à retarder la
mise en route des réponses immunitaires adaptatives
(acquises), M. tuberculosis est également apte à mani-
puler et à persister dans le milieu hostile des cellules
hôtes infectées, particulièrement les phagocytes pro-
fessionnels. M. tuberculosis exploite une myriade de
stratégies d’évasion immunitaire, les plus importantes
étant l’inhibition de la maturation des phagosomes
bactériens et de leur fusion avec les lysosomes ; l’inhi-
bition de l’autophagie, une voie de séquestration des
vacuoles endogènes avec une activité antimicrobienne
puissante dans les phagocytes professionnels ; l’inhi-
bition de l’apoptose, une voie de décès cellulaire in-
ductible avec une puissante activité antimicrobienne ;
l’inhibition du traitement des antigènes et de leur pré-
sentation aux cellules T pour éviter qu’ils ne soient
reconnus ; l’inhibition de la signalisation médiée par
les récepteurs de l’interféron-gamma (IFN-γ), une
voie importante qui régule l’ensemble de ces méca-
nismes antimicrobiens de la défense de l’hôte ; l’inhi-
bition et l’évacuation des intermédiaires toxiques de
l’oxygène et de l’azote ; et la sortie du milieu hostile
du phagosome vers le cytoplasme plus favorable.
Toutes ces stratégies aident M. tuberculosis à résister
et à échapper aux défenses de l’hôte,12–16 et elles ont
été exposées plus en détails par ailleurs.17
A la suite de l’infection initiale par M. tuberculo-
sis et de sa phagocytose, de nouveaux macrophages
commencent à être recrutés au site de l’infection au
cours de la réponse innée précoce ; ils forment des in-
ltrats cellulaires qui se développent ensuite en gra-
nulomes primaires. A l’opposé de ce que l’on croyait
antérieurement, ces granulomes sont des structures
dynamiques dont les cellules-hôtes peuvent rapide-
ment entrer et sortir,18 tout au moins dans le modèle
du poisson zèbre dans lequel ce phénomène a été
étudié. Lorsque la réponse immune adaptative a  -
nalement été mise en route, les cellules T spéci ques
in ltrent également les granulomes, ce qui mène typi-
quement à la formation de granulomes plus impor-
tants et bien organisés dans les quels M. tuberculosis
et les macrophages se situent surtout au centre alors
que les cellules T sont en périphérie. On pense géné-
ralement que cette réponse de l’hôte est protectrice
puisqu’elle localise et séquestre l’infection in situ,
quoique, comme mentionné, les bactéries puissent se
disséminer également à partir des granulomes tout au
moins dans le modèle du poisson zèbre.18 Quand un
équilibre correct entre le contrôle local de l’infection
et l’in ammation n’existe pas, une nécrose caséeuse
centrale se développe,19 ce qui facilite fortement le
développement extracellulaire d’un grand nombre de
bactéries M. tuberculosis. Quand ces granulomes né-
crosants se liqué ent et commencent à altérer les re-
vêtements des voies aériennes, de grands nombres de
bactéries M. tuberculosis peuvent être libérées dans
les voies aériennes d’où une contagiosité par aérosols.
La réponse immunitaire à l’égard de M. tuberculosis
contribue donc à contenir l’infection mais est égale-
ment impliquée dans une transmission plus facile de
la TB. Ceci a évidemment un impact sur la conception
d’un ou l’autre vaccin TB, car des vaccins meilleurs
que le BCG doivent non seulement induire une
meilleure immunité à l’égard de M. tuberculosis, mais
ils doivent aussi induire une réponse bien équilibrée
L’immunopathogénie de la TB 3
qui favorise les mécanismes de protection et évite les
mécanismes pathogènes.
Défense cellulaire de l’hôte contre M. tuberculosis
La réponse immunitaire spéci que contre M. tuber-
culosis implique différents types cellulaires, allant des
cellules T classiques et non-classiques aux neutro-
philes, aux cellules B et aux cellules NK (natural killer).
C’est le rôle des cellules Th1 CD4+ dans la TB qui est
le mieux connu. Les cellules Th1 sécrètent de l’IFN-γ
et des cytokines TNF qui sont cruciales pour l’immu-
nité protectrice contre les mycobactéries. L’induction
de l’IFN-γ est réglée par l’IL-12 qui est sécrété par les
phagocytes activés.4 Les mutations génétiques, tant
celles qui affectent les protéines essentielles pour l’in-
duction (la sous-unité IL-12p40, IL-12Rβ1) ou pour
la fonction des cellules Th1 (IFN-γR1, IFN-γR2,
Stat1) que celles qui interviennent dans la déplétion
discutée des cellules Th1 CD4+ au cours de l’infec-
tion VIH renforcent toutes la sensibilité à des infec-
tions graves dues aux mycobactéries.4,20 L’importance
de l’immunité cellulaire dans la TB est soulignée da-
vantage par l’augmentation des taux d’incidence de la
TB au cours du traitement par les agents biologiques
ciblant les TNF.5
Les cellules Th1 CD4+ reconnaissent les antigènes
de M. tuberculosis qui lui sont présentés via les molé-
cules de classe II du complexe majeur d’histocompa-
tibilité (MHC) à la surface cellulaire de phagocytes
comme les DC et les macrophages.21–23 Une observa-
tion récente et importante est le fait que la restriction
de la présentation des antigènes par les MHC de
classe II aux cellules CD4+ T dans les granulomes TB
n’est pas optimale tout au moins dans un modèle
murin de formation de granulomes TB. Ceci se tra-
duit dans une limitation majeure de l’activation des
cellules CD4+ Th1, ce qui limite l’induction d’une
réponse protectrice des cytokines in situ. Les fac-
teurs impliqués dans cette présentation sub-optimale
peuvent être multiples et comportent une disponi-
bilité limitée des antigènes/MHC de classe II ou
l’inhibition des cytokines renforçatrices et d’autres
molécules accessoires nécessaires pour soutenir une
activation complète des cellules T.24
A côté des cellules Th1 CD4+, il y a également une
activation proéminente d’un autre sous-groupe Th
CD4+, notablement les cellules Th17. Il s’agit d’un
sous-groupe de cellules T récemment découvert qui
produit l’IL-17A, l’IL-17F, le TNF et souvent aussi
l’IL-22 et dans certains cas également l’IFN-γ. Les
cellules Th17 sont des cellules pro-in ammatoires qui
interviennent principalement dans l’immunité contre
les bactéries extracellulaires et les champignons, par-
ticulièrement sur les surfaces muqueuses. Les cellules
Th17 pourraient avoir un rôle dans les phases pré-
coces de l’infection, tout au moins dans les modèles
murins de TB :25,26 elles apparaissent dans la phase
précoce de l’immunité adaptative et contribuent à la
défense de l’hôte contre M. tuberculosis.25 L’IL-17A
est essentiel pour la formation de granulomes pulmo-
naires murs dans les modèles d’infection par le BCG
et par M. tuberculosis.27 Toutefois, le rôle des cellules
Th17 dans les processus ultérieurs de l’infection reste
moins clair :28 l’hyperactivité des cellules Th17 a été
néfaste et a conduit à un accroissement de la patholo-
gie d’origine immunitaire, accompagné d’un af ux de
neutrophiles et de l’induction de destructions cellu-
laires plutôt que de la maitrise de l’infection.28,29 Les
TNF peuvent constituer un facteur contributif signi -
catif ici aussi (voir plus bas). L’IL-17 peut aussi être
produit par des cellules autres que les cellules Th17 ;
par exemple, une source importante aux stades pré-
coces de l’infection est constituée par les cellules T
réceptrices gamma-delta (γδ), une population de cel-
lules qui comporte des propriétés à la fois innées et
adaptatives qui interviennent dans la phase précoce
de la TB.27,29
Quoique le rôle des cellules T CD8+ dans la TB
soit moins clair que celui des cellules T CD4+, elles
sont généralement considérées comme contribuant à
une immunité et à une protection optimale.23,30 Les
cellules T CD8+ reconnaissent les antigènes dans le
contexte des molécules MHC de classe I qui sont
classiquement chargées de peptides antigéniques qui
proviennent des antigènes cytosoliques des cellules
infectées. Comme M. tuberculosis se situe princi-
palement dans les compartiments vacuolaires, les
immunologistes ont initialement considéré qu’il était
dif cile d’expliquer comment les cellules T CD8+
pourraient reconnaître les antigènes de M. tuberculo-
sis. Aujourd’hui toutefois, il est clair que les DC pos-
sèdent en particulier de multiples voies pour charger
les molécules MHC de classe I avec des peptides pro-
venant des bactéries des phagosomes : ceci peut être
médié par la voie de traitement cytosolique classique
mentionnée plus haut, puisqu’un transport actif ou
une diffusion passive au travers des membranes peu
endommagées de M. tuberculosis contenant des vési-
cules peuvent fournir des antigènes à la voie clas-
sique de présentation cytosolique protéasome/MHC
de classe I. Deuxièmement, le fait que M. tuberculosis
puisse activement s’échapper du phagosome dans le
cytoplasme et de la sorte, accéder directement au
traitement/présentation de MHC de classe I repré-
sente un autre mécanisme.16 Troisièmement, M. tuber-
culosis induit une apoptose dans les cellules infectées
qui entraîne la formation de vésicules apoptotiques
qui sont ultérieurement prélevées par les DC qui à
leur tour présentent de façon croisée leur contenu
antigénique grâce aux molécules MHC de classe I et
de classe II.31,32 Une quatrième voie, l’autophagie, a
quelques similarités avec la voie apoptotique, et con-
tribue également à l’amorçage croisé des cellules T
contre les pathogènes intracellulaires, notamment
M. tuberculosis.33,34 Cinquièmement, des voies alter-
natives de traitement des pathogènes situés dans les
phagosomes et des antigènes situés dans les endo-
somes existent, grâce auxquelles ces derniers peuvent
4 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
être chargés dans les MHC de classe I.30 Il existe donc
de multiples voies d’activation des cellules T CD8+
par les antigènes des phagosomes.
Un développement intéressant et relativement
nouveau est la découverte de sous-groupes intitulés
cellules T CD8+ alternatives qui comportent princi-
palement les cellules T CD8+ avec restriction au
MHC de classe Ib. Ces nouveaux sous-groupes com-
portent les cellules T CD8+ restreintes à l’antigène E
du complexe d’histocompatibilité (HLA-E),35,36 qui
reconnaissent les antigènes de M. tuberculosis pré-
sentés par des molécules HLA-E virtuellement non
polymorphes ; les cellules T invariantes associées aux
muqueuses pulmonaires (MAIT) qui reconnaissent
les antigènes de M. tuberculosis dans le contextes des
molécules non classiques et fortement conservées
MR1 ;37 et les cellules T restreintes au CD1 qui re-
connaissent principalement les antigènes lipidiques
dérivés de M. tuberculosis.38 Les molécules CD1b
sont chargées d’antigène par la voie de présentation
établie des MHC classe II, mais on ne sait que peu de
choses au sujet des ligands précis et des mécanismes
de chargement pour les molécules de présentation
MR1 et HLA-E. HLA-E est enrichi dans le phago-
some de M. tuberculosis et est dès lors probablement
physiquement susceptible d’être chargé par les pep-
tides de M. tuberculosis.39
Une importante différence avec les cellules Th
CD4+ est que les cellules T CD8+ sont capables de
reconnaître des antigènes sur des cellules non phago-
cytaires comme les cellules épithéliales qui peuvent
elles aussi être infectées par M. tuberculosis :40 toutes
les cellules nucléées expriment des molécules MHC
de classe I, mais seuls les phagocytes professionnels—
ou les cellules activées par l’IFN-γ—expriment les
molécules MHC de classe II et peuvent dès lors être
reconnus par les cellules T CD4+. Ceci implique que
les cellules T CD8+ sont capables de surveiller une
beaucoup plus grande variété de types cellulaires
potentiellement infectés que ne le sont les cellules
T CD4+. De plus, comme mentionné plus haut, les
cellules T CD8+ sont capables de surveiller la pré-
sence d’antigènes dans le « milieu intracellulaire » du
cytoplasme des cellules infectées grâce à une variété de
voies de traitement et de présentation des antigènes,
alors que les cellules Th CD4+ surveillent principale-
ment le compartiment vacuolaire qui est en continuité
avec l’espace « extracellulaire ». Pour l’immunité, les
cellules T CD8+ sont dès lors largement complémen-
taires aux cellules T CD4+ pour l’immunité.
Les cellules T CD8+ possèdent également un cer-
tain nombre de mécanismes effecteurs antimicrobiens
qui sont moins proéminents ou même absents dans
les cellules CD4+ Th1 et Th17. Les cellules T CD8+
sécrètent des granules comportant des molécules
c ytotoxiques, dont les plus importantes sont la perfo-
rine, les granzymes et la granulysine. Ces molécules
peuvent tuer les cellules infectées de l’hôte et la gra-
nulysine est capable de tuer de façon directe M. tu-
berculosis ainsi que d’autres bactéries. Les cellules T
CD8+ peuvent également tuer les cellules infectées
en induisant l’apoptose (dont on a parlé plus haut)
comme mécanisme effecteur antimicrobien au cours
des réponses immunes innées.17 Toutefois, les cellules
T CD8+ ont également des caractéristiques simi-
laires aux cellules Th1 CD4+ dans le sens qu’un sous-
type (cellules T CD8 de type1) est apte à produire de
l’IFN-γ, du TNF et aussi assez souvent de l’IL-2.
Alors que ces différentes voies effectrices ont été bien
documentées chez l’homme pour les cellules T CD8+
restreintes à la classe classique MHC Ia et restreintes
au CD1 (type 1),41–47 elles sont probablement parta-
gées par les cellules T CD8+ restreintes au MHC de
classe Ib, en sorte que à la fois les cellules T CD8+
classiques et non classiques sont susceptibles de con-
tribuer à une immunité optimale contre la TB.
Quoiqu’il soit clair que les cellules T et les phago-
cytes sont dominants dans les lésions infectées, d’autres
types cellulaires participent aussi à la réponse immu-
nitaire contre M. tuberculosis. De nouvelles preuves
insistent sur un rôle accessoire des cellules NK et des
cellules B dans l’immunité contre la TB.17,48 Diffé-
rentes séries de preuves récentes suggèrent également
nettement que les granulocytes neutrophiles sont as-
sociés à l’activité de la maladie TB et peuvent jouer
un rôle important dans la pathogénie de la TB.49–51
Des études sur l’expression des gènes de l’ensemble
du génome humain ont trouvé une signature d’ex-
pression puissante signalant un IFN de type 1 associé
aux neutrophiles.49,51 chez les patients TB, qui se nor-
malise à la suite d’un traitement curatif. Dès lors,
d’autres cellules contribuent également à la défense
de l’hôte et peuvent produire de nouvelles signatures
de biomarqueurs de la pathogénie, de l’activité de la
maladie et de l’immunité protectrice dans la TB.
En plus des sous-groupes de cellules CD4+ effec-
trices et de mémoire et de cellules T CD8+ décrites ci-
dessus, M. tuberculosis entraine également l’activa-
tion et l’expansion des cellules T régulatrices (Treg).
Ces cellules ont des fonctions inhibitrices et anti-
i n ammatoires. Plusieurs populations de Treg ont
été identi ées, notamment les Treg largement réactifs
CD4+CD25+FoxP3+ qui existent naturellement et les
Treg CD4+ induits spéci quement par M. tuberculo-
sis.52,53 ainsi que les Treg CD8, ces derniers ayant été
le plus souvent identi és en cas d’infection mycobac-
térienne chez l’homme.35,54,55 Les Treg sont capables
de supprimer l’activité des cellules Th CD4+ grâce à
la sécrétion de cytokines inhibitrices comme l’IL-10,
le facteur beta transformant de croissance (TGF-β)
ou le ligand 4 (CCL4) de la chemokine (C-Cmotif),
ou grâce à des mécanismes dépendant des contacts de
membrane de cellule à cellule ; ils peuvent désactiver
les phagocytes et dès lors, inhiber la stimulation des
réponses des cellules T CD4+, ils peuvent inhiber
l’arrivée de cellules T CD4+ dans les ganglions lym-
phatiques de drainage, inhiber la prolifération et
l’expansion des cellules T,52 et dès lors, retarder et
L’immunopathogénie de la TB 5
inhiber la mise en route de l’immunité contre M. tu-
berculosis. Quoique les cellules Treg puissent évi-
demment être—et évidemment sont—exploitées par
M. tuberculosis en sa propre faveur, elles jouent un
rôle important dans le maintien d’une homéostase
immunologique en prévenant un excès d’in amma-
tion ainsi que l’auto-immunité.55 Comme on le discu-
tera ci-dessous, le réglage  n de l’équilibre in amma-
toire dans la TB est d’importance majeure pour un
contrôle optimal de l’infection et il est probable que
les Treg se sont développées pour aider à créer et à
maintenir cet équilibre.
Une multitude de cellules et de mécanismes entre-
mêlés sont dès lors impliqués dans la réponse immune
à l’égard de l’infection par M. tuberculosis, sa régula-
tion, son réglage  n, notamment les fonctions d’acti-
vation/effecteur et d’inhibition/régulation. L’équilibre
entre la réponse et la capacité à fournir des impacts
effectifs aux cellules-cible infectées par M. tuberculo-
sis va déterminer dans quelle mesure la réponse de
l’hôte conduira à un contrôle de l’infection et peut-
être même à l’éradication bactérienne ou par contre
dans quelle mesure l’infection va progresser et com-
porter des nombres croissants de bactéries, des lé-
sions tissulaires pulmonaires et la transmission d’or-
ganismes du type M. tuberculosis à de nouveaux
hôtes sensibles.19
Vaccins actuels et nouveaux contre la tuberculose :
quel type d’immunité devraient-ils induire ?
Les vaccins BCG actuels, qui sont tous dérivés des
lots de BCG originaux obtenus par Calmette et Gué-
rin, sont parmi les vaccins les plus largement distri-
bués au niveau mondial et ont été administrés proba-
blement plus de 4 milliards de fois. En dépit des
rapports impressionnants sur la sécurité globale du
BCG, il est apparu récemment que les nouveau-nés
atteints d’une infection active par le VIH sont suscep-
tibles de développer une BCgite disséminée. Ceci re-
présente un risque signi catif dans les populations at-
teintes par le VIH,56 et a poussé le Global Advisatory
Committee on Vaccine Safety de l’OMS à recomman-
der de ne plus utiliser le BCG chez les enfants séropo-
sitifs pour le VIH.
Alors que le BCG est ef cient pour la prévention
des TB graves chez les jeunes enfants, sa limitation
principale est constituée par son incapacité à protéger
les adultes de manière signi cative et régulière contre
la TB pulmonaire. On ignore pourquoi le BCG ne
réussit pas à cet égard.57 Il est possible que le BCG ne
réussisse pas à activer de façon adéquate les cellules
immunitaires ou les mécanismes essentiels pour l’im-
munité protectrice à l’égard de la TB. Dans l’état
présent des choses, ceci est dif cile à démontrer car
nous ne comprenons pas complètement quels sont les
mécanisme-clé de la protection contre la TB. La plu-
part des spécialistes de la vaccination contre la TB ar-
gumentent le fait, qu’au minimum, les nouveaux vac-
cins TB doivent induire un large répertoire de cellules
T CD4+ et CD8+, de préférence douées de caracté-
ristiques multifonctionnelles.58 La multi- ou poly-
fontionnalité concerne la production simultanée de
multiple cytokines (IFN-γ, IL-2, TNF, IL-17) et/ou
l’expression de multiples fonctions effectrices (perfo-
rine, granulysine, cytolyse, etc.) par les cellules T indi-
viduelles. A côté de l’exécution de diverses fonctions
effectrices et de la production simultanée de multiples
cytokines, ces cellules produisent également typique-
ment des niveaux plus élevés de cytokines. Toutefois,
à l’inverse des attentes initiales, ces cellules ne sem-
blent pas être en corrélation avec la protection in-
duite par le BCG chez les nourrissons59 et les
a dultes.60–62 De plus, elles sont également présentes
dans la TB active, quoiqu’elles puissent néanmoins
participer à la réponse protectrice de l’hôte visant à
limiter l’infection61 plutôt qu’à contribuer à une ma-
ladie active. Finalement, on n’en sait que peu concer-
nant la capacité du BCG à activer des cellules immu-
nitaires supplémentaires qui participent à la réponse
immunitaire à l’égard de M. tuberculosis tels que
MAIT, d’autres cellules T restreintes à Ib/CD1 de la
classe HLA, les cellules NK, les cellules γδ T récep-
trices (TCR) ainsi que les cellules « innées » supplé-
mentaires qui peuvent également développer certaines
formes de mémoire immunologique.63
A côté de la possibilité que le BCG échoue à ac-
tiver de manière adéquate les cellules immunitaires
ou les mécanismes essentiels pour la protection, une
possibilité alternative est que d’autres facteurs inhibent
ces actions tels que le rôle immunomodulateur des
mycobactéries non-tuberculeuses,57 les co-infections
(à côté du VIH, les helminthes et les virus), les Treg
induits par le BCG,54 ou l’affaiblissement éventuel de
la mémoire immunitaire au cours de l’adolescence qui
est la période la plus critique pour la (ré)-infection
TB et sa progression vers une maladie active. Une
étude récente a démontré que chez les souris infectées
par les helminthes, les réponses immunitaires pulmo-
naires innées à l’égard de M. tuberculosis, sont frei-
nées, phénomène médié par l’activité IL-4.64
Il est vraiment nécessaire d’élaborer des vaccins
qui puissent soit stimuler les effets protecteurs pré-
coces du BCG, soit les remplacer par des meilleurs
vaccins (domaine revu dans Ottenhoff et Kaufmann2).
Ces vaccins devraient non seulement induire une
meilleure immunité, mais ils devraient aussi circon-
venir les parcours inhibiteurs activés par le BCG.
Différents efforts internationaux sont en cours selon
trois stratégies conceptuelles différentes.65 La première
stratégie vise à améliorer le BCG, soit en le complétant
de manière génétique avec l’expression d’antigènes
supplémentaires (par exemple la cible antigénique à
sécrétion précoce 6 [ESAT-6], la protéine 10 du  ltrat
de culture [CFP-10], les régions 1 de différence [RD1]
ou d’autres), ou encore en modi ant le vaccin de ma-
nière génétique a n d’améliorer son ef cience dans
l’induction de l’immunité (comme par l’autophagie ou
des stimulations croisées via l’apoptose). La deuxième
1 / 10 100%

Que savons-nous et qu`ignorons-nous sur l`immunopathogénie de la

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